Vous êtes sur la page 1sur 38

INSTITUT SUPERIEUR D’INFORMATQUE ET DE

GESTION (I.S.I.G.-GOMA)

DOMAINE DES SCIENCES


DE L’HOMME ET DE LA SOCIETE
FILIERE DE SCIENCES DE LA POPULATION ET DU
DEVELOPPEMENT

SOCIOLOGIE DES ORGANISATIONS ET


DU DEVELOPPEMENT (45H)
LIC 3 ET LIC3 SPECIAL GD LMD,
Unité Développement et Société
Semestre 1, 2023-2024

Par NZABANDORA NDI MUBANZI JOSEPH, PhD.


Professeur Ordinaire
1

TABLE DES MATIERES


TABLE DES MATIERES ......................................................................................................... 1
CHAP. I. SOCIOLOGIE DES ORGANISATIONS .................................................................. 3
1.1. DEFINITION DU CONCEPT ORGANISATION ......................................................... 3
1.1.1. L’ORIGINE BIOLOGIQUE DU TERME ............................................................... 3
1.1.2. DEFINITION PROPREMENT DITE ...................................................................... 3
1.1.3. RAPPORTS ENTRE ORGANISATION ET INSTITUTION ................................. 3
1.2.LES ELEMENTS GENERAUX ET INVARIANTS DE TOUTE ORGANISATION ... 4
1.2.1.LES BUTS ................................................................................................................. 5
1.2.2.LA COORDINATION ............................................................................................... 5
1.2.3.L’ENVIRONNEMENT ............................................................................................. 9
1.2.4.L’IMAGE DE L’ORGANISATION ....................................................................... 10
CHAP. II. SOCIOLOGIE DU DEVELOPPEMENT ............................................................... 12
2.1. LE CONCEPT DE DEVELOPPEMENT ...................................................................... 12
2.1.1. Définition générale et indicateurs du développement selon les économistes ......... 12
2.1.2. Le développement durable ...................................................................................... 13
2.1.4. Définitions sociologiques du développement ......................................................... 14
LES STRUCTURES QUI SONT AFFECTÉES PAR LE DÉVELOPPEMENT ................ 15
2.2. THEORIES DES CERCLES VICIEUX ET DES GOULOTS D’ETRENGLEDU
DEVELOPPEMENT ............................................................................................................ 17
2.2.1. THEORIE DU CERCLE VICIEUX DE LA PAUVRETE .................................... 17
2.2.2. THÉORIES DES BLOCAGES ET DE GOULOTS D’ÉTRANGLEMENT ......... 18
THEORIE EXPLICATIVE DE LA DELINQUANCE PAR LA MARGINALISATION ET
LA DETERMINATION DES MARGINAUX DE SE CONSTITUER COMME ACTEURS
SOCIAUX ............................................................................................................................ 20
APPLICATION DE LA THEORIE AU NORD-KIVU : TENTATIVES VAINES DE
L’INTEGRATION DES GROUPES ARMES DANS LES FARDC................................... 22
2.2.3. SOLUTIONS PROPOSEES PAR LES SOCIOLOGUES ET
ANTHROPOLOGUES SPECIALISTES DES THEORIES DES CERCLES VICIEUX
ET DES GOULOTS D’ETRANGLEMENT .................................................................... 25
2.3. THEORIE DE LA MODERNISATION.................................................................... 28
2.3.1. LES IDÉES DÉFENDUES PAR LA THÉORIE DE LA MODERNISATION ..... 28
2.3.2. ECHECS CUISANTS DE L’APPLICATION DE LA THÉORIE DE LA
MODERNISATION ......................................................................................................... 29
2

2.3.3. SOLUTIONS PALLIATIVES DE L’ECHEC CUISANT DE LA THEORIE DE


LA MODERNISATION ................................................................................................... 30
2.3.4. CRITIQUES DES PLANS OU POLITIQUES D’AJUSTEMENT STRUCTUREL
........................................................................................................................................... 30
2.4. THEORIE DES PROJETS DE DEVELOPPEMENT SOCIALEMENT ET
CULTURELLEMENT APPROPRIES ............................................................................. 32
2.4.1. NECESSITE IMPERIEUSE D’UTILISER LA CULTURE ET
L’ORGANISATION SOCIALE TRADITIONNELLES DANS LA CONCEPTION ET
L’EXECUTION DES PROJETS DE DEVELOPPEMENT ............................................ 32
2.4.2. L’INTEGRATION DES CULTURES ET ORGANISATIONS SOCIALES
TRADITIONNELLES DANS LES PROJETS DE DEVELOPPEMENT ....................... 33
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................... 36
3

CHAP. I. SOCIOLOGIE DES ORGANISATIONS


1.1. DEFINITION DU CONCEPT ORGANISATION
1.1.1. L’ORIGINE BIOLOGIQUE DU TERME
Le mot organisation vient de la biologie avant d’arriver (atterrir) en sociologie. Initialement
(XVe s.), organiser, « c’est rendre apte à la vie ». Un organe est une partie d’être vivant. Un
organisme est un ensemble vivant dans un milieu. Par analogie, l’organisation désigne un
mode de fonctionnement ; celui d’une action ou de l’entité qui en résulte. Voir administration,
bureaucratie, entreprise, institution, management.

1.1.2. DEFINITION PROPREMENT DITE


Toute organisation comporte des éléments invariants (constants, stables, permanents). C’est
l’ensemble d’acteurs doté d’une structure d’autorité, de rôle et d’un système de
communication permettant la coordination et le contrôle des activités afin de réaliser un (ou
des) but (s). Autrement dit : « on peut définir une organisation comme la forme sociale qui,
par application d’un règle et sous l’autorité de leaders, assure la coopération des individus à
une œuvre commune, dont elle détermine la mise en œuvre et répartit les fruits »
(BOURRICAUD).

Il convient de ne pas confondre organisation et institution. Une institution est une instance ou
quelque chose à laquelle tout le monde doit se soumette. Il existe deux types d’institution :
l’institution-organe comme par exemple le Président de la République, le gouvernement, le
parlement, la magistrature et l’institution-procédure comme la Constitution, les lois, les
coutumes qui guident les actions des individus dans les différents domaines.

1.1.3. RAPPORTS ENTRE ORGANISATION ET INSTITUTION


Pour préciser davantage le terme « organisation », examinons ses rapports avec l’institution.
L’organisation est opérative dans le sens qu’on y coordonne des actions. L’institution est
régulative car on y construit des cadres de référence (règles et normes formelles ou
informelles à suivre) qui guident les actions.

L’organisation produit des transformations. L’institution apporte la stabilité (On ne peut pas
faire les choses comme on veut, les changer quand on veut selon les humeurs du moment).
Ex. On organise un club sportif mais les règles du jeu constituent l’institution. On organise
une cérémonie de noces mais le mariage reste une institution (institution-organe). Les actions
des acteurs doivent être recadrées par des institutions.
4

Cette distinction a deux conséquences. D’une part, toute organisation a des ancrages
institutionnels : pas d’Etat sans Constitution au moins implicite (ex. la coutume) ; pas de
rencontres sportives sans règles du jeu. D’autre part, toute organisation a une dimension (côté)
institutionnelle (ex. la couverture par la législation) : l’école, l’armée, l’Eglise sont des
organisations, mais ce sont aussi des lieu d’apprentissage, de citoyenneté (patriotisme), de
salut (institution-procédure). Cette dimension institutionnelle n’est cependant pas toujours
aussi accentuée. Elle semble moins nette dans le cas d’organisations comme les entreprises.

« L’entreprise citoyenne » est certes censée remplacer l’Etat ou la famille (devenir un hospice
social) selon certains esprits. Il n’est pas sûr que sa fonction soit de devenir une institution
centrale régulant la vie sociale. Dans le même esprit, on rêve d’institutionnaliser les
associations caritatives (de caritas, de charité, qui a pour but de porter secours aux plus
défavorisés), mais c’est surtout pour pallier les difficultés (défaillances) rencontrées par
l’Etat-Providence en matière de protection (assistance) sociale.

En définitive, on le constate, une société peut être analysée comme un agglomérat (ensemble
plus ou moins hétéroclite de personnes ou d’objets) d’organisations multiples, différentes les
unes des autres. Ces organisations sont, comme le rappellent CROZIER et FRIEDBERG
(1977), des » systèmes (ensembles cohérents) d’acteurs ». Complétons avec Jean-Michel
MORIN (1999) que chaque organisation naît de ces « acteurs » de vie en société que nous
pouvons tous devenir par nos initiatives et nos appels à autrui (mobilisations).

1.2.LES ELEMENTS GENERAUX ET INVARIANTS DE TOUTE


ORGANISATION
Concrètement, on peut étudier l’organisation, d’une entreprise, d’une association
humanitaire, d’une coopérative agricole, d'un camp de prisonniers, de la maffia, d’un groupe
de maîbobo, de la cuisine d’un restaurant, d’un orchestre, d’un journal, d’un parti politique,
d’une secte, d’un asile psychiatrique, de l’ordre des médecins, d’une équipe de football, d’un
club de vacances, etc. Devant cette diversité, les manuels de sociologie des organisations
insistent sur un cas très prégnant : celui de la grande entreprise. BERNOUX ou BALLE en
donne ainsi de nombreuses illustrations. L’ambition d’une sociologie des organisations reste
de détailler les traits (invariants) communs à toutes les organisations. Ces traits ou
caractéristiques se ramènent à : (1) des buts, (2) une coordination, (3) un environnement, (4)
des images, (5) des règles pour fédérer les acteurs.
5

1.2.1.LES BUTS
Il serait naïf de penser que chaque organisation a un but clair, univoque (compris de la même
façon) et partagé par tous. D’abord un but n’est pas univoque (n’a pas le même sens dans des
emplois différents). Ensuite, il n’est pas univoque : l’Université transmet les connaissances,
mais c’est aussi un centre de recherche et un lieu d’orientation et d’insertion (professionnelle
ou sociale). Enfin, tous n’apprécient pas les buts de la même façon : dans l’Eglise, un fidèle
pensera à son salut, prêtre se préoccupe de mobiliser pour le carême, un évêque s’inquiétera
de la baisse des vocations, le pape s’occupera de la foi des jeunes en vue du troisième
millénaire ou la paix dans le monde, etc. Au village les jeunes filles s’impliquent dans les
activités de l’Eglise pour qu’elles soient remarquées par les garçons ou des futurs prétendants.

MARCH et SIMON (1969) font ressortir avec force que seuls les individus ont des buts. Ils
les poursuivent en outre avec des ressources cognitives (connaissances) limitées (chacun
selon ses vues et ses enjeux). Exemples : à l’Université, un étudiant aime la sociologie ou la
gestion du développement, ses parents attendent qu’il obtienne sa maitrise, les enseignants
mettent au programme leurs sujets préférés (cas de la réforme LMD), un employeur voudra
quelqu’un d’opérationnel dès l’embauche. C’est donc un abus de langage que de parler de but
de l’organisation, comme si l’université avait une ligne de conduite univoque ou comme si
une banque avançait avec une idée en tête !

FERROW (1970) complète une telle conclusion en remarquant que si les organisations n’ont
pas des buts, elles produisent des effets collectifs. Survivre ensemble, sans gaspillage ni
abandon, sont des effets de pérennité, de cohésion, de cohérence, de contrôle qui constituent
autant de forces émergentes, observées dans toute organisation, autrement dit celle-ci lutte
pour atteindre ces effets.

En définitive, MINTZBERG (1986) indique que les théories sur les buts de l’organisation
sont passées de la vision d’un acteur dominant, qui impose son but unique, à l’analyse
d’acteurs multiples, qui hésitent chacun entre plusieurs visées, avant que les effets ne résultent
de leurs actions communes. Le problème central dans toute organisation, c’est alors de
coordonner les actions individuelles pour produire des effets collectifs attendus.

1.2.2.LA COORDINATION
Une fable souvent utilisée illustre le problème central de coordination des actions
individuelles pour produire des effets collectifs attendus. Trois voisins veulent dégager leur
chemin obstrué par une lourde pierre. L’un est costaud, l’autre a un levier, le dernier est
6

ingénieur. Comment vont-ils s’organiser pour coordonner leurs actions pour atteindre leur
but ?

Equilibre entre les contributions et rétribution acceptables pour tous

BARNARD (1938) est l’un des premiers à avoir mis ce problème au cœur d’une analyse
véritable organisations. Il indique que toute solution doit assurer un équilibre entre les
contributions et les rétributions de chacun pour être acceptable par tous.

Philippe BERNOUX (1990) place le système de contribution-rétribution parmi les cinq


caractéristiques ou éléments invariants des organisations : (1) la division des tâches, (2) la
distribution des rôles, (3) le système d’autorité, (4) le système de communication, (5) le
système de contribution-rétribution.

D’après P. BERNOUX, un système de contribution-rétribution doit être plus ou moins


élaboré, préciser ce que les membres doivent apporter et ce qu’ils doivent recevoir. Toute la
question porte ici sur la définition et la précision des termes de l’échange. Le droit du travail
prévoit que le salarié se place sous l’autorité de celui qui l’emploie : il est dépendant de
l’employeur, lequel lui donne des ordres. En échange de quoi l’employeur est tenu de lui
verser un salaire, défini parfois légalement, ou conventionnellement, ou fixé de gré à gré par
oral ou par écrit. Cela résume les rapports formels ou légaux entre l’apport du salarié (son
temps, ses capacités) et celui de l’employeur (un salaire, des ordres). Mais cela ne dit rien des
raisons pour lesquelles tel salarié s’embauche dans telle entreprise (faute de mieux, projet de
nuire au chef ou de le renverser, possibilités de s’enrichir illicitement aigreur en cas d’échec,
mercenariat ou avoir de l’argent au moindre effort, avoir un C.V., passe-temps tout en
cherchant mieux, contraintes matérielles, prestige et considération, acquérir une expérience,
possibilités d’avancement sur le plan socio-économique et intellectuel ou scientifique, honorer
la famille, etc.), ni celles de l’employeur (népotisme, favoritisme, tribalisme, clientélisme
politique, besoins des propagandistes politiques, diminuer l’importance ou la proportion des
agents hostiles à lui, etc.). Or ces raisons, ces objectifs sont un des ressorts du bon ou du
mauvais fonctionnement d’une entreprise. Pourquoi telle entreprise reçoit-elle une « bonne »
ou une « mauvaise » ou « pire » qu’une autre entreprise de même type ? Pourquoi des
groupes, des ateliers, des sociétés « marchent-elles bien », d’autres « moins bien » ?

La présentation du mode stratégique des traits généraux de l’organisation ne doit pas faire
oublier les structures (ex. l’organigramme) nécessaires de celle-ci. Avec plus ou moins de
7

précision, une entreprise doit définir les fonctions de : chacun des salariés, leurs relations, le
rôle de l’autorité, etc. : qui fait quoi, qui commande qui, qui transmet ordres ou
communications à qui, etc.

HIRSCHMANN (1995) précise d’ailleurs que si quelqu’un est déçu, sa loyauté va se


transformer en prise de parole ou défection : il va protester ou s’en aller, et s’il ne peut pas se
passer de son gagne-pain quotidien, il va rester comme un mercenaire contestataire, ou fédérer
autour de lui des cliques qui sabotent tout dans l’entreprise. Ainsi, un client peut faire une
réclamation ou passer à la concurrence. De manière plus graduée, un salarié peut doser son
zèle, faire grève, occuper son lieu de travail, s’absenter de façon chronique, démissionner.

Toute coordination est écartelée entre deux pôles : différencier et intégrer

a. Différencier

Face à ces contraintes, toute coordination se trouve en tension (écartelée) entre deux pôles :
différencier et intégrer. Différencier, c’est diviser le travail et répartir les tâches entre
spécialistes. Cette activité correspond chez Philippe BERNOUX aux deux premiers généraux
invariants de toute organisation : division des tâches et distribution des rôles (en dehors du
système d’autorité, système de communication et système de contribution-rétribution).

- La division des tâches

La division des tâches est au principe de l’organisation et fonde la différence entre un groupe
structuré (ordonné) et celui qui n l’est pas. Dans une organisation, en effet, la division des
tâches suppose précision et durée. Le travail à exécuter peut être formalisé par écrit ou non, il
doit être réparti entre les individus d’une manière assez claire pour que l’un n’empiète pas sur
l’autre. Il est donnée pour une durée déterminée à ceux qui l’exécutent. Dans les entreprises
modernes, il peut exister une liste des tâches à accomplir affectée (donnée) à chaque
responsable de cette tâche.

- La distribution des rôles

La distribution des rôles est un des enjeux (objectifs) principaux de la définition des
organisations. Chaque membre de l’organisation se voit attribuer une tâche, plus ou moins
définie comme on vient de le voir. Mais ajouter qu’il s’agit de rôle signifie que chacun peut
accomplir cette tâche d’une manière particulière. Le mot « rôle » renvoie à celui d’acteur.
8

Dans une pièce de théâtre, chaque acteur a un texte défini à dire et il ne doit pas s’en écarter.
Mais il peut l’interpréter (le jouer) d’une manière particulière, et aucun acteur ne tient son rôle
de la même façon qu’un autre (…). Un même texte peut être joué différemment à tel point que
le spectateur peut avoir l’impression d’assister à des pièces différentes. La différence peut
provenir de l’acteur lui-même ou metteur en scène. Il en est de même d’un match de football.
Tous les joueurs sont soumis à de mêmes règles du jeu. Mais certains joueurs excellent
toujours plus que d’autres dans différents matches contre les adversaires, toujours au grand
étonnement de ces derniers qui ont tout fait pour les empêcher de marquer les buts mais ont
échoué. Il y a des joueurs très talentueux et ingénieux qui étonnent le public et l’équipe
adverse. Pourtant tout le monde applique les mêmes règles du jeu.

Peut-on comparer une organisation comme l’entreprise à un spectacle de théâtre ou à un


match de football ? Cette comparaison est valable en ce qui concerne les rôles joués. De par
l’expérience, chacun sait qu’il ne remplit jamais la fonction lui attribuée de la même manière
que son prédécesseur. Même si la définition du poste (tâche) ou de la fonction ne change pas,
le nouveau titulaire ne l’exécute pas exactement de la même manière que l’ancien : il a
d’autres centres d’intérêt, juge différemment l’importance des différentes tâches contenues
dans la définition de sa fonction, bref se comporte en interprétant de manière différente une
fonction identique. Autrement dit, tout membre d’une organisation se comporte comme un
acteur capable et souvent même chargé d’interpréter de manière nouvelle un rôle identique
(innovation et initiatives). L’analyse stratégique, nommant (considérant) les membres de
l’organisation, met l’accent davantage sur leur autonomie que sur les contraintes objectives
qui définissent leurs rôles. Quelles qu’elles soient, les contraintes ne dispensent jamais
l’acteur de choix, et c’est en le faisant qu’il oriente la politique de l’organisation.

b. Intégrer

Revenons à la fable des trois personnes qui veulent dégager leur chemin obstrué par une
lourde pierre. Dans la fable, l’un utilise son levier, le costaud déplace la pierre, l’ingénieur
effectue les calculs (ex. les angles d’inclinaison, l’endroit où il faut placer le levier, la
résistance du levier, etc.). Intégrer, c’est fédérer les efforts au sein d’une ligne hiérarchique
qui conduit au but commun. Dans la fable, les trois soulèvent ensemble ou un chef surveille
les deux autres.

LAWRENCE et LORSCH (cité par J. M. MORIN, p. 377) montrent que plus on différencie
des spécialistes (atomisation des tâches), plus il est difficile de les intégrer ; plus on intègre les
9

membres d’une organisation, plus il est difficile de les différencier. Coordonner, c’est alors
choisir un bTZon dosage entre les éléments et le liant, comme un maçon qui ne met ni trop de
ciment, ni trop d’eau pour que le mélange prenne. Dans les organisations, les choix sont
multiples. MINTZBERG (1986) indique cinq modes alternatifs de coordination : (1) désigner
un chef ; (2) mettre en place une procédure ; (3) fixer les objectifs ; (4) ajuster les
compétences ; (5) généraliser la communication. Ce choix dépend de ce qui se passe « dans »
mais aussi » de l’organisation, c’est-à-dire dans son environnement.

1.2.3.L’ENVIRONNEMENT
Il faut se garder d’une vision substantialiste (physiquement monolithique) des « frontières »
ou des « limites » de l’organisation. Malgré les origines biologiques du mot, l’organisation
n’est pas dans son environnement comme l’organisme dans son milieu. Distinguer les acteurs
qui sont « dedans » de ceux qui sont « dehors » est surtout une commodité (simplification)
utilisée par l’observateur ou l’organisateur. L’organisation est un système qui influence
l’environnement et qui subit en même temps les influences de cet environnement (cf. la
méthode systémique).

Pour l’observateur d’une entreprise, les salariés sont « dedans », mais il est plus délicat de
placer les clients ou les actionnaires. Pour qui analyse l’Eglise, les non-croyants sont à
l’extérieur mais sont tous invités à franchir le seuil de la porte. Ex. les églises de réveil de
Goma prêchent pour conquérir des nouveaux fidèles et pour conserver ceux qu’elles ont.
Autre exemple : Dans la ville de Goma, au Nord-Kivu, les politiciens, la police, l’ANR, les
militaires et la justice étaient fortement impliqués dans les révoltes et le vandalisme des
étudiants de l’UNIGO, de l’ISTA, de l’ISTOU et de l’ISSNT au Campus du Lac (Kinyumba).
Ces étudiants étaient manipulés par toutes ces instances pour des raisons non avouées, liées
principalement aux règlements des comptes entre individus et aux intérêts matériels ou
pécuniaires, en connivence avec les agents de ces institutions d’enseignement supérieur et
universitaire du Nord-Kivu.

La distinction entre « dehors » et « dedans » est donc une simple commodité. « Dehors »
conduit à qualifier l’environnement. Il peut être hostile, routinier, turbulent, prévisible …
« Ded ans », cela permet d’éclairer les choix qui en résultent et qui se font entre différencier
et intégrer ». Les paramètres (indicateurs) qui caractérisent un environnement peuvent se
ramener à la complexité et à l’incertitude.
10

Un environnement complexe pousse à différencier (diviser les tâches et distribuer les rôles).
En guérilla urbaine, il faut une multitude de petits commandos. En construction automobile, il
faut séparer les étapes de fabrication (et différencier les tâches pour permettre de travailler à la
chaîne par exemple). Un environnement incertain pousse à intégrer. Une offensive de masse
suppose de regrouper les forces (Concentration des militaires FARDC, SADC, MONUSCO,
Wazalendo à Mubambiro et Sake au Nord-Kivu, contre le M23, depuis janvier et février
2024). La prospection pétrolière incite à multiplier les tentatives de forage.

Il y a des situations qui surtout complexes (les échecs). Il y a des situations qui sont
incertaines (le poker). Il y a des situations qui sont incertaines (le poker : tentative audacieuse
et hasardeuse). Mais d’autres sont les deux à la fois (le bridge, jeu de cartes, 2 contre 2). Un
environnement à la fois complexe et incertain pose le dilemme différenciation et intégration.
La conquête spatiale suppose à la fois petites équipes et grand projet.

La mise en avant d’une frontière entre l’organisation et son environnement ne doit pas faire
oublier les acteurs parce que tout passe par eux. Ils se retrouvent tout particulièrement dans
les transactions qui s’opèrent aux frontières (traitres de dedans, des règlements des comptes
obscurs, recherche à l’extérieur des alliés intéressés comme la police, le Parquet, l’ANR, les
maîbobo, etc.).

Les travaux de PFE FFER et SALANCIK (1978) montrent, à travers ces transactions aux
frontières, que les offres développées dans l’organisation ne sont jamais indépendantes des
demandes ou des contraintes émanant de l’extérieur. Un conseil communal gère les services
internes de la mairie mais sa composition reflète la situation politique de la ville (les partis
politiques qui ont gagné les élections municipales : Union sacré ou Ensemble pour la
République et leurs alliés respectifs). Un conseil d’administration contrôle le PDG, mais
représente normalement les actionnaires ; si ces derniers sont très faibles ou très confiants, le
PDG accroit sa latitude d’action discrétionnaire.

Acteurs, buts, coordination, environnement : l’essentiel de la grille d’analyse (stratégique) des


organisations est là. Toutefois, les recherches récentes indiquent que ce qui compte, ce n’est
pas seulement l’organisation mais l’image que les acteurs s’en font.

1.2.4.L’IMAGE DE L’ORGANISATION
Chaque acteur de l’organisation s’en fait une image, une représentation qui va influer sur ses
manières d’agir comme la carte géographique utilisée influe sur la manière de s’orienter sur le
11

territoire. MORGAN (1989) identifie huit métaphores (comparaisons) couramment utilisées


pour se représenter l’organisation : (1) la machine, (2) l’organisme, (3) le cerveau, (4) le
centre de culture, (5) l’arène politique, (6) la prison psychique, (7) le flux de transformation,
(8) l’instrument de domination.

Illustration de l’organisation comme une arène politique : un lieu d’affrontements sans merci,
avec des cliques pour tout saboter, règlements des comptes obscurs ; on entend alors les gens
se lamenter lugubrement : « Bunakucha bwa maneno, on ne sommeille pas, les gens
s’opposent au succès des autres dans l’organisation. A l’opposé, l’organisation est parfois
naïvement considérée comme une « école » de formation, d’éducation, d’acquisition
d’expérience, un milieu d’accroissement du capital social (relations sociales), voire une
famille.

Il n’est pas anodin d’arriver au travail en imaginant en imaginant ses collègues comme les
« doigts d’une même main » plutôt que comme des « valets du capital » (recherche de
l’argent, mercenariat). Il n’est pas neutre de considérer une association comme réunissant les
« défenseurs d’une noble cause », plutôt que comme un « panier de crabes » avec leurs pinces
(milieu dont les membres cherchent à se nuire, à se déchirer. En même temps, ces
représentations ne sont pas tout le territoire. Une image trop caricaturale finit même par
obscurcir la perception.

A une extrémité, ne voir dans l’organisation qu’un « gros individu », un « corps » comme
dans la métaphore organiciste depuis l’analogie ancienne avec la biologie, c’est nier que cette
entité collective résulte des actions coordonnées d’individus différents. A l’autre extrémité, ne
voir dans l’économie que des rapports de production conflictuels qui aboutissent toujours à
une domination et à l’exploitation, c’est nier l’organisation elle-même, constituée pour rendre
compatibles des buts variés.

Le grand apport de la sociologie des organisations est précisément de s’interroger sur ce qui
se passe entre sphère individuelle et sphère sociale, au niveau de ces multiples centres
d’initiatives où les actions se coordonnent. Cela entraîne un regain d’intérêt pour les règles
locales qui s’établissent entre les acteurs. Cela débouche sur les recherches concernant la
dimension institutionnelle des organisations, comme le résume ROWLINSON (voir rapports
entre institution et organisation au début de ce cours).
12

CHAP. II. SOCIOLOGIE DU DEVELOPPEMENT


2.1. LE CONCEPT DE DEVELOPPEMENT
2.1.1. Définition générale et indicateurs du développement selon les économistes
De manière générale, le mot développement désigne l'action d'une avancée ou le résultat de
cette action. Le développement est l'action de faire croître, de progresser, de donner de
l'ampleur, de se complexifier au cours du temps. Le mot développement, employé au sujet du
degré d'avancement des pays, a été popularisé par le président des États-Unis Harry S.
Truman en 1949 dans son discours sur l'état de l'Union, plus précisément, dans la « partie
IV » de son discours d'investiture du 20 janvier1949. (fr.wikipedia.org/wiki/Développement).
Le président américain Harry Truman utilise le terme de développement pour justifier l'aide
aux « pays sous-développés » dans le cadre de la guerre-froide (doctrine Truman). Il y déclara
être du devoir des pays du Nord capitalistes, qualifiés de « pays développés », de diffuser
leurs « connaissances techniques » et assistance aux pays qualifiés de « sous-développés »,
pour qu'ils se rapprochent du modèle de société occidentale. Cette initiative marque le
triomphe d'une vision économétrique du développement, mesuré par le PNB par habitant.
L'enjeu du développement était en effet au cœur de la rivalité entre l'Ouest et l'Est, chaque
bloc promettant d'aider ses alliés en échange de leur soutien politique.

Le développement économique désigne les évolutions positives dans les changements


structurels d'une zone géographique ou d'une population : démographiques, techniques,
industriels, sanitaires, culturels, sociaux... De tels changements engendrent l'enrichissement
de la population et l'amélioration des conditions de vie. C'est la raison pour laquelle le vrai
développement économique est associé au progrès. La croissance économique n'est qu'une des
composantes du développement. Ce dernier peut être mesuré à l'aide d'indicateurs comme :

 le PIB (Produit Intérieur Brut),

 le PNB (Produit National Brut)

 l'IDH (Indice de développement humain)

 le BIP 40 (Baromètre des Inégalités et de la Pauvreté)

 l'IPH (Indicateur de Pauvreté Humaine)


13

Pour Le Prix Nobel Amartya Sen, de nationalité indienne, qui a pris part à la
conceptualisation de de indice de développement humain en 1990 , comme pour le PNUD
d’ailleurs, le développement est plutôt, en dernière analyse, un processus d'élargissement du
choix des gens qu'une simple augmentation du revenu national, choix de ce qu’on peut
entreprendre comme activités, dans la production, la consommation, élargissement des
possibilités offertes aux gens dans tous les domaines. L'IDH a été créé pour souligner que les
personnes (santé, longévité) et leurs capacités (garanties par l’éducation et la santé) devraient
constituer le critère ultime pour évaluer le développement d'un pays, pas seulement la
croissance économique. L'indice de développement humain (IDH) est une mesure de synthèse
du niveau moyen atteint dans les dimensions clés du développement humain : une vie longue
et saine, l'acquisition de connaissances et un niveau de vie décent.

2.1.2. Le développement durable


La notion de développement durable, traduite de l'anglais sustainable development , est
apparu pour la première fois en 1980 dans un rapport intitulé La stratégie mondiale pour la
conservation et publié par l'Union internationale pour la conservation de la nature, avant que
sa définition ne soit proposée en 1987 par la Commission mondiale sur l'environnement et le
développement (rapport Brundtland). Selon la définition donnée dans le rapport Brundtland
en 1987, le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent
sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins.

2° Composante du développement durable

Choix
Choix
environnementaux
environnement
judicieux
aux judicieux

Développement durable

Choix économiques Choix sociaux


viables équitables
14

Si tous les États de la planète adoptaient l'American Way Of Life (qui consomme près de 25 %
des ressources de la Terre pour 5 % de la population), il faudrait 5 ou 6 planètes pour subvenir
aux besoins de tous selon l'association écologiste WWF.

Acteurs du développement durable

La prise en compte des enjeux de développement durable nécessite un système impliquant


trois types d'acteurs : le marché, l’État et la société civile :

 les acteurs du marché sont les entreprises ;

 les acteurs des États sont des autorités publiques, au niveau mondial et au niveau de
chaque grande zone économique (Union européenne…), au niveau national, et au
niveau territorial (régions, intercommunalités, communes) ;

 les acteurs de la société civile sont des représentants des associations et des
Organisations non gouvernementales

2.1.4. Définitions sociologiques du développement


Selon l’anthropologue OLIVIER DE SARDAN, Jean-Pierre, Anthropologie et
développement. Essai en socio-anthropologie du changement social, Marseille / Paris, APAD
/ Karthala, 1995, Collection : Hommes et sociétés, pp. 9, 12-14.

Dans le cadre de la socio-anthropologie, Jean-Pierre Olivier de Sardan définit « le


« développement » comme une forme particulière de changement social, qu’un ensemble
complexe d’intervenants (ONG, agences nationales ou internationales, experts, coopérants,
techniciens ….) cherche à impulser auprès de « groupes-cibles », eux-mêmes divers et
évoluant selon les dynamiques propres. Ces phénomènes sont particulièrement importants en
Afrique, en raison du rôle qu’y jouent les flux d’ « aide » et les projets de tous ordres ».

Il souligne que la socio-anthropologie du développement peut contribuer, pour une part


modeste mais réelle, à améliorer la qualité des services que les institutions de développement
proposent aux populations, en permettant une meilleure prise en compte des dynamiques
locales.

Le développement n’est qu’une des formes du changement social et ne peut être appréhendé
isolement. L’analyse des actions de développement et des réactions populaires à ces actions
ne peut être disjointe de l’étude des dynamiques locales, des processus endogènes, ou des
15

processus « informels » de changement. De même, la socio-anthropologie du développement


est indissociable de la socio-anthropologie du changement social.

Je (Jean-Pierre Olivier de Sardan) proposerais donc de définir le « développement », dans une


perspective fondamentalement méthodologique, comme l’ensemble des processus sociaux
induits par des opérations volontaristes de transformation d’un milieu social, entreprises par
le biais d’institutions ou d’acteurs extérieurs à ce milieu mais cherchant à mobiliser ce milieu
et reposant sur une tentative de greffe de ressources et /ou techniques et/ou savoirs. « Idée de
greffe des savoirs, des techniques, de ressources, des pratiques »

Il y a du développement du seul fait qu’il y a des acteurs et des institutions qui se donnent le
développement comme objet ou comme but et y consacre du temps, de l’argent et de la
compétence professionnelle. C’est la présence d’une « configuration développementiste » qui
définit l’existence même du développement. On appelle « configuration développementiste »
cet univers largement cosmopolite d’experts, de bureaucrates, de responsables d’ONG, de
chercheurs, de techniciens, de chefs de projets, d’agents de terrain, qui vivent en quelque sorte
du développement des autres, et mobilisent ou gèrent à cet effet des ressources matérielles et
symboliques considérables.

Selon le sociologue HAUBERT, M., « Sociologie du développement : quelle sociologie et de


quel développement », in Etat des savoirs sur le développement, Paris, IEDES (Institut
d’étude du développement économique et social de l’Université de Paris I), 1993, pp. 178-
190).

Maxime HAUBERT définit le développement « comme le passage d’un type de société à un


autre, passage associé à une triple révolution économique, politique et culturelle et à une plus
grande maîtrise sur les orientations de la société. La sociologie du développement a ainsi pour
objet propre l’étude des processus, dynamismes, actions et mouvements sociaux à l’œuvre (ou
au cœur, centre) dans une telle mutation, sans que cet objet soit donc nécessairement
circonscrit aux pays du Tiers monde » (p. 182)

LES STRUCTURES QUI SONT AFFECTÉES PAR LE DÉVELOPPEMENT


Approche holistes et l’individualisme méthodologique pour analyser les structures. Les deux
approches se complètent au lieu de s’opposer. L’étude des structures qui renvoie à l’holisme
méthodologique analyse les faits au niveau macrosociologique en examinant les facteurs qui
sont au-dessus des individus, que les individus ne contrôlent pas, comme la coutume, les lois,
les traditions, le sous-développement. Les individus naissent et trouvent la culture ou la
16

coutume mais doivent s’y conformer. Quand ils meurent ils laissent la coutume qui continue.
Les structures comme la culture sont les caractéristiques de la société, d’un pays ou d’une
économie comme le sous-développement. Donnons un exemple : pendant la période
coloniale, les possibilités de faire des études universitaires étaient presque nulles parce que les
lois de la colonie ne permettaient la multiplication des universités. Aujourd’hui les Congolais
embrassent massivement les études universitaires parce qu’il y a des lois qui ont libéralisé les
universités et instituts supérieurs tant publics que privés. L’aspect macrosociologique du
phénomène des études universitaires en RD Congo est la libération de l’enseignement
universitaire et supérieur. Les structures offrent aux gens des possibilités. Les individus
peuvent exploiter différemment ces possibilités. Quand on parle du niveau microsociologique,
on se place au niveau des individus, des ménages ou des groupes.

Les structures conditionnent les actions individuelles. Il existe plusieurs types de structures. Il
est possible de distinguer cinq structures dans toute société : structures économiques,
structures démographiques, structures mentales, structures sociales, structures
institutionnelles.

Les structures économiques peuvent être envisagées du point de vue de la production

- les différents secteurs et leurs importances respectives ;

- les différentes catégories des produits (ex. biens de production, biens de


consommation, matières premières) ;

- la place plus ou moins importante occupée par les pouvoirs publics dans l’économie ;

- les différents types d’unités productives (entreprises), leurs dimensions et leurs formes
juridiques. Par forme juridique, on entend par exemple : sociétés individuelles,
sociétés anonymes, sociétés à responsabilités limitées, coopératives, etc.

Les structures démographiques sont de deux sortes. La première sorte est la composition de la
population par âge, par sexe et par région. La deuxième sorte est la répartition de la
population active et non active par secteur, industrie, région et qualification (y compris le
niveau d’études).

Les structures mentales désignent les jugements, les croyances, les valeurs, les coutumes et
les stéréotypes (logiques et schémas de pensée, de raisonnement, d’interprétation des choses),
les représentations mentales et sociales (conception du monde, connaissances, pratiques)
propres à un groupe social donné.
17

Les structures sociales indiquent comment la société est divisée en groupes sociaux ainsi que
les positions hiérarchiques de ces groupes sociaux : exemple les classes sociales, citadins et
ruraux, travailleurs et chômeurs, chrétiens, païens et musulmans, étudiants, commerçants,
agents de l’Etat, agents du secteur privé, syndiqués et les non syndiqués, lettrés et
analphabètes, dirigeants et dirigés, enseignants, etc.

Les structures institutionnelles sont l’ensemble des institutions politiques et judiciaires qui
permettent d’administrer une collectivité (une cellule, un secteur, un district, une province, un
pays, une sous-région, etc.) : administration publique, ministères, Parlement, Sénat, cours et
tribunaux, police nationale, armée nationale, Constitution, etc.

Revenons aux définitions du développement et de la sociologie du développement données


par Maxime HAUBERT (1993,) pour monter que ces différentes structures doivent connaitre
des changements pour que le développement ait lieu. « Le développement est le passage d’un
type de société à un autre, passage associé à une triple révolution économique, politique,
sociale, culturelle, mentale, et à une grande maitrise du destin de la société par ses membres.
La sociologie du développement a pour objet l’étude des processus (mécanismes),
dynamiques (forces ou facteurs), actions et mouvement sociaux à l’œuvre dans cette mutation.
Cela veut dire que le sociologue du développement doit assister, encadrer, accompagner,
planifier, voire piloter les changements profonds ou la mutation des structures économiques
(révolution économique), structures politiques (révolution politique), structures sociales
(révolution sociale), structures institutionnelles (révolution politique), structures culturelles et
mentales (révolution culturelle). On voit ici que la tâche du sociologue du développement
n’est pas aisée.

2.2. THEORIES DES CERCLES VICIEUX ET DES GOULOTS


D’ETRENGLEDU DEVELOPPEMENT
2.2.1. THEORIE DU CERCLE VICIEUX DE LA PAUVRETE
Pour dégager et proposer des mesures et stratégies pour promouvoir et accélérer le processus
de développement, les sociologues et anthropologues spécialistes du développement
recherchent d’abord une explication générale du développement et du sous-développement
comme point de départ. De nombreux auteurs ont cherché à expliquer pourquoi les structures
entraînent les processus de reproduction (perpétuation) de la pauvreté et du blocage du
18

développement. C’est dans ce cadre que la théorie du cercle vicieux de la pauvreté a été
conçue et développée par R. NURKSE en 19531, puis reprise par GALBRAITH.

La théorie du cercle vicieux de la pauvreté repose sur les propositions (affirmations)


suivantes :
1. Une production basse entraîne un revenu bas.
2. Lorsque le revenu est bas, les capacités d’épargne sont négligeables.
3. Lorsque l’éparge est négligeable, l’accumulation du capital est impossible.
4. Lorsque l’investissement est négligeable, la productivité est condamnée à la
stagnation. Nous revenons ici à la case de départ.
Cette boucle logique ou cercle vicieux, exemple paradigmatique du processus reproductif
(répétitive), a été traduite en termes mathématiques par SAMUELSON :
- Le revenu est une fonction (dépendante) de l’investissement
- L’investissement une fonction (dépend) de l’épargne
- L’épargne est une fonction (dépend) du revenu.

2.2.2. THÉORIES DES BLOCAGES ET DE GOULOTS D’ÉTRANGLEMENT

Les théoriciens du sous-développement perçoivent et traitent les processus reproductifs


(continuels) de la pauvreté comme des blocages ou goulots d’étranglement (bottlenecks) qu’il
importe d’analyser et de réduire.
1° L’étroitesse des marchés
La seconde théorie des goulots d’étranglement fait de l’étroitesse des marchés le principal
facteur de stagnation. L’incitation à épargner et à investir suppose l’existence d’une demande
solvable. Un entrepreneur ne peut pas investir son épargne pour construire une usine de
fabrication d’outils agricoles s’il est prévisible que personne ne sera capable d’acheter ces
instruments. Exemple, constat par nous-mêmes du sous-développement accéléré : on ne
trouvait rien sur les marchés à cause du manque de pouvoir d’achat de la population.
2° Imitation
Une autre théorie des goulots d’étranglement insiste sur les mécanismes pervers (nuisibles,
mauvais, immoraux) engendrés par les effets de démonstration (demonstration effects en

1
NURKSE, R., Problems of capital formation in Underdevelopped countries, Oxford, Blackwel, 1953. Trad.
Franç. Les problèmes de la formation du capital dans les pays sous-développés, Paris, Institut pour le
Développement économique, 1963. R. Nurkse est le promoteur de l’analyse en termes de cercles vicieux de la
pauvreté et du sous-développement.
19

Anglais) : consommation somptuaire (dépenses de luxe) et ostentatoire (pour étaler sa


richesse). L’épargne est ainsi détournée de l’investissement productif pour être consommée en
imitant le trait et le mode de vie de l’Occiden.t
L’imitation est un concept sociologique fondamental ou capital qui peut favoriser ou bloquer
le développement.
a. L’imitation comme facteur du développement
Le sociologue français Gabriel TARDE (1843-1904) a beaucoup écrit sur l’imitation en tant
que facteur de la diffusion des innovations. Il a constaté au cours des années 1880 qu’il
existait au sein de la société de son époque une petite minorité d’entrepreneurs et
d’innovateurs économiques d’un côté et de l’autre côté une masse de suiveurs qui imitaient
simplement les activités qui se déroulaient autour d’eux. Exemples : les Nande se sont lancés
dans le commerce frauduleux en imitant les trafiquants Arabes, Indiens, libanais et
Pakistanais au cours des années 1960 jusqu’à créer des routes improvisées dans le parc pour
exporter du thé vers l’Ouganda et le Soudan en 1982 ; Les Shi se sont lancés dans les affaires
au début des années 1980 en imitant les Nande.
Gabriel TARDE conclut que l’imitation est le moyen fondamental de la transmission
culturelle des innovations économiques. Les innovations se rependent dans la société à travers
la chaîne d’imitation, rayonnant à travers les réseaux de diffusion. Théorie développée dans
son ouvrage intitulé The law of imitation publié en 1890.
b. L’imitation comme facteur du blocage du développement
Cependant l’imitation peut bloquer et étrangler le développement selon DUESENBERRY,
lorsqu’elle prend la forme d’effet de démonstration. Les élites politiques et économiques des
pays sous-développés prennent les élites des pays occidentaux comme des modèles à suivre
en ce qui concerne la consommation et les imitent aveuglement. C’est ce qu’on appelle l’effet
de démonstration caractérisé par des consommations somptuaires (dépenses de luxe) et
ostentatoires (pour étaler sa richesse). L’épargne est ainsi détournée de l’investissement
productif pour être consommée en imitant le trait de vie et le mode de vie des Occidentaux
qu’on voit à la télévision et dans les réseaux sociaux. Il y a ensuite la fuite des capitaux au
profit des investissements en Occident.
3° L’absence du capital social

Une autre théorie fait de l’absence du capital social (overhead capital) le principal facteur de
blocage : manque de moyens de transport et de communication, conflits et guerres ethniques,
groupes armés, les marchés deviennent étroits à cause de l’enclavement ou de la coupure des
20

axes routiers d’approvisionnement, comme c’est lecas du Nord-Kivu à cause de la guerre du


M23 depuis juillet 1921. En conséquence les surplus de revenu ne peuvent pas être drainés
vers l’épargne et l’investissement.
4° Le cercle vicieux démographique

Une cinquième théorie est celle du cercle vicieux démographique de type néo-malthusien.
L’augmentation du revenu et l’amélioration des conditions sanitaires (vaccination, hygiène,
alimentation, accès aux soins de santé) provoquerait une augmentation de la population et des
tailles de ménages qui absorberait les « surplus ». On ne peut pas épargner ou investir.
Le chômage des jeunes (plus de 60 % de la population) et leur exclusion social les poussent à
s’enrôler dans les groupes armés.

THEORIE EXPLICATIVE DE LA DELINQUANCE PAR LA


MARGINALISATION ET LA DETERMINATION DES MARGINAUX DE SE
CONSTITUER COMME ACTEURS SOCIAUX
Luc Van CAPENHOUDT nous présente un modèle d’analyse sociologique de la
délinquance2. Ce modèle a été tiré d’une recherche réalisée sur ce thème par une équipe
pluridisciplinaire composée d’animateurs en milieu populaire et de chercheurs universitaires3.
Le modèle d’analyse proposé s’inspire de la perspective générale de la sociologie de l’action
telle que conçue par Alain Touraine4. Il repose sur deux concepts complémentaires, celui de
rapport social et celui d’acteur social.
La délinquance y est considérée comme le fait d’une exclusion sociale, conçue comme une
décomposition des rapports sociaux d’une part, et comme un processus de réponse à cette
exclusion d’autre part. Se sentant exclu, le délinquant entretiendra son exclusion et sa
délinquance parce que c’est à travers celle-ci qu’il essaie de se reconstituer comme acteur
social.
A travers ce processus, le délinquant tente de reconstituer avec d’autres un univers social dans
lequel il soit admis, reconnu, accepté, et dans lequel il puisse avoir une image gratifiante de
lui-même, parce qu’il y joue un rôle. Dans l’univers de la bande, les actes déviants qu’il pose

2
QUIVY Raymond et Luc Van CAMENHOUDT, Manuel de recherche en Sciences Sociales, 3 édition, Paris,
DUNOD, 2006, pp. 110-113.
3
VAN CAMPENHOUDT, L., « La délinquance comme processus d’adaptation à une décomposition des
rapports sociaux : repères sociologiques », in VAN CAMPENOUDT, L. et al., Animation en milieu populaire ?
Vers une approche pluridisciplinaire de la marginalité, Bruxelles, Fédération des Maisons de Jeunes en Milieu
Populaire, 1981, pp. 26-33.
4
TOURAINE Alain, Production de la société, Paris, Le Seuil, 1973.
21

et le rôle qu’il joue lui confèrent en effet une identité, le reconstituent en tant qu’acteur social
actif, valorisé, pouvant s’exprimer et de faire entendre.
Dans cette problématique, il ne s’agit pas d’expliquer la délinquante par les caractéristiques
personnelles (psychologiques, familiales, socio-économiques) de l’individu, ni par le
fonctionnement de la société globale (qui produirait les délinquants comme autant de victimes
passives d’un système dont ils seraient finalement extérieurs), mais de tenter de mieux
comprendre ce phénomène par la manière dont ils sont structurés (ou déstructurés) les
rapports sociaux dont les jeunes délinquants sont partie prenantes et au travers desquels ils se
constituent comme acteurs sociaux.
Cette problématique suggère dans un premier temps, deux hypothèses :
1. Les jeunes délinquants sont des acteurs sociaux dont les rapports sociaux sont
fortement décomposés. La violence et le rejet des normes de la société sont leur
réponse à cette décomposition ou à cette exclusion sociale dont ils sont l’objet.
2. La délinquance recèle un processus d’adaptation à cette décomposition ; elle constitue
une tentative « hors normes » ou déviante de se restructurer comme acteur social.
Ces hypothèses mettent essentiellement en relation deux groupes de concepts principaux :
d’un côté ceux de rapport social et d’acteur social, de l’autre celui de délinquance en tant que
« condition » (d’exclu) et en tant que processus de restructuration. Voici comment l’acteur
social et le modèle qui en découle ont construits.
L’acteur social est défini par la nature du rapport social dans lequel il est engagé. Cet acteur
peut être individuel ou collectif. Par exemple, dans l’entreprise, la direction et le personnel
constituent chacun un acteur social qui vit l’expérience d’un rapport social avec l’autre. Il en
va de même pour l’enseignant et ses élèves ou pour les autorités publiques et leurs
administrés.
Dans tous les cas, un rapport social se présente comme une coopération conflictuelle d’acteurs
qui coopèrent à une production (comprise dans son sens le plus large, par exemple de biens
ou de services, d’une formation générale ou professionnelle, de l’organisation de la vie
collective…) mais qui entrent inévitablement ainsi en raison de leurs positions inégales dans
la coopération ou, ce qui revient au même, de leur emprise inégale sur les enjeux de leur
coopération (la définition des objectifs ou la rétribution des prestations par exemple).
La première hypothèse suggère entre les comportements caractéristiques de la délinquance et
une faible structuration des rapports sociaux des individus concernés ; la seconde suppose que
la restructuration du rapport social se fait à travers les actes de violence propres à la
délinquance.
22

APPLICATION DE LA THEORIE AU NORD-KIVU : TENTATIVES VAINES


DE L’INTEGRATION DES GROUPES ARMES DANS LES FARDC5

Les efforts déployés par les autorités congolaises tant civiles que militaires en vue de la
réintégration des groupes armés opérationnels au Nord-Kivu sont restés vains car les
combattants ont peur de perdre les avantages acquis sur les régions qu’ils contrôlent : taxes
sur l’accès aux champs des paysans, taxes mensuelles sur chaque famille, taxes sur
l’exploitation artisanale des minerais ainsi que sur les récoltes, etc. A toutes ces taxes s’ajoute
le fait que les groupes armés sont craints et sollicités pour les sales besognes.
Depuis l’éclatement de rébellion du M23, l’Alliance des Patriotes pour un Congo Libre et
Souverain (APCLS) a reçu le soutien et la collaboration de l’ethnie Hunde sous forme
d’uniformes militaires et des munitions. Après l’APCLS coopérait avec le FDC qui était loyal
au Gouvernement congolais. Elle était dirigée par le Lt Col.BWIRA qui appartient à l’ethnie
Hunde.
Vers la fin du mois de juillet 2012, les FARDC ont déployé des efforts pour l’intégration des
groupes armés. Le 21 août 2012 les représentants civils et militaires du Gouvernement ont
rendu visite au Commandant de l’APCLS, le Général Janvier BUINGO, dans son quartier
général de Lukwete. Depuis lors plusieurs autres réunions avec les groupes armés hunde n’ont
rien donné comme résultat.
Dans le cadre de la lutte contre le M23, le Gouvernement a fourni des efforts pour intégrer les
milices Hutu du Sud du Territoire de Masisi et du nord du Territoire de Kalehe, connues sous
le nom de Nyatura. La plupart des commandants Nyatura sont des anciens officiers des Forces
Armées Congolaises qui avaient déserté en 2010 et 2011 à cause de leur marginalisation au
sein de l’ex-CNDP.
Durant les attaques déclenchées à la fin du mois d’août et au début du mois de septembre
2012 par Raïa Mutomboki, les unités des FARDC dans le Territoire de Masisi ont combattu
aux côtés de Nyatura. En juillet 2012, le Général AMISI, commandant des Forces Terrestres
des FARDC, a envoyé aux combattant Nyatura un camion contenant 300 fusils AK-47.
Plusieurs officiers des FARDC dont le Lt Col. NKUNDUWERA ont remis ces armes et
munitions aux combattant Nyatura au nom du Général Amisi.

5
UN SECURITY COUNCIL, Letter dated 12 November 2012 from the Chair of the Security Council Committee
established pursuant to the resolution 1533 (2004) concerning the Democratic Republic of the Congo addressed
to the President of the Security Council, New York, United Nations, 15 November 2012, pp. 32-33
23

Ce dernier en outre organisé plusieurs réunions avec les représentants de Nyatura en


septembre 2012 en vue de l’intégration de ses combattants dans les FARDC. Le commandant
de Nyatura, HABARUGIRA, a répondu que ses combattants devaient d’abord protéger la
communauté Hutu contre les attaques de Raïa Mutomboki.
Les FARDC ont commencé à regrouper les Nyatura à Mushaki en octobre 2012. Mais
l’intégration des Nyatura rencontre beaucoup de défis. Les commandants Nyatura ont peur de
perdre le contrôle sur les revenus générés par les taxes et l’exploitation artisanale des
minerais. De plus, les combattants craignent d’être exclus ou marginalisé dans le processus
d’intégration parce qu’ils n’ont pas d’expérience et de formation. Enfin, les déserteurs des
FDLR vivant au sein de la communauté des Hutu congolais pourraient s’infiltrer dans le
processus d’intégration pour rester définitivement en République Démocratique du Congo.

5° La mauvaise gouvernance
La sixième théorie est celle de la relation réciproque entre modernisation et changement
politique. La séquence modernisaton-mobilisation-participation y tient une place essentielle.
Mais là où le développement politique s’était attendu à une différenciation sociale, une
mobilisation et une participation politique croissantes, on a souvent observé un processus de
dédifférenciation (inégalités sociales) (EISENSTADT), de démobilisation et une floraison des
régimes autoritaires, dictatoriaux, corruption, détournements.

6° Les types de civilisation et les mentalités6


Enfin, pour certains théoriciens du développement, celui-ci passe par une modification des
attitudes et des valeurs des individus. Certains systèmes de valeurs sont plus propices au
développement qu’autres.
Les problèmes de développement qui se posent aujourd'hui dans de larges parties du monde,
ne sont pas seulement d'ordre économique.
A supposer que cela fût aisé, il ne suffirait pas de réunir les investissements nécessaires et
d'introduire de nouveaux complexes technologiques pour avoir du même coup résolu ces
problèmes. Il resterait, selon l'expression d'un économiste britannique, S. H. Frankel, « à
assurer la croissance de nouvelles aptitudes, de nouvelles manières de faire, de vivre et de
penser ».

6
Georges BALANDIER, « Les conditions sociologiques du développement », In: Politique étrangère N°3 -
1957 - 22e année pp. 301-310.
24

Il convient de souligner le fait qu'un économiste ait été aussi soucieux de mettre en évidence
l'importance du contexte social, culturel et psychologique dans lequel s'inscrit chacun des
problèmes qu'il examine. Il montre qu'il importe de transformer le contexte humain pour
donner aux politiques de développement toutes leurs chances de succès.
Le problème du développement économique n'est économique que pour une part et peut-être
même (au moins dans certains cas), une faible part.

Le contexte des civilisations (contexte culturel et psychologique) et du contexte social


peuvent avoir un rôle positif ou, au contraire, un rôle de frein. Le progrès économique ne se
produit que si l'atmosphère est favorable, si la population est éprise de progrès et si les
institutions sociales, économiques, juridiques et politiques sont favorables au progrès.
On a remarqué dans les années 1950 que les travailleurs africains ou asiatiques ne s'emploient
souvent dans ce secteur du travail salarié que pour satisfaire des besoins limités : pour acheter
certains biens importés, pour épargner en vue d'une dot (s'il s'agit de l'Afrique), pour satisfaire
aux dépenses qu'imposent les cérémonies traditionnelles et les fêtes obligatoires ou
ostentatoires. C’est la philosophie et l’objectif de vie de « vivre au présent » que l’on observe
chez les creuseurs artisanaux d’or de l’Ituri et de Walikale » depuis les années 1970 :
dépenses somptueuses (de luxe) et ostentatoires (étaler la richesse) quand l’on a amassé de
l’or, c’est ça vivre le présent. Vivre dans la pauvreté et la grande misère dès qu’on a tout
dépensé, c’est aussi vivre le présent qui n’est condamné ni regretté par personne. C’est pour
les creuseurs d’or le cycle normal de la vie.

A l'intérieur de plusieurs contextes culturels, les stimulations à travailler davantage ou mieux


que d'autres n'interviennent pas. C'est ainsi qu'il se trouve des sociétés autochtones
d'Amérique centrale ou du Sud, dans lesquelles l'idée de compétition n'existe pas ou est
condamnée. Il y est inconvenant de réussir mieux que tel ou tel autre partenaire. Il est difficile
dans ce cas de susciter une émulation en matière de rendement du travail. Dans les sociétés à
tendances égalitaires, comme celle des Indiens de Bolivie, le stimulant du gain personnel
n'intervient encore guère. Il est interdit à tout individu de réunir des revenus à son seul et
exclusif usage. Devant une telle situation, les Indiens les moins conformistes, ceux qui étaient
le plus soucieux de leurs avantages personnels ont été contraints de quitter le pays pour
s'employer au dehors. Ce n'est qu'en prenant une large distance vis-à-vis du milieu
traditionnel qu'ils avaient la possibilité de travailler et d'épargner pour eux seuls. C’est ce qui
25

s’est passé chez les Nande du Nord-Kivu au cours des années 1950-1960, période de la
preuve de feu des commerçants Nande.

2.2.3. SOLUTIONS PROPOSEES PAR LES SOCIOLOGUES ET


ANTHROPOLOGUES SPECIALISTES DES THEORIES DES CERCLES VICIEUX
ET DES GOULOTS D’ETRANGLEMENT

L’identification des goulots d’étranglement permet d’expliquer le fait que les sociétés sous-
développées sont des sociétés bloquées. En même temps elle indique les leviers permettant
de placer les pays sous-développés sur la trajectoire d’une évolution considérée comme
naturelle :
- Aide aux gouvernements en vue de faciliter la formation du capital social (moyens de
transport et de communication)
- Développement des investissements
- Application de la théorie du décollage de W.W. ROSTOW (Les étapes de la
croissance économique, Paris, Seuil, 1962 (1961 pour la première édition en Anglais),
1970) qui prose une évolution en cinq étapes : tradition, transition, take off
(décollage), maturité, société de consommation calquées sur l’histoire économique de
l’Angleterre depuis le XVIIIe s.
Nurkse (1953) est le promoteur de l’analyse en termes de cercles vicieux de la pauvreté et du
sous-développement.
- La faiblesse de l’épargne empêche le développement endogène en l’absence d’aide
extérieure.
- Nécessité du financement extérieur au stade préalable du take-off de Rostow.
Critiques du modèle de pénurie d’épargne
- Refus de l’hypothèse d’épargne préalable à l’investissement
- Capacité d’épargne pas utilisé pour l’investissement dans les pays en voie de
développement : fuite des capitaux
- Pas de vérification empirique
Enrichissement par Chenery : modèle double déficit
- Contrainte d’épargne intérieure dans le premier stade
- Contrainte extérieure (de devises) domine ensuite
26

Préconisation de NURKSE pour rompre la dynamique : Recours aux capitaux étrangers qui va
autoriser un accroissement du stock du capital, de la productivité, des revenus et par la suite
de la demande.
Critiques acerbes à l’analyse de Nurkse
- Critique de l’incapacité d’épargne : elle n’est pas utiliser pour l’investissement dans
les pays en voie de développement : fuite des capitaux et effets de démonstration
- Absence de la prise en compte de l’environnement international : exploitation par
l’Occident
- Absence d’explications de l’origine de ces cercles « magiques ».
L’explication par les cercles vicieux présente plusieurs intérêts
- Comme le dualisme elle renvoie à des spécificités structurelles du sous-
développement
- L’avantage par rapport au schéma de Lewis est d’expliquer le perpétuation du sous-
développement et de la pauvreté. Il s’agit d’une analyse dynamique qui montre
comment un mécanisme de trappe peut fonctionner dans le temps
- L’enchainement des différents cercles vicieux montre bien les caractéristiques
multidimensionnelles du phénomène : les facteurs d’ordre financier et économique
s’articulent avec les mécanismes sociaux et culturels.
27

Limites de la théorie des cercles vicieux


Cette théorie n’accorde pas de place à l’environnement international : on a l’impression d’un
phénomène fonctionnant en circuit fermé. Elle n’aborde pas les racines historiques des cercles
vicieux, ni les raisons de leur perpétuation.
Théorie du piège de la misère ou syndrome de la pauvreté
Pour illustrer le cercle vicieux de la pauvreté, CHAMBERS, R. donne un schéma qu’il a
intitulé « schéma du piège de la misère » ou « syndrome de la pauvreté ».

Figure 1: Schéma du piège de la misère

Impuissance

Isolement Vulnérabilité

Pauvreté

Faiblesse physique

CHAMBERS, R., Développement rural : Pauvreté cachée, Karthala et CTA, Paris, 1990, p.
187
En reliant les cinq catégories, on obtient vingt relations causales possibles qui, dans leurs
formes négatives, s’imbriquent pour tisser un piège qui enferme les pauvres dans leur misère.
La pauvreté détermine en grande partie toutes les autres catégories : elle contribue à la
faiblesse physique par le manque de nourriture, la petitesse de la stature, la dénutrition qui
réduit les défenses organiques contre les infections, incapacité de payer les frais d’écolage,
acheter une radio ou une bicyclette, se déplacer pour chercher du travail, habiter près du
centre du village ou d’un grand axe. Elle provoque la vulnérabilité par le manque de moyens
pour faire face aux grosses dépenses ou aux imprévus et l’impuissance car les pauvres sont
28

situés au bas de l’échelle sociale et n’ont pas de voix au chapitre (CHAMBERS, R. 1990 :
188).

2.3. THEORIE DE LA MODERNISATION


2.3.1. LES IDÉES DÉFENDUES PAR LA THÉORIE DE LA MODERNISATION
La modernisation est le processus de devenir moderne ou le développement de la modernité.
Le terme peut être appliqué aux idées des toutes les théories qui se préoccupent de ce
processus. Dans son sens strict ou restreint, la théorie de la modernisation désigne les théories
qui furent forgées, développées et popularisées au début des années 1960 par un groupe de
sociologues spécialistes de développement des Etats-Unis. Ces spécialistes nord-américains
du développement ont déployé des grands efforts pour développer et proposer une alternative
aux théories marxistes de développement et la dépendance, pour contrer l’idéologie marxiste
dans le cadre de la Guerre Froide. Ils proposaient aux pays en voie de développement la
modernité et le progrès à la place de la colonisation et de la civilisation. Parmi ces spécialistes
se trouvent Clark KERR et al. (Industrialism and Industrial Man, 1960.)
Un autre grand théoricien de la théorie de la modernisation est le sociologue américain
comparatiste Alex INKELES. Celui-ci est mieux connu et est devenu célèbre pour ses
nombreuses études sur les aspects des attitudes associées ou inhérentes à la modernisation. Il
utilisait surtout et principalement des données d’enquête et des tests psychologiques pour
explorer et chercher dans la société américaine « le processus par lequel les individus cessent
d’être traditionnalistes pour devenir des personnalités modernes, processus par lequel les
individus passent de la tradition à la modernité (Voir INKELES A., « Industrial Man », in
The American Journal of Sociology, 1960 et un livre collectif Becoming Modern, 1974). La
modernisation est considérée comme LA voie universelle des pays sous-développés pour
rattraper les pays du Nord.
La théorie de la modernisation soutient que les Nations à bas revenus peuvent se développer
économiquement si elles abandonnent leurs traditions, leurs cultures traditionnelles, leur
mode de vie traditionnel et adoptent les institutions économiques, les technologies, les
attitudes et les valeurs culturelles des Américains qui renforcent l’épargne et l’investissement
productif. La modernisation est considérée comme LA voie universelle des pays du Sud pour
rattraper les pays du Nord. Le développement est présenté comme étant la transition d’une
société traditionnelle vers une société moderne.
29

Le développement y est vu comme un processus universel caractérisé par une série d’étapes
par lesquelles doivent nécessairement passer toutes les nations. Le développement est avant
tout un processus de rattrapage au cours d’une dizaine d’années.
Selon W.W. ROSTOW7, les valeurs et les institutions sociales traditionnelles des pays sous-
développés entravent, bloquent leur efficacité économique, c’est-à-dire leur développement.
Les cultures des sociétés des pays en voie de développement sont donc considérées comme
des grands obstacles, des freins et des blocages du développement. Signalons cependant que
les Japonais et les Chinois, qui se sont développés rapidement sans renoncer à leurs valeurs
sociales traditionnelles, constituent un contre-exemple.
Selon ROSTOW, y a 5 étapes de la modernisation économique :
1) La société traditionnelle : technologies primitives, une économie limitée à
l’agriculture, pouvoir politique dominé par les propriétaires terriens, peu de mobilité sociale,
grand fatalisme et une résistance au changement.
2) Les préconditions au décollage (comme en Grande Bretagne à la fin du 17ème) ou étape
de transition qui prépare le décollage : développement des sciences modernes et du
commerce, développement d’une minorité tournée vers le progrès, innovations
technologiques, changement des valeurs (recherche du profits et du bien-être individuel),
expansion des marchés mondiaux, et. Mais il y a encore la persistance de la société
traditionnelle.
3) Le décollage : fin des résistances traditionnelles, croissance continue et auto-entretenue,
augmentation de l’investissement et accélération du progrès technologique. En 10 ou 20 ans :
transformation de la société.
4) Le chemin vers la maturité : progrès économique, accélération du développement,
augmentation de la productivité et des revenus.
5) Age de la consommation de masse : la population accèdent à la consommation, le
moteur de l’économie est les biens de consommation durable et les services, il y a bien-être
social.
2.3.2. ECHECS CUISANTS DE L’APPLICATION DE LA THÉORIE DE LA
MODERNISATION
On assiste dans les pays du Tiers monde au développement du sous-développement depuis les
années 1970. Les pays pauvres deviennent très lourdement endettés et deviennent même
incapables de rembourser leurs dettes. Ils tombent même en faillite. Ce fut par exemple du

7
ROSTOW W.W., The Stages of Economic Growth, Cambridge, Cambridge University Press, 1961. Il fut le
conseiller du Président Kennedy en matière d’aide au développement.
30

Mexique s’est déclaré incapable de payer ses dettes en 1982. Il a même arrêté de payer en
disant à ses créanciers capitalistes occidentaux de faire ce qu’ils voulaient de lui. Il s’en est
remis aux institutions internationales qui qui devaient chercher une manière d’alléger la dette
et de trouver des alternatives (solutions). Comme on le voit, les pays pauvres sont très loin du
rattrapage des pays développés en une ou deux décennies.
2.3.3. SOLUTIONS PALLIATIVES DE L’ECHEC CUISANT DE LA THEORIE DE
LA MODERNISATION
a. Plans d’Ajustement Structurel
Le Fonds Monétaire International (FMI) accorde des nouveaux prêts aux pays pauvres qui
sont en faillite et incapables de rembourser mais sous des conditions très strictes : ces pays
doivent respecter scrupuleusement les Plans d’Ajustement Structurel (PAS). Les Plans
d’Ajustement Structurel permettent au FMI d’intervenir et contrôler toute l’économie du pays
emprunteur aux dépens de ses populations et les dirigeants doivent se soumettre à sa politique.
Il y a donc perte de l’autonomie des pays en voie développement sur leurs priorités de
développement. Les politiques économiques leur sont imposées par le FMI au profit du
remboursement des dettes contractées chez les capitalistes occidentaux. Il y a donc une
réduction du rôle de l’Etat et de ses dirigeants. Tout est imposé de l’extérieur par le FMI.
Les Plans d’Ajustement Structurel comportent les points suivants :
 On met l’accent sur l’importance de l’économie, basée sur la libéralisation des
échanges et le mouvement des capitaux.
 Privatisation des entreprises.
 augmentation des impôts, …
 une discipline budgétaire : contrôle des salaires
 On limite les dépenses publiques (enseignement, soins de santé, bien-être, fonction
publique…).
 On s ne se soucie pas du développement humain (bien-être social, licenciements,
réduction des salaires, réduction des dépenses publiques, …

2.3.4. CRITIQUES DES PLANS OU POLITIQUES D’AJUSTEMENT STRUCTUREL


Les Politiques d’Ajustement Structurel sont tournées vers le remboursement des dettes
accordées par les pays développés. Le PNUD a montré que, dans les années 1980, les taux
d’intérêt imposés aux pays sous-développés sont 4 fois plus élevés que les taux d’intérêt dans
les pays riches. C’est pourquoi les pays africains sont sont lourdement endettés. En 2021 la
31

dette du Soudan s’élevait à 60 milliards de dollars. En octobre 2018, la dette du Zimbabwe


était de 26 milliards de dollars américains (les tentatives de remboursement ont entrainé
l’augmentation des impôts, la pénurie des vivres, des médicaments et des billets de banques,
le mécontentement et les généralisés de la population). Le Kenya avait une dette de 9
milliards de dollars américains (augmentation des taxes sur le carburant (16 %), sur le
transfert des fonds par les réseaux sociaux, mécontentement généralisé et manifestation de la
population).
L’UNICEF a été la 1ère organisation à montrer les conséquences sociales néfaste des
PAS : manque de moyens dans la santé et l’éducation. Les femmes sont fortement touchées
par les PAS (UNICEF):
 Réduction du budget des soins de santé : conséquences sur femmes et les enfants.
 La diminution des budgets de l’éducation qui a surtout une conséquence néfaste sur
l’éducation des filles ; développement d’une économie informelle où au départ il y
aura plus de femmes (voire la navette entre Goma et Bukavu).
b. Autres mesures
- En 1988 : G7 décide d’accorder des réductions de dette aux pays les plus pauvres. C’est
pour la première fois, mais il ne s’agit pas de l’annulation des dettes.
- A partir de 1996, on définit les pays les plus pauvres et très endettés (PPTE) pour lesquels
des programmes de réduction de la dette sont mis en place.
- 1999 : on développe les PRSP, Programmes de Réduction stratégique de la Pauvreté :
On demande aux les pays les plus pauvres et très endettés (PPTE) de faire ces programmes.
L’idée ici, est de définir un programme contre la pauvreté avec la participation locale.
L’objectif du PRSP : assurer que l’allègement de la dette octroyée aux pays bénéficiaires de
l’initiative en faveur des pays les plus pauvres et très endettés (PPTE) soit utilisé au profit de
la lutte contre la pauvreté.
A partir de la participation populaire, chaque pays doit réaliser un document (DRSP) avec :
 La situation socio-économique de leur pays
 Les objectifs pour la baisse de la pauvreté
 Le document doit être le fruit d’un processus participatif
- Formulation par les Nations Unies des objectifs pour le développement :
La déclaration du millénaire en 1999 : 8 objectifs du Millénaire pour le Développement
(OMD) pour la période allant de 2000 à 2015 ont connu un échec. 25 Septembre 2015 :
Formulation par l’Assemblée Générale des Nations Unies des 17 Objectifs du Développement
32

Durable (ODD) pour la période allant 2015 à 2035. A l’allure où vont les choses, les ODD
risquent de connaître le même sort que celui des OMD.
2.4. THEORIE DES PROJETS DE DEVELOPPEMENT SOCIALEMENT ET
CULTURELLEMENT APPROPRIES
La théorie des projets socialement et culturellement appropriés est en opposition frontale et
fondamentale avec la théorie de la modernisation. Les projets culturellement et socialement
appropriés sont des projets qui ancrés, encastrés ou accrochés dans les cultures et
l’organisation sociale traditionnelles des bénéficiaires contrairement à ce que préconise la
théorie de la modernisation.
2.4.1. NECESSITE IMPERIEUSE D’UTILISER LA CULTURE ET
L’ORGANISATION SOCIALE TRADITIONNELLES DANS LA CONCEPTION ET
L’EXECUTION DES PROJETS DE DEVELOPPEMENT
La théorie des projets socialement et culturellement appropriés est en opposition frontale et
fondamentale avec la théorie de la modernisation. Les projets culturellement et socialement
appropriés sont des projets qui ancrés, encastrés ou accrochés dans les cultures et
l’organisation sociale traditionnelles des bénéficiaires contrairement à ce que préconise la
théorie de la modernisation. L’impérieuse nécessité d’identifier et d’exploiter l’organisation
sociale et la culture traditionnelles dans la conception et la mise en œuvre des projets de
développement est soutenue par des conclusions des travaux des anthropologues et
sociologues portant sur des centaines de projets financés par la Banque mondiale, l’USAID et
l’Agence Canadienne de Développement Internationnal. Ces conclusions ont été synthétisées
par Michael M. CERNEA et Conrad en 19988.
« Ignorer le contexte social et culturel des projets conduit au mieux à une conception
inappropriée, au pire à l’hostilité des personnes concernées et aboutit généralement à des
projets qui s’avèrent en fin de compte inefficaces, rejetés tant par les bénéficiaires supposés
que par les organismes publics qui y ont investi » (CERNEA M.M., 1998 : 451). Conrad
Phillip KOTTAK illustre et étaye cette observation par un exemple très frappant :
Un projet africain d’élevage bovin a placé une confiance excessive dans l’autorité (abstraite)
de la loi, notamment parce que l’organisation locale n’était consciente des réalités sociales et
que la Banque (mondiale) n’accordait pas, à la fin des années 60 et au début des années 70,
qu’une attention limitée aux droits coutumiers et à l’occupation des sols. L’emprunteur a
invoqué le fait que l’Etat était propriétaire des terres situées dans la zone du projet, ce qui était

8
CERNEA, M.M. (ed.), La dimension humaine dans les projets de développement. Les variables sociologiques
et culturelles, Paris, Karthala, 1998.
33

vrai dans la mesure où l’Etat disposait des titres de propriété modernes et légaux de certaines
terres. Mais dans la zone du projet se trouvaient également des terres communales sur
lesquelles les droits de pâturage traditionnels étaient en vigueur, bien que n’étant pas
enregistrés légalement. Ce fait n’a pas été pris en compte lors de la planification. Lorsqu’un
millier d’habitants, que la mission d’évaluation prospective n’avait pas remarqués, a
commencé à détruire les clôtures, à brûler les pâturages et à voler le bétail (à l’instar de leurs
ancêtres qui vivaient en marge des lois et de l’ordre établis au niveau national), un ministre du
gouvernement a averti la Banque que les villageois allaient devoir quitter la zone du projet.
Les habitants ont toutefois continué les actions de guérilla contre les ranches de type
australien qui avaient été implantés sur leurs terres ancestrales. Les problèmes ne se sont
estompés qu’après le remplacement des gestionnaires étrangers par des nationaux, lesquels
ont utilisé les pactes traditionnels (fraternité de sang) entre les villages pour mettre fin aux
hostilités.
Les projets d’élevage de la Banque mondiale qui ont été confrontés à de sérieux problèmes en
raison d’une conception sociale lacunaire ont un ou deux points communs : ils ont placé des
entreprises semi—publiques au-dessus des unités d’élevage traditionnelles et, dans la région
où le pâturage communautaire était pratiqué, ils ont tenté de modifier le système de pâturage
sans opérer de changements correspondants dans l’organisation sociale des communautés
pastorales. Ces projets, dirigés tant par la Banque que par les autres organismes de
développement, ont enregistré un taux d’échec élevé.
2.4.2. L’INTEGRATION DES CULTURES ET ORGANISATIONS SOCIALES
TRADITIONNELLES DANS LES PROJETS DE DEVELOPPEMENT
Les études antérieures de la Banque attirent l’attention sur la variété de formes
d’organisation (généralement informelles) créées par les communautés paysannes pour la
production, l’épargne et le crédit. Ces études (se faisant l’écho du principe de Romer)
prétendent à juste titre qu’il convient d’exploiter les structures traditionnelles comme
ressources pour le développement, plutôt que de les considérer comme des contraintes.
« Une politique saine de modernisation doit tirer profit au maximum de toutes les ressources
disponibles, y compris des organisations sociales existantes, lorsqu’elles entrent dans le cadre
des activités de développement. Par ailleurs, le besoin de consolider, modifier et de
développer ces organisations ne doit être ignoré (Michael M. CERNEA, « Modernization and
Development Potential of Traditional Grasseroots Peasant Organizations », in Mustafa O.
Attir, Burkart Holzner et Zdenek Suda (éd.), Directions of Change : Modernziation Theory,
Research, and Realities, Westview, Boulder, Colorado, 1982. Cernea a également constaté
34

que les projets n’accordent généralement qu’un rôle secondaire aux organisations
traditionnelles dans le cadre de l’effort global qu’ils requièrent).
Ainsi, l’étude que Cernea a réalisée en 1982 au départ d’une enquête sur 164 rapports
d’évaluation prospective révèle que 40 % d’entre eux tentent « de manière intuitive »
d’intégrer les organisations paysannes en matière de production comme unités de mise en
œuvre. Ces rapports indiquent plus spécifiquement que, pendant leur exécution, les projets ont
soit tenu compte des modèles traditionnels de de coopérative économique, soit essayé
d’encourager l’entraide communautaire ou tenté d’instaurer des groupes d’agriculteurs dans le
domaine de la production ou de la commercialisation.
L’étude de Cernea a porté sur les rapports d’évaluation prospective (la conception au début du
projet). Cependant, les études ultérieures concernant les résultats acquis au terme des projets
montrent que les organisations sociales existantes ont été systématiquement intégrées aux
programmes de développement dans une mesure moins importante que prévue.
►intégrer les communautés locales dans les programmes de santé (Ebola et Covid) se limite à
obtenir une déclaration de n’importe quel individu. C’est tout. C’est un comme se tirer
d’affaires en rapport avec les exigences d’intégrer les communautés locales dans les stratégies
de lutte contre les épidémies, sans y croire vraiment, en banalisant cet aspect, alors que les
stratégies traditionnelles fustigées par l’équipe de la riposte était plus efficace que celle-ci
comme en témoigne l’extrait ci-dessous : Cas de l’épidémie de la variole : xxx. Il fallait
trouver dans l’organisation sociale traditionnelle les unités de mise en œuvre de la campagne
sanitaire◄.

Si le potentiel de développement des groupes d’actions et des organisations sociales


traditionnelles est reconnu intuitivement lors de la conception, pourquoi est-il si rarement
exploité dans la pratique ? L’analyse des évaluations rétrospectives donne trois raisons
principales : (1) l’insuffisance des connaissances socio-économiques lors de la préparation,
(2) le manque de compétences sociales nécessaires à la réalisation des objectifs d’ingénierie
sociale au sein des unités de gestion du projet et (3) l’adoption de conceptions sociales
subjectives et souvent incompatibles avec les aspects culturels (souvent de manière
inconsciente). Dans de nombreux projets examinés, la conception sociale de l’innovation
semble avoir été tirée soit des concepts euro-américains de groupe social et de propriété –
unités de production individualistes, propriété privée détenue par des individus ou des couples
et exploitée par des cercles familiaux restreints (parents et enfants) – soit des systèmes de
35

coopérative basés, au moins en partie, sur les modèles appliqués pour mettre en œuvre les
objectifs de développement dans les anciens pays socialistes.
Comme aucun des processus d’application de ces modèles aux pays en développement ne
s’est déroulé sans problèmes, il convient d’adopter une approche différente, à savoir
exploiter davantage les modèles sociaux du Tiers monde pour son développement. Ces
modèles se retrouvent dans les unités sociales traditionnelles telles que les clans, les familles
et autres cercles familiaux élargis d’Afrique, d’Océanie et d’autres régions (où les terres et les
ressources sont détenues au niveau communautaire). L’argument qui vient à l’appui de cette
nouvelle approche est que le fait de baser la conception sociale de l’innovation sur les formes
sociales traditionnelles en vigueur dans les zones du projet constitue la meilleure stratégie de
changement9. ►Voir p.13 infra et J.-P. Olivier de Sardan◄

9
KOTTAK, C. P., « Quand l’aspect humain n’est pas mis au premier plan : enseignement sociologiques tirés de
projets terminés », in CERNEA M. M. (éd.), op. cit., pp.470-472.
36

BIBLIOGRAPHIE
AZOULAY, G., Les théories du développement, Ed. Presses universitaires de Rennes,
Rennes, 2002.
BALANDIER, G., Les conditions sociologiques du développement, in Politique étrangère,
22e année, N° 3, 1957.
BARTOLI, H., « Échec des stratégies à dominance économique et financière. Une stratégie
multidimensionnelle liant indissolublement l’économique, le social et l’environnemental » in
Repenser le développement, Paris : Economica, 1999.
BALLE, Catherine, Sociologie des organisations, « Que sais-je ? », Paris, PUF, 1990.
BERNARD, Chester Irving, The Function of the Executive, Cambridge, Harvard UP, 1938.
BERNOUX, Philippe, La sociologie des organisations. Initiation théorique suivie de douze
cas pratiques, cinquième édition revue et corrigée, Paris, Editions du Seuil, 1990 (1985).
BOUDON, R., « Economie et sociologie », in BOUDON, R. et BOURRICAUD, F.,
Dictionnaire critique de la sociologie, Presses Universitaires de France, Paris, 2000, pp.
207- 214.
BOURRICAUD François, « Les organisations », in Patrick JOFFRE et Yves SIMON (Sous la
dir. de), Encyclopédie de gestion, T. 2, Paris, Economica, 1989, pp. 2008-2022.
CARDOSO, « Analyses sociologiques du développement économique » Chapitre 1 In
Sociologie du développement en Amérique latine, Paris, Anthropos, 1969.
CERNEA, M. M. (ed.), La dimension humaine dans les projets de développement. Les
variables sociologiques et culturelles, Karthala, Paris, 1998.
CROZIER Michel, FRIEDBERG Erhard, L’acteur et le système. Les contraintes de l’action
collective, Paris, Seuil, 1977.
FRANK A. G., «The development of underdevelopment» in (2006) Timmons Roberts J. et
Amy Hite (eds.) From Modernization to Globalization: perspectives on development and
social change, 1969.
GOUSSAULT Y. ET GUICHAOUA A., « Sociologie du développement » in J.P. Durand et
R. Weil (éds), Sociologie contemporaine, Paris, Vigot, 2002.
HARALAMBOS, M. and HOLBORN, M., Sociology: Themes and Perspectives, 7th ed.,
HarperCollins Publishers Limited, London, 2008
HAUBERT, M., Sociologie du développement : quelle sociologie et quel développement? »
in États des savoirs sur le développement, trois décennies de sciences sociales en langue
française, Paris, Karthala, 1993.
37

HIRSCHMANN Albert O., Face au déclin des entreprises et des institutions, Paris, Editions
ouvrières, 1972 (nouvelle trad. Défection et prise de parole, Paris, Fayard, 1995.
LAWRENCE Paul, LURSCH Jay, Adapter les structures de l’entreprise, intégration ou
différenciation (1957), Paris, Ed. d’Organisation, 1973 ; rééd. Les classiques E.O, 1989.
MARCH James, SIMOH Herbert A., Les organisations, Paris, Dunod, 1969.
MINTZBERG Henry, Le pouvoir dans les organisations, Ed. d’Organisation, Paris, 1986.
MORGAN Gareth, Les images de l’organisation, Québec, PU Laval, 1989.
MORIN Jean-Michel, « Organisation », in Dictionnaire de Sociologie, Le Robert et Seuil,
Paris, 1999, pp.376-378.
OLIVIER DE SARDAN, J.-P., « Les trois approches en Anthropologie du développement »,
in Tiers-Monde, Tome 42, n° 168, 2001.
OLIVIER DE SARDAN, J.-P., Anthropologie et développement. Essai en socio-
anthropologie du changement social, Paris, Ed. Karthala, 1995.
PERROW Charles, Organizational Analysis. A sociological View, Londres, Tavistock, 1970.
PFEFFER Jeffrey, SALANCIK G., The External Control of organizations : a Ressource
Dependance Perspective, New York, Harper and Row, 1978.
PRÉVOST BENOÎT, Les fondements philosophiques et idéologiques du nouveau discours
sur le développement Économies et Sociétés Série Développement n0 4, 2005.
PNUD, Définir et mesurer le développement humain in Rapport mondial sur le
développement humain 1990, Paris, Economica, 1990.
PNUD, « Les objectifs du millénaire pour le développement ». Rapport mondial sur le
développement humain. Chapitre 1 Paris : Economica, 2003.
ROSTOW, « Les cinq étapes de la croissance » Chapitre 2 in Les étapes de la Croissance
économique, Paris, Seuil, 1963.
SMELSER, N.J., The Sociology of Economic Life, 2nd ed., Prentice-Hall
TOURAINE, A., « Qu’est-ce que le développement? », in L’année sociologique, Vol. 42,
1992.

Vous aimerez peut-être aussi