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DANS L’OMBRE

DE BOB DENARD
Dans la collection Poche Nouveau Monde – Histoire

Frédéric Abadie/Jean-Pierre Corcelette, Georges Pompidou


David Alvarez, Les Espions du Vatican
David Bankier (dir.), Les services secrets et la Shoah
Jean-Marc Berlière/René Lévy, Histoire des polices en France
Éric Branca/Arnaud Folch, Histoire secrète de la droite
Frank Browning/John Gerassi, Histoire criminelle des États-Unis
Walter Bruyère-Ostells, Dans l’ombre de Bob Denard
Édouard Calic, Himmler
Édouard Calic, Heydrich
François de Callières, L’art de négocier sous Louis XIV
Jean-Jacques Cécile, Histoire secrète des SAS
Jacques Delarue, Histoire de la Gestapo
Éric Denécé, Histoire secrète des forces spéciales
Yvonnick Denoël, Histoire secrète du xxe siècle
Yvonnick Denoël/Jean Garrigues (dir.), Histoire secrète de la corruption
sous la Ve République
Albert Desbiens, Histoire des États-Unis
Jean Deuve, Stratagèmes de la Seconde Guerre mondiale
Dwight D. Eisenhower, Croisade en Europe
Roger Faligot, Les Services secrets chinois
Hussein Gaafar, Condor, l’espion égyptien de Rommel
Paul-Marie de la Gorce, De Gaulle, tome I (1890-1945)
Paul-Marie de la Gorce, De Gaulle, tome II (1945-1970)
Frédéric Laurent, L’orchestre noir
Sébastien Laurent (dir.), Les espions français parlent
Georges Lefebvre, Napoléon
Thierry Lentz, L’Assassinat de John F. Kennedy
Jean-Marc Le Page, Les services secrets en Indochine
Dominique Lormier, Les opérations commandos de la Seconde Guerre mondiale
Wolfgang Lotz, Mémoires d’un maître-espion du Mossad
Constantin Melnik, De Gaulle, les services secrets et l’Algérie
Bernard Montgomery, Mémoires
Raymond Nart/Jacky Debain, L’affaire Farewell vue de l’Intérieur
Paul Paillole, Notre Espion chez Hitler
George S. Patton, Carnets secrets
Friedrich Paulus, La Bataille de Stalingrad
Erwin Rommel, La Guerre sans haine – Carnets
Monique Sauvage/Isabelle Veyrat-Masson, Histoire de la télévision française
Gordon Thomas/Max Morgan-Witts, Les dernières heures de Guernica
Philippe Valode, Hitler et les sociétés secrètes
Philippe Valode, Les Hommes de Pétain
Philippe Valode, Histoire des grands inventeurs français
Paul Villatoux (dir.), Hitler parle à ses généraux
Thaddeus Wittlin, Beria, chef de la police secrète stalinienne
Collectif, Dien Bien Phu vu d’en face – Paroles de Bo Doi
Walter Bruyère-Ostells

DANS L’OMBRE
DE BOB DENARD
Les mercenaires français de 1960 à 1989

nouveau monde éditions


Édition : Sabine Sportouch
Corrections : Catherine Garnier
Maquette : Farida Jeannet

© Nouveau Monde éditions, 2014


170bis, rue du Faubourg-Saint-Antoine – 75012 Paris
ISBN :     
Dépôt légal : avril 2016
Imprimé en Italie par Rotolito Lombarda
Introduction

Le 16 septembre 2007, les contractors de Blackwater tuent


17 civils et en blessent 24 autres sur la place Nisour à Bagdad.
Cet événement cristallise les critiques sur le retour des merce-
naires sur des théâtres d’opérations militaires. En France, l’opi-
nion publique et les observateurs avertis sont particulièrement
sévères envers ces formes de « privatisation de la guerre », expres-
sion (en partie impropre) couramment utilisée pour désigner
l’évolution observée en Irak.
Il faut mettre en lien cette réticence française avec deux obser-
vations connexes. La première est de rappeler que des Français
ont déjà servi dans ces « armées privées » dans l’État an­cien­nement
baasiste. La seconde est de constater que notre vision est relati-
vement marginale au sein des grandes puissances militaires (il est
vrai que les armées françaises n’ont pas pris part à la coalition
intervenue en Irak) et qu’elle relève d’une culture spécifique. Le
rejet hexagonal des sociétés militaires privées (SMP) provient de
l’attachement au soldat-citoyen ancré dans les mentalités depuis
la Révolution française. Il est encore très puissant aujourd’hui car
il a été réactivé par le souvenir beaucoup plus récent de l’intense
activité des mercenaires français au cours de la guerre froide.
Cette action a été symbolisée par la figure de Robert dit Bob
Denard. Or, il meurt en cette même année 2007. On a pu y voir
le symbole d’un passage d’un « mercenariat Beaujolais », artisa-

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Dans l’ombre de Bob Denard

nal et devenu anachronique, qu’il aurait incarné, à une nouvelle


forme plus entrepreneuriale portée par les Anglo-Saxons1.

En fait, le terme de « mercenaire » a toujours renvoyé à des


réalités différentes selon les époques. La première est l’agréga-
tion d’une troupe aux forces étatiques, comme les gardes de chefs
d’État. Des Écossais à partir du xve siècle et des Suisses à partir
de 1616 assurent ainsi la protection des rois de France jusqu’en
1830. La situation des cadres français de la Garde présidentielle
(GP) aux Comores entre 1978 et 1989 peut être rattachée à ce
type de situation. L’histoire a également connu des formes entre-
preneuriales : condottieri de la Renaissance, armées de Wallenstein
ou Tilly pendant la guerre de Trente Ans. Dans d’autres contextes
historiques, politiques et socio-économiques, ce sont des combat­
tants assez comparables aux SMP et entreprises de services de
sécurité et de défense (ESSD) déployées en Afrique dans les
années 1990 ou en Irak au début du xxie siècle.
Ces mutations sur le long terme rendent difficile la formu-
lation d’une définition courte du mercenariat. Au sens premier,
le terme latin mercenarius désigne un « soldat loué contre de
l’argent » ou un « domestique que l’on paie ». Aujourd’hui, nous
dirions plutôt qu’il s’agit d’un prestataire de service qui met à
la disposition de son employeur (étatique ou privé) une force
armée. Cette définition très englobante ne fait pas de distinc-
tion entre des configurations pourtant très différentes. Elle laisse
en creux la question de la participation de ces prestataires à des
combats, des règles auxquels ils sont astreints, de leur degré de
rattachement à une chaîne de commandement externe à celle de
la troupe mercenaire… Ce flou s’explique par la définition très
tardive dans le droit international. Elle se construit au cours de la

1. Le « mercenariat Beaujolais » est une expression de Christian Chocquet, préfet du


Nord et préfet délégué pour la Défense et la sécurité de la zone de défense Nord, dans
la préface de l’ouvrage de Philippe Chapleau, Les nouveaux entrepreneurs de la guerre :
des mercenaires aux sociétés militaires privées, Paris, Vuibert, 2011, 240 p.

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Introduction

période qui nous intéresse, du protocole additionnel aux conven-


tions de Genève du 8 juin 1977 à la Convention internationale
contre le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction de
mercenaires, rédigée par l’ONU en 1989. Cet effort de mise en
place d’une définition juridique du mercenariat indique ainsi une
nécessité nouvelle de légiférer. Elle inclut une catégorie très res-
treinte d’acteurs, excluant une large partie du phénomène qu’elle
est censée désigner dans l’imaginaire collectif. Nous verrons en
quoi l’action des soldats de fortune français a motivé ces avancées
du droit international.
La renaissance du mercenariat, français ou international, date
en réalité du début des années 1960. La sécession katangaise qui
se déroule dans le cadre de la délicate décolonisation du Congo
belge donne lieu à la première concentration de plusieurs cen-
taines de combattants étrangers enrôlés par le gouvernement
sécessionniste de Moïse Tshombé. La jeune République démocra-
tique du Congo va d’ailleurs conserver ces « Affreux » une bonne
partie de la première décennie de son indépendance et s’en trou-
ver déstabilisée (révoltes de mercenaires en 1966 et surtout en
1967). Parmi les troupes de « chiens de guerre » du Congo, nous
avons choisi d’étudier les groupes français. Les mercenaires hexa-
gonaux sont peut-être les plus actifs. Ce sont surtout les seuls à
s’imposer ensuite dans un État, les Comores. En effet, la Garde
présidentielle d’Ahmed Abdallah est sous les ordres de soldats pri-
vés français de 1978 à 1989 qui jouent un rôle majeur dans la
conduite de la politique du pays.
Au cours de cette période d’intense activité de 1960 à 1989,
en pleine guerre froide, les soldats de fortune sont présents
de l’Asie du Sud-Est à l’Amérique latine. Les Anglo-Saxons
fondent déjà des sociétés privées à l’instar du Britannique
David Stirling. Pourtant, leur terrain d’action le plus visible
demeure l’Afrique subsaharienne. La création d’une expression
spécifique, les « Affreux », pour désigner les acteurs du Katanga
en 1960, et bientôt par extension tous les mercenaires, montre

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Dans l’ombre de Bob Denard

à quel point le continent noir est sous les feux de l’actualité


médiatique. Des figures irrégulières, des « gueules » de guer-
riers, émergent dans cette période qui suit immédiatement les
indépendances : le commandant Roger Faulques, « l’homme
aux mille vies » ; Jean Kay, écrivain-mercenaire ; Bob Denard,
futur « sultan blanc des Comores ». Chez les étrangers, Jean
Schramme pour les Belges ou Mike Hoare « The Mad » pour les
Sud-Africains s’inscrivent dans le même imaginaire des soldats
de fortune. Ainsi, véhiculées par la presse, par la chanson, la
littérature ou le cinéma, les représentations de ces combattants
montrent qu’ils font l’objet d’une fascination mêlée de répul-
sion. Du Dernier train du Katanga aux « méchants » opposés à
James Bond, des reportages de Paris-Match au mercenaire de
Serge Reggiani, il apparaît nécessaire d’interroger ces recom-
positions de l’image de ce « deuxième plus vieux métier du
monde » selon l’expression prêtée à Bob Denard.
Le Katanga s’inscrit surtout dans un contexte de profonde
transformation du monde avec l’accession à l’indépendance
de toute l’Afrique entre 1960 et la fin des années 1970. La
République démocratique du Congo accède à la souveraineté au
même moment que la grande majorité des États francophones du
continent. Il s’agit d’une recomposition très profonde des rela-
tions entre cette partie du monde et l’Europe. Elle est rapide et
plus brutale que cela n’avait pu être envisagé dans un premier
temps. Le refus de la Guinée d’intégrer la Communauté française
en 1958 a été le catalyseur de cette accélération dans la marche
vers le détachement vis-à-vis des métropoles européennes, et
notamment française. Les États nouvellement indépendants sont
très vite soumis à une double pression. La première provient des
anciennes métropoles, soucieuses de conserver une forte influence
dans leurs anciens territoires coloniaux. La seconde répond aux
logiques de la guerre froide qui régit alors les relations internatio-
nales. Les nouveaux États africains reçoivent des sollicitations ou
incitations de la part des deux blocs. Ces deux phénomènes sont

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Introduction

indépendants mais interagissent et pèsent puissamment sur les


destinées du continent.
La fin des années 1980, singulièrement l’année 1989, referme
la période de la guerre froide. La chute du mur de Berlin ou le
sommet de Malte sont les événements d’ordinaire retenus pour
marquer cette inflexion majeure dans l’organisation du monde.
On pourrait y ajouter la mort du président comorien en 1989,
Ahmed Abdallah, et l’exfiltration des mercenaires qui consti-
tuaient sa GP vers l’Afrique du Sud ou la France. Après cette
date, les mercenaires français semblent disparaître (sauf ponctuel-
lement) de la scène internationale et notamment africaine. De
nouveaux combattants privés occupent le premier plan du champ
médiatique mondial à leur place, les sociétés militaires privées.
Les Sud-Africains d’Executive Outcomes marquent la décennie
1990, puis le phénomène s’accélère et se déplace vers d’autres
théâtres d’opérations dans le sillage de l’armée américaine. Les
Anglo-Saxons paraissent avoir éclipsé les Français et mis en place
un autre modèle, celui des « nouveaux entrepreneurs de guerre ».
Nous nous fixons ici pour objectif de définir les dynamiques
qui ont permis l’émergence, la longévité puis le déclin des
« chiens de guerre » français entre 1960 et 1989. Ce travail puise
no­tamment sa source dans l’étonnement provoqué par une forme
de mercenariat suffisamment structuré pour monter des opéra-
tions amphibies ou aéroportées capables de déstabiliser un État,
pour se maintenir aux côtés d’Ahmed Abdallah et être associé à la
direction des Comores (politiquement et économiquement) pen-
dant plus de dix ans, mais qui fut incapable de réussir sa mue vers
la forme entrepreneuriale qu’on observe depuis près de vingt-cinq
ans maintenant.
Une première réflexion amène à s’interroger sur une culture
particulière aux mercenaires français, une French Touch, qui les
vouerait à préférer l’informel, l’action clandestine ou les relations
interpersonnelles au détriment du fonctionnement plus « trans-
parent » d’une société commerciale qui présente un c­atalogue

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Dans l’ombre de Bob Denard

de prestations tarifées et des personnels adaptés à cette offre.


Finalement, l’opposition médiatique entre un mercenariat
ancien, artisanal à la française, et un autre, plus professionnel,
plus capitalistique, dominé par les Anglo-Saxons est-elle perti-
nente ? Ou est-ce plutôt des questions internes, des dysfonction-
nements au sein de la microsociété des Français qui expliquent
leur incapacité à s’adapter aux nouvelles exigences du monde de
l’après-guerre froide ? De cette première approche problématique
découle une série d’autres questionnements.

Une place importante doit également être accordée à la défi-


nition même du mercenaire dont on a concédé qu’elle est floue,
variable dans le temps, voire dans l’espace. Alors que le terme
semble au milieu du xxe siècle renvoyer à des époques révolues
(Antiquité, Moyen Âge ou Époque moderne) de l’histoire de
l’Europe et singulièrement de la France, le mercenaire resurgit
à l’aube des années 1960. Il convient donc de s’interroger sur
les conditions politiques, militaires et géopolitiques qui rendent
possible cette brutale renaissance. Pourquoi, cent soixante ans
environ après la mise en place de l’armée par conscription et le
triomphe de l’idéal du soldat-citoyen, la France engendre-t-elle
des « Affreux » ? Par quels mécanismes s’opère leur réapparition ?
Quels rôles y jouent l’État et les conditions socio-culturelles de
la société française ? À quelles logiques répondent leurs choix
d’engagement ?

L’activité des mercenaires est à distinguer de celle des volon-


taires armés. Le critère de différenciation serait la motivation
politique qui anime les volontaires internationaux. Par contraste,
le combattant privé privilégierait l’appétit d’argent, voire d’aven-
ture. On mesure rapidement la limite de ces schémas simplifi-
cateurs. Par exemple, le goût de l’aventure considéré comme un
invariant du soldat de fortune peut-il être jaugé de la même façon
pour un homme qui quitte son épouse et ses enfants pour aller

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Introduction

combattre sur un théâtre où la mortalité n’est pas négligeable –


comme la RDC du milieu des années 1960 – et pour un autre,
souvent jeune et célibataire, qui choisit de signer un contrat de
cadre européen de la GP comorienne ? Il s’agira donc é­ga­lement
de tâcher d’historiciser les critères distinctifs des « chiens de
guerre » et de définir les frontières avec d’autres catégories d’ac-
teurs. Les conditions très contrastées des théâtres sur lesquels ils
sont engagés et les formes de missions (combat de basse intensité,
opération commando, GP…) incitent à mettre en lumière des
profils différenciés de mercenaires. Ces derniers ne peuvent être
perçus comme un groupe parfaitement homogène et invariant
et doivent être inscrits dans une typologie plus nuancée. Le dip-
tyque qu’ils forment avec les volontaires est au cœur des représen-
tations sur les combattants irréguliers ; il induit l’image négative
associée aux soldats de fortune.
Pour ce faire, l’étude doit sonder les opinions politiques des
hommes ici étudiés et comprendre les continuités et les éventuelles
inflexions au cours des trois décennies choisies pour cadre. En
effet, des débuts de la présidence du général de Gaulle, moment
caractérisé par la décolonisation de l’Afrique subsaharienne mais
aussi et surtout par le conflit algérien, jusqu’au début du second
mandat de Mitterrand où les débats économiques et sociaux carac-
térisent davantage les fractures entre Français, les contextes sont
peu comparables. Dès lors, il paraît raisonnable d’émettre l’hy-
pothèse que la microsociété des mercenaires a également évolué.
Tandis que Bob Denard n’est que l’un des « Affreux » au Katanga,
sa figure semble dominer le milieu en fin de période. Il nous faut
analyser le fonctionnement interne au groupe. Quelles sont les
modalités d’entrée et de sortie de cette activité ? Comment s’éta-
blissent les carrières et donc les hiérarchies ? Quels sont les réseaux
et les sociabilités qui peuvent le caractériser ? Dans cette optique,
il ne s’agit plus d’envisager les mercenaires en comparaison avec
les volontaires mais plutôt de les confronter au(x) modèle(s) de
société militaire d’une troupe régulière.

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Dans l’ombre de Bob Denard

Une forme de questionnement concerne le fonctionnement


militaire. Quels sont les critères de recrutement et quelles sont
les qualités requises pour être embauché au Katanga ou aux
Comores ? Les savoir-faire tactiques attendus sont-ils les mêmes ?
Quels sont-ils ? L’image des mercenaires renvoie à celle de sou-
dards. Quelles violences exercent-ils et pourquoi ? Cela s’explique-
t-il par l’absence d’un règlement intérieur, inhérent, par opposi-
tion, à une armée nationale ? La mise en regard du milieu des sol-
dats de fortune avec celui de leurs homologues des troupes régu-
lières induit également un questionnement sur les rapports entre-
tenus avec l’État d’origine car le choix des armes relève souvent
soit d’une idéologie spécifique (volontaires évoqués plus haut),
soit plus communément du patriotisme. Les rapports distendus,
pour ne pas dire distordus, avec la structure étatique figurent
usuellement parmi les critères de définition du mercenaire, « sol-
dat libre ». Or, ce statut particulier suppose un fi­nan­cement
dif­férent, en particulier pour le matériel dont l’importance est
de­venue cruciale dans les conflits contemporains. S’il n’est pas
adossé à un État, comment le combattant privé parvient-il à se
procurer des armes ? Comment peut-il projeter des commandos
à des milliers de kilomètres de la France ? Outre les questions
financières inhérentes à ce type d’opérations naissent des inter-
rogations sur les moyens logistiques pour des irréguliers qui ne
disposent pas, comme une armée, d’un réseau de bases, d’accords
militaires avec des alliés… Par hypothèse, on peut considérer que
l’État apporte des supports logistiques aux mercenaires. Or cela
induit une relation de dépendance en contradiction avec la défi-
nition du soldat libre. À moins que l’indépendance repose sur
un jeu d’exploitation des intérêts souvent divergents de différents
États ? Enfin, le but recherché par un ou des États à employer ce
type de personnel plutôt que des forces spéciales ou des membres
de leurs services secrets doit également être éclairci.
Pour répondre à cette série d’interrogations, nous étudie-
rons successivement trois périodes. De 1960 à 1969-1970, du

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Introduction

Katanga au retrait du Biafra, le mercenariat français (re)naît et


s’organise peu à peu dans son fonctionnement interne mais aussi
dans les relations qui régissent ses rapports avec ses clients et avec
les États acteurs de la scène africaine et/ou de la guerre froide. Au
cours de cette période, les « chiens de guerre » enchaînent les opé-
rations. La décennie 1970 marque une rupture en ce sens que les
contrats sont plus espacés, plus courts et relèvent d’autres formes
de combats que lors des années 1960. Enfin, à partir de 1978,
autour de Bob Denard, une partie des soldats de fortune s’ins-
talle aux Comores au sein de la GP et domine la microsociété des
mercenaires français. Leur chute en 1989 constitue la dislocation
du système mis en place au cours de la période et la quasi-dispa-
rition des opérations.
De 1960 à 1989, les mercenaires hexagonaux s’imposent
dans les affaires africaines. Le parcours personnel de Bob Denard
épouse complètement la période de domination des Français1.
Né en 1929 dans le Médoc, fils d’un militaire de l’armée colo-
niale, il suit les traces de son père et s’engage dans la marine à 16
ans. Il sert en Indochine comme fusilier marin puis démissionne
en 1952. Il occupe différents emplois au Maghreb, notamment
celui de policier. Sa carrière de soldat de fortune commence au
Katanga, où il devient l’un des chefs des « Affreux ». Bob Denard
fait ensuite le coup de feu pour les tribus du Yémen (1963-1964).
Passé à nouveau par le Congo (1964-1967) puis le Biafra (1967-
1969) et le Gabon, il connaît l’apogée de sa carrière de merce-
naire en acceptant l’offre d’Ali Soilih aux Comores en 1975. Bob
Denard assoit le pouvoir du jeune chef politique aux dépens du
président Ahmed Abdallah. Ali Soilih instaure par la suite un
régime socialiste.
Bob Denard revient en 1978 pour le compte d’Ahmed
Abdallah cette fois-ci. Il le soutient en tant que propriétaire de
la GP jusqu’en 1989. Il tente en vain un ultime retour en 1995.
1. Nous reprendrons dans le présent ouvrage le sobriquet sous lequel l’homme s’est
imposé et retiendrons donc le nom de Bob Denard plutôt que Robert.

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Dans l’ombre de Bob Denard

Des années 1960 à la fin de la décennie 1980, le Médocain est un


mercenaire dont l’envergure n’a pas d’équivalent dans le monde
si l’on se réfère à la durée et au poids de ses actions sur la poli-
tique des États où il a servi (principalement aux Comores). Cette
destinée cache cependant la diversité des parcours de ceux qui
l’ont accompagné. Sa trajectoire personnelle est connue mais il
n’est que le chef d’un groupe d’hommes dont les profils et les
destinées individuelles sont ignorés. Il s’agit donc ici de mettre
en lumière ces combattants irréguliers demeurés dans l’ombre de
Bob Denard.
Le fonds d’archives personnelles du mercenaire constitue
une source majeure pour le travail ici présenté. Les pièces affé-
rentes à sa propre carrière ne composent qu’une infime partie
de cet ensemble. Par la diversité des types de documents conser-
vés (administratifs, correspondances, papiers de planification,
mémoires…), le fonds Bob Denard délivre des informations sur
les hommes qui ont servi sous ses ordres. Si cette source se révèle
d’une richesse exceptionnelle, il est néanmoins nécessaire de s’in-
terroger sur le chemin parcouru par ces archives pour parvenir
jusqu’à nous. En effet, une partie des papiers du mercenaire a
disparu au cours des nombreux déplacements de leur proprié-
taire. Les papiers éclairent plus ou moins fortement les diffé-
rentes périodes au cours desquelles les soldats de fortune français
ont marqué les événements politico-militaires africains. Pour les
années 1960, les sources sont assez abondantes, prin­ci­pa­lement
constituées de comptes-rendus d’opérations ou de dossiers de
gestion des « volontaires ». En revanche, dans les années 1970,
elles se caractérisent par leurs disparités. Elles sont relativement
bavardes sur les opérations menées en 1976 en Angola mais nous
livrent très peu de renseignements sur les liens importants noués
avec le Gabon d’Omar Bongo durant toute la décennie. Cette
vicissitude de la destinée des archives s’explique largement par la
mobilité de son propriétaire qui emporte avec lui ce qui a trait
aux affaires en cours. L’épisode le plus significatif est l’oubli sur

14
Introduction

l’aéroport de Cotonou de cantines contenant les dossiers de la


planification de l’opération de déstabilisation du Bénin en 1977.
Toutefois, d’autres facteurs doivent être pris en compte pour
un regard critique sur le fonds parvenu jusqu’à nous. Ainsi, en
1989, lors du départ des Comores en 1989, Bob Denard indique
lui-même que les services secrets français – la DGSE – ont saisi
certains documents sur les liens entre la GP comorienne et l’État
français1. Le mercenaire a opéré à Pretoria un second tri de
papiers avec l’aide du journaliste Philippe Chapleau. Identifiés
par Philippe Chapleau, certains dossiers encore présents dans le
fonds au début des années 1990 ont ensuite disparu. Les archives
ont encore connu plusieurs déménagements jusqu’à leur ultime
déplacement vers la cave d’un ancien cadre de la GP, après la mort
de Bob Denard. Les pertes peuvent résulter de ces déplacements
physiques.
Elles peuvent également être l’objet d’une sélection opérée par
le soldat de fortune soucieux dans les années 1990 de façonner
l’image qu’il va donner lors des procès qui sont intentés contre
lui, pour le Bénin en 1977, pour la mort d’Ahmed Abdallah en
1989 et pour la tentative de retour aux Comores en 1995. Il n’est
pas exclu qu’il ait procédé à une purge de documents qui permet-
tait par ailleurs à cet homme très rompu au contact médiatique
de construire une mémoire de son action entièrement conforme
à ce qu’il souhaitait. Créée dans le même souci, l’association des
vétérans de Bob Denard Orbs patria nostra peut également avoir
été tentée de pratiquer une sélection des pièces les plus sensibles.
Dès lors, cette source exceptionnelle doit être mise en regard
avec d’autres fonds. Le croisement des sources relève des méthodes
habituelles de l’historien. Il induit cependant ici une dichoto-
mie dans le traitement. En effet, pour la décennie 1960, ou tout
au moins sa première moitié, il est possible d’avoir recours aux
archives publiques. Ouvertes ou en cours d’ouverture, les archives

1. Bob Denard, Corsaire de la République, Paris, Robert Laffont, 1998, 437 p.

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Dans l’ombre de Bob Denard

diplomatiques françaises et belges permettent d’avoir un éclairage


différent sur les opérations au Katanga et en RDC. En revanche,
les années 1970 et 1980 ne sont pas encore accessibles et on ne
peut pas avoir recours à ce type de sources. Les deux tiers de cet
ouvrage relèvent donc des méthodes de l’histoire immédiate. Les
archives privées Bob Denard sont essentiellement confrontées à
des articles de presse et à des témoignages soigneusement recou-
pés. Outre la vérification des éléments factuels, travail nécessaire
mais non suffisant, l’enquête orale se donne pour objectif de
mieux comprendre les motivations de ces hommes, leurs émo-
tions et les logiques qui les ont conduits à suivre cette vie hors
des sentiers habituellement balisés dans le monde militaire. Ainsi
les entretiens se fixent-ils pour objectif principal de « mettre au
jour les outillages mentaux qui structurent leurs pensées et leurs
affects, de saisir les valeurs déontologiques, éthiques, culturelles
ou religieuses qui enserrent ou baignent leur existence dans un
milieu donné et à une époque donnée1 ».
Le recours à ces sources orales offre la possibilité d’approcher
la microsociété des mercenaires français. Il convient ensuite de
reconstituer les parcours individuels et de les croiser avec l’histoire
collective du milieu des soldats privés. Pour cela, nous tâcherons
de restituer les réseaux qui organisent les filières d’en­ga­gement, de
comprendre les logiques qui structurent les sociabilités et les hié-
rarchies internes à cette microsociété. En marge de l’institution
militaire classique et du monde civil, les mercenaires sont toute-
fois un objet qui demeure difficile à appréhender par l’outil que
constitue l’entretien. Les refus ont été nombreux, no­tamment
parmi les hommes encore en activité dans des secteurs profes-
sionnels connexes. On ne citera ici que René Dulac, longtemps
bras droit de Bob Denard, puis chef d’une équipe inter­venue au
Tchad en 1983. L’enregistrement audio des conversations a été
systématiquement rejeté et les entretiens semi-directifs ont été
1. Florence Descamps, Les Sources orales de l’histoire. Récits de vie, entretiens, témoi-
gnages oraux, Paris, Bréal, 2006, 287 p.

16
Introduction

favorisés pour mettre à l’aise les mercenaires dans leurs récits de


vie. En complément de ces interviews, de nombreuses discussions
informelles ont permis de recouper davantage les déclarations
faites dans ce cadre, de vérifier ou de compléter des détails sur
les parcours personnels (informations ponctuelles sur le ré­giment
dans lequel est effectué un service national par exemple) et de
mieux appréhender les représentations des uns et des autres sur
la vie politique ou les relations internationales à cette époque.
Ces entretiens complémentaires ont notamment été menés dans
le cadre de ce qu’il convient d’appeler une « observation parti-
cipante » à des réunions commémoratives ou associatives (Orbs
patria nostra ou Ommegang).
Une seconde difficulté a été de faire parler des témoins qui
expriment une forte méfiance envers toute personne qui n’est
pas directement liée à leur milieu. Il s’agissait de retracer des tra-
jectoires individuelles en prenant en compte des informations
d’ordre personnel sensibles. L’une des exigences à laquelle nous
avons accepté de nous soumettre est de conserver l’anonymat de
certains mercenaires vivants. Sont concernés les hommes nés à
partir de 1943, susceptibles d’avoir encore une activité profes-
sionnelle et cités dans le présent travail pour des opérations de
déstabilisation des années 1970 ou pour leur appartenance à la
GP comorienne, y compris ceux qui ont pu se soumettre à des
entretiens1. Ils sont désignés sous leur seul nom de guerre. Leurs
véritables initiales sont indiquées. Pour certains d’entre eux,
leur nom a fait l’objet d’un traitement médiatique assez impor-
tant. Toutefois, par mesure de simplification et pour éviter tout
ju­gement interprétatif sur certains noms apparus de façon moins
récurrente dans la presse, nous avons décidé d’une égalité de trai-
tement. Leur seul pseudonyme d’opération (le plus usuel) sera
donc utilisé.
1. Il semble raisonnable de considérer qu’à 80 ans, les anciens mercenaires encore
vivants ne sont plus en activité professionnelle. Cette barrière n’a pas pu être abaissée
en raison du maintien en activité de septuagénaires.

17
Dans l’ombre de Bob Denard

Ce principe accepte toutefois deux exceptions. La première


concerne les mémorialistes qui ont publié sous leur véritable
identité. Nous considérons qu’ils ont ainsi accepté de renoncer à
l’anonymat (Patrick Ollivier par exemple). La seconde prend en
compte les principaux lieutenants de Bob Denard, dont l’un de
ses seconds dans les années 1970, encore vivant, et les comman-
dants de la GP comorienne dans les années 1980. Leurs noms
ont également été cités maintes fois dans la presse et parfois dans
des ouvrages spécialisés, ce qui rend aisée leur identification à
partir du nom de guerre. Un maintien de l’anonymat serait donc
artificiel.
Cet ouvrage se propose ainsi de suivre 147 trajectoires indi-
viduelles identifiées de façon empirique. Les hommes ici rete-
nus sont tous cités dans le fonds Bob Denard, qui conserve leur
nom, parfois une fiche personnelle, parfois davantage. Ceci
constitue un critère indispensable à leur sélection. Il s’est ensuite
agi d’affiner en écartant des hommes sur lesquels trop peu d’in-
formations recoupées pouvaient être obtenues. Parfois, mal-
gré la grande pauvreté de renseignements recueillis, certains ont
tout de même été inclus en raison de leur importance parmi les
mercenaires français de la période. Les informations les concer-
nant reposent alors plus largement sur les autres sources mobi-
lisées. Elles sont de tous ordres : documents officiels et archives
publiques, presse, mémoires… Le type de renseignements atten-
dus a principalement trait à l’état civil des combattants (dates de
naissance notamment), à leur passé militaire comme engagé ou
comme appelé et à d’éventuelles informations complémentaires
sur leurs opinions politiques et sur des engagements particuliers
(Algérie française par exemple). Cette enquête constitue un son-
dage. Dans les cas extrêmes (Congo 1964-1967), il représente
environ 10 % des mercenaires présents. Pour les déploiements
plus limités (Yémen ou opérations des années 1970 et 1980),
il peut représenter jusqu’à 80 % de l’effectif réel, voire même
100 % (équipes envoyées par Bob Denard au Tchad au début des

18
Introduction

années 1980). L’étude de ces 147 parcours individuels permettra


de dégager des caractères distinctifs et de dépasser le seul cas du
représentant le plus célèbre des mercenaires français. Demeuré
dans l’ombre de Bob Denard, ce milieu pourra, nous l’espérons,
être plus finement appréhendé dans ses logiques collectives mais
aussi dans sa diversité de situations et d’individus.
Première partie

La naissance d’un système


mercenaire français
Chapitre 1

Du Katanga au Biafra,
au cœur des guerres africaines

L’année 1960 est marquée par un vaste transfert de souverai-


neté des anciennes puissances coloniales vers les nouveaux États
africains. Proclamée le 30 juin 1960, l’indépendance du Congo
belge donne lieu à des pratiques qui vont caractériser la vie poli-
tique et militaire sur le continent. Parmi elles, l’intrusion des
anciens colonisateurs et d’autres acteurs étatiques, notamment
les puissances qui s’affrontent dans la guerre froide, s’observe
dans des conflits internes aux États devenus indépendants. Elle
se traduit notamment par l’emploi de mercenaires. La décennie
1960 s’ouvre sur la sécession de la riche province du Katanga au
Congo ; elle se termine par l’échec d’un mouvement très com-
parable au Nigeria (Biafra entre 1967 et 1970). Elle est donc la
période au cours de laquelle le système du mercenariat en Afrique,
no­tamment français, se met en place.

L’expérience fondatrice du Katanga

Le Congo-Léopoldville connaît des secousses politiques et


militaires intenses dès la proclamation de son indépendance. La
principale crise concerne la sécession d’une partie du territoire, le
Katanga. La province indépendantiste fait naître les « Affreux ».

23
Dans l’ombre de Bob Denard

La sécession katangaise

Les élections présidentielles sont remportées par Joseph Kasa-


Vubu. Il désigne comme Premier ministre le socialiste Patrice
Lumumba. Celui-ci prend immédiatement des positions syno-
nymes d’une rupture très claire avec l’ancien pouvoir colonial.
Le nouveau gouvernement annonce notamment l’africanisation
de l’armée et l’éviction des officiers belges. Les violences contre
les ressortissants belges (et européens de façon générale) éclatent
sur tout le territoire congolais. Bruxelles envoie alors un contin-
gent de 11 000 soldats dans la nouvelle république indépendante.
Il faut moins de dix jours pour qu’ils se déploient au Congo ; les
premières unités arrivées sur place sont les para-commandos.
La crainte d’un retour de la puissance colonisatrice entraîne
une nouvelle vague de violence à Léopoldville ; elle est dirigée
contre les Européens. Gagnés par un mouvement de panique, la
plupart décident de quitter le Congo et de rapatrier leurs capi-
taux. Asphyxié par un manque soudain de finances, le gouver-
nement sollicite de plus en plus fortement les sociétés minières
implantées dans la province du Katanga. Organisée en syndicat,
celles-ci envisagent alors de faire sécession. Officiellement fondé le
11 juillet 1960 par le président provincial Moïse Tshombé, l’État
du Katanga peut compter sur l’appui officieux de la Belgique.
Toutefois, il doit se préparer à la riposte du gouvernement de
Patrice Lumumba, lequel réclame le retour de la province sédi-
tieuse dans le giron de la République congolaise. Le Katanga
dispose d’une armée très embryonnaire appelée « gendarmerie
katangaise ». Elle est, en fait, constituée des 350 hommes des
forces locales de sécurité. Face à l’intervention probable de l’ar-
mée nationale congolaise, les sécessionnistes doivent avoir sous la
main, en urgence, des hommes capables de former et d’encadrer
des soldats supplémentaires.

24
Du Katanga au Biafra, au cœur des guerres africaines

Avènement des « Affreux »

Tshombé cherche dans un premier temps à promouvoir des


Katangais ; certains sont élevés aux rangs d’officiers et sous-offi-
ciers mais leur nombre est franchement insuffisant. Tshombé
décide alors de recruter des mercenaires. Sont visés d’anciens
militaires européens présents dans la région – principalement des
Belges donc –, mais aussi des Sud-Africains et des Rhodésiens1.
Peut-être est-ce son conseiller militaire, le journaliste Jacques
Duchemin, qui évoque le recours aux Français, aguerris par les
guerres coloniales. « M. Duchemin paraît avoir une double mis-
sion, observe un diplomate français en janvier 1961, d’une part,
préparer les voies à une visite officieuse du chef de l’État katangais
en mars prochain et d’autre part, recruter des officiers de réserve
pour les forces armées katangaises2. » En effet, les enrôlements se
font dans les bureaux de la mission permanente du Katanga en
France et dans les bars parisiens. Les enrôlements organisés par
Carlos Huyghé provoquent d’ailleurs des protestations officielles
de Léopoldville. Les volontaires peuvent également s’adresser
aux différents organismes représentant les autorités katangaises à
Paris et à Bruxelles.
Au printemps 1961, la gendarmerie katangaise comprend
655 Blancs dans son encadrement. 220 d’entre eux sont offi-
ciellement mandatés par la Belgique sous couvert de coopéra-
tion ; les autres sont des soldats de fortune3. Très vite, ils sont
1. Pour les premiers, les autorités diplomatiques belges prêtent leur concours. Pour
les hommes d’Afrique australe, des tournées de recrutement sont opérées à grand
renfort de publicité, Archives diplomatiques du royaume de Belgique, carton 14 662.
2. Note de la direction des affaires politiques Afrique-Levant à Paris le 21 janvier
1961, MAE, série Afrique-Levant, Congo, carton 47. Jeune journaliste français de
28 ans, Jacques Duchemin occupe ensuite les fonctions de conseiller militaire puis
de ministre au Katanga.
3. Romain Pasteger, Le visage des Affreux, Bruxelles, éditions Labor, 2005, 229 p. À
l’automne 1960, le gouvernement belge ne reconnaissait qu’une centaine d’officiers
et sous-officiers belges et 50 sous-officiers de gendarmerie belge pour encadrer les
Katangais (rapport de l’ambassade de France à Bruxelles du 14 septembre 1960,
CADN, ambassade de Bruxelles, 81).

25
Dans l’ombre de Bob Denard

s­urnommés « les Affreux ». L’un d’eux livre l’explication la plus


probable sur cette appellation qui va ensuite désigner l’ensemble
des mercenaires de cette période : « Au retour de […] raids, les
mercenaires de combats de choc arrivaient à E’ville dans un état
physique impressionnant. Les vêtements déchirés […], couverts
de poussière et de cambouis, ils étaient vraiment affreux à voir,
avec leurs crânes rasés, leurs barbes incultes et leurs visages bour-
souflés par les piqûres d’insectes. Les colons et les petits Belges
les appelèrent les Affreux1. » Ils ont bientôt sous leurs ordres près
de 11 000 soldats.
À leur tête, le gouvernement katangais a choisi de recruter un
vétéran français. Formé à l’école des officiers d’active de Saint-
Maixent, le colonel Trinquier a combattu en Indochine où il
s’est aguerri en techniques de guérilla et contre-guérilla dans
les commandos Ponchardier. Remarquable meneur d’hommes,
Trinquier a un caractère bien trempé. Attaché à l’empire colo-
nial, il se montre très volontaire et pragmatique pour assurer la
victoire française. Adjoint du général Massu en Algérie, com-
mandant la 10e division parachutiste (DP), il joue un grand rôle
dans la mise au point du plan de contre-insurrection appliqué
lors de la bataille d’Alger. Il succède ensuite au colonel Bigeard
à la tête du 3e régiment de parachutistes coloniaux. Figure du
combat contre les katibas du FLN, son poids militaire en fait une
excellente recrue pour le Katanga mais sa venue pose également
des problèmes politiques. Malgré le soutien de Pierre Messmer,
alors ministre de la Défense, il doit rapidement renoncer.
Sa caution morale permet toutefois à d’autres officiers légion-
naires et/ou parachutistes de rallier la sécession. Roger Faulques
prend sa place à la tête des Français qui font le choix de partir.
Ancien officier de renseignement du 1er REP au moment de la
bataille d’Alger puis commandant en second du 2e REP, il jouit
également d’une très forte aura. Il peut compter sur un petit

1. Romain Pasteger, Le Visage des Affreux, op. cit., p. 79.

26
Du Katanga au Biafra, au cœur des guerres africaines

groupe de fidèles : les lieutenants Répagnol et Tony de Saint-Paul,


les capitaines La Bourdonnaye-Montluc, Lasimone et de Clary,
le commandant Eggé, le lieutenant-colonel Toupet-Thomas… À
Kolwezi, le centre d’instruction pour les para-commandos katan-
gais est également confié à un Français, le lieutenant Badaire,
ancien du 11e choc. Faulques et ses hommes exercent des fonc-
tions de premier plan, de la mise sur pied des brigades katangaises
à celle d’une cellule de guerre psychologique. Toutefois, ce pre-
mier contingent français demeure limité. De mars à novembre
1961, l’effectif mercenaire venu de l’Hexagone n’excède pas une
vingtaine d’hommes.

Face aux troupes onusiennes

Dès l’automne 1960, l’Armée nationale congolaise (ANC) se


lance à l’attaque du Katanga et pénètre dans le nord de la pro-
vince où elle peut compter sur l’appui des tribus Balubas1. Sous le
commandement d’une quinzaine de soldats de fortune, un déta-
chement de la gendarmerie katangaise arrête l’offensive des forces
gouvernementales ; le front se stabilise à proximité de la fron-
tière du nouvel État. Ainsi, à peine nées, les troupes sécession-
nistes montrent leur capacité à tenir tête à celles de Léopoldville.
Toutefois, les milices tribales Balubas sont maîtresses de la zone,
en dehors des agglomérations tenues par la Gendarmerie katan-
gaise. Pour la viabilité du nouvel État, cette guérilla doit être
réduite, tandis que les accrochages avec les forces gouvernemen-
tales se multiplient. La situation militaire évolue ensuite en raison
de l’implication de la communauté internationale.

1. Également appelées Lubas, ces tribus sont sans doute installées dans la région du
lac Kisale depuis le iiie ou ive siècle de notre ère. Elles sont aujourd’hui présentes dans
tout le Katanga et dans le sud du Kasaï. Réputés guerriers, les Balubas sont souvent
utilisés comme main-d’œuvre minière par les Belges pendant la colonisation et en
partie décimés par les mauvais traitements.

27
Dans l’ombre de Bob Denard

L’ONU condamne la constitution d’une armée katan-


gaise et défend la souveraineté de Léopoldville sur la province
­sécessionniste. Des Casques bleus sont envoyés au Congo selon
une résolution adoptée en février 19611. Comme une offensive
conduite par les « Affreux » permet la reprise de Luena, Bukama
puis Manono, les 5 000 Casques bleus déployés dans la région
déclenchent l’opération « Rumpunch » dont l’objectif principal
est de capturer les personnels militaires étrangers au service du
Katanga. Sur 442 personnels étrangers identifiés par les repré-
sentants de l’ONU, 273 sont arrêtés et expulsés vers leur pays
d’origine : 144 sont des militaires de carrière belges et 113 des
mercenaires2. Pour achever ce travail, il faut s’emparer de l’état-
major du Katanga à Élisabethville. Le 28 août, à cinq heures
du matin, des troupes indiennes et suédoises des Nations unies
prennent position sur l’aéroport et investissent le central télé-
phonique de la ville.
Pour défendre Élisabethville, Faulques est à la manœuvre.
Il peut compter sur un millier de gendarmes katangais, tou-
jours encadrés par les mercenaires européens. Les troupes onu-
siennes rencontrent plus d’opposition qu’elles ne l’avaient ima-
giné. Une compagnie irlandaise est repoussée par les « chiens de
guerre » à Radio-Collège. Encerclés dans une villa, 24 d’entre
eux rendent leurs armes face à un groupe commandé par Tony
de Saint-Paul et Bob Denard. Celui-ci se souvient des com-
bats : « Le 19 septembre au soir, les combats reprennent de plus
belle. Des Indiens […] se mettent à tirailler sur les façades des
maisons. Peu après, une unité tshombiste se lance à l’assaut des
Gurkha qui tiennent la poste. Ces derniers ne cèdent pas un
pouce de terrain, malgré la débauche de mortiers, de roquettes
et de rafales de mitrailleuses lourdes qui accompagnent le
concert des armes légères dont, comme toujours, les Katangais
1. Résolution du Conseil de sécurité de l’ONU n° 161 du 21 février 1961.
2. Rapport de l’officier général en charge de l’opération des Nations unies au Congo,
S/4940 du 14 septembre 1961.

28
Du Katanga au Biafra, au cœur des guerres africaines

usent sans aucune modération. Au matin du 20 septembre,


la presque totalité du millier de gendarmes katangais a gagné
la brousse qui enserre la ville, abandonnée aux Onusiens1. »
À Jadotville, la gendarmerie assiège les Irlandais retranchés
dans un bâtiment public ; 174 d’entre eux sont capturés par les
forces katangaises.
Pendant que les combats font rage dans les principales villes
du Katanga intervient un événement qui donne une résonance
mondiale à la bataille. Dans la nuit du 17 au 18 septembre, le
secrétaire général de l’ONU Dag Hammarskjöld trouve la mort
dans le crash de son avion. Les raisons de l’accident restent encore
floues. Le rapport officiel conclut prudemment à l’ac­cident2.
Selon Jacques Duchemin, Tshombé avait donné l’ordre à Robert
Gheysels, un jeune lieutenant belge, de capturer le secrétaire
général. Infiltré au sein du service de sécurité de l’ONU, Gheysels
serait parvenu à monter à bord de l’appareil qui a pour destination
Ndola pour une négociation avec Tshombé. Dag Hammarskjöld
ayant donné l’ordre de faire demi-tour au moment de l’atterris-
sage, Gheysels aurait voulu faire pression sur le pilote et aurait
tiré3. Dans les décombres, un cadavre aurait, en effet, été retrouvé
touché par une balle. Un cessez-le-feu est signé mais l’ONU est
décidée à en finir avec cette province katangaise qui défie l’ordre
international. En attendant, la figure du mercenaire contempo-
rain, capable d’enrayer l’ordre voulu par la gouvernance mon-
diale, est née.
Moïse Tshombé cède alors aux injonctions de l’émissaire de
l’ONU et annonce dans une émission radiodiffusée que son gou-

1. Pierre Lunel, Bob Denard, le roi de fortune, Paris, R. Laffont, 1998, 436 p.
2. Report of the Commission on the accident involving aircraft SE-BDY presented to
the Federal Assembly of Rhodesia and Nyasaland, Archives diplomatiques du royaume
de Belgique, carton 14 662. Sur cet événement, voir l’excellent travail de Susan
Williams, Who killed Hammarskjöld ? The UN, the Cold War and White Supremacy in
Africa, London, C. Hurst & Co Publishers, 2011, 256 p.
3. Jacques Le Bailly, Notre guerre au Katanga, Paris, La Pensée moderne, 1963,
159 p. Version confirmée lors de notre entretien le 14 mai 2013.

29
Dans l’ombre de Bob Denard

vernement approuve l’évacuation du personnel militaire étranger


et a mis fin aux services de tous les étrangers dans les rangs de ses
forces. En attendant, un règlement diplomatique est retardé par
la mort du secrétaire général, la situation militaire est gelée ; les
forces onusiennes quittent Élisabethville.

Les mercenaires arc-boutés sur la défense du Katanga

Dans le camp adverse, le répit est utilisé pour faire venir de


nouveaux soldats de fortune. Une seconde offensive de l’ONU
est lancée le 5 décembre. Cette seconde bataille du Katanga se
déroule jusqu’au 21 décembre 1961. Fortes de l’expérience
de septembre, les troupes onusiennes décident d’une attaque
aérienne sur les positions ennemies avant de marcher sur la ville.
Tandis que les Gurkha du général Raja donnent l’assaut à un bar-
rage routier katangais, l’aviation onusienne cloue définitivement
au sol les Fouga Magister katangais sur leur base de Kolwezi. Du
5 au 11 décembre, les Casques bleus réduisent au mortier la résis-
tance ennemie et opèrent désormais des frappes aériennes sur le
centre d’Élisabethville. La gendarmerie katangaise oppose pour-
tant une vive résistance. Le 15, seule la moitié de la ville est tom-
bée aux mains des forces de l’ONU qui n’arrivent plus à pro-
gresser, comme le rappelle Bob Denard : « Matraqués par mes
mortiers, mitraillés par les armes lourdes des gendarmes, tirés
comme des lapins par les groupes d’assaut activés par Faulques,
les Casques bleus finissent par ne plus se risquer dans les larges
avenues de la ville1. »
Mais l’aviation onusienne coupe les moyens logistiques de
son ennemi en bombardant ses réserves de carburant et les voies
de chemin de fer. Tandis que le camp Massart, où se trouvent
les forces katangaises, fait encore l’objet d’une défense acharnée,
le siège de l’Union minière du Haut-Katanga, lieu symbolique,

1. Pierre Lunel, Bob Denard, le roi de fortune, op. cit., p. 124.

30
Du Katanga au Biafra, au cœur des guerres africaines

tombe le 19. Tshombé préfère signer une trêve le 21 décembre à


Kitona. À la fin du mois de décembre, les Casques bleus ont tota-
lement pris le contrôle d’Élisabethville et la majorité des merce-
naires étrangers se sont enfuis en Rhodésie du Nord.
Au cours de l’année 1962, chargés par Faulques de la défense
des différents districts du Katanga, les « Affreux » sont tous de
retour grâce au soutien de la Belgique. Ainsi, Bob Denard s’est
installé à Kamina à la tête de l’unité « Bison » ; Jean Schramme
et ses commandos « Léopard » à Albertville ; Christian Tavernier
couvre la province du Nord. Une nouvelle campagne militaire est
nécessaire. Sans être de forte intensité, les combats se traduisent
par des accrochages réguliers avec l’ANC et les troupes onu-
siennes. Les forces katangaises perdent régulièrement des hommes
(4 morts dans les combats du 22 août 1962 par exemple1). Cette
troisième bataille du Katanga se déroule du 28 décembre 1962
au 21 janvier 1963. Le premier jour, les Casques bleus pénètrent
dans Élisabethville en profitant de leur supériorité numérique. Le
lendemain, ils sont maîtres de toute la ville.
Après s’être également retirés de Jadotville le 3 janvier 1963,
les mercenaires assurent la défense de Kolwezi où s’est réfugié
le gouvernement de Tshombé. Le président katangais ne veut
pas capituler et, en dernière extrémité, appelle à une guerre
totale. Finalement, le 18 janvier, il doit proclamer sa reddition.
Les « Affreux » menacent de faire sauter les grandes installations
hydroélectriques. Tshombé les en dissuade et obtient de l’ONU
la possibilité pour ce qui reste des forces katangaises de faire
retraite vers la frontière angolaise. Jean Schramme et Bob Denard
commandent une centaine de mercenaires et plusieurs milliers
de gendarmes katangais. Ils reçoivent l’autorisation des autorités
portugaises de se réfugier en Angola, où ils constitueront par la

1. L’Avis à la population par l’état-major du secteur de Kamina des forces armées du


Katanga signale la mort au combat le 22 août 1962 de 5 hommes : un officier, trois
sous-officiers et un soldat (archives privées Bob Denard, carton 51).

31
Dans l’ombre de Bob Denard

suite une réserve de troupes mobilisables pour intervenir à nou-


veau au Congo.

Le Yémen, la parenthèse congolaise

En 1963-1964, le groupe de mercenaires français qui s’est


constitué au Katanga demeure mobilisé. Une petite équipe est
dépêchée au Yémen.

Une équipe française dans une nouvelle guerre civile

Le 18 septembre 1962, l’imam Ahmad ben Yahya, roi chiite du


Yémen, meurt dans son sommeil. Son fils aîné, Al-Badr, monte
sur le trône. Cependant, un coup d’État le renverse. Organisé par
de jeunes officiers nassériens, il donne naissance à la République
arabe du Yémen (également désignée sous le nom de Yémen
du Nord). L’Arabie saoudite voisine s’inquiète du rôle pris par
l’Égypte dans ce changement de régime. Elle décide d’appor-
ter son soutien aux troupes royalistes. Chassés de Sanaa, celles-
ci tentent de reconquérir le pouvoir. La guerre civile qui éclate va
se prolonger durant près d’une décennie. Les partisans d’Al-Badr
peuvent compter sur l’appui logistique et financier de la Jordanie
mais surtout de l’­Arabie saoudite et de la Grande-Bretagne, instal-
lée au sud du Yémen (Aden notamment). Or, les Égyptiens aident
également à la création d’une Armée de libération nationale qui se
donne pour objectif de chasser les Britanniques du pays.
L’initiateur de l’envoi d’un petit corps d’une trentaine de
combat­tants est l’une des figures du mercenariat, Tony de Saint-
Paul. Il contacte Bob Denard qu’il a fréquenté au Katanga.
Finalement, un accord est trouvé. Une équipe de 17 hommes est
dépêchée auprès des forces royalistes1. Elle a pour ­mission d’ins-
1. Archives privées Bob Denard, carton 78. Les hommes sont Roger Bracco, Bob
Denard, Karl Coucke, Marcel Dosquet, Charles Gardien, Jacques Garceneau, Henri
van Ghyssegem, François Hetzlen, Maury, Georges Le Naour, Charles Rascar, René

32
Du Katanga au Biafra, au cœur des guerres africaines

truire secrètement les guerriers jugés archaïques de la royauté


yéménite. L’opération est financée par les services britanniques.
En fait, lorsqu’on suit le récit que donne Bob Denard dans ses
différents mémoires, les Français semblent les principaux acteurs
de cette mission d’expertise auprès des combattants qui affrontent
les 40 000 soldats envoyés par Nasser pour appuyer les forces
républicaines. L’effectif franco-belge ne dépasse pourtant jamais
la trentaine d’hommes.

Un contexte défavorable aux mercenaires français

En réalité, le rôle essentiel revient aux Britanniques. Véritables


maîtres d’œuvre de cette intervention, ils sont passés sous silence
ou minimisés dans les différents récits qu’a pu faire Bob Denard
des événements. Ainsi, le colonel du SAS Johnny Cooper appa-
raît comme un simple « radio anglais », tandis que le colonel
David Smiley n’est cité qu’une seule fois. De l’été 1963 à l’au-
tomne 1964, des mercenaires français conseillent et combattent
aux côtés des zaydites. Ils sont rattachés à la 1re armée royaliste.
Installé au camp d’entraînement d’El-Khandjer, aux portes
des déserts du Djouf Rud al-Khali, le groupe reçoit des nouveaux
compagnons d’armes. Parmi eux, les plus illustres sont Jean Kay
et Louis Martin dit « Loulou » dont la carrière s’est construite de
faits d’armes en faits d’armes, des maquis bretons à Diên Biên
Phu et l’Algérie. En novembre 1963, les mercenaires essuient
une attaque des forces républicaines qui bénéficient d’un appui
aérien contre El-Khandjer. Le mois suivant, ils se divisent en trois
équipes. Sept hommes restent au camp sous les ordres de Roger
Bracco. Au nord, Tony de Saint-Paul commande un second
groupe dans les Kwolands. Alors que cette région devait concen-
trer les principaux effectifs royalistes en vue d’une reconquête, elle

Régnier, Marc Robbyn, Rouppe, Tony de Saint-Paul, Freddy Thielemans, Tupet. Il


faudrait leur ajouter Louis-Honorat de Condé.

33
Dans l’ombre de Bob Denard

se trouve sans ligne de communication après la prise de contrôle


de l’axe Beihane-Marib-Shabwa par les républicains. Installée
à Nékoub, une troisième sous les ordres de Freddy Thielemans
constitue l’équipe de liaison et assure les transmissions depuis
Nouqoûb (au sud de Marib).
Décidés à mener une guérilla sans merci aux républicains et
aux Égyptiens, les mercenaires tâchent de couper leurs moyens
de communications et leur logistique par des coups de main dans
le Djouf et de tenir autour de bastions dans les régions les plus
montagneuses. Tony de Saint-Paul écrit à l’un de ses amis en
France : « Je ne m’étendrai pas sur mes activités. Elles sont nom-
breuses […]. J’ai relancé la guérilla à ma façon et ça pète de tous
côtés, mines, pièges, embuscades, voire attentat à Sanaa. Bien sûr,
on ne parle pas du Yémen en Europe. Pourtant ici il y aurait de
quoi remplir les colonnes d’un canard difficile. » L’ancien lieute-
nant de l’armée française témoigne de l’importance donnée par
leurs ennemis à cette poignée de « chiens de guerre » : « Ma tête
chez les Égyptiens est passée de cinq cents dollars à dix mille.
J’espère qu’elle montera encore. Preuve du bien que je leur pro-
digue1. » Leur action est d’ailleurs saluée par le New York Herald
Tribune : « Les royalistes ont recruté de trente à cinquante merce-
naires européens qui les ont aidés à former des groupes efficaces
au combat. Ces vétérans d’autres guerres ont probablement fait
la différence entre un effondrement complet du front royaliste et
une situation qui les voit contrôler une partie du pays avec des
points très forts2. »
Pourtant, dans un climat très hostile, marqués par les épidé-
mies, les mercenaires se découragent peu à peu. Ce sentiment est
accentué par la conviction que les royalistes ne souhaitent pas
vraiment la victoire mais sont prêts à s’entendre avec les chefs

1. Copie dactylographiée d’une lettre du 12 décembre 1963, archives privées Bob


Denard, carton 78.
2. Article du 4 août 1964 cité par Michel Klen, L’odyssée des mercenaires, Paris,
Ellipses, 2009, 331 p.

34
Du Katanga au Biafra, au cœur des guerres africaines

de tribus du camp républicain contre une forte indemnité. Tony


de Saint-Paul écrit dans la même lettre : « La vie que je mène est
dure, très dure. » Quelques jours plus tard, le 22 décembre, il
succombe dans un bombardement : « La chasse ennemie arrive
brusquement. Stamboul [pseudonyme de Saint-Paul] et Karl
[Coucke] courent vers les montagnes. Soudain, trois bombar-
diers. Karl plonge d’instinct. Stamboul, lui, hésite une seconde.
La bombe explose, l’arrache du sol. Son corps retombe en sang
[…]. Un an plus tard, sa dépouille rejoindra El-Khandjer à dos de
chameau et de là, l’Europe1. » Pendant ce temps, ses compagnons
d’armes continuent coûte que coûte à mener la lutte dans le nord
et l’est du Yémen. Pourtant, l’usure physique et morale rend plus
troublantes les sirènes de contrats dans une région bien connue et
moins rude comme le Congo.

Retour en RDC : du service tshombiste à Bukavu

Les « Affreux » sont de retour en RDC à l’automne 1964.


Cette réapparition traduit l’échec de l’ONU à pacifier le Congo ;
les Casques bleus ont quitté le pays le 30 juin 1964. Cette fois-ci,
ils sont au service du pouvoir central où Moïse Tshombé occupe
la place de Premier ministre depuis le 10 juillet. Même s’il est
démis de ces fonctions un an plus tard par le président Kasa-
Vubu, Tshombé demeure une figure de premier plan de la vie
politique du pays. Chrétien, pro-occidental, il incarne aussi une
forme de nationalisme. Resté dans un premier temps au Yémen,
Denard lui écrit : « Je tiens à vous assurer combien je regrette de
ne pas pouvoir être parmi vos combattants actuels mais l’opé-
ration à laquelle je participe n’est pas terminée2. » Il rejoindra le
Congo le 22 février 1965 ; ses compagnons d’armes sont mis à

1. Pierre Lunel, Bob Denard, le roi de fortune, op. cit., p. 250.


2. Lettre de Bob Denard à Moïse Tshombé du 1er décembre 1964, archives privées
Bob Denard, carton 78.

35
Dans l’ombre de Bob Denard

la disposition de l’Armée nationale congolaise sous les ordres du


général Mobutu.

Contre la révolte mulétiste

Au moment où Bruxelles tente de trouver un compromis entre


Kinshasa et les Simbas, des partisans de Pierre Mulélé, ancien
ministre de Lumumba, prennent les armes au Kwilu et proposent
leur appui aux Simbas. Ainsi, combat politique et affrontements
interethniques se mêlent pour accélérer la déstabilisation de la
RDC. Les insurgés attaquent et pillent les postes administratifs et
tuent des fonctionnaires. Les Blancs de la région, missionnaires
ou coopérants, sont systématiquement retenus comme otages1.
Tshombé est alors persuadé que le processus diplomatique doit
céder la place à une solution militaire. Alors que la rébellion est
maître de presque la moitié du pays, il fait appel aux mercenaires
(voir carte page 440). Les mulétistes peuvent compter sur l’appui
du bloc de l’Est. Ils reçoivent des armes transportées par des car-
gos chinois jusqu’à Zanzibar avant de transiter par Dar es-Salaam
et d’être acheminées par le chemin de fer de Tanzanie à Kigoma
et d’être livrées au Kivu par le lac Tanganyika.
Les soldats de fortune sont acheminés sur la base de Kamina au
nord du Katanga où un camp d’entraînement est organisé dans
le but de former la 5e brigade motorisée dirigée par le colonel
belge Vandewalle. Elle comprend les 5e et 6e commandos étran-
gers sous les ordres du colonel belge Lamouline. Anglophone,
le 5e codo est dirigé par Mike Hoare et presque exclusivement
formé de Sud-Africains (250 à 300 hommes). Le 6e codo franco-
phone est une unité à majorité belge constituée de mercenaires
et d’unités de l’Armée nationale congolaise, dont les meilleures
troupes sont katangaises. L’encadrement de l’ensemble est formé
1. Provoquant l’émoi et de lourdes procédures d’indemnisations pour les victimes
civiles belges au Congo (dossier « Situation des Belges au Congo », CADN, ambassade
de Bruxelles, 81).

36
Du Katanga au Biafra, au cœur des guerres africaines

par l’assistance technique belge qui assure également le soutien


logistique et aérien.
Finalement, la progression des Simbas est stoppée par deux
opérations militaires. La première intitulée « Dragon rouge »
désigne le parachutage de troupes belges sur Stanleyville le
24 novembre 1964. Il s’agit d’une intervention étatique mais
elle va donner lieu à des passages vers le mercenariat. En effet,
elle est coordonnée avec une opération terrestre de la 5e brigade
mécanisée, l’Ommegang. Sous le commandement du colonel
belge Vandewalle, « volontaires étrangers » et gendarmes katan-
gais sont partis le 1er novembre de Kamina à la reconquête des
zones rebelles. Les colonnes de l’Ommegang parcourent 1 500
kilomètres, libérant de nombreuses localités où des Européens
étaient retenus en otage, notamment à Kindu le 5 novembre et
à Punia le 20. Ils entrent dans Stanleyville quelques heures après
les troupes régulières belges. Cet épisode de l’Ommegang est par-
ticulièrement important pour le basculement vers le mercenariat
de certains Belges. En effet, la marche sur Stanleyville mêle sol-
dats réguliers belges mis à la disposition du gouvernement congo-
lais (ATM – Assistance technique militaire) et « chiens de guerre ».
La porosité entre les deux statuts va s’accroître au fil du temps.
Si la double opération est un plein succès, elle ne ramène
cependant pas le calme. Dès que l’Ommegang a quitté une loca-
lité, aucune administration ne prend le relais et la guérilla Simba
continue de menacer de vastes zones. Moïse Tshombé comprend
qu’il faut mettre sur pied un vaste plan de pacification, à l’instar
de ce qui avait été fait par les mercenaires au Katanga lorsqu’il en
était président. Pressenti pour cette mission, Bob Denard obtient
de créer le 1er choc, un groupe dont le commandement serait
autonome et dont le recrutement lui reviendrait. Dans le même
temps, au début du mois de février 1965, les meilleurs éléments
du 6e codo connaissent un sérieux revers. Lors d’une embus-
cade bien montée par les Simbas à Bafwasende, les mercenaires
comptent dans leurs rangs de nombreux morts et blessés.

37
Dans l’ombre de Bob Denard

À partir du 23 mars, l’opération « Yangambi » est lancée. Une


descente par voie fluviale doit permettre de reprendre la ville
située à une centaine de kilomètres de Stanleyville. Les Simbas y
empêchent tout passage de ravitaillement par le fleuve Congo de
Léopoldville. Constitué d’une trentaine de mercenaires, le 1er choc
se lance ensuite depuis Paulis dans une offensive sur Wamba qui
tombe entre leurs mains le 13 avril. À partir du 26 mai 1965,
l’opération « Violettes impériales » a pour objectif la libération de
nombreux ressortissants européens pris en otage par les rebelles
dans la région de Buta. Tandis que les Sud-Africains marchent sur
la ville par l’ouest, le 1er choc arrive par l’est.

Commandée par Bob Denard, la colonne de jeeps et de


camions est surprise par des embuscades à plusieurs reprises,
comme le 28 mai à mi-chemin entre Paulis et Buta : « La vol-
tige avance des deux côtés de la route. À peine arrivé au pont
qui fumait encore, un déluge de feu se déclenche sur toute la
longueur de Charly One [1re partie de la colonne]. En avant la
voltige est clouée au sol avec morts et blessés. Bruni hurle pour
avoir un mortier. 100 mètres en arrière de la voltige, les deux pre-
mières jeeps sont bazookées. Les corps des tireurs et chauffeurs
qui étaient soit bloqués vers l’avant où soit tombés au sol perdent
leur sang. Avec la voltige restante, nous avons pris position de
l’autre côté du pont en jouant les funambules sur les poutres de
fer […]. Nous avons progressé un peu plus vers le village de Poko
distant du pont de 2 kilomètres et pour permettre à une équipe
de réparer le pont pour faire passer la colonne. Le premier véhi-
cule que nous avons fait passer, c’est la jeep de Janssens et le 75
SR. Il a arrosé certains points pour faire taire les Simbas encore
tenaces1. » Le 3 juin, le 1er choc entre dans Buta, bientôt rejoint
par les Sud-Africains.

1. Récit de Jean-Claude Lapontérique pour le travail collectif Journal de marche du


1er choc en cours d’écriture à l’initiative d’Henri Clément.

38
Du Katanga au Biafra, au cœur des guerres africaines

Les semaines qui suivent sont consacrées à la reprise de contrôle


de la région et à la libération de nombreux otages. Pierre Chassin
se souvient : « Toutes les nuits, nous quittons la mission vers
3 heures du matin. Un camion nous dépose loin dans la forêt,
parfois à plus de 90 km de notre base et nous nous enfonçons sur
les traces d’un guide dans la jungle. Ces coups de main sont brefs,
quelquefois couronnés de faciles succès, parfois sanglants. Nous
capturons ainsi un major rebelle, le frère de Makondo. Puis nous
découvrons des caches contenant des obus de mortier chinois,
[…] mais nous n’arrivons toujours pas à trouver trace des reli-
gieuses qui ont été enlevées1. » La pacification se poursuit durant
l’été et l’automne.
En récompense des bons résultats obtenus par le 1er choc,
Bob Denard est nommé major le 1er juillet 1965 ; il passera
lieutenant-colonel le 1er mai 1966. Le 24 novembre, le général
Mobutu prend le pouvoir par coup d’État, conserve les étrangers
pour encadrer l’ANC mais écarte l’Assistance technique belge.
Mécontent de cette nouvelle situation, Mike Hoare quitte le
Congo et est remplacé par Peeters à la tête des 300 Sud-Africains.
Comme les officiers belges repartent vers Bruxelles, Bob Denard
prend le comman­dement du 6e codo (environ 500 mercenaires
au total). À côté des 5e et 6e codo, un 10e codo s’organise sous le
commandement du Belge Jean Schramme.

De la révolte des gendarmes katangais à la rébellion mercenaire

En 1966, un soulèvement des gendarmes katangais à


Kisangani oblige les mercenaires à choisir entre la fidélité au
régime de Mobutu et cette troupe avec laquelle ils ont, pour une
bonne part d’entre eux, combattu quelques années auparavant.
La révolte s’explique par plusieurs facteurs. L’élément déclen-
cheur est la volonté affichée par leur chef, le colonel Tsatshi (chef

1. Pierre Chassin, Baroud pour une autre vie, Paris, Jean Picollec, 2000, 363 p.

39
Dans l’ombre de Bob Denard

de l’ANC dans la région de Kisangani ex-Stanleyville) de réta-


blir l’ordre dans sa troupe caractérisée par des bagarres, de l’insu-
bordination, et des escroqueries. Mais comptent é­ga­lement les
frustrations de ces combattants. Ils sont isolés au sein de l’ANC
et ont l’impression d’être moins bien traités (notamment en
termes d’avancement ou de régularité dans le versement de leur
solde). Enfin, l’attachement à la cause tshombiste doit également
être évoqué. Les mercenaires européens présents dans la région
rejoignent les mutins. Le colonel Tsatshi est tué et ses hommes
se replient. Tandis que les mercenaires ayant suivi les Katangais
sont discrètement exfiltrés, Denard et Schramme stoppent les
Katangais révoltés et obtiennent la reddition du colonel Tshipola
qui a pris la tête du mouvement. L’officier français et son com-
pagnon d’armes belge empêchent ainsi que le phénomène fasse
tache d’huile et ne mette en péril le pouvoir de Mobutu et l’unité
retrouvée du pays.
Pourtant, la bonne entente entre Denard et le chef d’État
congolais se dégrade. Le premier s’aperçoit par exemple qu’au sein
des unités mercenaires systématiquement accompagnées par des
soldats de l’ANC, les radios congolais communiquent en morse
avec l’état-major congolais doublant ainsi la chaîne de comman-
dement de Bob. Bientôt, à l’initiative de Jean Schramme, l’en-
semble des soldats de fortune se retourne contre le nouveau chef
d’État. Cette fois, le Belge et Bob Denard prennent tous deux la
tête de la révolte : « Le 4 juillet 1967, vers 20 heures, deux jeeps
arrivèrent sous la pluie à mon PC. À bord de l’une d’elles, Denard
qui me prit aussitôt à l’écart et me mit pour la première fois au
courant des événements qui allaient se déclencher1. » Schramme
lance l’offensive sur Kisangani la nuit suivante avec 300 hommes.
Denard doit s’emparer du terrain d’aviation, tandis qu’au lever
du jour des renforts venant d’Angola et de Rhodésie sont cen-

1. Hubert Pinaton, Compte rendu de monsieur Hubert Pinaton sur son séjour au
Congo-Kinshasa, mémoires manuscrits, 74 p.

40
Du Katanga au Biafra, au cœur des guerres africaines

sés arriver. Les mercenaires comptent sur le ralliement des autres


bataillons katangais et de la population de la région.
Cependant l’opération souffre d’une trop grande imprépa-
ration. Les mercenaires restés à Kinshasa n’ont pas été mis au
courant, pas plus que la plupart des unités mobiles du 6e com-
mando réparties sur l’ensemble du territoire congolais. Cette
légèreté ou ce choix opéré en conscience par les chefs insurgés les
condamne à une mort très probable. Dans un récit très accablant
pour Jean Schramme, Pinaton rapporte le déroulement des pre-
miers combats­ : « Schramme n’était arrivé le 5 juillet qu’avec 70
hommes au lieu de 300 prévus et avec trois heures de retard. Que
son attaque s’était déroulée au camp Kétélé pendant la cérémonie
des couleurs avec une complète surprise mais qu’il avait ignoré
un second camp à 3 kilomètres du premier. C’est d’ailleurs de ce
camp que partit un tir de mortier qui fit mouche sur le camion de
munitions de Schramme […]. Schramme est installé en défensive
au lieu d’attaquer à la sortie de Kisangani en direction de Punia.
Il ne quittera jamais cette position sauf pour la grande sortie. Il
n’est jamais venu nous voir sur nos propres positions. La situation
ne me paraît pas alors encourageante. »
Dans le même temps, Bob Denard est touché à la tête par
une balle le 6 juillet. Il continue tout d’abord d’exercer son com-
mandement. Le soir, il doit faire face à l’attaque de l’ANC contre
l’aéro­port de Kisangani. Des rotations aériennes ont déjà permis
de ramener des hommes sous les ordres de Karl Coucke à Bondo
et d’autres à Buta. Grâce à ces renforts, il peut garder le contrôle
de l’aérodrome, vital pour la coordination et le soutien des dif-
férents corps mercenaires. L’offensive des forces congolaises est
repoussée et seul un des quatre DC3 aux mains des hommes de
Denard est détruit. Peu à peu gagné par la paralysie, celui-ci réa-
lise la gravité de sa blessure et est évacué vers la Rhodésie. Avant
son départ, il donne l’ordre à ses troupes de se placer sous le com-
mandement de Schramme : « J’appris alors la blessure et l’évacua-
tion de BD et l’on me remit une lettre personnelle de lui par

41
Dans l’ombre de Bob Denard

laquelle il passait le commandement à Schramme et que ce der-


nier devait être obéi en tous points1. » Schramme ne parvient pas
à conserver Kisangani.

Bukavu : l’impossible défense d’un « État mercenaire »

Poussé par de nombreux cadres belges, il décroche et envi-


sage dans un premier temps de marcher sur Punia ou Goma.
Finalement, à la fin du mois de juillet, il arrête son choix sur
Bukavu, station balnéaire sur le lac Kivu et frontalière du
Rwanda. Prise par un groupe mercenaire sous les ordres de Noël
au début de la révolte, elle a été laissée à l’ANC par ceux-ci quand
ils sont partis soutenir Schramme. L’objectif est de transformer
la ville en camp retranché à partir duquel, avec de nouveaux ren-
forts, les mercenaires pourraient opérer la reconquête du Congo.
Schramme et Noël entrent dans Bukavu le 7 août. À la tête d’en-
viron 1 750 combattants, environ 200 mercenaires doivent tenir
tête aux 15 000 hommes de l’ANC2. Parmi eux, les meilleures­
troupes de Mobutu sont en première ligne, à l’instar du 3e
ba­taillon de commandos-parachutistes. Bukavu largement vidée
de ses habitants, les soldats privés y trouvent des banques emplies
d’or et des réserves de nourriture suffisamment importantes pour
envisager d’attendre d’être secourus. Au début du mois de sep-
tembre, Bob Denard sort de l’hôpital à Salisbury et doit organiser
une contre-offensive pour desserrer l’étau sur Bukavu.
Tandis que Schramme a proclamé un gouvernement de salut
public dirigé par le colonel Léonard Monga, signe de sa volonté
de faire de son réduit un « État mercenaire », Denard passe en
Angola pour recruter de nouveaux combattants. Il réunit 110
cadres et 300 gendarmes katangais pour l’attaque de diversion.

1. Extraits d’Hubert Pinaton, Compte rendu, op. cit., p. 7.


2. Chiffres donnés par un rapport sur la situation au Congo de l’ambassadeur de
France en Belgique, Étienne de Crouy-Chanel du 25 août 1967, CADN, ambassade
de Bruxelles, 82.

42
Du Katanga au Biafra, au cœur des guerres africaines

Il est notamment accompagné de Jean-René Souêtre, ancien offi-


cier des commandos de l’Air. L’opération « Lucifer » est lancée le
5 novembre : la troupe doit remonter le Katanga en venant du sud.
Trois groupes se lancent à l’assaut de Dilolo, Kasagi et Kolwezi.
Le 1er peloton échappe de peu à l’anéantissement. À la tête du 2e,
d’Hulster s’empare de Kasagi, tenue par 1 500 soldats de l’ANC,
avec seulement une centaine d’hommes. Le 3e est repoussé par
des tirs de mortier et se replie sur Kasagi. L’opération de diversion
soulève l’espoir des Européens assiégés dans Bukavu : « Les nou-
velles du Sud redonnent confiance mais l’action qui doit inter-
venir là-bas apparaît bientôt comme la seule planche de salut.
On attend Denard comme le Messie et son opération comme
le débarquement de Normandie1. » Celle-ci rapidement connue,
l’ANC dépêche des forces et des moyens supplémentaires. Resté
avec 29 mercenaires dans Kasagi face à l’assaut des forces congo-
laises, d’Hulster meurt en couvrant la retraite des autres. Les mer-
cenaires refluent vers l’Angola : l’action de Denard est un échec.
À 2 000 kilomètres de là, la résistance dans Bukavu était
de­venue de plus en plus illusoire. Les combats sont d’une grande
intensité. 7 000 soldats congolais tombent au cours de la bataille
contre une centaine d’hommes de son côté. Des sources améri-
caines parlent plutôt de 800 morts parmi les assiégés, es­sen­tiel­
lement des combattants africains2. Le 3 novembre 1967, l’ANC
fait tomber le réduit mercenaire ; Schramme et ses hommes sont
évacués vers le Rwanda3. L’opération d’évacuation des mercenaires
est une preuve de l’importance qu’ils ont prise dans le contexte

1. Note dactylographiée, non signée dont l’auteur est probablement Georges Seren-
Rosso, archives privées Bob Denard, carton 68.
2. Jean Schramme parle de 7 000 morts dans Le Bataillon Léopard. Souvenir d’un
Africain blanc, Paris, Robert Laffont, 1969, 359 p. Les chiffres américains sont repris
par les autorités belges « selon des informations reçues à l’ambassade des États-Unis »
(note du 2 novembre 1967 sur la Situation à Bukavu, Archives diplomatiques du
royaume de Belgique, carton 18 882/IX).
3. Il s’agit de 125 Blancs dont 25 Français et de 925 gendarmes katangais selon
une circulaire du ministère des Affaires étrangères du 15 novembre 1967 (CADN,
ambassade de Bruxelles, 82).

43
Dans l’ombre de Bob Denard

politique et militaire africain. En effet, cette opération est menée


par le CICR après des négociations interétatiques entre Kinshasa
et Kigali mais aussi dans le cadre de l’OUA et de l’ONU. Le
principe général retenu est la participation financière des diffé-
rents États dont des nationaux figurent parmi les mercenaires à
proportion de leur nombre. De nombreux États européens sont
ainsi impliqués dans la question (Belgique, France, Portugal,
Espagne, Italie et Allemagne pour les principaux). Un autre volet
concerne les poursuites juridiques contre les « volontaires étran-
gers » après que Mobutu eut renoncé à obtenir leur extradition
du Rwanda vers le Congo. Officiellement, la condamnation de
l’action des « chiens de guerre » contre le gouvernement congolais
est unanime1.

Le Biafra, terre d’abondance pour les mercenaires

Très rapidement après le reflux de Bukavu, les soldats de for-


tune français sont présents sur un autre théâtre d’opérations, le
Biafra (voir carte page 441). Cette fois, les deux camps en pré-
sence ont recours à des irréguliers étrangers.

Un poids lourd géopolitique de l’Afrique de l’Ouest

Le camp biafrais est soutenu par la France, le Gabon et


l’Afrique du Sud. Il cherche à négocier la fourniture de person-
nels avec différents chefs mercenaires, parmi lesquels le colonel
Faulques et Bob Denard notamment. Lors des négociations pré-
liminaires au cours de l’année 1967, le contrat que Bob Denard
cherche à négocier avec Ojukwu n’aboutit pas. Emmenée par
John Peeters, la concurrence sud-africaine peut encore rallier le
camp biafrais. Finalement, elle fait le choix de l’armée fédérale
1. Sur ces négociations, voir aux Archives diplomatiques du royaume de Belgique,
carton 18 882/VI et 18 882/VII, ainsi que la déclaration du porte-parole des Affaires
étrangères belges le 25 avril 1968 (CADN, ambassade de Bruxelles, 82).

44
Du Katanga au Biafra, au cœur des guerres africaines

avec Mike Hoare à sa tête. Ojukwu s’attire cependant les ser-


vices de l’ancien légionnaire Rolf Steiner ou de l’aviateur suédois
Gustav von Rosen. Le contexte nigérian est complexe ; il résulte
du retrait en 1960 de l’ancienne puissance coloniale, la Grande-
Bretagne, laquelle n’a pas assuré de préparation ou de transition
à l’indépendance. Or, le Nigeria est un pays immense (près de
deux fois la France). Jusque-là, l’appareil économique du pays
était aux mains des Britanniques mais les ressources de son sous-
sol aiguisent les appétits.
Le Nigeria est peuplé de près de 250 ethnies que l’on peut
regrouper en trois groupes. Les Yorubas vivent au sud-ouest ; au
nord, les Haoussas sont majoritaires et de religion musulmane,
et les Ibos vivent au sud-est. Chrétiens, alphabétisés par les mis-
sionnaires, ils occupaient une part prédominante dans l’adminis-
tration coloniale. En outre, le pays des Ibos abrite les mines de
charbon et une partie des ressources pétrolières dont l’exploita-
tion est alors en plein développement. À partir de 1966, la ten-
sion monte entre Ibos et Haoussas. Elle se traduit par une série
de putschs et est marquée par des massacres d’Ibos, en particulier
dans le Nord. Un mercenaire rapporte ainsi le témoignage d’un
émissaire de l’ethnie chrétienne qu’il rencontre au moment de
son engagement : « Voici les rues familières qui d’habitude à cette
heure retentissent des programmes de cha-cha-cha retransmis par
la radio. Des fumées. Un râle de fin du monde, continu, troué
de coups de feu, de cris sauvages et de hurlements d’épouvante.
À l’entrée du quartier, la maison du coiffeur, un ami de mon
père, brûle. La rue principale est jonchée d’épaves, de meubles
brisés, de voitures renversées, de vélos piétinés, de cadavres aussi
qui baignent dans de larges taches brunes1. »

1. Rolf Steiner, Carré rouge, du Biafra au Soudan, le dernier condottiere, Paris,


R. Laffont, 1976, 450 p.

45
Dans l’ombre de Bob Denard

Les mercenaires français au service du Biafra

Ces premiers événements entraînent la fuite massive des Ibos


vers l’est. En 1967, le général haoussa Gowon, qui s’est emparé
du pouvoir par la force quelques mois auparavant, avance l’idée
d’un nouveau découpage administratif. Cette réforme aurait pour
principale conséquence de priver les Ibos de la rente pétrolière.
En effet, des gisements importants sont exploités depuis 1956
dans le pays. Le 30 mai 1967, la zone méridionale de l’Eastern
Region fait donc sécession sous le nom de République du Biafra.
Ce petit territoire de 75 000 km² est peuplé de 14 millions d’ha-
bitants dont 8 millions d’Ibos. Le gouverneur, le colonel Ojukwu
est placé à la tête du nouvel État.
Il peut compter sur les mercenaires français commandés par
Faulques. Ses principaux adjoints sont Picaut d’Assignies, Steiner
et Leroy (alias Maurice Brun). Engagé en 1965 en RDC, blessé,
il est affecté au 5e codo mais refuse de servir sous John Peeters
et rejoint le 6e BCE. Proche de Faulques, il retrouve celui-ci au
Biafra. Arrivés dès janvier 1967, les Français sont chargés d’en-
cadrer les 100 000 soldats de l’armée biafraise. Celle-ci tente de
mener des raids en direction de la capitale Lagos.
Cependant, disposant de moyens matériels importants
(aériens et maritimes également), les 50 000 soldats des troupes
fédérales progressent régulièrement1. Le Biafra ne parvient pas à
conserver le contrôle de ses principales villes. Au début du mois
d’août, le pont d’Onitsha sur la route d’Enugu­, capitale de l’État
nouvellement proclamé, tombe aux mains des troupes du général
Gowon. Lourdement armées, elles se lancent à l’attaque d ­ ’Enugu
pratiquant « des pilonnages de mortier incroyables » ; les merce-
naires et leurs soldats biafrais « ayant creusé leurs trous indivi-

1. Les télégrammes diplomatiques indiquent la fermeture des aéroports et l’arrivée


d’armements sur ceux-ci de façon régulière en juin et juillet 1967. Les livraisons
d’armes les plus importantes semblent venir de Grande-Bretagne (MAE, série
Afrique-Levant, Nigeria, carton 13, dossier 2).

46
Du Katanga au Biafra, au cœur des guerres africaines

duels étaient pratiquement tous blessés à la tête, par éclats, c’était


monstrueux1 ». La ville tombe le 28 septembre 1967 ; cette vic-
toire constitue une portée hautement symbolique pour Lagos.
L’autre étape significative est la prise par l’armée fédérale, le
24 mai 1968, de Port-Harcourt, poumon économique de la
partie sécessionniste avec ses champs pétroliers. Désormais, le
camp d’Ojukwu ne dispose plus de son accès maritime par Port-
Harcourt. Or, celui-ci est stratégique. En effet, il permet le ravi-
taillement du Biafra par l’extérieur. Bob Denard n’est pas engagé
sur le terrain au Biafra mais fait partie des hommes qui assurent
le flux des armes vers les troupes du colonel Ojukwu. À partir
de 1969, après avoir armé un navire baptisé le Mi Cabo Verde, il
opère par voie maritime entre Europe et côtes africaines.
La résistance biafraise continue d’être acharnée : « En dépit de
la disparité des moyens en armes et en munitions, il n’aura pas
fallu moins de 114 jours aux fédéraux pour parcourir les 65 kilo-
mètres qui séparent Port-Harcourt et Aba », s’étonne un diplo-
mate français2. Nouvelle capitale biafraise, Umuahia tombe à
son tour le 22 avril 1969 avant la reddition définitive en janvier
1970. Les mercenaires ne traversent pas l’ensemble du conflit.
L’équipe Faulques se retire la première. Dans ses Mémoires, Bosco
rapporte l’annonce faite par le chef à ses hommes : « Je suis, hélas,
au regret de vous faire savoir que j’ai rompu le contrat qui nous
liait au colonel Ojukwu pour diverses raisons, dont des promesses
non tenues. En conséquence, je démonte l’opération et nous ren-
trons en France. Ceux d’entre vous qui désirent à titre personnel
rester ici me le feront savoir ; je les présenterai moi-même au colo-
nel Ojukwu demain matin3. » Effectivement, certains décident
de continuer à servir le Biafra ; ils sont placés sous les ordres de

1. Témoignage écrit du mercenaire Christian Lefèvre transmis par Pascal Gauchon.


2. Note pour le ministre du 10 septembre 1968, MAE, série Afrique-Levant, Nigeria,
carton 14, dossier 2.
3. Michel Loiseau dit Bosco a laissé ses Mémoires en désordre. Par commodité, la
pagination n’est pas indiquée.

47
Dans l’ombre de Bob Denard

Rolf Steiner. Ils encadrent le 32e commando qui compte envi-


ron un millier de soldats. L’ancien légionnaire est ensuite renvoyé
par Ojkuwu à l’automne 1968. Le conflit se solde par une catas-
trophe humanitaire. Combats et famine tuent plus d’un million
de Biafrais ; des centaines de milliers d’enfants figurent parmi les
victimes. La médiatisation du conflit frappe les opinions occiden-
tales et provoque la multiplication d’actions humanitaires (créa-
tion de Médecins sans Frontières par exemple).
Au début des années 1970, le groupe des mercenaires fran-
çais connaît une dispersion (relative). Aucune opération d’enver-
gure ne se déroule jusqu’en 1975. Bob Denard lui-même rentre
briè­vement dans le Médoc pour prendre la tête d’une conces-
sion automobile. À l’instar d’Hubert Pinaton, certains vétérans
du Congo rejoignent le Gabon où il est question d’organiser une
garde présidentielle pour la protection du nouvel homme fort
du pays, Omar Bongo. D’autres comme Bosco vivent en barou-
deurs. En tout cas, une première période se referme. Au-delà
du récit des opérations, il s’agit de comprendre en quoi elle est
homogène pour le groupe des mercenaires français.
Chapitre 2

« Affreux » ou soldats perdus ?

La période est surtout dominée par le théâtre d’opérations


congolais. Depuis son indépendance en 1960, la RDC est un
laboratoire de nouvelles pratiques militaires. Historiquement
perçu comme un acteur néfaste dans le paysage militaire (depuis
la Révolution française au moins), le mercenaire devient un
« Affreux ». Pour autant, son image est plus ambivalente qu’il n’y
paraît au premier abord. Peut-être est-ce en raison de pratiques,
de savoir-faire et de motivations nouvelles qui ne lui sont pas
habituellement associés.

Comprendre l’autoperception des mercenaires français

La résurgence du phénomène mercenaire s’inscrit à la fois


dans un contexte culturel défavorable sur le temps long de
l’époque contemporaine et, dans le même temps, dans une nou-
velle configuration historique qui rend possible cette renais-
sance. Dans une telle situation, il est difficile pour ces hommes
de se désigner sous l’étiquette de mercenaire. En effet, ils ont
souvent le sentiment que les représentations qu’elle recouvre ne
leur correspondent pas.

49
Dans l’ombre de Bob Denard

Les mercenaires : persistance d’une représentation très négative


dans l’opinion…

Le retour du phénomène des soldats de fortune frappe l’opi-


nion publique. Les reportages sont très nombreux dans les maga-
zines belges mais aussi français, à commencer par Paris-Match.
Les différents épisodes de l’émergence du mercenariat sur le
continent africain au cours de la décennie 1960 sont mis en scène
par les médias européens avec des rebondissements : la sécession
katangaise, les relations entre Tshombé en exil et les irréguliers
européens au service de Mobutu, les rivalités entre Denard et
Schramme,… L’emballement médiatique pour ces hommes aux
rapports parfois ambigus avec le pouvoir politique et avec les
élites économiques nécessite d’ailleurs des précautions les concer-
nant. Ainsi, lors du retour à Bruxelles des hommes de Bukavu
demeurés bloqués plusieurs mois au Rwanda, la consigne de
maintenir le secret sur le lieu d’atterrissage des avions est donnée
par le gouvernement belge pour éviter au maximum la présence
de journalistes1.
Les mercenaires renvoient une image ambivalente. D’une
part, ils incarnent une forme de désordre, de dys­fonc­tion­nement
dans les formes de gouvernance des États nés de la décoloni-
sation. Ils sont des représentants modernes d’une guerre non
réglée, comme pouvaient l’être les grandes compagnies pendant
la guerre de Cent Ans, voire les condottieri à la Renaissance. Cette
face sombre est résumée par la désignation d’« Affreux » donnée
aux mercenaires présents au Katanga en 1960. On les rend volon-
tiers responsables des violences extrêmes qui marquent ce conflit.
Ainsi, les rapports sur les sévices exercés sur les troupes de l’ONU
sous-entendent l’inertie, voire la complicité, des cadres européens
des Katangais : « les membres de l’équipage italien ont été roués

1. On peut notamment retenir à ce sujet le télégramme diplomatique n° 208 de


l’ambassade belge à Kinshasa du 9 avril 1968, Archives diplomatiques du royaume
de Belgique, carton 18 882/VII.

50
« Affreux » ou soldats perdus ?

de coups, traînés jusqu’à des camions et emmenés à la prison de


Kindu où ils ont immédiatement été abattus et coupés en mor-
ceaux par les soldats. Des morceaux de leurs corps ont été distri-
bués parmi la foule […] ; certains morceaux ont été jetés vers des
non-Congolais présents1 ».
L’image des mercenaires fait l’objet de belles envolées journa-
listiques. Ainsi, le New York Herald Tribune du 7 février 1961 les
décrit « indisciplinés, grossiers et généralement ivres ». Elle irrigue
les romans. Largement inspiré par les figures sud-africaines qui
combattent en RDC, l’écrivain rhodésien Wilbur Smith publie
The Dark of the Sun en 1965. Il construit quelques stéréotypes
efficaces : celle de l’ancien alcoolique Mike Haig, du jeune violent
et sadique Wally Hendry… Ancien soldat de la Wehrmacht de
la Seconde Guerre mondiale, Siegfried Müller dirige l’un des
groupes de Mike Hoare à partir de 1962 et se fait remarquer par
les violences qu’il commet en pays Baluba. Il inspire le person-
nage d’Heinlein dans le roman de Wilbur Smith.
La figure contemporaine du mercenaire est sublimée par la lit-
térature et par le cinéma. Ainsi, l’adaptation cinématographique
par Jack Cardiff de The Dark of the Sun intitulée The mercenaries a
été considérée comme l’un des films les plus violents de l’histoire
du cinéma à sa sortie en 1968. Sous ces différentes formes, cette
image pénètre puissamment une large partie de l’opinion. Cela
est facilité par les représentations anciennes déjà très négatives du
mercenaire. Toutefois, le thème redevenu d’actualité connaît des
déclinaisons nombreuses. Serge Reggiani écrit ainsi une chanson
intitulée « Les Affreux » :

« Mercenaires, mercenaires
Les filles et les dollars
Les florins, les roupies
1. Rapport du fonctionnaire chargé de l’opération des Nations unies au Congo,
15 novembre 1961, document ONU S/4940/add.13, CADN, Ambassade de
Kinshasa, 77.

51
Dans l’ombre de Bob Denard

Les pesettes et le pinard


C’est sa seule patrie
À lui qui n’en a guère
C’est sa seule patrie
À lui qui n’en a pas
Mercenaires, mercenaires »

Les mercenaires des années 1960, et plus particulièrement


ceux de la scène congolaise, deviennent ainsi l’objet de présen-
tations caricaturales. Les artistes perçoivent les « Affreux » selon
les poncifs construits depuis la guerre de Cent Ans. L’attrait pour
l’argent, le goût du sexe et de l’alcool sont finalement censés être
des invariants, des caractères prédéterminés au choix du merce-
nariat. On retrouve ces figures de façon récurrente dans les séries
B du cinéma américain des années 1960 et 1970 jusqu’au Dogs
of War de John Irvin en 1980 avec Christopher Walken et Tom
Berenger. Inspiré du roman éponyme de Frederick Forsyth, les
mercenaires reviennent d’Amérique du Sud et se mettent au ser-
vice d’un magnat britannique pour organiser un coup d’État
dans un État africain fictif appelé Zingaro sur fond de contrat
mirifique et d’exploitation minière.
Sans se départir de cette assimilation à une soif d’argent
et d’ambition démesurée, le roman d’anticipation de Mack
Reynolds Mercenary for Tomorrow insiste surtout sur la collusion
entre mercenariat et prise de pouvoir mondial par les multina-
tionales. Sans commenter la pertinence de l’anticipation propo-
sée par cet auteur américain de 1968 très peu connu en Europe,
il convient de relever que Joe Mauser, le « chien de guerre » du
futur, s’élève par sa seule volonté dans la société de castes imagi-
née par l’auteur. De sous-inférieur, il accède à un statut intermé-
diaire dans la hiérarchie sociale. Il rêve alors de devenir un supé-
rieur. Dans ce système, la naissance détermine la position sociale.
Comme l’inactivité est le cadre habituel dans lequel évoluent ces
États-Unis du futur, seuls des conflits armés privés entre entre-

52
« Affreux » ou soldats perdus ?

prises peuvent faire évoluer le statut social. Jeu du cirque pour


toute la population, ces guerres sont régulées par un État cen-
tral très affaibli qui ne conserve plus guère que ce rôle. Pour que
cela ne soit pas complètement destructeur, la règle prévoit que les
seules armes autorisées datent d’avant 1900. Si l’égoïsme de Joe
Mauser est mis en exergue, sa figure n’est pas entièrement néga-
tive ; il aspire notamment à des affrontements sans victimes.

… En opposition avec l’image du mercenaire sauveur

En fait, l’image péjorative du soldat irrégulier qui s’inscrit


dans un schéma dominant depuis la Révolution française n’est ni
univoque ni unanime. Elle se voit opposer une autre image des
« Affreux » que l’on trouve particulièrement dans la presse grand
public en France et en Belgique. Elle n’est pas totalement contra-
dictoire avec la première puisque The Dark of the Sun, dans sa
version littéraire et surtout cinématographique, comprend éga-
lement cette seconde représentation du mercenaire à travers le
personnage du capitaine Curry. En effet, les combats postcolo-
niaux sont volontiers perçus comme des guerres de la barbarie où
les ethnies massacrent à la machette sans discernement, violent
toutes les femmes, sèment les orphelins sur leur passage1… Dans
cette version littéraire, le président du Congo est montré sous les
traits d’un impitoyable dictateur qui cherche à asseoir son pou-
voir et à briser la révolte naissante. Il bénéficie en cela du sou-
tien de grands industriels européens sur fond de chasse aux dia-
mants. Finalement, le « chien de guerre » qu’est le capitaine Curry
n’est pas le personnage le plus antipathique. Capable de nouer
une amitié avec Ruffo, son compagnon d’armes noir, et d’affron-
ter Heinlein dans un duel à la tronçonneuse, il est, au contraire,
d’une grande humanité. Or, cette seconde perception des conflits
1. Voir par exemple « La tragédie des otages de Stanleyville », Paris-Match n° 817,
5 décembre 1964. Les récits de retours d’orphelins vers Bruxelles sont surtout
récurrents dans la presse belge durant l’année 1964.

53
Dans l’ombre de Bob Denard

africains des années 1960 renvoie à une extrapolation des réalités


du terrain.
Parmi ces réalités, il en est une qui alimente la peur instinc-
tive des indépendances et des luttes de pouvoir entre Noirs au
sein des opinions européennes. Il s’agit de la prise en otage ou des
formes de violences exercées contre les populations blanches du
Congo. La plupart des récits des ressortissants européens concer-
nés font l’objet de larges couvertures par la presse. Le mercenaire
y fait souvent­figure de sauveur : « Je dus mon salut au courage de
quelques “mercenaires” blancs et gendarmes katangais qui, aler-
tés par un appel que je pus leur faire parvenir par deux coura-
geux garçons congolais de ma mission n’hésitèrent pas à foncer
jusqu’à Médjé, bien que toute la région fût infestée de Simbas
[…]. Pendant plusieurs jours, je suis resté à Paulis avec l’accord
empressé du major blanc qui organisa sur ma demande le sau-
vetage de tous les otages encore aux mains des Simbas dans la
région. Ainsi, eurent lieu les opérations de Viadana (sauvetage
de cinq religieuses belges et des religieux dominicains congo-
lais) ; de Wamba (plusieurs centaines d’otages blancs et congo-
lais) ; de Gao, Mongbéré, Bétongwé, Vubé (cent vingt-sept otages
de toutes nationalités). J’ai accompagné comme prêtre les “mer-
cenaires”. Je dois dire qu’ils ont fait mon admiration tant par
leur courage que par leur humanité. Et, depuis mon retour en
Europe, j’ai reçu maints témoignages de Congolais de leur action
humanitaire. On a trop écrit sur les mercenaires et gendarmes
katangais. En cette dure épreuve pour eux, je ne peux m’empê-
cher d’apporter mon témoignage et de saluer leur héroïsme »,
écrit par exemple le révérend père Joseph-Noël Sage, mission-
naire au Congo ex-belge, alors qu’il est prisonnier de la rébellion
en 19671.
À travers le récit du révérend père Sage, différents éléments du
mythe du mercenaire sauveur des populations sont présents. Il

1. « Mercenaires et volontaires », Le Petit Crapouillot, op. cit., p. 23.

54
« Affreux » ou soldats perdus ?

insiste sur l’humanité de ces hommes, position qui contraste avec


les représentations habituelles vues précédemment. Il met sur-
tout en exergue leur rôle dans la libération de centaines d’otages.
Parmi eux, les religieux, et plus particulièrement les sœurs, ont
particulièrement servi la réhabilitation des mercenaires dans une
partie de l’opinion. La « mémoire » du groupe mercenaire va
no­tamment se construire autour de ces récits de libération dans
lesquels le « chien de guerre » incarne le sauveur. En 2011, cinq
anciens du 1er choc de Bob Denard rendent visite aux sœurs sur-
vivantes qu’ils ont libérées à Buta en juin 19651. Cet épisode a
d’ailleurs suffisamment frappé l’opinion à l’époque pour être
l’objet d’une adaptation dans The Dark of the Sun.
Au moment de la guerre du Biafra, la mise en valeur du tra-
vail des mercenaires est également très bien relayée par la presse.
La présentation du conflit se fait selon deux angles complémen-
taires. Le premier consiste à éclairer l’opinion sur les souffrances
de la population du Biafra. En France, une grande campagne
de collecte de fonds est lancée, avec l’appui de l’ORTF, la télé-
vision publique, et du gouvernement au profit des populations
déplacées et/ou victimes de disette. Elle s’élève à 30 000 francs
pour galvaniser la générosité des Français en faveur du Biafra.
Cette urgence humanitaire se traduit d’ailleurs par l’émergence
des « French doctors ». Corollairement, les mercenaires prennent
à nouveau une dimension protectrice ; ils sont les défenseurs des
Ibos persécutés par l’armée nigériane. Ainsi, chef des comman-
dos biafrais encadrés par des mercenaires français, Rolf Steiner est
interrogé pour le journal télévisé de l’ORTF. Le reportage montre
son rôle dans la défense d’un pont entre Aba et Umuahia, ville
vers laquelle fuit la population biafraise. Il est également filmé
en train de consulter un chirurgien suisse de la Croix-Rouge qui
insiste sur les conséquences humanitaires de l’offensive de l’armée
fédérale. L’ensemble du reportage donne une image assez proche
1. http://www.orbspatrianostra.com/devoir-de-memoire/les-soeurs.html consulté le
29 mars 2013.

55
Dans l’ombre de Bob Denard

de ce que l’on peut voir aujourd’hui sur un officier dans le cadre


d’une opération de maintien de la paix de l’ONU1.

Mercenaires ou volontaires étrangers ?

Certes, tous les chefs mercenaires de la période sont, en par-


tie, des « types » hors des normes de la société contemporaine. Les
journalistes sont donc friands de portraits de l’ancien légionnaire
Rolf Steiner, de « Mad Mike » Hoare ou du grand colon, devenu
mercenaire, Jean Schramme. Toutefois, une attention particu-
lière doit être portée sur les relations de Denard avec la presse.
Celles-ci participent de ce rapport ambivalent que l’opinion
entretient avec les mercenaires français durant la période. Très
régulièrement, Bob Denard accorde des interviews à des journa-
listes français ou belges. En cela, il devient l’emblème des merce-
naires français, davantage que Roger Faulques qui se dérobe sys-
tématiquement devant les journalistes.
Surtout, chacun de ces entretiens est l’occasion de défendre
auprès des sociétés européennes l’action des soldats irréguliers
qu’il commande en Afrique. Dès cette période des années 1960,
Denard évoque une catégorie de « volontaires étrangers » plutôt
que de mercenaires. Ainsi, dans un brouillon de préparation d’in-
terview sur le Congo, il tient le discours suivant : « À lire la presse
aujourd’hui, on a l’impression que le mercenaire, au Congo,
était tombé du ciel et que le gouvernement ne tolérait notre pré-
sence que contraint et forcé. La vérité est tout autre. Pour deve-
nir mercenaire, il fallait passer par toute une filière administra-
tive2 […]. » Bob Denard cherche ainsi à convaincre que les mer-
cenaires ne sont pas aussi incontrôlables et incontrôlés que ne le

1. Journal ORTF de 20 heures du 30 août 1968 consulté le 3 avril 2013 (http://


www.ina.fr/video/CAF94011726).
2. Mémo dactylographié de 13 pages, rédigé par Denard, non daté mais visiblement
à un moment proche des événements décrits. Il semble qu’il s’agisse de la préparation
d’une interview au Figaro (archives privées Bob Denard, carton 68).

56
« Affreux » ou soldats perdus ?

laisse paraître le terme mais qu’ils sont un élément d’un système


plus vaste dans lequel les acteurs étatiques (« filière administra-
tive ») sont impliqués.
Il souhaite surtout se démarquer des représentations classiques
du mercenaire. En effet, les hommes placés sous cette étiquette
ne se perçoivent pas forcément ainsi. Bob Denard écrit dans ses
Mémoires : « Je déteste ce mot de mercenaire qui me colle à la
peau, pour ce qu’il représente dans l’esprit des gens : un individu
sans foi ni loi prêt à se vendre au plus offrant, détruisant tout sur
son passage, méprisant les populations qu’il est amené à côtoyer.
La vérité est bien loin de cela. Comme tous les soldats, j’ai fait
la guerre, les armes à la main. Mais, au fil de mes campagnes, je
me suis constamment efforcé de préparer la paix. Si j’ai fait sauter
des ponts, j’ai aussi construit des routes. Et si j’ai fait emprisonner
des hommes, j’en ai libéré beaucoup, pris en otage, condamnés
à mort1. » Cette réflexion tient beaucoup à la longue expérience
congolaise de Denard ; elle rend compte de la seconde dimension
de l’action des « chiens de guerre » en 1964-1967 notamment.
D’autres insistent sur le poids de plus en plus grand des
aspects financiers dans tous les secteurs de la vie professionnelle
des Trente Glorieuses : « Mercenaire ? Oui, sans doute. Mais ne
sont-ils pas aussi des mercenaires ceux qui gagnent difficilement
leur vie en offrant leur boulot à des gens qu’ils méprisent ? Ne
sont-ils pas des mercenaires ceux qui fabriquent les armes, qui
les vendent, qui les transportent ? – Nous, au moins, conclut le
pilote, on met en jeu notre peau et dans le boulot l’accident de
travail n’est pas garanti par la Sécurité sociale2. » Surtout, le ver-
sement des soldes par le gouvernement congolais demeure très
aléatoire malgré les engagements reçus en 1964. L’année suivante,
alors que le 1er choc mène ses plus rudes combats, les retards sont
récurrents. En juin, le problème devient si aigu que Bob Denard
ordonne à Henri Clément d’avancer sur son compte personnel
1. Pierre Lunel, Corsaire de la République, op. cit., p. 10.
2. Captain Armand, Biafra vaincra, Paris, France-Empire, 1969, 268 p.

57
Dans l’ombre de Bob Denard

l’argent à quelques « volontaires » dont les familles en Europe sont


dans le besoin1.
Cet aspect pécuniaire revient sans cesse dans ses entretiens avec
les journalistes. Dans l’interview qu’il donne sur son lit d’hôpi-
tal de Salisbury à Jean-François Chauvel, Denard cherche encore
à démythifier le rapport jugé immoral des mercenaires à l’argent
et établit des comparaisons avec des personnels congolais, civils
ou militaires : « On ouvrait des dispensaires. Sur tout cela, j’ai
des preuves irréfutables… Le Dr Clause, un Américain, méde-
cin personnel de Mobutu et les responsables de l’opération sur-
vie le savent bien. Ils préféraient nous envoyer les médicaments à
nous, parce qu’ils savaient que nous ne les revendrions pas. Alors
que je peux vous citer le cas d’un médecin d’État qui avait ouvert
une clinique personnelle avec les médicaments destinés à l’hôpi-
tal civil de Kisangani. Le gouverneur de la province a voulu l’arrê-
ter, c’est lui qui est en prison maintenant2. »
Ce souci est largement partagé par les mercenaires français des
années 1960. L’idée que, pour l’opinion publique, un mercenaire
a un goût immodéré de l’argent et des pratiques non nobles dans
le combat explique le refus de cette génération de se voir acco-
ler cette étiquette. Quand Georges Seren-Rosso revient sur son
parcours à la demande d’un journaliste, il rend bien compte de
ce hiatus : « Je mis quelques mois avant de me décider. Issu d’un
milieu bourgeois, c’était pour moi faire un grand saut. Pourquoi ?
Mercenaire, c’était l’homme qui tue pour de l’argent3. »
Ce poids des représentations peut d’ailleurs être tellement
présent­chez eux que certains ne poursuivent pas une carrière de
mercenaire. Ainsi, T. est recruté par Bob Denard pour le rejoindre
au Yémen. Là, il combat comme il a appris à le faire comme sous-

1. Journal de marche du 1er choc, op. cit.


2. Interview de Bob Denard publiée par Le Figaro le 5 septembre 1967. Il est
possible que le mémo cité plus haut ait servi de préparation à cet entretien (archives
privées Bob Denard, carton 68).
3. « Mercenaires et volontaires », Le Crapouillot, janvier-février 1994, op. cit., p. 10.

58
« Affreux » ou soldats perdus ?

officier décoré de l’armée française en Indochine et en Algérie. Il


a accepté, en dépit du sentiment qu’il avait de se vendre pour de
l’argent. Sa fille mineure et célibataire est enceinte et il a besoin
d’une grosse somme d’argent pour payer une « faiseuse d’anges ».
Quand cet objectif est atteint, malgré des conditions et des pra-
tiques déontologiques de combat semblables à celles qu’il a
connues au service de la République, T. quitte Denard. Le chef
mercenaire lui propose pourtant de l’employer à nouveau. Son
refus est essentiellement guidé par la honte d’endosser un tel sta-
tut1. En fait, à cette période, hormis leur position d’étrangers sous
contrat, une grande partie des mercenaires français vivent effec-
tivement leur travail comme des militaires classiques. Leur quo-
tidien s’approche beaucoup de celui des militaires coloniaux du
début du xxe siècle chargés de pacifier les régions nouvellement
contrôlées par les métropoles européennes. Dans la pratique du
combat, il est également assez voisin des expériences des guerres
de décolonisation.

Des savoir-faire indispensables


Cette proximité dans les pratiques s’explique par le fait que les
mercenaires tiennent lieu de cadres pour des sections, des compa-
gnies ou des régiments africains. Au cours de la première décen-
nie des indépendances, les armées des nouveaux États souffrent
de nombreuses carences car elles n’ont pas bénéficié d’un long
temps de transition. Jusqu’en 1960, l’encadrement militaire
repose sur les seuls officiers européens. Leur départ massif crée
une fragilité structurelle des forces étatiques des pays décoloni-
sés. Or, ceux-ci sont immédiatement en proie à de nombreux
problèmes sécuritaires également liés aux conditions de la déco-
lonisation. Différentes ethnies cohabitent dans des frontières et
doivent trouver un équilibre dans la répartition des pouvoirs.

1. Témoignage de son fils, qui tient à rester anonyme, recueilli le 14 octobre 2012.

59
Dans l’ombre de Bob Denard

L’urgence amène ainsi les chefs d’État (ou de provinces en


manque de reconnaissance du pouvoir central) à avoir recours à
des hommes expérimentés. Patrice de Beauvais, le consul de France
à Élisabethville, écrit ainsi au Quai d’Orsay en 1964 : « Les mer-
cenaires blancs sont indispensables dans l’état actuel des choses.
Sans eux, le Congo risque de pourrir encore davantage et de suc-
comber un jour sous les coupes des rebelles [mulétistes]1. » Du
Katanga au Biafra, les mercenaires français sont appelés pour des
fonctions d’encadrement. Elles peuvent s’inscrire dans la confi-
guration de combats classiques contre des armées significatives
comme au Katanga contre les Casques bleus, au Yémen contre
des troupes appuyées par l’armée égyptienne ou au Biafra où l’ar-
mée fédérale nigériane est également conseillée par des étrangers.
Les soldats de fortune peuvent également apporter un savoir-faire
spécifique. En RDC à partir de 1964-1965, la lutte contre-insur-
rectionnelle ou antisubversive est une mission prioritaire. Sur la
plupart des théâtres d’opérations, ils ont une posture d’experts
dans des domaines spécialisés : formation (du Katanga au Biafra),
transmissions (construction d’une station radio au Yémen),
armement (mortier notamment sur toutes les missions)… Dès
le Katanga, ils établissent leur réputation comme le constate un
diplomate français : « Parmi les mercenaires, les Français jouissent
d’une autorité et d’une supériorité professionnelle incontestées
à cause des enseignements qu’ils ont tirés d’une longue pratique
des stratégies particulières à l’Indochine et à l’Algérie2. »

Formation et encadrement de troupes du tiers-monde

Parvenu au pouvoir en 1965, malgré le lien qui unit les mer-


cenaires à Moïse Tshombé, le général Mobutu fait le choix de

1. Rapport de Patrice de Beauvais, consul de France à Élisabethville le 11 septembre


1964, CADN, Ambassade de Kinshasa, 36.
2. Note sur mon séjour à Élisabethville du 4 au 10 novembre 1961, anonyme et datée
du 16 novembre 1961, MAE, série Afrique-Levant, Congo, carton 48.

60
« Affreux » ou soldats perdus ?

conserver les cadres européens de l’ANC. Les mercenaires ont


été rappelés par Tshombé devant l’urgence à arrêter la rébellion
mulétiste. Mobutu a conscience qu’il ne peut asseoir son autorité
sans eux. Mieux que personne peut-être, il sait que l’armée régu-
lière congolaise n’est pas suffisamment fiable. Issue de la force
publique et caractérisée par le manque de cadres autochtones
qualifiés, l’ANC est gangrenée par la corruption et souffre d’in-
discipline au feu. L’encadrement peut être assuré par des coopé-
rants (avec toute l’ambiguïté qu’est alors celle de l’ATM belge) ou
par des mercenaires.

Dans le second cas, avec la venue d’officiers passés par


l’Indochine­et l’Algérie, l’expérience acquise les distingue très faci-
lement. Pour avoir été le chef des GCMA puis un théoricien de la
guerre contre-insurrectionnelle, le colonel Trinquier a été choisi
par Tshombé pour devenir le commandant en chef des armées du
Katanga. S’il ne peut finalement pas assumer cette fonction, son
remplaçant jouit également d’un grand prestige. Roger Faulques
s’est illustré sur la RC4 en Indochine à la tête du 1er BEP. Officier
de renseignement du 1er REP lors de la bataille d’Alger en 1957,
il joue également un rôle majeur dans les opérations combinées
de Challe, assurant avec Denoix de Saint Marc le PC mobile des
opérations et la coordination des troupes héliportées. Ce qui fut
un modèle du genre. Aux échelons inférieurs, des profils simi-
laires sont recherchés. Recruté à Bruxelles en mai 1961, le lieu-
tenant André Bourges a servi dans l’armée française pendant la
Seconde Guerre mondiale puis en Corée et en Indochine. Ce
passé militaire lui vaut ainsi d’être affecté au centre d’instruction
de Shinkolobwe sous les ordres de Faulques.

Issu des maquis, Hubert Pinaton a gagné ses galons d’offi-


cier dans les deux conflits de décolonisation. Il est décoré de la
médaille militaire et de la Légion d’honneur. Devenu major en
RDC, Pinaton rapporte comment il s’est rapidement imposé

61
Dans l’ombre de Bob Denard

à son arrivée : « Le 3 février 1967, Denard me fit appeler et me


confia le commandement de la 3e compagnie qui se trouvait en
opération, actuellement bloquée à 80 km de Panga, capitale de
la rébellion. Je découvris non pas une unité de combat mais une
bande de gens hirsutes, se livrant à tous les loisirs possibles sur
place (bains, chasse, poker) mais pas la guerre. Ils étaient harcelés
chaque nuit par les rebelles. Leur chef, un Belge, n’avait aucune
autorité, il avait même été rossé par ses hommes. La reprise en
main m’a pris une semaine en ce qui concerne les hommes : 40
Européens et 80 auxiliaires congolais. Je dus aussi remanier le
dispositif sur le terrain car l’unité était répartie en 7 postes sans
aucune réserve opérationnelle. Je ne conservais que 3 postes et
formais un commando de chasse. Deux semaines après mon arri-
vée, nous avions progressé de 80 kilomètres, pris Panga, tuant
100 rebelles et faisant 200 prisonniers. Je reçus les félicitations de
Mobutu1. »
Du Katanga au Biafra, les mercenaires font la preuve qu’ils
sont une réponse satisfaisante à la pénurie d’officiers et de sous-
officiers compétents des armées nationales africaines. Leur capa-
cité à conduire des groupes au combat est établie à plusieurs
reprises. La comparaison entre les différentes nationalités de sol-
dats de fortune pourrait être faite. Nous établirons ici sim­plement
la compétence des Français dans ce rôle en rappelant qu’ils béné-
ficient de l’expérience engrangée dans deux longs conflits, l’Indo-
chine et l’Algérie. Lors du conflit katangais, le capitaine Michel
de Clary, assisté par Henri Lasimone, obtient le 17 septembre
1961 à Jadotville la reddition des 84 soldats de la garnison irlan-
daise. Par une attaque très vive de leurs positions, il les oblige à
se replier et à se retrancher dans une bâtisse avant de leur couper
tout approvisionnement en eau2.

1. Hubert Pinaton, Compte rendu de monsieur Hubert Pinaton sur son séjour au
Congo-Kinshasa, mémoires manuscrits, 74 p.
2. Rapport au secrétaire général de l’ONU de l’officier général en charge de
l’opération au Congo le 20 août 1962, S-0888-0006-02-00001.

62
« Affreux » ou soldats perdus ?

L’engagement du groupe Rolf Steiner sur la route Enugu-


Onitsha au Biafra en est une autre illustration. La plupart des
lieutenants de Steiner sont français ou belges. Ce sont des fidèles
de Denard depuis le Congo, à l’instar de Marc Gossens. On
trouve également Armand Ianarelli parmi les adjoints de l’ancien
légionnaire. Par un coup d’éclat en mai 1968 lors d’un raid sur
la base nigériane d’Enugu, ils détruisent des avions stationnés sur
un aérodrome : « Mon objectif, ce sont les avions […]. [À] La sep-
tième [roquette]…, je vois le premier Iliouchine s’ouvrir en deux
comme une boîte magique […]. En retombant, les débris ont
mis le feu aux autres pièges : comme les Iliouchine étaient garés
les uns à côté des autres, ils ont tous explosé ! Tous les quatre !
Devant moi, c’était l’hécatombe […]. Ils ne comprenaient rien à
ce qui se passait. Mes types tiraient toujours, tétanisés, soudés à
leurs FM1 […]. »
Le courage au feu caractérise donc cette génération de mer-
cenaires. En effet, les combats engagés sont relativement meur-
triers. Le 1er choc gagne le respect des autres « chiens de guerre » et
des autorités congolaises par sa capacité à être le fer de lance de la
contre-insurrection mais en paie le prix. Ainsi, sur 114 hommes
identifiés pour avoir servi en son sein, 12 meurent et 15 autres
sont blessés en l’espace de six mois en 1965. Sur 10 officiers, le 1er
choc en perd 3 (les Français Le Maout et Vibert, et l’Américain­
Richard Guylfoll) au cours du printemps et de l’été. Deux autres
sont blessés, Bob Denard et Henri Clément. Sur ces 114 hommes,
5 autres mourront en 1966 ou 1967, portant son taux de mor-
talité à 14,9 %2. Il faudrait pouvoir y ajouter les morts africains
mais aucun élément ne permet d’établir une évaluation suffisam-
ment précise. Au Biafra, les accrochages avec les troupes fédé-

1. Rolf Steiner, Carré rouge, du Biafra au Soudan, op. cit., p. 171-172. Exploit
confirmé par d’autres sources, notamment les télégrammes diplomatiques du MAE,
série Afrique-Levant, Nigeria, carton 14, dossier 3.
2. Chiffres établis par Henri Clément et les anciens du 1er choc à partir de leurs
souvenirs et des archives Denard.

63
Dans l’ombre de Bob Denard

rales nigérianes sont également meurtriers pour les mercenaires.


Cela n’est sans doute pas étranger à la rapide décision de Roger
Faulques d’opérer le retrait de son équipe. L’un des groupes de
celui-ci perd par exemple 7 des 18 hommes qui la composent en
une seule journée1. Alors que les troupes nigérianes ont montré
leur supériorité, les « chiens de guerre » restés sur place s’illustrent
par des actions de guérilla risquées et mortifères (zone du Bénin
notamment dans le Midwest2).
Pourtant, leur efficacité doit être interrogée à l’aune des résul-
tats obtenus. Finalement, au Katanga, au Yémen, en RDC puis
au Biafra, les mercenaires français sont systématiquement dans le
camp des vaincus. Sans en faire le seul facteur de leurs défaites,
le manque de moyens est une problématique permanente à
laquelle ils se heurtent. Lors de sa tentative de diversion pour
soulager Bukavu en novembre 1967, Denard monte l’opération
« Lucifer ». À défaut de disposer de véhicules en nombre suffi-
sant, les 110 mercenaires qu’il commande tentent d’accomplir la
mission à vélo. Tous les témoins s’accordent sur l’importance de
la récupération de matériel de toute nature, chinois, russe, fran-
çais, allemand, y compris des vieilles armes de 1914-1918 aussi
bien en RDC qu’au Biafra. Sur ce dernier théâtre de combat,
Armand Ianarelli écrit que ses hommes « passent devant moi, un
par un, clochards héroïques, vêtus de guenilles, armés il faut voir
comment­ : des vieilles pétoires à répétition, d’un aspect proche
du Mauser modèle 96, d’un calibre bizarre : 7.92. Ce qui explique
sans doute la rareté des munitions : huit cartouches par homme
à peu près. Et l’on m’a déclaré avec sérieux que c’est presque du
luxe. Il s’est trouvé des jours où chaque soldat n’avait que 5 balles
seulement… ». Tandis que les troupes fédérales disposent d’im-
portants moyens (notamment une vingtaine d’avions de chasse et
deux bombardiers), le camp biafrais « comporte toujours le même
1. Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit., chapitre 5.
2. Voir notamment une coupure de presse camerounaise du 22-29 octobre 1967,
MAE, série Afrique-Levant, Nigeria, carton 13, dossier 2.

64
« Affreux » ou soldats perdus ?

pourcentage d’armes automatiques, peu d’artillerie, quelques


105, une demi-douzaine, pense-t-on » en 19681. Tous les rap-
ports vont en ce sens malgré l’avancée dans le conflit et les livrai-
sons reçues par le camp du colonel Ojukwu. Largement décrites
sous l’appellation d’Improvised Explosive Device (IED) en Irak ou
en Afghanistan au début du xxie siècle, les mines antipersonnel de
facture artisanale sont également mentionnées par Ianarelli : « On
nous a attribué [ces] sortes de bidons cylindriques d’une conte-
nance de cinquante litres à peu près et bourrés d’explosifs. Dus
à l’esprit inventif de quelque bricoleur local, on leur a donné un
nom Ibo dont la traduction veut dire tombeau de Gowon2. »
Ce conflit est particulièrement significatif des limites du
recours aux mercenaires car le matériel engagé dépasse les capaci-
tés qu’ils peuvent déployer et mettre en œuvre. Sans qu’on puisse
parler de bombardements stratégiques, le recours à l’aviation est
systématiquement décisif pour réduire à néant leur travail. On
observe cette supériorité aérienne des adversaires des « chiens
de guerre » au Katanga comme au Yémen ou au Biafra. Ainsi,
dans une seconde partie de l’attaque menée sur la route Enugu-
Onitsha, le groupe Steiner voit des MiG : « Et moi, je savais qu’il
n’y avait pas de temps à perdre avant que les autres ne se res-
saisissent […]. Tout à coup, alors que j’allais donner l’ordre de
repli, zzzzzttt ! Ça a sauté ! Je ne sais pas si c’est une roquette qui
a explosé ou si c’était l’essence. D’abord un. Et puis l’autre qui
était collé à côté […]. Voilà, les six avions étaient en flammes. Les
tirs avaient cessé. Devant moi, c’était le carnage […]. Le drapeau
abandonné des Nigérians flottait tristement à moitié mât, dans
une brise3. » Ainsi, de façon ponctuelle, leur savoir-faire dans le
combat tactique permet aux « chiens de guerre » de revendiquer
des actions d’éclat. Toutefois, dans le cas biafrais par exemple, la

1. Chiffres livrés par un télégramme diplomatique de l’ambassade à Lagos le 9 février


1968, MAE, série Afrique-Levant, Nigeria, carton 14, dossier 1.
2. Extraits de Captain Armand, Biafra vaincra, op. cit., p. 58 et 72.
3. Rolf Steiner, Carré rouge, du Biafra au Soudan, op. cit., p. 172.

65
Dans l’ombre de Bob Denard

disproportion de leurs moyens rend de plus en plus difficile la


résistance sur cet axe Onitsha-Enugu. Le groupe Steiner doit se
replier.
À l’automne, Marc Gossens écrit d’ailleurs à Denard : « On
est en opération ; on a attaqué Onitsha mais ça a été un échec.
On a perdu 150 hommes, morts, blessés ou disparus. La raison :
manque d’armes antichars et munitions mais surtout manque de
liaison radio. On devait attaquer par la brousse et Armand qui
est parti en premier est tombé sur des blindés et pas de bazou-
kas avec. Il avait laissé deux compagnies en réserve et ceux-là ont
commencé à se faire massivement canarder1 […]. » Faulques s’est
retiré très vite. Steiner quitte ensuite le Biafra et Gossens trouve
quelques semaines plus tard la mort au combat.

La lutte contre-insurrectionnelle

Les résultats en termes de pacification obtenus par les merce-


naires sont peut-être plus tangibles. On l’observe dès la période
de la sécession katangaise. En effet, les autorités d’Élisabethville­
doivent également montrer leur capacité à gérer le territoire
désormais sous leur contrôle. Après les phases de combats avec les
forces de Léopoldville et les combattants Baluba, il s’agit de rame-
ner ces derniers dans leurs villages, de les désarmer, de remettre
les infrastructures en état (ponts notamment). Cet aspect du tra-
vail au Katanga est souvent occulté au bénéfice du seul affronte-
ment avec l’ANC et de l’ONU.

Quand ils construisent ensuite la légitimité de leur rappel au


service au Congo, les mercenaires effectuent à nouveau ce travail
de rétablissement de l’ordre et de la paix intérieure. Cette mission
comporte deux volets. Le premier consiste à rendre possible la

1. Lettre de Marc Gossens à Bob Denard du 1er novembre 1968, archives privées
Bob Denard, carton 78.

66
« Affreux » ou soldats perdus ?

reconquête du pays face à la rébellion mulétiste. Le colonel belge


Vandewalle reconnaît l’apport des mercenaires dans son récit de
l’épopée de l’Ommegang : « À l’époque, il fallait sauver le Congo
d’une mainmise imminente et totale de la rébellion […]. En réa-
lité, [le recours aux mercenaires] était le seul remède. » La lutte
contre-insurrectionnelle est au cœur de l’expérience des hommes
passés par l’Indochine et l’Algérie. Avec les grandes opérations
du printemps 1965, la phase de reconquête du pays repose sur
les colonnes parties à l’assaut des villes tombées aux mains des
Simbas. La tactique s’appuie donc sur la vitesse des déplace-
ments et la puissance de feu. Lancés sur les pistes, les jeeps et les
camions des commandos misent en cas d’embuscades sur un feu
nourri par des mitrailleuses lourdes et des fusils automatiques.
Ainsi, Paul Delamichel, l’un des rares Français engagés au sein de
l’Ommegang en 1964 aux côtés des Sud-Africains, se taille une
grande renommée. En effet, mitrailleur en tête, « place que jamais
personne ne lui disputa de Kongolo à Stanleyville », il ouvre la
voie aux colonnes commandées par le colonel Vandewalle1. Les
ennemis cherchent parfois à freiner la progression des comman-
dos en creusant des « trous d’éléphant », d’une profondeur suffi-
sante pour engloutir un véhicule, et recouverts de branchages et
de terre de manière à être peu visibles.
Quand les colonnes se heurtent à un groupe qui ne se disperse
pas immédiatement ou quand il s’agit de s’emparer de villages,
l’utilisation du mortier est également privilégiée dans cette lutte
contre-insurrectionnelle. Au Biafra, Michel Loiseau témoigne de
la capacité de Maurice Stimbre à faire feu avec efficacité après une
embuscade au cours de laquelle le support a été perdu : « Il fait un
signe et le tube de 60 mm est placé en terre sur sa plaque de base.
“Couche-toi devant”, me dit-il, je m’exécute. J’espère qu’il sait
ce qu’il fait. Je prends mon béret pour tenir le tube et les coudes
1. Extraits de Frédéric Vandewalle, Odyssée et reconquête de Stanleyville 1964 :
l’Ommegang, Bruxelles, Librairie générale de sciences humaines-Le livre africain,
1970, 345 p.

67
Dans l’ombre de Bob Denard

en terre, sert de trépied. Il envoie cinq coups rapides puis cinq


coups plus précis : les tirs cessent en partie et des hurlements se
font entendre1. »
La légitimité des soldats privés français repose également sur
leurs qualités à « gagner les cœurs et les esprits » dans un second
volet de leur mission. Dans le rapport sur la reprise de Yangambi
en 1965, Denard décrit rapidement l’accrochage avec les rebelles
simbas dans la ville. Il constate surtout l’accueil favorable de
la population au camp de travailleurs de Lusumbila. Il écrit :
« Notre service peut vous assurer que la décision de la popula-
tion pour ralliement au gouvernement légal est due au manque
de sympathie de ladite population envers les rebelles, aux diffé-
rents sévices appliqués par les rebelles vis-à-vis de cette popu-
lation. » En 1964-1966, la révolte mulétiste est réduite dans le
Kwilu. Les para-commandos belges ont participé à la victoire du
pouvoir central mais les mercenaires francophones y jouent éga-
lement un rôle majeur.
La troupe encadrée par les « volontaires étrangers » apporte
de la nourriture et du matériel aux populations. Denard peut
ainsi conclure que « les habitants du village sont également fer-
mement décidés à se défendre : remise de deux fusils de chasse
aux habitants […]. Le bilan de cette opération s’établit comme
suit. 1 100 personnes environ [ont été] retirées à l’influence
rebelle (départ massif pouvant nuire au moral rebelle, tant par ce
départ d’éléments amis ne partageant pas les idées rebelles que
par le départ de certaines épouses de Simbas abandonnant leur
mari). Récupération de 11 véhicules dont 7 véhicules légers et 4
camions. 800 tonnes environ de caoutchouc en provenance de
Yangambi. Chargement de Yanongé non évalué en caoutchouc
et café, plus la barge de transport et l’embarcation passagers.
Notre passage au poste de Yakusu apporte certainement lui aussi
une action psychologique favorable2. »
1. Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit.
2. Extraits du rapport « top secret » de l’opération « Yangambi » signé à Stanleyville le

68
« Affreux » ou soldats perdus ?

Le major Pinaton établit un « bilan en quatre mois d’opéra-


tions » comparable. Il met en valeur son actif en termes de résul-
tats militaires mais aussi d’efficience dans le retour au fonction-
nement normal de la vie économique : « Pertes amies : néant.
Pertes ennemies : 300 morts, 800 prisonniers, 500 armes auto-
matiques récupérées, 25 000 ralliés, 59 ponts reconstruits dont
certains avaient plus de 50 mètres de long, 200 barrages enlevés
ou comblés, 250 kilomètres de routes ouvertes en toute sécurité
à la population civile. Relance économique : trois grandes planta-
tions de cafés remises en état par mes prisonniers1. » Finalement,
à partir de l’été 1965, le quotidien des « chiens de guerre » est
davantage tourné vers les actions civilo-militaires pour attacher
définitivement les provinces reprises à l’autorité de Léopoldville.
À partir du 19 juin, Bob Denard reçoit la responsabilité du
district de Buta. Henri Clément se souvient que certains des
hommes du 1er choc demandaient à leur famille en France d’en-
voyer des graines de France pour les semis des jardins des popu-
lations africaines qu’ils administraient2. Les efforts portent éga-
lement sur les infrastructures pour pouvoir stimuler l’économie
locale. Ainsi, durant l’été 1965, sous la conduite de Karl Coucke,
des mercenaires du 1er choc remettent en état le chemin de fer
de l’Uélé entre Akéti et Mungbere pour évacuer la production
de coton et de café. Le major Deherder emploie plus particuliè-
rement ses hommes à la relance des plantations de Nendaka. Le
1er choc est à l’origine de ce travail auprès des populations mais
cette politique est exigée de la part de tous les groupes étran-
gers. Toutefois, son initiateur, Bob Denard, reçoit en guise de
gratification le commandement du 6e BCE à la place du colonel
Lamouline. Les autres unités doivent également appliquer cette
nouvelle démarche. Leurs compétences s’élargissent ainsi à la ges-

22 mars 1965 par le commandant Denard, commandant le 7e para codo volontaires,


archives privées Bob Denard, carton 78.
1. Hubert Pinaton, Compte rendu de monsieur Pinaton, op. cit., p. 7.
2. Entretien avec Henri Clément à Paris le 24 janvier 2014.

69
Dans l’ombre de Bob Denard

tion des territoires qui repassent sous le contrôle de l’autorité


centrale par leur biais. Ils sont ainsi des acteurs majeurs du réta-
blissement administratif et économique. Dans ses Souvenirs d’un
Africain blanc, Jean Schramme décrit son bilan dans la province
de Maniema. À Kisangani, Denard se pose en expert pour relan-
cer la croissance économique dans la Province orientale1.

Des formes d’expertise

Certains savoir-faire techniques sont particulièrement pri-


sés par les employeurs des mercenaires. Au moment des enrô-
lements pour le Katanga, des profils semblent plus particuliè-
rement recherchés. Si, par besoin d’encadrement, tous les offi-
ciers sont admis : « Les simples soldats et les sous-officiers doivent
être parachutistes ou susceptibles de se faire breveter rapidement.
C’est que le Katanga a un besoin urgent de ces soldats d’élite et
déjà l’embryon du premier RCPK (Régiments de chasseurs para-
chutistes katangais) est en formation », affirme l’AFP2. Peu après,
le lieutenant Badaire, chargé du centre d’instruction, est pourtant
envoyé en France pour engager des instructeurs parachutistes qui
seront affectés à l’encadrement d’une unité de para-commandos
katangais.
Les transmissions sont un domaine d’expertise qui semble au
cœur de la palette offerte par les « chiens de guerre ». Au Congo,
notamment lors des phases de grande mobilité du printemps
1965, la radio est essentielle pour conserver le contact avec les
états-majors et avec Léopoldville. Ainsi les colonnes sont ravi-
taillées par des avions qui survolent la forêt et avec lesquels l’opé-

1. Rapport de 9 pages intitulé « Proposition de relance économique de la Province


orientale » du lieutenant-colonel Denard expédié de Kisangani le 26 mars 1967 au
secrétaire général de la présidence de la RDC, archives privées Denard, carton 56.
Voir également l’interview de Bob Denard par Jean-François Chauvel, Le Figaro,
5 septembre 1967.
2. Télégramme diplomatique de l’ambassade de Léopoldville du 9 février 1961,
MAE, série Afrique-Levant, carton 47.

70
« Affreux » ou soldats perdus ?

rateur radio entre en contact pour le largage du ravitaillement,


du matériel militaire ou du courrier. La construction d’une sta-
tion radio au Yémen a été signalée. Au Biafra encore, Jean-Louis
Domange est sollicité pour cette même mission. Il doit ensuite
fournir « un réseau radio pour le groupe Leroy dispersé dans le
pays1 ». Cette question de la qualité des transmissions entre les
différents groupes de mercenaires revient d’ailleurs dans tous les
récits. D’elle dépend largement la bonne coordination des petits
effectifs mercenaires, souvent disséminés sur de vastes espaces
géographiques.
La science médicale est également particulièrement appré-
ciée sur les théâtres d’opérations. Il semble d’ailleurs que Bob
Denard ait très vite intégré le réflexe d’inclure systématiquement
un homme ayant une capacité à délivrer des soins aux blessés.
Pour cette raison notamment, Charles Gardien devient l’un des
hommes qu’il emmène au Yémen et qu’il fait ensuite revenir en
RDC. Au Yémen, après une attaque aérienne contre la grotte dans
laquelle se trouvent les mercenaires avec le prince Mohammed
Ben Hussein, Gardien apporte les premiers secours aux blessés les
plus gravement touchés avec les quelques calmants (morphine) et
coagulants dont il dispose. Lorsqu’il quitte Paulis en avril 1965,
le 1er choc comprend aussi un docteur et un infirmier.

Des profils d’anciens

Compte tenu des compétences attendues par leurs employeurs,


les Français ont l’avantage d’arriver sur le marché avec des profils
très intéressants en raison des deux longues guerres de décoloni-
sation au cours desquelles ils se sont aguerris.

1. Rapport manuscrit sur le séjour au Biafra non signé du 13 août 1968 (une
annotation au crayon précise que Jean-Louis Domange en est l’auteur), archives
privées Bob Denard, carton 78.

71
Dans l’ombre de Bob Denard

De jeunes fous de guerre ?

Pour mieux comprendre le parcours de ces hommes qui ne


sont pas rentrés dans leurs foyers après l’Algérie (ou qui l’ont
quitté pour l’aventure africaine), il convient également d’esquis-
ser un tableau sociologique des mercenaires. Avec une moyenne
d’âge de 28 ans et demi en 1961 pour les hommes retenus dans le
cadre de cette étude, le groupe ne se caractérise pas par son imma-
turité. 8 d’entre eux sont mariés et 3 ont des enfants lorsqu’ils
servent au Katanga. Même si les célibataires sont majoritaires,
une part significative de ces mercenaires a déjà fondé un foyer en
Europe. Finalement, ces « Affreux » ressemblent sans doute assez
à des militaires de forces régulières engagés sur des théâtres d’opé-
ration extérieurs. La moyenne monte à 29 ans et demi en 1967
pour la RDC. Il s’agit en partie du même groupe qui vieillit.
Un important recrutement en 1964-1965 assure cependant un
accroissement des effectifs.
D’ailleurs, la place des hommes mariés est plus faible avec 21
mercenaires contre 29 célibataires pour les profils identifiés1. Les
besoins très importants à partir de 1964-1965 entraînent l’en-
rôlement de jeunes gens beaucoup moins expérimentés. Pierre
Chassin en est une bonne illustration. Étudiant à Sciences Po,
il ne connaît le métier des armes qu’à travers la figure paternelle
(général de l’armée de l’Air) lorsqu’il s’engage. Malgré une très
mauvaise vue et l’absence d’états de service, il est retenu parmi les
volontaires qui se présentent à Bruxelles sur de minces éléments :
la lettre de recommandation de son père et un brevet de parachu-
tisme. Deux Français partent en même temps que lui. Si le pre-
mier est entré jeune dans la Marine, le second est étudiant aux
Beaux-Arts2.
La moyenne s’élève fortement pour les hommes identifiés au
Biafra avec une moyenne d’âge de 37 ans en 1968. On peut y
1. La part d’inconnus est cependant importante (29 hommes).
2. Pierre Chassin, Baroud pour une autre vie, op. cit., p. 179.

72
« Affreux » ou soldats perdus ?

voir plusieurs raisons. La constitution d’un groupe mercenaire au


Congo représente un vivier suffisant pour qu’il ne soit pas néces-
saire de le renouveler ; ses membres prennent donc de l’âge. La
moindre ampleur des équipes dépêchées sur place renforce l’ab-
sence de nécessité d’ouvrir le recrutement à de nouveaux venus.
On a très peu d’indications sur la situation familiale des hommes
envoyés au Biafra.

Mercenaire : une seconde carrière

Ainsi, la façon dont s’est constitué le groupe des « chiens de


guerre » français l’inscrit dans une continuité entre le Katanga
et les combats de décolonisation française. C’est pourquoi les
anciens militaires sont particulièrement nombreux parmi les mer-
cenaires qui servent dans la décennie 1960. 18 des 28 hommes
étudiés pour la sécession katangaise ont d’abord connu une expé-
rience dans les forces régulières1. C’est le cas également pour 10
des 15 mercenaires engagés au Yémen. La proportion monte
même à 18 hommes sur 21 pour le Biafra. Selon la logique d’une
moindre exigence dans les enrôlements pour la RDC, la propor-
tion de vétérans est moindre avec 38 anciens militaires sur 72
hommes. Les anciens des forces régulières se trouvent alors légè-
rement majoritaires au sein de l’effectif étudié. Leur moindre
présence explique sans doute des faiblesses au feu au sein des
colonnes de mercenaires en 1964-1965, malgré la réputation de
celles-ci. Ainsi, Pierre Chassin rapporte, lors d’une embuscade
entre Paulis et Buta : « Mais même certains volontaires se cachent
sous les camions tandis qu’un gradé essaie de les déloger à coups
de bottes. L’engagement dure près de deux heures puis le vacarme
s’affaiblit peu à peu. Sur le terrain, c’est la pagaille […] [un volon-
taire] a complètement perdu la tête et continue sa route en zigza-
1. Le service militaire n’est, a priori, pas pris en compte. Certaines formules
d’expérience acquise en Algérie peuvent cependant faire référence à des services longs
(trente mois).

73
Dans l’ombre de Bob Denard

guant. Bientôt des anciens le ramènent en le tenant fermement.


Il faudra attendre d’avoir pris Buta pour l’évacuer et son calvaire
de terreur le poursuivra, terré dans un camion1. »

L’expérience du sous-officier

Il convient d’étudier le niveau de qualification militaire de ces


hommes. Les sous-officiers sont largement représentés. Si les offi-
ciers pèsent davantage dans les effectifs du Yémen et du Biafra,
sans doute est-ce parce que la priorité est donnée aux gradés dans
la sélection d’équipes très restreintes. Faulques est le principal
organisateur des corps mercenaires français dépêchés sur place
dans les deux cas. En effet, pour le Yémen, il sollicite Denard
avec Tony de Saint-Paul mais le Médocain n’est pas encore le chef
recruteur. Au Biafra, Denard est également écarté du contrat au
profit de Faulques. Ce dernier opère sans doute plus par­ti­cu­liè­
rement selon cette logique de grades.
Les simples soldats semblent plus volontiers écartés des équipes
constituées (Yémen et Biafra). Pour ce dernier théâtre d’opéra-
tions, Michel Loiseau confirme l’importance des critères d’an-
cienneté et de qualification au sein de l’équipe réunie par Roger
Faulques : « Les gars sont tous sûrs d’eux ; soldats d’expérience,
chacun a pris la place qui lui allait […]. Il n’y a pas de prérogative
de grade, tous sont ex-officiers ou sous-officiers de métier2. » On
peut d’ailleurs émettre l’hypothèse que l’insuffisance de savoir-
faire spécifiques, notamment en termes d’encadrement, guide la
sélection. Au Yémen comme au Biafra, des hommes sans expé-
rience de soldats de l’armée française sont retenus au bénéfice
des qualités d’officiers démontrées sur le théâtre congolais. Karl
Coucke est ainsi retenu pour le Yémen.

1. Pierre Chassin, Baroud pour une autre vie, op. cit., p. 213.
2. Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit.

74
« Affreux » ou soldats perdus ?

Au Katanga, et encore davantage en RDC, les sous-officiers


représentent la majorité des anciens militaires (8 sur 15 situa-
tions connues dans le premier cas, 24 sur 35 dans le second).
En effet, ils possèdent à la fois des qualités tactiques incontes-
tables et n’ont pas atteint un niveau de responsabilité qui rend
difficile leur engagement comme soldat libre (contrairement à
Trinquier, voire à un moindre degré Faulques). Blessé au combat
au Congo, André Pervins a seize ans d’expérience comme sous-
officier au sein de la Légion étrangère. Il a servi en Indochine puis
en Afrique du Nord. Sans que son grade soit connu (ce qui laisse
supposer qu’il n’a jamais été officier), André Bourges est promu
lieutenant instructeur par Faulques au Katanga. Il a combattu
dans l’armée française en 1944-1945 puis a servi en Indochine
et en Corée.
Certaines carrières sont nées au cours de la Libération, à l’ins-
tar d’Hubert Pinaton et Loulou Martin, figures emblématiques de
ces officiers devenus mercenaires au cours des années 1960. Tous
deux avaient pris le maquis. Évadé de camp après avoir participé
à la campagne de 1940, Pinaton dirigeait un maquis finistérien ;
Lou Martin entre dans les FFI à 20 ans dans les Côtes-d’Armor.
À sa façon, Pinaton rend également compte des carrières de sous-
officier de la période des guerres de décolonisation. Réengagé en
1946 comme sergent-chef, il part pour l’Indochine­et sert avec la
1re demi-brigade parachutiste SAS. Adjudant en octobre 1947,
adjudant-chef en octobre 1948, il ne devient sous-lieutenant
qu’en octobre 1954 puis lieutenant en avril 1956. Il rejoint l’Al-
gérie et reçoit une nouvelle citation pour fait d’armes en Kabylie
en juin 1959. Nommé commandant, il prend sa retraite. Pour
sa part, Loulou Martin entre à Saint-Cyr en 1945 puis rejoint
la Légion étrangère et s’y couvre de gloire à la 13e DBLE et au
1er BEP (Bataillon étranger de parachutistes). Parachuté à Diên
Biên Phu le 21 novembre 1953, il est cité trois fois et blessé
quatre fois, il participe ensuite à l’expédition de Suez. Versé au
1er REP comme chef de bataillon en 1959, il quitte le service

75
Dans l’ombre de Bob Denard

en 1963. Officier couvert de décorations mais aussi de blessures


qui expliquent une retraite précoce, Loulou Martin est encore
un baroudeur, un combattant. Le commandement paraît natu-
rel chez cet homme aux yeux clairs et à l’allure sereine. Il sait
également être bon camarade et, malgré ce prestigieux parcours,
il poursuit sa carrière comme mercenaire. Il sert au Yémen puis
devient commandant de la Garde présidentielle (GP) au Gabon.

Mercenaires français, milieux paras et Légion étrangère…

Dès l’époque du Katanga, les unités perçues comme regrou-


pant l’élite combattante de l’armée française (parachutiste et
Légion étrangère) occupent une place privilégiée dans les filières
qui mènent au mercenariat1. On peut y voir le rôle premier de
Trinquier, remplacé par Faulques, dans la construction du groupe
des « Affreux ». Toutefois, cela répond sans doute également aux
souhaits des autorités d’Élisabethville. Belges et Français issus
de ces unités sont majoritaires parmi les parcours étudiés avec 9
hommes dont 8 parachutistes. Dans l’équipe constituée pour le
Yémen, la recherche d’excellence et/ou l’influence de Faulques
font que le poids des parachutistes et des légionnaires semble
encore plus significatif. Malgré l’élargissement des effectifs,
incarné par les missions d’enrôlement de Thielemans et Faugère
en Europe, la place de ces unités n’est pas remise en cause parmi
les mercenaires identifiés en RDC. Les parachutistes (21 toutes
origines confondues) sont alors largement majoritaires.
Au Biafra, les parachutistes semblent encore les unités les
plus représentées ; la Légion étrangère tient aux réseaux per-
sonnels de Roger Faulques (présence de Picaut d’Assignies par
exemple). Michel Loiseau confirme cette place prédominante et
les rapports de forces internes qui en découlent. Lorsqu’il décrit

1. On a inclus les commandos parachutistes belges qui s’insèrent dans le groupe


mercenaire fidèle à Denard au cours des années 1960.

76
« Affreux » ou soldats perdus ?

la place de Maurice Stimbre dans l’équipe à laquelle il appar-


tient, il explique : « Momo a un ascendant réel sur le groupe, son
passé lui sert de carte de visite. Il y a pas mal de légionnaires, et
comme ils ont déjà tendance à se regrouper, cela ne facilite pas le
comman­dement pour un type qui ne se distingue pas rapidement
à leurs yeux. Les paras sont plus souples à commander mais c’est
vraiment une mafia. Momo en est le plus bel exemple. » Michel
Loiseau confirme la hiérarchie au sein de l’équipe de Faulques
en évoquant la dernière catégorie : « Quelques anciens du Congo
complètent le groupe. Ce sont souvent des isolés dont la valeur
militaire n’est pas toujours avérée1. »

… aux sympathies Algérie française

Alors que de nombreuses unités parachutistes et de la Légion


étrangère ont été impliquées dans les principales actions des
partisans de l’Algérie française (putsch des généraux en 1961
no­tamment), cette importance doit être mise en lien avec la situa-
tion politique des mercenaires largement issus de ces troupes.
Cela inquiète d’ailleurs les diplomates français impuissants dans
ce dossier sur lequel ils n’ont pas la main. Ainsi, un télégramme
diplomatique cherche-t-il à attirer l’attention de Paris sur « le cas
du capitaine [Yves] de La Monneraye de La Bourdonnais, chargé
de l’action psychologique à l’état-major katangais, ancien témoin
du colonel Godard à Alger et témoin remarqué au procès des
barricades2 ».
En fait, pour les Français, il faut envisager un lien entre l’ar-
rivée d’anciens officiers comme mercenaires en Afrique et leur
désapprobation de la politique de retrait en Algérie qui s’amorce
à partir de 1960. Un peu démoralisée par les choix gaulliens per-
çus comme un renoncement, voire une trahison, une frange
1. Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit.
2. Télégramme diplomatique de l’ambassade de Léopoldville du 22 juin 1961,
MAE, série Afrique-Levant, Congo, carton 48.

77
Dans l’ombre de Bob Denard

de l’armée française est réceptive à des propositions de service


en Afrique subsaharienne, et notamment au Katanga. L’ONU
signale d’ailleurs la mise en place d’une filière de recrutement et
d’organisation de l’OAS au Katanga au printemps 1962. Les deux
animateurs identifiés sont Michel de Clary et Henri Lasimone1.
Plus tard, d’anciens militaires obligés de basculer dans la clandes-
tinité rejoignent les rangs des mercenaires. Ainsi, fils d’un géné-
ral de brigade, Henry Alain fait son service au sein des parachu-
tistes coloniaux en Algérie. Rentré en France, il ne trouve pas
d’emploi malgré l’insistance de son père. Il s’engage alors dans la
Légion étrangère et est affecté au 1er REP. Il rejoint l’OAS et vit
en clandestinité avant d’être arrêté et condamné à cinq ans de pri-
son. Il rejoint Bob Denard en RDC en 1966 sans que l’on sache
comment­il est entré en contact avec le chef mercenaire2.
En raison des recrutements dans les milieux de la Légion
étrangère et « paras » à l’époque du Katanga, les relations interper-
sonnelles maintiennent cette filière dans les années 1960. L’exil
de Moïse Tshombé à Madrid est également un facteur de poro-
sité puisque de nombreux activistes Algérie française ont trouvé
refuge dans la péninsule Ibérique. Ainsi, Jean-René Souêtre,
ancien officier devenu cadre de l’OAS à Oran, vit en clandesti-
nité à partir de 1962. Il rejoint les conseillers militaires de l’an-
cien Premier ministre congolais en 1966 puis s’engage comme
mercenaire (opération « Lucifer » avec Denard, puis Biafra). En
fait, les basculements vers une carrière de « chien de guerre » s’ac-
célèrent logiquement à partir de 1962. À Sciences Po, avant de
­s’enrôler au Congo, Pierre Chassin est membre des filières étu-
diantes de l’OAS-Métro. Il participe notamment au mitrail-
lage de permanences du Parti communiste. Lorsqu’il s’envole de
Bruxelles pour Léopoldville, il se rapproche naturellement d’un

1. Rapport au secrétaire général de l’ONU de l’officier général en charge de


l’opération au Congo le 20 août 1962, S-0888-0006-02-00001.
2. Archives privées Bob Denard, cartons 31 et 51 complétés par des renseignements
fournis par son fils.

78
« Affreux » ou soldats perdus ?

Français, Claude Minet, qui a connu la prison pour son impli-


cation dans l’OAS.

Les hommes qui servent sous Faulques semblent plus particu-


lièrement proches des milieux activistes. C’est déjà lui qui éloigne
de la France Honoré de Condé impliqué dans l’attentat du Petit-
Clamart en l’envoyant au Yémen. Adjoint de Faulques au Biafra,
ancien officier du 1er REP comme lui, Picaut d’Assignies a été res-
ponsable de l’OAS à El-Biar. Michel Loiseau confirme d’ailleurs
ce lien au moment du Biafra. Il décrit ainsi l’équipe de l’ancien
commandant en second du 2e REP : « motivée, cornaquée par
notre mentor, Eggé, dans un bistrot niçois, où règne encore l’am-
biance Algérie française1 ». Passé par le 1er RCP pendant la guerre
d’Algérie, Jacques Lafaille est très proche de Jean-Jacques Suzini,
l’un des fondateurs de l’OAS. On le retrouve ensuite sergent de la
section spéciale du 6e BCE au Congo en 1967.
Le déplacement d’une partie des cadres de l’OAS restés actifs
après 1962 vers Bruxelles ouvre une dernière voie à la porosité
entre combat OAS et engagement mercenaire. Les derniers mili-
tants, comme Pierre Sergent, maintiennent des structures de
lutte. Le Conseil national de résistance devenu Conseil natio-
nal de la révolution fonctionne jusqu’en 1968. À côté des recru-
teurs des mercenaires, le bouche-à-oreille fait son travail. Ainsi,
ancien du 1er RPIMA, Georges Seren-Rosso raconte les circons-
tances qui l’ont amené à rejoindre Denard en RDC : « J’avais lu
des choses sur Tshombé. Je vivais dans le milieu des anciens de
l’Algérie française. J’avais lu dans Paris-Match un reportage sur
les mercenaires au Yémen. De guerre lasse, j’ai décidé de m’enga-
ger à la Légion étrangère. À Marseille, au fort Saint-Nicolas, un
ancien du 2e REP me dit : “Qu’est-ce que tu fais là ? À ta place,

1. Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit., Ancien chef de bataillon, Léon
Eggé est également un mercenaire dont on a peu de traces hors des récits de ses
compagnons d’armes.

79
Dans l’ombre de Bob Denard

j’irais au Congo. Il te suffit d’aller à l’ambassade congolaise”. Je


mis quelques mois avant de me décider1. »
Pendant une bonne partie de la décennie 1960, ces « soldats
perdus » convergent vers Faulques. Pourtant, les liens établis entre
Denard et les milieux de la Légion et des parachutistes se ren-
forcent lors de l’opération au Biafra, alors qu’il n’est pas sur le ter-
rain. Éparpillés sous différents chefs, ses lieutenants essaient de
nouer des relations entre ceux-ci et Denard. La solidarité du passé
Algérie française facilite cette bonne entente. Ainsi, Justin [mer-
cenaire non identifié] écrit le 13 mai 1968 à Denard : « Je pars en
opération […]. Ici je suis avec STR [Rolf Steiner]. Je le connais
très bien. Nous étions ensemble à la Santé. » L’auteur fait ici allu-
sion aux neuf mois passés par Rolf Steiner en prison préventive
en 1962 après avoir été interpellé après une « nuit bleue2 ». Le
légionnaire allemand était alors le responsable OAS du secteur
Hussein-Dey - Hydra. Cette sociabilité Algérie française explique
une immédiate bonne entente malgré les années écoulées. Or,
Justin poursuit : « Je lui ai fait mon baratin et il accepte de tra-
vailler avec vous. Vous pouvez donc venir ici mettre au point
toutes les questions, renforts, armements, etc., et prendre l’affaire
en main en lui laissant toutefois la direction du terrain. Il vous
secondera parfaitement car c’est un homme de valeur3. » Ce cour-
rier tendrait ainsi à accréditer la volonté de Steiner, personna-
lité relativement isolée, d’intégrer ou du moins de s’adosser au
groupe Denard.

Le pouvoir gaullien ouvre d’ailleurs habilement les portes des


prisons pour diriger ces soldats perdus vers les théâtres merce-
naires d’Afrique. Comme Justin et Steiner, ou encore Souêtre,

1. Interview de Georges Seren-Rosso, « Mercenaires et volontaires », Le Crapouillot,


janvier-février 1994, p. 9.
2. Ce terme désigne usuellement les nuits d’attentats qui font bleuir le noir de la
nuit avec la lumière provoquée par des explosions terroristes.
3. Extraits d’une lettre du 13 août 1968, archives privées Denard, carton 78.

80
« Affreux » ou soldats perdus ?

beaucoup de ces « nostalgériques » sont prêts à cette aventure pour


pouvoir à nouveau reprendre une carrière des armes. Christian
Lefèvre nous livre ainsi son expérience personnelle : « On est par-
tis à 7, les 7 mercenaires, pratiquement tous des gars de l’OAS.
C’était une époque où nous avions encore besoin de mouvement
et de liberté […]. D’ailleurs, les morts, les morts qu’on a eus, là-
bas étaient presque tous de l’OAS, du combat pour l’Algérie fran-
çaise. Je suis parti par le camarade W., avec, au-dessus, le chapeau-
tant, le commandant Le Be. J’avais envie d’aventure, je suis parti
en sortant de prison, fin 67, un peu d’air pur et de vacances…
Par la suite, j’ai retrouvé des types comme Schliedermann, Ca.,
qui étaient déjà là-bas1. »

Les sociabilités Algérie française peuvent cependant également


jouer contre les chefs mercenaires quand ceux-ci sont pris en fla-
grant délit de contacts avec le pouvoir gaullien. En effet, pour
les « nostalgériques », l’abandon de l’ancienne colonie constitue
une rupture politique définitive avec Paris. À ce titre, conservé
dans les archives de Bob Denard, un document est particuliè-
rement significatif de la position extrémiste de certains merce-
naires. L’auteur inconnu en est visiblement un (ou quelqu’un de
très proche du milieu) tant les renseignements dont il dispose
sont précis. Dans certains passages, il emploie le véritable nom
de Jacques Foccart – Jacob Koch – dans l’idée de le discréditer.
L’envoi de l’équipe de Faulques au Biafra est assez bien décrit mais
est ainsi analysé : « Les volontaires ignoraient que Faulques tra-
vaillait pour Foccart et que le but de Foccart était de faire échouer
cette affaire. » Seule une haine viscérale pour Foccart et le pou-
voir gaullien peut conduire à penser que le secrétaire aux Affaires
africaines et malgaches ne souhaite pas la réussite des mercenaires
auprès du colonel Ojukwu.

1. Témoignage écrit de Christian Lefèvre transmis par Pascal Gauchon.

81
Dans l’ombre de Bob Denard

D’ailleurs, la même hostilité conduit à un angle de vue très per-


sonnel des événements de 1967 en RDC : « Schramme devenait
dangereux pour les Services français dont la politique consiste à
soutenir, en Afrique comme partout ailleurs, les régimes dits révo-
lutionnaires, c’est-à-dire procommunistes1. » Ainsi, l’auteur tra-
duit-il son engagement pro-occidental dans la guerre froide. On
peut y voir un discours proche de celui d’Aginter Press. Peut-on
considérer que certains mercenaires ont adhéré à « Ordre et
Tradition », cette organisation clandestine créée par Yves Guérin-
Sérac et née dans les milieux de l’OAS ? La présence de filières et
d’objectifs communs, la lutte contre l’infiltration commu­niste en
Afrique notamment, rend l’hypothèse vraisemblable. Rien n’at-
teste cependant d’une véritable structuration parmi les merce-
naires français de l’Organisation d’action contre le communisme
international (OACI) qu’aurait mise en place Yves Guérin-Sérac
en décembre 19662. En revanche, l’auteur de ce mémorandum
présente la thèse d’un Jacques Foccart agent du bloc de l’Est
qu’on trouve développée dans la littérature de l’ultra-droite au
même moment. Il paraît pourtant hasardeux à cette période d’as-
similer mercenariat et culture d’ultra-droite ; le vrai ciment poli-
tique réside sans doute dans le seul divorce de certains militaires
avec le choix gaullien de décoloniser l’Algérie.

1. Extraits du mémo dactylographié intitulé Informations confidentielles, daté du


30 janvier 1968 et pour lequel est précisé « à utiliser sans mention de la source »,
archives privées Bob Denard, carton 51.
2. Olivier Dard, Enquête au cœur de l’OAS, Paris, Perrin, 2005, 423 p.
Chapitre 3

Les mercenaires français, un groupe en voie


de structuration parmi les « Affreux »

S’il est en partie issu de l’armée française, ce groupe constitue­,


par son existence, une rupture majeure avec la tradition militaire
instaurée depuis la Révolution française. Ces hommes sont la pre-
mière troupe mercenaire française depuis la cession de la Légion
étrangère par Louis-Philippe à l’Espagne en 1835.

Organisation d’un nouveau groupe de combattants


dans les conflits postcoloniaux

On a pu mesurer que les savoir-faire offerts par les mercenaires,


voire leur perception de la décolonisation française, n’ont rien de
spécialement originaux. En revanche, leurs modes de fonc­tion­
nement les distinguent d’une troupe classique dont une large par-
tie des cadres est cependant issue.

Bob Denard, l’émergence d’une figure singulière

Il faut retracer le parcours de Bob Denard pour comprendre


comment se modèle ce groupe d’Affreux, tant son influence
devient rapidement importante. L’homme se distingue de Jean
Schramme qui est, en premier lieu, un grand colon défenseur de
ses intérêts. Sa carrière avant l’arrivée au Congo est moins pres-

83
Dans l’ombre de Bob Denard

tigieuse que celle des autres cadres français, notamment Roger


Faulques. Bob Denard s’engage au Katanga en novembre 1960.
Contrairement à beaucoup d’anciens militaires français, recru-
tés dans les milieux de la Légion étrangère et des parachutistes,
il est issu des rangs de la Marine. Ancien quartier-maître, il n’est
pas passé par les filières liées au colonel Faulques. Il se présente
spontanément aux officiers belges qui encadrent la gendarmerie
katangaise. Sur un malentendu de grade, il est aussitôt nommé
sous-lieutenant.
Expulsé lors de l’opération « Rumpunch », il arrive à Bruxelles
le 10 septembre 1961 pour mieux retourner au Katanga le 15.
Blessé au bras lors d’un accrochage avec l’ANC le 29 novembre
1961, Denard rejoint cependant Élisabethville où il est fait capi-
taine. Il participe à cette seconde bataille pour la ville. Dans les
dernières semaines de la sécession katangaise, Tshombé le nomme
commandant. Après son passage par le Yémen il est suc­ces­si­
vement élevé au grade de major le 1er juillet 1965 puis de lieute-
nant-colonel le 1er mai 19661.
Malgré ce parcours initial de sous-officier, il montre des capa-
cités dans le commandement des troupes qui lui sont confiées
lors de la sécession katangaise. Il prend ensuite une ampleur nou-
velle en mettant sur pied le 1er choc. En réalité, cette ascension
très rapide repose sur ses compétences propres. Sachant se mon-
trer impavide et n’hésitant jamais à s’exposer personnellement, il
démontre d’incontestables qualités d’entraîneur d’hommes. Ce
calme face à la mort assoit son autorité. Outre les blessures reçues
dans cette décennie 1960, une anecdote peut illustrer cette atti-
tude. Alors qu’il dirige le 1er choc, Bob Denard travaille à son
bureau lorsque surgissent deux mercenaires passablement émé-
chés, ramenant avec eux le corps d’un de leurs camarades tués lors
d’une rixe dans un bar. L’un d’eux brandit son fusil-mitrailleur en
direction de Bob Denard en réclamant vengeance. Son chef sort

1. États de services congolais, archives privées de Bob Denard, carton 78.

84
Les mercenaires français, un groupe en voie de structuration

du bureau et s’avance calmement vers lui. Comme l’autre refuse


de baisser son arme, Bob Denard sort son pistolet de son étui,
réitère ses ordres, demande au second de ne pas bouger avant de
tirer entre les deux jambes de l’homme à la mitraillette. Surpris et
sans doute glacé par le sang-froid du chef du 1er choc, le merce-
naire dépose finalement son arme1.
Bob Denard dispose d’un solide bon sens de paysan médo-
cain. Dès la fin de l’aventure katangaise, il comprend qu’il peut
se construire un destin en misant tout sur sa réputation naissante
d’« Affreux ». Tout au long de sa carrière, il saura jouer avec les
médias pour se mettre en lumière. Au Congo, devant la concur-
rence des Belges mais aussi des Sud-Africains, son intuition le
pousse à se distinguer par la création d’une unité d’élite, le 1er
choc. Il sait que l’expérience de nombreux mercenaires français
leur permet de surclasser les Belges dans la dimension tactique.
Les compétences de combattants des Sud-Africains sont unani-
mement saluées. En revanche, leur mauvais comportement est
tout aussi souvent relevé par les témoins tant africains qu’euro-
péens : violence, indiscipline… Le lieutenant Badaire témoigne
avoir « vu [au Katanga] 180 Rhodésiens qu’on a mis à la lourde
car ils ouvraient les coffres-forts au bazooka2 ».
Arrivé le 22 février 1965 à Léopoldville, Bob Denard ne dis-
pose que d’une quinzaine d’hommes. Comprenant que l’image
d’excellence passe par la tenue, il imagine un véritable uniforme
distinctif, « tenues camouflées françaises, de bérets rouges avec
le macaron parachutiste français, un écusson d’épaule reprenant
le dessin du “diablo katangais” avec au-dessus un badge “com-
mando”. Tout le monde porte des épaulettes rouges/violette
semblables à celles du service santé de l’armée française. Seuls
les grades sont indiqués à la belgo-congolaise (étoiles au lieu de
barrettes) ». Il s’agit d’afficher cette mine de professionnels aux
1. Anecdote rapportée par Henri Clément lors d’un entretien à Paris le 24 janvier
2014.
2. Émission Les aventuriers d’Alain de Sedouy diffusée le 9 juin 1966.

85
Dans l’ombre de Bob Denard

yeux des autorités : « À défaut de faire la guerre, les volontaires ont


l’ordre de faire du “Bigeard boy” et de se promener en ville afin de
montrer leur bonne tenue. Les officiers sont venus avec leur uni-
forme français de tenue d’été en tergal beige clair1. »
Le 1er choc doit surtout disposer de combattants. Ils sont une
trentaine le 14 mars quand ils partent pour Stanleyville puis pour
l’opération « Yangambi ». Il faut bientôt à nouveau recruter. « Il y
avait de tout, bien sûr. Les garçons de café y étaient plus nom-
breux que les intellectuels mais ce n’étaient pas des raclures de
fond de tiroir. Des types à bagages universitaires, deux ou trois
fils de généraux… Beaucoup étaient des purs et ils se battaient
bien2. » Denard accorde de l’importance à la bonne tenue de sa
petite troupe. Il développe toute une rhétorique pour montrer
à Mobutu sa capacité à offrir un outil militaire de réelle qualité.
Le Français cherche à faire de ses hommes des modèles de
combat­tants mais aussi des soldats fidèles à la mission qui leur a
été confiée et capables de donner l’image d’une discipline mili-
taire. Tel est le discours qu’il tient à ses subordonnés lorsqu’il
prend la tête du 6e BCE : « Considérons-nous comme étant au
service d’un patron, et quand on est au service d’un patron, celui-
ci vous paie pour votre rendement, il faut lui apporter quelque
chose ; sinon, il vous remercie. » Ce respect du contrat est illus-
tré par la décision d’accepter d’étouffer la révolte des Katangais
en 1966. Après le ralliement d’une partie du bataillon à la rébel-
lion, il écrase celle-ci et peut désormais renforcer son autorité sur
les mercenaires étrangers. « Il est nécessaire de tracer une nouvelle
ligne de conduite, compte tenu des éléments dont je dispose.
J’ai conscience d’avoir fait mon travail et de l’avoir bien fait »,
affirme-t-il alors à ses lieutenants3. La phase d’éparpillement des

1. Journal de marche du 1er choc, op. cit.


2. Pierre Lunel, Bob Denard, le roi de fortune, op. cit., p. 277.
3. Allocution du lieutenant-colonel Denard, p.V. de la réunion du personnel
administratif de la base de transit de Kinshasa (4 septembre 1966, état-major du 6e
BCE), archives privées Denard, carton 68.

86
Les mercenaires français, un groupe en voie de structuration

« volontaires étrangers » pour encadrer des éléments de l’ANC est


achevée. Denard regroupe les hommes du 6e BCE.

Un objectif : devenir l’élite des « volontaires étrangers »

Son ambition de bâtir autour de lui une troupe étrangère


d’élite par sa « conscience professionnelle » et son comportement
exemplaire est décuplée : « On peut prendre exemple sur le 5e
codo car le 5e codo ne fait qu’un seul homme ; pour le 6e BCE,
ce n’est pas encore le cas ; ce n’est pas parce que nous sommes
mélangés, de nationalités différentes, il y a chez nous des Belges,
des Français, des Italiens, etc. Il faut créer un esprit de corps car
c’est cet esprit de corps qui fera alors notre force et les gens qui
nous emploient en seront conscients […]. Je sais bien que vous
avez parfois été livrés à vous-mêmes mais, dans certaines circons-
tances, certains se révèlent, d’autres se pourrissent. Voyez les évé-
nements de Kisangani et voyez qu’avec une petite minorité, on
peut faire quelque chose […]. » Denard réorganise le 6e BCE et se
consacre plus particulièrement au renforcement de sa « vitrine »,
son corps d’élite, le « 1er choc ».
La nouvelle structuration du bataillon de Denard passe par une
épuration et la disparition des mauvais comportements : « Tous
les petits trafics, et je pourrais en citer pas mal car je suis bien
informé, n’ont fait que nuire à l’esprit de solidarité et de cama-
raderie ; on a même vendu un revolver jusqu’à 100 000 francs,
bien entendu s’il y a des pigeons tant pis pour eux mais dans ce
domaine, il y beaucoup à dire1. » De fait, dans la compétition
entre les différents groupes, les faiblesses de certains mercenaires
doivent permettre aux autres de se distinguer. En 1967, après la
reprise en main de son bataillon et la participation à la répression
contre les Katangais révoltés, Bob Denard peut ainsi soigner son
1. Discours du lieutenant-colonel Denard à ses hommes, Rapport de la réunion
des volontaires du 6e BCE présents à Kinshasa le 5 septembre 1966, archives privées
Denard, carton 68.

87
Dans l’ombre de Bob Denard

image auprès des institutions congolaises et diffuser l’image qu’il


souhaite se donner. Il répond ainsi à une interview du service de
presse de l’ANC : « Ce n’est pas parce qu’on nous fait porter l’éti-
quette de mercenaires qu’il faut penser que nous sommes prêts à
suivre n’importe quelle aventure, en faisant fi des engagements
que nous avons pris envers le gouvernement de la RDC. Je suis
fier de pouvoir dire que la grande majorité de mes hommes par-
tagent mes sentiments vis-à-vis du respect des engagements pris,
vous avez pu vous rendre à mon état-major et avez pu constater
que notre devise est Honneur et Fidélité. Je pense qu’elle a été res-
pectée. J’espère que le peuple congolais et les troupes de l’ANC
en particulier en ont pris conscience. Je profite de l’occasion pour
vous demander […] de bannir le mot “mercenaire1”. » La reprise
de la devise Honneur et Fidélité de la Légion étrangère (LE) fran-
çaise est significative de la réputation d’excellence que souhaite se
donner Denard. Il assimile ainsi la position du 6e BCE au sein de
l’ANC à celle de la LE dans l’armée française.
Incontestablement, l’une des raisons qui permet au Médocain
d’émerger de cette nébuleuse des « Affreux » de la première moi-
tié des années 1960 est sa capacité à projeter l’image d’un groupe
d’« experts volontaires », selon l’expression qu’il privilégie, et non
d’irréguliers sans morale et uniquement soucieux de s’enrichir.
Seul le 5e codo pouvait le concurrencer sur le terrain de l’exper-
tise militaire, mais la retraite de Mike Hoare a donné un avantage
décisif à Denard. Jean Schramme demeure l’homme du Katanga
et des intérêts des colons belges. Malgré leur alliance pour se sou-
lever contre Mobutu l’année suivante, la rupture entre les deux
hommes date de cette période. Jean Schramme le répétera après
Bukavu à de multiples reprises2. En 1966-1967, le mercenaire
français devient donc un élément central du dispositif militaire
de Mobutu en RDC.
1. Interview accordée par Denard au lieutenant Lonoh Michel, chef de la Presse
militaire au QG de l’ANC le 21 octobre 1966.
2. Il reproche également à Denard d’être aux ordres de Paris.

88
Les mercenaires français, un groupe en voie de structuration

Sous un intitulé différent, cette idée est reprise lors de l’opé-


ration menée au Biafra. Le groupe envoyé par Bob Denard doit
prendre le nom de Groupe d’assistance technique indépendant
(GATI). La présentation des mercenaires sous-entend ainsi une
offre de service comparable à la coopération militaire mais avec
l’indépendance en plus. Toutefois, cette équipe Denard n’est pas
retenue par Ojukwu. Il va cependant assurer un rôle logistique.
Sous les ordres de Cardinal, ses équipes gèrent l’aéroport et le
port par où arrivent hommes, matériel et munitions. Une fois
cette base perdue par les Biafrais, Denard bascule sur le Cabo
Verde. Ses autres fidèles sont pourtant sur le terrain et remplissent
les missions « habituelles » de formation et d’encadrement. Parmi
eux, Armand Ianarelli poursuit l’aventure biafraise jusqu’au bout
aux côtés de Rolf Steiner. Comme pour le 1er choc, il fait broder
sur l’étendard de la 4e brigade qu’il commande la devise Honour
and Fidelity.

En réalité, Bob Denard n’est pas le maître incontesté du groupe


des mercenaires français jusqu’au Biafra. Outre les adjoints de
Faulques comme Picaut d’Assignies, des officiers français comme
le capitaine Souêtre ou Gildas Lebeurrier, un ancien du ba­taillon
de Corée, commandent les équipes de « chiens de guerre ». Du
seul côté des Ibos sécessionnistes et de leurs soutiens français,
ces différents chefs peuvent faire valoir leur légitimité à incar-
ner ce mercenariat français. La figure de Faulques est, par ail-
leurs, respectée par tous et son autorité inégalée. Ces concurrents
ont eu une carrière d’officier dans les guerres de décolonisation ;
plus que d’autres sans doute, Denard doit donc apporter à ses
potentiels clients la garantie d’un sérieux dans la discipline, l’as-
surance de respecter le contrat et une « expertise » dans les savoir-
faire militaires.

89
Dans l’ombre de Bob Denard

Maître de ses troupes

Pour ce faire, il doit attirer les meilleurs vers lui. Il a constitué


un premier réseau d’hommes de confiance au Katanga, consolidé
par l’engagement au Yémen (mais en collaboration étroite avec
d’autres « grands » comme Faulques). Le retour de Bob Denard au
Congo s’effectue avec une rotation des hommes entre le Yémen
où il était précédemment et le Congo. En réalité, il semble que
le théâtre de la péninsule Arabique, où Denard travaille pour
le parti royaliste et pour les services britanniques, lui assure de
confortables revenus. Ces rentrées d’argent permettent de finan-
cer l’engagement dans l’ancien Congo belge. Dans cette seconde
mission, les liens noués avec Moïse Tshombé au temps de l’aven-
ture katangaise se renouent, au-delà de la garantie d’un paiement
immédiat. La question demeure pourtant présente dans l’esprit
des hommes de Denard. Ainsi l’un de ses lieutenants, Freddy
Thielemans, lui écrit-il du Yémen : « J’ai appris par la presse tes
succès militaires. Tu sembles faire avec ton groupe un travail sen-
sationnel et tu passes un peu pour le réformateur d’une armée
de brigands qui, sous tes ordres, commence quand même à faire
preuve de réelle valeur militaire […] Est-ce que le Grand-Père
[Moïse Tshombé] compte un jour nous payer ? Sinon qu’il fasse
pour toi au moins ce qu’il a fait pour le groupe Schramme qui
a quand même touché une partie de ce qu’on lui devait1. » Dans
cet extrait de sa lettre, Thielemans assimile les groupes de mer-
cenaires au chef qui les commande. Belge, il se réclame im­pli­ci­
tement de l’équipe française de Bob Denard.
La première caractéristique de ces « Affreux » est l’identifica-
tion d’un groupe à son chef. Elle justifie l’appellation de mer-
cenaire en sous-entendant que le Médocain est le maître de ses
hommes et qu’il n’est pas un élément parmi d’autres de la chaîne
de commandement qui remonte jusqu’au chef des armées. De
1. Lettre de Freddy Thielemans à Bob Denard écrite au Yémen le 24 juin 1965,
archives privées Bob Denard, carton 78.

90
Les mercenaires français, un groupe en voie de structuration

fait, Bob Denard construit l’image d’un officier qui a la capa-


cité d’opérer lui-même son recrutement et qui est le véritable res-
ponsable auquel les hommes doivent rendre des comptes. Dans
un premier temps, les autorités congolaises enrôlent donc des
volontaires supplémentaires, versés ensuite dans les « régiments
étrangers », les 5e et 6e codo largement composés de Sud-Africains
pour le premier et de Belges pour le second. Toutefois, très ra­pi­
dement, Bob Denard, chef du 6e BCE, se plaint de la piètre qua-
lité des mercenaires qu’on le charge d’intégrer à sa troupe. Il
réclame la possibilité d’effectuer lui-même la sélection de ses sol-
dats étrangers.
Chef de l’ANC, Mobutu donne son accord dès 1965 : « Le
recrutement du personnel volontaire tel qu’il est pratiqué actuel-
lement s’avère sans rendement du fait d’un manque caractéris-
tique de sélection. Le personnel qui nous est envoyé manque des
aptitudes exigées de tout militaire. Ce mode de recrutement doit
cesser immédiatement. Il sera repris sur des bases plus saines, en
conformité avec les directives ci-après. Le capitaine Thielemans
est, seul, chargé du nouveau recrutement et de la sélection des
personnels volontaires. Vous lui communiquerez les noms et
adresses de tous les volontaires qui se présenteront à l’ambas-
sade. Le capitaine Thielemans procédera aux examens requis
pour les candidats et vous communiquera les noms des person-
nels sélectionnés1. »
Ainsi Mobutu accorde-t-il au lieutenant de Bob Denard d’opé-
rer les choix depuis Bruxelles. Bob Denard se voit ainsi renforcé
dans sa légitimité parmi la courte liste de chefs de troupes en
Europe. Tony de Saint-Paul est tué au Yémen en décembre 1963.
Il est une figure pionnière et il devient, après sa mort au combat,
une figure mythique. Jusque-là, ce jeune officier a rapidement
imposé son charisme à ses mercenaires et ses guerriers katangais ou
yéménites. Il a également su se construire une a­ ttitude qui frappe
1. Lettre du général Mobutu à l’attaché militaire à l’ambassade de Bruxelles datée du
27 février 1965, archives privées Bob Denard, carton 78.

91
Dans l’ombre de Bob Denard

les esprits. Après le petit collier de barbe apparu dès le Katanga, le


crâne rasé pour s’adapter aux conditions sanitaires du désert ren-
voie l’image d’un condottiere de la Renaissance. L’aventurier qu’il
incarne est à la fois un joyeux compagnon de fêtes à Paris et un
ascète qui, par l’exemple, aide ses mercenaires à surmonter la rude
vie de combattant dans les montagnes du Yémen.
Pour le théâtre congolais, Denard élargit son recrutement.
Comme cela a été évoqué, les hommes retenus ne sont plus systé-
matiquement des militaires de carrière en raison des besoins crois-
sants et des délais impartis. Qui plus est, les critères d’exigence
sont assouplis. Tout homme ayant accompli son service militaire
sans mention défavorable sur ses aptitudes ou son comportement
est susceptible d’être accepté. Les qualifications de cette nouvelle
vague de mercenaires semblent donc assez faibles, hormis une
connaissance sommaire de l’armement acquise sous les drapeaux.
Il est vrai que, depuis 1950, la durée d’appel a été allongée à dix-
huit mois et que de nombreux appelés ont effectué un service
qui a pu durer jusqu’à trente mois durant la guerre d’Algérie.
Toutefois, cette expérience plus approfondie ne concerne que les
Français.

L’Europe des mercenaires : un marché très concurrentiel

Dès l’année suivante, l’intensification des enrôlements se tra-


duit par la recherche de nouveaux viviers géographiques. Trois
missions de recrutement hors de Paris et Bruxelles sont lancées :
le capitaine Martin et le lieutenant Faugère en France, le capi-
taine Polaveja pour l’Espagne et l’adjudant Zambon pour l’Italie­1.
Ces premières expériences d’enrôlement européen appellent deux
remarques liminaires. En premier lieu, il est vraisemblablement
plus difficile pour ces « sergents recruteurs » d’avoir accès aux nota-

1. Lettre de Denard au colonel Boteti, attaché militaire de la RDC à l’ambassade


de Paris le 8 décembre 1966 de Kisangani, archives privées Bob Denard, carton 56.

92
Les mercenaires français, un groupe en voie de structuration

tions de service national des hommes repérés hors des frontières


hexagonales. Ces conditions offrent donc moins de garantie sur
leurs qualités opérationnelles et morales (ou de pure discipline).
En second lieu, effectués hors des réseaux militaires stricto sensu,
les contacts se heurtent à des problèmes d’organisation. Envoyé
par le lieutenant-colonel Denard pour recruter 80 hommes dont
une trentaine d’officiers pour l’ANC, le lieutenant Faugère quitte
le Congo en décembre 1966. Il débute sa tournée dans le Sud-
Ouest mais il est immédiatement rappelé et doit stopper ses tour-
nées au début du mois de janvier 1967. Il en tire cependant les
premières conclusions.
Selon lui, le budget alloué à ce type de tournée doit être revu
à la hausse. L’équipe de recrutement doit être constituée au mini-
mum de deux personnes, l’une itinérante et enrôlant ef­fec­ti­
vement, l’autre basée au plus près de l’ambassade (donc pour le
cas de la France, à Paris) chargée de réceptionner les hommes et
d’effectuer les formalités. Il lui semble également nécessaire que
cet élément dispose d’un bureau à l’ambassade afin d’éviter les
rencontres dans les lieux publics et d’établir une permanence. Il
insiste sur le fait que ce chef de mission devra être hautement
qualifié et n’inspirer aucune méfiance ou réserve aux autorités de
la RDC. On peut émettre l’hypothèse que lui-même s’est heurté
à des difficultés dans ses rapports avec l’ambassade. L’enrôlement
doit, par ailleurs, être fait par contacts personnels. Pierre Faugère
montre à quel point ces modalités compliquent la bonne appré-
ciation de la qualité du personnel embauché. Comme le passé
militaire et les états de service des candidats doivent être constatés
formellement au cours des conversations, le seul livret individuel
détenu par le candidat lui paraît trompeur car trop peu explicite.
Pierre Faugère délivre également quelques conseils pour les
missions ultérieures. Selon lui, il ne faut pas faire déplacer un
candidat de province à Paris tant que sa candidature n’est pas
formellement acceptée, ce qui suppose une confiance absolue
des autorités de l’ambassade en l’officier recruteur. Autant dire

93
Dans l’ombre de Bob Denard

que la mise sur pied d’une véritable filière de sélection en France


(voire en Europe) nécessite des moyens que les seuls hommes de
Denard n’ont pas. Ils ont besoin de travailler en bonne intelli-
gence avec les services congolais mais ils doivent également pou-
voir bénéficier d’informations délivrées par les autorités mili-
taires. Pour autant, le bilan qu’il dresse n’est pas entièrement
négatif. Selon Pierre Faugère, la France offre les plus grandes pos-
sibilités de recrutement en termes qualitatifs. Si sa mission n’avait
pas été interrompue, le lieutenant Faugère affirme que l’effec-
tif désiré de 80 volontaires aurait probablement été atteint. En
quelques semaines, il n’a pu réunir qu’une quinzaine de recrues
disponibles1.
L’Espagne paraît également un terreau prometteur. Nous
aborderons plus loin la question de la collaboration avec les
autorités politiques et militaires du pays. En effet, le capitaine
Polevieja affirme de son côté : « Depuis le 5 décembre 1966, jour
de mon arrivée à Madrid jusqu’au 14 janvier 1967 où une lettre
du colonel Denard m’ordonne d’arrêter tous travaux de re­cru­
tement, je préparais un groupe de vingt hommes, parmi lesquels
quatre seulement étaient des anciens du 2e choc qui, par leur
bon compor­tement méritaient de revenir. Le reste des hommes
n’étaient jamais venus au Congo et je les sélectionnais rigoureu-
sement parmi les hommes n’ayant jamais eu de contact avec les
recruteurs de Tshombé. » Au cas où cela n’irait pas de soi, cette
remarque laisse entendre que Polevieja a orienté ses recherches
dans des milieux supposés opportuns pour l’enrôlement de mer-
cenaires. Le travail se fait en partie par bouche-à-oreille.
Le recruteur de Denard ajoute : « Des seize nouveaux, trois
étaient officiers (un capitaine, un lieutenant, un sous-lieutenant),
quatre volontaires qui avaient appartenu aux parachutistes, deux
assistants médicaux exerçant leur profession, le reste sans qualifi-
1. Extraits du rapport du lieutenant Faugère sur sa mission de recrutement de volon-
taires étrangers en France daté de Kinshasa le 10 février 1967, archives privées Bob
Denard, carton 56.

94
Les mercenaires français, un groupe en voie de structuration

cation définie… » Cependant, le capitaine Polevieja indique que


la concurrence est rude en Espagne où l’ancien président katan-
gais, Moïse Tshombé, est exilé. La confrontation entre agents des
réseaux tshombistes d’une part et mobutistes d’autre part attire
également l’attention des autorités franquistes. Selon Polevieja,
elle complique donc la préparation sereine des mercenaires qui
vont rejoindre le Congo : « Tout ceci a créé une ambiance d’in-
sécurité qui a mis en garde les services de la Sécurité militaire,
ainsi qu’un état de nervosité permanent parmi les volontaires
en congé qui gardent des contacts avec les expulsés [du Congo]
et qui prêtent attention à toutes ces rumeurs. Il serait souhai-
table que les 20 contactés puissent venir le plus rapidement pos-
sible car une prolongation de l’attente dissoudrait le groupe ou
ils finiraient par se rencontrer avec ceux qui attendent de partir
pour Lisbonne1. »
L’autre plaque tournante du recrutement en Europe et en
Afrique est le Portugal. Comme pour l’Espagne, nous analyse-
rons plus loin les enjeux géopolitiques qui l’expliquent. En butte
à la concurrence tshombiste, Denard fait plutôt transiter ses
filières par Lisbonne. Il organise une surveillance de la concur-
rence, indiquant par-là que le « marché » européen est trop limité
et rend difficile la coexistence de deux réseaux concurrents sur
cet espace. L’un des subordonnés de Denard met également en
lumière les liens entre tshombistes en Europe et assistance tech-
nique belge : « Cette affaire qui nous intéresse est, à mon avis,
dirigée par occultement par le colonel Lamouline et le major
Protin (ce dernier assistait discrètement au départ des groupes
de Bruxelles en septembre dernier). Le commandement OPS de
cette opération avait été confié au commandant Bottu qui était
assisté du capitaine Crowe (officier de liaison entre les groupes
au Portugal). »
1. Rapport du capitaine Polavieja au colonel Denard, commandant du 6e BCE.
Objet : mission de recrutement en Espagne, daté du 13 février 1967 à Kinshasa. Sa
mission s’est déroulée du 2 décembre 1966 au 10 février 1967.

95
Dans l’ombre de Bob Denard

Il donne des indications sur l’ampleur numérique de ces flux


du côté tshombiste. Les enrôlements à destination du Congo
dépassent la centaine d’hommes : « Les chiffres des effectifs se
trouvant au Portugal ont été nettement surfaits du fait des dépla-
cements continuels de ces groupes à travers tout le Portugal. Le
1er groupe qui est parti en septembre dernier comprenait une
cinquantaine d’hommes qui fut renforcé en novembre par envi-
ron septante Liégeois recrutés par Smets […]. Ici en Belgique
les recruteurs se sont constitué une réserve d’effectifs en fichant
tous les hommes susceptibles de repartir et ceci afin de les
recontacter rapidement lors du déclenchement d’une quelconque
opération1. »

Les mercenaires de Denard : un groupe en voie


d’identification

À cette époque, Denard est maître de son recrutement, ou


tout au moins dispose-t-il d’un droit de veto sur les hommes qui
lui sont présentés. Malgré une concurrence encore vive, il prend
une dimension significative. Il est le patron d’une agence infor-
melle de prestation de combattants privés. Sa faiblesse repose sur
sa capacité à fournir des matériels.

Conditions d’enrôlement dans la filière Denard

Concrètement, Bob Denard n’est pas l’employeur du mer-


cenaire enrôlé. Celui-ci signe son contrat avec l’État congolais.
Officiellement, les conditions salariales proposées aux « volon-
taires étrangers » sont généreuses. Pour une durée de six mois, ils
reçoivent une solde dont seule une moitié est payable en Europe
selon le barème suivant :
1. Voici quelques renseignements que j’ai pu rassembler au hasard de mes pérégrinations
et de mes discussions avec l’un ou l’autre non datée et non signée, archives privées Bob
Denard, carton 56.

96
Les mercenaires français, un groupe en voie de structuration

Volontaire 10 053 francs belges [soit 2 027 euros]


Adjudant 14 166
Adjudant-chef 17 708
Sous-lieutenant 21 250
Lieutenant 22 525
Capitaine 26 916
Commandant 28 531
Major 31 625
Lieutenant-colonel 37 916

À cette solde s’ajoutent des allocations familiales (2 127 francs


belges en cas de mariage, 3 404 pour un enfant, 4 707 pour deux
enfants). Sont également proposées des indemnités logement,
200 francs d’indemnités journalières, la nourriture gratuite et
des primes de danger. En cas de décès, la famille se verrait ver-
ser 1 million de francs belges et 100 000 francs supplémentaires
par enfant.
On peut toutefois noter que les soldes des mercenaires fran-
çais au milieu des années 1960 ont baissé par rapport aux offres
qui leur étaient faites (dans l’urgence) au moment des recru-
tements parisiens pour le Katanga. « Les conditions sont des
plus alléchantes : un simple soldat perçoit d’abord une prime
de départ de 200 000 francs [belges] quelques heures avant
son embarquement. On lui assure ensuite une solde mensuelle
qui varie de 100 à 150 000 francs avec les primes de risque,
un sergent vaut 180 000 francs et un adjudant 240 000 francs
environ1. » Au Biafra, un officier touche 400 dollars, soit ­environ
2 000 euros actuels.
Hormis le service militaire satisfaisant, les critères d’engagement
pour cette première période ne sont pas connus. L’élargissement

1. Télégramme diplomatique de l’ambassade de Léopoldville le 9 février 1961,


MAE, série Afrique-Levant, Congo, carton 47. 200 000 francs équivalent à environ
3 000 euros actuels.

97
Dans l’ombre de Bob Denard

des enrôlements sous-entend un lien de départ moins fort entre


le chef et les hommes qu’il retient. À partir du milieu de la décen-
nie 1960, Denard commande à des unités suffisamment impor-
tantes pour ne plus avoir une connaissance personnelle de tous
les hommes qu’il a pu recruter. Même si leur employeur offi-
ciel est l’État congolais, Denard entretient un répertoire person-
nel des mercenaires employés et potentiellement employables. Y
sont recensés les hommes en service, ceux qui n’ont passé que
quelques mois au Katanga ou en RDC avant de retourner en
Europe pour raisons personnelles ou pour blessures1.
Parmi les premières pièces que remplissent les hommes recru-
tés par la filière Denard figure un engagement de discrétion :
« Je certifie et m’engage sur l’honneur de ne révéler à personne
les conversations que j’ai eues avec le colonel Denard ; je m’en-
gage pour le futur à respecter loyalement envers lui-même notre
contrat moral. Je m’engage à prendre en toute confiance les res-
ponsabilités et charges qu’il pourrait me confier, ainsi que les
diverses missions strictement confidentielles. » Finalement, cette
sorte de serment de fidélité équivaut à faire de Denard le véritable
employeur des personnels envoyés vers la RDC en tâchant d’éta-
blir ce contrat moral entre le chef de troupe et ses hommes. De
façon implicite, l’État congolais est relégué au rang de financeur
du système ; aucune clause ne prévoit la fidélité du « volontaire
étranger » au régime pour lequel il part servir.
Les archives de Denard nous livrent les rubriques à partir
desquelles il entretient son carnet d’adresses après le retrait du
Congo. Les fiches personnelles qui le constituent sont organi-
sées en deux parties à partir de 1967-1968. Dans la première, les
renseignements utiles (état civil, expérience militaire ou de gar-
diennage, âge, sports et langues pratiqués) sont indiqués. Dans
une seconde, un profil plus psychologique et politique est dressé.
L’impétrant doit répondre à des questions de ressources humaines
1. Classeurs regroupant plus d’une centaine de noms souvent avec seulement une
adresse et un numéro de téléphone (archives privées Denard, carton 51).

98
Les mercenaires français, un groupe en voie de structuration

sur la préférence pour un travail en équipe ou en solitaire, sur la


séparation avec la France et la famille, sur des qualificatifs pour
le cerner (communicatif, distant, calme…). Il a également rem-
pli un questionnaire sur son appartenance à la franc-maçonnerie
ou à des clubs. Il a fait mention de son adhésion à un parti poli-
tique ou une centrale syndicale. Il a également dû répondre en
1968 à une question portant sur l’analyse des événements de Mai
et sur sa vision géopolitique du monde. En effet, quelques ques-
tions portent sur l’état du monde avec quelques sous-rubriques
qui montrent les zones privilégiées pour l’emploi futur du candi-
dat. Les questions portent sur la guerre du Vietnam puis peuvent
concerner soit le Moyen-Orient, soit l’Afrique1.

Il semble donc que les critères de recrutement s’affinent et


s’écartent du seul savoir-faire militaire. Il n’est guère possible de
tirer de conclusion sur la sélection opérée par ce questionnaire.
En effet, prudence ou réelle unanimité, aucune fiche conservée
n’indique d’appartenance à la franc-maçonnerie, à une formation
politique ou syndicale. Cela s’explique par l’éloignement avec la
fin des guerres coloniales qui avaient marqué le basculement de
nombreux militaires vers le mercenariat.

La concurrence Schramme-Denard

Les éléments anglophones se sont effacés les premiers de la


scène zaïroise. Dirigés par Mike Hoare, les 300 hommes environ
du 5e codo ont très bonne réputation et font figure de groupe
d’élite parmi les unités étrangères. Pourtant, leur commandant
retourne à la vie civile en Afrique du Sud. Ensuite, placé sous les
ordres de Peeters, son second, le 5e codo est écarté des opérations
les plus décisives. Essentiellement composé de Sud-Africains et

1. Le carton 51 des archives privées de Bob Denard contient plusieurs dizaines de


fiches et questionnaires pour cette période 1967-1968.

99
Dans l’ombre de Bob Denard

de Rhodésiens, le groupe a toujours opéré sé­pa­rément des autres


étrangers et de l’ANC, « puisqu’ils [les hommes du 5e codo] sont
par définition racistes1 ». Au contraire, les 6e et 10e codo sont
amalgamés à l’armée congolaise. En novembre 1964, les 500
« volontaires étrangers » reprennent le contrôle de Stanleyville
(Kisangani) face à la guérilla. Par petits groupes de 3, 5, 10 ou
20, Belges et Français encadrent alors des régiments de l’ANC sur
tout le territoire de la RDC.
Par ailleurs, une trop grande importance des mercenaires sud-
africains pose des problèmes. En effet, l’Afrique du Sud est le
seul État pourvoyeur significatif de soldats irréguliers à être afri-
cain (avec la Rhodésie). Leur rôle au service de Pretoria pour
construire une puissance régionale, voire continentale, est donc
particulièrement redouté. Ainsi, dans le cadre d’une réunion
de l’Organisation commune africaine et malgache (OCAM)
à Nouakchott en 1965, des États du continent font valoir leur
inquiétude concernant « la présence des mercenaires sud-africains.
Ils craignent qu’en cas de triomphe de ces derniers au Congo, ils
ne puissent devenir une menace pour l’Afrique orientale ». Les
mercenaires européens sont finalement un moindre mal : « Sur le
plan militaire, la plupart de ces États admettent que l’on puisse
avoir recours à des mercenaires. Les rois de France ont utilisé des
Suisses pendant des siècles. Mais ils préféreraient qu’il ne s’agisse
pas de Sud-africains2. »

L’échec de la révolte de 1967 marque la perte de crédibilité de


Jean Schramme. Divers éléments valident la thèse de Bob Denard
selon laquelle Schramme est à l’initiative de la révolte. Alors que
Mobutu souhaite licencier les mercenaires, Denard fait le choix

1. « Le Français Bob Denard et les mercenaires de Kisangani », article paru dans Le


Monde le 3 août 1966.
2. Extraits du Compte rendu de la réunion de la commission politique belgo-congolaise
sous la présidence du baron van den Bosch du 29 janvier 1965, Archives diplomatiques
belges, carton 18 882/VI.

100
Les mercenaires français, un groupe en voie de structuration

de suivre le Belge. Des journalistes arrivés sur place peu après


le début des opérations relèvent que la dissension aurait immé-
diatement éclaté entre Denard et Schramme. Même s’il est griè-
vement blessé le 5 juillet au cours des combats et évacué vers la
Rhodésie, Bob Denard s’impose désormais comme le principal
chef mercenaire au Congo. Une formidable opportunité s’offre
à lui avec l’absence de Faulques dans cette période congolaise de
1964-1967. Cette disparition (provisoire) de la scène mercenaire
s’explique également par la moindre volonté de l’ancien officier
supérieur de faire une carrière de « chien de guerre ». À Bukavu,
les Français sont très critiques envers Jean Schramme. Il ne peut
plus faire figure de chef des « étrangers volontaires » après cet épi-
sode. Ainsi, le journaliste belge Paul Masson signale que « dans
un bar, trois mercenaires français déclarèrent que si Schramme les
empêchait de quitter le Congo, ils l’abattraient1 ».
En réalité, les événements de 1967 sont l’aboutissement d’un
processus qui se déroule entre 1964 et 1967. Après le Katanga, les
Belges sont les plus nombreux et surtout occupent des fonctions
stratégiques : « Les Belges avaient les postes-clés, commandants de
base, 3e, 4e bureau ainsi que tous les services. » Peu à peu, c’est à
Denard que sont confiées de nouvelles responsabilités, comme le
montre le projet de Mobutu de mettre sur pied une brigade mixte
volontaires étrangers-ANC. L’organisation du futur corps et son
commandement sont attribués à Denard. Au-delà du cas personnel
de Denard, les Français du 6e BCE s’imposent progressivement aux
dépens des Belges. Ancien officier de l’armée française, le major
Pinaton décrit ainsi le jeu de rivalités entre étrangers : « Dès le
début, je sentis une hostilité marquée de la part des “cadres” belges
qui voyaient en moi le Français devant occuper un poste important
et le major venant s’introduire dans leur tableau d’avancement2. »

1. Note de Paul Masson à l’attention de M. d’Ursel le 24 septembre 1967, Archives


diplomatiques belges, 18 882/IX.
2. Extraits du mémoire dactylographié d’Hubert Pinaton, « Les événements de l’est
du Congo », 25 p. Il est tiré de son compte rendu, archives privées Denard, carton 68.

101
Dans l’ombre de Bob Denard

Ainsi, la concurrence entre mercenaires belges et français


entraîne de fréquentes tensions : « Une certaine discrimination
exista, dès le début, entre les 10e et 6e codo. Certains n’admettaient
n’avoir qu’un chef : Denard. D’autres, comprenant au travers des
événements et certaines réflexions la dissension qui existait au
départ, espéraient un prompt rétablissement du colonel [belge]
commandant le 6e BCE1. » Plus le temps passe, plus Denard est
reconnu comme un chef légitime parmi les Belges. Les résis-
tances ont pourtant été nombreuses. Le colonel Wauthier, qui
figure parmi les chefs de la révolte des Katangais en 1966, a, l’an-
née précédente, protesté contre l’avancement donné au Français
Bob Denard : « J’apprends avec stupeur la nomination au grade
de major du commandant Denard […]. Il me répugne de criti-
quer un collègue mais il serait naïf de ne pas vous faire remar-
quer que le nouveau promu, quartier-maître de son armée d’ori-
gine, est à votre service depuis quatre mois et bénéficie déjà de
promotions qui nous furent refusées après sept mois de services
tout aussi valables […]. Croyez bien, mon général, que nous res-
tons les Katangais et moi-même vos fidèles serviteurs malgré que
ceux-ci ne savent plus non plus ce qu’est l’avancement suivant le
mérite2. » Cette frustration de certains Belges et des Katangais est
l’un des moteurs de leur insurrection durant l’été 19663. Cette
première révolte de mercenaires et des ex-gendarmes est appuyée
par une petite partie du 6e BCE.
Finalement, elle assure la place dominante de Bob Denard. En
effet, il résiste aux insurgés à Kisangani et empêche que le mou-
vement fasse tache d’huile parmi les mercenaires étrangers. Dans
un second temps, il assure l’écrasement des insurgés et fait ainsi

1. Note dactylographiée, non signée dont l’auteur est probablement Georges Seren-
Rosso, archives privées Bob Denard, carton 68.
2. Courrier adressé par le commandant Wautier au général Bobozo, commandant
en chef de l’ANC le 1/8/65, archives privées Denard, carton 78.
3. Même si elle est d’abord lancée par des affairistes belges soucieux de garder le
contrôle des mines de l’est du Congo et inquiets du poids croissant des mercenaires
français.

102
Les mercenaires français, un groupe en voie de structuration

preuve de sa fidélité à Mobutu. Il en reçoit des marques de grati-


tude, comme ce courrier du commandant en chef de l’ANC : « Je
tiens à vous féliciter très sincèrement et vous remercier de tout
cœur au nom du président de la République démocratique du
Congo pour l’excellent travail accompli par vos militaires pour
la réussite de l’opération Kasebe-Shabunda sur la rivière Lugulu
pour empêcher et désarmer la colonne des ex-gendarmes katan-
gais qui ont pisté de Punia, Kasebe et Shabunda […]1. » Denard
démontre ainsi sa volonté de répondre au contrat qu’il a rempli
avec ses employeurs. Il comprend que le signal peut être reçu par
d’autres commanditaires potentiels.

Les réseaux Denard et la Belgique

Compte tenu de la place de la République démocratique


du Congo dans le développement du mercenariat entre 1960
et 1967, Bruxelles et la Belgique sont au cœur des filières qui
envoient d’anciens sous-officiers et officiers vers l’Afrique. Les
Belges sont les premiers concernés. Ce phénomène est d’ailleurs
facilité par les autorités militaires et probablement politiques.
Ainsi, Michel de Hasque témoigne des incitations auprès des
conscrits de certaines unités : « On était une trentaine de para-
commandos [des appelés ayant fait leur service en Belgique] ; des
chefs nous avaient parlé de la possibilité d’aller au Congo. On est
partis tous ensemble2. »
Quand les Français viennent servir au Katanga, ils sont beau-
coup moins nombreux que les Belges. Affectés à Kongolo, la
plupart des officiers européens sont des Belges. Sur 15 cadres,
7 viennent de l’ancien pays colonisateur, soit près de la moitié ;
il y a deux Français (Denard et Cuvelier), deux Grecs et deux

1. Courrier du 22 octobre 1966 adressé à Bob Denard, commandant du 6e BCE


par le général Bobozo, commandant en chef de l’ANC, archives privées Denard,
carton 68.
2. Entretien à Grayan avec Michel de Hasque le 14 octobre 2012.

103
Dans l’ombre de Bob Denard

Allemands, un Italien, un Polonais (Thaddée Kowalski). Ces


hommes placés sous ses ordres à son arrivée au Katanga nouent
un lien de fidélité absolue avec le chef français. Jo Wallendorf ou
Marc Robbyn [rencontré peu après] le suivront dans la plupart
des opérations jusqu’à la période comorienne ; Charly d’Hulster
meurt dans l’opération « Lucifer » en 1967. Encore aujourd’hui,
Wallendorf raconte avec émotion avoir été le premier à ac­cueillir
Denard à son arrivée au Katanga et en fait un motif de fierté1.
Les services belges se montrent également très accommodants
avec les recruteurs des mercenaires pour Kinshasa. Ainsi, lorsque
Freddy Thielemans s’installe à Bruxelles sur les ordres de Bob
Denard, il lui écrit : « J’ai reçu la visite de la Sûreté qui m’a gen-
timent prévenu qu’elle ne voulait pas savoir ce que je faisais mais
que, pour éviter des histoires, je devais me montrer prudent­et
faire un petit nettoyage chez moi en prévision d’une visite de la
gendarmerie ou de la police judiciaire, moralité, tous mes docu-
ments sont planqués2. » Le lien tissé avec les Belges inclut désor-
mais ceux qui poursuivent l’aventure mercenaire au-delà du
Congo dans les filières Denard. En plus des facilités obtenues
auprès des services, le Médocain construit un rapport personnel
avec les Belges. Il prend le soin de l’entretenir et d’expliquer ses
choix dans les moments difficiles.
Ainsi, après la chute de Bukavu et l’acrimonie affichée par
Jean Schramme vis-à-vis de son partenaire français, ce dernier
se rend à Maubeuge (il est interdit de territoire en Belgique) :
« Avant de prendre la décision de vous convoquer tous autour
d’une table ronde, j’ai attendu que vous soyez tous rentrés dans
vos foyers et que certains aient repris des activités normales et
d’autres aient leur esprit apaisé. Les événements survenus entre-
temps en France [Mai 68] m’ont empêché de préparer préala-

1. Anecdote rapportée le 14 octobre 2012. Son récit est confirmé par celui de Bob
Denard dans Corsaire de la République, op. cit., p. 159.
2. Lettre de Freddy Thielemans à Bob Denard le 10 mars 1965, archives privées Bob
Denard, carton 78.

104
Les mercenaires français, un groupe en voie de structuration

blement ce rendez-vous […]. Par personne interposée, j’ai cher-


ché à plusieurs reprises à prendre contact avec Jean Schramme.
Je n’ai pu obtenir que des réponses évasives à mes demandes. Ce
qui paraît à travers ces contacts, c’est qu’on cherche à rejeter les
responsabilités d’un seul côté. Loin de vouloir éloigner de moi la
grande part que j’y ai pris, je désire, au contraire, que la lumière
soit faite et prendre la charge qui me revient, à condition que
d’autres, bien sûr, qui ne sont pas moins responsables que moi
et qui l’ont reconnu publiquement [Jean Schramme] assument
les leurs. »
L’objet de ladite réunion est surtout de renouer les liens avec
l’ancien chef de la 3e brigade mixte de l’ANC et ses cadres belges :
« Ayant assumé la charge de commandant supérieur de tous les
volontaires étrangers, plus communément appelés mercenaires ;
restant fier, malgré tout ce qu’on peut nous reprocher, d’avoir
été votre chef, je ne puis admettre que ceux qui se sont servis
de nous et qui nous renient maintenant se permettent de nous
juger par simple réaction ou déception personnelle. Je suis éga-
lement conscient – et surtout vis-à-vis de ceux qui ont donné
leur vie lors de ces événements – qu’il est de notre devoir de les
honorer et de réhabiliter leur mémoire […]. » Après ce discours
de commandant responsable et de frère d’armes partageant la
mémoire des hommes tombés au combat, Denard conforte cette
posture de chef : « Un trait doit être tiré sur le passé […]. Nous
devons conserver au fond de nous-mêmes la valeur qui fut notre
force […]. Commander est l’art de faire de son but un idéal pour
les autres. »
On peut noter le succès de la démarche de Denard à travers
le cas de Raoul Piret1. À l’issue de l’échec de Bukavu, ce Belge

1. Extraits de la lettre dactylographiée valant convocation intitulée « note adressée à


tous les responsables de l’ex-3e brigade mixte de l’ANC » du 24 juin 1968, archives
privées Bob Denard, carton 78. Le nom de Raoul Piret est inscrit en haut à droite au
crayon, laissant penser qu’il est sinon le principal du moins l’un des destinataires du
courrier du mercenaire français.

105
Dans l’ombre de Bob Denard

a exclu tous les officiers français de son commando mercenaire


réfugié en Angola et affirme à ses autorités défendre les intérêts
nationaux au Congo1. Pourtant, il se rallie dans la période sui-
vante à Denard et au groupe français qu’il intègre. Il fait ainsi
partie des hommes que l’on retrouve au Gabon à partir de 1970.

Le système Denard : un groupe mercenaire bien articulé

Cette capacité à mener les hommes est conçue par Denard


comme une relation privilégiée avec eux. Par-delà le rapport hié-
rarchique nécessaire au bon fonctionnement d’un groupe au feu,
Denard cherche une véritable adhésion de ses troupes.

Le chef mercenaire et ses hommes

C’est sans doute pour cela qu’il parle symboliquement d’une


« table ronde » lorsqu’il convoque les Belges à Maubeuge. Ainsi
réussit-il à s’approprier les Belges du Congo. Au Biafra, les
hommes qui ont auparavant combattu sous ses ordres sont pla-
cés sous d’autres chefs comme les lieutenants de Faulques (Leroy
ou d’Assignies) ou Rolf Steiner. Pourtant, ils ne rompent pas
leur fidélité ancienne. Dans la lettre qu’il envoie à Denard à l’au-
tomne 1968, Marc Gossens écrit ainsi : « Je vous dis tout cela
mon Colonel, c’est parce que moi, je ne connais qu’un patron
(mercenaire), je dis bien mercenaire parce que Steiner est plutôt
une doublure de [illisible] (idéaliste) pour le moment dépassé par
les événements2. »
Denard utilise plusieurs méthodes pour entretenir le lien
humain avec ses subordonnés. Comme un officier « classique »,

1. Note de Roger Tybergheim, consul général de Belgique à Luanda à M. Pierre


Harmel, ministre des Affaires étrangères belges du 6 octobre 1967 après avoir reçu
Raoul Piret, Archives diplomatiques belges, carton 18 882/IX.
2. Lettre de Marc Gossens le 1er novembre 1968, archives privées Bob Denard,
carton 78.

106
Les mercenaires français, un groupe en voie de structuration

il écrit aux familles quand l’un de ses hommes trouve la mort


au combat. En revanche, il s’en distingue sans doute dans la
défense absolue de ses hommes, y compris lorsqu’ils peuvent
être en proie à des poursuites judiciaires. Georges Seren-Rosso
rentre en France après le Congo ; il ne participe pas au Biafra.
En 1971, il semble travailler comme enseignant pour handica-
pés mentaux, lorsqu’il est accusé d’homicide pour une affaire
qui s’est déroulée en RDC. Pour avoir tué Jean-Joseph Paulus
lors d’une rixe dans un mess de Bukavu, Seren-Rosso est tra-
duit en cour d’assises. Selon lui, Paulus joue au poker et mène
la belle vie, tan­dis que la ville est assiégée et qu’il a laissé son
poste sans sur­veillance. Seren-Rosso serait venu le rappeler à
l’ordre mais la dispute entre les deux hommes tourne à l’af-
frontement. Denard n’était pas sur place au moment des faits.
Pourtant, il vient témoigner en faveur de l’accusé à la barre à
Nancy, et Seren-Rosso est acquitté. Il prend même en charge
une grande partie des frais d’avocat engagés par le soldat qui a
servi sous ses ordres1. Le chef dépasse ainsi le cadre de l’auto-
rité militaire pour devenir un protecteur, un « puissant » capable
d’apporter secours à ses clients. Au-delà de la position d’officier,
le groupe mercenaire fonctionne comme une société tradition-
nelle, distincte des codes habituels et normés qui régissent les
relations humaines dans la société contemporaine.

Par ailleurs, les équipes ont leur mot à dire dans certaines
situations. En temps normal, le rapport hiérarchique est respecté.
Mais les discussions sont permises dans des circonstances excep-
tionnelles. Quand Denard réorganise le 6e BCE après la révolte
des Katangais en 1966, il prend des décisions fermes sur la dis-
cipline notamment. Toutefois, le chef laisse la porte ouverte à la
discussion et le ton adopté en est la preuve : « Le bataillon doit
être une grande famille, ce n’est pas débiner les copains que de

1. Archives privées Bob Denard, carton 68.

107
Dans l’ombre de Bob Denard

dire ce qui ne va pas1. » Chacun est invité à discuter ensuite des


décisions prises par le lieutenant-colonel commandant le 6e BCE.
Cette démarche n’est pas propre à la personnalité de Bob Denard
mais est un élément qui distingue la société mercenaire de la
société militaire classique. À Bukavu, en proie aux divergences
affichées avec Schramme et les Belges, le major Pinaton convoque
ses « Européens pour fixer une attitude commune. Nous décidons
que, pour notre part, nous étions décidés à rejoindre une fron-
tière neutre, si besoin par la brousse et je fis préparer à cet effet le
matériel adéquat2 ». Ainsi, le choix de la compagnie de Pinaton
de quitter Bukavu avant la chute de la ville n’est pas le fait du seul
chef mais d’une décision collégiale.
Dans certains cas, le rapport entre le chef et ses hommes
passe par une dimension véritablement affective. Tout au long
de sa carrière, Denard construit une relation filiale avec l’un
de ses hommes, dimension extrême de cette façon d’envisager
le comman­dement. Le premier fils adoptif de Denard est Karl
Coucke.

Le premier cercle : le socle du système Denard

Dans cette société au fonctionnement archaïque, les premiers


fidèles garderont longtemps une place privilégiée. Bob Denard
est un chef qui s’est construit lui-même dans cette nébuleuse
des « Affreux » nés au Katanga. Il est sans doute conscient de ses
lacunes par rapport aux anciens officiers français. Aussi cherche-
t-il durant toute cette période des années 1960 à s’entourer d’ad-
joints qu’il considère comme sûrs et très compétents. Ces hommes
ont souvent acquis une science du combat et du commandement
dans les rudes conflits d’Indochine et d’Algérie. C’est le cas de
Bruni ou Pinaton. Denard affirme ainsi à ce dernier : « Il y a de
1. Allocution du lieutenant-colonel Denard devant l’état-major du 6e BCE le
5 septembre 1966 à Kinshasa, archives privées Bob Denard, carton 68.
2. Hubert Pinaton, Compte rendu du séjour, op. cit., p. 58.

108
Les mercenaires français, un groupe en voie de structuration

tout parmi les mercenaires. Bien plus que dans une armée régu-
lière, tout est question de commandement. Il ne suffit pas d’un
chef ; il faut des adjoints fiables et une vigilance de tous les ins-
tants […]. Le moindre laisser-aller dégénère1. » Au contraire, par
son exemplarité, le 1er choc doit faire naître un cercle vertueux
qui fonctionne dès le début. Ainsi, après une énième soirée avec
ses camarades flamands pendant laquelle « avec les vapeurs de l’al-
cool, la hargne les submerge. Ils tirent des coups de pistolets les
uns sur les autres, en se ratant heureusement, et menacent de
s’éventrer. Écœuré par ce gâchis, [Pierre Chassin] demande à être
reçu par Denard » pour intégrer son commando2. Les hommes les
plus rigoureux sont désormais attirés par le 1er choc.
Pour encadrer ce qu’il conçoit comme l’élite mercenaire, le
chef recherche trois types de qualité. La première va de soi ; il
s’agit de la bonne prestance au feu. Or, cette génération « bénéfi-
cie » d’une expérience incomparable. Christian Lefèvre décrit un
de ses camarades engagé au Biafra comme « un type extraordi-
naire, un Italien. Il avait subi des bombardements atroces dans
la région de Monte Cassino ; pendant deux jours ils étaient souf-
flés de bombe en bombe – de trou en trou – sans possibilité de
s’enterrer. Il maniait ses mortiers à la main. C’est lui qui nous a
sauvés plusieurs fois de l’encerclement ». Ainsi les hommes qui
deviennent des hommes de confiance du Médocain sur plusieurs
théâtres d’opérations se distinguent en premier lieu par leur cou-
rage. Ancien parachutiste, Maurice Stimbre illustre cette témérité
au feu jusqu’à sa mort au Biafra : « c’était un peu le cow-boy. Il est
mort là-bas. Il se trouvait confronté à une avance à la blietzkrieg :
une percée avec des Ferret et des EBR ; les Biafrais décrochaient
dès qu’ils entendaient les bruits de moteur. Un jour, ils sont tom-
bés sur Stimbre ; il a piégé un passage obligé ; il a buté une soixan-
taine de mecs bien groupés autour d’un EBR3. »
1. Pierre Lunel, Bob Denard, le roi de fortune, op. cit., p. 335.
2. Pierre Chassin, Baroud pour une vie, op. cit., p. 273.
3. Extraits du témoignage écrit de Christian Lefèvre transmis par Pascal Gauchon.

109
Dans l’ombre de Bob Denard

Tous n’ont cependant pas une expérience militaire très appro-


fondie. Karl Coucke devient très rapidement un cadre apprécié
au point de suivre Denard au Yémen. Il n’est au départ qu’un
jeune colon qui rejoint les mercenaires au cours de la bataille
d’Élisabethville : « Un jeune homme en scooter sillonne la ville
et renseigne les Katangais sur les mouvements des Casques bleus.
Il s’attache particulièrement au groupe de Bob. Il a dix-sept ans,
est issu d’une bonne famille belge et rêve d’en découdre lui aussi
[…]. Il entrait sans contrat, sans formation, par passion pure. Il a
vite appris sur le tas. Il est devenu un vrai chef de guerre. C’était
un flambeur, un seigneur1. »

Toutefois, la mort de Coucke est une leçon. Les échos qu’en


recevra Bob Denard rendent compte d’une imprudence du
jeune mercenaire et de son adjoint, le capitaine Gino : « Le seul
endroit où l’ANC doit nous attendre est le carrefour d’Itibero.
Le major Coucke a reçu des ordres du colonel : arriver au car-
refour, s’arrêter 3 ou 4 kilomètres avant, attendre le gros de la
colonne puis attaque conjuguée (compagnie à pied, appui mor-
tier). Arrivés au carrefour, le major Coucke et le capitaine Gino
décident d’attaquer seuls ; ils ont les renseignements d’un indi-
gène. L’ANC laisse entrer les jeeps dans l’embuscade, l’indigène
attaché par des menottes à la jeep du capitaine Gino hurle que les
soldats sont là. Le major Coucke fait l’ouverture par le feu ; pas
de réponse, la compagnie est déployée ; puis, tout à coup, le feu se
déclenche. Le carrefour, malgré les pertes, sera pris, mais pas tenu
faute d’hommes. La 3e compagnie du capitaine Noël entendant
le combat ne viendra pas à l’aide (manque de liaison radio TRT).
Le major Coucke, le capitaine Gino trouvent la mort2. » La mort
au combat du fils spirituel de Denard lui démontre l’importance

1. Pierre Lunel, Bob Denard, le roi de fortune, op. cit., p. 181-182.


2. Rapport de Georges Seren-Rosso non daté, archives privées Bob Denard,
carton 68.

110
Les mercenaires français, un groupe en voie de structuration

de la formation tactique reçue par ses adjoints, au-delà du cou-


rage et du charisme personnel.

C’est pourquoi la seconde qualité recherchée est la capacité à


être un véritable officier. Cela suppose d’avoir acquis une véri-
table science militaire en privilégiant la formation initiale ou
une longue expérience de terrain. Comme la période s’y prête,
Denard n’hésite pas à faire venir de véritables officiers français
pour le seconder. Tel est le cas de Pinaton nommé major dès son
arrivée au Congo. Quand le 1er choc est formé, les cadres en sont
soigneusement sélectionnés. Parmi les promus, le jeune retraité
de l’armée française Roger Bruni est le profil type que cherche
Bob Denard. Engagé dans la Légion étrangère en février 1947, il
sert notamment au 1er et au 6e REI en Indochine jusqu’en 1949.
Réengagé en 1952 par les parachutistes coloniaux, il devient
caporal en mai 1953 et repart en Indochine (1er BPC). Il se dis-
tingue à Diên Biên Phu (citation à l’ordre de son régiment) avant
d’être fait prisonnier. Rapatrié en septembre 1954 avec le grade
de sergent, il reçoit deux citations à l’ordre de l’armée. Affecté
au 2e RPC pour l’Algérie en 1956, il reçoit la même année la
médaille militaire. Il participe ensuite à l’expédition de Suez puis
à la bataille d’Alger avant de rejoindre la Kabylie. Nommé adju-
dant en novembre 1963 après avoir reçu sept citations, il rejoint
le 3e RPIMA et devient instructeur.
Pour le poste d’officier de renseignement à l’état-major du
6 BCE, Denard accorde sa confiance à René Biaunie, un autre
e

ancien d’Indochine. Lors de l’opération « Lucifer », menée pour


desserrer l’étau sur Bukavu à l’automne 1967, il s’adjoint les ser-
vices de l’ancien officier des commandos de l’Air, Jean-René
Souêtre. Peut-être est-ce lui qui conçoit le plan de contre-attaque
en trois colonnes lancées de Luashi sur Kasagi puis Dilolo d’un
côté et Kolwezi de l’autre. Denard est un homme de terrain, pas
un stratège et encore moins un homme de dossiers. Tel est le troi-
sième profil des lieutenants auxquels il va accorder sa confiance.

111
Dans l’ombre de Bob Denard

Le plus ancien d’entre eux est le Belge Freddy Thielemans qui


est son principal adjoint au Yémen, son recruteur en 1965 à Paris
puis qui va le suivre tout au long de sa carrière avec cette carac-
téristique d’officier d’état-major1. Ami autant qu’adjoint, Freddy
Thielemans est le premier à incarner les binômes que Denard
va construire durant sa carrière avec des « officiers d’administra-
tion ». Henri Clément assume ce rôle au sein du 1er choc mais n’est
sans doute pas suffisamment séduit par le charisme de son chef
pour occuper durablement ce poste. Guy Cardinal, alors sous-
lieutenant au 1er choc, lui succède puis devient le représentant de
Denard auprès des autorités biafraises en 19672. Cette ascension
rapide provient vraisemblablement des qualités démontrées dans
l’action psychologique menée au sein du 1er choc par le « merce-
naire juriste » Cardinal. Cet étudiant qui se destinait à Saint-Cyr
n’a jamais passé le concours, renonçant à l’armée en raison de la
guerre d’Algérie.
Un autre homme se montre un « expert en dossiers ». Également
sous-lieutenant en RDC, Roger Ghys est rapidement remarqué
pour ce profil : « Grand costaud, beau parleur, bonne gueule et
intelligent – et surtout maître expert en dossiers3. » Ces aptitudes
administratives lui valent la bienveillance de Denard davantage
que le coup d’éclat militaire qui le signale à Kisangani en 1966. Il
devient l’adjoint de Cardinal au Congo. Lors du montage d’une
éventuelle opération au Biafra, Ghys est chargé des aspects finan-
ciers et logistiques.

1. Élément confirmé par différents mercenaires qui l’ont connu aux Comores et par
le journaliste Philippe Chapleau qui l’a fréquenté en Afrique du Sud au début des
années 1990.
2. Compte rendu de mission du 23 octobre 1967 où Guy Cardinal rapporte à Denard
son entrevue avec le colonel Ojukwu et des intermédiaires pour tenter d’obtenir un
contrat pour le GATI, archives privées Bob Denard, carton 74.
3. Pierre Lunel, Bob Denard, le roi de fortune, op. cit., p. 301.

112
Les mercenaires français, un groupe en voie de structuration

Denard, nouveau condottiere

Finalement, le mercenariat français des années 1960 semble


renouveler le système des condottieri de la Renaissance. Chaque
chef de groupe négocie un contrat, une condotta, avec un client.
Dans la prestation qu’il doit offrir, le chef mercenaire doit
no­tamment garantir un nombre de personnels mis à disposition.
Pour mobiliser très rapidement ses hommes avec lesquels il peut
ne pas avoir eu de relations régulières pendant plusieurs mois,
voire plusieurs années (cas de Georges Seren-Rosso), il doit donc
avoir créé une relation de patron à client et/ou un rapport affec-
tif. Cependant, dans le jeu concurrentiel entre chefs de troupes,
le condottiere moderne peut également être amené à fournir l’ar-
mement de ses hommes. Ces deux conditions cumulées réservent
finalement la capacité de répondre aux contrats à un nombre très
limité d’acteurs. Dans les négociations menées en 1967 par Bob
Denard avec Ojukwu, on mesure à quel point la question de l’ar-
mement, parce qu’elle suppose des réserves financières impor-
tantes et une coopération avec des marchands d’armes, est une
pierre d’achoppement. Elle mène finalement à l’échec la propo-
sition de Denard de mettre son GATI à disposition du colonel
biafrais1.
Au moment du Biafra, trois noms s’imposent encore : Mike
Hoare (qui n’a pas souhaité rejoindre le théâtre d’opérations nigé-
rian), Roger Faulques et Bob Denard. Inconsciemment ou non,
ils sont en compétition sur ce marché nouveau du mercenariat.
Les besoins constants en soldats de fortune laissent penser qu’il
y a là une niche durable. Malgré les rodomontades de Mobutu
pour les juger en RDC, la plupart des États africains ne sou-
haitent pas qu’un procès des mercenaires européens s’ouvre2. Ils
craignent qu’une telle publicité nuise aux accords de coopération

1. Dossier Biafra, archives privées Bob Denard, carton 74.


2. Télégramme diplomatique n° 18 de l’ambassade belge à Kinshasa, 13 décembre
1968, Archives diplomatiques belges, carton 18 882/VII.

113
Dans l’ombre de Bob Denard

entre États européens et africains. Ainsi, alors que les « Affreux »


français s’imposent sur la scène du continent noir, le système
du mercenariat semble globalement accepté par les principaux
acteurs concernés.
La capacité à réunir suffisamment de soldats qualifiés est égale-
ment l’un des critères principaux pour appartenir au petit groupe
d’hommes capables de décrocher une condotta. Par son passé
dans l’armée française et sa planification stratégique au Katanga,
Faulques est l’un d’eux. Son principal handicap réside dans son
passé d’officier supérieur qui le lie trop fortement (ou trop visi-
blement plus exactement) aux autorités françaises. Jusqu’à la fin
des années 1960, il peut cependant ponctuellement concurren-
cer l’autre grand mercenaire français, Bob Denard. Ce dernier fait
figure d’homme plus libre mais « il est de notoriété que les contrats
sont durs à obtenir et une lutte acharnée, quoique feutrée se livre
en permanence. Les leaders se livrent à des jeux d’influence selon
leurs soutiens respectifs et leur pedigree ». Avec ses mots, Bosco
insiste sur les profils différents qu’offrent Faulques et Denard.
Sans surprise, le premier revient sur le devant de la scène au Biafra
grâce à l’appui de Paris. Le prestigieux officier rafle le contrat bia-
frais mais « Denard s’est glissé dans le dispositif logistique, jamais à
court de combines pour être dans le coup1 ». L’obscur sous-officier
s’impose progressivement et crée un véritable lien de confiance
avec ses hommes du Katanga au Biafra. Il construit le même type
de lien attendu entre un officier et sa section sur le front. C’est
pourquoi à l’issue des différentes opérations menées, et en dépit
des échecs et désillusions qui les accompagnent, un noyau de
fidèles lui permet de répondre à une condotta exigeant plusieurs
dizaines de mercenaires.

1. Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit.


Chapitre 4

Les mercenaires français dans la géopolitique


africaine de la guerre froide

Les circonstances dans lesquelles les puissances coloniales


européennes décident de leur retrait d’Afrique sont un facteur
d’explication de la recrudescence des mercenaires contemporains.
L’évolution de la guerre d’Algérie explique également largement
le flux d’anciens militaires français vers l’Afrique subsaharienne
et vers le mercenariat. Par ailleurs, ce nouveau contexte géopoli-
tique s’inscrit dans le cadre plus large de la guerre froide. Ainsi,
de la faiblesse ou de l’inexistence d’armées nationales africaines à
l’appétit des puissances, anciennes et nouvelles, ce groupe d’ac-
teurs qui resurgit doit participer aux rapports de forces qui s’ins-
tallent sur le continent. Ils en sont à la fois les agents mais aussi
les victimes.

Les mercenaires français et l’échiquier de la guerre froide

Très rapidement, la nucléarisation des deux grands, américain


et soviétique, rend trop dangereux un éventuel face-à-face. C’est
pourquoi, dans chaque bloc, les services secrets des différents États
vont avoir recours à des actions indirectes par le biais de merce-
naires. De fait, dans ce contexte d’affrontement planétaire, les
deux blocs sont prêts à financer des mouvements qui permettent
de faire basculer un nouvel État dans leur camp. Les enjeux dans

115
Dans l’ombre de Bob Denard

les zones en voie de décolonisation, comme l’Afrique, sont donc


particulièrement sensibles. L’ancien Congo concentre particuliè-
rement les efforts de chaque camp1.

L’action des États-Unis

Même s’ils sont alliés aux anciennes puissances coloniales


capables d’agir sur le continent africain, les États-Unis entendent
mener eux-mêmes le combat contre l’implantation soviétique ou
chinoise. Dans ce choix, la RDC joue un grand rôle, comme
l’explique Larry Devlin, chef de poste de la CIA à Kinshasa :
« Les États-Unis comptaient généralement sur les puissances
coloniales pour obtenir des informations sur la région et empê-
cher les Soviétiques de s’infiltrer en Afrique. Tout cela changea
durant quelques jours de l’été 1960, lorsque le Congo reçut son
indépendance de la Belgique2. » Dès la crise avec Lumumba, les
États-Unis s’appuient sur le « groupe de Binza ». Nommée ainsi
en référence à un district proche de Léopoldville où la plupart
de ses membres vivent, cette équipe de personnalités congolaises
(Mobutu, Bomboko et Nendaka notamment) établit de bonnes
relations avec Larry Devlin et l’antenne de la CIA3. Très ra­pi­
dement, le « groupe de Binza » est un relais d’influence pour les
États-Unis. Toutefois, il n’est pas exclu que le Katanga reçoive
des fonds d’outre-Atlantique. L’American Committee for Aid to
Katanga, fondé en novembre 1961, lève des fonds en faveur de
Tshombé. Il se caractérise par son anticommunisme et compte
parmi ses membres des personnalités du Parti républicain,

1. Les Belges évaluent à 79 tonnes d’armes et de munitions les fournitures venant


de Chine pour la révolte mulétiste en 1964, rapport du colonel Henniquiau le
25 décembre 1964, Archives diplomatiques belges, carton 18 882/VI.
2. Larry Devlin, CIA : mémoire d’un agent. Ma vie de chef de poste pendant la guerre
froide, Paris, Jourdan éditeur, 2009, 351 p.
3. Justin-Marie Bomboko a été Premier ministre en juin 1960, il est à nouveau
ministre de 1961 à 1969, occupant différents maroquins. Victor Nendaka est le chef
de la Sûreté intérieure congolaise à partir de septembre 1960.

116
Les mercenaires français dans la géopolitique africaine de la guerre froide

comme l’ancien président Herbert Hoover et Richard Nixon,


alors ancien vice-président des États-Unis.
Ainsi, Washington joue en fonction des acteurs en présence
en RDC et prend position selon des logiques de guerre froide. Le
durcissement de l’ONU contre le Katanga en 1961 s’explique en
partie par une évolution diplomatique des États-Unis et de leur
président récemment élu, J. F. Kennedy. Après le fiasco du débar-
quement anticastriste de la baie des Cochons, Washington craint
que la rupture entre Léopoldville et Stanleyville [siège de la future
rébellion de Pierre Mulélé] ne favorise l’émergence d’une séces-
sion prosoviétique. Les États-Unis sont effectivement « à cran »
selon les termes du Premier ministre belge, M. Spaak. Selon lui,
ils sont « convaincus de la gravité des dangers que l’affaire du
Congo fait courir à l’existence des Nations unies, à la sécurité de
l’alliance atlantique et au continent tout entier » au point d’envi-
sager « une action militaire, et purement américaine s’il le fallait,
pour mettre fin à la sécession katangaise1 ».
A minima, la présence de nombreuses troupes de l’ONU est
analysée par Washington comme un barrage aux communistes
au Congo : « La présence d’une large force de maintien de la paix
de l’ONU rendit difficile pour l’URSS la justification de l’envoi
de troupes, d’argent et d’armes au Congo2. » La politique mon-
diale américaine est donc l’un des facteurs qui explique que se
referme une fenêtre d’opportunité de règlement négocié entre
Élisabethville et Léopoldville en 1961. En bref, Washington éta-
blit des accords directement avec les nouveaux dirigeants afri-
cains. Contre les guérillas communistes qui se développent en
Angola, en Zambie ou en Rhodésie, les États-Unis estiment que la
RDC constitue une base géostratégique. À partir de Léopoldville,
des opérations de soutien pourront être proposées aux régimes en

1. Propos rapportés par l’ambassadeur de France, Francis Lacoste, après son entretien
avec le Premier ministre belge, télégramme du 6 août 1962, CADN, ambassade de
Bruxelles, 80.
2. Larry Devlin, CIA : mémoire d’un agent, op. cit., p. 188.

117
Dans l’ombre de Bob Denard

place en lutte contre des foyers de rébellions appuyées par le bloc


de l’Est.
Dès son indépendance en 1960, les luttes internes à la RDC
entrent donc en résonance avec le jeu des puissances. Les cir-
constances, longtemps restées mystérieuses, de la mort de Patrice
Lumumba, Premier ministre socialiste du Congo, sont main-
tenant mieux connues grâce à des documents déclassifiés de la
CIA et à une enquête parlementaire en Belgique1. On savait déjà
que l’agence américaine avait monté des projets d’assassinat de
Lumumba par peur de le voir faire basculer le Congo dans le
camp de l’URSS. Les enquêtes américaine et belge confortent la
thèse selon laquelle la CIA a alors « acheté » les principaux acteurs
du gouvernement, notamment le président Kasa-Vubu et le chef
d’état-major Mobutu.
Lumumba est secrètement transféré dans une forteresse aux
mains de sécessionnistes du Katanga qui se chargent de le torturer
et de l’exécuter avant de dissoudre son corps dans de l’acide. Une
fois confirmée la mort du meneur démocratiquement élu l’année
précédente, la CIA aurait versé 500 000 dollars au gouvernement
congolais en récompense de cette élimination discrète par per-
sonne interposée. Larry Devlin confirme simplement la planifi-
cation américaine du transfert et de la mise à mort de Lumumba :
« Peu après que Lumumba eut été envoyé à Élisabethville, je
reçus un message de Dave, un officier de l’Agence dans la capi-
tale katangaise qui disait : – Merci pour Patrice […]. Je puis com-
prendre la réticence de certains quand ils apprirent l’existence de
l’opération PROP. J’ai cru et je crois toujours que ce fut une opé-
ration inutile et mal conçue qui démontrait le manque de vision

1. Les archives de la CIA ont été déclassifiées depuis 2007 mais leur teneur avait
été dévoilée auparavant par la presse américaine (« Révélations sur le rôle joué par
les États-Unis dans l’assassinat de Lumumba », Washington Post, 21 juillet 2002).
Pour la Belgique, une commission parlementaire s’est tenue en 2001 à la suite de la
publication de l’ouvrage de Ludo De Witte, L’assassinat de Patrice Lumumba, Paris,
Karthala, 2000, 415 p.

118
Les mercenaires français dans la géopolitique africaine de la guerre froide

claire du président Eisenhower de la situation à laquelle nous fai-


sions face en 19601. »
Il est probable que la torture et l’exécution de l’ancien Premier
ministre aient été pratiquées par des « Affreux ». À l’origine de
l’enquête parlementaire, les recherches menées par le sociologue
belge Ludo De Witte, mettent en lumière le rôle de Belges.
Selon lui, sont notamment présents lors des séances de torture
« une cinquantaine de policiers militaires et leurs chefs Michels,
Léva, Son et Gat ; deux pelotons de policiers et leur chef Seger ;
Mumba, inspecteur de police, et Sapwe, commissaire de police ;
les ministres katangais Munongo, Kibwe et Kitenge ; les offi-
ciers supérieurs belges Weber, Vandewalle et Crève-coeur ; les
commandants Smal et Verdikt ; le capitaine Protin et enfin les
civils Carlo Huyghé, Lindekens, Tignée et Betty Jacquemain ».
S’appuyant sur des témoignages directs, il affirme également que
l’un des « Affreux » aurait eu « la main blessée à force de frapper les
prisonniers2 ». Aucun élément ne permet d’établir un lien entre
ces tortionnaires et les Français dépêchés au Katanga à la même
époque.
En réalité, les États-Unis réussissent surtout à renforcer leurs
positions à partir de 1964-1965. À partir de 1964, ils livrent du
matériel au pouvoir central contre la rébellion mulétiste. Surtout,
les États-Unis apportent leur soutien au coup d’État du géné-
ral Mobutu. Washington a d’abord misé sur Adoula, Premier
ministre de 1961 à 1964 et candidat du « groupe de Binza ».
C’est un échec. En 1965, Tshombé devient donc une cible prio-
ritaire de Larry Devlin. Finalement, le rapport de force entre les
différentes factions débouche sur le coup d’État de Mobutu le
25 novembre 1965. Larry Devlin nie l’implication américaine
1. Larry Devlin, CIA : mémoire d’un agent, op. cit., p. 177.
2. Ludo De Witte, L’assassinat de Patrice Lumumba, op. cit., p. 238 et 247. Les
militaires belges cités appartiennent plutôt à la future ATM. Ils sont issus de
l’ancienne Force publique belge et ont été détachés auprès de l’ANC en 1960. Selon
Jacques Duchemin (entretien du 14 mai 2013), ce serait Carlos Huyghé qui aurait
mis à mort Lumumba.

119
Dans l’ombre de Bob Denard

dans cette accession au pouvoir, laquelle se révèle être une bonne


opportunité pour Washington : « J’ai été crédité dans un nombre
incalculable de livres d’avoir organisé et soutenu le coup d’État
de Mobutu de 1965. En réalité, j’en ai entendu parler pour la
première fois lorsque Frank, mon adjoint m’appela à 6 heures du
matin le 25 novembre pour me dire que la radio de Léopoldville
venait juste de rapporter que Mobutu avait évincé le président et
le Premier ministre, et avait pris le pouvoir1. »
Les soupçons portés contre le chef local de la CIA ne sont pas
surprenants tant les liens qu’il a noués avec Mobutu sont solides.
Le nouveau gouvernant de la RDC est un homme-lige pour
Washington. L’information semble largement connue, comme
en témoigne une lettre reçue par le commandant du 6e BCE à
l’automne 1967 : « Il est très regrettable que rien n’ait pu être
fait avant la conférence de l’OUA [pour aider Jean Schramme].
Préparée et montée par les Américains, la Conférence au cours de
laquelle, à côté des déclarations anticolonialistes creuses et sans
portée pratique, les Américains ont exigé la présentation d’une
motion anticommuniste destinée à rassurer les pays occiden-
taux (la Belgique en premier lieu), aura pour effet de raffermir
Mobutu pour plusieurs mois dans ses fonctions et de renforcer
l’autorité de l’Amérique et la CIA en particulier […]. Ceux qui
voudraient t’aider, impressionnés par cette victoire américaine et
mobutiste, n’en craignent que plus l’espionnage de la CIA et la
révélation publique de l’aide qu’ils pourraient t’apporter2. » Ainsi
les hommes de Denard sont, en premier lieu, perçus comme fran-
çais, et donc potentiellement comme des agents de l’influence de
Paris au Congo.
Depuis l’installation de Mobutu au pouvoir, les efforts améri-
cains semblent continus pour écarter les mercenaires européens
au profit d’irréguliers venus des États-Unis ou d’Israël. Un pre-
1. Larry Devlin, CIA : mémoire d’un agent, op. cit., p. 305.
2. Lettre d’un interlocuteur inconnu qui signe « Albert » adressée à Bob Denard le
10 septembre 1967, archives privées Denard, carton 56.

120
Les mercenaires français dans la géopolitique africaine de la guerre froide

mier essai en ce sens remonte à l’été 1964 ; des pilotes anticas-


tristes sont dépêchés en RDC. D’autres Cubains accompagnent la
reconquête de Kindu par l’Ommegang ; selon les Belges présents,
ce sont des gens dépêchés sur place par la CIA. Cette « approche
indirecte » de Washington se structure progressivement. Selon
un principe déjà éprouvé dans l’aide logistique aux nationalistes
chinois entre 1945 et 1949, une compagnie aérienne privée,
l’Anstalt Wigmo, est créée au Lichtenstein et financée par la CIA.
Elle surclasse les avions de la Fatac, qui étaient entre les mains des
Belges, aussi bien pour le transport (Dakota) que pour l’appui au
sol. Ses pilotes cubains disposent de T-6, utilisés pour la recon-
naissance, et de bombardiers B-29 de la Seconde Guerre mon-
diale remis en état. Leurs moyens radio en font un maillon indis-
pensable pour les opérations au Congo tant pour Mobutu que
pour les mercenaires en opération1. La révolte de 1966 est é­ga­
lement suivie avec une grande attention par la Wigmo et l’agent
de la CIA basé à Bunia.
Israël est également mis à contribution. Après avoir lui-même
effectué un stage de parachutisme en Israël en 1963, le général
Mobutu fait superviser sa formation para par des cadres de Tsahal
avec l’accord des États-Unis sur la base de Ddjili et des unités
des forces terrestres à Kitoni, travail dévolu jusqu’alors aux Belges
et aux Français. Parmi les mercenaires qui connaissent bien la
RDC, Mike Hoare aurait ensuite été sollicité par la CIA pour
prendre la tête de la brigade mixte promise à Denard afin de
déstabiliser le chef français. La politique des services américains
s’avère payante. En 1967, les États-Unis mettent leur logistique
au service de Mobutu pour acheminer le plus rapidement pos-
sible des régiments de l’ANC face aux mercenaires de Schramme.
Ils dépêchent également quelques conseillers militaires qui dis-
tillent leurs recommandations au général Masiala, commandant
les forces de l’ANC. Face aux 15 000 soldats congolais qui lui
1. Témoignages de Michel Neyt et Guy Bruneel recueillis à Bruxelles le 27 avril
2013 et confirmés par l’entretien avec Henri Clément à Paris le 24 janvier 2014.

121
Dans l’ombre de Bob Denard

font face, le mercenaire belge est rapidement obligé de s’enfermer


dans Bukavu.

La Belgique et la France, une lutte secondaire dans la guerre


froide en RDC
À l’intérieur du bloc occidental, l’Afrique décolonisée est éga-
lement un enjeu majeur pour les anciens colonisateurs. Le main-
tien de leur influence dans cette région du monde constitue l’es-
poir de sécuriser leur accès aux ressources et d’entretenir leur rang
de puissance dans un monde en pleine réorganisation (voir cartes
pages 440 et 442). Belges et Français sont en concurrence pour
imposer leur influence dans cette région de l’Afrique.
Soutenir le Katanga s’inscrit dans la stratégie française en
Afrique. La balkanisation du continent a été théorisée par Félix
Houphouët-Boigny comme un moyen de maintenir l’influence
française. Jacques Foccart est chargé par le général de Gaulle, qui
l’installe à l’Élysée à la tête du secrétariat des Affaires africaines
et malgaches, de maintenir le « pré carré » postcolonial au sud
du Sahara. Le Monsieur Afrique met ainsi en place un réseau de
fidèles auprès des nouveaux chefs d’État dès la proclamation des
indépendances. Il cherche à atteindre un double objectif. D’une
part, il s’agit de préserver l’accès aux matières premières straté-
giques du continent (pétrole, uranium, etc.) et d’offrir des débou-
chés privilégiés aux multinationales françaises. D’autre part, il
faut maintenir le fragile statut de puissance mondiale acquis par
la France en 1945, notamment en permettant le maintien des
bases militaires garantissant les capacités de projection interna-
tionale de l’armée française et en s’assurant les voix africaines à
l’ONU. Jean-Pierre Bat et Pascal Geneste voient ainsi dans la
sécession katangaise un « laboratoire d’une méthode JMB ». Jean
Mauricheau-Beaupré est le maître d’œuvre de la politique fran-
çaise dans l’ex-Congo belge qui consiste en un « contact direct
avec Foccart au titre de missus dominicus, mise en réseau des chefs

122
Les mercenaires français dans la géopolitique africaine de la guerre froide

d’État du Rassemblement démocratique africain (RDA) pour


harmoniser leurs positions francophiles, intervention au Congo
belge par le biais de mercenaires1 ».
L’aide française consiste notamment à faciliter les livraisons
d’armes au gouvernement de Moïse Tshombé. Ainsi, en 1961, un
pilote rapporte dans la presse avoir amené de Munich à Kolwezi
quatre avions Dornier. Or, le parcours emprunté par la petite
escadrille correspond à une géographie de l’influence française
en Afrique : survol de l’Algérie « avec l’autorisation de la force
aérienne française », du Sahara jusqu’à Tamanrasset puis « le
Français qui commandait notre formation décida de traverser le
Cameroun2 ». Le voyage se poursuit par une escale à Libreville au
Gabon avant de passer en Angola puis au Katanga. On observe
également l’accueil bienveillant de représentants katangais en
France. Le chef de la mission permanente du Katanga en France
(non officiellement reconnue comme délégation diplomatique),
M. Diu, « extériorise en toutes occasions ses sentiments extrê-
mement admiratifs à l’égard de la France […]. L’attitude de
M. Diur a paru trop profrançaise à certains hommes politiques
étrangers, et, entre autres, à M. Paul-Henri Spaak3 ». Ainsi les
rapports franco-katangais sont-ils scrupuleusement observés par
Bruxelles. Le soutien des autorités françaises se traduit également
par le soutien de ses représentants sur place envers la sécession
katangaise (notamment Patrice de Beauvais, le consul de France
à Élisabethville).
Dans cet esprit d’ingérence française, le colonel Trinquier
reçoit donc l’accord de proposer ses services à Tshombé, tandis

1. Jean-Pierre Bat et Pascal Geneste, « Jean Mauricheau-Beaupré : de Fontaine


à Mathurin, JMB au service du général », Relations internationales, 2010/2,
n° 142, p. 87-100.
2. « Le Katanga réarme : j’ai fourni des avions à Tshombé. De Munich au Katanga :
le vol le plus mystérieux de ma vie », Zondags Nieuws n° 149 du 4 novembre 1961
traduit par les services diplomatiques français, CADN, ambassade de Bruxelles, 80.
3. Note de renseignements sur M. Dominique Diur à Paris le 5 juillet 1961, MAE,
série Afrique-Levant, Congo, carton 47.

123
Dans l’ombre de Bob Denard

que son successeur Faulques part « avec un ordre de mission signé


du ministre des Armées1 ». L’arrivée au Katanga d’officiers supé-
rieurs de grande renommée ne peut pas laisser Bruxelles indif-
férent. La volonté de Trinquier de prendre la tête de la gendar-
merie katangaise crée immédiatement des frictions. Soucieuse de
demeurer le principal soutien des Katangais et de continuer à
exercer son influence dans son ancienne colonie, Bruxelles exige
de Paris un partage entre militaires français et belges, alors que
Faulques envisageait « de disposer d’un état-major composé exclu-
sivement d’officiers ou ex-officiers français […]. [Cela aurait]
provoqué des réactions qui [faisaient] craindre au gouvernement
belge que les officiers de cette nationalité ne demandent à rentrer
en Belgique2 ».
Par ailleurs, à Paris, le ministère des Affaires étrangères craint
que le nom de Trinquier ne soit mêlé à l’affaire Lumumba et ne
souhaite pas le prolongement de son séjour3. Finalement, Bruxelles
demeure l’appui principal de Tshombé. À partir de 1963, Jean
Mauricheau-Beaupré s’installe durablement auprès de Félix
Houphouët-Boigny ; il est placé en détachement comme conseil-
ler technique du président ivoirien. Cette même année 1963, la
prise de conscience des ambitions gaulliennes pousse Bruxelles à
proposer son Assistance technique à la RDC après son retrait bru-
tal trois ans auparavant. Ce contexte politique explique pourquoi,
au sein des mercenaires, les Français sont ensuite la cible des cri-
tiques des militaires belges entre 1964 et la révolte de 1966.

Dans un courrier adressé au roi des Belges, le capitaine Bottu


explique par exemple les enjeux du maintien de son supérieur, le
colonel Lamouline, commandant en chef de l’Assistance tech-
1. Voir les différents documents au MAE, série Afrique-Levant, Congo, cartons
47 et 48. Officiellement, Faulques a cependant été réformé pour invalidité. Selon
Jacques Duchemin, Jacques Foccart a reçu Roger Faulques avec Pierre Messmer.
2. Dépêche de Raymond Bousquet, ambassadeur de France en Belgique du 1er février
1961, CADN, ambassade de Bruxelles, 80.
3. MAE, série Afrique-Levant, Congo, carton 47.

124
Les mercenaires français dans la géopolitique africaine de la guerre froide

nique en RDC. Selon lui, un tel départ pourrait entraîner une


nouvelle perte d’influence au profit des Français : « Lorsque le pre-
mier ministre Tshombé reprit le pouvoir au Congo, nous avons
offert nos services comme volontaires et ce, avec approbation
officieuse de la Sûreté. Le but que nous avons voulu réaliser en
constituant cette unité était, avant tout, de maintenir la grandeur
belge et de sauver nos compatriotes par une participation active
que l’Assistance technique militaire ne pouvait pas se permettre à
cause de possibles complications sur la scène internationale […].
Constitué de nombreux étrangers, dont un nombre important
de Français, le commandement reste belge jusqu’à présent­, ce
qui est capital pour notre pays […], mais je sais que son départ
sera suivi d’une lutte au pouvoir dans laquelle les Français, qui
font tout pour éliminer à certains postes de commande tout ce
qui est belge et dont vous avez certainement eu écho, sortiront
vainqueurs. Les mêmes personnages français qui ont remplacé
les Belges au Katanga faisant tant de tort à la Belgique réappa-
raissent sur la scène1. » Malgré les récriminations des Belges, le
bas­cu­lement de l’influence prépondérante des Belges vers les
Français est confirmé par toutes les décisions de Mobutu entre
1965 et 1967.
À partir de 1967, Denard peut même compter sur l’appui
de Bruxelles et récupérer les réseaux belges en RDC. En effet,
la révolte des mercenaires marque l’échec de la stratégie belge
de miser sur Moïse Tshombé. L’élimination de Jean Schramme
signifie aussi celle des agents de la Sûreté belge, comme l’indique
notamment une note adressée par un de ses hommes à Denard.
Elle décrit les coulisses du recrutement en Europe de mercenaires
pour Tshombé : « Cette affaire qui nous intéresse est, à mon avis,
dirigée par occultement par le colonel Lamouline et le major
Protin ; ce dernier assistait discrètement au départ des groupes
de Bruxelles en septembre dernier. Le commandement OPS de
1. Courrier adressé au roi des Belges par le capitaine Bottu le 1er juillet 1965,
archives privées Denard, carton 78.

125
Dans l’ombre de Bob Denard

cette opération avait été confié au commandant Bottu qui était


assisté du capitaine Crowe […]. J’ai également entendu dire qu’au
début de l’année 1966, il y avait eu […] des pourparlers entre cer-
tains hommes politiques belges, le commandant Bottu et le roi de
Burundi […]. Bottu a d’ailleurs affirmé qu’il faudrait sans doute
replacer le roi du Burundi sur son trône1. » Par le biais de l’action
de ses mercenaires en complément du travail des missi dominici de
Jacques Foccart, la RDC glisse lentement d’une sphère d’influence
belge vers le « pré carré » français (voir carte page 440).

Les mercenaires français dans le bloc occidental du continent

À son niveau, Bob Denard, le « corsaire de la République » et


du roi des Belges, élargit ses appuis à d’autres acteurs de la scène
congolaise. Le retrait de Mike Hoare et la dissolution du 5e codo
signifient que l’Afrique du Sud renonce à employer des merce-
naires nationaux pour peser sur le continent. Désormais, seules
les unités spéciales de contre-insurrection mèneront des opéra-
tions contre les guérillas procommunistes en Afrique australe. En
revanche, Pretoria n’abandonne pas l’idée de recourir ou de sou-
tenir d’autres irréguliers. À partir de la révolte des « Affreux » en
1967, ce sont volontiers les réseaux français qui vont être solli-
cités. Denard recueille alors les fruits de son élévation person-
nelle au sein de la nébuleuse des « chiens de guerre » occidentaux
mais aussi du travail des services français. En effet, Mauricheau-
Beaupré noue dès le début des années 1960 des contacts avec
les personnalités sud-africaines exerçant des responsabilités dans
l’univers du renseignement et de la sécurité, tel le général Lutz,
directeur des services spéciaux2.

1. Note anonyme et non datée « Voici quelques renseignements que j’ai pu rassem-
bler au hasard de mes pérégrinations et de mes discussions avec l’un ou l’autre »,
archives privées Denard, carton 56.
2. Jean-Pierre Bat, Le syndrome Foccart : la politique française en Afrique de 1959 à
nos jours, op. cit., p. 280.

126
Les mercenaires français dans la géopolitique africaine de la guerre froide

À partir de l’épisode congolais, Denard peut bénéficier de l’ap-


pui des pays qui souhaitent maintenir l’influence « blanche » en
Afrique : Rhodésie, Afrique du Sud et Portugal. Les deux premiers
forment avec l’Angola portugais un espace de « pouvoir blanc ».
L’ennemi de ce bloc est en premier lieu la Zambie, l’ancienne
Rhodésie du Nord, mais aussi la RDC, car la guérilla angolaise
bénéficie de bases arrière au Congo.
C’est l’une des raisons qui expliquent que le Portugal sou-
tienne en retour le Katanga. En 1961, les livraisons d’armes à
la sécession se font par l’Angola. Un journal néerlandais évoque
par exemple « des hélicoptères Alouette et un nombre imprécis
de chasseurs Harvard » commandés et attendus en provenance de
Luanda1. En 1963, quand la sécession est circonscrite, les mer-
cenaires sont accueillis à Luanda sans que les frais de leur séjour
soient entièrement remboursés par Bruxelles ou Paris. C’est pour-
quoi, alors qu’il souhaite former des groupes qui mèneraient une
guérilla subversive au Katanga, Moïse Tshombé doit y renoncer,
faute d’appui des autorités de Lisbonne.

La révolte de 1967 est une étape décisive dans les liens qui
se nouent entre le mercenaire français et ces États. Ils appa-
raissent en arrière-plan de l’insurrection des « volontaires étran-
gers ». L’Angola, mais également la Rhodésie sont des zones logis-
tiques pour la révolte de 1967, comme en témoigne le major
Pinaton. Dans son journal, il rapporte les propos que lui aurait
tenus Denard en lui présentant les phases opérationnelles du sou-
lèvement : « Schramme attaque cette nuit à 3 heures du matin
Kisangani avec 300 hommes. Moi [Denard], je prends le terrain
d’aviation. Au lever du jour, des renforts venant d’Angola et de
Rhodésie en hommes et en matériel arriveront2. » L’Angola est au

1. « Le Katanga réarme : j’ai fourni des avions à Tshombé. De Munich au Katanga :


le vol le plus mystérieux de ma vie », Zondags Nieuws n° 149 du 4 novembre 1961
traduit par les services diplomatiques français, CADN, ambassade de Bruxelles, 80.
2. Hubert Pinaton, Compte rendu, op. cit., p. 4.

127
Dans l’ombre de Bob Denard

cœur de l’organisation des mercenaires pour la révolte de 1967.


Adossé à l’Angola, le Katanga doit être le bastion du mouvement.
La colonie portugaise est également le lieu de regroupement des
hommes de Denard qui ont quitté la RDC et doivent repar-
tir appuyer Schramme entre juillet et octobre. C’est pourquoi
le représentant de la RDC à l’ONU, M. Théodore Idzuimbuir,
demande aussitôt la condamnation de la Belgique mais aussi du
Portugal et de l’Afrique du Sud par l’Assemblée générale. Après
cet échec, le Portugal continue à offrir à Denard la possibilité de
faire de l’Angola sa base arrière en Afrique.
Puissance aux effectifs militaires limités, refusant de décoloni-
ser, la métropole portugaise est au cœur du dispositif français en
Afrique. Lisbonne devient une plaque tournante des flux de merce-
naires entre leur lieu de recrutement en Europe et leur destination
africaine. Ces flux se font avec l’assentiment des services secrets
qui mettent même à leur disposition des camps d’entraînement
au Portugal et des lieux de regroupement en Angola. « Les mer-
cenaires entrent en Angola sans visa d’entrée, ce qui est pourtant
indispensable pour tous les étrangers. Cela prouve qu’au moins la
PIDE soit de connivence avec les mercenaires. De leur côté, ceux-
ci sont complètement dépendants de la bonne volonté des autori-
tés angolaises […]. Suivant M. Piret, chaque jour, il arriverait de
nouveaux mercenaires par l’avion régulier de la TAP [compagnie
nationale portugaise] et de la Sabena1. »
Lisbonne regarde ensuite d’un œil bienveillant la sécession bia-
fraise pour laquelle combattent les « chiens de guerre » français :
« Ojukwu s’est vu obliger de rechercher l’appui nécessairement
plus discret des pays dont les intérêts en Afrique sont sans équi-
voque » écrit au ministère à Paris2 un chargé d’affaires français au

1. Note de Roger Tybergheim, consul général de Belgique à Luanda à M. Pierre


Harmel, ministre des Affaires étrangères belges du 6 octobre 1967 après avoir reçu
Raoul Piret, Archives diplomatiques belges, carton 18 882/IX.
2. Lettre de Raymond Césaire rédigée à Lagos le 15 septembre 1967, MAE, série
Afrique-Levant, Nigeria, carton 13.

128
Les mercenaires français dans la géopolitique africaine de la guerre froide

Nigeria. Lors des envois de mercenaires français vers le Biafra, le


Portugal est d’ailleurs une nouvelle fois le lieu de transit privi-
légié. Membre de l’équipe de Faulques, Christian Lefèvre écrit :
« La PIDE nous a accueillis, pas très discrètement, on a traversé
tout l’aéroport au pas de charge, à 7, […] on est allés en bout de
piste où un avion commençait à ronfler, mais on a dû rester deux
jours à Lisbonne1. »
La Rhodésie du Sud constitue un second point d’appui pour
les mercenaires occidentaux. Encore colonie britannique jusqu’en
1962, elle est dirigée par Edgar Whitehead, également Premier
ministre de la Fédération de Rhodésie et du Nyassaland. La poli-
tique étrangère demeure sous le contrôle de Londres. Le Katanga
est un dossier prioritaire pour Salisbury qui souhaite apporter son
aide à Tshombé. Comme l’Angola, la Rhodésie sert à alimenter
Élisabethville en armes et en hommes. Le Zondags Nieuws parle
en 1961 de « 5 chasseurs à réaction Fouga-Magister et d’un même
nombre de chasseurs-Sabre en provenance de Rhodésie2 ».
Le recrutement de soldats de fortune se fait avec la bien­
veillance des autorités locales et connaît un grand succès, semble-
t-il. Ainsi, le consul général de Belgique écrit que « la presse rho-
désienne continue de donner une large publicité aux mouve-
ments en Afrique australe des agents recruteurs de volontaires
pour les Forces katangaises […]. La publicité par trop criante
donnée à ces recrutements doit certainement amener une réac-
tion, très probablement sous la pression de Londres3. » Lorsque,
par la suite, l’opération « Rumpunch » menée par l’ONU chasse
les mercenaires du Katanga, une filière leur permet de repartir
de Paris vers Élisabethville. Or, celle-ci passe par la Rhodésie. Il

1. Témoignage écrit de Christian Lefèvre transmis par Pascal Gauchon. Le rôle de la


PIDE est confirmé par Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit.
2. « Le Katanga réarme : j’ai fourni des avions à Tshombé. De Munich au Katanga :
le vol le plus mystérieux de ma vie », Zondags Nieuws n° 149 du 4 novembre 1961
traduit par les services diplomatiques français, CADN, ambassade de Bruxelles, 80.
3. Télégramme du consul général de Belgique à Salisbury, Jacques Houard, du
14 février 1961, carton 14 662.

129
Dans l’ombre de Bob Denard

est difficile d’imaginer que cela se fasse sans l’accord des autori-
tés du pays. En sens inverse, la Rhodésie recueille les fuyards du
Katanga.
En 1965, Ian Smith est Premier ministre de la colonie, tandis
que le Nord (devenu Zambie) et le Nyassaland (devenu Malawi)
ont obtenu l’indépendance. Contrairement à ces dernières, il est
forcé à déclarer unilatéralement la sécession vis-à-vis de Londres.
Alors que les membres du Conseil de sécurité et la communauté
internationale prennent le parti de Londres à l’automne 1965,
la proximité de la France avec Salisbury s’observe par une posi-
tion abstentionniste de Paris. Une fois l’indépendance obtenue
en novembre 1965, Ian Smith montre sa détermination contre
les guérillas noires et communistes sur son territoire et sur le reste
du continent. C’est à Salisbury que Denard demande à être éva-
cué après sa blessure le 5 juillet 1967 et où il est effectivement
soigné. D’ailleurs, la Rhodésie et l’Afrique du Sud reconnaissent
officiellement la République du Biafra et participent au fi­nan­
cement de son armée (et donc de ses mercenaires).
En effet, l’Afrique du Sud est l’autre acteur régional à accor-
der un soutien constant aux « chiens de guerre », y compris après
le retrait de ses propres irréguliers. Lors de l’installation de Jean
Schramme à Bukavu, le ravitaillement en armes et en hommes
attendu par le mercenaire belge n’est pas à la hauteur de ce qu’il
attendait de l’Afrique du Sud, ses « contacts avec le “Sud” étaient
pourtant réguliers1 ». Pretoria est cependant encore décidée à four-
nir de nouveaux contingents pour soulager Bukavu. John Peeters
se tient prêt à s’installer en Angola avec 200 hommes et « le gou-
vernement sud-africain laisserait Peeters opérer son mouvement
mais préférerait que Denard et ses hommes portent l’attaque2 ».

1. Note de Paul Masson à l’attention de M. d’Ursel le 24 septembre 1967, Archives


diplomatiques belges, 18 882/IX.
2. Mémorandum (en anglais) classé « top secret » de Georges Moffitt Polcouns,
membre du personnel diplomatique américain, à l’ambassadeur belge en RDC du
16 octobre 1967, Archives diplomatiques belges, carton 18 882/IX.

130
Les mercenaires français dans la géopolitique africaine de la guerre froide

Le gouvernement sud-africain privilégie donc un recours à des


« chiens de guerre » européens, et notamment français, pour la
première vague offensive contre la RDC.
Un dernier État joue également un rôle dans les circulations
liées au mercenariat en RDC. Officiellement l’Espagne n’est pas
impliquée dans les affaires congolaises mais Madrid accueille
Tshombé lors de son exil. Il faut aussi rappeler que la capitale
espagnole est la terre d’exil de nombreux activistes de l’OAS
dont certains vont établir des liens avec Tshombé (notamment
par l’intermédiaire de Jacques Duchemin qui a accompagné l’an-
cien dirigeant du Katanga). Ainsi Madrid est-elle une place où
se croisent des agents de la CIA, du SDECE, de la Sûreté belge
et de la PIDE. Après leur mise en cause à la suite d’un article du
Times impliquant l’Espagne au Congo et au Biafra, les autorités
affirment n’« autoriser aucune exportation d’armes vers la région
orientale en rébellion contre le gouvernement central de Lagos ».
Lorsqu’elles rappellent que Madrid n’encourage pas les mouve-
ments sécessionnistes, leur discours est cohérent avec la situation
interne de l’Espagne (problème basque notamment). Pour autant,
on ne peut accorder une totale crédibilité aux dénégations espa-
gnoles quand elles indiquent que « le recrutement de mercenaires
est défendu par le gouvernement espagnol […], que les autorités
espagnoles ont pris toutes les mesures pour l’empêcher » et attri-
buer la présence de mercenaires nationaux en Afrique aux « enrô-
lements qui ont pu se produire à l’étranger1 ». En effet, les engage-
ments au profit des filières françaises de Denard se faisaient deux
ans auparavant principalement à Madrid.
Finalement, on peut considérer que Madrid ferme les yeux sur
l’enrôlement et l’emploi de mercenaires espagnols et qu’elle entre-
tient un double langage diplomatique. Au moment des négocia-
tions sur le sort des hommes évacués de Bukavu vers le Rwanda,
l’Espagne répond qu’officiellement, ces hommes ont perdu la
1. Extraits d’une note envoyée par le baron Beyens, ambassadeur de Belgique à
Madrid, le 7 novembre 1967, Archives diplomatiques belges, carton 18 882/VI.

131
Dans l’ombre de Bob Denard

nationalité espagnole en servant le Congo. En revanche, sur la


question de leur prise en charge, l’ambassadeur d’Espagne a fait
savoir, sur ordre de son gouvernement – que, « si le Comité inter-
national de la Croix-Rouge (CICR) s’adressait à la société espa-
gnole de la Croix-Rouge, celle-ci ne manquerait pas de lui appor-
ter son concours. L’insistance de l’ambassadeur indiquait claire-
ment que la Croix-Rouge espagnole avait été instruite de se mon-
trer coopérative1 ». Les « chiens de guerre » espagnols reçoivent
donc bien alors le soutien de leur pays.

Mercenaires français, groupe Denard et services secrets

Cette dimension géostratégique explique l’articulation entre


les groupes mercenaires français et les différents acteurs du pou-
voir en France. Les hommes des « réseaux Foccart » et le SDECE
entretiennent des relations avec les « volontaires étrangers » qui
sont sur le terrain des affrontements du Katanga au Biafra. Tout
au long de cette période, lutte contre le bloc de l’Est et lutte pour
les intérêts français sont des arguments majeurs.

Denard, les réseaux Foccart et la RDC

Au début des années 1960, le système de défense du « pré


carré » français en Afrique se met en place. Les instruments du
pouvoir gaullien sont le secrétariat aux Affaires africaines et mal-
gaches de l’Élysée et le SDECE. Pendant cette période, les deux
travaillent­en bonne intelligence sous la houlette de Jacques
Foccart. L’homme de l’ombre de l’Élysée agit en parfaite coo-
pération avec le gouvernement, en tout cas une partie, comme
l’indique la gestion du groupe Trinquier-Faulques envoyé au
Katanga : « Les officiers déclarent qu’ils ont été dirigés sur le

1. Télégramme diplomatique du 10 janvier 1968, Archives diplomatiques belges,


carton 18 882/VII.

132
Les mercenaires français dans la géopolitique africaine de la guerre froide

Katanga avec l’accord du cabinet de M. Messmer. Leur mise à la


retraite leur aurait été accordée le même jour […]. Les officiers
en question assurent qu’ils ont été reçus, le 14 février, par M.
Racine, directeur du Cabinet de M. Debré […]. Vers la mi-avril,
M. Bistos, du Cabinet de M. Debré est venu à Élisabethville. Il se
serait présenté à M. Tshombé comme envoyé du Premier ministre
et lui aurait remis une lettre du général de Gaulle1. »
Des relais sont placés auprès des hommes d’État africains
amis. Ancien officier fondateur du service Action du SDECE,
Raymond Bichelot travaille pour le service de renseignement du
SDECE aux côtés de Félix Houphouët-Boigny. Autre ancien
du 11e choc, Gildas Lebeurrier a été renvoyé de l’armée pour
ses liens avec l’OAS. Il demeure dans les réseaux Foccart et
intègre les services secrets ivoiriens, collaborant, à ce titre, avec
Bichelot. Comme l’indépendance du Congo belge donne lieu à
des massacres d’Européens­et qu’elle est perçue comme un pos-
sible point de basculement du pays vers le bloc de l’Est (gou­ver­
nement Lumumba), Paris décide de s’investir dans la crise katan-
gaise avec l’implication sur le terrain du colonel Trinquier, puis
de Roger Faulques. Pour alimenter son réseau, ce dernier a ouvert
un « centre de recrutement rue Cambon » auquel semblent par-
ticiper des officiers français. Ainsi, « un médecin-colonel, spécia-
liste des maladies tropicales » fait passer les visites médicales aux
volontaires2.
À Élisabethville, le consul de France, Joseph Lambroschini,
est considéré comme un honorable correspondant (HC) du
SDECE3. Il facilite régulièrement les démarches des volontaires

1. Note sur mon séjour à Élisabethville du 4 au 10 novembre 1961 anonyme et datée du


13 novembre 1961, MAE, série Afrique-Levant, Congo, carton 48. Jacques Duchemin
confirme ces informations et affirme avoir rencontré personnellement Pierre Messmer
à propos du recrutement des officiers français (entretien du 14 mai 2013).
2. Télégramme diplomatique de l’ambassade de Léopoldville du 9 février 1961
citant l’AFP, MAE, série Afrique-Levant, Congo, carton 47.
3. Sans être membre du SDECE, un HC fournit des informations aux services
secrets contre rémunération.

133
Dans l’ombre de Bob Denard

qui voudraient rejoindre les rangs mercenaires du Katanga. Parmi


d’autres, Bob Denard bénéficie de l’appui de cet intermédiaire.
Moïse Tshombé doit donc être l’homme des Français face aux
communistes lumumbistes et aux Américains. Au moment de la
sécession katangaise, Faulques est la pièce maîtresse des réseaux
Foccart. Le secrétaire aux Affaires africaines et malgaches envi-
sage de « recycler » en Afrique subsaharienne des officiers trop
impliqués contre la politique gaullienne en Algérie, comme en
témoigne le colonel Trinquier : « Certains étaient laissés dans une
inactivité dangereuse. Leur donner un nouveau champ d’action
où ils pourraient à la fois servir la France et l’Occident m’appa-
raissait à cette époque comme une occasion providentielle qu’un
gouvernement lucide avait tout intérêt à favoriser1. » Cette poli-
tique n’est qu’une réussite partielle. Si les partisans de l’Algérie
française sont effectivement nombreux au Katanga, certains n’y
demeurent pas. Ainsi, les colonels Yves Godard et Joseph Broizat
qui ont accompagné Trinquier auprès de Tshombé restent suffi-
samment peu de temps à Élisabethville pour rejoindre le putsch
des généraux en avril 1961. Comme nous l’avons vu, l’envoi de
militaires « nostalgériques » se poursuit toutefois durant toutes les
années 1960.
Dès l’origine de sa carrière de mercenaire, Denard noue
également des liens de bonne coopération avec les services. Si
l’on suit la démonstration de Jean-Pierre Bat qui a recueilli les
archives de Philippe Letteron et est chargé du fonds Foccart aux
Archives nationales, Denard aurait été suivi avec attention par
Mauricheau-Beaupré dès l’époque katangaise. Il aurait été abordé
ouvertement par ce dernier pour la première fois en septembre
1961 lors de son passage à Paris après « Rumpunch ». Jean-Pierre
Bat considère que « les mercenaires deviennent la continuation de
la politique de Mauricheau par d’autres moyens ». Denard trouve
une place de choix dans la toile d’araignée patiemment tissée

1. Roger Trinquier, Le temps perdu, Paris, Robert Laffont, 1978, 442 p.

134
Les mercenaires français dans la géopolitique africaine de la guerre froide

par Mauricheau-Beaupré car contrairement aux anciens officiers


d’Algérie, il mise tout sur son statut de « chien de guerre ». En
1965, il rencontre régulièrement Philippe Letteron, l’un des col-
laborateurs de Foccart, à l’ambassade de France de Léopoldville1.

Le SDECE fait également suivre Denard mais de façon plus


feutrée. Dans ses Mémoires, le chef du secteur Afrique au sein
des services secrets français, Maurice Robert, laisse entendre qu’il
garde un œil sur le parcours de Denard pendant deux ans avant
de lui proposer une collaboration directe avec le SDECE2. En
échange de la protection des services français allant jusqu’à une
possible exfiltration d’un théâtre où ses affaires tourneraient mal,
le mercenaire doit promettre de faire passer ses informations au
SDECE, une stricte obéissance sur les enjeux majeurs pour la
France et le secret absolu sur les opérations. Devenu l’officier trai-
tant de Denard, Maurice Robert va rapidement lui proposer des
facilités pour ses actions et même plus tard une nouvelle identité.
Les relations entre les mercenaires et le SDECE s’inscrivent
dans une configuration assez classique. Chacun a connaissance
du jeu de l’autre ; chacun peut rendre, en bonne intelligence,
entre Français qui se croisent en Afrique, des services à l’autre.
Si le poids de Bob Denard entraîne des liens plus étroits avec le
Boulevard Mortier, les mercenaires ont souvent une relation plus
ponctuelle, plus distancée avec le SDECE. Ainsi Henri Clément
reconnaît-il être un HC en 1966 et renseigner à l’occasion son
contact à l’ambassade à Léopoldville3. Inversement, les « volon-
taires étrangers » ont souvent le sentiment d’être surveillés par les
services et que ceux-ci ont dépêché des hommes parmi eux pour
mieux les tenir en bride. Pierre Chassin témoigne que Jean-Louis
1. Nous suivons ici les développements de Jean-Pierre Bat, Le syndrome Foccart, op.
cit., p. 318. Les rencontres régulières avec un agent de Foccart sont confirmées par
Henri Clément qui ne se souvient toutefois pas du nom de Letteron.
2. Maurice Robert, Maurice Robert, ministre de l’Afrique : entretiens avec André
Renault, Paris, Seuil, 2004, 412 p.
3. Entretien avec Henri Clément le 24 janvier 2014 à Paris.

135
Dans l’ombre de Bob Denard

Domange, René Biaunie et un troisième compagnon d’armes lui


désignent dans leur colonne qui marche sur Buta au printemps
1965 « trois gars de la Piscine formés à Cercottes1 ».

Le Yémen et le Biafra, des opérations pour les services


occidentaux

Dès sa résurgence au Katanga, le milieu mercenaire français


semble très lié aux services. Dans un premier temps, cela passe
par une autre figure, Roger Faulques, qui maintient un lien beau-
coup plus fort avec le pouvoir gaullien. L’ancien officier de la
Légion organise ensuite le recrutement pour le Yémen et pour le
Biafra. Dans le cas du Yémen, on peut remarquer qu’il ne combat­
pas sur place. Il semble que ce soit une condition posée par le
MI-6, lequel finance l’opération. Dans l’esprit des Britanniques,
Faulques est donc le représentant des services français. Cette
situation bénéficie à Denard qui prend la place sur le terrain de
l’ancien commandant en second du 2e REP.
David Stirling délègue à un ancien lieutenant-colonel des SAS,
Johnny Cooper, le soin d’enrôler des mercenaires. Cooper fait
appel à des vétérans des SAS comme lui mais complète son équipe
par le recours aux Français. L’ensemble de ces hommes sont pla-
cés sous les ordres du colonel des commandos du MI-6, David
Smiley : « Leur nombre [celui des mercenaires] s’élève alors à 45,
dont la moitié sont français, belges et suisses, et l’autre moitié des
SAS recrutés par Johnson. Avec l’approbation des différents chefs
mercenaires, j’accepte cette responsabilité [de commandement]2. »
Certains opposants significatifs à de Gaulle peuvent continuer à
rejoindre les rangs des irréguliers. Au Yémen, derrière le nom de

1. Pierre Chassin, Baroud pour une autre vie, op. cit., p. 205. Selon Henri Clément,
il s’agirait en fait de trois anciens du 11e choc (Blin, Perrin et Richard) sans lien avec
le SDECE.
2. David Smiley, Au cœur de l’action clandestine : des commandos au MI-6, Paris,
L’Esprit du livre, 2008, 344 p.

136
Les mercenaires français dans la géopolitique africaine de la guerre froide

guerre Gabriel, se cache Louis Honorat de Condé, officiellement


recherché par la police française pour son implication dans trois
tentatives d’assassinat du chef de l’État français, dont l’attentat
du Petit-Clamart.
Au Biafra, Olivier Picaut d’Assignies dirige un groupe de mer-
cenaires. Ancien subordonné de Faulques, cet ex-officier du 1er
régiment étranger parachutiste (REP) est également un cadre de
l’OAS. Le Biafra est un moment très important pour la prise de
contrôle du mercenariat français par Denard. Les autres cadres
importants, les lieutenants de Faulques, ne s’imposent pas auprès
des hommes qu’ils commandent. Non passé par le Congo mais
apparemment déjà inféodé à Denard, Armand Ianarelli écrit :
« Leroy veut faire sa petite affaire tout seul. J’ai discuté avec lui
avant son départ et il ne vous porte pas dans son cœur1. »
En fait, même s’il est en contact avec le SDECE et d’autres
services secrets, Bob Denard semble moins inféodé que les autres.
En tant que « corsaire de la République », on semble alors lui
reconnaître une véritable indépendance, une véritable condi-
tion de condottiere, refusée à Faulques. Ce dernier reprend du ser-
vice pour le Biafra, conflit dans lequel les réseaux Foccart sont
totalement impliqués. Son retour conforte d’ailleurs cette grille
de lecture. Comme Gildas Lebeurrier, les figures liées aux ser-
vices sont très présentes sur le terrain et mieux identifiées par les
hommes qu’au Congo. Résistant, officier dans la 2e DB du maré-
chal Leclerc, John Sénart participe aux guerres d’Indochine et
d’Algérie puis entre au SDECE. Il est dépêché au Biafra à l’au-
tomne 1968 à la demande du général de Gaulle pour évaluer les
chances de succès de la sécession biafraise. Rattaché au groupe
Steiner, un fidèle de Denard écrit à son chef qu’une « personne
directement envoyée de Paris, du général de Gaulle demande à
parler en particulier à Steiner […]. L’entretien a duré de 9 h du
matin à 21 h avec une heure de pause pour le déjeuner. Son nom
1. Lettre d’Armand Ianarelli du 26 août 1968, archives privées Bob Denard,
carton 78.

137
Dans l’ombre de Bob Denard

SENHART, ancien officier-colonel parachutiste porte un nom à


particule dont seul Michel Pierre et sa femme connaissent1 [sic]. »
Senart ou Lebeurrier sont davantage des agents officieux de la
France que des mercenaires. Contrairement à la « main gauche du
SDECE » que peut être ponctuellement Denard, ils sont partie
prenante du système mis en place par Jacques Foccart.
Au Biafra, les mercenaires s’inscrivent dans une politique glo-
bale dont ils ne sont qu’un outil temporaire, contractuel. Pour
autant, ils en retirent des bénéfices, par exemple en termes
d’image, comme on a pu le signaler plus haut. En réalité, la
présentation valorisante de ces hommes comme défenseurs des
Ibos dans la presse écrite et audiovisuelle française n’est qu’un
effet connexe de la propagande organisée pour rendre popu-
laire la cause biafraise. Le 30 août 1968, le passage au journal de
20 heures de l’ORTF de Rolf Steiner et ses explications sur le rôle
de ses commandos s’accompagnent de tous les éléments suscep-
tibles de peser sur l’opinion. On parle d’un génocide biafrais, on
cite des besoins colossaux en nourriture. Ce travail de communi-
cation auprès des Français est largement mené par les habituels
relais du SDECE. L’un des auteurs du reportage est Jean-François
Chauvel, HC des services français. L’un des intervenants les plus
catastrophistes du reportage est le président Omar Bongo dont le
pays, le Gabon, est la base arrière du dispositif français déployé en
faveur des sécessionnistes (voir cartes pages 441-442).
En arrière-plan, la cellule élyséenne des Affaires africaines
est l’instance organisatrice de cette politique vis-à-vis du Biafra.
Jacques Foccart témoigne ainsi de l’avancement du dossier
suivi par le général de Gaulle : « Je parle au général de l’aide au
Biafra. Je fais le point sur ce qui a été fait et j’obtiens à nou-
veau une réponse du style : “Il ne faut pas laisser tomber, il faut

1. Le véritable nom de John Sénart serait en effet Rouvray de Saint-Simon (famille


du célèbre mémorialiste), lettre manuscrite non signée et datée de novembre 1968
au Biafra, archives privées Bob Denard, carton 78. Quant à l’homme appelé Michel
Pierre, il n’a pas pu être identifié.

138
Les mercenaires français dans la géopolitique africaine de la guerre froide

faire quelque chose.” Il ne veut pas entrer dans les détails et c’est
toujours : “Comprenez-moi donc et faites ce qu’il faut ; faites-le
de manière efficace et sans que cela se sache”. Je lui montre la
lettre d’Ojukwu mais il ne me demande même pas comment elle
est parvenue, ni rien d’autre. Le général est satisfait de voir que
Bongo tient bon mais il ne veut pas répondre à son appel. Bongo
voudrait que les quatre pays qui ont reconnu le Biafra puissent
organiser un pont aérien pour ravitailler le pays et il réclame à la
France de faire savoir que, si ces avions étaient attaqués, elle pren-
drait fait et cause pour les organisateurs du pont aérien. Il est bien
évident que cela n’est pas réalisable1. »
Dans cette affaire biafraise, l’articulation entre mercenaires et
État français est aujourd’hui bien connue. Le colonel Maurice
Robert joue un rôle majeur comme ordonnateur du discours
médiatique de séduction de l’opinion française : « Ce que tout
le monde ne sait pas, c’est que le terme de “génocide” appliqué
à cette affaire du Biafra a été lancé par les services. Nous vou-
lions un mot choc pour sensibiliser l’opinion. Nous aurions pu
retenir celui de massacre, ou d’écrasement, mais génocide nous a
paru plus “parlant”. Nous avons communiqué à la presse des ren-
seignements précis sur les pertes biafraises et avons fait en sorte
qu’elle reprenne rapidement l’expression “génocide”. Le Monde a
été le premier, les autres ont suivi2. » Les journaux français fami-
liarisent les Français à cette idée d’un génocide, laquelle est é­ga­
lement portée par le « bulletin d’information de la délégation bia-
fraise » installée à Paris (et en partie financée par les fonds secrets)3.
Maurice Robert est surtout le maître d’œuvre de la fourniture
d’armes au colonel Ojukwu via Libreville, comme il le r­ econnaîtra

1. Jacques Foccart, Journal de l’Élysée, tome 2 : Le Général en mai (1968-1969), Paris,


Fayard, 1998, 791 p. L’extrait cité correspond au 2 septembre 1968, très proche des
événements dont l’ORTF rend compte (p. 324).
2. Colonel Maurice Robert, Ministre de l’Afrique, entretien avec André Renault, Paris,
Seuil, p. 180.
3. Voir les différents numéros conservés par le MAE, série Afrique-Levant, Nigeria,
carton 14, dossier 4.

139
Dans l’ombre de Bob Denard

lui-même dans le documentaire de Joël Calmettes Histoires secrètes


du Biafra : « Armes et aide humanitaire transitaient essentiellement
par Libreville et Abidjan, les premières profitant des ponts aériens
organisés pour l’autre. Bongo avait été réticent au début mais, sous
la double pression française et ivoirienne, il avait fini par accepter
de soutenir la lutte biafraise. »

Le groupe Denard : sous le contrôle des services français ?

Si l’on considère qu’il y a construction progressive du système


Foccart pour la défense du « pré carré » au cours des années 1960
et que le Biafra marque un aboutissement dans l’articulation
entre mercenaires, services français et pays amis, alors se pose la
question de la mise en laisse du « chien de guerre » Denard par le
SDECE. La nécessité pour les services français de « contrôler » les
Affreux explique-t-elle la présence de François Hetzlen et Condé
au Yémen ? Dans le récit effectué par Bob Denard, le second
n’appartient pas au groupe mercenaire. Il fait toutefois référence
à sa présence lors de sa rencontre avec le prince Mohammed
ben Hussein : « L’interprète a beaucoup d’allure ; ce serait un
“prince” aussi, Abderrahman de Bourbon-Condé, soi-disant de
vieille race française, en dépit d’un fort accent yankee – sympa-
thique au demeurant et vêtu comme aurait pu l’être Lawrence
d’Arabie. » Denard reconnaît cependant que le « vrai-faux prince
de Condé » rejoint les mercenaires à El-Khandjer. Nous avons
déjà remarqué combien la mise en récit de l’époque yéménite est
l’objet d’une reconstruction par Bob Denard. En effet, celui-ci
connaît le passé de Condé, se moquant volontiers de cet ancien
tueur de président devenu infirmier pour des Bédouins.
Cette mise à distance du prince est sans doute un indice de la
volonté de Denard de masquer le manque d’autonomie dont dis-
pose l’équipe mercenaire déployée lors de l’opération au Yémen.
Le SDECE ou les hommes de Mauricheau-Beaupré le gardent-
ils à l’œil, faute d’avoir pu dépêcher Faulques sur place ? Ce der-

140
Les mercenaires français dans la géopolitique africaine de la guerre froide

nier dispose cependant d’un homme-lige sur les lieux puisque


François Hetzlen était son bras droit au Katanga. Il l’est encore,
comme Denard lui-même le concède : « François Hetzlen a qua-
rante ans, cumule l’expérience, la confiance de Faulques et un
indéniable talent d’arabisant1. »
La même question pourrait également se poser à propos
d’Hubert­ Pinaton et de Pierre Faugère auprès de lui à partir de
1966 environ. Ainsi, l’envoi du second comme recruteur en
France pourrait s’expliquer par ses liens avec le secrétariat des
Affaires africaines et malgaches. Toutefois, les difficultés énon-
cées par celui-ci dans la description de sa tournée dans l’Hexa-
gone laissent penser qu’il ne travaillera qu’à une date plus tardive
pour Mauricheau-Beaupré. Hubert Pinaton arrive au Congo le
29 décembre 1966 selon son journal. Il ne donne aucune explica-
tion sur les modalités par lesquelles il a rejoint Denard. L’ancien
major explique simplement que « le colonel Denard avait besoin
d’anciens officiers de carrière pour constituer les cadres de sa
future brigade » et que « le général Mobutu de son côté voulait
faire disparaître le mot mercenaire pour le remplacer par celui de
technicien2 ». Rien n’indique donc non plus qu’il travaille à cette
époque pour Mauricheau-Beaupré ou pour le SDECE. Mais
aucun élément ne permet d’écarter totalement l’hypothèse.

Mai 68

Sur la question du degré de dépendance de Denard vis-à-vis


des services, le dernier élément qui doit être interrogé est l’impli-
cation du groupe Denard dans les événements de Mai 68 à Paris.
Le Médocain et ses hommes sont aperçus dans le Quartier latin au
cours des émeutes dans la première quinzaine du mois. Les mer-
cenaires se mettent au service des officines gaullistes afin de faire
1. Extraits de Pierre Lunel, Bob Denard, le roi de fortune, op. cit., p. 231-233.
2. Hubert Pinaton, Compte rendu de monsieur Hubert Pinaton sur son séjour au
Congo-Kinshasa, mémoires manuscrits, 74 p.

141
Dans l’ombre de Bob Denard

face aux groupes gauchistes organisés au sein de la révolte estu-


diantine. Ainsi, Georges Seren-Rosso témoigne des conditions
dans lesquelles il est rentré d’Angola : « Denard nous a demandé
de coller des affiches pour les CDR (Comités de défense de la
République). Ceci, nous disait-il, afin de remercier les autorités
françaises d’avoir fait libérer nos camarades. C’est ainsi qu’un soir,
nous sommes allés chercher des affiches au secrétariat d’État des
Affaires africaines et malgaches. Et là, j’ai compris que le patron
de Denard était Foccart1. » Michel Loiseau, lequel fait alors la
connaissance de Denard, évoque une autre mission confiée aux
jeunes mercenaires. Leur expérience en guerre antisubversive
explique sans doute que le pouvoir gaullien les sollicite également
pour recueillir des renseignements sur les mouvements estudian-
tins : « Géo devait trouver une douzaine de gars ; si je voulais, je
pouvais me joindre à eux. Nous devions coller des affiches dans la
capitale et infiltrer les milieux étudiants pour renifler l’ambiance
et rendre compte de ce que nous pourrions entendre ou voir. »
Comme Georges Seren-Rosso, Bosco accomplit son travail
en mercenaire sans être convaincu de la nécessité de défendre le
régime contre l’anarchie ou le communisme : « On ne peut pas
dire que les militants du régime se bousculaient pour la défense
de la République. Venir chercher une bande d’Affreux, pour ça,
cela ne faisait pas sérieux. Nous, on se marrait, la politique, on
avait déjà donné […]. Le cirque a duré une dizaine de jours, ça
commençait à me gonfler. Le grand Charles, après un tour d’hé-
lico, avait repris le manche, tout le monde au boulot. La rigolade
est terminée2 ! »
Le recrutement de mercenaires et d’anciens partisans de
l’Algérie­française a enfin comme objectif de faire le coup de
poing face aux étudiants gauchistes. Jacques Foccart l’interprète
comme la fin des contentieux entre l’Élysée et ces hommes sur la
décolonisation ; il insiste sur la dimension politique pour mieux
1. « Mercenaires et volontaires », Le Petit Crapouillot, janvier-février 1994.
2. Extraits de Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit.

142
Les mercenaires français dans la géopolitique africaine de la guerre froide

passer sous silence le statut de « chiens de guerre » des hommes


qu’il a recrutés. Il affirme ainsi à de Gaulle : « Cette affaire des
CDR a amené beaucoup de ralliements d’OAS […]. Mon géné-
ral, vous aviez des gens de gauche pour l’affaire d’Algérie, et
maintenant devant cette situation dramatique, des partisans de
l’Algérie française qui sont, malgré tout, incontestablement des
patriotes. Quel qu’ait été leur acharnement contre nous, ceux-là
reviennent, oubliant le passé1. » En réalité, le SAC ou les CDR
sont des cercles (pour cette raison souvent qualifiés de barbou-
zards) qui font le lien entre anciens partisans de l’Algérie fran-
çaise, milieu mercenaire et pouvoir2. Les liens s’organisent autour
de Pierre Debizet et Gilbert Lecavelier. Premier président du
SAC, Debizet est un gaulliste convaincu qui avait démissionné en
1960 en raison de son attachement à l’Algérie française avant de
reprendre du service en 1968. Faisant également partie du SAC,
Lecavelier anime les actions d’infiltration au sein des activistes
étudiants. Membre de l’Union nationale parachutiste et d’Oc-
cident, il est proche des réseaux de Bob Denard. Par le biais de
leur chef, les mercenaires travaillent donc ponctuellement pour le
pouvoir gaulliste. Pour autant, ils n’intègrent pas de façon orga-
nisée les associations de « barbouzes » du gaullisme ; Denard lui-
même non plus.

Mercenariat et économie grise

Même si elle est périphérique, la place des mercenaires français


dans le système Foccart fait d’eux des collaborateurs de l’ombre
de la République. Ces hommes sont plus généralement un rouage
du jeu complexe sur la nouvelle scène politique africaine, enjeu
majeur dans la guerre froide. Les services et les hommes poli-

1. Jacques Foccart, Journal de l’Élysée, tome 2 : Le Général en mai (1968-1969), op.


cit., p. 124.
2. Olivier Dard rappelle que les CDR ont permis la réintégration d’anciens militants
de l’OAS (Voyage au cœur de l’OAS, op. cit., 301).

143
Dans l’ombre de Bob Denard

tiques africains veulent avoir recours à leurs services ; cela repré-


sente un coût significatif en termes de salaires mais aussi de four-
niture d’armes. Les premiers pour des raisons d’action clandestine
et les seconds par manque de moyens financiers ne peuvent pas
afficher des lignes budgétaires pour l’économie du mercenariat.
Elle est nécessairement parallèle, financée par le trafic de matières
premières et/ou de ressources minières. Le Katanga peut comp-
ter sur ses richesses pour entretenir son armée de soldats privés.

Tshombé, Union minière et mercenaires

Les supposés bailleurs de fonds du Katanga proviennent d’in-


térêts privés belges. Les liens entre l’Union minière du Haut-
Katanga (UMHK) et Tshombé sont très puissants. Selon cer-
taines sources, celui-ci aurait reçu de l’Union minière pas moins
de 35 millions de dollars pour prix de ses services. La compagnie
semble également présente dans les coulisses des événements qui
conduisent à l’assassinat de Patrice Lumumba. De fait, le Premier
ministre du Congo indépendant est farouchement hostile aux
intérêts belges. La direction de l’UMHK est soupçonnée par
l’ONU de financer le gouvernement d’Élisabethville : « Comme
vous le savez, l’Union minière, ces deux dernières années, a
acquitté aux autorités provinciales du Katanga ses impôts et rede-
vances concernant ses opérations dans la République du Congo
dont elle est en fait redevable au gouvernement central. Comme
vous le savez aussi, les versements de l’Union minière ont joué un
rôle de première importance en permettant aux autorités katan-
gaises, non seulement de défier l’autorité centrale mais aussi de
harceler et d’attaquer l’ONU1. »
Les Nations unies font donc le lien entre financement des
mercenaires qui combattent les Casques bleus et sommes versées

1. Lettre de U Thant à Paul-Henri Spaak le 2 août 1962, document ONU-S/5053/


add.11/ann.XXVI.

144
Les mercenaires français dans la géopolitique africaine de la guerre froide

par la compagnie minière. Une partie du personnel de la com-


pagnie serait d’ailleurs dévolu plus directement à « l’organisation
qui permet le recrutement de mercenaires destinés au Katanga1 ».
L’aérodrome de la compagnie à Kolwezi est également consacré
au décollage et à l’atterrissage de l’aviation des forces katangaises.
Le système de défense de celle-ci est de proclamer qu’elle paie
sous la contrainte : elle est amenée à verser d’importantes sommes
au gouvernement sécessionniste pour continuer à recevoir son
agrément à l’exploitation des mines. L’Union minière nie jouer
ce rôle de banque occulte du Katanga. Très pragmatique, le secré-
taire général de l’ONU, U Thant, propose d’ailleurs d’offrir « la
ferme garantie que l’ONU prendra toutes les mesures nécessaires
pour assurer la protection effective des installations et services de
l’Union minière contre des représailles de la part des autorités
provinciales ou de la population katangaise, sous quelque forme
que ce soit2 ».
Par contrainte ou non, l’argent de l’Union minière sert à finan-
cer la guerre katangaise. Par ailleurs, le personnel de la société se
révèle tout à fait solidaire de la cause tshombiste. Cela est par-
ticulièrement visible lors de l’intervention des troupes onu-
siennes. Ainsi, à Kolwezi, en janvier 1963, les employés mettent
au service des autorités ses moyens téléphoniques et fournissent
des vivres à la population européenne et africaine. Après l’opé-
ration « Rumpunch », la reconstitution des troupes mercenaires
est bien financée par la compagnie selon Bob Denard. En effet,
les hommes engagés par Jean Schramme dans ses commandos
Léopard reçoivent un salaire au titre de contrats civils de l’Union
minière. L’UMHK pourrait également être incriminée dans la
mort du secrétaire général de l’ONU, Dag Hammarskjöld, pour

1. Note « très secret » de R. Rothschild à Bruxelles le 10 octobre 1961, Archives


diplomatiques belges, carton 18 882/IX.
2. Lettre de U Thant à Paul-Henri Spaak le 2 août 1962, document ONU-S/5053/
add.11/ann.XXVI).

145
Dans l’ombre de Bob Denard

son intervention dans la crise katangaise1. Plus tard, en 1967,


la mine de cassitérite située à proximité du QG du 10e codo de
Schramme dans le Maniema continue d’être exploitée. Exporté
par train par une société belge, le minerai bénéficie certainement
d’une surveillance particulière des « chiens de guerre ».
La compagnie minière est ensuite sollicitée pour monter les
opérations de diversion au moment du siège de Bukavu. Les mer-
cenaires ont alors besoin de lever très vite des fonds pour monter
l’opération « Lucifer ». À Luanda, Raoul Piret se tourne vers les
autorités belges pour soulager son chef, Jean Schramme : « Le der-
nier espoir est l’Union minière et il [Raoul Piret] demande ni plus
ni moins que le ministère se mette en rapport avec M. Waleffe
pour qu’il lui fasse parvenir la somme de 5 millions de francs
belges2 ». Après la chute de Bukavu, Schramme n’est plus perçu
comme un interlocuteur sérieux. Denard devient vraiment
la principale figure que souhaitent utiliser les réseaux belges.
L’UMHK travaille­ainsi avec lui, lorsque son groupe est replié
en Angola. L’un des experts dans ce dossier parmi les adjoints
de Denard sert d’intermédiaire : « Ghys vient à Paris et dit avoir
contact avec Pierre Joly, frère du président de l’UMHK. Certains
milieux financiers belges sont favorables à Denard après l’échec
de Schramme pour la continuation du combat3. »

1. Selon l’enquête menée par un humanitaire suédois Göran Björkdahl. Il résume


son point de vue dans un article du Guardian paru le 17 août 2011. http://www.
guardian.co.uk/world/2011/aug/17/dag-hammarskjold-un-secretary-general-crash
consulté le 4 avril 2013. Sur cet événement, voir l’excellente analyse de Susan
Williams, Who Killed Hammarskjold? The UN, The Cold War, and White Supremacy
in Africa, London, C. Hurst & Co Publishers Ltd, 2011, 256 p.
2. Note de Roger Tybergheim, consul général de Belgique à Luanda à M. Pierre
Harmel, ministre des Affaires étrangères belges du 6 octobre 1967 après avoir reçu
Raoul Piret, Archives diplomatiques belges, carton 18 882/IX.
3. Compte rendu de mission du 23 octobre 1967, archives privées Bob Denard,
carton 74. On reçoit au passage confirmation du rayonnement de Denard en
Belgique.

146
Les mercenaires français dans la géopolitique africaine de la guerre froide

Flux financiers clandestins et luttes d’influence

Toutefois, il n’y a pas que les compagnies privées qui parti-


cipent à cette économie grise et plus particulièrement au fi­nan­
cement de l’action des mercenaires. Les États surveillent et
agissent également dans le domaine des flux clandestins à des
buts politiques. Les sommes envoyées au Katanga sont particu-
lièrement surveillées par Bruxelles. Jusque-là principal bailleur
de fonds de la sécession (par des circuits privés essentiellement),
la Belgique s’alarme d’une concurrence suisse : « La coterie hel-
vétique menée par M. Fabre, chef de cabinet du ministère des
Affaires économiques [katangais] s’appuyant sur le ministre des
Finances, M. Kibwe et quelques personnalités du monde de la
banque […], s’efforce d’évincer M. Van Roey au bénéfice […] de
M. Cornas1. »
En réalité, Bruxelles craint que les avoirs de Moïse Tshombé
en cas de fuite ne se dirigent vers la Suisse, ce qui ferait de lui un
homme beaucoup plus libre, moins inféodé aux intérêts natio-
naux belges : « Il est évident que le but premier est d’offrir une
retraite sûre aux avoirs en devises de l’État du Katanga […]. La
position des Suisses est bien entendu plus facile que la nôtre dans
la mesure où leurs interventions économiques et financières ne
sont entravées par aucune hypothèse politique. Il est néanmoins
navrant de voir combien nos propres positions se sont effritées
en quelques mois. » Le même rapport signale que la France a éga-
lement perçu l’opportunité de tirer vers elle les autorités katan-
gaises et de mieux les contrôler par ce canal des flux financiers :
« La présence dans l’avion présidentiel, ramenant M. Tshombé
de Genève, de Me Croques, l’avocat parisien de M. Kasa-Vubu
en 1959-1960, avait suscité quelques remous. L’escale prolon-
gée du président et de Me Croques à Brazzaville, jointe à cer-
taines rumeurs financières, non vérifiées, laissait supposer que
1. Note confidentielle PC/32.3/24.1/S du 13 décembre 1961, Archives diploma-
tiques belges, carton 18 882/IX.

147
Dans l’ombre de Bob Denard

les Français, de leur côté, entendaient contrer les Suisses. Le


re­vi­rement attendu, plus politique que financier, ne s’est pas
produit1. »
La même logique de flux humains (mercenaires) et financiers
s’observe entre la France et le Biafra. La France soutient par tous
les moyens (humains et matériels) l’armée commandée par le
colonel Ojukwu. Elle lui accorde des facilités de crédits, comme
« la délivrance de devises étrangères jusqu’à concurrence de 6 mil-
lions de livres sterling, le premier million étant versé immédia-
tement » par le biais du baron du Roure et de J.-P. Mallet, ban-
quiers à Paris. En échange, la France est avantagée dans de poten-
tiels contrats miniers sous forme de concession « à la banque
Rothschild frères, France, des droits exclusifs d’exploitation et
d’extraction de tous les dépôts de minerais énumérés ci-après :
colombine, uranium, charbon, étain, pétrole, or, pour une durée
de dix ans2 » (voir carte page 440).

Les mercenaires, des soldats aux délits ordinaires

Les mercenaires sont des instruments dans ces rapports de


forces interétatiques. Ils servent les intérêts des États mais pensent
également aux leurs. Bob Denard essaie de construire la réputation
de son groupe sur le respect du contrat passé avec son employeur
et sur la probité de ses hommes. Pour autant, les détournements
d’argent et les trafics sont des pratiques plus ou moins instinc-
tives que l’on peut relever chez les mercenaires. Elles s’expliquent
partiellement par un processus de reproduction du système de
corruption existant sur les théâtres où ils opèrent et par la néces-
sité de disposer de fonds pour le fonctionnement quotidien de

1. Note confidentielle PC/32.3/24.1/S du 13 décembre 1961, Archives diploma-


tiques belges, carton 18 882/IX.
2. Télégramme diplomatique de l’ambassade de France à Lagos le 9 août 1967,
reprenant des éléments livrés par le gouvernement fédéral, MAE, série Afrique-
Levant, série Nigeria, carton 13, dossier 2.

148
Les mercenaires français dans la géopolitique africaine de la guerre froide

leurs troupes, sans que cela excuse le manque d’éthique de ces


hommes. Dès le Katanga, on observe ce pragmatisme dénué de
morale. Quand Badaire répond à l’interview pour le documen-
taire Les aventuriers en 1966, il explique placidement que ces
parachutistes ont pris en main le racket de la prostitution locale
à la place des forces de police qui bénéficiaient jusque-là de cette
manne financière.
En revanche, il ne semble pas que les viols ou les violences
répétées contre les populations locales caractérisent l’action des
« Affreux ». Sans y voir une éthique chez eux, on peut avancer
deux explications. D’après leurs témoignages, les mercenaires
satisfont leurs besoins sexuels facilement. Outre le recours à la
prostitution qui a cours dans les villes congolaises, Pierre Chassin
relève « les facilités qu’offrent la situation [statut de libérateur de
Kamina en septembre 1965] et le libéralisme des mœurs locales.
Pendant les trois premiers mois, Patrick et moi avons sûrement
été les seuls du 1er choc à refuser […]. L’ambiance aidant, nous
nous sommes convaincus que cela valait mieux pour la santé1. »
A contrario, l’abstinence à laquelle sont soumis les mercenaires au
Yémen n’est pas enfreinte mais pèse sur le moral des hommes. La
seconde explication est que la mission de contre-insurrection qui
leur est confiée comme au Katanga entre 1964 et 1967 nécessite
de s’amadouer les populations.
Pendant la reprise de contrôle du territoire congolais au prin-
temps 1965, le pillage n’en est pas moins une pratique usuelle.
Après avoir observé une scène d’ouverture de coffres-forts au
bazooka ou à l’explosif les jours précédents, Pierre Chassin se
dit en proie à un dégoût indicible quand « les anciens sont pris
d’une frénésie et courent piller les maisons avant que les véhi-
cules suivants n’arrivent […] ». Il lance à la tête d’un de ses cama-
rades les ciboires que celui-ci a volé dans l’église. Son compagnon
exprime des regrets mais « n’entend pas pour autant se séparer des

1. Pierre Chassin, Baroud pour une autre vie, op. cit., p. 286.

149
Dans l’ombre de Bob Denard

statuettes d’ivoire et des défenses d’éléphants qu’il a trouvées ».


Pierre Chassin voit le même comportement chez les soldats noirs
de l’ANC : « L’un d’eux porte sous son bras une cuvette de WC
tandis qu’il traîne derrière lui des objets hétéroclites. Je ne réalise
pas l’aspect comique et dérisoire de cette scène et n’y vois que le
côté sordide de l’avidité de ces hommes qui auraient pu tuer si
des civils s’étaient opposés à leur forfait. Mais la ville est déserte
et je suis submergé par la honte par le spectacle donné par les sol-
dats blancs. Heureusement, Denard intervient en menaçant les
pillards de conseil de guerre1. »
D’ailleurs, Bob Denard va progressivement insister, dans ses
discours au sein du 6e BCE, sur cette nécessaire moralisation : « Il
y en a, bien sûr, qui en ont profité pour vendre quelques sacs de
café, évidemment, ils avaient trouvé du café et ils ont cru bien
faire de ne pas le laisser abîmer mais après les sacs, ça a été des
camions… puis de l’ivoire. Enfin, il faut tirer un trait sur le passé
et regarder devant […]. Mais je voudrais une fois pour toutes que
vous regardiez en face vos responsabilités, une fois pour toutes
que vous ne vous conduisiez pas comme des gamins, une fois
pour toutes que vous vous rendiez compte que vous êtes des
hommes […] Tous les petits trafics, et je pourrais en citer pas
mal car je suis bien informé, n’ont fait que nuire à l’esprit de soli-
darité et de camaraderie ; on a même vendu un revolver jusqu’à
100 000 francs, bien entendu s’il y a des pigeons tant pis pour
eux2. »
En 1966, lors du premier soulèvement de mercenaires contre
l’ANC, 218 kilos d’or disparaissent de Watsa. Sorti des mines de
Kilomoto, ce trésor de guerre est destiné à financer la guerre du
14e codo contre le pouvoir central. Après avoir participé à l’étouf-
fement de l’insurrection de ces Katangais et de leurs cadres belges,
Denard est chargé par Mobutu de récupérer cet or. Finalement,
1. Pierre Chassin, Baroud pour une autre vie, op. cit., p. 214.
2. Rapport de la réunion des volontaires du 6e BCE présents à Kinshasa le 5 sep-
tembre 1966, archives privées Bob Denard, carton 68.

150
Les mercenaires français dans la géopolitique africaine de la guerre froide

son adjoint Biaunie met la main sur le mercenaire du 14e codo


qui, dans la débâcle, a réussi à cacher les lingots. Ils sont res-
titués au gouvernement (à l’exception de quelques-uns cachés
séparément)1.
L’un des premiers réflexes des « Affreux » lorsqu’ils entrent dans
Bukavu est de prendre le contrôle des banques et de récupérer
l’argent qu’elles contiennent. Schramme a proclamé un comité
de salut public. Il se substitue ainsi à l’État congolais et consi-
dère dès lors comme légitime d’utiliser les sommes déposées dans
les banques pour financer le fonctionnement du réduit merce-
naire. La démarche est contestable mais surtout cet argent permet
au chef belge de mener grand train, comme le confirme Hubert
Pinaton. Resté avec sa compagnie à l’extérieur de la ville, le soldat
de fortune français est frappé par l’ambiance qui y règne lors d’un
ravitaillement : « Je suis descendu à Bukavu. C’est la belle vie des
conquérants2. » Par ailleurs, comme la ville est adossée à la fron-
tière rwandaise, les mercenaires peuvent rapidement convertir en
dollars le trésor de guerre qu’ils ont accumulé au cours d’expé-
ditions ou en s’emparant des richesses des populations qui ont
déserté la ville.
Cette conduite mais aussi des trafics plus ordinaires expliquent
que l’acte d’accusation dressé contre les étrangers en août 1967
(même si sa crédibilité doit être regardée avec méfiance) comprend­
les chefs d’accusation d’actes de banditisme, d’extorsions de
biens appartenant aux habitants (et notamment aux femmes de
militaires) et de vols à main armée dans les banques et édifices
publics3. Pour autant, une partie du pillage constaté à Bukavu et

1. Michel Desgranges, Les trois mercenaires, Paris, Grasset, 1979, 344 p. Cet ouvrage
présente les témoignages croisés de René Biaunie, Gunther Vosseler et Lucien
Lejeune.
2. Hubert Pinaton, Compte rendu de M. Pinaton sur son séjour au Congo-Kinshasa,
op. cit., p. 68.
3. Note de l’administration générale de la sûreté nationale de la RDC à Kinshasa
le 8 août 1967 portant avis de recherche de 186 individus, archives privées Bob
Denard, carton 56.

151
Dans l’ombre de Bob Denard

imputé aux mercenaires est effectuée par les soldats de l’ANC. Le


général Massiala qui les commande aurait accordé à ses troupes
deux jours de quartier libre. Les pillages auxquels se sont livrés les
mercenaires ne sont sans doute guère plus importants que chez
les autres acteurs de la vie militaire au Congo à cette période. Il
s’agit principalement d’une pratique guerrière partagée face à un
État de droit trop faible. Pour autant, elle demeure plus particu-
lièrement choquante chez des Européens, et singulièrement les
anciens militaires, pour lesquels ces pratiques sont depuis long-
temps condamnées moralement et juridiquement.
On peut remarquer que ces comportements sont plus sensibles
chez les « chiens de guerre » lorsqu’ils ont le sentiment d’être en
position d’impunité, de ne plus avoir de compte à rendre au pou-
voir avec lequel ils ont signé un contrat. Jacques Duchemin rap-
porte une anecdote à propos de l’opération « Lucifer » en 1967. Il
la tient de Jacques Lécrivain, son ancien chauffeur, qui a fait par-
tie des hommes sous les ordres de Denard en 1967 : « Les merce-
naires entrent dans la ville – j’ai oublié son nom – et progressent
jusqu’au centre. Ils passent devant une grande banque. Denard
dit alors à ses hommes : “Quand les poires bien mûres s’offrent au
regard, il serait très dommage de ne pas les cueillir”1. » La banque
est aussitôt investie. Ainsi, le chef qui a souhaité construire son
image sur le sérieux et le respect du contrat par les mercenaires
peut également se livrer aux actes mêmes qui leur sont reprochés.
Le personnage offre peut-être un double visage mais il est surtout
très pragmatique.

Le trafic d’armes, au cœur du système mercenaire

Les armes sont l’outil principal du métier de mercenaires.


Leur fourniture est indispensable au bon déroulement des opé-
rations des soldats irréguliers et est présente sur tous les théâtres

1. Entretien à Paris avec Jacques Duchemin le 14 mai 2013.

152
Les mercenaires français dans la géopolitique africaine de la guerre froide

où combattent­les mercenaires. Le recours à de tels hommes


génère donc des flux clandestins d’armes que doivent assumer les
États. Ainsi la Belgique est très gênée lorsque la presse nigériane
révèle que des avions achetés par une société belge, la Mitraco,
servent à l’aviation katangaise. En effet, les implications diplo-
matiques de ces circulations d’armes à destination des merce-
naires peuvent révéler les actions souterraines des acteurs éta-
tiques ; ils ne sont pourtant pas toujours directement impliqués.
Les officiels belges font remarquer que les appareils en ques-
tion échappent à la législation imposant une licence et qu’il est
impossible de contrôler sans raison valable l’aérodrome privé par
lequel ils ont transité à Bruxelles1.
Au Yémen, la frontière avec l’Arabie saoudite est une zone
poreuse par laquelle passent toutes les armes à destination des
royalistes. Il n’empêche que les mercenaires sont très dépendants
de ce commerce illicite des armes, lequel leur échappe à cette
période. Ainsi, les livraisons au Yémen posent de nombreux pro-
blèmes : matériel inutilisable, armes demandées non livrées… :
« Bob est furieux. Le nouveau marchand d’armes pressenti semble
régulier et objecte l’obligation d’une licence d’importation pour
le matériel lourd qui doit être délivrée par un gouvernement
reconnu. » Cette faiblesse est d’ailleurs parfaitement identifiée
par les ennemis des royalistes yéménites. L’annonce de prochaines
livraisons est ainsi systématiquement l’occasion de manœuvres du
camp nassérien et d’opérations pour ouvrir les routes des trafics.
Toutefois, le théâtre d’opérations du Biafra résume le mieux
les articulations entre actions clandestines étatiques, intermé-
diaires du commerce des armes et « chiens de guerre ». Comme
la province sécessionniste nigériane dispose d’immenses res-
sources, un trafiquant d’armes, Pierre L., propose à Ojukwu de
lui fournir une aviation, une marine et des mercenaires, citant les
plus grands noms de l’époque : Jack Mallock, Michel de Clary,
1. Dossier Avions Dornier pour le Katanga. Livraison avions Fouga, Archives
diplomatiques belges, carton 18882/IX.

153
Dans l’ombre de Bob Denard

Roger Faulques, John Peeters (ancien second de Mike Hoare en


RDC) et Bob Denard1. Dès juin 1967, les livraisons de maté-
riel commencent. En octobre, lorsque Denard tente de vendre
les services de son GATI à Ojukwu, il est associé à Pierre L. Guy
Cardinal qui négocie le contrat avec les Biafrais écrit ainsi à son
patron : « Essai de prise de contact avec Pierre selon instructions ;
Pierre est absent du Portugal, parti pour Paris […]. Pierre m’ap-
prend que l’argent n’est pas encore versé au compte R [obert] D
[enard]2. » Dans les enjeux des contrats à décrocher mais aussi
dans l’objectif de pouvoir mieux assurer les prestations vendues,
les mercenaires cherchent donc des partenaires parmi ces inévi-
tables intermédiaires.
Les flux d’armes et de matériel militaire sont également le
maillon­qui permet le mieux de déceler le lien entre services et
mercenaires. Ainsi, dans le cas du Biafra, la chaîne entre l’Hexa-
gone et les groupes d’irréguliers qui encadrent les troupes du
colonel Ojukwu est bien connue. La plupart de ces armes sont
sorties des arsenaux français. Livrées à la Côte d’Ivoire de Félix
Houphouët-Boigny au titre de la Coopération, elles sont désor-
mais à sa disposition. Le relais de l’influence française est ensuite
libre d’en disposer à sa guise. Dans les faits, pour faire passer
les armes et les hommes, c’est Libreville qui est retenue comme
base arrière des Français autour de l’ambassadeur Delaunay et
de Philippe Letteron. Omar Bongo qui vient d’accéder au pou-
voir laisse le Gabon servir de base logistique. Les rotations vont
s’effectuer au rythme de trois à six avions au Biafra par jour (voir
carte page 441). Les caisses arrivent directement de France ou
peuvent être celles du contingent français en Côte d’Ivoire.
Ces livraisons commencent dès le début du conflit. Dès le mois
de juillet 1967, les premiers avions français chargés de munitions

1. Pierre Lunel, Bob Denard, le roi de fortune, op. cit., p. 234, 396 et suivantes. Pierre
L. n’a pu être identifié.
2. Lettre de Guy Cardinal du 30 octobre 1967, archives privées Bob Denard,
carton 74.

154
Les mercenaires français dans la géopolitique africaine de la guerre froide

atterrissent à Uli, au Biafra, en provenance du Gabon. Pour mas-


quer ces circulations, une société écran, la SOGEXI, a été créée ;
elle a pour unique objet de livrer les moyens de combattre au
Biafra1. L’appareil d’État français est entièrement mobilisé dans
ces flux, comme en témoigne Maurice Delauney dans le docu-
mentaire de Joseph Calmettes, Histoires secrètes du Biafra. « Moi
j’étais un transitaire, un transitaire particulier mais un transitaire
tout de même. J’étais le bras armé de l’aide française au Biafra
puisque pratiquement toute l’aide française passait par Libreville :
des mitrailleuses, des fusils-mitrailleurs, des fusils, des grenades,
des bazookas, des petits canons également mais pas d’armes
lourdes. Pas d’armes lourdes, pourquoi ? Parce que tout cela était
transporté par avion. Et je dois vous dire que dans cette affaire je
n’ai jamais eu affaire à mon ministre de tutelle mais je n’ai obéi et
je n’ai agi qu’en fonction des instructions qui m’étaient données
par l’Élysée. »
Dans ces flux d’armes vers les théâtres d’opérations, les Français
ont particulièrement recours aux Rhodésiens. Jack Mallock en est
la figure emblématique. En fait, dès le Katanga, les Sud-Africains
et les Rhodésiens sont les plus nombreux parmi les aviateurs mer-
cenaires2. Ancien pilote de la RAF pendant la Seconde Guerre
mondiale, Mallock met sa petite compagnie, la Rhodesian Air
Services, à la disposition de Tshombé au Katanga. Ses DC-3
intègrent la flotte aérienne de l’armée de la sécession. Puis, en
1963-1964, il assure les rotations pour fournir en armes les mer-
cenaires français présents au Yémen. Revenu au Congo, il tra-
vaille principalement pour Mike Hoare et fonde une nouvelle
société, Air Trans Africa, dont l’un des marchés est le transport
d’armes pour détourner les sanctions votées par l’ONU contre
la Rhodésie. Il joue le même rôle avec de grandes difficultés

1. Jean-Pierre Bat, Le syndrome Foccart, op. cit., p. 300.


2. Voir notamment la note du consul général de Belgique à Johannesburg,
J. Davaux, du 26 janvier 1961 sur une série d’articles de presse sud-africains à ce pro-
pos, Archives diplomatiques belges, carton 14 662.

155
Dans l’ombre de Bob Denard

pour alimenter Bukavu assiégée par l’ANC en 1967. Enfin, Jack


Mallock est également présent au Biafra. Une nouvelle fois, sa
fonction principale est d’acheminer vers les groupes mercenaires
sur le terrain les armes fournies en sous-main par les alliés secrets
du Biafra, notamment la France via le Gabon.
Vers la fin du conflit, les livraisons doivent s’intensifier. Denard
qui a raté les combats mercenaires se transforme plus clairement
en trafiquant d’armes pour les services français. Il ouvre une nou-
velle route vers le Biafra, par voie maritime. Ayant racheté un
vieux navire à l’automne 1968 avec l’argent ivoirien, il le rebap-
tise Mi Cabo Verde et crée une société au Panama. Il va effectuer
cinq allers-retours du Gabon vers Port-Harcourt au Nigeria. Il
essaie les armes en mer avant de les confier aux Biafrais et prend
sa marge sur ces livraisons. Le Mi Cabo Verde assure bientôt des
liaisons depuis Walvis Bay en Namibie, où il charge du matériel
sud-africain à destination du Biafra (voir carte page 441). Avec
l’accord de Paris, les mercenaires français de Denard établissent
ainsi des liens directs avec les services sud-africains.
Ce trafic se poursuit dans la période suivante. Pour ne pas y
revenir, nous livrons ici un exemple. En 1975, un contrat d’achat
d’armes légères et lourdes par les forces de Haute-Volta est adressé
à la Yougoslavie via la société Interarms, basée à Manchester.
Denard sert d’intermédiaire comme semble l’indiquer un cour-
rier du représentant d’Interarms à Paris, Jacques Perlès : « Nous
vous confirmons qu’en cas de réalisation de l’opération en cours
[2 000 obus de mortier et 1 000 obus de 105 pour une valeur de
324 500 dollars américains], il vous sera réservé sur le bénéfice
brut constitué par la différence entre le prix d’achat et le prix de
vente soit au total maximum 87 500 dollars US les 5/8e dudit
bénéfice payable immédiatement après expédition et en­ cais­
sement par nos soins du principal . » Il n’est par ailleurs pas
1

1. Lettre manuscrite à en-tête d’Interarms adressée à Gilbert Bourgeaud et datée du


27 mai 1975, archives privées Bob Denard, carton 29.

156
Les mercenaires français dans la géopolitique africaine de la guerre froide

impossible que Denard ait assuré, personnellement ou par l’in-


termédiaire de quelques-uns de ses hommes, la livraison.
Si les liens entre milieu mercenaire et trafiquants d’armes per-
durent ensuite, le Biafra marque la fin d’une époque. Jusque-là, les
soldats de fortune se trouvaient dans le même camp. Ils combat­
taient pour empêcher les jeunes États issus de la décolonisation
de basculer dans le camp communiste. Avec le Biafra, les cartes se
brouillent. Les services secrets soutiennent de plus en plus inten-
sément les mercenaires. Toutefois, depuis la RDC, les États du
bloc de l’Ouest se découvrent des intérêts divergents. En 1967, les
États-Unis ont joué contre les anciens colonisateurs. Au Nigeria,
la Grande-Bretagne préfère soutenir Lagos pour la BP tandis que
Paris a misé sur Ojukwu. Washington n’a pas souhaité fâcher son
allié anglo-saxon et ne bascule pas dans le camp biafrais, malgré
le soutien soviétique à Lagos. Chacune des puissances joue sur
« ses » mercenaires : le Sud-Africain Peeters travaille pour Londres
et Lagos, les Français Faulques et Denard pour Paris et Enugu.
Les moyens déversés dans cette guerre civile nigériane néces-
sitent pour les irréguliers de s’adosser à des trafiquants d’armes
qui disposent de très gros moyens. Et encore, cela ne se révèle pas
suffisant au cours du conflit et seuls les États peuvent fournir le
matériel nécessaire. Les mercenaires sont complètement dépen-
dants des services : « Cette période, c’était la fin de l’épopée, une
reconversion en même temps qu’un retour sur soi. On s’était bat-
tus avec des moyens réduits contre des machines gigantesques.
Ce n’est pas le sentiment d’échec qui domine après le Congo
mais celui de l’impossible […]. Avec le Biafra débute autre chose,
l’ambition change de nature et je m’adapte mieux que certains
autres peut-être. On se prépare à opérer différemment », constate
Denard1. Homme de la génération suivante, Franck Hugo a une
jolie formule pour désigner l’utilisation de ses maîtres (il a servi
Denard) dans ce contexte : « Dans les années d’après-guerre, les

1. Pierre Lunel, Bob Denard, le roi de fortune, op. cit., p. 401.

157
Dans l’ombre de Bob Denard

services avaient largement puisé dans les milieux mercenaires,


même plus, ils les avaient encouragés. Pas un coup d’État en
Afrique sans mercenaire français. À l’heure de la décolonisation,
le service s’était créé une main gauche efficace. Ce petit pool
d’“Affreux” exécutera toutes les besognes qui répugnaient à la
main droite1. »

1. Franck Hugo, Philippe Lobjois, Mercenaire de la République, Paris, Nouveau


Monde éditions, 2009, 429 p.
Conclusion de la première partie

À partir de la sécession katangaise, la pratique du mercena-


riat s’enracine principalement en Afrique et dans le cadre de la
guerre froide. Les Français deviennent rapidement un groupe
très actif et très concurrentiel dans cette offre de prestations mili-
taires privées aux services occidentaux (MI-6 au Yémen, SDECE
au Biafra) et aux acteurs africains (Katanga, RDC, Biafrais).
Souvent issus d’unités réputées (parachutistes et Légion étrangère
no­tamment), ils bénéficient de l’expérience des conflits de déco-
lonisation et offrent une large palette de services de la formation
militaire à l’encadrement des troupes africaines. Ils proposent
également des savoir-faire plus spécifiques, des transmissions à
la lutte contre-insurrectionnelle. Pour une partie d’entre eux, ils
peuvent être poussés par des difficultés politiques à rejoindre des
théâtres d’opérations sur le continent noir. Leur passé de mili-
tants en faveur de l’Algérie française mais également les facilités
mises en place par la cellule Afrique de l’Élysée permettent de
mettre en place parmi les anciens soldats de l’armée française des
filières de passage vers le mercenariat au sud du Sahara.

Pour autant, ce milieu français s’articule très rapidement


avec des personnels issus de la Belgique (Katanga) ou du reste
de l’Europe­à partir de l’expérience congolaise de 1964-1967. Il
nous semble légitime de parler de « groupe mercenaire français »
car les cadres et les filières de recrutement demeurent français.
Le phénomène des « chiens de guerre » est souvent perçu comme

159
une dérégulation de l’exercice légitime de la violence concentrée
entre les mains des États ; ce n’est que partiellement le cas. En réa-
lité, le mercenariat qui renaît dans les années 1960 n’est pas com-
plètement transnational. Il répond à des logiques de rapports de
forces nationaux. Chaque groupe mercenaire est rattaché priori-
tairement aux intérêts de sa nation d’origine, comme le montrent
les antagonismes entre Sud-Africains, Belges et Français en RDC.

Cependant, ces hommes sont réellement des soldats de for-


tune. Ils se distinguent des HC qui émargent dans les services
spéciaux. Le système est simplement articulé avec le SDECE
quand celui-ci souhaite utiliser des moyens distincts du service
Action (Biafra par exemple). Les mercenaires dépendent des aléas
politiques qui leur offrent des opportunités de théâtres d’opéra-
tions (de façon quasi continue dans la décennie 1960). Émerge
progressivement un système mercenaire capable de répondre à de
gros contrats dans des temps relativement rapides. Ce système est
bien hiérarchisé et à la fin de la période, avec le retrait de Roger
Faulques, Bob Denard en est à la tête.
Deuxième partie

La « main gauche » de la France


en Afrique
Chapitre 5

Nouvelle époque, nouvelles opérations


pour les mercenaires

Après le conflit au Biafra, une nouvelle époque s’ouvre. Ce


« deuxième­système mercenaire » ou « deuxième âge » du système
français est caractérisé par davantage de liens entre les merce-
naires et les services secrets. Les relations entre le SDECE et les
anciens « Affreux » sont désormais solidement établies. D’ailleurs,
Denard s’offre une nouvelle identité, Gilbert Bourgeaud, façon-
née par la « Boîte ». Il s’installe au Gabon. On peut ainsi considérer
qu’il existe véritablement un triangle mercenaires-SDECE-réseaux
Foccart. Dans cette configuration clarifiée, les mercenaires français
cherchent toutefois à conserver leur autonomie. Celle-ci dépend
largement des opportunités géopolitiques sur le continent africain.

Une période sans grande opération

Le début de la décennie n’offre pas de grand conflit interéta-


tique ou interne. Le continent africain est alors en périphérie de
la guerre froide et confié, vu du côté de Washington, à des chiens
de garde (Portugal par exemple), à d’anciennes puissances colo-
niales (France, Grande-Bretagne) et à des pays comme l’Afrique
du Sud ou la Rhodésie du Sud à compter de 1965. Dans l’attente
de sollicitations militaires, les mercenaires qui sont finalement
des soldats intermittents doivent s’assurer des revenus réguliers.

163
Dans l’ombre de Bob Denard

Le refuge gabonais

C’est pourquoi le Gabon prend une telle importance dans le


milieu des « chiens de guerre » français à la fin des années 1960
et au début des années 1970. Depuis son accession au pouvoir,
Omar Bongo est devenu une pièce essentielle du dispositif « foc-
cartien » en Afrique ; le Gabon est un exemple des relations entre
Paris et ses relais africains. Libreville se met à la disposition de la
diplomatie secrète de la France et, en échange, Bongo reçoit des
garanties sur sa protection personnelle. Ainsi, sous la houlette de
l’ambassadeur, Maurice Delaunay, Gildas Lebeurrier travaille-t-
il sur un plan d’évacuation d’Omar Bongo du palais présidentiel
vers le camp militaire français. La procédure sera ensuite repro-
duite dans d’autres États africains. Il bénéficie surtout de la mise
en place d’une garde présidentielle (GP). Une unité d’élite, la
Garde républicaine, a été créée le 24 juillet 1964 après le coup
d’État contre le président Léon Mba. Elle prend le nom de Garde
présidentielle le 4 juin 1970.
Après l’ancien fondateur du service Action du SDECE, Robert
Maloubier, la garde personnelle du chef d’État gabonais est diri-
gée par Yves Le Braz à partir de 19681. Mais, en 1970, il est rem-
placé par Loulou Martin. Entré dans la Résistance en Bretagne,
il intègre Saint-Cyr en 1945, rejoint la 13e DBLE et puis le 1er
bataillon étranger de parachutistes (BEP). Après s’être couvert
de gloire à Diên Biên Phu, il participe à l’expédition de Suez.
Versé au 1er REP en Algérie, il prend part au putsch des généraux
en 1961 et finit sa carrière au sein du 126e RI de Brive. Loulou
Martin bascule vers le mercenariat pour l’opération au Yémen.
Tandis qu’il dirige la GP, le Gabon devient un refuge pour de
nombreux soldats de fortune français.
Après l’épisode du Biafra, ils s’inscrivent dans un projet de
fermes qui leur sont confiées. Elles doivent être des modèles de

1. Jean-Pierre Bat, Le syndrome Foccart, op. cit, p. 204 et suivantes.

164
Nouvelle époque, nouvelles opérations pour les mercenaires

développement agricole (grandes plantations de légumes) mais


aussi des postes de surveillance des zones frontières. La crainte d’in-
filtrations révolutionnaires en provenance du Congo-Brazzaville
anime particulièrement Omar Bongo. Cette ancienne colonie
française voisine est régulièrement agitée par des conflits inter­
eth­niques et une grande effervescence politique. Depuis 1963,
un pouvoir se réclamant du marxisme est en place à Brazzaville. À
partir de 1968, l’État prend officiellement le nom de République
populaire du Congo. Il est perçu comme un pôle de déstabilisa-
tion régionale à la fois par son positionnement politique dans la
guerre froide et par son instabilité interne. Le pays est ré­gu­liè­
rement secoué par des crises politiques et des tentatives de putsch.
Bob Denard demeure personnellement à Donguila jusqu’à
l’été 1970 ; d’autres mercenaires prolongeront leur séjour à Lékoni
ou Moanda. Pour la première fois, le groupe Denard envisage de
participer au développement du pays dans lequel il est installé par
des moyens qui sont essentiellement non militaires. Retrouvant
ses racines paysannes, le Médocain multiplie les projets adressés
aux autorités gabonaises. Par exemple, il propose au printemps
1970 la création d’une « société contrôlée par l’État type coopéra-
tive ». L’idée serait de faire baisser les prix face à des importateurs
bien en place : « Si nous déclarons la guerre des prix, il nous faut
pouvoir soutenir le siège […] l’actuel état d’esprit qu’on entre-
tient dans un unique but de profits sans tenir compte des réalités
locales est de prendre de l’argent dans un minimum de temps ;
peu importe si c’est au détriment du pays qui les accueille1 ». Déjà,
au Congo, Denard avait présenté des projets de développement
agricole et d’infrastructures rurales, mais sa force de propositions
se plaçait alors dans le cadre de la lutte contre-insurrectionnelle.
L’inaction, les activités paysannes et des conflits de personnes
aboutissent rapidement à une dégradation des rapports au sein
du groupe des fermiers armés, comme en témoigne cette lettre en
1. Lettre signée Gilbert Bourgeaud écrite à Paris le 31 mars 1970 et adressée à l’am-
bassadeur du Gabon à Paris, archives privées Bob Denard, carton 29.

165
Dans l’ombre de Bob Denard

1972 d’Henry Alain : « Cette lettre pour vous dire que j’arrive au
bout du rouleau. Muscart depuis son retour a changé du tout au
tout1. Je ne sais pas ce qu’on lui a raconté en France mais le fait
est là. Je comprends maintenant tout à fait Pinaton et Faugère.
On a beau savoir se maîtriser et ramasser les engueulades toute la
journée à propos de rien, il y a quand même des limites et j’arrive
maintenant à ces limites. Je regrette beaucoup d’avoir à vous le
dire car je répugne à vous décevoir. Mais je suis maintenant sûr
que pas un homme digne de ce nom n’arriverait à s’entendre avec
lui. Il a dû faire un effort terrible car, pendant quelque temps
après l’affaire Pinaton et l’algarade avec Faugère, mais maintenant
une chose est sûre, c’est qu’on a dû lui dire en France qu’il pou-
vait y aller à fond […]. Je suis décidé à ne pas signer de contrat
[…]2. » Les deux fidèles de Denard, Hubert Pinaton et Pierre
Faugère, ont déjà tous les deux quitté Lékoni pour prendre du
service au sein de la GP. La troupe d’élite gabonaise comprend
alors plus de 1 200 hommes et nécessite des cadres expérimentés.
Fort des expériences congolaise et biafraise, le milieu mercenaire
français est donc un vivier privilégié.
Finalement, cet enracinement au Gabon s’inscrit dans la tra-
dition des colonies romaines et des adaptations qu’elles ont ins-
pirées. Au xixe siècle, le maréchal Bugeaud se réapproprie ainsi
le modèle des soldats-laboureurs de la III Legio Augusta dans
le Maghreb romain et les colonies militaires se développent en
Algérie jusqu’en 1914. Cette implantation permet le contrôle de
zones pour lesquelles le pouvoir central de Libreville estime que
la surveillance doit être renforcée ; elle assure surtout l’exploita-
tion des formes d’expertise civile que peuvent avoir acquis les sol-
dats de fortune vétérans. Ces installations agricoles ressemblent
ainsi au Champ d’Asile de la Restauration. À cette époque, des
bonapartistes, des militaires notamment, rompent avec le Vieux
1. Cet homme est non identifié, il ne semble pas que ce soit un mercenaire.
2. Lettre d’Alain Henry écrite à Moanda au Gabon à Bob Denard le 6 avril 1972,
archives privées Bob Denard, carton 29.

166
Nouvelle époque, nouvelles opérations pour les mercenaires

Continent et souhaitent une nouvelle vie sur un front pion-


nier. Le résultat n’est pas foncièrement différent avec les fermes
gabonaises. Comme dans l’exemple bonapartiste, on observe de
rapides dissensions internes à la « colonie ». Malgré le passé civil
d’une partie des soldats de fortune français, on perçoit combien
réintégrer une vie sédentaire, plus routinière et organisée autour
de tâches agricoles physiquement usantes est difficile, d’autant
plus que ces hommes célibataires cohabitent. Cette situation
favorise les tensions.
À l’instar du Champ d’Asile, les installations agricoles sont
également une base à partir desquelles les vétérans se mobilisent
pour de nouveaux combats. En 1817, le général Lallemand s’in-
téressait par exemple au mouvement républicain indépendan-
tiste mexicain. En 1970, Denard continue de suivre les évolu-
tions de la géopolitique africaine. En fait, il est probable qu’il ait
é­ga­lement conçu l’installation dans les fermes gabonaises comme
une base à partir de laquelle les mercenaires pourraient se main-
tenir en condition physique et participer à des opérations. Le
passage vers la GP de certains d’entre eux n’est sans doute pas
une difficulté majeure dans un premier temps (voir chapitre 6).
La proximité géographique, culturelle et politique entre les « fer-
miers » et les membres de la GP doit permettre de mobiliser rapi-
dement ces derniers sur un « coup ».
Denard lui-même semble d’ailleurs toucher un traitement au
titre de membre de la GP dès 1969. Il n’est pourtant pas encore
souvent au Gabon, largement occupé sur le Mi Cabo Verde par les
livraisons d’armes vers le Biafra1. Cette nouvelle situation marque
une inflexion dans l’articulation entre le chef qu’est Denard et ses
mercenaires. Dans ce début de décennie 1970, sous la contrainte
de l’espacement entre les contrats et de la moindre ampleur
(notamment en termes de temps) des missions, les liens sont plus
1. Photocopie d’une carte de membre de la Garde au nom de Gilbert Bourgeaud
avec le grade de lieutenant-colonel à la date du 24 mars 1969 fournie en annexe par
Pierre Péan, Affaires africaines, Paris, Fayard, 1983, 341 p.

167
Dans l’ombre de Bob Denard

distendus. Las d’attendre la reprise d’activités de combat, certains


s’éloignent d’ailleurs définitivement. Ainsi Armand Ianarelli suit
dans un premier temps Rolf Steiner (sous les ordres duquel il a
servi au Biafra) au Soudan. Il s’installe ensuite en Centrafrique.
Il travaille d’abord à la sécurité des brasseries Castel puis devient
dans une période plus récente un homme d’affaires proche du
président Bozizé.

Des ébauches de contrats

À partir de cette base gabonaise, la reprise de l’activité opé-


rationnelle reste un horizon prioritaire. Comme dans les années
1960, celle-ci se fait au profit de régimes favorables au bloc occi-
dental et souvent proches diplomatiquement de la France. Dès
1970, deux tentatives de déstabilisation de la Libye reposent
sur des mercenaires français du groupe Denard né au Congo.
Dépossédé du pouvoir par le coup d’État de Mouammar Kadhafi
le 1er septembre 1969, Idriss Ier cherche à reprendre sa place à
Tripoli. De nombreux prisonniers politiques sont retenus par
le nouveau régime. Parmi eux, Hassan Resa, héritier désigné
qui s’apprêtait à monter sur le trône au moment de la chute du
régime monarchique.
La première opération s’organise autour de Roger Bruni, un
des anciens cadres du 1er choc, et de Daniel Larapidie. Ce der-
nier figure parmi les officiers qui accompagnaient Denard lors
de l’opération « Lucifer » en 1967. Le Bosco est également l’un
des membres de cette équipe sollicitée par la Grande-Bretagne.
Ils envisagent une action par voie maritime : « Sur place, débar-
quement de nuit, deux jours de marche environ, on se planque
la nuit et on fait le coup le troisième jour à l’aube », écrit Michel
Loiseau1. Repérée par les gardes italiens à Brindisi pendant la
phase préparatrice, l’équipe rentre à Paris. Une seconde expédi-

1. Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit.

168
Nouvelle époque, nouvelles opérations pour les mercenaires

tion est prévue. De l’Italie, les « chiens de guerre » naviguent vers


Dubrovnik (ex-Yougoslavie, actuelle Croatie) pour prendre pos-
session de leur armement. La livraison ne correspond pas à leurs
attentes et, finalement, l’opération est annulée.
Après l’échec de cette tentative, une seconde est directement
commandée à Bob Denard par Hassan II. Le chef mercenaire
imagine une opération projetant 200 hommes depuis la Sicile.
Ils seraient embarqués sur un bateau de plaisance accompagné de
vedettes rapides. Pour la première fois, Denard passe du combat
tactique terrestre à la mise sur pied d’une opération commando
nécessitant un débarquement de ses hommes en territoire hos-
tile. Une équipe est envoyée en Libye pour effectuer des repé-
rages, des démarches sont lancées pour le recrutement d’hommes
et l’achat de matériel. Finalement, après avoir reçu Kadhafi à
Oujda, Hassan II arrête les préparatifs de l’opération1.
Il s’agit également de travailler pour l’abbé Fulbert Youlou
au Congo-Brazzaville en 1971. Fulbert Youlou a été Premier
ministre de la République du Congo en 1958. Lors des incidents
sanglants de Brazzaville en 1959 (plusieurs centaines de morts
dans les combats opposant les partisans, ou Lari, favorables au
pouvoir, et les M’Bochi de Jacques Opangault), les parachutistes
français viennent le soutenir. Il s’installe dans le fauteuil prési-
dentiel l’année suivante. Premier chef d’État du Congo indépen-
dant en 1960, il inscrit son pays dans le « pré carré » français et
mène une politique pro-occidentale et anticommuniste modé-
rée. Toutefois, il est renversé par un coup d’État en 1963, sans
que les réseaux Foccart n’aient eu le temps de lui porter secours.
Après plusieurs tentatives de putsch en sa faveur – le dernier a
lieu le 22 mars 1970 – Fulbert Youlou envisage de solliciter les
services de mercenaires français. Ils doivent mener une opération
à la tête de troupes youlistes réfugiées en Angola et dans l’en-
clave de Cabinda2. Devant les difficultés de financement du pro-
1. Archives privées Bob Denard, carton 74.
2. Notice relative à la création d’un commando militaire et à l’organisation de

169
Dans l’ombre de Bob Denard

jet, l’affaire prend du retard et est définitivement interrompue par


la mort de l’ancien président congolais le 5 mai 1972 à Madrid.
Un nouveau projet consiste à apporter une aide aux Kurdes
irakiens soulevés contre Bagdad depuis 1968. Après une phase
d’apaisement du conflit interne à partir de 1972, la lutte reprend
avec intensité en 1974 avec une proclamation d’autonomie du
Kurdistan. Infiltrés en pays kurde par l’Iran, Bob Denard et son
équipe passent plusieurs semaines au printemps dans les mon-
tagnes aux côtés des Peshmergas pour évaluer leurs besoins et
délivrer quelques conseils tactiques pour mieux résister aux offen-
sives de l’armée irakienne. Une rencontre a lieu entre le chef mer-
cenaire et Massoud Barzani. Le fils de Mustapha Barzani, chef du
Parti démocratique du Kurdistan, anime les combats. À ­plusieurs
reprises, au cours de l’été et de l’automne, Denard retourne
au Kurdistan mais les conditions d’engagement sont rendues
compli­quées par les relations diplomatiques entre l’Iran et l’Irak
et par un processus de négociations entre les Kurdes et Bagdad
conduites par l’Algérie. Finalement, au début de l’année 1975,
une grande offensive des forces irakiennes oblige les chefs auto-
nomistes kurdes à se réfugier à l’étranger : le contrat avec les mer-
cenaires ne peut pas voir le jour.
Une opération contre la Guinée de Sékou Touré voit, en
revanche, un début de concrétisation. En 1975, Bob Denard
entre en contact avec les chefs de l’opposition au régime socia-
liste de Conakry. Il s’agit non plus d’imaginer une action com-
mando des mercenaires mais de former et d’entraîner des cadres
militaires guinéens qui pourraient ensuite mettre eux-mêmes
en œuvre un coup de force. Durant le printemps, le soldat de
fortune français et quatre ou cinq de ses lieutenants (notam-
ment Roger Bruni) organisent un camp de préparation militaire
dans les Landes, à proximité de la région natale de Denard. Une
­douzaine de Guinéens suivent cette instruction très sommaire :
son commandement et de ses unités de 19 pages, archives privées Bob Denard,­
carton 29.

170
Nouvelle époque, nouvelles opérations pour les mercenaires

« [Ils] étaient les premiers mercenaires africains [on remarquera


la confusion dans la terminologie] et on préparait, sur le papier,
un plan opérationnel contre Sékou Touré. J’avais acheté tout à
fait légalement un échantillon d’armes démilitarisées mais qui
faisaient très bien l’affaire pour apprendre. À la fin du séjour, les
gars étaient prêts, on a conclu cette formation par une randon-
née dans les Cévennes avec des véhicules1. » Une nouvelle fois,
le contrat demeure très modeste. Les Guinéens n’apprennent
même pas le tir réel et le deuxième stade envisagé, la mise en
œuvre de la déstabilisation militaire de la Guinée, ne connaît
pas d’ébauche.

L’Afrique australe : nouvel espace d’opérations

Finalement, dans cette première moitié des années 1970, les


mercenaires français peinent à trouver de nouveaux contrats pour
l’engagement d’équipes en Afrique. Les contacts multipliés avec
de nouveaux interlocuteurs ne débouchent pas sur le dé­clen­
chement d’opérations. En même temps, la France a consolidé
son « pré carré » et sollicite moins les soldats irréguliers.

Première opération aux Comores

Les Comores sont sous protectorat français depuis le milieu


du xixe siècle. Toutefois, il faut attendre 1946 pour que l’archi-
pel devienne une entité administrative à part entière distincte
de Madagascar dans la République française. Désormais terri-
toire d’outre-mer (TOM), les Comores développent un sen­
timent indépendantiste croissant, notamment dans la dias-
pora (à Marseille par exemple), dans les années 1960. La quête
d’identité de la très forte majorité musulmane participe sans

1. Sur ces projets, voir Pierre Lunel, Bob Denard, le roi de fortune, op. cit., p. 425 et
suivantes.

171
Dans l’ombre de Bob Denard

doute à la montée des revendications. Dans la décennie suivante,


alors que la France a décolonisé ses territoires africains (sauf
Djibouti), l’archipel devient un sujet de préoccupation majeure
pour la France. Depuis 1972, Ahmed Abdallah est président du
Conseil de gouvernement et Premier ministre des Comores. Il
négocie l’indépendance avec Olivier Stirn, secrétaire d’État aux
DOM-TOM.
Cette aspiration est devenue très puissante dans l’archipel
lui-même. Le référendum de décembre 1974 donne une majo-
rité favorable à la rupture des liens avec la France sur trois des
quatre îles de l’archipel. Seule Mayotte souhaite demeurer dans
le giron hexagonal. Contrairement aux règles du droit internatio-
nal, Paris s’appuie sur ce score de 65 % de non à l’indépendance
de Mayotte pour proclamer que l’île reste sous souveraineté fran-
çaise. Devant cette position de blocage, Ahmed Abdallah pro-
clame unilatéralement l’indépendance des Comores le 6 juillet
1975 et en devient donc le premier chef d’État. Cependant, dès
le 3 août, un Conseil national révolutionnaire dirigé par un jeune
ingénieur agronome, Ali Soilih, le dépose.
Le président Abdallah se réfugie sur son île d’Anjouan. Le coup
d’État sur la Grande Comore est ensuite consolidé par l’interven-
tion d’une équipe de mercenaires français sous les ordres de Bob
Denard. Contacté par un entrepreneur français qui vit sur place,
Le Bret, une petite équipe s’installe à Moroni pour mettre au point
une opération qui chassera définitivement la menace Ahmed
Abdallah. 300 fusils-mitrailleurs sont acheminés pour préparer le
coup. Dans le même temps, Roland Raucoules, Thaddée Surma
et Roger Bracco commencent à instruire les troupes du nouveau
régime : « Des jeunes en loques avec ou sans chaussures, panta-
lon et chemise déchirée, quelques casquettes prises à la Garde
comorienne. D’uniforme, point ; on travaille en blue-jeans ; c’est
le folklore. Deux cent cinquante jeunes gars venus autant pour
la gamelle que par conviction […]. Leur apprendre à tenir un
fusil, à tirer, à lancer des grenades en quinze jours relève de la

172
Nouvelle époque, nouvelles opérations pour les mercenaires

gageure », se souvient Bob Denard1. À tel point que les merce-


naires décident de leur donner des armes sans munitions le jour
de l’action.
Le 21 septembre 1975, cinq équipes de militants comoriens
sont transportées et prennent le contrôle de l’île. À leur tête, sept
Européens et la douzaine de Guinéens qui avaient été formés au
cours des mois précédents dans les Landes2. Ils ont un double
objectif : s’emparer du préfet et surtout obliger Ahmed Abdallah à
quitter la République islamique indépendante. Composé de très
peu d’hommes, le commando envoyé aux Comores est le premier
à s’associer à un changement de régime réussi. Cette action mili-
taire assoit définitivement la réputation des Français et de leur
chef Bob Denard ; elle est, en fait, la concrétisation des schémas
tactiques de projection établis depuis la commande d’Hassan II
contre la Libye. Cette fois, l’opération est aéroportée. Trois appa-
reils (un Cessna, un DC3 et un DC4) font passer les mercenaires
et leur troupe de 200 Comoriens de la Grande Comore à Anjouan.
L’offensive doit permettre aux « chiens de guerre » de s’instal-
ler sur une nouvelle « base » après le Gabon. Quelques hommes
restent sur place. Toutefois, la détérioration des relations avec Ali
Soilih est très rapide et, dès juillet 1976, l’ensemble des Français
engagés quittent la République comorienne. Au même moment,
Mayotte vote à nouveau pour son maintien dans la République
française, tandis que le régime d’Ali Soilih se construit selon un
modèle socialiste et qu’Ahmed Abdallah essaie d’organiser une
opposition en exil. D’autres opportunités s’ouvrent cependant
aux mercenaires qui peuvent mettre à leur crédit la réussite du
changement de régime de 1975.

1. Pierre Lunel, Bob Denard, le roi de fortune, op. cit., p. 437.


2. Outre Bob Denard, les Européens sont Thaddée Surma, Henry Alain, Roger
Bruni, René Dulac, Helmut Gruber et Roland Raucoules. Selon différents témoi-
gnages, il a auparavant servi en Indochine et en Algérie et a appartenu au SDECE.

173
Dans l’ombre de Bob Denard

L’Angola : l’impuissance face aux moyens ennemis

La colonie portugaise obtient son indépendance en novembre


1975. En réalité, la décision a été prise lors des accords d’Alvor
en janvier. Le départ des Portugais donne lieu à une lutte de fac-
tions pour contrôler le nouvel État. D’inspiration marxiste, le
Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA) s’impose
dans la capitale, Luanda, et dans les principales villes du pays mais
doit faire face à un mouvement concurrent au nord, le Front natio-
nal de libération de l’Angola (FNLA), adossé au Zaïre. Un troisième
parti, l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola­
(UNITA) de Jonas Savimbi représente l’ethnie Ovimbundu et
défend des positions pro-occidentales. En effet, les trois groupes
avaient combattu l’autorité coloniale sans réussir à tomber d’accord
au moment de l’indépendance. En raison de sa domination terri-
toriale, le MPLA est reconnu par Lisbonne comme le seul interlo-
cuteur. Devant cette menace communiste à ses portes, l’Afrique du
Sud engage l’opération « Zulu » le 22 octobre. Les troupes sud-afri-
caines marchent jusqu’aux portes de Luanda mais se heurtent à la
réprobation de la communauté internationale.
En riposte, le bloc de l’Est organise un pont aérien. L’opération
« Carlotta » achemine en Angola un fort contingent cubain des-
tiné à combattre aux côtés du MPLA face aux Sud-Africains.
L’ancienne colonie portugaise qui avait joué un rôle si décisif de
base arrière pour la lutte anticommuniste dans la période précé-
dente devient à son tour un enjeu majeur dans la guerre froide
sur le continent africain. En janvier 1976, les forces sud-afri-
caines commencent à se retirer d’Angola. Tandis que le MPLA et
les Cubains lancent une grande offensive, le bloc occidental doit
trouver de nouveaux outils pour soutenir l’UNITA. Vingt-cinq
mercenaires français sont déployés à proximité de Luanda que le
parti de Jonas Savimbi souhaite reprendre au MPLA1.
1. Les noms de la plupart des hommes engagés sont connus. Pour 20 d’entre eux,
un état comptable fait mention des salaires versés pour janvier 1976 : André Cau,

174
Nouvelle époque, nouvelles opérations pour les mercenaires

Une seconde équipe de 10 hommes est ensuite envoyée au


Cabinda1. La petite enclave entre les deux Congo est une zone
cruciale pour les différents acteurs du conflit angolais car ses res-
sources pétrolières sont immenses. Mettre la main dessus signifie-
rait s’assurer un financement solide dans la guerre civile. Contre
l’appétit du MPLA et du FNLA, un petit parti indépendantiste,
le FLEC, se crée au Cabinda. Il compte également sur l’appui
de soldats libres français pour atteindre son objectif. Les deux
groupes sont censés entrer en contact et mener conjointement
leurs actions.
Les mercenaires français arrivent en Angola, alors que l’opéra-
tion « Carlotta » entraîne le repli des forces de Savimbi. Le groupe
d’Angola est envoyé à Benguela. L’UNITA cherche à stabiliser un
front dans le secteur côtier entre Lobito et Benguela et les merce-
naires doivent participer à cette fixation de la ligne des combats :
« Nous sommes là pour former les mecs de l’UNITA et assu-
rer quelques missions spécifiques, entre autres des démolitions
[minage], les gars du coin n’étant pas très forts pour manipuler
l’explosif2. » Leur objectif est également de consolider les finances
du parti. La méthode demeure la prise de contrôle de zones aux
ressources minières significatives. Ainsi, rendant compte de sa
rencontre avec Savimbi, le chef du dispositif, André Cau écrit
à Denard qu’il compte « pousser le chemin de fer de Benguela
au-delà de Lumeje (où il s’arrête actuellement) jusqu’en Zambie
et au Zaïre pour l’écoulement de la production dans ces pays.
Guy Toumi, Philippe De Doyard, Gérard Lejon L. Fiorini (non identifié) ; Jacques
Buteri, Hugues De Chivre ; D. Denny, J.-P. Rouquette, J.-P. Maur, A. Dubert (non
identifiés) ; Gruber Helmut, Stéphane Frachet, Henry Alain, Michel Loiseau ; Yvon
Jouguet, Noël René, René Fanget, Michel Dietz (non identifiés) et Vigouroux de
Kermovan Philip, archives privées Bob Denard, carton 29. D’autres sont connus
par d’autres sources : Freddy Thielemans et Jacques Lafaille (notamment par Michel
Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit.).
1. Il s’agit de René Dulac, Guy Cardinal, René Renzi, Serge Bréaud, Paul Bessy
et Raymond Thomann pour les hommes identifiés. Les autres se nomment Fisher,
Legrand, Clouet et Decoster (pièce comptable pour mars-avril 1976, archives privées
Bob Denard, carton 29).
2. Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit.

175
Dans l’ombre de Bob Denard

Également la région d’Henrique de Carvalho, riche en diamants,


et la région de Muxima qui recèlerait du naphte, actuellement
aux mains du MPLA, demeurent un objectif à moyen terme afin
de faire de bonnes finances à l’UNITA1 ».
Toutefois, les troupes de Jonas Savimbi encadrées par les
Français à Benguela ne résistent pas à l’avancée du MPLA. Les
« chiens de guerre » n’ont également jamais pu coordonner leur
action avec celles des hommes déployés au Cabinda. La seconde
équipe connaît les mêmes difficultés à tenir tête à ses ennemis.
En réalité, la guerre civile angolaise présente les mêmes caracté-
ristiques que le Biafra quelques années plus tôt. Les très maigres
effectifs mercenaires ne parviennent pas à infléchir le cours des
événements militaires en raison des masses de troupes dans
chaque camp, sans rapport avec les leurs, et du matériel utilisé par
le camp adverse. Le MPLA peut compter sur de grosses livraisons
en provenance d’URSS ou de Cuba. Il bénéficie de la supério-
rité aérienne (avions MiG) et de moyens considérables en artille-
rie. Au Cabinda, « l’échec est dû principalement, je dirais même
essentiellement, à la nullité des troupes du FLEC. On a essayé
évidemment de me faire porter le chapeau mais la manœuvre a
échoué », se justifie Dulac auprès de Denard dans un courrier du
28 février. Dès le 25, le chef a prévenu Cau de l’arrivée de Dulac
et de ses hommes : « Je comptais venir sur le terrain mais il me faut
franchir un mur invisible du fait de mon passé. Le lieutenant-
colonel Vincent [nom de code de Dulac] aurait dû te rejoindre,
je ne sais s’il a pu y arriver ; en ce qui concerne le groupe dont il
avait la charge, ces gus ont fini leur contrat fin février2. »
Pendant ce temps, leurs camarades opèrent leur repli dans des
conditions très difficiles. René Dulac prend position à la fron-
tière entre l’Afrique du Sud et l’Angola pour récupérer le plus

1. Compte rendu de la Mission d’aide technique auprès des forces armées pour la libération
de l’Angola-Unita daté du 23 janvier 1976 à Arc-en-ciel par le commandant Carnot
[André Cau], archives privées Bob Denard, carton 78.
2. Archives privées Bob Denard, carton 78.

176
Nouvelle époque, nouvelles opérations pour les mercenaires

vite possible une quinzaine d’hommes qui, devant la poussée du


MPLA, ont quitté Cuito Cuanavale en direction de Mavinga et
de la frontière. Ils se heurtent à une série d’obstacles qui freinent
leur progression, et Dulac craint que l’équipe soit capturée ou
tuée. Désorientée, celle-ci a atteint le bout de la piste et continue
à pied durant plus de 200 kilomètres avec pour objectif la fron-
tière namibienne. Parvenus jusqu’à proximité de Gago Coutinho,
ils sont finalement récupérés par avion par Dulac, une fois un
contact radio établi.

Pérenniser le vivier : les sociétés de sécurité privées et les GP

Finalement, les missions qui s’offrent aux mercenaires fran-


çais restent extrêmement difficiles à monter (Libye, Kurdistan)
ou sont relativement de courte durée (Angola). Le schéma est très
différent de celui des années 1960 et notamment du long enga-
gement en RDC. C’est pourquoi le Gabon constitue un abri pré-
cieux ; l’émargement au sein de la GP d’Omar Bongo assure un
revenu régulier à une partie des équipes. Il faut à la fois ne pas
avoir de trop grosses dépenses dans le maintien des hommes hors
d’un théâtre de combat et, en même temps, maintenir un vivier
de personnel rapidement mobilisable pour monter une opération
majeure (au-delà de 30 mercenaires).
La mise sur pied d’une société de sécurité privée semble la
meilleure solution à cette problématique. Peut-être Bob Denard
s’est-il inspiré du modèle anglo-saxon ; aucun élément ne per-
met de le savoir. En tout cas, de petites sociétés militaires privées
s’y épanouissent alors, principalement comme prestataires de ser-
vices logistiques. Dès les lendemains de la Seconde Guerre mon-
diale, les États-Unis ont recours à de petites entreprises comme
Air America pour assurer le ravitaillement des nationalistes
chinois, puis ce sera en aide à des combattants dans certaines
zones dans la guerre du Vietnam. Toutefois, les offres peuvent
également concerner l’entraînement ou même directement le

177
Dans l’ombre de Bob Denard

combat. À partir de 1966, créé par l’ancien fondateur des SAS,


le Britannique David Stirling, Watchguard International Limited
propose également des formations aux forces spéciales de nom-
breux États anticommunistes au Proche-Orient, en Amérique
latine ou en Asie du Sud-Est. En 1971, il est le commanditaire du
projet contre Kadhafi confié aux Français autour de Roger Bruni.
On peut, au moins, affirmer que Bob Denard a connaissance de
ces pratiques anglo-saxonnes.
En 1977, il fonde la Société gabonaise de sécurité qui devient
ensuite Société gabonaise de services (SGS). Parmi ses action-
naires, on compte Julien M’Pouho-Epigat, ministre des Finances
gabonais et oncle de Bongo, et Georges Rawiri, ministre des
Affaires étrangères. Les associés du mercenaire dans cette affaire
sont Maurice Delauney (par le biais de son épouse) ; Maurice
Robert (par le même stratagème) ; Pierre Debizet, le patron du
SAC ; et des proches de Denard, comme sa compagne zaïroise,
Marie-Élise Sada ou Jean-Louis Domange. Ainsi la SGS est-elle
un socle qui lie par des intérêts communs les réseaux Foccart,
le régime gabonais et Denard. Ce dernier souhaite monter un
« groupe étranger d’intervention » (GEI) qui constituerait une
unité mobile prête à intervenir à tout moment pour voler au
secours des pays amis menacés de déstabilisation. La SGS est
donc conçue comme la vitrine et l’outil de maintien en condition
quotidien du groupe mercenaire français en Afrique.
D’ailleurs, quand Bob Denard n’aura plus besoin de cette
vitrine, de cette boîte aux lettres et de cette base gabonaise, il
quittera la société en question et elle changera de nom pour être
agréable à Maurice Robert : « Fin 1978 [alors que Denard est ins-
tallé aux Comores], nous avons changé le nom de la société pour
la remplacer par Horus […]. En 1979, lorsque j’ai appris que j’al-
lais être ambassadeur de France au Gabon, j’ai demandé à Philippe
Denard de céder ses parts au capital […]. L’association des noms
de Robert et Denard risquait de provoquer un flot de commen-
taires malveillants visant à m’atteindre mais qui auraient surtout

178
Nouvelle époque, nouvelles opérations pour les mercenaires

atteint, à travers ma personne, la fonction que je m’apprêtais à


occuper et dont il fallait préserver l’image […]. Je me suis donc
ouvert de mes inquiétudes à Bob Denard et à [son fils] Philippe qui
les ont bien comprises1. » Malgré les multiples investissements du
personnage, cet épisode confirme plutôt l’hypothèse selon laquelle
la SGS ne traduit pas une volonté de Denard de se muer en entre-
preneur mais bien de s’assurer un vivier pour ses opérations. Elle
est davantage une réponse pragmatique aux problèmes de gestion
de ressources humaines du chef mercenaire qu’un attrait pour la
structuration commerciale officielle à l’anglo-saxonne.
Jusqu’à la fondation de la SGS et sans doute avec une position
plus gratifiante, l’un des débouchés possibles pour les hommes
disponibles consiste à intégrer des GP sur le continent, notam-
ment dans le « pré carré » français. Cela s’inscrit en complément­
d’une nouvelle niche, l’expertise dans la mise en place et le
fonctionnement de ces troupes d’élite auprès des chefs d’État.
Émargeant lui-même à la GP sans y servir à proprement par-
ler, Denard est sollicité pour réaliser un audit sur l’outil princi-
pal du régime gabonais. Le mercenaire doit donner ses conseils
pour une réforme de la GP envisagée par Omar Bongo. Il réalise
une note de cinq pages et conclut : « Redonner à la GP souplesse
et efficacité est une chose, protéger le moral et l’état d’esprit en
est une autre à conduire parallèlement. L’inspecteur général dans
ce domaine doit être la conscience du chef de l’État ; il doit évi-
ter le noyautage et la subversion, raison pour laquelle dans son
état-major doit être prévue une cellule de sécurité militaire. Les
ambassades de l’Est en particulier sont très actives ; certains offi-
ciers gabonais de la GP seraient en contact avec les Roumains.
Sans exagérer le danger de telles rencontres, il convient de les
surveiller et de les contrôler. La GP doit être à l’abri de toute
influence extérieure ; elle doit être du cristal au service exclusif du
chef de l’État2. »
1. Maurice Robert, Maurice Robert, ministre de l’Afrique, op. cit., p. 248.
2. Note dactylographiée et non datée, archives privées Bob Denard, carton 78.

179
Dans l’ombre de Bob Denard

Les contrats peuvent ensuite être obtenus par relations inter-


personnelles. Par l’entremise d’Omar Bongo, Bob Denard établit
notamment un rapport sur la protection du président mauritanien
Moktar Ould Dada. Omar Bongo l’a chaudement recommandé à
son homologue de Nouakchott. Pendant quelques jours, en avril
1976, le mercenaire français suit donc le chef d’État mauritanien
dans ses déplacements et met en lumière les faiblesses de son ser-
vice de sécurité, notamment l’absence d’une équipe d’agents de
sécurité rapprochée. Pour les cadres mercenaires, le conseil devient
ainsi dans les années 1970 une autre voie de sortie éventuelle de
l’action combattante. Du terrain, Bob Denard glisse vers la qualité
d’expert dans un domaine dans lequel il n’a pourtant pas d’expé-
rience directe. Sa crédibilité repose sur un passé militaire opéra-
tionnel mais sans doute surtout sur la confiance que lui manifeste
Omar Bongo. Pourtant, cette évolution vers des missions d’exper-
tise ne peut constituer à elle seule la rémunération régulière d’un
« chien de guerre ». Elle s’appuie sur des contrats ponctuels avec
une poignée potentielle de clients, les présidents francophones
d’Afrique proches de la France ou d’Omar Bongo.

Spécialistes des opérations commandos ?

La première moitié des années 1970 est caractérisée par l’ab-


sence de théâtre de conflit sur lequel un engagement durable est
possible. L’Angola n’est pas entré non plus dans ce cas de figure.
Après l’opportunité libyenne, les Comores et le Bénin montrent
que les contrats les plus vraisemblables doivent s’envisager autour
d’actions commandos.

Le Bénin, échec ou modèle opératoire ?


La première opération de ce type a été réalisée aux Comores
en 1975. La chute d’Ahmed Abdallah en 1975 grâce à l’interven-
tion des mercenaires organisés autour de Bob Denard a assuré

180
Nouvelle époque, nouvelles opérations pour les mercenaires

leur crédibilité. Sur une action de courte durée (qui ne place pas
les combattants en infériorité matérielle face à une aviation de
chasse par exemple), les soldats de fortune français peuvent pré-
tendre à de nouveaux contrats pour lesquels il s’agit de faire tom-
ber un régime africain. Sur le modèle d’une opération aéroportée,
un groupe mercenaire doit renverser Mathieu Kérékou, président
de la République populaire du Bénin.
Au total, 58 Européens et 22 Africains participent à l’opération
« Crevette » le 16 janvier 1977. Elle est une projection relative-
ment significative ; l’équipe constituée est la première à avoir cette
importance numérique depuis la RDC. Soigneusement préparé,
le plan d’ensemble consiste à prendre le contrôle de Cotonou, la
capitale, afin de neutraliser les dirigeants et de s’emparer des leviers
de commande traditionnels (ministères, médias, casernes…) puis
de favoriser la mise en place d’un nouveau gouvernement. Les
mercenaires travaillent au service d’un groupe d’opposants dirigés
par Gratien Pognon (Front de libération et de réhabilitation du
Dahomey ou FLERD) et cherchent peut-être à rétablir à la tête
du pays Derlin Zinsou, l’ancien président du Dahomey de 1968 à
1969. La plupart des témoignages affirment d’ailleurs qu’il est pré-
sent dans l’avion qui transporte la troupe de soldats privés.
Leur plan a été mûrement réfléchi. Il repose sur l’effet de sur-
prise et la rapidité d’exécution. Dans un premier temps, la totalité
de la force Omega doit débarquer sur l’aéroport international de
Cotonou et en contrôler les installations. Le plus rapidement pos-
sible, elle doit ensuite progresser vers l’est pour attaquer et occu-
per les objectifs déterminés en se couvrant du côté nord-ouest de
la capitale (axe routier et ferré Ouidah-Calavi-Cotonou). Dans
un troisième temps, il s’agit de sécuriser toute la partie ouest de
la capitale, où se trouvent les principaux bâtiments officiels, avec
pour limite la lagune à l’est, tout en maintenant la couverture vers
l’ouest. Dans un quatrième temps, les mercenaires ont prévu de
prendre une série de mesures complémentaires afin de rechercher,
si possible, le contrôle de l’ensemble du territoire national.

181
Dans l’ombre de Bob Denard

Après la réalisation du premier objectif, les mercenaires pro-


gressent donc dans la capitale. L’un des groupes chargés de mar-
cher sur le palais présidentiel « fut surpris par une résistance armée
inattendue d’éléments nord-coréens qui, au moyen de trois nids
de mitrailleuses devant la présidence obligea le groupe à rebrous-
ser chemin, poursuivi par des blindés semi-légers1 ». Un second
groupe entend « des claquements d’armes automatiques prove-
nant de la position de l’autre élément d’assaut […]. L’accrochage
semble particulièrement sérieux. Nous arrêtons notre progression
afin de ne pas nous dissocier et surtout de ne pas nous tirer des-
sus. L’échange de coups de feu se poursuit un moment et j’en-
tends le bruit sourd des obus de mortier qui cognent. L’ennemi
semble bouger et l’intensité du feu va plutôt en s’amplifiant.
Nous craignons de nous faire encercler. C’est avec soulagement
que je reçois l’ordre de repli2 ». L’effet de surprise est manqué ; la
faiblesse des effectifs et l’armement léger ne permettent plus d’en-
visager de s’emparer sans coup férir du palais présidentiel. C’est
pourquoi Bob Denard fait retraiter son équipe vers l’aéroport ; la
manœuvre s’effectue dans le calme et sans difficulté.
À l’aéroport, Denard envisage de rester sur place et d’aviser
sur la suite à donner. Certains de ses cadres plaident pour une
fuite à bord de véhicules en direction du Togo. Finalement, le
pilote de l’avion ayant déclaré qu’il pouvait décoller, les combat-
tants remontent dans l’avion. Un mercenaire manque à l’appel ;
deux d’entre eux ont été blessés. Michel Loiseau qui couvre les
préparatifs de vol est l’un des derniers à embarquer comme en
témoigne Max Vigoureux de Kermorvan : « Bosco était au milieu
de la piste de l’aéroport avec un petit Noir et il envoyait sans arrêt
1. Témoignage d’un mercenaire, PV du parquet de la cour d’appel de Paris, chambre
d’accusation n° 2624/86, archives privées Bob Denard, carton 78.
2. Témoignage dactylographié intitulé Opération Bénin : un mercenaire parle, rédigé
à Paris le 11 avril 1977 par Alain Chevalerias (pseudonyme à utiliser : Alain Marc),
archives privées Bob Denard, carton 29. Le journaliste Alain Chevalerias nie être
l’auteur de ce témoignage et avoir même participé au coup d’État de 1977.

182
Nouvelle époque, nouvelles opérations pour les mercenaires

des roquettes. Je dois dire que j’ai été très impressionné par son
action ce jour-là1. »
Un Africain est également laissé sur place. Membre de l’équipe
chargée de sécuriser l’aéroport, il est oublié sur le toit de la tour
de contrôle : « Je me suis retourné, je n’ai vu personne, je me suis
déplacé pour jeter un coup d’œil sur la piste. Je ne vois personne.
Je lève les yeux ; je vois l’appareil qui décolle. Je descends tran-
quillement et je dois me camoufler dans un buisson. J’avais mon
fusil, 60 cartouches et 3 grenades. Dans l’après-midi, les soldats
qui ratissaient le terrain m’ont vu, j’ai détaché mon ceinturon et
levé les bras en l’air et je me suis rendu sans résistance. On me fit
prisonnier. C’est tout ce que je sais de cette ignoble agression. »
Il constitue ensuite un témoin à charge utilisé, voire instrumen-
talisé, par le Bénin. En tout cas, c’est ce que laisse entendre la
formule finale de son témoignage enregistré auprès de l’OUA :
« Je prie l’OUA d’user de son influence pour adoucir la peine
qui me sera infligée car j’ai participé à cette agression par trahi-
son, contrainte et la peur ; je n’ai jamais eu des intentions bel-
liqueuses contre le Bénin. Je demande pardon au peuple béni-
nois et à ses dirigeants. Vive le Président de la République popu-
laire du Bénin, vive l’OUA, prêts pour la Révolution et la lutte
continue2. »
L’opération « Crevette » est donc un échec. Le repli précipité
vers l’avion et les incertitudes sur la capacité de repartir par la
voie aérienne entraînent surtout l’oubli d’une cantine contenant
de nombreux documents liés à l’opération. Ils seront à la base des
poursuites engagées contre les mercenaires français. Cette perte
participe de l’image d’amateurisme accolée à cette action manquée
sur Cotonou. Avec elle s’esquisse un nouveau regard sur les mer-

1. «Témoignage de Max » Vigoureux de Kermorvan lors de notre entretien le


20 octobre 2012. Lenormand confirme son travail à l’aéroport (entretien le 2 avril
2013).
2. Témoignage de Bâ Alpha Oumarou, document OUA-CM/805 (XXVIII),
archives privées Bob Denard, carton 29.

183
Dans l’ombre de Bob Denard

cenaires français. Loin des images positives sur leur valeur mili-
taire ou sur la générosité de leur combat en RDC ou au Biafra,
naît l’idée du « mercenariat Beaujolais » évoqué en introduction.
En 2007, dans un entretien accordé au journal Le Monde, Xavier
Renou parle de « pieds nickelés », d’acteurs « d’opérations de merce-
naires mal ficelées ». Il est vrai qu’au début du xxie siècle, opposer le
mercenariat « artisanal » des Français des années 1960 à 1980 à un
« mercenariat entrepreneurial » est tentant (quoique simplificateur).

La Rhodésie, l’école de la guerre du bush


L’affaire de Cotonou affaiblit probablement la position de
Bob Denard. Tandis que le « chien de guerre » a grand besoin
d’une nouvelle opération pour « rebondir » et se refaire une cré-
dibilité, des opportunités s’offrent à nouveau. Parmi les affron-
tements entre pouvoir blanc et guérilla noire et procommuniste,
la Rhodésie du Sud est une pièce très importante de l’échiquier
africain. Incarnées par Ian Smith, les élites blanches ont proclamé
l’indépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne dès 1965. À par-
tir de 1970, elles mettent en place une république qui repose sur
des lois de ségrégation raciale. Le régime est largement dépen-
dant de l’Afrique du Sud voisine. La communauté internatio-
nale fait pression sur les autorités rhodésiennes pour obtenir un
partage, voire un transfert, du pouvoir vers la population noire,
largement majoritaire dans le pays. Le gouvernement blanc pré-
fère le rapport de force et a alors recours à des unités spécialisées
dans la lutte contre-insurrectionnelle, comme les Grey’s Scouts.
Cette troupe va notamment accueillir dans ses rangs des mer-
cenaires originaires de Grande-Bretagne, d’Australie, des États-
Unis et quelques Français. Les engagements de soldats de fortune
venus de l’Hexagone sont individuels. Parmi eux, Patrick Ollivier
est un ancien parachutiste du 6e RPIMA.
Pourchassée par les Grey’s Scouts, la guérilla multiplie les actes
de violence extrême, comme le massacre d’Umtali le 24 juin

184
Nouvelle époque, nouvelles opérations pour les mercenaires

1978 où 12 civils anglais d’une mission religieuse sont assassinés


à coups de hache. Parmi les victimes, figurent 5 femmes (pré-
cédemment violées), trois enfants de 4, 5 et 6 ans et un bébé.
L’efficacité, aux dépens de l’éthique, est donc la priorité donnée
aux Grey’s Scouts. Placé à la tête de l’unité, le major Williams est
un mercenaire américain. Les 150 à 200 hommes qu’il encadre
mènent des opérations commandos en territoire ennemi. Patrick
Ollivier se souvient des informations qu’un reporter venu des
États-Unis réussit à soutirer au major Williams. Son papier va
révéler les pratiques de l’unité de choc rhodésienne avec « cer-
tains clichés accusant l’armée, en l’occurrence les Grey’s Scouts,
d’infliger des traitements inhumains aux maquisards capturés.
C’est ainsi qu’on pouvait voir, sur une des photographies, un
Noir déguenillé traîné au bout d’une corde qu’on lui avait pas-
sée autour du cou. Le malheureux avait parcouru de la sorte
plusieurs kilomètres à travers la brousse. Cette photographie
[…] servit à redonner vigueur aux accusations portées par les
rebelles […] qui faisaient état de tortures, particulièrement du
water treatment, une version renouvelée du fameux “supplice de
la baignoire” mis au point, jadis, par la sinistre Gestapo ». Patrick
Ollivier ne nie pas l’existence de ces pratiques au sein des Grey’s
Scouts, tout en s’efforçant de les marginaliser : « Ces pratiques
détestables n’étaient le fait que d’hommes isolés1. » En tout cas,
après la médiatisation de cette affaire, le major Williams est jugé
responsable de ces pratiques.
D’autres Français connaissent une expérience assez semblable.
Ainsi, Hugues de Tressac sert dans les SAS rhodésiens durant huit
mois avant de rejoindre les réseaux de Bob Denard. Fort de cette
expérience de bush war, beaucoup d’anciens des Grey’s Scouts se
replient vers l’Afrique du Sud voisine lorsque la Rhodésie devient
Zimbabwe en 1980, et que le chef de la guérilla noire, Robert
Mugabe, prend la tête du pays. À côté des engagements dans les

1. Patrick Ollivier, Commandos de brousse, op. cit., p. 166-167.

185
Dans l’ombre de Bob Denard

SAS, les Grey’s Scouts ou la Rhodesian Light Infantery, le gou-


vernement rhodésien fait appel à une troupe de culture française,
organisée et dirigée par des Français en 1977 ; elle prend le nom
de 7th Independent Company. Est-ce en raison de l’échec reten-
tissant de Cotonou ? Est-ce un héritage de la période où Denard
est soigné à Salisbury et que sa « compagne » zaïroise (noire) force
les portes de l’hôpital pour être à ses côtés au mépris des règle-
ments d’apartheid ? En tout cas, celui qui est devenu dans le
marigot africain le chef des mercenaires français, Bob Denard, ne
semble pas avoir été approché. Dans ce milieu assez fermé, cela
signifie donc trouver d’autres interlocuteurs. Or, le déroulement
de l’action de la 7th Independent Company révèle à quel point la
société des soldats de fortune français est hiérarchisée et contrôlée
par Bob Denard, laissant peu d’alternative crédible.
Les contacts passent par une première rencontre à Zurich
le 29 septembre 1977 entre John Brant, secrétaire d’État rho-
désien, 3e personnage militaire de son pays, le major-général
McLean et deux anciens légionnaires, Mario Laviola et Roland
de L’Assomption. Tous deux ont un solide passé militaire qui doit
leur conférer une légitimité suffisante aux yeux des Rhodésiens.
Laviola a été décoré de la croix de fer lors de la campagne de
Libye sous les ordres de Rommel. Cet Italien est ensuite entré
dans la LE à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Il sert au
1er REP en Indochine puis en Algérie. Il jouit également d’une
expérience comme mercenaire au Yémen et au Biafra. Engagé
dans les FFL en 1943, le second fait la campagne d’Italie, reçoit
la croix de guerre et la Légion d’honneur. Passé par les GCMA et
le 11e choc, il fait ensuite ses armes de « chien de guerre » au Biafra
avant d’intégrer la GP gabonaise. Après avoir pensé recruter des
Allemands (mais le gouvernement de Bonn avait vite enrayé cette
velléité), les Rhodésiens s’adressent aux Français. Mario Laviola
s’avère leur interlocuteur en raison de l’entregent d’un de ses
anciens camarades allemands de la Légion en Indochine, ex-capi-
taine des brigades noires mussoliniennes.

186
Nouvelle époque, nouvelles opérations pour les mercenaires

Les deux anciens légionnaires doivent monter une troupe de


250 hommes. Bien entendu, ils n’ont pas d’expérience de chefs
de groupe mercenaire. Non gradés dans l’armée française, les
deux hommes n’en sont pas moins des soldats éprouvés et cou-
rageux. Ni l’un ni l’autre ne peuvent cependant briller par leur
culture générale ou géopolitique. Ces carences expliquent leur
naïveté dans l’opération. D’intelligence médiocre, Laviola n’est
jamais monté en grade parmi les soldats de fortune. Véritable
lion au combat, excellent entraîneur d’hommes, Roland de
L’Assomption devient adjudant aux côtés de Faulques au Biafra,
puis devient officier de la GP au Gabon. Il recrute en région lyon-
naise où il vit, tandis que Laviola part « pour Paris où il compte
passer un accord avec Denard pour débaucher quelques-uns de
ses hommes. Denard donne son aval mais il semble qu’il four-
nisse surtout les hommes qu’il considère comme les moins fiables
et dont il n’arriverait pas à se débarrasser1 ».
Finalement, une cinquantaine de mercenaires sont réu-
nis. La hiérarchie au sein de la compagnie ne rend pas compte
des compé­tences des uns et des autres, comme en témoigne,
lors de notre entretien, l’un des arrivants de la dernière vague,
Lenormand : « C’était une drôle de troupe, des demi-soldes, des
bras cassés, trop vieux […]. C’étaient les cadres intermédiaires
qui ne valaient rien. Les premiers arrivés avaient occupé les postes
de cadres. En haut, Rol’ de L’As’, c’était un gars bien mais pas à
la hauteur pour ces bras cassés. » Un autre témoin est encore plus
sévère : « Ils n’étaient pas plus officiers que moi. Si bien qu’on
avait pour officiers des types qui ne savaient même pas parfois lire
une carte et que de véritables officiers ou sous-officiers servaient
dans l’unité comme hommes de troupe. Vous voyez déjà quel
pouvait être le climat. L’encadrement était fourni par des anciens
du mercenariat. »

1. « Mercenaires et volontaires », Le Crapouillot, op. cit., p. 28.

187
Dans l’ombre de Bob Denard

Au lieu d’un bataillon, ils forment donc la 7th Independent


Company qui combat à la frontière du Mozambique où elle laisse
des blessés dans une série d’accrochages entre octobre 1977 et mai
1978. Les hommes sont répartis en petites équipes de 4 hommes
(ou sticks). Armés de fusils et d’une mitrailleuse, ils nomadisent
pendant une période allant jusqu’à deux semaines. Les sticks
peuvent se placer en observation le jour, monter une embuscade
face à un petit groupe isolé ou généralement patrouillent dans le
secteur qui leur a été affecté. En cas de repérage de combattants
ennemis, ils alertent leur état-major par radio. Le chef du secteur
prévient le commandement régional qui active alors une force
d’intervention (Fire Force). Les opérations plus conséquentes
visent des villages identifiés comme abritant des rebelles : « Sur
renseignement de la Special Branch – les services de renseigne-
ments de l’armée – on cernait un village en formation de combat,
on parquait les femmes et les enfants d’un côté, les hommes de
l’autre. On fouillait toutes les cases. Souvent on trouvait des tracts
de l’armée de libération… Parfois aussi de l’argent mozambicain
en petites coupures. Ceux chez qui on trouvait quelque chose
étaient considérés comme terroristes potentiels ou complices et
arrêtés1. » D’abord mêlés dans des sticks avec des Rhodésiens, les
Français se signalent par des difficultés de maîtrise de l’anglais
mais aussi par des problèmes de discipline.
Des sticks purement français sont alors envoyés sur le terrain,
sans réellement montrer un surcroît d’efficacité. Le 17 janvier
1978, des mercenaires qui viennent de toucher leur solde s’op-
posent à l’état-major rhodésien au point que celui-ci hésite à
poursuivre l’expérience. De février à avril, les Français participent
tout de même à une deuxième campagne dans le bush. La 7th
Independent Company connaît alors une vague de désertions ; la
troupe française se désagrège. Tandis que certains s’attendent à une
reprise en main musclée par les Rhodésiens, plusieurs mercenaires
1. Extraits d’un témoignage anonyme publié sous le titre « La confession d’un chien
de guerre », Le Nouvel Observateur, lundi 3 juillet 1978.

188
Nouvelle époque, nouvelles opérations pour les mercenaires

contestent à nouveau leur commandement autochtone ; ils sont


arrêtés et envoyés en prison. Finalement, les autorités à Salisbury
décident de licencier la compagnie. L’annonce est faite le 13 mai
et, dans la foulée, les 40 soldats de fortune encore présents sont
reconduits à l’avion par la Military Police. Après l’échec du Bénin,
l’image donnée des « chiens de guerre » hexagonaux en Rhodésie
conforte à nouveau l’image du « mercenariat Beaujolais ».

Retour aux Comores : le coup d’État du 13 mai 1978

Parallèlement à l’affaire rhodésienne, les mercenaires français


préparent une grosse opération. La priorité qui lui est donnée
explique sans doute que Denard ne s’implique pas davantage dans
le recrutement de la 7th Independent Company, voire qu’il y place
les hommes dont il ne souhaite pas utiliser les services. La nou-
velle intervention aux Comores résulte en partie de la dégradation
de la situation des mercenaires auprès d’Ali Soilih et de la recon-
naissance de Mayotte comme collectivité territoriale par la France.
Dans un mémoire destiné à son chef, Jean-Dominique Gilsou,
représentant de Bob Denard aux Comores, écrit à propos d’Ali
Soilih : « J’avais pris la décision quant à moi de tout faire pour le
faire disparaître de la scène politique, vu son attitude de violence
contre la population ; j’ai repris contact avec toi, comme prévu
avant mon départ et nous avons décidé de passer à l’action1. »
En février 1977, une réunion s’effectue autour de Denard
et de ses principaux lieutenants (René Dulac notamment) avec
des personnalités comoriennes : Kalfane, Abdallah et Mohamed
Ahmed2. Denard accepte de monter une opération aéroportée

1. Ce représentant de Denard est mal identifié. Présenté comme un certain Saint-


Hubert dans l’ouvrage de Pierre Lunel, la version manuscrite abrégée de son mémoire
est signée « F. Serres ». Nous citons ici la version dactylographiée et non signée, daté
du 24/03/79 intitulée Mémoire sur les événements qui ont amené au 13 mai 78 aux
Comores (destiné à Bob), archives privées Bob Denard, carton 58.
2. L’ensemble du récit des événements reprend ici le Mémoire sur les événements qui
ont amené au 13 mai 78 aux Comores (destiné à Bob), archives privées Bob Denard,

189
Dans l’ombre de Bob Denard

du type de celle de Cotonou vers Anjouan. Il en estime le coût à


3 millions de francs ; le versement doit se faire sur un compte à la
Banque de Madagascar et des Comores. Une petite équipe part
faire les repérages dans l’archipel en avril. Au départ, l’opération
est envisagée depuis la Rhodésie mais l’Afrique du Sud, ayant
refusé le transit des hommes par son territoire, l’affaire est aban-
donnée. Les mois s’écoulent. À la fin du mois d’octobre 1977,
décision est prise d’opérer par voie maritime. Le coût avoisine
désormais le million de francs (soit 540 000 euros environ) et
Bob Denard hypothèque le garage familial de Lesparre-Médoc
pour boucler le budget. Sur le modèle de ce qu’il avait fait avec le
Mi Cabo Verde est créée une société à Panama. À la fin de l’année
1977, les mercenaires rachètent alors à Lorient un chalutier et le
baptisent Antinéa.
Le montage financier montre déjà que cette nouvelle opéra-
tion des soldats de fortune français se fait avec des moyens très
limités. La quarantaine d’hommes embarqués ne sont pas au cou-
rant de cet aspect. Ils en prennent conscience lorsqu’après vingt-
huit jours de navigation entre les Canaries et l’océan Indien
l’Antinéa arrive au large des Comores1. Tandis que Bob Denard
dévoile à ses soldats le but du voyage, il fait également ouvrir les
cales pour perception des armes. L’arsenal se réduit à des fusils de
chasse à canon scié. Le doute s’instaure au sein du commando,
plus particulièrement parmi les hommes qui ont connu l’échec
de Cotonou. Une frénésie s’empare alors de tous. Pour renfor-
cer leur équipement et tromper l’attente anxieuse des dernières
heures de navigation, les « chiens de guerre » s’activent à fabriquer
des matraques et des poignards artisanaux. Des Belges tentent
également de mettre au point des bombes artisanales, manquant
carton 58. Il semble d’ailleurs que ce document ait également servi de point d’appui
pour l’ouvrage de Pierre Lunel, Bob Denard, le roi de fortune, op. cit., car des citations
en sont faites dans les parties dialoguées et la rédaction de Pierre Lunel reprend des
tournures de phrases de ce Mémoire.
1. Le journal de bord de l’Antinéa est conservé dans les archives privées Bob Denard,
carton 58.

190
Nouvelle époque, nouvelles opérations pour les mercenaires

de provoquer un incendie à bord1. L’action va finalement lever les


doutes dans les esprits.
Dans la nuit du 12 au 13 mai, l’Antinéa fait un premier pas-
sage discret au plus près de la côte malgré la forte houle qui souffle
alors. Au petit matin, ils débarquent des canots pneumatiques
dans la baie encaissée d’Itsandra au nord de Moroni. Composé
de 22 hommes répartis en trois équipes, le commando n’est pas
repéré et progresse vers les objectifs désignés. Comprenant des
anciens (Lafaille, Buteri…), un premier groupe est placé sous les
ordres de Guy Cardinal. Après une marche de plus de 4 kilo-
mètres, effectuée sans rencontrer d’obstacle, il se charge de neu-
traliser les forces comoriennes stationnées au camp militaire de
Voidjou. Dirigé par Bracco et Jean-Louis Millote, un second
prend le contrôle de la radio et de l’état-major du commando
Moissi à Kandani. Fidèle à l’idéologie du régime, la seule troupe
susceptible d’opposer une résistance est ralliée par la seule négo-
ciation. Pendant ce temps, Denard dirige le troisième sur le palais
présidentiel. Malgré sa jambe raide, le chef mercenaire effectue
la montée vers le cœur du pouvoir, entraînant à sa suite la jeune
génération (Marqués, Jean-Baptiste Pouye…). Un quatrième
groupe demeure en réserve sur le bateau sous les ordres du Bosco.
Très expérimenté et connu pour son sang-froid, le marin doit
maintenir le bateau sans se faire repérer à proximité suffisante des
côtes, en cas de coup dur.
Au palais présidentiel, Ali Soilih est capturé et démis de ses
fonctions au profit d’Ahmed Abdallah. Seuls quelques coups de
feu sont tirés par le commando. Cinq gardes du corps d’Ali Soilih
sont tout de même tués dans l’opération2. Les officiers de l’Armée­
populaire sont emprisonnés, tandis que la capitale Moroni est
entièrement repeinte en blanc en une dizaine de jours. Bob
Denard y gagne le surnom de Bako, « le Sage », de la part de la
population, tandis qu’une partie des habitants de Moroni ressort
1. Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit.
2. Dépêche AFP du 3 juin 1978 n° 9579.

191
Dans l’ombre de Bob Denard

les drapeaux français au cours de cette journée du 13 mai 1978


pour les placer sur leur façade. Anjouan est l’objectif suivant des
mercenaires. Des centaines d’hommes y ont été envoyés par Ali
Soilih avant le coup d’État. Fief de l’ancien président Ahmed
Abdallah, l’île est favorable à la chute du régime. En revanche,
le ralliement des forces militaires qui y sont stationnées n’est pas
acquis. Roger Bracco s’envole pour Anjouan ; il tente le bluff,
évoquant l’arrivée de parachutistes. Le camp se rend à lui sans
combat. La petite île de Mohéli accueille la petite équipe com-
mandée par Jean-Louis Millote dans l’indifférence. Les merce-
naires ont pris sans coup férir le contrôle de l’ensemble des terri-
toires comoriens.
Chapitre 6

Le milieu mercenaire français

Les guerres de décolonisation sont désormais loin ; la frac-


ture entre une partie de l’armée française, « nostalgérique », et le
pouvoir politique a été réduite par le renouvellement des géné-
rations et l’apparition de nouveaux matériels. Le milieu merce-
naire français est constitué d’hommes qui ont choisi cette voie
dans la décennie 1960. Toutefois, le vieillissement d’une par-
tie d’entre eux impose une ouverture à de nouvelles recrues qui
représentent une part significative dans les opérations du Bénin
et des Comores en 1978.

Un groupe en profonde transformation

Le changement de contexte politique et militaire impose sur-


tout de nouvelles modalités d’enrôlement et la définition de nou-
veaux profils : l’expertise de terrain des anciens soldats français
ne peut être comparée dans les années 1970 à celle de la généra-
tion qui sortait des théâtres indochinois et algérien. En revanche,
Bob Denard s’impose définitivement comme le chef de file des
« chiens de guerre » français. Hormis les peu fructueuses expé-
riences du projet libyen autour de Roger Bruni, voire les enrô-
lements rhodésiens, le Médocain s’installe seul au sommet de la
hiérarchie. Les aventures dans lesquelles des mercenaires français
sont impliqués hors de son influence sont donc quasi inexistantes.

193
Dans l’ombre de Bob Denard

Certains hommes (Henri Alain ou Billois) tentent de suivre des


condottieri étrangers. Ils mesurent à quel point la crédibilité de
nouveaux acteurs est difficile à vérifier. Ainsi, est-ce, semble-t-il,
uniquement pour l’écriture de son roman The Dogs of War que
Frederick Forsyth recrute des hommes pour un soi-disant coup
d’État contre la Guinée équatoriale.

Un recrutement plus complexe

Malgré la logique de regroupement au Gabon, le temps


qui s’écoule entre les missions rend complexe le maintien d’un
annuaire d’hommes rapidement mobilisables. Une partie des
fidèles de Denard du temps du Congo et du Biafra bascule défini-
tivement dans la GP gabonaise. À partir de 1973, les contrats pour
servir dans cette troupe sont des contrats locaux et non plus sous
le statut de la Coopération française. Cela accélère l’enrôlement
d’anciens mercenaires mais celui-ci a commencé dès le début de
la décennie. Pour avoir joué un rôle moteur dans le recrutement
de Denard pour le SDECE et, en accord avec Jacques Foccart,
pour avoir piloté l’opération du Biafra, Maurice Robert a une
connaissance approfondie des « Affreux ».
On lui prête une large influence dans les sélections opérées
pour la GP d’Omar Bongo, ce à quoi il répond : « Dire que je
contrôlais les recrutements est exagéré. En général, les militaires
français se cooptaient et proposaient des noms à la présidence. »
Ainsi, les filières parachutistes et la Légion étrangère participent à
l’intégration des « chiens de guerre » dont une partie est issue. Par
ailleurs, ajoute l’homme du SDECE, « je faisais étudier les candi-
datures, demandais à mon service de recueillir des renseignements
sur les compétences, la moralité, la fiabilité de chacun […] puis
je fournissais un avis circonstancié au président1 ». Il reconnaît
donc à demi-mot avoir appuyé certains candidats (mercenaires

1. Extraits de Maurice Robert, Maurice Robert, ministre de l’Afrique, op. cit., p. 208.

194
Le milieu mercenaire français

notamment sans doute) en remerciements pour leurs services au


Biafra. Cette voie d’intégration de la GP gabonaise rend encore
plus forte l’imbrication entre les services français et le milieu des
soldats privés, au point qu’il est difficile de savoir, pour certains
membres de la GP passés ou retournés vers le mercenariat, s’ils
travaillent pour le SDECE par ailleurs. Si on peut considérer qu’il
a été un soldat libre à un moment donné, Gildas Lebeurrier, par
exemple, rejoint explicitement les services.
En fait, les officiers (et certains sous-officiers) qui avaient bas-
culé dans le mercenariat à la fin de la guerre d’Algérie constituent
une part importante des « chiens de guerre » qui reprennent une
vie régimentaire dans la GP gabonaise. Cette position offre une
garantie de carrière et une position sociale plus stable et moins
risquée (pas de risque de poursuite comme en RDC aux lende-
mains de Bukavu). Sans doute les hommes qui avaient embrassé
la carrière mercenaire dans le contexte de la guerre d’Algérie et
qui souhaitaient prolonger le service de la France sous une autre
forme trouvent cette « solution » gabonaise plus satisfaisante,
plus conforme à l’idée qu’ils se font du service et de l’honneur
militaire.
Le plus emblématique d’entre eux est Hubert Pinaton qui avait
eu tant de mal à s’imposer dans le cadre irrégulier sur la route de
Bukavu. Des hommes engagés au Biafra suivent la même voie,
comme Roland de L’Assomption. Pourtant, cette carrière gabo-
naise demeure fermée à un groupe restreint d’anciens mercenaires,
comme en témoigne Bosco lors de l’escale à Libreville pendant
la tentative béninoise de 1977 : « Je connais Stephan qui avait
craqué au Biafra et l’Assomption, l’adjudant de Port-Harcourt
et quelques autres. Ils font semblant de ne pas me reconnaître.
Je saurai plus tard que la garde présidentielle comporte­dans ses
cadres beaucoup d’anciens mais c’est une mafia et n’entre pas
qui veut1. » Pour leur part, les seconds de Faulques (Picaut d’As-

1. Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit., chap.. 6.

195
Dans l’ombre de Bob Denard

signies, Heltzen…) semblent quitter la scène africaine. Avec le


retrait de leur patron, le mercenariat n’a pas de sens pour eux.
D’autres quittent également le milieu ou tentent des aventures
solitaires. À l’instar de Pierre Chassin ou d’Henri Clément, de
nombreux hommes ont conçu la période congolaise comme une
parenthèse de jeunesse, un engagement dans le contexte de la
décolonisation française. Ils se perçoivent sans doute davantage
comme des volontaires au moment de leur engagement, comme
le laissent penser les Mémoires de Pierre Chassin : « L’ambiance à
Sciences Po m’est devenue insupportable […]. Je suis pris d’un
sentiment de vide absolu […]. Il me faut quitter la France et
m’engager dans un combat qui justifie mon existence. Sinon je
deviendrai, comme ces fantômes d’étudiants, un rat de biblio-
thèque. Je prends la décision de rejoindre ceux qui continuent
seuls le combat que l’Occident n’a plus le courage de mener1. »
Ils reprennent une vie civile et entament des carrières profession-
nelles qui les éloignent du milieu des combattants irréguliers. La
majorité de ces jeunes gens passés par le Congo entre 1960 et
1967 n’ont pas de réelle vocation mercenaire. Parmi les cadres des
« chiens de guerre » de la fin des années 1960, on perd la trace de
René Biaunie.
Considérant peut-être avoir atteint la limite d’âge pour les
combats irréguliers, certains proches de Denard du début de
la décennie ne sont également plus rappelés. Officier promet-
teur du 6e BCE en RDC, Roger Ghys rentre en Europe. Marié
avec une Congolaise, il semble que Charles Gardien se soit ins-
tallé sur place. Armand Ianarelli quitte le groupe Denard pour
suivre Rolf Steiner au Soudan quelque temps avant de travailler
en indépendant. Ainsi, la période se caractérise par une grande
volatilité du personnel « qualifié ». Pour les Comores en 1975
comme pour l’Angola l’année suivante, cela nécessite de faire
appel à ceux qui demeurent encore rapidement disponibles en

1. Pierre Chassin, Baroud pour une autre vie, op. cit., p. 176-177.

196
Le milieu mercenaire français

raison du faible contingent à envoyer en mission. Pour l’effectif


très limité de l’opération de 1975 aux Comores, un seul des sept
hommes engagés est un nouveau ; six ont servi précédemment et
le septième (Thaddée Surma) était sans doute également présent
au Biafra. Parmi les 18 mercenaires engagés en Angola pris en
compte dans notre étude, le renouvellement est significatif. On
ne retrouve que 11 vétérans des combats congolais et biafrais en
Angola, tandis que 7 membres de l’équipe connaissent leur pre-
mière expérience en irréguliers.

La préparation de l’opération vers le Bénin et le projet d’un


retour aux Comores (ce qui sera le coup d’État de 1978) néces-
sitent des effectifs élargis. Le renouvellement du personnel s’ac-
célère donc. Bob Denard se heurte à une double probléma-
tique. La première consiste toujours à reprendre contact avec
des hommes qu’il a connus précédemment et qui soient dispo-
nibles. La seconde est de s’assurer de disposer d’une équipe suf­fi­
samment performante pour participer à des actions commandos.
La question de l’endurance physique appelle ainsi une réflexion
sur un rajeunissement du vivier sollicité. Lors de la planification
de la mission au Bénin, un certain nombre de fidèles sont écartés,
non en raison de liens rompus mais par pure logique d’efficience
opérationnelle. Jo Wallendorf, l’un des Belges qui suivent Bob
Denard depuis le Katanga et qui rejoindra ensuite les Comores,
n’est, par exemple, pas contacté. Sur les 36 membres de l’opéra-
tion (y compris Bob Denard) pris en compte dans notre étude,
26 connaissent alors leur première expérience mercenaire. 3
autres n’ont connu que l’Angola et seuls 7 ont fait leurs armes au
Congo et/ou au Biafra.
Pour faire face à ce nouveau contexte, Bob Denard fait le choix
de recrutement « en aveugle ». Il dépose des petites annonces dans
différents journaux, une dizaine de titres nationaux et régionaux.
En réalité, la première fois que le chef mercenaire a recours à
cette nouvelle modalité de recrutement remonte aux prépara-

197
Dans l’ombre de Bob Denard

tifs d’­expédition contre la Libye en 1972. Lors des interroga-


toires chez le juge d’instruction, Philippe Boyer témoigne avoir
été recruté par ce biais pour l’opération au Bénin : « Ayant pris
connaissance vers la fin de l’année 1976 d’une annonce parue
dans L’Est républicain faisant appel à des volontaires pour travail-
ler en Afrique, je fus reçu quelques jours plus tard à l’hôtel La
Fayette à Paris par un certain Lefèvre qui me proposa un contrat
de gardiennage en Afrique et plus précisément au Gabon au
salaire mensuel de 6 000 francs1. » Faute de bureaux de recrute-
ment ouverts avec l’accord de l’État comme au temps du Katanga
ou du Biafra, les sociétés de sécurité gabonaises offrent une vitrine
légale à l’embauche de nouveaux combattants. Cela permet égale-
ment de générer des candidatures sans forcément évoquer im­mé­
dia­tement la nature des emplois réellement proposés aux impé-
trants. Les contrats liés à un travail de gardiennage au Gabon ou
dans les pays voisins doivent, par ailleurs, permettre de conserver
le contact avec le vivier nouvellement constitué. La méthode peut
sembler dénoter une forme d’amateurisme. Elle a pour principal
défaut de ne pas offrir de garantie suffisante sur la qualité opéra-
tionnelle des nouvelles recrues. Par ailleurs, elle s’inscrit en rup-
ture avec la période précédente pendant laquelle le recours à des
filières au sein des forces régulières françaises ou belges était privi-
légié. Cela semblait une meilleure garantie quant à l’homogénéité
sociologique des mercenaires.

Des qualités de combattants plus hétérogènes ?

On pourrait être tenté d’établir un lien direct entre ce très


fort renouvellement de personnels et l’échec de l’opération de
Cotonou. Pourtant, le déroulement de l’opération ne démontre
pas de faiblesse significative de l’équipe en butte à l’ouverture
1. PV du parquet de la cour d’appel de Paris, chambre d’accusation n° 2624/86,
archives privées Bob Denard, carton 29. 6 000 francs équivalent à environ 3 600 euros
actuels.

198
Le milieu mercenaire français

inattendue du feu par les forces nord-coréennes et béninoises.


Il n’y a pas de panique au sein des nouveaux qui rompe la cohé-
sion du commando. Alain Chevalerias témoigne : « L’accrochage
semble particulièrement sérieux. » On remarque au passage son
incapacité à prendre la mesure de l’intensité du combat en rai-
son de son inexpérience en la matière. « Nous arrêtons notre pro-
gression afin de ne pas nous dissocier et surtout de ne pas nous
tirer dessus. » Il est vraisemblable que la question des tirs fratri-
cides a été abordée lors de leur instruction. Après avoir décrit
les premiers tirs de mortier de leurs ennemis, Alain Chevalerias
insiste : « Le repli, en perroquet, jusqu’à l’aéroport, s’est passé
sans problème1. » En réalité, l’impasse dans laquelle se trouvent
les mercenaires est simplement la conséquence d’un effet de sur-
prise escompté mais non effectif, et de l’incapacité numérique
à prendre le contrôle de la capitale face à une troupe en alerte.
C’est pourquoi Denard ne renonce pas à conserver la plupart des
hommes présents au Bénin. Certains sont, certes, encouragés ou
laissés libres pour se rendre en Rhodésie ; d’autres sont sollicités
pour l’affaire cruciale des Comores de 1978. Le chef mercenaire
sait qu’il n’a plus vraiment droit à l’échec.
On peut mesurer à quel point il souhaite le renouvellement
de génération à travers la mise à l’écart emblématique – ou la
préservation – de Guy Cardinal. Tandis qu’il est le bras droit du
chef au moment du Biafra, le « mercenaire-juriste » ne joue plus
les premiers rôles dans la période suivante. Il ne prend plus part
à l’opérationnel. Au Biafra, il a manqué mourir après avoir reçu
en plein visage une balle tirée quasiment à bout portant. Sollicité
pour l’Angola, il est présent au Cabinda mais reste en arrière-
plan auprès de Dulac. Il semble même avoir demandé à être retiré
du dispositif. Il n’est pas retenu pour les Comores en 1975 où
les qualités physiques sont prioritaires sur les capacités d’officier
1. Extraits du mémoire dactylographié Opération Bénin : un mercenaire parle, rédigé
à Paris par Alain Chevalerias le 11 avril 1977, archives privées Bob Denard, carton
29.

199
Dans l’ombre de Bob Denard

d’administration. Pour autant, il ne disparaît pas du groupe et


fait son retour pour l’opération de 1978. Cette marque de fidé-
lité réciproque entre Denard et Cardinal n’en est pas moins ponc-
tuelle. Depuis sa blessure, l’ancien lieutenant a changé. Il s’est
retiré en Thaïlande, s’y est marié et reprendra cette nouvelle vie
loin du système mercenaire après la mise en place du régime
d’Ahmed Abdallah.
Même si les hommes sont ensuite sélectionnés pour leur pro-
fil, même s’ils ne sont pas pris en défaut dans l’échec de Cotonou,
la qualité d’ensemble de la troupe, ou plutôt sa capacité d’adapta-
tion à la vie mercenaire, pose problème. Un appel à candidatures
aussi ouvert prend le risque de réponses très disparates. Certains
sont très présomptueux et considérés comme difficiles à intégrer à
un travail d’équipe, comme l’indique Michel Loiseau qui fait par-
tie des hommes qui épluchent les réponses : « Il y en a des grati-
nés tel cet officier “hors pair et meneur d’hommes qui n’acceptera
pas de servir sous ordres”, encore un qui se prend pour Bigeard. »
D’autres pensent qu’être mercenaire signifie se vendre au meilleur
prix et pensent négocier un contrat comme ils le feraient avec une
très grande entreprise : « L’autre veut un lo­gement et une voiture
de fonction. Enfin, peu avertis et non préparés par la formulation
de l’annonce, certains ne mesurent pas les impératifs des missions
de mercenaire. Un autre veut un contrat de longue durée et la
Sécu. »
Beaucoup de nouveaux recrutés n’ont pas eu une longue expé-
rience militaire dans des conflits comme l’Indochine et l’Algérie­.
À son arrivée en Angola, Michel Loiseau explique : « Tous les
autres, une demi-douzaine sont des jeunes que je ne connais
pas. Quoiqu’un peu déroutés par cette situation nouvelle pour
eux, ils font ce qu’ils peuvent et pas trop mal1. » Leur expérience
du feu est effectivement limitée, voire nulle. Leur aptitude à
mener une guerre antisubversive n’est pas garantie davantage. Les

1. Extrait du manuscrit de Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit.

200
Le milieu mercenaire français

« mouvements d’humeur » manifestés par certains mercenaires de


la 7th Independent Company relèvent peut-être également de
cette difficulté nouvelle. Un témoignage publié dans Le Nouvel
Observateur en 1978 va plutôt en ce sens : « Mercenaire, c’est un
métier. Flic, c’en est un autre. Et tueur de civils un 3e. Et puis
moi je crois à la parole donnée. Et les types de Bob Denard n’ont
pas eu de parole [il accrédite le rôle d’intermédiaire du Médocain
pour rediriger certains impétrants vers Roland de L’Assomption
et Mario Laviola]. Ils se sont foutus de nous. On devait bien
gagner notre vie. On en est presque de notre poche […]. Au bout
d’un certain temps, avec les accrochages, les coups de crosse dans
la gueule des villageois qui n’étaient pas plus rebelles que moi, je
me suis dit qu’au fond, j’étais peut-être plus de leur côté que de
celui des Rhodésiens blancs. »

Ces hommes qui n’ont pas connu l’Algérie sont parfois heur-
tés par la brutalité des méthodes de cette lutte contre-insurrec-
tionnelle et par le peu de cas fait à l’éthique du combattant : « Je
n’aimais pas beaucoup ces opérations. Se battre dans la brousse,
c’est une chose ; rouer de coups de pied ou de crosse des pauvres
gens, simplement pour les faire sortir plus vite de leur case, c’en
est une autre. Les terroristes présumés étaient remis à la Special
Branch qui s’occupait de les faire parler. Tous les moyens étaient
bons. Gégène, brûlure des pieds et j’en passe […]. Il était prévu
dans le planning que notre unité participe à des opérations de
ce genre. Ceux qui étaient arrivés avant nous nous ont raconté
qu’ils avaient participé à un raid sur la ville de Chimoio au
Mozambique. Ils nous ont dit qu’ils avaient tiré sur tout ce qui
bouge. Et les autorités rhodésiennes ont toujours expliqué que
cette opération avait porté un grand coup aux terroristes1. »

1. Extraits de « La confession d’un chien de guerre », Le Nouvel Observateur, lundi


3 juillet 1978.

201
Dans l’ombre de Bob Denard

La coexistence de générations différentes de mercenaires

Les années 1970 sont ainsi marquées par un virage dans la


sociologie des mercenaires français, notamment ceux conduits
par Bob Denard. Finalement, la génération des officiers formés
lors des guerres de décolonisation a disparu (Faugère, Faulques,
Souêtre…). Les cadres du premier système mercenaire s’effacent,
entrés dans cette pratique qu’ils imaginaient sans doute comme un
service, spécial mais ponctuel, dans leur carrière militaire. Certains
retournent vers un parcours plus proche de l’institution comme
on l’a vu à travers la mise en place de la GP d’Omar Bongo.
Pour autant, les anciens des guerres de décolonisation ne dis-
paraissent pas des effectifs mercenaires. En fait, ils forment désor-
mais un sous-groupe identifié. Simples hommes du rang ou sous-
officiers de l’armée française, ces hommes ont tendance à, natu-
rellement, se regrouper lors des préparatifs d’opération. Ainsi
Bosco rend-il compte de la période d’entraînement à Benguérir
avant le coup du Bénin : « Je reconnais Carcasse, Raymond, Yvon
mon ancien marin du Mi Cabo, Toumi et quelques autres. Oh
Bosco ! Il ne manquait que toi ! On serre des mains de-ci, de-là.
Sur la gauche, à la table isolée, les cadres ! » En fait, Denard n’ac-
corde sans doute qu’une confiance limitée à ces hommes dont il
fait sa troupe tout au long de sa carrière. Est-ce le talent du chef ?
Est-ce un complexe de sous-officier qui s’est élevé à la force du
poignet ? Il ne fait pas de ces fidèles des années 1960 des cadres
pour la génération suivante, malgré leur longue expérience du
feu, laquelle a commencé avant leur entrée en mercenariat.
Les hommes de cette génération qui ont choisi de demeurer
dans la voie du combat irrégulier ont cependant du mal à perce-
voir les changements dans la pratique du métier par rapport à la
période précédente. Les soldats de fortune ont moins de marge
de manœuvre vis-à-vis de leurs commanditaires qu’au temps du
Congo. Les contraintes nouvelles sont d’ailleurs souvent­mal
acceptées, comme en témoigne Michel Loiseau à propos de la

202
Le milieu mercenaire français

tentative contre le Bénin. À Benguérir, lors des rudes entraî-


nements auxquels ils sont soumis, les anciens protestent. Bob
Denard est obligé de rappeler la hiérarchie du groupe, au-delà
des nombreuses années passées ensemble. Michel Loiseau se met
en scène comme l’un des meneurs ; Denard lui lance : « Bosco,
tu veux ma place […]. C’est moi qui vous fais manger. J’ai mille
ou deux mille types quand je veux, alors ne m’emmerdez pas. Je
vous prends depuis dix ans, et plus pour certains, et vous y reve-
nez toujours. » Un autre vétéran soutient Michel Loiseau : « On
est d’accord avec vous patron, vous êtes le mac mais vous bai-
sez de plus en plus mal. Le petit Alsacien, béret rouge d’Algérie,
ancien de l’OAS, free-lance au Vietnam avec les Special Forces, n’a
pas de gants à prendre avec Bob. Il peut vivre sans lui1. » Au-delà
du vocabulaire cru des hommes, leur caractéristique est la diffi-
culté à se plier à la discipline. Bien entendu, ils étaient soumis à
la hiérarchie lors des guerres coloniales mais elle avait du sens sur
le terrain ; pour eux, il n’en reste que les aspects les plus formels.
Au camp de Benguérir comme dans les casernes qu’ils ont pré-
féré quitter pour l’indépendance du mercenaire, cette discipline
leur paraît beaucoup moins justifiée. Par ailleurs, cette ancien-
neté pose problème vis-à-vis des chefs désignés pour les diffé-
rentes opérations, comme on va le voir. Leurs propres états de
service justifient à leurs yeux certaines libertés.
Pourtant, ils sont de moins en moins nombreux. Lors de l’opé-
ration de 1975 aux Comores, ils constituent encore la majorité
d’une équipe très restreinte, si peu nombreuse que Bob Denard
peut se permettre de ne retenir que des hommes expérimentés.
Cinq sont d’anciens militaires et le 6e un ancien de l’activisme
Algérie française et des opérations des années 1960 (Roland
Raucoules). Outre l’officier belge Roger Bracco, 3 anciens sous-
officiers (dont un appelé qui a effectué un service long) consti-
tuent le socle du groupe.

1. Extraits de Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit.

203
Dans l’ombre de Bob Denard

En Angola, le groupe est partagé entre des hommes au passé


militaire accompli (9 mercenaires) et des nouveaux (9 également)
dont la formation se limite au mieux à un service national. Si
l’on examine les grades, le manque de qualification est également
frappant. André Cau est le seul officier de l’armée française, et
encore a-t-il obtenu ce grade dans la réserve. De Chivre n’a été
que maréchal des logis pendant un service militaire long (hors
zone de conflit). Bref, les sous-officiers (d’active ou appelés) et les
hommes du rang sont surreprésentés par rapport aux opérations
de la période précédente1. Il constituait pourtant alors déjà un
socle très solide des équipes mercenaires. Au-delà du cas du chef
de la troupe, les anciens sont sans doute inquiets de cette inexpé-
rience globale au sein de l’équipe.
Pour le Bénin, la phase de renouvellement est achevée. Des
nouveaux ont émergé, souvent choisis pour remplacer (sans com-
penser l’expérience du combat des guerres de décolonisation) les
officiers de la période de la décennie 1960. Le jeune C. de La
C. dit Kermarec a trois ans d’expérience d’officier à sa sortie de
Saint-Cyr. Deux aspirants sont également retenus, L. de S. et Jean-
Louis Millote. Ces nouvelles recrues s’effectuent dans la même
logique que poursuit Bob Denard depuis les années 1960 : dispo-
ser dans ses équipes de compétences absolument nécessaires sur
le terrain. Ainsi Millote est-il médecin. Au cours de la navigation
vers les Comores sur l’Antinéa en 1978, il procède par exemple à
la vaccination des hommes. Pour autant, la composition globale
de ce groupe de mercenaires reste traditionnelle avec une forte
prédominance des sous-officiers (15 hommes sur les 36 retenus
dans cette étude). Bob Denard a sans doute tâché de prendre en
compte cette problématique de l’amalgame entre anciens mili-
taires et jeunes gens globalement inexpérimentés. Parmi ses nou-
velles recrues, il a intégré des hommes qui ont quitté les rangs
1. La distinction entre sous-officier de carrière et appelé n’a pas été retenue car elle
paraît moins décisive qu’au niveau des officiers. Pour les sous-officiers, le critère de
l’expérience au feu nous paraît plus pertinent.

204
Le milieu mercenaire français

de l’armée française. Ainsi ce passé militaire redevient-il majo-


ritaire au sein de l’équipe projetée à Cotonou avec 21 vétérans.
Toutefois, le mouvement est irréversible. D’ailleurs, l’idée que
le service militaire ne remplace pas l’expérience d’un engagé, et
encore moins dans le cadre d’opérations de combat, explique sans
doute que des réformés motivés (Lebreton et Leclerc) sont rete-
nus au même titre que des hommes ayant accompli leur service
national.
L’amalgame entre anciens et jeunes diplômés explique é­ga­
lement que la moyenne d’âge de l’équipe projetée au Bénin reste
élevée (plus de 30 ans). Elle est cependant nettement plus basse
qu’en Angola où l’équipe atteint en moyenne près de 34 ans et
demi. Pour le service rhodésien, la moyenne avoisine encore 30
ans, ce qui montre l’attrait des jeunes mercenaires pour ce théâtre
à côté des anciens qui encadrent la 7th Independent Company.
Pour ne retenir que cet exemple, Roland de L’Assomption est né
en 1924.

Un groupe au bord de l’explosion ?


Les conditions de mise en place et la destinée de cette unité
déployée en Rhodésie illustrent d’ailleurs assez bien les difficultés
traversées par le groupe mercenaire français dans cette seconde
moitié de la décennie 1970.

La 7 th Independent Company, une troupe mercenaire


caricaturale

Cette troupe mêle les générations mais se caractérise surtout


par la médiocrité des combattants qui la composent, selon les dif-
férents témoignages. Elle jouit pourtant d’une expérience mili-
taire convenable (7 anciens militaires sur 15 étudiés). Sa qua-
lité est inférieure au Katanga ou au Biafra mais assez comparable
à la RDC ou à l’Angola. En revanche, l’expérience des opéra-

205
Dans l’ombre de Bob Denard

tions mercenaires est très limitée. Trois seulement ont participé


à des opérations dans la décennie 1960 (Jean-Michel Desblé,
Roland de L’Assomption et Toumi). Cinq ont pris part aux coups
aux Comores en 1975, en Angola ou au Bénin qui sont très
brefs et 7 n’ont jamais connu de théâtre de combat auparavant ;
Lenormand est toutefois passé par le Liban où il a servi comme
volontaire armé dans les phalanges chrétiennes. Comme Bob
Denard, Roland de L’Assomption et Laviola ont eu recours aux
petites annonces (dans Le Progrès) pour compléter leur effectif qui
s’élève au mieux à une cinquantaine d’hommes. Or, même enrô-
lés par cette voie, on imagine mal un ancien officier ou même un
major, vétérans de l’armée française, accepter de servir sous les
ordres de deux hommes qui n’ont jamais dépassé celui de pre-
mière classe avant de devenir mercenaires.
Ainsi l’échec de la 7th Independent Company s’explique-t-
il sans doute en partie par l’absence totale d’officiers des forces
armées françaises en son sein. Deux officiers de notre échantillon
ont servi en Rhodésie. Le premier, Hugues de Tressac, a rejoint
les SAS et le second, Patrick Ollivier, aspirant durant son service
national, a servi dans les Grey’s Scouts. Comme souvent dans
les opérations mercenaires, les sous-officiers constituent l’essen-
tiel de la 7th Independent Company. Comme le dit Aifix à pro-
pos de Roland de L’Assomption qui dirige l’équipe des « chiens
de guerre » français, de « caporal, il s’est retrouvé à faire un travail
de colonel1 ».

Un élément de continuité dans le recrutement : les unités d’élite

Que ce soit pour les anciens militaires ou pour les hommes


qui ont accompli un service long, la logique demeure celui d’un
enrôlement prioritairement dirigé vers les viviers que constituent­
certaines unités ou troupes considérées comme l’élite de l’ar-

1. Entretien à Paris avec Aifix le 23 mars 2012.

206
Le milieu mercenaire français

mée française. On peut sans doute y voir deux raisons princi-


pales. La première réside dans le prosaïsme qui guide les recrute-
ments. Bien introduits dans les milieux de la Légion étrangère et
des parachutistes auxquels les anciens ont appartenu, les merce-
naires viennent toujours y chercher de nouveaux volontaires. Ils
se retrouvent d’ailleurs volontiers dans les lieux de sociabilité de
ces unités, comme le prouve la première réunion pour exposer le
projet libyen (de Bruni) aux membres de l’équipe qui se tient à
l’Union nationale des parachutistes.
Pour l’opération de 1975 aux Comores, les parachutistes et
légionnaires constituent la moitié de l’effectif avec 3 des 6 hommes
(le 7e, Thaddée Surma étant un ancien du 11e choc). En Angola,
8 mercenaires sur les 18 que nous avons pris en compte sont d’an-
ciens parachutistes ou légionnaires. La proportion est donc très
significative sur une équipe restreinte. Parmi les nouveaux enrô-
lés, les recrutements ont été faits dans ces mêmes cercles : Helmut
Gruber est un ancien légionnaire et André Cau est officier de
réserve parachutiste. Pour l’opération du Bénin (pour laquelle un
soin tout particulier dans la sélection des hommes a été apporté),
la place des parachutistes et des légionnaires demeure très forte
avec 13 des 34 membres étudiés. Pour cette dernière opération, il
faudrait d’ailleurs ajouter, parmi les militaires issus d’autres uni-
tés, Pierre Paillard qui a servi au sein du 11e choc et Dominique
Musial. Refusé à la Légion étrangère, ce dernier a servi au sein de
la bandera espagnole.
Denard choisit comme chef de groupe des hommes nou-
veaux. Toutefois, leur parcours « militaire » correspond également
à ces caractéristiques chères au chef. André Cau est placé à la tête
des mercenaires envoyés en Angola. Pour l’action sur Cotonou,
des jeunes officiers, d’active ou de réserve, sont mis en avant.
Aspirant dans un régiment parachutiste en service long, Foulques
est ainsi invité à participer à la planification de l’opération aéro-
portée pour le Bénin. Selon Michel Loiseau, cette nouvelle hié-
rarchie est imposée par René Dulac : « Le grand Dulac ne s’est

207
Dans l’ombre de Bob Denard

jamais senti à l’aise avec les vieux du métier. Son truc est de créer
une nouvelle phalange de jeunes, en général de fringants officiers
de réserve, portant beau et polis, compétents et brûlant de mettre
en pratique leur savoir récent. »
Au-delà du propos qui oscille entre ironie et amertume, l’ana-
lyse de Michel Loiseau est valable. Dans cette période, l’expé-
rience n’apporte pas de légitimité et ne permet pas d’accéder aux
grades de commandement. Contrairement à un engagé dans
une armée régulière, le mercenaire signe des contrats ponctuels
pour telle ou telle opération. Sa carrière n’est pas linéaire, comme
celle d’un militaire classique. La distribution des grades est donc
aléatoire, sans cesse remise en question. Pour autant, en toute
logique, elle doit reposer sur les mérites comparés des combat-
tants qui intègrent l’équipe. Dans les faits, un ancien sous-offi-
cier de l’armée française, capitaine pour l’opération de l’Angola,
peut se retrouver avec les galons d’adjudant lors de l’action sur
Cotonou. En effet, d’autres profils plus qualifiés par leur for-
mation initiale sont jugés plus légitimes pour endosser l’uni-
forme d’officier. Tel est le constat que fait Michel Loiseau : « Je
me retrouve adjudant […]. Le curé [Hughes De Chivre] devient
mon lieutenant, inversion des rôles, je le commandais en Angola
avec la même solde. Tous les anciens sont dans le même cas1. »
La difficulté pour ces vétérans du mercenariat à accepter le nou-
veau grade qu’ils reçoivent repose sur les critères qui fondent la
nouvelle hiérarchie. L’un d’entre eux est vraisemblablement, dans
l’esprit de Denard (toujours le complexe de l’ancien sous-offi-
cier ?) le niveau de qualification initial. Les étudiants passés par
les EOR à Coëtquidan surclassent les sous-officiers blanchis sous
le harnais des opérations précédentes. Un autre facteur pourrait
toutefois également expliquer le choix opéré en 1977 : l’apprécia-
tion négative portée sur l’action des « anciens » en Rhodésie mais
surtout en Angola.

1. Extraits de Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit.

208
Le milieu mercenaire français

L’Angola : la querelle des Anciens et des Modernes

En Angola, les anciens se montrent déjà très critiques vis-à-vis


de leurs chefs, René Dulac et surtout André Cau1. Max Vigoureux
de Kermorvan narre ainsi, lors de notre entretien, une anec-
dote très significative : « Avec les camarades – Carcasse et Bosco,
des anciens –, on n’avait aucun respect pour Dulac. Un soir, au
dîner, l’un de mes camarades a même placé son arme entre les
jambes de Dulac en lui demandant : “Tu en as ?” » En Angola,
Denard n’est pas sur place. Comme pour les officiers de Faulques
au Biafra, l’autorité des nouveaux chefs de terrain est battue en
brèche au sein du groupe mercenaire où la réputation est plus
importante que le grade accordé : « Qui c’est ce Carnot [pseudo-
nyme d’André­Cau] ? » est la première réaction d’Helmut Gruber,
l’ancien légionnaire, à l’arrivée d’André Cau en Angola. Bosco
explique ensuite qu’un adoubement par les hommes s’opère à
partir de faits d’armes plus anciens : « En principe, tous les gars
qui occupent des postes de commandement sont connus dans
le métier et nous sommes quelques-uns qui digérons mal la pré-
sence de nouveaux venus […]. Les vieux soldats se connaissent
tous et se faire commander par un inconnu est rarement admis. »
Ainsi, la tradition s’est instaurée depuis le début des années 1960
selon laquelle les liens horizontaux (discussions collectives pour
les décisions essentielles notamment) participent à la légitimité
des liens verticaux (hiérarchie des grades).
Or, placé à la tête du groupe principal dépêché auprès de
l’UNITA, André Cau ne parvient pas à s’imposer aux « anciens ».
Bosco témoigne que ses hommes lui réservent un accueil à la hau-
teur de son ancienneté de services : « Sa tenue est ajustée au quart
de poil, avec tout ce qu’il faut aux endroits où cela doit être. Ce
gars-là doit savoir le règlement par cœur mais il ne fait pas mili-
taire de carrière […]. » Les premières erreurs sont immédiatement

1. Nous reviendrons sur le rôle des deux hommes.

209
Dans l’ombre de Bob Denard

sanctionnées, confortant l’impression négative première : « Il a


l’air d’y tenir [à la distribution et au sens accordé aux insignes
de grade]. Pour lui, le galon fait l’homme […]. Il a aligné sur la
table tout un petit matériel de bureau : les crayons, stylos de cou-
leurs variées, fiches, dossiers… Pour des types de terrain, c’est
pire que l’ennemi. C’était le début d’un grand changement dans
nos mœurs et peut-être la fin d’une époque. » En réalité, ce profil
était déjà présent dans le groupe Denard des années 1960 mais
à côté du chef charismatique, de l’homme de terrain qu’il était.
Or, André Cau est censé représenter les deux faces du comman-
dement en Angola. La première lui fait cruellement défaut : « Il
est indéniablement un homme de bureau. Il en faut, hélas, mais,
dans notre cas, je n’en vois pas l’utilité. Il n’est jamais plus heu-
reux que devant ses fiches et ses dossiers. Un breveté d’état-major,
il ne nous manquait que ça. »
Plus problématique est la dynamique négative au combat.
Certains mercenaires n’affichent pas une grande ardeur à entraî-
ner les hommes de l’UNITA qu’ils sont censés encadrer. Lors de
notre entretien, « Max » Vigoureux de Kermorvan (lequel appar-
tient à ce groupe des « anciens », même si l’Angola a été sa pre-
mière opération de terrain) témoigne de sa propre attitude : « On
avait la trouille, on se cachait derrière les jeeps quand cela arrosait
trop fort en Angola. » À sa décharge, on peut rappeler que lors de
leur progression au sol, les unités dirigées par les soldats de fortune
pouvaient être prises pour cible par les MiG livrés au MPLA. On
remarque que « Max » appartient à ces nouveaux venus au feu et
que son expérience militaire est insuffisante. Par ailleurs, une nou-
velle fois, les soldats privés sont trop peu nombreux pour pouvoir
peser sur la situation. Animés d’un manque de respect pour leurs
chefs, ils sont rapidement démotivés ; même les plus expérimen-
tés et ceux qui ont prouvé leur valeur au combat­dans le passé (et
le prouveront à nouveau) ne font pas de zèle, persuadés que c’est
inutile. Michel Loiseau considère ainsi que leur aide à l’UNITA
ne peut être décisive : « En bref, si je m’en tiens aux ordres, tout

210
Le milieu mercenaire français

est à faire. Il est évident que nous ne pouvons jouer qu’un rôle de
figuration dans ce décor. Il faudrait une armée de spécialistes, des
moyens et une volonté qu’il [le représentant de l’UNITA pour le
secteur Benguéla-Lobito] ne semble pas posséder1. »

Le maintien de relations hybrides au sein du groupe


mercenaire

Finalement, les tensions entre générations et entre types de


soldats de fortune sont aggravées par la gestion du groupe telle
qu’elle a été mise en place dans les années 1960. Certes, la disci-
pline militaire est au cœur du fonctionnement des troupes mer-
cenaires. Comme on l’a vu, la hiérarchie des grades est contestée
et les ordres venant du sommet des équipes déployées sur le ter-
rain ne peuvent être aussi péremptoires qu’au sein d’une force
régulière. Dans les faits, elle ne s’exerce donc pas avec la même
rigueur, ni d’ailleurs avec les mêmes logiques qu’au sein de l’ins-
titution. La prise de parole et les décisions collégiales dans les
moments décisifs demeurent les règles établies. Cet élément qui
pouvait apparaître comme un outil efficace pour la cohésion des
hommes derrière leur chef, Bob Denard, au temps du 6e BCE,
devient sans doute un des facteurs de faiblesse pour un comman-
dant moins légitime face à ses anciens.
Même s’il essaie de donner le change et montrer qu’il s’est posé
en officier supérieur tenant compte des galons de chacun, on le
perçoit quand André Cau rend compte de la décision de repli
adoptée par sa petite troupe en Angola face au MPLA : « Le ven-
dredi 13 février, à 7 h, réunion de tous dans ma chambre. Devant
la carte, j’explique d’une voix blanche ce que je sais de la situation
et camouflant le ton, sollicite l’avis de chacun ; quelques grandes
gueules veulent s’avancer, je leur coupe et donne la parole (quatre
mots) à chacun dans l’ordre hiérarchique descendant. Tous les

1. Extraits de Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit.

211
Dans l’ombre de Bob Denard

commandants sont pour la fuite vers le sud, la moitié des capi-


taines aussi mais, un peu plus nuancés, un quart des lieute-
nants, aucun sous-lieutenant (mais un était absent un peu cho-
qué1). » Moins que celui d’André Cau, le choix semble être celui
des officiers de la troupe, obtenu part une décision consensuelle.
D’ailleurs, dans son récit des événements, Michel Loiseau laisse
penser qu’il est à l’initiative de cette décision : « Je m’entretiens
avec Théo […]. Il nous faut décider de quelque chose ; on ne va
pas rester ici indéfiniment. »
Malgré leurs inconvénients, les relations qui troublent la hié-
rarchie des grades établis demeurent nécessaires face aux risques
auxquels chacun des mercenaires s’expose. Elles sont cependant
mises à mal par l’opposition entre les hauts gradés « d’état-major »,
un peu perdus sur le terrain, et l’expérience des moins gradés
qui s’imposent dans les situations difficiles. Pris sous les tirs qui
arrosent leur convoi en repli vers la frontière namibienne, les mer-
cenaires perdent Henry Alain. Ils parviennent finalement à un
camp de l’UNITA où l’officier angolais présent demande à parler
au chef du groupe mercenaire. Plus haut gradé en tant que com-
mandant, Freddy Thielemans s’avance mais l’homme n’a pas com-
battu face au MPLA. Il est simplement l’œil de Denard sur André
Cau et sa troupe. Selon Michel Loiseau, dans l’ambiance pesante
d’une équipe qui vient de perdre l’un de ses camarades, « il est hué
par les gars et ramené dans les rangs sans mé­na­gement. Un instant
de gêne [tous savent qu’il est l’ami personnel de Denard]. Théo
me présente, je pars avec le gars vers la salle de transmissions. »
La solidarité horizontale entre les hommes est essentielle.
En fait, les garanties habituellement apportées aux combattants
réguliers ne le sont pas pour les irréguliers. Les mercenaires sont
encore moins protégés que d’autres catégories de combattants
contre d’éventuels crimes de guerre. Comme tout militaire, ils
affrontent la mort au combat. Cependant, ils sont davantage
1. Compte rendu le 20 février 1976 du lieutenant-colonel Carnot, archives privées Bob
Denard, carton 29.

212
Le milieu mercenaire français

exposés à la torture ou à une exécution sauvage. En effet, aucune


institution ne viendra demander des comptes sur les circons-
tances dans lesquelles ils ont pu périr en opération. Ainsi Michel
Loiseau rend-il compte du récit de Daniel Larapidie lors des pré-
paratifs de l’affaire libyenne. Larapidie raconte à ses compagnons
qu’il a été « pris par les militaires » au Congo « au moment de la
révolte des volontaires, solidement battu, il a passé une nuit à
creuser sa tombe, à poil entre les crocos du fleuve et les Blacks
pleins de bière et de chanvre, ce qui l’a sauvé. Il s’est enfui au
petit jour en tenue d’Adam, sans demander son reste1. » Lors de
notre rencontre, Max Vigoureux de Kermorvan a confirmé qu’au
Biafra également, « un mercenaire pris par les forces nigérianes a
eu les bras et les jambes brisées puis qu’on l’a jeté à la rivière ». Ces
récits circulent parmi les hommes et renforcent le sentiment que
l’esprit corporatif d’entraide est la principale protection en cas de
situation difficile.
Quand un homme meurt au combat, seule la bonne volonté
de ses compagnons lui assure que son corps sera rendu à sa famille.
Dans de nombreux cas, cela n’est pas possible. Tout au moins,
ses affaires seront transmises à la famille. Cette situation a pu
exister pour tous les combattants au cours de la Première ou de
la Seconde Guerre mondiale ; elle peut encore se produire, plus
ponctuellement, lors des conflits de décolonisation. Depuis, elle
a disparu et devient un risque qui distingue nettement le soldat
de fortune de son homologue des forces régulières. Les hommes
l’ont constaté au Yémen – de longs mois se sont écoulés avant
de pouvoir ramener la dépouille de Tony de Saint-Paul – ou en
RDC dans les années 1960. Dans les cas extrêmes, le cadavre est
enterré par les mercenaires sur place. Tel est le cas pour Henry
Alain en Angola : « Hughes [De Chivre] me prévient qu’on ne
pourra pas garder le corps d’Alain très longtemps. On prépare
son enterrement. C’est moi qui ai fait la croix […]. Les Blacks

1. Extraits de Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit.

213
Dans l’ombre de Bob Denard

chantent une mélodie, belle mais triste ; on le descend, enveloppé


dans une solide bâche. Il est mort en soldat ; il a une tombe de
soldat1. » Mis en terre tandis que le commando se replie vers la
frontière namibienne sans parfaitement parvenir à se repérer, la
dépouille ne pourra jamais être retrouvée, à supposer que les mer-
cenaires aient la possibilité de venir la récupérer.

Les lieutenants de Denard : Cau, Dulac et Bruni

Ainsi, de nombreux bouleversements viennent recomposer


le fonctionnement du groupe mercenaire. Pourtant, les conti-
nuités doivent également être relevées. Comme dans la période
précédente, Denard prend le soin de s’entourer de lieutenants
sur lesquels il puisse compter. Freddy Thielemans demeure un
proche du chef mais il est davantage un ami qu’un second. Les
liens noués avec l’ancien officier de réserve belge né au Congo
expliquent qu’il travaille encore aux côtés du chef mercenaire
dans les années 1970. Prudent, réfléchi, le Belge n’a pas l’âme
d’un guerrier comme Bob Denard mais ce dernier apprécie beau-
coup les conseils de son ami et lui accorde une grande confiance.
En réalité, trois hommes forment l’état-major général des
troupes de « chiens de guerre » français : André Cau, René Dulac
et Roger Bruni. Comme Thielemans, les deux premiers ont le
profil d’officiers d’administration, complémentaire avec la per-
sonnalité du chef. Ainsi, comme dans les années 1960, Bob
Denard cherche son alter ego dans le comman­dement. Pour le
recrutement dans l’affaire béninoise, ils sont les trois interlocu-
teurs des candidats finalement retenus. Une série de filtres suc-
cessifs a amené à sélectionner 150 dossiers. Les trois adjoints de
Denard reçoivent les derniers dans de grands hôtels parisiens
pour une série d’entretiens plus poussés. Les trois lieutenants et,
in fine, Bob lui-même retiennent ainsi 60 hommes.

1. Extraits de Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit.

214
Le milieu mercenaire français

Comme l’ont montré les tensions au sein de l’équipe en


Angola, André Cau n’est pas un ancien dans les réseaux Denard.
Ce sont ses qualités qui lui permettent d’accéder très ra­pi­dement
à cette fonction de second. Né en 1933, il a une formation de
droit pénal et a été inspecteur de police. Il a effectué un service
long dans un régiment parachutiste : « Je l’ai connu toujours
par l’intermédiaire du milieu para, il s’occupait aussi de la pré-
paration militaire1. » Les filières de recrutement établies dans la
période précédente continuent donc à alimenter le groupe mer-
cenaire de Denard. En fait, André Cau est officier de réserve spé-
cialiste d’état-major (ORSEM). Formé à l’École de Guerre, il a
donc le profil recherché par Denard pour le seconder. Intelligent
et compétent, l’homme se révèle pourtant trop peu empathique
pour se faire adopter des hommes placés sous ses ordres. Certes
courageux, son caractère le porte à afficher un certain retrait, une
distance, une froideur mal perçue par les anciens des années 1960
pour lesquels la camaraderie au feu est l’élément fédérateur des
équipes mercenaires.
Au gré des événements, les nouveaux cadres peuvent recevoir
l’appui du premier cercle construit au temps de la RDC. La tran-
sition dans le commandement effectif entre le premier cercle des
années 1960 et ce nouveau lieutenant s’effectue principalement à
travers la figure de Freddy Thielemans. Ainsi, en Angola, André
Cau est-il accompagné par le Belge. Les deux hommes répar-
tissent par petites équipes leurs combattants sur le front ouvert
par l’UNITA à proximité de Luanda. Dans la guerre de harcè-
lement du MPLA, recherchée par les mercenaires qui encadrent
l’UNITA, l’expérience de Freddy Thielemans est précieuse. En
réalité, le vieux compagnon belge de Denard occupe une pos-
ture en retrait : il entretient une relation épistolaire régulière avec

1. Mémoire dactylographié pour préparer une interview après le coup d’État aux
Comores en 1978 dans laquelle Denard trace le portrait de certains de ses hommes,
archives privées Bob Denard, carton 58.

215
Dans l’ombre de Bob Denard

Denard sur le nouveau chef de la troupe qu’est André Cau1. En


effet, Denard ne peut pas être présent sur le terrain. Même les
tournées d’inspection sont rendues compliquées par ses expé-
riences passées en Angola et en RDC.
Plus tard, quand Denard reviendra sur sa carrière, il décrira
assez bien la place et les difficultés de son second. Le chef identi-
fie assez bien les carences que semblent avoir André Cau dès ses
débuts mais lui maintient sa confiance : « En plus il a participé avec
moi à l’opération d’Angola dont il a assuré le comman­dement, à
l’opération du Bénin et je le connais bien […]. Il a un caractère
un peu particulier […] mais je considère que c’est un bon élé-
ment qui est utilisable à tous les niveaux, c’est un bon adminis-
tratif. En plus, c’est un type courageux, il l’a prouvé mais il ne sait
pas utiliser ses compétences humaines et c’est le seul critère que je
peux lui reprocher2. » Ce jugement montre aussi le rapport affec-
tif de Denard avec ses proches subordonnés. Les rapports ami-
caux l’empêchent de mesurer avec suffisamment d’acuité les fai-
blesses de ses hommes. Certes, l’attachement quasi paternel qu’il
a pu exprimer pour Karl Coucke ne se renouvelle pas dans les
années 1970 ; toutefois, les leçons de la mort du Flamand ne sont
pas définitivement tirées.
René Dulac est le second membre de l’état-major informel des
mercenaires. Après s’être fait remarquer en RDC, il est peu à peu
devenu l’un des hommes de confiance de Denard. Fils du général
André Dulac, ancien chef d’état-major de Salan, il a toujours bai-
gné dans la culture militaire et a reçu une éducation privilégiée.
Surnommé le Grand en raison de sa haute stature, René Dulac est
très sûr de lui, a un caractère bien trempé et fait un bon meneur
d’hommes. Dès l’époque du 1er choc, ses qualités morales, son
1. C’est ce que laissent penser quelques lettres envoyées par Denard en réponse
à Freddy Thielemans. Ce dernier étant décédé en 2011 en Afrique du Sud, sa
correspondance n’a pu être consultée.
2. Mémoire dactylographié pour préparer une interview après le coup d’État aux
Comores en 1978 dans laquelle Denard trace le portrait de certains de ses hommes,
archives privées Bob Denard, carton 58.

216
Le milieu mercenaire français

courage au combat et ses compétences expliquent qu’il assume


le rôle de formateur pour les nouvelles recrues. Doté de bonnes
connaissances aux échelles tactique et opérative, il est la cheville­
ouvrière du plan contre Anjouan aux Comores en 1975. Il com-
mande ensuite l’équipe déployée au Cabinda et assure l’entraîne-
ment militaire pour le commando recruté pour le Bénin. Denard
s’en remet entièrement à lui sur ce plan. À Benguérir, Bob
Denard ne rencontre ses hommes que pour des entretiens indivi-
duels : « Le colonel nous a reçus un à un dans son bureau. Nous
lui parlâmes de l’objet de notre venue à la base et [avons] décliné
notre vraie identité qu’il savait déjà par les fiches qu’il avait devant
lui1. » Sinon, il ne fait que des tournées d’inspection, venant assis-
ter ou suivre lui-même certaines séances d’en­traî­nement. Il pré-
fère également jauger son personnel en engageant la conversation
au mess. Le programme de mise en condition physique et psy-
chologique est entièrement entre les mains de René Dulac, ce que
Bob Denard semble d’ailleurs regretter dans ses Mémoires : « Ça
a été une erreur mais je ne pouvais pas être là-bas tout le temps.
Dulac a voulu casser les types, dans le style de la Légion mais
nous ne sommes pas des légionnaires2. »
Dans le rapport de force qui s’installe en Angola entre les
anciens et ces deux chefs, notamment André Cau jugé inexpéri-
menté, Denard assure ses lieutenants de son soutien et les encou-
rage à prendre de la hauteur. Il écrit ainsi à André Cau : « Pour
le reste, il semble d’après les échos que tous n’ont pas le moral,
aussi il ne faut pas s’emmerder avec ceux qui n’en veulent plus. Tu
es bien sûr le seul juge sur le terrain […]. Je pense que Vincent
[Dulac] a pu te rejoindre ; à vous deux, vous devez être au-dessus
des cancans du reste du groupe3. » Le déclassement d’un homme
comme le Bosco pour l’opération au Bénin conforte cette prise

1. Témoignage de Bâ Alpha Oumarou, archives privées de Bob Denard, carton 78.


2. Pierre Lunel, Bob Denard, le roi de fortune, op. cit., p. 457.
3. Message dactylographié du 25 février 1976 à Carnot, archives privées Bob
Denard, carton 29.

217
Dans l’ombre de Bob Denard

de position de Denard en faveur des cadres qu’il s’est choisis


aux dépens de vieux compagnons de combat. À côté des deux
hommes placés à la tête des équipes en Angola, un troisième vient
compléter le premier cercle autour du chef.
Comme Dulac, en effet, Roger Bruni s’est mué de combat-
tant aguerri en rouage important des réseaux mercenaires. Son
expérience de terrain fait également de lui un bon instruc-
teur. Élégant, toujours plein d’entrain, ce grand brun emporte
l’­adhésion par ses francs éclats de rire. Sachant aussi faire preuve
de discrétion, il est l’adjoint de Denard dans le travail de forma-
tion auprès des Guinéens dans le camp organisé dans les Landes.
Souvent basé à Paris, il est également à la conception des opéra-
tions commandos. Il peut être un homme-clé dans leur mise en
œuvre sur le terrain. Ainsi, en 1975, parmi les cinq équipes pro-
jetées sur l’île d’Anjouan pour le service d’Ali Soilih, Roger Bruni
dirige celle qui est directement chargée d’investir la villa où s’est
réfugié Ahmed Abdallah. Peut-être est-il tenté un moment de
s’émanciper de Denard et de devenir son propre patron. Dans
le premier projet d’opération contre Kadhafi, Michel Loiseau se
souvient que Bruni, « le nez dans le verre », avoue, semble-t-il avec
un peu d’appréhension, aux hommes de l’équipe, que « le Vieux
[Bob Denard] n’est pas au courant ».
Finalement, après l’échec de ce plan, il monte en duo avec Bob
Denard un second projet d’attaque contre la Libye qui ne voit
finalement pas le jour. Malgré l’émergence d’André Cau, il est,
en fait, le principal bras droit du chef avec René Dulac. Il béné-
ficie de son ancienneté, appartenant au premier cercle créé par le
chef au temps fondateur du Congo : « Roger Bruni », dit Michel
Loiseau, est « fidèle entre les fidèles, toujours dans l’ombre du
Vieux1 ». Son rôle est particulièrement important dans le recru-
tement. Lors de la création de la 7th Independent Company,
il semble que ce soit lui qui dirige certains mercenaires connus

1. Extraits de Michel Loiseau, Mémoire inédits de Bosco, op. cit.

218
Le milieu mercenaire français

de Denard et non retenus pour une éventuelle prochaine mis-


sion, vers les cadres de la future unité française en Rhodésie : « J’ai
été recruté en novembre 77. Je cherchais du boulot et je l’ai dit
autour de moi, lorsque j’ai été contacté par un copain, ancien
para comme moi, qui travaillait pour Bob Denard. Il m’a dit qu’il
y avait peut-être quelque chose en vue et m’a conseillé de me
mettre en rapport avec Roger B., ancien du bataillon étranger en
Indochine qui servait de lieutenant à Denard. Roger B. travaillait
alors dans une société spécialisée dans l’outre-mer dont le siège
est dans le 2e arrondissement rue Bachaumont. » Selon ce can-
didat, Bruni le met ensuite en contact avec un mercenaire non
identifié : « Michel D. a été très direct, très franc sur la nature du
travail. C’était un ancien mercenaire d’Angola ; il avait travaillé
là-bas pour l’UNITA. Il m’a dit qu’il s’agissait de servir dans une
unité française au sein de l’armée rhodésienne1. » Même si Dulac
est chargé de l’instruction des hommes à Benguérir, Bruni est
également un homme essentiel dans le dispositif de l’affaire béni-
noise. Après avoir participé à la sélection finale des membres du
commando, il commande l’un des groupes qui progresse dans
Cotonou et démontre, une nouvelle fois, un grand sang-froid lors
de la retraite vers l’aéroport.

Le 13 mai 1978, un coup d’État qui renforce


le renouvellement générationnel ?

L’opération constitue un enjeu majeur pour les merce-


naires français. Les tensions internes semblent croissantes entre
Anciens et Modernes. Le renouvellement des principaux lieute-
nants de Bob Denard n’est pas achevé puisque les deux princi-
paux appartiennent au « premier cercle » depuis les années 1960
et qu’André Cau ne fait pas l’unanimité. Lui-même (né en 1933)
appartient sensiblement à la même génération que Denard (né

1. « La confession d’un chien de guerre », Le Nouvel Observateur, lundi 3 juillet 1978.

219
Dans l’ombre de Bob Denard

en 1929). Par ailleurs, l’échec du Bénin et l’image d’amateu-


risme renvoyée par la 7th Independent Company ont écorné la
réputation des soldats de fortune. La nécessité de réussir l’opéra-
tion comorienne explique sans doute que Denard, pour la pre-
mière fois, accepte d’investir lui-même dans le montage finan-
cier du dossier.
Planificateur des coups précédents, René Dulac a signifié son
scepticisme sur les chances de réussite d’une équipe arrivée depuis
l’Europe par bateau (peut-être son mal de mer influence-t-il son
jugement). Il demeure toutefois au cœur des préparatifs mais sera
l’homme en contact avec le commando depuis Paris. André Cau
est également utilisé pour ses qualités d’officier d’état-major sans
être non plus envoyé sur le terrain. À leur place, deux lieutenants
de la nouvelle génération émergent. Né en 1952, Foulques prend
part aux discussions sur la tactique à mettre en place à l’arrivée
sur la Grande Comore. Fils d’un résistant devenu député UDR,
il a reçu une très bonne éducation. Intelligent, cet excellent tireur
est également un compagnon apprécié de Denard et des autres
pour son humour.
Né en 1946, Jean-Louis Millote semble davantage dévolu à
un commandement opérationnel sur place. Pas très grand, large
d’épaules, ce médecin de formation, très sportif, est un passionné
de plongée. Volontiers têtu, cette forte personnalité peut s’en-
thousiasmer, s’emporter ou bouder. Lors du débarquement, le
commandement du premier groupe échoit à Roger Bruni mais
il est scindé en deux équipes, la seconde confiée à Jean-Louis
Millote1. Sans doute son émergence tient-elle au rapport affec-
tif qu’il entretient avec Denard. Il devient sans doute un possible
nouveau Karl Coucke, un nouveau fils adoptif. D’ailleurs, dans
le monde clos de l’Antinéa, pendant la traversée vers les Comores
(et en l’absence de Dulac et Cau), les autres voient en lui le bras

1. Aide-mémoire sur la planification de l’opération, archives privées Bob Denard,


carton 58.

220
Le milieu mercenaire français

droit du patron. Denard lui-même reconnaît : « J’éprouve de l’af-


fection pour lui1. »
Millote et Foulques viennent donc épauler les anciens Bruni et
Cardinal dans l’encadrement. Ce dernier reprend « sa » place aux
dépens de Dulac. Denard prend en compte la nécessité de s’ap-
puyer sur un homme expérimenté. Il confie à Guy Cardinal le
commandement du groupe qui doit s’emparer du camp militaire
de Voidjou le 13 mai 1978. L’amalgame générationnel fonctionne
aussi bien lors de la longue navigation vers les Comores qu’au
cours de l’opération commando dans l’archipel. Contrairement
à l’Angola ou au Bénin, le rôle confié aux jeunes lieutenants n’est
pas contesté. Les conditions de combat l’expliquent peut-être :
en Angola, les semaines passées sur place et l’attitude d’André
Cau ont exacerbé les réticences premières des Anciens. Pour les
Comores, le temps de l’action militaire est très bref (et de surcroît
couronné de succès). Par ailleurs, la présence du chef sur l’Antinéa­
explique sans doute également que les rapports entre mercenaires
expérimentés et jeunes générations soient moins frontaux.
Avec une moyenne d’âge de 32 ans et demi, l’équipe qui par-
ticipe à l’opération « Atlantide » est plus vieille que celle du Bénin
mais moins que celle de l’Angola : un équilibre semble finalement
avoir été trouvé. La même remarque peut être faite à propos de
l’expérience du commando. Près de la moitié des hommes retenus
(10) ont eu une carrière militaire et un peu moins (9) ont connu
le feu comme mercenaires dans la décennie précédente. Parmi
les nouveaux, une expérience minimale a également prévalu avec
11 participants à des opérations récentes (Angola, Rhodésie ou
Bénin) contre un seul « bleu ». Une meilleure répartition est éga-
lement trouvée entre officiers (4 toutes formes confondues) et
sous-officiers (7). Enfin, si la sélection semble donner une plus
large place à d’autres unités que les parachutistes ou que la LE,
on peut l’expliquer par la confiance renouvelée à des anciens :

1. Pierre Lunel, Bob Denard, le roi de fortune, op. cit., p. 486.

221
Dans l’ombre de Bob Denard

le f­usilier marin belge Lefèvre, le commando Jaubert, Michel


Loiseau ou l’aviateur Bracco. Les légionnaires (5 mercenaires) et
la LE (8) conservent cependant une place significative.

Peut-être mise en défaut en Angola, la cohésion des équipes


mêlant Anciens et Modernes repose sur ces codes communs
acquis dans des unités prestigieuses de l’armée française ; elle s’ap-
puie également sur des représentations du monde et de la poli-
tique qui peuvent former un socle commun.
Chapitre 7

La défense de l’Occident en Afrique,


une forme d’ultime aventure virile

Après avoir analysé les modalités de fonctionnement du groupe


mercenaire, il convient maintenant de mesurer quels change-
ments peuvent l’avoir affecté sur le plan des motivations. Plus
de dix ans après les premières indépendances d’Afrique subsaha-
rienne, le contexte est très différent. Les enjeux de guerre froide
l’emportent sur la question de la décolonisation. Avec les engage-
ments des générations du « baby-boom », dans un monde mieux
connu grâce aux progrès d’éducation et à travers la forte pénétra-
tion sociale de la télévision, de nouvelles représentations se font
jour chez les hommes qui empruntent la voie du mercenariat.

Représentations et cultures politiques des soldats


de fortune

Le goût de l’aventure est un facteur souvent considéré comme


invariant. Il est également décrit comme un moteur dans les
engagements militaires et mercenaires. Pourtant, les travaux de
Sylvain Venayre ont bien démontré la nécessaire historicisation
de ce « goût de l’aventure1 ».

1. Cf. notamment Sylvain Venayre, La gloire de l’aventure. Genèse d’une mystique


moderne. 1850-1940, Paris, Aubier, « Collection historique », 2002, 350 p.

223
Dans l’ombre de Bob Denard

Mercenaire : une aventure virile

À partir du milieu du xixe siècle, l’aventurier devient la nou-


velle figure emblématique de l’héroïsme, comme l’illustrent les
protagonistes des Voyages extraordinaires. Jules Verne les dépeint
toujours dans des contrées encore inexplorées, dans les « blancs »
de la carte, que l’imaginaire européen peut dessiner et redessiner
à loisir. Dans ces pays exotiques, où les peuples sont forcément
sauvages, l’homme blanc peut se construire une destinée extraor-
dinaire, devenir un héros, un roi même. Près d’un siècle plus tard,
les terres à explorer sont devenues très restreintes et cet espace
d’aventure est finalement davantage réservé à des figures intellec-
tuelles (anthropologues par exemple) qu’à des militaires.
Toutefois, dans l’esprit des mercenaires, l’aventure se conçoit
comme celle des « grands ancêtres » du dernier tiers du xixe siècle ;
ils entretiennent ce que Sylvain Venayre a défini comme une
« mystique de l’aventure » pour la période 1830-1914. La dimen-
sion virile est forcément associée à celle de l’aventure. L’Afrique,
terre des découvreurs, fait figure de destination privilégiée dans
ce système de représentations. Membre de l’état-major de l’ar-
mée katangaise, Badaire témoigne en 1966 dans le documentaire
Les aventuriers d’Alain de Sedouy qu’il a rêvé toute son enfance
devant une gravure représentant un coin d’Afrique accrochée à
un mur de sa chambre. Engagé avec Denard à partir du Congo au
milieu des années 1960, Gunther Vosseler reconnaît é­ga­lement
qu’« enfant, il avait lu des récits épiques, colorés, enivrants.
L’Afrique le faisait rêver et l’obsédait irrésistiblement ».
Les contextes historiques mais aussi familiaux peuvent être
des facteurs supplémentaires de cet attrait pour le continent noir,
espace absolu d’aventure : « À douze ans, un soir, il avait quitté
la maison, était allé à la gare et, à la barbe des sentinelles […],
en cet été 1942, il était monté dans un train transportant des
renforts pour Rommel. Il s’était caché dans les toilettes et s’était
fait prendre à la frontière italienne. On l’avait renvoyé chez lui

224
La défense de l’Occident en Afrique, une forme d’ultime aventure virile

sans félicitations. Son père, le général, était évidemment absent »,


rapporte Michel Desgranges pour éclairer la figure de Vosseler1.
Deux ans plus tard, celui-ci fait une nouvelle tentative pour rallier
l’Afrique et finalement, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale,
il rejoint les rangs de la Légion étrangère française. Se mêlent
visiblement dans l’esprit du jeune Vosseler les images sublimées
d’Histoire des premiers colonisateurs à la fin du xixe siècle, des
échos de la campagne du désert rapportés par la presse de pro-
pagande nazie et l’expérience d’un père absent pour cause de
mobilisation.
D’une génération différente, Patrick Ollivier affirme éga-
lement avec ses mots trouver dans l’Afrique, en l’occurrence la
Rhodésie, une terre qui lui offre le frisson de l’aventure, le contact
avec la nature. Il y ajoute un soupçon de critique implicite de
la société de consommation dans laquelle il a jusque-là vécu
puisqu’il s’engage comme mercenaire en 1978. Ainsi, le récit de
sa carrière s’ouvre sur les idées qu’il a en tête lors de son départ :
« Avec pour seul bagage deux livres de chevet, L’Espoir de Malraux
et Les Enfants humiliés de Bernanos, une paire de chaussures de
sport, quelques affaires de toilette et 2 500 francs […] Je ne suis
pas à la recherche du bonheur et de l’argent faciles. La Croix du
sud, l’Étoile du Scorpion, le grand Y et toutes ces étoiles filantes
des nuits australes me semblent autant d’appels au rêve, à la
méditation.

Donnez-moi, mon Dieu, ce qui vous reste


Je ne veux pas la richesse
Je veux l’insécurité et l’inquiétude
Donnez-moi ce dont les autres ne veulent pas
Mais donnez-moi aussi le courage et la force, et la foi

1. Extraits de l’ouvrage de Michel Desgranges, Les trois mercenaires, Paris, Grasset,


1979, 344 p. qui relate les expériences mercenaires de René Biaunie, Gunther Vosseler
et Lucien Lejeune à partir d’entretiens avec le journaliste Michel Desgranges.

225
Dans l’ombre de Bob Denard

Il m’aura fallu trois années de brousse et un millier de nuits


sous le ciel austral pour tenir cette certitude. Ce que demandait
le jeune aspirant Zirnheld dans sa magnifique Prière du parachu-
tiste je l’ai trouvé en Rhodésie1. »
En fait, comme au xixe siècle, l’éloignement est la première
condition pour faire vivre le mythe de l’aventure. Celle-ci
comprend­une dimension poétique et la quête de l’aventurier, y
compris lorsqu’il emprunte la voie du mercenariat pour assouvir
ses rêves, est finalement désintéressée. Un des jeunes engagés dans
l’expédition contre les Comores en 1978, Riot, a exploré diverses
voies pour s’affranchir du quotidien et vivre l’aventure. Engagé
dans l’armée française, il sert à Djibouti et en profite pour décou-
vrir personnellement la région (Yémen, Seychelles…) mais, déçu,
il ne renouvelle pas son contrat. Passionné de sports nautiques,
il envisage de parcourir le monde ainsi. Pour gagner sa vie, il
ouvre une école de voile au Brésil en 1976. Finalement, contacté
par d’anciens camarades de régiment, le « frisson de l’aventure »
passe par la participation au coup d’État de 1978 aux Comores.
On mesure combien l’appel d’horizons nouveaux l’emporte sur la
dimension politique ou militaire dans le choix de parcours d’un
soldat de fortune. Denard lui-même verse dans cette « mystique
de l’aventure » au romantisme viril : « Je me verrais bien, soldat
libre de choisir mon camp, parcourir les bouches du Mékong à la
tête d’un commando de pirates2. »
Par ailleurs, en France, la carrière dans les armées régulières
semble moins offrir le « frisson de l’aventure » que le quotidien
d’une caserne. La voie du mercenariat apporte finalement plus de
garantie de parcourir le monde, de rompre la routine militaire.
Lors de notre entretien, Lenormand associe le « goût de l’aven-
ture » à la recherche du changement. Comme Patrick Ollivier, son
basculement vers un parcours de soldat libre correspond d’abord à
une volonté de rupture avec la vie moderne, la société de consom-
1. Patrick Ollivier, Soldat de fortune, op. cit., p. 8.
2. Pierre Lunel, Corsaire de la République, op. cit., p. 38.

226
La défense de l’Occident en Afrique, une forme d’ultime aventure virile

mation qui enferme dans un quotidien répétitif. Les nouveaux


héros militaires aspirent à sortir des sentiers battus. Si Patrick
Ollivier prend notamment pour référence André Malraux, c’est
aussi pour la figure du jeune trafiquant d’œuvre d’art. Les per-
sonnalités sulfureuses ou anticonformistes incarnent bien l’idéal
des soldats de fortune. Lawrence d’Arabie se construit son propre
destin et refuse les honneurs à son retour en Grande-Bretagne.
Henri de Monfreid est également un rebelle ; il assume le statut
réprouvé du contrebandier. Le processus d’identification avec lui
paraît assez facile. Dans les romans qu’il écrit à partir de ses expé-
riences personnelles, Jean Kay plonge d’ailleurs ses lecteurs dans
cette atmosphère haute en couleur aux limites des interdits.
Très souvent, cette culture s’inscrit dans le contexte familial
ou a été construite dès l’enfance. Lenormand m’explique avoir
« été élevé avec des livres d’aventures : Kipling […] Des person-
nages comme Tancrède de Hauteville, les Normands partis en
Sicile et puis Erik le Rouge fâché avec son père qui part vers le
Groenland ! Mais même avant cela : le Club des Cinq. Et puis
il y a eu les Freikorps et même la campagne de [Léon] Degrelle,
même si ce n’est pas politiquement correct ». Pierre Bouffard se
souvient avoir été éduqué par la lecture des écrivains d’extrême
droite des années 1930 et par celle d’intellectuels contre-révo-
lutionnaires, comme Augustin Cochin sur la Révolution fran-
çaise. Il ajoute que son père militait pour le maintien français
en Algérie. La recherche d’un jardin d’Eden que l’Europe aurait
perdu de vue n’est pas absente de la démarche de ces hommes.
Ils entrent dans le cadre décrit par Sylvain Venayre pour qui « la
mystique moderne de l’aventure fut une réaction nostalgique à la
transformation supposée de l’espace mondial1 ». Or, la décoloni-
sation constitue une nouvelle étape de cette mutation de l’ordre
mondial et son rejet caractérise particulièrement les mercenaires
1. Sylvain Venayre, « chapitre 3 : La virilité ambiguë de l’aventurier » in Jean-Jacques
Courtine (sous la dir.), Histoire de la virilité. Tome 3 : La virilité en crise ? xxe-xxie siècle,
op. cit., p. 349.

227
Dans l’ombre de Bob Denard

français. Quand Pierre Chassin quitte Sciences Po en 1965, son


intention première est d’aller combattre aux côtés des « Portugais
qui, envers et contre tous, défendent les territoires que leur pays
a colonisés depuis quatre siècles1 ».
Tandis que l’historien des aventuriers note des changements
de codes qui s’inscrivent dans la « crise de la virilité » au xxe siècle,
les soldats de fortune incarnent la persistance d’un modèle
ancien : jusqu’au début du xxe siècle, les vertus mâles sont asso-
ciées à la militarité. On le mesure quand Pierre Chassin s’identifie
aux générations combattantes qui l’ont précédé lorsqu’en pleine
forêt équatoriale au Congo en 1965, il tombe à la bibliothèque
municipale d’Akéti sur Les Réprouvés d’Ernst von Salomon,
récit épique des combats menés après la défaite de 1918 sur les
marches baltes de l’empire allemand par les corps francs. « Destin
allemand de Kasimir Edschmid est un livre qui correspond tout
à fait à notre situation ; il relate l’histoire d’officiers qui, à l’issue
de la Grande guerre, vont se mettre au service de généraux sud-
américains. Ces lectures éveillent en moi le romantisme qui s’était
assoupi… Mercenaires des nations d’Occident, creuset de la nou-
velle Europe, nous nous imaginons marteler d’un pas lourd et
cadencé les pavés des Champs-Élysées2. »
Le xxe siècle y ajoute l’exhibition de corps musclés et hâlés par
le soleil des contrées lointaines comme les montrent souvent les
photos de mercenaires. Alors que le port de l’uniforme est obliga-
toire au sein du 6e BCE en RDC, les soldats privés posent torse
nu à la une des magazines français. La pilosité continue de jouer
un rôle éminent : une chemise non entièrement boutonnée ou
un débardeur laisse volontiers deviner un poitrail velu. Les armes
sont également un attribut souvent mis en valeur pour asseoir
cette image de virilité.
Si l’on suit toujours Sylvain Venayre, l’imaginaire européen
dans le premier xxe siècle est marqué par une « idéologie de l’aven-
1. Pierre Chassin, Baroud pour une autre vie, op. cit., p. 177.
2. Ibid., p. 267.

228
La défense de l’Occident en Afrique, une forme d’ultime aventure virile

ture ». Cette approche par le genre ou par les représentations nous


paraît particulièrement pertinente pour mieux cerner la figure du
mercenaire contemporain. « L’idéologie de l’aventure » est entiè-
rement tournée vers l’affirmation de l’individu contre « l’horreur
du troupeau1 ». Elle rejette les valeurs bourgeoises qui dominent
alors. Les aventuriers se démarquent toujours du commun ; ils
constituent ainsi une élite, « celle des oseurs ». Devenir merce-
naire est une voie pour atteindre ce stade des « oseurs ». Dans la
société militaire dont les valeurs traditionnelles constituent glo-
balement la colonne vertébrale, ce choix de s’inscrire en marge
des codes marque une rupture plus sensible sans doute. Mais la
transgression ne se limite pas à la société militaire. Badaire affirme
ainsi dans le documentaire Les aventuriers qu’il ne se sent pas à sa
place dans cette France des Trente Glorieuses et qu’il recherche
« quelque chose de pur, de vrai, qu’on trouve pas ici [à Paris],
on joue pas la comédie comme ici. Je ne comprends pas toute
une partie de ce pays auquel je suis étranger […]. Les gens sont
contents de leurs congés, de leur voiture, d’aller au bord de la
mer. Ils s’en foutent [de la décolonisation de l’Afrique] et pas
nous ». Henry Alain, fils de général, n’a jamais pu non plus se
réintégrer en France après son service dans les parachutistes colo-
niaux en Algérie. Malgré les efforts de son père pour lui décro-
cher un emploi, il préfère reprendre le métier des armes. Engagé
dans la LE, il rejoint l’OAS et la clandestinité. À l’aube des années
1970, à un moment où le passé d’activiste pro-Algérie française
peut être oublié, Henry Alain incarne la volonté de rupture avec
les « valeurs bourgeoises ».

D’ailleurs, installé dans les fermes gabonaises avec ses compa-


gnons d’armes, il montre que l’« idéologie de l’aventure » trouve
de nouvelles formes d’expression : « Pour ce qui est du monde
pourri, là je suis d’accord avec vous et c’est pourquoi le coin vierge

1. Sylvain Venayre, La Gloire de l’aventure, op. cit., p. 248.

229
Dans l’ombre de Bob Denard

avec de vrais hommes, de nouvelles lois et une nouvelle morale


m’attire tellement. Ne pouvant trouver ce paradis tout fait, il faut
prendre son courage à deux mains et se le fabriquer avec des gens
ayant les mêmes idéaux […]. Pourquoi pas un ranch ? Je pense
que l’idée de choisir un coin en Australie n’est pas mauvaise et est
à voir de plus près. De plus je crois que là-bas l’État fait beaucoup
de facilités aux gens qui veulent vraiment faire quelque chose
[…]. Faire une nouvelle société avec les idées que nous avons
déjà émises (avec volontaires masculins et féminins internatio-
naux – liberté sexuelle complète – interdiction pour les femmes
de refuser le mâle, un chef qui servirait de patriarche de la com-
munauté) basée sur l’exploitation d’un ranch ou d’autre chose
dans un coin perdu de l’Australie. Mais, pourquoi pas ? » écrit-il à
Bob Denard1. Finalement, l’influence de la génération des « baby-
boomers » (à laquelle il n’appartient pas) et de réflexions hippies
semble renouveler un aspect de l’aventure assez traditionnel chez
les militaires du xixe siècle.

Bâtisseurs des nouvelles sociétés, un mythe mercenaire

Surtout, le rêve de participer à la construction d’une nouvelle


société habite ces hommes. Cette ambition déçue au Gabon,
Henry Alain l’envisage dans une Australie rurale perçue comme
l’un des derniers fronts pionniers de la planète. Patrick Ollivier
s’inscrit dans la même logique : « Malgré ce qui peut être dit
ici ou là, les mercenaires qui s’engageaient en Afrique dans les
décennies passées avaient pour la plupart un goût de l’aventure
et des grands espaces ne relevant pas de la simple passion pour le
combat­ ; pour certains, un réel désir de construire quelque chose
sur place, dépassant la volonté de la guerre pour la guerre. » Pour
ces hommes dont la culture politique les renvoie à certaines épo-

1. Lettre d’Alain Henry rédigée à Moanda le 26 avril 1972, archives privées Bob
Denard, carton 29.

230
La défense de l’Occident en Afrique, une forme d’ultime aventure virile

pées du xixe siècle et du premier xxe siècle, les sociétés française et


européenne préoccupées de paix et de consommation de masse
ne sont pas des horizons possibles : « Quelle aventure extraor-
dinaire en cette fin de xxe siècle ! Cela fait rêver lorsqu’on vient
d’une Europe où la jeunesse, faute d’idéal, défile pour le SMIG
ou la retraite à 60 ans (voilà ce que sont devenus les anciens com-
battants soixante-huitards) », écrit encore (a posteriori) Patrick
Ollivier1.

Au-delà du cas d’Henry Alain qu’on pourrait prendre pour


une figure fantaisiste non représentative, la préoccupation de par-
ticiper à l’émergence de sociétés nouvelles, comme avaient pu le
faire les pionniers du xixe siècle à leur façon, habite l’imaginaire
des mercenaires. Tel était déjà le cas dans leur discours en RDC,
la décennie précédente. Bob Denard lui-même suit cette voie,
plus particulièrement dans les moments de rupture au cours de
sa carrière, lorsqu’il se pose des questions sur son avenir. Après le
Biafra, il écrit ainsi à Omar Bongo : « Je propose à nouveau d’ai-
der le Gabon sur les questions de prix des importations en utili-
sant le Cabo Verde pour livraisons notamment de produits frais.
L’avantage du Cabo Verde est qu’il est immédiatement disponible
et qu’il dispose d’un équipage efficace en qui j’ai confiance. Ce ne
sont pas nos amis qui se laisseront convaincre par les divers argu-
ments habituels, de refuser de m’aider à résoudre ce problème
vital et que messieurs les importateurs n’ont aucun intérêt à me
voir résoudre, dût le Gabon en périr. Si vous étiez d’accord sur
notre proposition, je vous demanderais par ailleurs d’aider nos
amis à obtenir les meilleurs prix à Abidjan pour des fruits, pri-
meurs, conserves, etc. Dans un second temps, je voudrais réé-
quiper le Cabo Verde en chalutier et constituer ici une compa-
gnie de pêche. C’est un autre scandale du Gabon que ses possi-
bilités du point de vue de la pêche soient si mal exploitées… Je

1. « Mercenaires et volontaires », Le Petit Crapouillot, op. cit., p. 44.

231
Dans l’ombre de Bob Denard

suis ­certain de réussir mais il me faut pour cela des moyens auto-
nomes, c’est-à-dire pouvoir échapper à la conjuration des intérêts
privés… Voici donc les raisons pour lesquelles je souhaiterais dis-
poser du Cabo Verde. Sur le plan pratique, serait-il possible soit
de le vendre au Gabon (avec les meilleures conditions de crédit
si possible afin que cela ne me pose pas de problème de trésore-
rie) soit de nous établir un contrat de location-vente1 ? » Certes,
il est animé par le besoin d’accumuler des réserves financières en
vendant le navire. Toutefois, le discours est également empreint
d’honnêteté. La récurrence de réflexions voisines au cours de la
carrière du mercenaire accrédite en tout cas une telle assertion.

Une constante dans l’engagement : la lutte contre


le communisme

Les représentations jouent ainsi un rôle majeur dans l’enga-


gement. Tandis que les poncifs veulent que le soldat privé s’op-
pose au volontaire armé par son indifférence ou son cynisme
politique, la lutte anticommuniste est motrice pendant la guerre
froide, y compris dans la période de la Détente (voir carte page
442). En Angola, les mercenaires ont vraiment le sentiment
d’être des remparts contre des guérillas subversives marxistes sur
le modèle de l’Indochine puis du Vietnam. Pour Bosco, il n’y a
pas d’ambiguïté sur la nature de l’ennemi : « Une fois de plus,
les mecs d’en face sont des Rouges, le reste nous importe peu2. »
Le schéma est sen­si­blement le même pour la Rhodésie ; l’afflux
de volontaires dans la 7th Independent Company, et sans doute
encore davantage dans les Greys’s Scouts ou l’infanterie rhodé-
sienne, s’inscrit dans cet imaginaire d’un front anticommuniste.
En vue de l’opération au Bénin, le mot d’ordre dans le recru-
tement de « nouveaux » repose également sur la lutte idéolo-
1. Lettre dactylographiée de Bob Denard à Omar Bongo du 20 février 1970,
archives privées Bob Denard, carton 74.
2. Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit.

232
La défense de l’Occident en Afrique, une forme d’ultime aventure virile

gique. Lenormand témoigne devant le juge d’instruction qu’« un


nommé “Bernard”, sans autre précision d’identité, ni d’adresse,
au cours d’un RDV dans une brasserie des Champs-Élysées lui
proposa de travailler dans le but de lutter contre le commu-
nisme international en Afrique, moyennant une rémunération
de 6 000 francs par mois1. »
Témoignant après l’échec du coup d’État contre Mathieu
Kérékou, Alain Chevalerias manifeste également un engagement
anticommuniste évident dans la relation qu’il livre de l’opé-
ration. Il imagine que le chef du commando a été « retourné »
pour empêcher la réussite de l’opération : « On en vient à penser
que, acheté par une puissance ennemie du Gabon et du Maroc,
le colonel Bourgeaud [Denard] a joué les agents doubles. Alors
tout devient clair : le Gabon et le Maroc décident de renverser
le régime marxiste du Bénin. Le colonel Bourgeaud est chargé
de l’aspect militaire. Les services de renseignement adverses ont
vent du projet. Ils contactent Bourgeaud et lui proposent de lan-
cer l’opération et de se replier en prétextant la supériorité de feu
de l’ennemi. Il devra abandonner sur le terrain des documents,
y compris les dossiers établissant sa participation et son identité.
Ainsi il sera couvert vis-à-vis de ses employeurs et touchera de
l’argent des deux côtés2. »
Finalement, Alain Chevalerias appuie son argumentaire sur
les clichés classiques du mercenaire prêt à se vendre au plus
offrant. Ici Denard accepterait de travailler pour les services du
bloc de l’Est en découvrant les commanditaires de l’opération
qu’il mène à l’échec. En effet, la perte sur l’aéroport de Cotonou
d’une cantine pleine de documents permet au Bénin puis à
l’opinion internationale de disposer d’abondantes informa-
tions avérées sur la tentative de coup d’État. Les thèses d’Alain

1. PV du parquet de la cour d’appel de Paris, chambre d’accusation n° 2624/86,


archives privées Bob Denard, carton 29.
2. Opération Bénin : un mercenaire parle, mémoire dactylographié fait à Paris par
Alain Chevalerias le 11 avril 1977, archives privées Bob Denard, carton 29.

233
Dans l’ombre de Bob Denard

Chevalerias ne sont guère convaincantes. Aucune autre source


ne vient étayer l’idée d’un « retournement » du chef mercenaire.
L’homme avait beaucoup trop à perdre en étant personnellement
identifié. D’une part, il fait l’objet de poursuites judiciaires.
D’autre part, il perd une grande partie de la crédibilité qu’il avait
acquise à mener des opérations commandos contre un régime
africain. Enfin, ce serait prendre le risque de voir ses hommes se
désolidariser de lui ; beaucoup d’entre eux étant animés comme
Alain Chevalerias d’un anticommunisme virulent. Seul celui-ci
peut expliquer comment Chevalerias en vient à imaginer un tel
scénario.

Mercenaires et volontaires : un engagement au sein


des droites radicales

Dans ce cadre de la guerre froide, les appuis des puissances


communistes (URSS, Chine et Cuba) nourrissent les guérillas.
Les mercenaires français sont très largement mus par la volonté
de voir triompher le bloc de l’Ouest. Au Biafra, contrairement
aux Anglo-Saxons, ils sont tous demeurés au service du camp
occidental. Cependant, ils ont connu depuis un profond renou-
vellement générationnel. Le ciment de leur action repose pour-
tant toujours sur cet engagement dans la guerre froide. Des
inflexions dans les cultures politiques des « chiens de guerre »
s’opèrent pourtant. Certes, elles continuent de relever des droites
radicales. Dans les années 1960, l’opposition à la décolonisa-
tion est le réel facteur de l’entrée de nombreux militaires dans la
voie du mercenariat. S’ils sont passés par l’OAS ou partagent les
valeurs Algérie française, tous ne sont pas forcément maurras-
siens ou nationalistes.
Dans la décennie 1970, Bob Denard semble partager les opi-
nions de son ami Maurice Robert. Celui-ci développe parallèle-
ment des idées qu’il veut partager avec les Français. À partir de
1975, il lance La Lettre de l’homme libre. Peut-être est-elle en par-

234
La défense de l’Occident en Afrique, une forme d’ultime aventure virile

tie inspirée par Georges Albertini, ex-bras droit de Marcel Déat1.


Le discours anticommuniste est la toile de fond de ses propos. En
réalité, écarté des services secrets, Maurice Robert se perçoit tou-
jours comme un « serviteur de l’État », comme un représentant
de la raison d’État. Pour lui, celle-ci passe par un attachement
clair au camp occidental et par la lutte contre les groupes suscep-
tibles d’apporter la déstabilisation à l’échelle mondiale ou hexa-
gonale. Finalement, les liens entre Maurice Robert et les merce-
naires dans les années 1970 s’inscrivent dans la pleine continuité
du combat partagé en Mai 68 dans le cadre des CDR.
Cet engagement dépasse le seul cadre du mercenariat, remet-
tant en cause la définition même du terme ou la légitimité à
l’utiliser pour désigner un certain nombre d’acteurs français de
la période. Ainsi Jean Kay est-il une figure à la fois singulière et
représentative. Né en 1943, l’homme fait la guerre d’Algérie et
fait partie de l’OAS. Entré ensuite dans le groupe mercenaire de
Faulques, il combat successivement au Yémen puis au Biafra. Il
rejoint ensuite le Liban où il entraîne les phalanges chrétiennes de
Gemayel. Partageant de cœur la lutte du mouvement sécession-
niste du Pakistan oriental (qui deviendra le Bangladesh), il réalise
une prise d’otages sur un vol de la compagnie nationale pakista-
naise pour médiatiser cette lutte. Emprisonné, il écrit des romans
inspirés de ses expériences personnelles. Après un nouveau pas-
sage au sein des phalanges libanaises, il rejoint le FLEC en 1974,
convaincu que leur cause est juste. Avant l’équipe de Denard en
1976, il anime ainsi un petit groupe de combattants qui affronte
le MPLA. Obligé de fuir devant les armées victorieuses procom-
munistes qu’il affronte, Jean Kay fréquente à Paris les milieux mer-
cenaires et l’OAS. Il est notamment en relation avec les ravisseurs
du PDG de Phonogram que connaît é­ga­lement Bob Denard, ce
qui entraîne la brève arrestation de ce dernier en 1976.

1. Maurice Robert le nie toutefois (Maurice Robert, Ministre de l’Afrique, entretien


avec André Renault, op. cit., p. 247).

235
Dans l’ombre de Bob Denard

En tout cas, les combats mercenaires de Jean Kay ont, pour lui,
une cohérence avec son engagement pour les milices de Gemayel
au Liban. D’autres hommes de même profil mais appartenant à la
génération suivante prennent le chemin du Liban. Issu du GUD,
Lenormand illustre la dimension idéologique d’une partie des
soldats de fortune français. Après le Liban, il combat dans la 7th
Independent Company où convictions politiques et aspects plus
conventionnels du mercenariat se mêlent. En 1977, il participe
à l’opération de Denard contre le Bénin. Peu à peu, Lenormand
bascule donc d’un engagement purement idéologique vers ce
mercenariat politisé.
Avec le renouvellement générationnel, la question de la
puissance française s’estompe dans l’ère post-1968 en France.
Auparavant, nationalisme et défense de l’empire colonial étaient
étroitement associés. Pierre Chassin est au lycée quand il participe
pour la première fois à une manifestation Algérie française orga-
nisée par Jeune Nation. Honoré de Condé passe également par
cette organisation dans sa jeunesse. Dans les années 1970, une
nouvelle forme de rapport au nationalisme, adossée à la défense
de l’Occident contre le communisme, s’impose. Patrick Ollivier
en témoigne à propos de son engagement en Rhodésie : « Le com-
bat n’est plus tout à fait contre le communisme mais, pour la
Rhodésie, dans le bush, nous avons l’impression de construire
une nation [on remarque au passage la référence au mythe bâtis-
seur], de vivre un nationalisme1. » L’homme est peut-être, au sein
de cette nouvelle génération, celui qui incarne le mieux le ques-
tionnement sur le nationalisme, l’occidentalisme dans la guerre
froide et les identités nationales, qui le conduit au mercenariat.
En tout cas, il est celui qui l’a le plus précisément décrit.
L’ancien parachutiste de l’infanterie de marine témoigne des
recrutements dans les lieux fréquentés par la jeunesse d’extrême
droite. Le café du « Chat Noir », à deux pas de la rue de Rivoli, est

1. « Mercenaires et volontaires », Le Petit Crapouillot, op. cit., p. 45.

236
La défense de l’Occident en Afrique, une forme d’ultime aventure virile

un de ces cercles de sociabilité des droites radicales où se croisent


anciens du GUD, étudiants prêts à rejoindre les Phalanges chré-
tiennes libanaises et ceux qui, comme lui, ont préféré la Rhodésie.
Lenormand se souvient également du « Chat Noir » et fait partie
de ceux qui choisissent de prendre la route de Beyrouth. Pour
Patrick Ollivier, ce sera donc la minorité blanche ségrégationniste
au pouvoir en la personne de Ian Smith et l’affrontement avec la
guérilla noire et communiste. Dans l’avant-propos de son pre-
mier témoignage Commandos de brousse (publié en 1985), il se
perçoit comme « témoin les armes à la main, engagé volontaire au
service d’une cause “anachronique” et un peu folle1 ».
Dans une interview de 1994, Patrick Ollivier revient sur les
circonstances et les conditions dans lesquelles il franchit le pas et
part pour Salisbury. Dans ses Mémoires comme dans les nom-
breuses interviews qu’il a pu donner à la presse, l’homme se
revendique ouvertement du royalisme et du maurrassisme : « Puis,
voilà 1974 et la campagne présidentielle. Pour moi, c’est la cam-
pagne Renouvin. Échec complet […]. Au niveau de l’image de
marque, les royalistes ont réussi leur opération mais le bilan géné-
ral est négatif. Le mouvement ne décolle pas, bien au contraire.
Qu’importe ! je suis maurrassien, je le resterai ! Je préfère Saint-
Louis à Paul Deschanel… question de goût ! » De cet échec dans
son engagement politique en France, le futur mercenaire reven-
dique le choix d’une cause à laquelle il adhère politiquement.
« Qu’une poignée de Blancs réussisse le tour de force de renver-
ser le “cours de l’Histoire” et crée une nation où, coude à coude,
Noirs et Blancs se battent pour un devenir commun, cela contre le
reste du monde, ne pouvait que me séduire. Peuple de bâtisseurs,
peuple de soldats – peut-être suis-je sensible au mythe du moine-
soldat ? Pourquoi pas ? Pas question de mercenariat ! L’armée rho-
désienne est une armée régulière, disciplinée. Chaque soldat est
l’héritier des pionniers bâtisseurs d’empires2 ! » Bien entendu, la
1. Patrick Ollivier, Commandos de brousse, op. cit., p. 7.
2. « Mercenaires et volontaires », Le Petit Crapouillot, op. cit., p. 42-43.

237
Dans l’ombre de Bob Denard

cause rhodésienne entre en adéquation avec la culture politique


initiale de Patrick Ollivier. Toutefois, y compris à l’issue de sa
carrière de mercenaire (sur laquelle on reviendra puisqu’elle se
déroule essentiellement dans les années 1980), l’homme reven-
dique une posture de volontaire international armé.

Un petit groupe d’hommes qui apparaît dans la seconde moi-


tié des années 1970 et correspond à ce profil peut être identi-
fié. Parmi eux, l’un des amis de Lenormand, René Resciniti, é­ga­
lement passé par le Liban et la 7th Independent Company, par-
ticipe comme lui au coup contre le Bénin. Militant du groupe
Restauration monarchique dans les années 1970, il reste proche
des milieux royalistes jusqu’à la fin de sa vie. Après sa mort le
17 avril 2012, il est désigné comme « Gustavo », l’homme qui a
exécuté le militant d’extrême gauche Pierre Goldman le 20 sep-
tembre 1979. Cette opération a alors été conçue dans les milieux
nationalistes comme la réponse à l’assassinat de François Duprat
l’année précédente1. Théoricien d’un nationalisme révolution-
naire qui cherche à réhabiliter le fascisme, défenseur des thèses
négationnistes sur la Shoah, l’homme est alors numéro 2 du
Front national.

Typologie des mercenaires français

On pourrait décrire ces hommes comme des « mercenaires


idéologisés ». À l’instar de Patrick Ollivier qui se réclame du volon-
tariat international, on mesure à quel point les deux catégories ne
sont pas étanches. On reviendra plus loin (et notamment pour la

1. Selon la lettre du journaliste d’extrême droite Emmanuel Ratier publiée dans


Faits et documents, n° 336, 15 mai 2012. En fait, René Resciniti aurait lui-même
témoigné mais sous couvert d’anonymat dans un documentaire de Michel Despratx
diffusé en 2010 par Canal +. Voir notamment « L’identité de Gustavo, l’homme qui
dit avoir tué Pierre Goldman enfin révélée », Le Monde, 22 mai 2012.
http://droites-extremes.blog.lemonde.fr/2012/05/22/gustavo-lhomme-qui-dit-
avoir-tue-pierre-goldman-est-decede consulté le 9 avril 2013.

238
La défense de l’Occident en Afrique, une forme d’ultime aventure virile

période des années 1980) sur ce point. Notons d’ores et déjà que
la distinction classique entre mercenaires et volontaires interna-
tionaux ne tient pas si l’on place l’analyse au niveau des parcours
individuels. Il s’agit de catégories qui désignent des groupes. La
différenciation repose essentiellement sur la hiérarchie des moti-
vations entre aspects économiques et politiques. Il convient éga-
lement de formuler l’hypothèse que la porosité est plus forte entre
volontaires internationaux engagés dans des « causes de droite » (y
compris radicales) que dans des « causes de gauche » car le rapport
culturel à l’argent, et donc à l’acceptation de soldes très géné-
reuses, est mieux assumé. Le lien entre porosité des deux catégo-
ries et rapport à la virilité et à la violence, davantage sublimées
dans la culture des droites radicales qu’à gauche, doit également
être interrogé. En tout cas, réduire le mercenariat à la dimen-
sion idéologique qui habite une partie de ses acteurs demeure
insatisfaisant. Malgré l’aspect simplificateur d’un tel exercice, il
s’agit donc de tenter maintenant de construire une typologie des
« chiens de guerre ».

La « barbouzerie » : les mercenaires, corsaires de la République


Dans cette période des années 1970, les mercenaires français
sont de plus en plus liés aux services secrets ou à d’anciens hauts
serviteurs de l’État (réseaux Foccart). Le changement d’identité de
Bob Denard en Gilbert Bourgeaud symbolise les facilités accor-
dées par la « Boîte » ; l’association avec Maurice Robert à la tête
de la SGS, « vitrine » officielle des soldats privés, traduit les rela-
tions avec les hommes issus du système gaullien en Afrique. Le
sen­timent de servir son pays, mais dans un cadre moins conven-
tionnel que les forces armées traditionnelles (ou même que le
SDECE), est présent chez une partie des hommes.
La porosité continue d’être très importante aussi entre merce-
nariat et service Action. Les deux hommes envoyés en éclaireurs
par Bob Denard lors de la préparation pour la prise d’­Anjouan

239
Dans l’ombre de Bob Denard

en 1975 ont ainsi des parcours très éclairants à cet égard. Le pre-
mier, Thaddée Surma, est un ancien membre du service Action
qui a servi en Indochine puis en Algérie avant de rejoindre la
GP gabonaise. Le second, Roland Raucoules, a également fait
l’Algérie­. Passé par l’OAS, il devient mercenaire au Biafra.
Comme une partie de ses compagnons d’armes, il rejoint la GP
d’Omar Bongo comme pilote. Il participe ensuite à de nouvelles
opérations des soldats de fortune. Ainsi achemine-t-il l’équipe de
Denard entre Moroni et Anjouan en 1975. Or, ce mercenaire
disparaît en 1978 dans une opération en Libye. Travaillant avec
Michel Winter (lequel a émargé au SDECE), Raucoules aurait
reçu mission des services français et américains de ravitailler en
armes les Tchadiens qui résistent alors aux ambitions de la Libye.
Leur avion est probablement abattu par la chasse libyenne1.
Même chez les hommes qui n’ont pas servi durablement dans
l’armée française et n’ont jamais intégré les services secrets, le
patriotisme n’est pas absent. Bob Denard en fait la ligne direc-
trice de son action lorsque vient le temps des justifications de
ses actes dans les années 1990 avec l’ouvrage Corsaire de la
République. Moins emblématiques, d’autres mercenaires sont
animés par des motivations sans doute assez voisines. Dès 1981,
l’un d’eux affirme dans une interview : « Nous sommes des sol-
dats de la liberté. Croyez-moi, si nous n’avions pas été en quelque
sorte le bras séculier, le fer de lance d’une certaine politique fran-
çaise, là où le SDECE ne pouvait pas se mouiller officiellement,
nous n’aurions pas bénéficié du soutien, des appuis que nous
avons rencontrés au plus haut sommet. En Angola, par exemple !
Ce que je peux vous assurer, c’est que Foccart lui-même puis
Journiac, son successeur à l’Élysée, ont connu, approuvé et par-

1. Le secret défense est toujours opposé aux familles qui demandent des
éclaircissements sur cette affaire. Voir notamment « Au service de Bongo », La
Dépêche, 29 juillet 2007.
http://www.ladepeche.fr/article/2007/07/29/390067-au-service-de-bongo.html
consulté le 10 avril 2013.

240
La défense de l’Occident en Afrique, une forme d’ultime aventure virile

fois financé quelques-unes de nos opérations. Personnellement


j’ai l’esprit bleu-blanc-rouge. Ça tient de famille. Mon père est
un haut fonctionnaire qui a passé toute sa vie au service de l’État.
Et c’est ainsi que je me suis engagé avec le Vieux [Bob Denard]1. »
On aurait ainsi une catégorie d’acteurs des opérations mer-
cenaires qui seraient à mi-chemin entre le statut de « chiens de
guerre » et celui de membres des services spéciaux. On pour-
rait les désigner par le terme argotique de « barbouzes », tant les
objectifs de ces hommes sont obscurs. Cette catégorie pose, en
effet, de nombreuses questions. Le SDECE préfère-t-il libérer ses
employés de leur obligation pour les opérations les plus risquées ?
Assument-ils finalement pour l’État des actions clandestines qui,
si elles étaient découvertes, ne doivent pas pouvoir être imputées
au SDECE ? Ce dernier préfère-t-il confier certaines missions à
des têtes brûlées de la « Boîte » plutôt que de missionner un Bob
Denard plus indépendant ? Ces hommes permettent-ils aux ser-
vices, en fait, de garder un œil sur lui en ayant un des leurs au
sein des équipes sur le théâtre des opérations ? Au contraire, le
SDECE intègre-t-il beaucoup d’anciens mercenaires, au risque
d’une fidélité et d’une obéissance plus relatives ?

Les mercenaires baroudeurs

Une autre catégorie se dégage ; elle correspond davantage au


profil habituellement décrit des « chiens de guerre ». Ces hommes
seraient motivés par le baroud, l’argent facile, les filles… Ce
groupe largement représenté est sans doute le profil qu’apprécie
le moins Bob Denard sur le plan professionnel ; il a cependant de
solides amitiés parmi ces hommes. Ainsi l’idée qu’il aurait cher-
ché à se débarrasser d’eux, alors qu’il prépare de nouvelles opéra-
tions, en les envoyant en Rhodésie au sein de la 7th Independent
Company, accrédite-t-elle une certaine défiance vis-à-vis de

1. « Je suis un mercenaire », Paris-Match, 1981.

241
Dans l’ombre de Bob Denard

­ ercenaires qu’on pourrait également qualifier d’aventuriers ou


m
de vrais francs-tireurs. Armand Ianarelli cherche à capitaliser sur
l’image du baroudeur. Il obtient ainsi le poste de chef de la sécu-
rité des « filles » de Madame Claude.
Une partie de ces hommes sont principalement inspirés par
leurs représentations de la virilité. Chez eux, la dimension poli-
tique ou patriotique ne doit pas être niée mais elle n’est sans doute
pas le moteur principal de leur engagement. Le travail de « chien
de guerre » n’occupe parfois qu’une partie de leur vie. Cette activité
alterne avec des périodes d’« aventures » plus classiques, comme
des tours du monde par voie maritime, qui montrent un certain
hédonisme. Barbe et visage rond, Michel Loiseau alias Le Bosco
incarne ce type d’hommes. À plusieurs reprises, il s’éloigne pen-
dant de longs mois, voire davantage, du microcosme des soldats
de fortune. Il assume ainsi son indépendance vis-à-vis de Denard.
Il est à la fois fidèle, répondant systématiquement aux appels du
chef, et critique, n’hésitant pas à adopter un ton piquant pour
décrire les travers de ce même Denard. L’homme est surtout un
aventurier, écumeur des mers.
Après le Biafra, le trafic sur le Mi Cabo Verde et l’échec du
projet d’opération en Libye, Bosco fait la saison de yachting en
Méditerranée. Puis il rejoint un groupe d’orpailleurs dans la forêt
guyanaise. Il vit quelque temps aux Antilles avant de rejoindre
un ami aux Nouvelles-Hébrides. Il assiste celui-ci dans son tra-
vail de contremaître sur des exploitations maraîchères, mais pro-
fite surtout de « ce pays qui avait l’air d’être en vacances perma-
nentes ». Pourtant, le Bosco revient et s’enrôle sur un cargo de
la Compagnie des Chargeurs qui l’emmène sur la côte ouest
africaine avant de livrer des fruits exotiques aux États-Unis. Il
navigue dans le Pacifique, revient à Panama et rentre en France
comme barman sur un bateau de croisière.
À son retour, il reprend contact avec le milieu des mercenaires.
Il fait partie de l’équipe envoyée en Angola où il fait figure de
principal « frondeur » contre André Cau à la tête des Anciens.

242
La défense de l’Occident en Afrique, une forme d’ultime aventure virile

« Dégradé » pour avoir trop montré son indépendance, il poursuit


cependant son service auprès de Bob Denard avec le coup d’État
manqué au Bénin. Marin expérimenté, il est retenu pour l’expé-
dition maritime vers les Comores sur l’Antinea. Toutefois, après
le coup d’État et l’installation des « chiens de guerre » à Moroni,
lui ne souhaite pas rester. Cette vie militaire sédentaire ne saurait
lui convenir.
Cet élément est sans doute un critère d’identification assez
valide pour reconnaître un mercenaire baroudeur. Ils sont plu-
sieurs à refuser de demeurer aux côtés de leur « patron » aux
Comores en 1978. Malgré l’importante dimension idéologique
de son engagement, la longue carrière de Lenormand s’explique, je
crois, par le goût du baroud, des émotions fortes. Lorsqu’au cours
de notre entretien, il évoque la période de son combat politique
étudiant, il confie : « En fait, l’idéologie était secondaire, c’était
proche du zéro. » Telle est l’impression que l’on peut aujourd’hui
ressentir lorsqu’il revient sur son parcours. Il laisse transparaître
l’envie de nouveaux horizons, de nouvelles aventures lorsqu’il
parle de sa rupture définitive avec Bob Denard (lequel lui avait
pardonné l’« infidélité » pour Dulac lors de l’opération au Tchad
en 1983), alors qu’il travaille pour Affrétair au Gabon : « J’ai eu
envie de faire autre chose ; à nouveau1 ! »
La soif de nouveaux horizons géographiques, voire profes-
sionnels, s’accompagne souvent d’une grande curiosité, d’un réel
intérêt pour les sociétés autochtones au sein desquelles les merce-
naires baroudeurs sont immergés. À ce titre, cette catégorie s’ins-
crit en totale opposition avec l’image de racisme ou de néocolo-
nialisme qui est souvent accolée aux « chiens de guerre ». Ce sen-
timent peut également entraîner des contradictions entre ce « moi
profond », cette attitude et des idées politiques qu’ils revendiquent
à un moment ou un autre de leur vie. Michel Loiseau exprime
très souvent son adhésion aux modes de vie des p ­ opulations qu’il

1. Voir en troisième partie.

243
Dans l’ombre de Bob Denard

rencontre au cours de ses voyages (comme mercenaire ou comme


marin au long cours). Il résume sa pensée à propos des Nouvelles-
Hébrides : « J’aimais ce genre de pays où toutes les races sont
mélangées dans la plus grande harmonie. »

Les mercenaires « gangstérisés »


Comme on l’a observé au cours de la décennie 1960, les flux
financiers clandestins accompagnent et sont partie intégrante
des opérations mercenaires. Très souvent, dans les périodes de
moindre activité combattante mais aussi à la faveur de contrats
dans de nouveaux États, certains envisagent de gagner davantage
d’argent.
Ce penchant est accolé aux représentations des mercenaires,
comme nous l’avons observé. Il ne s’agit pas de nier les aspects
pécuniaires dans les motivations de ces hommes. Ils le recon-
naissent bien volontiers, comme « Max » Vigoureux de Kermorvan
répétant à plusieurs reprises lors de notre entretien que l’« oseille »
était [s]on principal moteur. Cette raison semble pourtant large-
ment minoritaire dans le groupe et la période observée. Le pas-
sage à l’acte dépend également des circonstances. De ce point de
vue, l’opération en Angola est éclairante. Outre le ti­raillement
entre Anciens et Modernes, l’absence de légitimité du chef de
terrain ouvre la porte aux bas instincts de certains. Alors que
Bob Denard a construit sa réputation sur la bonne tenue de ses
hommes, lorsqu’ils sont davantage livrés à eux-mêmes, ils tombent
dans des travers qui nuisent également à la solidité et à l’efficacité
du groupe. Par exemple, le soldat privé désigné sous le sobriquet
de Lulu dans les Mémoires de Michel Loiseau s’illustre­davan-
tage par ses combines que par sa science du combat. Après avoir
pu trafiquer des stocks de vins français sur le port de Benguela,
il essaie de flouer les Angolais avec des faux diamants. Michel
Loiseau rapporte que De Chivre lui montre « un de ses cailloux.
On y lit très nettement le S du Securit des pare-brise […]. Lulu

244
La défense de l’Occident en Afrique, une forme d’ultime aventure virile

est un de ces gars qui croient que tous les Africains vivent dans
les arbres avec un os dans le nez ». Les autres s’inquiètent des
répercussions que pourraient avoir les trafics de leur compagnon
d’armes sur leur petit groupe : « Il va nous faire buter. »
D’autres « facilités » réapparaissent comme sur tous les théâtres
d’opérations où le pouvoir politique (et donc la chaîne judi-
ciaire) n’est pas clairement établi : « Vito explique qu’il a pillé une
épicerie à Chila. » Personne ne lui en fait le reproche, alors que
Chila est une ville aux mains de l’UNITA que servent les mer-
cenaires. Au contraire, « on boit le coup [de la bière volée à l’épi-
cerie] au milieu de l’avenue, sous les yeux des gens un peu éton-
nés1 ». Ainsi, comme lors des raids dans la forêt dense congolaise
dans les années 1960, les circonstances sont un facteur majeur
des transgressions que s’autorisent certains hommes. Les oppor-
tunités offertes par le fonctionnement des régimes africains et
les réseaux dans lesquels ils s’insèrent font que certains soldats
­privés quittent pro­ gres­
si­vement cette fonction pour endosser
l’habit de l’affairiste. Armand Ianarelli est l’un d’eux2. Installé en
Centrafrique pour la sécurité des brasseries Castel, il devient un
homme d’affaires proche du président Bozizé, dirigeant notam-
ment la SODIF, douane privée. Il pourrait ensuite être mêlé à
différents trafics : armes, ensevelissement clandestin de déchets
dangereux3…
De plus ou moins grande gravité, ces délits pourraient être per-
çus comme relevant de l’esprit « combinard » du mercenaire fran-
1. Extraits de Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit.
2. On remarque que cette appartenance aux « mercenaires délinquants » se double
pour Armand Ianarelli de celle de mercenaire baroudeur dans laquelle on l’a déjà
classé. Bien entendu, les catégories décrites sont des constructions intellectuelles,
non exclusives et qui peuvent ne rendre compte que d’un moment du parcours de ces
mercenaires. On cherche ici à dégager de grands traits qui ne peuvent rendre compte
de la complexité de personnalités diverses et insuffisamment bien connues.
3. Voir de nombreux articles de presse sur son rôle aux côtés du président Bozizé,
notamment le blog de Vincent Hugeux de L’Express http://blogs.lexpress.fr/afrique-
en-face/2012/12/28/rca-bozize-aux-abois/ consulté le 17 mars 2013 ou encore
« Armand Ianarelli, l’ami français du président Bozizé », La Lettre du Continent,
n° 644, 11 octobre 2012.

245
Dans l’ombre de Bob Denard

çais. Tandis que dans les années 1960 les débordements semblent
se limiter au cadre de régions isolées d’Afrique, certains hommes
prennent des habitudes de transgression de la loi dont ils n’ar-
rivent plus à se débarrasser dans les années 1970. Ils ne voient
plus la limite entre ce qui est rendu possible par les circonstances
sur un théâtre d’opérations et ce qui ne l’est pas dans une société
normée et régulée à leur retour en Europe. Certains basculent
alors vers la grande délinquance et le crime organisé. Parmi les
membres de la 7th Independent Company, deux Français sont
arrêtés par les Rhodésiens, jugés et exécutés pour crimes crapu-
leux. Ancien boxeur, Jacques Lafaille est volontiers flambeur. Il
sert de garde du corps à Alain Delon à la fin des années 1960 et
joue de petits rôles dans Paris brûle-t-il ? et dans Borsalino.
En 1994, il est jugé pour une attaque au fourgon blindé le
2 janvier 1979 avec des membres du grand banditisme dans la
région nantaise1. Jacques Lafaille est également impliqué pour des
braquages en Île-de-France et dans le Sud-Ouest. Son nom est
enfin cité dans des mitraillages de civils sur des parkings de super-
marchés en Belgique (affaire des « tueries du Brabant ») au début
des années 1980. Son parcours n’est sans doute pas isolé. En effet,
dès 1977, Yves Boisset porte à l’écran une figure très voisine de
celle de Jacques Lafaille. Dans le film Le Juge Fayard dit le Shériff
avec Patrick Dewaere, inspiré par l’affaire de l’assassinat du juge
Renaud en 1975, le personnage de Joanno, dit le Capitaine, a été
mercenaire. Passé par le Katanga, Joanno orchestre notamment
un braquage de fourgon blindé et est devenu porte-flingue d’un
député proche du SAC, ancien de l’Algérie française. L’ancien
« Affreux » est l’homme des basses besognes de l’affairiste qui fait
transiter de l’argent sale depuis la Suisse.
Les plongées de Jacques Lafaille dans le banditisme s’inter-
calent entre les opérations mercenaires ou pour les services secrets
1. « 1975-1990 : le Milieu à la conquête de l’ouest », Le Télégramme, 30 décembre 2008.
http://www.letelegramme.fr/ig/dossiers/nantes/1975-1990-le-milieu-a-la-conquete-
de-l-ouest-30-12-2008-184314.php consulté le 17 mars 2013.

246
La défense de l’Occident en Afrique, une forme d’ultime aventure virile

français. Son parcours pose en réalité deux questions. La pre-


mière est celle du maintien du niveau de vie de ces hommes habi-
tués à l’argent facile, entre des opérations espacées. Plus fonda-
mentale, la seconde est liée à leur capacité à réussir une recon-
version. Ces hommes ont vécu en marge des modes de vie cou-
rants en Europe (salariat, hiérarchie d’entreprise ou de fonction
publique, vie familiale et sociale établie…). Ils se sentent très liés
entre eux. L’esprit qui anime le groupe est assez semblable à celui
de mafias, en marge des sociabilités traditionnelles. Il se carac-
térise par les relations à la fois hiérarchiques de type militaire,
mais aussi clientélistes qu’entretient le chef avec ses hommes. La
similitude repose également sur la clandestinité des activités et
le frisson que cela suppose. Finalement, au moment du retour
à la vie « civile », le banditisme (dont les réseaux s’entrecroisent
avec ceux du mercenariat par le biais de certaines officines) serait
fi­na­lement un cadre de « reconversion » qui paraîtrait plus adapté
à certains. Enfin, une troisième hypothèse pourrait être celle de
leur (naïve ?) croyance en l’impunité car ils ont été liés aux réseaux
occultes de l’État et aux services secrets dans le cadre de la guerre
froide. À l’instar du personnage de Joanno dans Le Juge Fayard
dit le Shériff, Jacques Lafaille fait partie du SAC et semble associé
à sa dérive vers le banditisme.
Chapitre 8

Une survie au prix de la perte d’indépendance

Le milieu des soldats de fortune français s’inscrit dans les luttes


de la guerre froide. Il est cependant profondément transformé
dans sa sociologie et dans son fonctionnement, donnant lieu à un
« deuxième système » ou « deuxième âge » mercenaire. Cela s’ex-
plique notamment parce que le contexte est profondément dif-
férent de la période précédente. La phase de décolonisation et de
mise en place des États indépendants est globalement achevée.
La pénétration communiste dans le mouvement décolonisé a été
contenue. Toutefois, les dernières colonies et/ou régimes main-
tenant un apartheid social, économique et/ou politique sont
les théâtres d’affrontements importants. La Rhodésie du Sud et
l’Angola­portugais qui avaient joué un rôle majeur dans les circu-
lations des « Affreux » voient, comme ils le craignaient, les mouve-
ments insurrectionnels prendre de l’importance sur leurs propres
territoires.

Fers de lance de la lutte occidentale anticommuniste

La défense des pouvoirs « blancs » face à des mouvements


insurrectionnels organisés par des meneurs noirs et proches du
bloc de l’Est, tout comme l’implantation de régimes marxisants
en Afrique rendent la lutte contre ces phénomènes prioritaire
pour les gardiens, sur le continent et à l’échelle mondiale, de

249
Dans l’ombre de Bob Denard

l’Occident. Depuis l’époque katangaise, les mercenaires sont


un outil tactique privilégié dans cette défense du modèle de
l’Ouest.

Bloquer l’avancée communiste sur le continent


Alors que certaines troupes irrégulières avaient quitté le camp
occidental lors de la guerre du Biafra en combattant pour le colo-
nel Gowon et ses conseillers de l’Est, les mercenaires français sont
systématiquement engagés pour le bloc de l’Ouest. Lors de la pré-
paration d’une éventuelle intervention au Congo-Brazzaville en
1971, la question géopolitique est au cœur des tractations qui
précèdent un éventuel « feu vert » aux opérations militaires. Les
conspirateurs s’inscrivent dans la lutte anticommuniste de la
région et du continent. Ainsi l’abbé Fulbert Youlou, chassé du
pouvoir par les révolutionnaires en 1963 et bénéficiaire d’un
éventuel changement de régime, prend contact avec Lisbonne.
Il indique qu’il compte confier à « M. Jacques Lebreton », alias
Bob Denard, les moyens de constituer un commando pour faire
tomber le régime au pouvoir à Brazzaville « et libérer le Congo-
Brazzaville de l’emprise communiste ».
Comme le montre ce mémorandum, Fulbert Youlou cherche
explicitement à obtenir des appuis (politiques, financiers et logis-
tiques) ; il s’adresse aux principaux acteurs européens engagés
dans le containment en Afrique : « Réduit à ses seules forces, notre
mouvement est dans l’impossibilité absolue d’atteindre les objec-
tifs qu’il s’est fixés. Il se trouve donc dans l’obligation de faire
appel à l’aide des nations dont les idéologies sont favorables à sa
cause et en particulier à celles qui ont un intérêt direct à ce que
la situation change au Congo-Brazzaville […]. Après la France et
pour des raisons tout aussi importantes quoique d’un ordre dif­
férent puisque principalement d’intérêt politique et stratégique,
le Portugal apparaît comme le pays le mieux placé pour nous
apporter l’aide que nous recherchons. »

250
Une survie au prix de la perte d’indépendance

En échange de l’appui de Lisbonne, Fulbert Youlou promet


de mettre en œuvre par la suite les moyens déployés à son service
au bénéfice du Portugal, l’autre chien de garde anticommuniste
avec la France en Afrique : « Bien que l’opération envisagée ne
requiert qu’une action contre Brazzaville, le CNL est prêt dans le
cadre d’un accord avec le Portugal à envisager deux autres actions
simultanées déclenchées en même temps que la première, l’une
contre Pointe-Noire, l’autre contre Dolisie. Le but de ces opéra-
tions est principalement d’arrêter tous les membres du MPLA
stationnés dans ces deux villes et de les remettre aux autorités
portugaises ; de récupérer toutes les archives et documents de ce
mouvement et de les remettre aux autorités portugaises. » Ainsi,
l’Angola serait également bénéficiaire de cette opération anticom-
muniste menée en priorité contre le Congo-Brazzaville. Fulbert
Youlou propose finalement aux autorités de Lisbonne une mutua-
lisation des moyens mercenaires qu’il compte employer. Alors que
les logiques nationales sont encore fortes dans les années 1960
(concurrence France-Belgique par exemple), la logique de bloc
semble devenir prioritaire dans les années 1970. Il est vrai que les
ennemis de l’abbé Youlou et ceux du Portugal sont communs :
« L’opération que nous envisageons est dans l’intérêt du peuple
congolais, ne l’est pas moins dans celui des peuples libres et de la
lutte contre le communisme international1. »

Dans la continuité avec le Yémen et le Biafra, les soldats de for-


tune français peuvent travailler sur commande des services secrets
des grandes puissances impliquées par la guerre froide. Le projet
organisé autour de Daniel Larapidie et de Roger Bruni contre la
Libye est commandité par la Grande-Bretagne. Londres choisit
de faire appel à des mercenaires français. Une première explica-

1. Mémorandum présenté au gouvernement portugais de l’abbé Fulbert Youlou


ex-président du Congo-Brazzaville, président du Comité national de libération du
Congo-Brazzaville dactylographié, rédigé à Madrid le 20 avril 1971, archives privées
Bob Denard, carton 78.

251
Dans l’ombre de Bob Denard

tion serait leur souci de ne pas apparaître en première ligne en cas


d’échec : « Les Rosbeefs ne tiennent pas à s’engager, trop visibles,
et avec l’esprit qui les caractérise, ils ont pensé à utiliser des
Frogs », résume Michel Loiseau1. Une seconde explication réside
dans la domination des Français parmi les « chiens de guerre ».
L’équivalent britannique n’existe pas vraiment puisque les mer-
cenaires envoyés au Yémen au milieu de la décennie précédente
ont souvent fondé des sociétés militaires privées (Watchguard
International Limited de David Stirling par exemple). Elles se
sont tournées vers des missions moins risquées et moins sensibles
(formation). Chez les anglophones, il faudrait désormais faire
appel aux Rhodésiens ou aux Sud-Africains, moins pertinents au
Maghreb.

L’Angola, théâtre d’opérations de la CIA

Le symbole de cette solidarité renforcée au sein du bloc de


l’Ouest s’observe à travers les rapports franco-américains. Alors
que les États-Unis répugnaient à s’appuyer sur les Français au
Congo, les relations se normalisent ensuite. L’opération en
Angola répond ainsi essentiellement à un financement américain.
La CIA n’a pas à se préoccuper d’un éventuel lien des hommes de
Denard avec le SDECE. En effet, la priorité à Paris est clairement
donnée à la défense du « pré carré » et à son extension à l’Afrique
francophone ; l’implication de mercenaires français en Angola ne
saurait donc avoir de conséquences géopolitiques dommageables
aux États-Unis. En revanche, Washington voit une réelle menace
dans le mouvement MPLA. Ces rebelles marxistes peuvent comp-
ter sur l’appui technique et matériel de l’URSS, des démocraties
populaires, de Cuba et même de la Corée du Nord, comme en
témoignent les mercenaires au combat : « lundi 9 février [1976],
la poussée cubaine se poursuit tandis que la débandade FALA se

1. Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit.

252
Une survie au prix de la perte d’indépendance

maintient1. » Avec le Mozambique, l’Angola pourrait constituer


un second point de fixation du bloc de l’Est en Afrique australe
et remettre en cause l’influence exercée dans la région. L’Afrique
du Sud et la Rhodésie s’en trouveraient encore davantage fragili-
sées. Fidèle à la ligne de Realpolitik défendue par Henri Kissinger,
l’administration Ford s’implique fortement dans les affaires
angolaises2.
L’UNITA bénéficie de l’appui de la Maison Blanche. Dans le
cadre de l’opération IA Feature approuvée par le président, la CIA
dispose en 1975 d’un budget de 14 millions de dollars pour venir
en aide au parti de Jonas Savimbi. Toutefois, cette action clandes-
tine fait ensuite l’objet d’une puissante contestation au Congrès
durant l’hiver 1975-1976. L’amendement Clark oblige l’adminis-
tration Ford à renoncer. Le relai est notamment pris par l’argent
de fonds de placement d’associations anticommunistes. En tout
cas, l’UNITA bénéficie de facilités pour recruter des soldats de
fortune. Les anglophones sont mobilisés. Des Rhodésiens, mais
également des ressortissants des États-Unis sont présents, même
si les engagements semblent se faire plutôt de façon individuelle.
Tel est notamment le cas de l’Américain René Perez, qui se joint
sur place à l’équipe française commandée par André Cau.
Pour plus d’efficacité, le recrutement s’élargit sous la houlette
des services secrets étatsuniens3. Déployer des équipes déjà consti-
tuées est le meilleur gage d’avoir des hommes immédiatement
opérationnels. C’est pourquoi la CIA revient à une condotta,
un contrat mercenaire. La forte structuration française sous la

1. Compte rendu du lieutenant-colonel Carnot à Arc-en-ciel le 20 février 1976, archives


privées Bob Denard, carton 78.
2. Voir notamment le National Security Archive Electronic Briefing Book No. 454,
consulté le 12 mars 2014.
3. L’aide américaine (mais également française et britannique) est évoquée dans
l’entretien avec Edward W. Mulcahy, le 23 mars 1989, Library of Congress,
Manuscript Division, Washington, D.C. 20540 USA, consulté en ligne le 3 juin
2013
http://memory.loc.gov/cgi-bin/query/r?ammem/mfdipbib:@field %28NUMBER
+@band%28mfdip+2004mul01 %29%29.

253
Dans l’ombre de Bob Denard

houlette de Bob Denard permet à celui-ci d’obtenir un marché.


Quand ses hommes arrivent sur ce front, ils sont immédiate-
ment mis en contact avec des interlocuteurs américains. Tenant
son chef au courant de cette mise en relation, le commandant
Carnot, pseudonyme d’André Cau, écrit : « Je rencontre un cer-
tain Right qui conseille le président de l’UNITA ; il m’a exposé
qu’il avait de petits moyens assurés par les services du Dr Kissinger
[…]. Nous sommes convenus de nous voir régulièrement et dis­
crè­tement1. » Le chef du groupe des « chiens de guerre » français
rend donc compte de son travail aux agents de la CIA sur place ;
peut-être même prend-il ses ordres opérationnels auprès d’eux.
Jonas Savimbi n’a, en effet, pas de compétences militaires. Par
ailleurs, les Français reçoivent une instruction au maniement des
missiles SA 7 par des militaires américains. Cet appui, voire cet
encadrement du déploiement des Français, indique qui est leur
commanditaire réel. Ancien responsable des services américains
dans la région, John Stockwell évoque la somme de 425 000 dol-
lars payés d’avance et cash à Denard pour fournir une équipe de
20 mercenaires à Jonas Savimbi2.
Les récits des soldats privés confirment d’ailleurs la présence
très visible de conseillers et de spécialistes de la CIA auprès des
chefs de l’UNITA. Au-delà des formations délivrées aux Français,
il semble que l’aide de Washington repose principalement sur le
renseignement et les transmissions : « Nous stoppons devant une
sorte de bâtiment officiel hérissé d’antennes et notre chauffeur
file aux ordres. René grogne : Ça pue le Ricain tout ça ! J’avance :
CIA ? Il répond : Ça y ressemble », témoigne Michel Loiseau lors
de son arrivée à Lobito. À Benguela, la présence américaine est
tout aussi visible : « Je glisse, matois : CIA. – Peut-être, m’accorde-
1. Compte rendu du lieutenant-colonel Carnot à Arc-en-ciel le 20 février 1976, archives
privées Bob Denard, carton 78.
2. John Stockwell, In Search of Enemies: a CIA Story, New York, W. W. Norton,
1978, 285 p. Le montant du contrat est confirmé par le Budget pour l’utilisation de
conseillers techniques avec prime de risque pour une période de 6 mois 20 hommes
conservé dans les archives privées Bob Denard, carton 29.

254
Une survie au prix de la perte d’indépendance

t-il [le chef du secteur Lobito-Benguela pour l’UNITA]. Là, il


se moque de moi : le seul bâtiment convenable de la ville, gardé
comme une banque, où tout le monde court aux ordres, où on
parle anglais, avec un jet bimoteur garé en permanence sur le
tarmac voisin. Ils sont bien ces Ricains mais pour la finesse, on
fait mieux1. » On remarque au passage que les hommes sur le
terrain ne sont pas forcément informés qu’ils travaillent pour
Washington. Cet aspect concerne Bob Denard, et é­ven­tuel­lement
ses lieutenants comme André Cau.
L’UNITA s’appuie aussi sur l’Afrique du Sud et ses bataillons
spéciaux (32e bataillon par exemple) encadrés en partie par des
mercenaires. Dans la zone où le parti de Jonas Savimbi peut rece-
voir du matériel et des hommes par la Namibie, les Sud-Africains
sont très présents pour faire barrage aux Cubains qui encadrent
le MPLA. Toutefois, il semble que, sur le terrain, des incompré-
hensions ternissent les rapports entre l’UNITA et les combattants
sud-africains. Ainsi, lorsque André Cau rapporte à Bob Denard
sa première entrevue avec Jonas Savimbi, il explique qu’« à 23 h 30
le président est venu à la villa indiquant que les Sud-Africains
étaient repartis définitivement sans préavis, ils ont quitté Novo
Redondo et les FNLA se sont débandés en même temps ; les
FALA montent de Lobito pour s’installer dans cette ville […]. Le
président s’est plaint de ce que les Sud-Africains escadronnaient
sans coopérer avec le commandement local qui, de ce fait, n’ap-
prenait pas à travailler. » Après le départ des Sud-Africains, Cau
pense pouvoir établir une relation privilégiée comme conseiller
militaire de l’UNITA. Jonas Savimbi « m’a invité à la réunion du
lendemain. J’ai assuré le président de notre fidélité2 ». Cet espoir
montre la naïveté du chef opérationnel français car la CIA n’en-
visage pour les mercenaires qu’un rôle d’appoint tactique dans

1. Extraits de Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit.


2. Extraits du Compte-rendu de la mission d’aide technique auprès des forces armées
pour la libération de l’Angola-Unita signé par le commandant Carnot et daté du
23 janvier 1976 à Arc-en-ciel, archives privées Bob Denard, carton 78.

255
Dans l’ombre de Bob Denard

l’encadrement de troupes au combat, se réservant les fonctions


de conseil militaire. Il est de toute façon rapidement démenti par
l’incapacité à faire front aux offensives du MPLA.

Les intérimaires des services français ?


Selon John Stockwell, l’équipe a reçu des visas et des passe-
ports fournis par le SDECE. Dans cette affaire angolaise, si l’on
en croit Bob Denard (et rien ne permet de ne pas le faire), il a
effectivement reçu un « feu vert » de la « Boîte ». Dans les années
1990, au moment de son second procès pour l’affaire du Bénin,
Bob Denard dira même que ce sont les services secrets fran-
çais qui l’ont mis en contact avec Jonas Savimbi et avec la CIA.
On aurait ici un engagement plus important des services fran-
çais en collaboration avec les mercenaires. Habituellement, ils
reçoivent un « feu orange ». Le passage à un soutien plus affirmé
peut être interprété comme la volonté de faire sienne (ou quasi)
cette équipe française engagée en appui à l’UNITA. Comme son
homologue américain, Alexandre de Marenches, le directeur du
SDECE , prête une grande attention à la situation angolaise en
raison du puissant appui donné par les grands États commu-
nistes (URSS et Cuba). Il se serait rendu sur place en personne
pour rencontrer Jonas Savimbi. Toutefois, les mercenaires ne sont
qu’un élément de la politique militaire secrète de la France aux
côtés de l’UNITA. Le service Action est également mis à contri-
bution. Ses missions sont vraisemblablement jugées prioritaires
par le SDECE sur les résultats que pourraient obtenir les « chiens
de guerre » sous les ordres d’André Cau.
La destination de la seconde équipe, celle de Dulac, qui doit
combattre pour le FLEC est également significative. Ce mou­
vement a été créé en 1963 ; en octobre 1975, il tente de proclamer
l’indépendance du Cabinda, indépendamment de l’Angola. Mais
il est incapable d’empêcher le MPLA de prendre le contrôle de
l’enclave. Tandis que la plupart des dirigeants du FLEC quittent

256
Une survie au prix de la perte d’indépendance

le pays pour se réfugier dans les deux Congo, Henrique N’Zita


Tiago souhaite poursuivre la lutte sur place. Avec les conseils de
deux Français liés au SDECE, Jean Dacosta et le journaliste et
homme d’influence Michel Lambinet, les forces du FLEC tentent
de s’opposer au MPLA. Or, pour faire bonne figure, les chefs
militaires du mouvement indépendantiste décident ensuite d’en-
lever deux ressortissants français. Dès lors, toute collusion des
services français avec le groupe serait trop risquée, si elle venait
à être connue. Michel Lambinet se tourne vers Bob Denard
qu’on ne peut relier directement au SDECE. L’équipe Dulac est
alors déployée au Cabinda. Dans le même temps, un groupe de
mercenaires britanniques est au service du parti concurrent, le
FNLA. Pour les États-Unis, Larry Devlin apporte également son
concours aux dirigeants du FLEC passés à Kinshasa. Finalement,
chaque puissance cherche un « poulain » dans l’enclave angolaise.
Compte tenu de ses richesses pétrolières et de sa position straté-
gique entre les deux Congo, tous veulent trouver un levier pour
peser sur l’évolution du Cabinda.
Les protections dont bénéficie alors Bob Denard deviennent
de plus en plus visibles. Il est arrêté pour avoir eu des contacts
à propos du Nicaragua avec des anciens de l’OAS qui étaient
les ravisseurs du PDG de Phonogram, une filiale de Philips. Au
cours d’une perquisition à son domicile parisien, la police trouve
des armes de poing, saisit des documents… Denard est ra­pi­
dement relâché et l’ensemble des papiers emportés lui sont res-
titués sur ordre de la hiérarchie. Cela provoque un grand éton-
nement des enquêteurs du Quai des Orfèvres, obligés non seule-
ment de le libérer mais aussi de rendre ses revolvers à cet homme
qui ne dispose d’aucun port d’armes. Le SDECE a effectivement
besoin à ce moment-là de la liberté de circulation de Bob Denard
qui se rend à la frontière avec l’Angola pour faire le point avec ses
équipes.
L’affaire du Bénin est peut-être la plus éclairante pour
comprendre­les rapports entre le SDECE et les mercenaires

257
Dans l’ombre de Bob Denard

f­ rançais. Dans le documentaire de Patrick Benquet, Françafrique,


la raison d’État, diffusé en 2010, Maurice Delaunay témoigne
des relations qui ont été dévoilées. Les révélations permises par
l’oubli des cantines ont surtout donné lieu à un procès au cours
duquel des membres des services secrets (ou d’anciens) ont été
amenés à s’expliquer. Maurice Robert résume à la barre la phi-
losophie générale : « Il y a trois genres d’actions pour la DGSE :
celles où le service exécute lui-même, celle qu’il fait faire, et
celle où la France ferme les yeux, tout en appuyant l’opération
quand cela sert ses intérêts. L’action pour laquelle Bob Denard
est aujourd’hui jugé entre dans cette troisième catégorie1. » Dès
1977, le régime de Mathieu Kérékou met en cause le rôle de
la France dans l’opération. En effet, on apprend qu’un « feu
orange » et des facilités logistiques ont été donnés aux merce-
naires2. Le Bénin porte l’affaire devant l’OUA et l’ONU. Même
si la France n’est pas le principal commanditaire, elle est au
fait des contacts noués entre Bob Denard et Derlin Zinsou. Le
SDECE regarde d’un œil bienveillant le montage d’une tenta-
tive en faveur de ce dernier. En effet, la France a tout intérêt
à ce que le régime marxiste de Mathieu Kérékou tombe pour
consolider son « pré carré » autour du golfe de Guinée et au voi-
sinage du Nigeria. De façon plus concrète et plus immédiate, la
sécurité des ressortissants français installés dans la région serait
mieux garantie. Ainsi, par exemple, Radio Cotonou provoque
une période de fortes tensions diplomatiques et des menaces
latentes sur les Français installés au Bénin. Après l’annonce selon
laquelle Jacques Foccart se trouve au Togo voisin pour planifier
un coup d’État au Bénin, des ressortissants français sont pris à
partie et Georges Pompidou est forcé de mettre en alerte des

1. Témoignage de Maurice Robert au procès en 1993 de Bob Denard pour l’affaire


du Bénin cité dans Corsaire de la République, op. cit., p. 682.
2. Rapport du secrétaire général de l’OUA sur les événements survenus le 16 janvier
1977 à Cotonou, archives privées Bob Denard, carton 29.

258
Une survie au prix de la perte d’indépendance

forces prépositionnées pour assurer l’éventuelle protection de ces


personnes à Cotonou1.
Parfois, la bienveillance des services français vis-à-vis d’une opé-
ration mercenaire prend des chemins plus tortueux. Tel semble
être le cas pour l’appui donné par Bob Denard à la prise de pou-
voir aux Comores d’Ali Soilih en 1975. Si l’évolution ultérieure
du régime mis en place par le Comorien peut sembler contraire
aux intérêts français, il faut rappeler qu’il est réputé très franco-
phile. Au contraire, Ahmed Abdallah était alors perçu comme
celui qui a proclamé unilatéralement l’indépendance. Ayant prin-
cipalement pour objectif de s’emparer du pouvoir, Ali Soilih s’en-
gage auprès de Paris à nouer de chaleureuses relations. C’est l’im-
passe sur Mayotte qui entraîne finalement sa radicalisation.
Yves Le Bret, l’un des hommes qui plaident auprès du
Médocain pour une implication contre Ahmed Abdallah, a sans
doute été manipulé. Avant de devenir entrepreneur aux Comores,
Yves Le Bret est passé par le 1er RCP. Il se serait vu souffler l’idée
de mettre en contact le jeune chef politique comorien et les ser-
vices secrets français : « Encore une fois, il apparaît que le pou-
voir politique a préféré utiliser un circuit parallèle, faisant appel
aux services de mercenaires certes en rapports épisodiques avec le
SDECE mais qui, dans cette opération, n’apparaissent pas avoir
rempli une mission à la demande de celui-ci. Il semble logique
que, ne voulant pas prendre le risque d’être accusé par la commu-
nauté internationale d’avoir fomenté une action on ne peut plus
illégale, le gouvernement français ait préféré recourir aux services
d’une organisation complètement étrangère au pouvoir2. »
Au moment de l’opération, les facilités accordées sur place à
l’équipe de Bob Denard par les forces françaises sont avérées. Les
fusils-mitrailleurs commandés par les soldats de fortune pour
instruire les milices du nouveau président et pour mener à bien
1. Jean-Pierre Bat, Le syndrome Foccart, op. cit., p. 345.
2. Claude Faure, Au service de la République, du BCRA à la DGSE, Paris, Fayard,
2004, 782 p.

259
Dans l’ombre de Bob Denard

l’opération (même si finalement ils ne seront pas utilisés) sont


déchargés avec la complicité de la gendarmerie. Comme pour
d’autres opérations, on peut s’interroger sur la présence au sein
de la petite équipe de Thaddée Surma. Officiellement ancien
membre du service Action devenu mercenaire, l’homme est peut-
être toujours au service du SDECE. L’hypothèse d’un noyautage
délibéré des soldats irréguliers par les services français est ici par-
ticulièrement cohérente, compte tenu de l’intérêt majeur que
représente cette opération pour la France.
Le coup d’État aux Comores en 1978 se fait avec l’accord des
services français. Les plus hautes autorités de l’État en sont infor-
mées. Denard a toujours défendu la thèse selon laquelle l’opé-
ration du 13 mai 1978 a été couverte par le SDECE en liai-
son directe avec l’Élysée et par la cellule africaine dirigée par
René Journiac. Selon lui, le président Valéry Giscard d’Estaing
a été informé personnellement au matin du 13 mai 1978 de la
réussite du débarquement. Même s’il le reconnaît du bout des
lèvres en concédant des contacts entre le chef mercenaire et le
SDECE (devenue DGSE qu’il a dirigée de 1989 à 1993), Claude
Silberzahn avalise la version de Bob Denard dans le documen-
taire Bob Denard, le sultan blanc des Comores de Laurent Boullard.
Enfin, directeur de cabinet du chef du SDECE entre 1977 et
1981, Michel Roussin affirme à son tour lors du procès des soldats
privés pour le putsch de 1995 que le 13 mai 1978 a été couvert
par le SDECE. Au final, l’ensemble de cette période des années
1970 est marqué par un resserrement des liens entre les hommes
de Bob Denard et les services français. À partir de 1973, l’offi-
cier traitant de Denard devient Jeannou Lacaze1. Le fait qu’une
telle personnalité, le nouveau directeur du Renseignement (DR),
soit l’interlocuteur du chef mercenaire traduit l’importance qu’il
a prise avec ses hommes dans les modalités d’action que peut
envisager le SDECE en Afrique.
1. Jean-Pierre Bat, Le Syndrome Foccart : la politique française en Afrique de 1959 à
nos jours, op. cit., p. 396.

260
Une survie au prix de la perte d’indépendance

La véritable question réside en réalité dans le degré d’articula-


tion entre les services et les mercenaires. Jusqu’à quel point peut-
on conclure à une obéissance des « chiens de guerre » à leurs inter-
locuteurs parisiens ? Certes, les contacts avec le SDECE, au plus
haut niveau, sont manifestes. Toutefois, des changements ont eu
lieu à la « Boîte » depuis l’époque du Biafra. Ils se poursuivent
jusqu’à la fin des années 1970. Alors qu’en 1977 Bob Denard est
publiquement éclaboussé par l’échec de Cotonou et qu’il prépare
l’opération sur les Comores, Jeannou Lacaze quitte le SDECE
pour prendre le commandement de la 11e division parachutiste
à Toulouse. L’emploi des soldats de fortune demeure une voie
très pratique en raison de la souplesse qu’elle présente mais la
difficulté à maintenir un bon contact est un véritable handicap
pour les services. La dimension personnelle n’est pas à négliger
dans les rapports qu’entretient Bob Denard avec ses interlocu-
teurs de la « Boîte ». Cet aspect du personnage est aussi impor-
tant pour comprendre ses relations tant avec le SDECE qu’avec
ses subordonnés.
Pour autant, la coopération se passe la plupart du temps en
bonne intelligence car les intérêts du condottiere et du SDECE
sont liés et globalement convergents. Il semble toutefois que les
mercenaires restent l’objet du contrôle d’un ou plusieurs agents
directs des services quand cela est possible. André Cau témoigne
de cette présence en Angola : « Le lundi 2 février, réunion à l’OUA
avec Kléber, l’ambassadeur [angolais] Chitacumbi et son secré-
taire David, et le lieutenant de liaison Jérémie : il a été question
de savoir si j’accepte ce renfort, de l’organisation, de l’instruc-
tion des officiers. Je rejoins au camp logistique de Baro un lieu-
tenant et sous-lieutenant français instructeurs ENTAC. Je recon-
nais dans le lieutenant un officier qui a travaillé avec moi il y a
quatre ans. Cela facilitera les contacts qui demeureront parfaits1. »
La suite du message de son subordonné à Denard est entièrement
1. Compte rendu du lieutenant-colonel Carnot à Arc-en-ciel le 8 février 1976, archives
privées Bob Denard, carton 78.

261
Dans l’ombre de Bob Denard

codée. Les contacts réguliers sur le terrain entre André Cau et le


SDECE sont accrédités par « Max » Vigoureux de Kermorvan qui
a affirmé lors de notre entretien qu’à cette époque André Cau et
René Dulac travaillaient pour les services.

Les mercenaires, la France et ses relais en Afrique


Les relations avec le SDECE sont donc régulières et Bob
Denard reçoit, sinon un « feu vert », du moins un « feu orange » à
toutes ses opérations. La proximité avec les services secrets fran-
çais remonte à la période précédente. Toutefois, des changements
à la tête de la « Boîte » ont eu lieu, et la parfaite adéquation entre
politique des « réseaux Foccart » et action du SDECE est remise
en question dès la fin de la période gaullienne. C’est également
un élément qui distingue ce « deuxième âge du système merce-
naire » des années 1960.

Le service Action des réseaux gaullistes chez Elf


Les hommes de Foccart et Mauricheau-Beaupré ont été margi-
nalisés depuis la prise de pouvoir de Georges Pompidou. Certes,
le Monsieur Afrique de l’Élysée a repris sa place au « Château »
comme au temps du Général. Mais après l’affaire Markovic
notamment et les accusations mensongères lancées contre son
épouse, Georges Pompidou a souhaité un changement profond
au sein du SDECE. Il nomme Alexandre de Marenches à la tête
des services secrets en octobre 1970. L’objectif qui lui est assigné
est de rétablir un véritable contrôle des agents par la hiérarchie.
Le président souhaite en finir avec les affaires de la fin de la décen-
nie 1960 (affaires Ben Barka ou Delouette par exemple). Pour
cela, le SDECE est entièrement restructuré. L’un des éléments
majeurs du travail effectué par Marenches est le cloisonnement
entre ses services et la cellule de Jacques Foccart, ainsi que la mise
à l’écart des hommes de confiance du secrétaire aux Affaires afri-

262
Une survie au prix de la perte d’indépendance

caines et malgaches. Ce dernier ne reçoit même plus les bulletins


d’informations de la « Boîte ». Son homme-lige, Maurice Robert,
est patiemment marginalisé par Alexandre de Marenches. Bref, le
service Afrique est « défoccartisé » et connaît un profond renou-
vellement générationnel1.
En 1974, Jacques Foccart qui a soutenu Chaban-Delmas pour
la campagne présidentielle est invité à quitter ses fonctions. Avec
lui disparaît le secrétariat aux Affaires africaines et malgaches
tant la personnalisation de ce service était forte. Pour autant,
l’un de ses membres les plus brillants, René Journiac, est appelé
à l’Élysée­. Autour du nouveau « conseiller technique aux affaires
africaines et malgaches », le service de veille dévolu au continent
noir demeure donc actif auprès de Valéry Giscard d’Estaing. Les
interlocuteurs gaullistes de Bob Denard se sont réfugiés chez Elf.
Il s’agit moins de Mauricheau-Beaupré avec lequel les rapports
se sont refroidis depuis le Biafra que de Maurice Robert. Ce sont
d’ailleurs bien les réseaux de l’UDR, devenus affairistes, qui le
mettent en contact avec Ali Soilih.
Contacté par des commanditaires parisiens, le mercenaire
assiste à une première réunion avec « Ferdinand Serre, un homme
d’affaires gaulliste dont le destin est lié depuis longtemps aux
Comores2 […], M. Rousseau qui a été ministre des PTT du géné-
ral de Gaulle, Sultan Chauffour qui représente les intérêts d’Ali
Soilih et Sako Khatchiakan, un Arménien spécialiste de l’import-
export […] ». Une nouvelle fois, l’opération est connue des ser-
vices français : « Après m’être assuré du côté du SDECE que per-
sonne ne voit d’inconvénient majeur à cette nouvelle mission,
j’endosse l’identité de Gilbert Bourgeaud3. »

1. Jean-Pierre Bat, Le syndrome Foccart, op. cit., p. 356-357.


2. Derrière ce pseudonyme se cache vraisemblablement René Dumont, ancien
sénateur favorable à l’Algérie française, exilé en Belgique de 1962 à 1968, devenu
ensuite administrateur de différentes sociétés.
3. Extraits de Pierre Lunel, Bob Denard, le roi de fortune, op. cit., p. 271.

263
Dans l’ombre de Bob Denard

Dans toute cette période, le chef qu’est Bob Denard se dis-


tingue très nettement de ses hommes par cette capacité à dialo-
guer avec les services et avec les réseaux Foccart. Il devient ainsi
un rouage dont les soldats de fortune français, en mal de contrats,
ne peuvent plus se passer. Au cours de ce « second âge », il est
devenu le cœur, la pierre angulaire du système mercenaire hexa-
gonal. Certes, l’équipe de Roger Bruni a répondu à un appel des
services britanniques indépendamment de lui. Toutefois, la mis-
sion a rapidement tourné à l’échec et n’a pas donné lieu à l’établis-
sement d’un groupe concurrent. Deux autres hommes prennent
alors une dimension significative car ils sont souvent les inter-
locuteurs sur le terrain des agents du SDECE ou de la CIA en
Angola, ou encore d’autres services au moment du Bénin. Ce
sont René Dulac et André Cau. Pour l’heure, leur fidélité au chef
maintient cependant une unité et une hiérarchie claire dans le
milieu des « chiens de guerre ».

Le Maroc, nouvel acteur majeur parmi les relais africains


En fait, la France n’est pas le seul partenaire des mercenaires
français. Dans les années 1970, le Maroc devient l’un des com-
manditaires récurrents de ceux-ci. Hassan II souhaite surtout
montrer qu’il est le chef de file du camp anticommuniste en
Afrique du Nord. Cette posture lui permet d’envisager le leader-
ship régional face à l’Algérie plus proche du bloc de l’Est, et d’ob-
tenir l’appui français ou américain sur le dossier du Sahara espa-
gnol puis occidental. En 1977, pour le service de la Mauritanie
mais en plein accord avec Rabat, la France déclenche ainsi l’opé-
ration « Lamantin » contre le Front Polisario.
La géopolitique pro-occidentale du Commandeur des
Croyants est développée dès les années 1960. La Libye est un des
membres fondateurs de l’OUA à Addis-Abeba en 1963 ; elle a
rejoint, en 1966, la Ligue islamique créée en 1962 à l’instigation
de l’Arabie saoudite. En revanche elle se montre très souple envers

264
Une survie au prix de la perte d’indépendance

Nasser et le camp des réformistes arabes. Tripoli semble de plus


en plus faible face aux exigences du Caire. Après la prise de pou-
voir de Mouammar Kadhafi en 1969 à Tripoli et le ren­for­cement
régional des régimes hostiles au Maroc, Hassan II demande à
Bob Denard d’imaginer une opération de déstabilisation de la
Libye. Le régime chérifien s’engage à fournir l’armement et les
moyens logistiques au commando. Le souverain marocain s’ap-
puie, par ailleurs, sur le royaume jordanien pour offrir des com-
battants arabes qui compléteraient l’équipe française sous les
ordres de Denard. Par cette offensive, le Maroc assure également
à la France un renforcement de son « pré carré » sur un front très
fragile (frontière tchado-libyenne ; voir carte page 442).

L’un des principaux enjeux pour les Occidentaux est consti-


tué par les bases aériennes du Fezzan. En 1963, Paris a renoncé
aux vols militaires depuis cette région désertique libyenne. À
l’automne 1965, les États-Unis et la Grande-Bretagne sont
contraints, à leur tour, d’accepter des négociations sur un calen-
drier de retrait de ces bases. En 1966, la Libye doit verser 42 mil-
lions de dollars au Commandement militaire arabe unifié1. Outre
le basculement politique de la Libye dans le cadre de la guerre
froide, les enjeux opérationnels sont également importants.
Hassan II pourrait donc retirer un grand bénéfice en cas de suc-
cès d’une action commando venant décapiter le nouveau régime
de Tripoli. À l’occasion de cette affaire, comme il a su le faire par
le passé avec Omar Bongo, Denard établit des liens personnels
avec Hassan II. Au cours des séances de planification, le souverain
chérifien se rend compte des préoccupations intimes du merce-
naire – sa compagne zaïroise est en train d’accoucher. En pleine
nuit, il remue ciel et terre à Paris pour obtenir des nouvelles de
la clinique.

1. André Martel, La Libye, 1835-1990, essai de géopolitique historique, op. cit., p. 186.

265
Dans l’ombre de Bob Denard

Quand il s’agit de mettre en œuvre la tentative de coup d’État


contre Mathieu Kérékou au Bénin, le Maroc joue de nouveau
un rôle éminent. Ses propres intérêts guident Hassan II dans
cette opération. En effet, le président béninois a pris parti pour le
Front Polisario et vient de reconnaître la République sahraouie,
alors qu’avec la « Marche verte » de 1975, le souverain chérifien
a fait du contrôle du Sahara occidental un objectif majeur. Les
services marocains sont totalement investis aux côtés des merce-
naires puisqu’ils les accueillent sur leur sol dans la phase de pré-
paration. Les hommes sont regroupés sur l’ancienne base améri-
caine de Benguérir, comme en témoigne l’un d’entre eux : « À ma
descente de l’avion, j’ai été pris immédiatement en charge par des
civils marocains aux manières distinguées que j’identifiais plus
tard comme appartenant à la Garde personnelle d’Hassan II. Ils
m’ont transporté jusqu’à la base de Benguérir où je devais pas-
ser un mois à m’entraîner en vue de l’opération. » Les autorités
militaires du pays ont connaissance de la présence des hommes
de Bob Denard et viennent en délégation, comme pour la visite
d’une troupe étrangère classique : « Plusieurs officiers supérieurs
marocains dont un général nous ont rendu visite1. »

Les piliers de la Françafrique

D’autres acteurs, hostiles au régime prosoviétique de Cotonou,


s’impliquent dans cette action. Le voisin immédiat du Bénin,
le Togo, joue un rôle mineur, tout comme le Sénégal. La ques-
tion de la Guinée renvoie surtout à la Côte d’Ivoire qui figure en
bonne place parmi les commanditaires. Depuis l’indépendance,
Félix Houphouët-Boigny est un pilier du système mis en place
par Jacques Foccart avec lequel il a noué de solides liens person-
nels. Outre la présence de Mauricheau-Beaupré à ses côtés, Guy

1. Opération Bénin : un mercenaire parle, mémoire dactylographié fait à Paris par


Alain Chevalerias le 11 avril 1977, archives privées Bob Denard, carton 29.

266
Une survie au prix de la perte d’indépendance

Nairay, le secrétaire général à la présidence, volontiers appelé le


« Gouverneur », compte parmi les proches conseillers du chef
d’État ivoirien. Pour le renforcement du « pré carré », Abidjan
participe donc à l’appui logistique et financier apporté à l’opéra-
tion de Bob Denard. Les deux hommes se connaissent au moins
depuis l’opération au Biafra. En effet, il semblerait que ce soit un
financement ivoirien, et peut-être même issu de la cassette per-
sonnelle d’Houphouët-Boigny, qui ait permis l’achat du Mi Cabo
Verde en 1969.
On mesure également les liens établis par le mercenaire avec le
président ivoirien par la participation de Guinéens à cette affaire
de Cotonou. Dès sa prise de position contre la Communauté
française, Sékou Touré s’est aliéné la France mais également la
Côte d’Ivoire. Dans les années 1960, Houphouët-Boigny, en
accord avec le SDECE, apporte son soutien à toute opposition
au régime guinéen. En 1967, il suscite la création du Front natio-
nal de libération de Guinée (FNLG). Il accueille ensuite des
membres du Rassemblement des Guinéens de l’extérieur (RGE).
Les relations avec Sékou Touré sont donc régulièrement empoi-
sonnées par les tentatives de déstabilisation du régime guinéen
et les bases arrière que constituent le Sénégal et surtout la Côte
d’Ivoire pour l’opposition.
Or, en 1975, Bob Denard se voit confier l’instruction mili-
taire des opposants en vue d’un éventuel coup d’État à Conakry :
les premiers contacts noués en vue de signer ce contrat le sont à
Abidjan. Ces mêmes Guinéens sont associés à l’opération contre
Cotonou. Ils montrent toute l’ambiguïté du terme de « merce-
naire ». Durant toute la phase de mise en condition physique et
militaire (notamment à Benguérir), ils ne connaissent pas le lieu
sur lequel ils vont intervenir. Ils sont persuadés que leur action
sera au service direct de la cause anti-Sékou Touré.
Ainsi Bâ Alpha Oumarou rend-il compte des conditions dans
lesquelles il s’est retrouvé au sein du commando. Né en Guinée,
il a rejoint ses parents en exil au Sénégal en 1967 et a rejoint

267
Dans l’ombre de Bob Denard

le RGE. Il est peu à peu convaincu de la nécessité d’une action


contre le président guinéen. Les arguments ethniques sont éga-
lement employés : « En interprétant les déclarations du président
Sékou Touré à la radio guinéenne : les Peuls sont des tribalistes,
traîtres, racistes et qu’ils avaient la nostalgie du colonialisme [sic] ;
et par l’historique des Peuls qu’il a faite, on sous-entend que les
Peuls ne sont pas des Guinéens. À la lumière de ces déclarations
et de la situation économique et sociale en Guinée, les dirigeants
du RGE ont estimé qu’une solution était à rechercher […]. Un
dirigeant m’a remarqué et a dépêché auprès de moi un nommé
Diallo Boubacar, ami à un oncle à moi pour me demander si
je voudrais participer à la formation militaire. J’ai répondu par
l’affirmative. »
Bâ Alpha Oumarou accepte de servir la cause sans trop poser
de questions. Il est appelé dans les vingt-quatre heures et part
avec onze autres jeunes Guinéens à bord d’un avion de Royal
Air Maroc. Les militants guinéens débarquent avec de faux
noms à Rabat et prennent la direction de la base de Benguérir.
Il témoigne ensuite de sa déception, ainsi que celle de ses cama-
rades, lorsqu’ils apprennent qu’ils partent pour Cotonou : « Vers
21 h 30, notre responsable Joseph nous convoqua dans la salle
d’instruction. Dans un langage de diplomate il nous dit en ces
termes : “Par des circonstances indépendantes de notre volonté,
votre séjour à la base va être écourté. Et comme l’a dit le colonel,
nous devons les accompagner à une mission au Bénin.” À cette
information, nous avons tous protesté ; mais en vain. Nous lui
avons dit que nous n’étions pas venus là pour régler les problèmes
du Bénin, ni aucun autre pays et que c’est une tromperie et une
trahison […]. Nous les jeunes Guinéens qui sommes venus au
Bénin, nous l’avons fait par contrainte, par la peur1. » Même si ce
témoignage est une défense pour se dégager de toute responsabi-
lité, le schéma général de la narration est très vraisemblable.
1. Extraits du témoignage de Bâ Alpha Oumarou, OUA CM/805 (XXVIII),
archives privées Bob Denard, carton 78.

268
Une survie au prix de la perte d’indépendance

Les recompositions géostratégiques : les mercenaires,


les piliers du « pré carré » et l’Afrique du Sud

Finalement, les différents acteurs étatiques africains qui par-


ticipent aux montages des opérations mercenaires relèvent du
« pré carré » français. Les changements par rapport à la décennie
précédente sont majeurs. Le Portugal a à peu près disparu de la
scène géopolitique africaine ; la Rhodésie et l’Angola sont passés
de la position de commanditaires et/ou bases arrière à celle de
théâtres de combat. L’Afrique du Sud est essentiellement mobi-
lisée par la seule zone australe du continent. Elle n’est pour l’ins-
tant qu’un interlocuteur ou un partenaire des commanditaires
des actions françaises. Pourtant, en prise aux conflits dans son
environnement proche (Angola, Rhodésie du Sud), elle cherche
à se fournir en armes malgré l’embargo qui pèse sur elle. Dès le
début des années 1970, Pretoria se rapproche donc des acteurs du
« pré carré ». La France lui fournit des Mirage, des hélicoptères de
combat ou encore des missiles sol-air Crotale. Félix Houphouët-
Boigny envisage un dialogue pour faire sortir l’Afrique du Sud de
sa logique ségrégationniste ; son initiative est rejetée par l’OUA
en 1971. En 1974, il reçoit à Yamassoukro le Premier ministre
sud-africain, John Vorster. L’année suivante, il envoie un de ses
collaborateurs les plus proches, Laurent Donald Fologo, en repré-
sentation officielle à Pretoria1.
Ces liens entre Paris, Abidjan et l’Afrique du Sud s’orga-
nisent autour du commerce des armes et de la lutte anticom-
muniste. Le Gabon y joue également un rôle et c’est depuis
Libreville que les mercenaires prennent place dans ces rela-
tions. Dès le début des années 1970, l’armement à destination
de Pretoria est convoyé par des soldats de fortune. Rhodésien,
pilote habituel des opérations des « chiens de guerre » fran-

1. Claude Wauthier, « Jacques Foccart et les mauvais conseils de Félix Houphouët-


Boigny », Les Cahiers du Centre de recherches historiques [En ligne], 30 | 2002, mis en
ligne le 26 avril 2009, consulté le 23 mai 2014.

269
Dans l’ombre de Bob Denard

çais, y compris encore pour Cotonou, Jack Mallock a fondé


une société de logistique aérienne immatriculée au Gabon.
Bob Denard est également associé à cette affaire et Jean-Louis
Domange, un fidèle depuis le Congo et le Biafra, travaille aux
côtés de Mallock à Libreville.
Ces recompositions participent surtout à la plus grande dépen-
dance des « chiens de guerre » vis-à-vis de Paris. Ces hommes ont
survécu à la fin de la longue séquence guerrière Congo-Biafra ;
pour continuer à maintenir un minimum d’autonomie vis-à-vis
des services français, ils doivent essentiellement compter sur les
intérêts propres des chefs d’État de l’Afrique francophone. Bob
Denard et ses équipes sont redevables au Maroc d’Hassan II, à la
Côte d’Ivoire de Félix Houphouët-Boigny, mais bien davantage
encore au Gabon.
En effet, après le Maroc, cet État constitue le second pays le
plus impliqué dans l’opération contre le Bénin. Il joue essentiel-
lement un rôle dans la phase opérationnelle. Le pays sert de base
arrière pour la projection des mercenaires sur Cotonou. Pour
ce faire, la GP est mobilisée. Elle assure le transit de l’avion du
commando à Franceville puis les liaisons radio entre celui-ci et
Libreville. Préoccupé par la présence de républiques populaires
dans le golfe de Guinée, Omar Bongo offre toutes les facilités au
commando chargé de renverser le président Kérékou. En fait, il
conçoit les services des soldats de fortune français d’une façon
assez semblable à celle de Paris. Il peut solliciter leurs services
quand ses intérêts sont en jeu. Il peut également les recomman-
der auprès de ses homologues africains, prenant au passage une
« commission » pour avoir joué les intermédiaires. Ainsi, selon
le journaliste Philippe Leymarie, ce serait le cas lors de l’en­ga­
gement à Anjouan en 1975. Ali Soilih accepte une aide du pré-
sident Bongo qui prête aux Comores une demi-douzaine de sol-
dats aguerris : Gilbert Bourgeaud commande la petite troupe qui
entreprend de « nettoyer » Anjouan aux côtés des forces como-
riennes. En échange, le Gabon obtient pendant six mois un droit

270
Une survie au prix de la perte d’indépendance

d’escale pour un de ses avions qui transporte discrètement aux


Seychelles… de la viande sud-africaine1.

Un « clan des Gabonais »

Omar Bongo devient ainsi un rouage majeur du second sys-


tème mercenaire français. Certains des soldats de fortune ont
rejoint sa GP. Denard lui-même en fait d’abord son lieu de rési-
dence après le Biafra, y installe ses affaires (Affrétair et surtout
la SGS dont les contrats sont essentiellement assurés par le chef
d’État gabonais) et reçoit des émoluments de la GP. Dans cette
reconfiguration s’instaure une nouvelle forme de dépendance,
vis-à-vis de ce régime et non plus seulement de la France. Certes,
comme nous l’avons vu, les mercenaires peuvent encore compter
sur de multiples employeurs. Mais le Gabon assure la solde, régu-
lière et sur le temps long, des Français. C’est pourquoi, en 1978,
le retour aux Comores est un enjeu prioritaire pour échapper à
cette situation de domination. C’est sans doute la raison pour
laquelle cette opération est travaillée avec tant de soin en amont
et donne lieu à un tri dans les personnels à y déployer en laissant
les autres tenter l’aventure rhodésienne.
Pour autant, le coup comorien nécessite un financement
avant que l’archipel ne devienne une nouvelle « base », un nou-
veau refuge à partir duquel les mercenaires pourraient continuer
à mener leurs opérations avec une indépendance retrouvée. Le
trésor de guerre à accumuler en vue de s’installer aux Comores
(d’autant plus que Bob Denard est obligé de participer person-
nellement au financement de l’action) a-t-il entraîné d’ultimes
compromissions dans lesquelles les mercenaires auraient accepté
de se salir les mains pour Omar Bongo ? Pierre Péan est convaincu
de cette dépendance totale au moment des deux actions du Bénin
1. Élie Ramaro (pseudonyme semble-t-il de Philippe Leymarie), « Bob Denard :
quinze ans contre les peuples du tiers-monde », Afrique-Asie, n° 170, 18 septembre-
1er octobre 1978, p. 26-29.

271
Dans l’ombre de Bob Denard

et des Comores. Selon lui, Denard « a un contrat intéressant. De


sa bonne exécution, dépendra largement son propre avenir1 ».
Peut-on établir un lien entre le mercenaire et les morts succes-
sives de dirigeants de l’opposition gabonaise ? En 1971, le prin-
cipal rival d’Omar Bongo, Germain Mba, disparaît à Libreville :
son corps n’a jamais été retrouvé. En 1977, le poète Ndouma
Depenaud est assassiné. L’année suivante, Joseph Ambourouè
Avaro, universitaire hostile au pouvoir, trouve la mort dans un
accident d’avion. L’hypothèse d’un sabotage est alors évoquée
mais sans pouvoir être prouvée. En 1979, selon Pierre Péan, des
sicaires au service d’Omar Bongo sont les maîtres d’œuvre de
l’élimination en France de Pierre Fanguinoveny. Son accident de
voiture cacherait, en réalité, un nouvel assassinat. Fin connais-
seur de ces rapports complexes entre le régime gabonais et les
Français (mais aussi ami personnel de Denard), Maurice Robert
écarte le chef mercenaire des suspects possibles pour l’assassinat
de Germain M’Ba et penche plutôt en faveur d’un lieutenant de
la GP2.
Pierre Péan est beaucoup plus catégorique sur l’implication de
Denard dans une autre affaire : « [Il] doit en effet trouver et abattre
un Haïtien, René A. Joseph, réputé avoir attenté à l’honneur pré-
sidentiel [en devenant l’amant de la première dame du Gabon].
Aux « trois obus » à la Porte Saint-Cloud, trois hommes parlent
du meurtre : Bob Denard, Jean Kay et un agent du SDECE. Bob
est dans tous ses états. Depuis des semaines, il ne parvient pas à
retrouver trace de l’Haïtien… Si Bob n’élimine pas Joseph, il est
convaincu qu’il n’obtiendra pas le gros contrat qui se mijote pour
déstabiliser le Bénin. Et il peut dire adieu aux millions de dollars
qui sont à la clé, car Bongo trouvera alors d’autres solutions. »

1. Pierre Péan, Affaires africaines, op. cit., p. 147.


2. Maurice Robert, Maurice Robert, ministre de l’Afrique, op. cit., p. 221. Maurice
Robert précise même que les accusations lancées contre Denard et contre lui-même
comme commanditaire sont à l’origine de leur brouille avec Jean Mauricheau-
Beaupré.

272
Une survie au prix de la perte d’indépendance

Le journaliste d’investigation affirme que Denard retrouve fi­na­


lement la trace du fugitif en Floride. Ce serait le mercenaire-
aventurier Jean Kay qui aurait alors été envoyé pour exécuter le
contrat. Comme celui-ci se dérobe au moment de tuer René A.
Joseph, Thaddée Surma fait, selon Pierre Péan1, le travail à sa
place. Est-ce à cette affaire que fait référence Maurice Delaunay,
ambassadeur français très proche d’Omar Bongo, quand il
témoigne avoir demandé à Bob Denard « des choses un peu par-
ticulières. Je pouvais compter sur lui et sa discrétion. Je ne peux
pas tout vous dire2 » ? On ne peut que poser la question.
Les contempteurs du chef mercenaire ont aussi vu sa main dans
la mort de Robert Bossard, le président de Diesel-Gabon, en juin
1979. Également à la tête des Français du Gabon, il voulait quit-
ter le pays et peut-être révéler des pratiques occultes du régime.
Sans chercher à le disculper totalement, une lettre reçue par Bob
Denard laisse penser que son auteur, un ami du Médocain qui vit
sur place, écarte totalement cette hypothèse. Dans cette lettre, cet
ami indique qu’il joint un article du journal L’Union et décrit les
échos au Gabon : « L’un explique l’attentat qui a eu lieu contre M.
Bossard dont je t’ai parlé. Peut-être le connais-tu ? Ici cela a mar-
qué la population française et je pense qu’il doit s’agir d’un aver-
tissement. Cette personne que je ne connaissais pas était aussi en
vue que l’ambassadeur lui-même […]. Il circule également par
Radio Cocotier – station de Port-Gentil – qu’un avocat leader de
l’opposition a été prévenu, alors qu’il donnait un cours, que des
hommes en cagoule l’attendaient chez lui. Bien sûr, il n’est pas
rentré et est venu à Port-Gentil. D’après des témoins, l’un des
“tueurs” aurait à un moment levé sa cagoule et le témoin aurait
vu des dents en or et un teint de peau très clair qui lui a fait pen-
ser à un Marocain. Le pas étant facile à franchir qui dit Marocain

1. Pierre Péan, Affaires africaines, op. cit., p. 156.


2. Témoignage de Maurice Delaunay dans le documentaire de Patrick Benquet,
Françafrique, la « raison d’État », op. cit.

273
Dans l’ombre de Bob Denard

dit GP, l’opposition semble l’avoir franchi avec allégresse. Vérité


ou provocation ? À voir1. »
Pour l’implication personnelle de Bob Denard et/ou de mer-
cenaires français travaillant sous ses ordres, un doute demeure
dans les différents assassinats liés à la politique gabonaise. La
défense du Médocain est systématiquement assurée par son ami
Maurice Robert dans l’ensemble de ces mystérieuses morts. Il
semble également que la chronologie soit plutôt en faveur de
l’innocence des hommes de Denard. En effet, la mort de Robert
Bossard intervient à un moment où les mercenaires français
sont solidement installés aux Comores et où ils auraient beau-
coup à perdre à être pris dans un contrat pour une exécution. À
propos du meurtre en octobre 1979 de Robert Luong, Français
de la GP et autre amant supposé de l’épouse d’Omar Bongo, « le
bruit a couru dans Libreville que la victime aurait été exécutée
par des hommes du milieu bordelais recrutés par Bob Denard ».
Là encore, le démenti de Maurice Robert est net. Pour l’an-
cien officier du SDECE, mercenaire et assassin sur commande
sont deux choses différentes : « C’est totalement fantaisiste. À
ma connaissance, Bob Denard n’a à aucun moment été mêlé à
cette histoire. Encore une fois, il n’est ni un vulgaire tueur, ni le
patron d’une officine d’assassins sous contrat. C’est un merce-
naire possédant une éthique de soldat ». Et de conclure : « Je ne
le vois pas se charger de basses besognes de ce genre2. » D’autres,
comme Philippe Chapleau, sont plus nuancés. Lors de notre
entretien, le journaliste (qui a vécu quelques mois chez Denard
au début des années 1990) estime que « cela n’est pas impos-
sible, Denard pouvait ne pas avoir de scrupule si c’était de son
intérêt ».
Notons tout de même que, dans les différents dossiers, les
cadres de la GP gabonaise figurent également parmi les exécutants
1. Lettre dont la signature est illisible rédigée à Port-Gentil le 23 juin 1979, archives
privées Bob Denard, carton 29.
2. Maurice Robert, Maurice Robert, ministre de l’Afrique, op. cit., p. 245.

274
Une survie au prix de la perte d’indépendance

possibles. Un cas renforce la « piste » de l’unité de sécurité rappro-


chée du président. La mort de l’ancien mercenaire devenu l’un
des piliers de la GP Hubert Pinaton relève de logiques proches
de l’affaire Luong. Devenu le numéro 2 de la GP, il avait eu une
aventure avec une nièce d’Omar Bongo. Par ailleurs, il connais-
sait des détails de l’affaire Luong (ce qui renforce la crédibilité
d’une action interne à la GP). Or, il meurt suite à un empoison-
nement le 9 octobre 1980 au Val-de-Grâce.

Le groupe Denard et la construction d’une législation


anti-mercenariat
Quoi qu’il en soit à propos des affaires gabonaises, la liberté
d’action des soldats de fortune français est soumise aux volon-
tés de leurs commanditaires et de leurs créanciers. Les aspects
juridiques sont une autre contrainte qui s’exerce sur eux. Mal
perçu à l’époque contemporaine, le mercenariat est visé par
le droit international qui se construit peu à peu. Le xxe siècle
est caractérisé par la mise en place d’un droit de la guerre et
d’un droit des conflits armés (ou international humanitaire).
Jusqu’en 1945, les combattants irréguliers ne font pas l’ob-
jet de mesures spécifiques ; le mercenaire et le volontaire armé
international demeurent des catégories d’acteurs peu détermi-
nées sur les théâtres de conflits. L’absence de définition de ces
deux groupes tient à la difficulté d’en donner un périmètre clair.
Toutefois, elle s’explique aussi par la nécessité de passer par des
étapes intermédiaires consistant à fixer les règles dans lesquelles,
de façon plus large, les États peuvent avoir recours à des com-
battants irréguliers.

Les dispositions prises avant 1945 dans le droit international

La codification internationale de la guerre a beaucoup pro-


gressé depuis la rédaction de la première convention de Genève

275
Dans l’ombre de Bob Denard

en 18641. La convention de La Haye de 1899 (puis celle de 1907)


ne porte aucun jugement négatif sur l’intervention de combat-
tants irréguliers. Au contraire, la convention édicte que les sup-
plétifs doivent être considérés comme des belligérants et bénéfi-
cier des mêmes droits que les soldats des armées étatiques. Certes,
la tradition dans les États neutres de condamner juridiquement
les enrôlements dans des forces étrangères est désormais bien
enracinée. L’article 23 de la convention de La Haye a également
donné lieu à beaucoup de commentaires : « Il est interdit à un bel-
ligérant de forcer les nationaux de la partie adverse à prendre part
aux opérations dirigées contre leur pays, même dans le cas où ils
auraient été à son service avant le commencement de la guerre. »
Ainsi cette clause doit-elle être interprétée comme l’autorisation
tacite donnée à un État d’avoir recours à des étrangers, à la seule
condition de respecter leur libre arbitre.
Toutefois, l’emploi de légions volontaires connaît des inflexions
au cours de la première moitié du xxe siècle. Les conventions de
Londres condamnent l’« appui donné à des bandes armées qui,
formées sur son territoire, auront envahi le territoire d’un autre
État, ou [le] refus, malgré la demande de l’État envahi, de prendre
sur son territoire toutes les mesures en son pouvoir pour priver
lesdites bandes de toute aide ou protection ». Certes, ce texte de
1933 est signé par des États secondaires sur la scène internatio-
nale (Afghanistan, Estonie, Lettonie, Perse, Pologne, Roumanie,
URSS, Turquie, Tchécoslovaquie et Yougoslavie) mais il est enre-
gistré à la SDN. En s’inscrivant dans la lignée du pacte Briand-
Kellogg qui interdit la guerre, il aurait pu demeurer un traité
inapplicable et utopique. Au contraire, il marque une étape pour
le droit international.

1. Horrifié par la vision du champ de bataille de Solferino en 1859, le Suisse


Henri Dunant fonde la Croix-Rouge pour secourir les blessés. Avec le soutien de
Napoléon III, il milite en faveur d’une codification de la guerre, notamment pour
améliorer l’organisation des secours aux victimes des conflits. Son action aboutit à la
rédaction de la première convention de Genève en 1864.

276
Une survie au prix de la perte d’indépendance

La définition de la catégorie des volontaires armés

Le volontaire international jouit d’une reconnaissance juri-


dique qui tend à le distinguer du mercenaire. La 3e conven-
tion des accords de Genève, dans l’article 4 du titre I, précise
en 1947 qu’il pourra être reconnu comme prisonnier de guerre.
Des contours sont fixés pour cette nouvelle catégorie de combat-
tants, juridiquement définie désormais. Ils doivent avoir un chef
de troupe, ils doivent porter ouvertement les armes et un signe
distinctif des civils (uniforme ou autre) et respecter les lois de
la guerre1. À ce titre, les hommes qui se présentent comme des
« volontaires étrangers » au Congo dans les années 1960 (hormis
la rébellion contre le régime de Mobutu en 1967) semblent pou-
voir entrer dans le cadre de cette définition.
La prolifération de troupes se réclamant du volontariat
(notamment idéologique) pose toutefois problème pour la stabi-
lité du monde au temps de la guerre froide. Désormais la ques-
tion réside dans la nécessité ou non d’interdire, ou tout au moins
de condamner, cette démarche. L’intervention de volontaires
chinois en Corée dans l’un des conflits majeurs de la guerre froide
est l’occasion, pour l’ONU, de se pencher à nouveau sur ce phé-
nomène si délicat. Désormais, les États ne peuvent pas utiliser de
volontaires internationaux (comme cela a été le cas de l’URSS
ou de l’Allemagne nazie dans les années 1930-1940) contre un
État. Des années 1950 aux années 1970, l’ONU multiplie les
textes qui rappellent que l’organisation de légions volontaires
« qui se livrent à des actes de force armée contre un autre État »
est condamnée sur le plan international2. La très grande impli-
cation du secrétaire général, Dag Hammarskjöld, dans le dossier
katangais montre à quel point l’ONU est décidée à empêcher ces

1. Éric David, Mercenaires et volontaires internationaux en droit des gens, Bruxelles,


Bruylant, 1977, 459 p.
2. Nations unies, Résolution 3314 (XXIX) du 14 décembre 1974.

277
Dans l’ombre de Bob Denard

combattants irréguliers de jouer un rôle majeur dans les conflits


liés à la décolonisation.
Toutefois, comme souvent dans la législation internationale,
l’ambiguïté règne. Le volontariat en tant que tel n’est pas clai-
rement encadré. Seuls les États qui faciliteraient l’organisation
de telles troupes ou les promouvraient sont dénoncés. Comme
elles sont volontiers encouragées par le bloc de l’Est, les puis-
sances occidentales espèrent criminaliser les légions de volon-
taires (comme celles organisées par Che Guevara par exemple).
Elles défendent l’idée que l’idéologie est un moyen pour les États
du bloc de l’Est de provoquer de la subversion, que ce n’est qu’un
instrument pour ces nations d’accroître leur puissance nationale,
à commencer par l’URSS. Les Occidentaux se placent dans la
lignée de règles internationales qui visent à trouver un équilibre
dans le « concert des nations ». Au contraire, les pays de l’Est font
valoir que la légitimité d’une cause peut mener un État à ne pas
s’opposer (pour le moins) à la constitution de légions volontaires.
Selon eux, cette position ne saurait être assimilée à une agression
et donc ne peut pas être condamnée sur le plan international.
Le problème des légions n’est pas clairement réglé ; l’arbitrage est
donc laissé aux législations nationales.

Les réponses à l’activité mercenaire résurgente en Afrique


Celles-ci sont cependant impuissantes à enrayer les circula-
tions de combattants irréguliers sur le continent africain. La pre-
mière à mettre en place un texte de régulation est donc l’OUA.
Dans sa démarche panafricaine et d’indépendance, il est logique
que l’organisation régionale ait souhaité interdire les activités
mercenaires sur le sol continental. Cette volonté s’explique par les
fortes tensions dans le cadre de la guerre froide entre l’Occident et
les États du tiers-monde. De nombreux États africains prennent
conscience de la volonté du bloc de l’Ouest d’avoir recours aux
soldats privés. Toutefois, ce même contexte idéologique empêche

278
Une survie au prix de la perte d’indépendance

l’OUA d’obtenir une pleine unanimité sur la question parmi ces


membres. Parallèlement, les États africains portent la question au
niveau de la gouvernance mondiale. Quand on observe les diffé-
rentes étapes de ce combat pour l’obtention de traités internatio-
naux sur le mercenariat, on mesure à quel point il est lié à l’action
des soldats de fortune français.
La première étape peut être perçue comme une tentative de
réponse à la révolte en RDC des « chiens de guerre » français et
belges en 1967. L’année suivante, l’Assemblée générale de l’ONU
prend la résolution 2465 qui décrète que l’utilisation de merce-
naires contre les mouvements de libération nationale se battant
pour l’indépendance de territoires colonisés est criminelle1. La
condamnation est à la fois forte et, en même temps, demeure
dans le domaine symbolique. On remarque, par ailleurs, que la
formulation sur la « libération nationale » sous-entend que la pré-
sence de soldats de fortune en RDC est liée aux intérêts de l’an-
cienne métropole. Si cela est incontestable pour la période katan-
gaise, ce lien est moins pertinent pour la période 1964-1967.
Les stratégies des hommes politiques congolais et les enjeux de
la guerre froide sont alors prédominants. Cela explique en partie
que l’ONU s’en tienne à un coup de semonce ; les mercenaires
sont désignés comme hors-la-loi. Elle rend ainsi justice aux pro-
testations de Mobutu et d’acteurs africains socialisants mais ne
permet pas de poursuites effectives.
Face à cette réponse onusienne insuffisante, l’OUA poursuit
les avancées législatives au niveau continental. Elle subit une forte
pression de la part des États proches du bloc de l’Est et supposés
être les cibles du mercenariat du « Grand Satan » occidental. Sous
la menace d’opérations de « chiens de guerre » commandités par
la France et ses partenaires du « pré carré », Sékou Touré déclare
en 1971 que, « dès la première agression, nous liquiderons phy-
siquement tous les mercenaires et leurs complices qui se trouve-
1. Résolution de l’Assemblée générale 2465, 23 UN GAOR Supplément (n° 18),
document ONU A/7218 (1968).

279
Dans l’ombre de Bob Denard

ront dans nos prisons ». Les exactions sur des soldats de fortune
(comme sur d’autres combattants des conflits infra-nationaux)
ont déjà été observées au Congo ou au Biafra. Pour éviter la mul-
tiplication des dérapages, la nécessité de légiférer devient de plus
en plus évidente. En 1972, l’OUA adopte donc une convention
sur l’élimination des mercenaires en Afrique.
Afin de peser efficacement sur l’emploi de « chiens de guerre »,
ce texte fournit une définition du mercenaire. On remarque
qu’elle correspond précisément au contexte géopolitique et his-
torique de l’Afrique postcoloniale. En effet, selon la convention,
« mercenaire définit toute personne, qui n’est pas le ressortis-
sant d’un État contre lequel ses actions sont dirigées, et qui est
employé, enrôlé pour renverser par les armes ou par tout autre
moyen le gouvernement d’un État membre de l’Organisation à
l’unité africaine ; de miner l’indépendance, l’intégrité territoriale
ou l’activité normale des institutions dudit État ou de bloquer
par quelque moyen les activités de tout mouvement de libération
nationale reconnu par l’Organisation à l’unité africaine1 ». La pre-
mière forme de menace associée à l’activité des soldats de fortune
renvoie directement au cas de la révolte des 5e et 6e codo en 1967.
La seconde peut être rapprochée de l’exemple katangais. Enfin, la
troisième renvoie plutôt aux luttes d’indépendances des colonies
portugaises.
La Rhodésie et l’Afrique du Sud sont également concernées
par ce texte car des mercenaires sont déjà à leur service pour la
lutte contre les mouvements noirs en Afrique australe2. Les sol-
dats privés sont décrits comme une « grave menace pour l’indé-
pendance, la souveraineté, la sécurité, l’intégrité territoriale et le
développement harmonieux » des États africains. Pretoria est éga-
lement dans la ligne de mire des experts de la Commission inter-

1. OUA, Convention sur l’élimination des mercenaires en Afrique, OUA document


CM/433/Rev. L., 1972.
2. Christopher Kinsey, « Le droit international et le contrôle des mercenaires et des
compagnies militaires privées », Cultures & Conflits, n° 52, 2003-4, p. 91-116.

280
Une survie au prix de la perte d’indépendance

nationale d’enquête invitée à assister au procès à Luanda de treize


mercenaires capturés en 1976 dans la guerre en Angola. Ces
hommes sont des Sud-Africains. Organisée par le MPLA, une
procédure pour « crimes de mercenariat » et de « crimes contre la
paix » est intentée avec des bases juridiques contestables. Quatre
sont condamnés à mort et les autres à des peines de seize à trente
ans de réclusion. L’évolution vers des règlements bafouant le droit
international se traduit pour la première fois par un processus
judiciaire. Les experts internationaux se rendent compte qu’il
faut apporter une réponse à la carence de normes sur le statut des
soldats de fortune qui opèrent en Afrique ; ils remettent à l’ONU
un projet de convention dans lequel il est prévu de retirer le statut
de prisonnier de guerre aux mercenaires.
Les instances onusiennes travaillent très vite à partir du pré-
cédent du procès de Luanda et des conclusions tirées par les
experts. Un toilettage des accords de Genève apporte la clarifica-
tion attendue par les acteurs africains, et notamment les guérillas
ou pouvoirs proches de Moscou. L’article 47 du protocole addi-
tionnel aux conventions de Genève répond à leur préoccupation
en 1977. Il précise que le mercenaire est spécialement recruté
« pour combattre dans un conflit armé », qu’il « prend une part
directe aux hostilités », qu’il recherche un « avantage personnel ou
une rémunération nettement supérieure » à celle des combattants
réguliers, qu’il n’est pas « ressortissant ou membres des forces des
parties en conflit » et qu’il n’a pas « été envoyé en mission officielle
par un autre État ». Beaucoup de pays, à commencer par les États-
Unis et les principaux acteurs du bloc occidental impliqués en
Afrique, ont refusé d’adopter ce texte. Finalement, les protocoles
additionnels demeurent donc en retrait des propositions faites
dans le texte du projet de Luanda.

281
Dans l’ombre de Bob Denard

Les conséquences de l’affaire béninoise

Les évolutions s’appuient également sur les preuves four-


nies par l’oubli des cantines militaires lors de l’opération
« Crevette » de déstabilisation du Bénin et qui montrent l’im-
plication d’acteurs étatiques dans cette action. Leur exploita-
tion conduit les États africains à ratifier une convention de
l’Organisation de l’unité africaine sur l’élimination du mer-
cenariat en Afrique du 3 juillet 1977. Les États qui signent
immédiatement le texte sont ceux qui ont porté le combat
contre les « chiens de guerre » depuis le début de la décennie
(Bénin, Guinée, RDC) ou qui sont solidaires du bloc de l’Est
(Algérie, Tanzanie ou Seychelles). Parmi les non-signataires (à
l’époque) se retrouvent les régimes proches de l’Ouest et de la
France : les Comores, la Côte d’Ivoire, le Maroc, la Mauritanie
ou encore le Gabon.
Cette convention reprend notamment le projet de Luanda et
écarte les soldats de fortune des statuts protecteurs de combat-
tant et de prisonnier de guerre. Rappelons que les documents
en question mettent en lumière le rôle du Maroc ou du Gabon.
Le mercenariat comme système est désormais criminalisé et
l’OUA souhaite imposer de nouvelles obligations aux États. Ils
doivent prendre des mesures pour éliminer les activités des sol-
dats privés en se dotant d’une législation ad hoc ; ils doivent
mutualiser les informations livrées par leurs services au sujet
des activités mercenaires sur le continent. Les États s’engagent
également à poursuivre ou à extrader toute personne commet-
tant une infraction visée dans la convention. Le texte prévoit
même de traduire les États qui ne respecteraient pas ces dispo-
sitions devant un tribunal de l’OUA ou un tribunal internatio-
nal compétent.
Soutenu par le bloc de l’Est ravi de cette aubaine, Mathieu
Kérékou porte également l’affaire devant l’ONU en espérant
un réel durcissement de la législation à l’échelle mondiale.

282
Une survie au prix de la perte d’indépendance

L’espoir des régimes africains socialisants est d’aligner le texte


onusien sur la convention de l’OUA. Représentant du Bénin,
M. Boya déclare ainsi à l’Assemblée générale en décembre
1977 : « Les renseignements complémentaires recueillis par
nous ont confirmé que l’agression du dimanche 16 janvier
1977 contre la République populaire du Bénin, loin d’être une
banale affaire d’aventuriers isolés, est bel et bien une opéra-
tion montée par l’impérialisme international pour mettre fin
au processus révolutionnaire déclenché chez nous depuis le
26 octobre 1972. Nous l’avons dit en avril dernier, nous le réaf-
firmons aujourd’hui et sur ce point même la presse occidentale,
en particulier parisienne, a fini par accepter le bien-fondé de
cette vérité. L’agression du 16 janvier 1977 fait partie des plans
impérialistes dirigés contre l’Afrique et tous les pays du tiers-
monde. » Ainsi, pour le régime de Mathieu Kérékou, il s’agit
surtout de mettre en lumière la duplicité du camp occidental
dans ce système de mercenariat.
Le second objet de la démonstration consiste, selon la rhé-
torique (non dénuée de fondements) jdanovienne, à assimiler
l’action du camp occidental à du néocolonialisme : « Il s’agit là
d’une redistribution planifiée des zones d’intervention et des
missions entre les puissances impérialistes pour la reconquête
coloniale de notre grand, riche et beau continent, l’Afrique », et
d’étendre le constat, preuves à l’appui pour le Bénin, aux autres
théâtres où le système mercenaire est à l’œuvre : « L’agression
armée du dimanche 16 janvier 1977 contre notre pays, la
République populaire du Bénin, les attaques successives contre
la République populaire du Mozambique, la République popu-
laire de l’Angola, la Zambie, le Botswana, les conflits armés
provoqués ou attisés dans divers points de notre continent par
l’impérialisme international en sont les illustrations significa-
tives. De plus, les nouveaux camps d’entraînement de merce-
naires ouverts çà et là, de même que les débarquements clan-
destins dans notre sous-région et ailleurs­, de troupes régulières

283
Dans l’ombre de Bob Denard

des armées impérialistes étrangères à l’Afrique en préparation


d’un plan d’invasion généralisée de la République populaire
du Bénin, de la République d’Angola et d’autres États indé-
pendants et souverains d’Afrique1. » M. Boya peut ainsi inclure
dans les accusés à la tribune onusienne les autres acteurs de ce
système (Afrique du Sud et Rhodésie notamment).
Le principal État visé demeure la France. Cela explique la
nécessité accrue pour Bob Denard de réussir l’opération como-
rienne de 1978. Son échec de Cotonou ayant eu de telles réper-
cussions, il est d’autant plus évident que le groupe mercenaire
français serait destiné, en cas de nouvelle déconvenue, à ne plus
trouver d’emploi ou à se soumettre à des chefs irréguliers extra-
nationaux (sud-africains par exemple) qui se verraient confier
les principaux contrats. Une telle évolution provoquerait égale-
ment un affaiblissement du système de défense du « pré carré »
français en Afrique. Les représentants de l’État français sont
ouvertement mis en accusation dans les débats qui se déroulent
à l’ONU : « Ne sommes-nous pas en droit de tirer des conclu-
sions lorsque les renseignements complémentaires recueillis par
nous au cours des enquêtes sur le réseau intérieur, qui était de
connivence avec l’impérialisme, prouve indubitablement que
de hauts fonctionnaires français à Cotonou étaient bel et bien
au courant de cette agression barbare longtemps avant son exé-
cution, que deux agents français installés à Cotonou avaient
participé à la préparation et à l’exécution de ce crime contre
notre peuple ? »
Le représentant français, M. Leprette, s’en tire d’ailleurs par
un exercice de style qui ne convainc vraisemblablement per-
sonne : « La délégation française […] avait marqué avec force
sa condamnation de toutes formes de mercenariat […]. Elle
tient à réaffirmer de la manière la plus nette, comme elle l’a
fait devant le Conseil de sécurité le 7 avril 1977 qu’elle décline
1. Extraits du compte rendu de la 2047e séance tenue au siège de l’ONU le mardi
22 novembre 1977 sur l’affaire du Bénin, archives privées Bob Denard, carton 44.

284
Une survie au prix de la perte d’indépendance

toute responsabilité du gouvernement et des services français


quels qu’ils soient dans la préparation et l’exécution du raid du
16 janvier contre Cotonou. La France réprouve formellement
cette opération. Ayant constaté que des documents fournis par
les autorités béninoises à la mission d’enquête du Conseil de
sécurité citaient des individus qui seraient des ressortissants
français, le gouvernement a, comme on le sait, entrepris de sa
propre initiative et, compte tenu de sa législation, des investiga-
tions. Celles-ci n’ont abouti à aucun résultat1. » L’essentiel pour
Paris est que l’affaire soit rapidement oubliée. Pour cela, elle
plaide pour une instruction contre les acteurs de l’opération,
mais souhaite surtout que le système du mercenariat ne soit pas
criminalisé comme le proposent les acteurs africains qui l’ont
imposé au niveau de l’OUA. Finalement, les « chiens de guerre »
impliqués en 1977 servent de boucs émissaires et de boucliers
aux intérêts français.

1. Extraits du compte rendu de la 2047e séance tenue au siège de l’ONU le mardi


22 novembre 1977 sur l’affaire du Bénin, archives privées Bob Denard, carton 44.
Conclusion de la deuxième partie

Les avancées du droit international sont en rapport direct


avec les opérations des mercenaires français et surtout avec leur
échec à Cotonou en 1977. Cet épisode met en lumière à la
fois les liens renforcés avec les services français, ou plus exac-
tement avec les « réseaux Foccart » et les régimes-relais de Paris
en Afrique. La géopolitique africaine a été bouleversée après la
période de décolonisation. Le rôle du Gabon est particulière-
ment décisif dans le système mis en place dans les années 1970.
Le régime d’Omar Bongo « recycle » une partie de la génération
des « chiens de guerre » qui a servi dans la décennie précédente ;
il sert de refuge et de base arrière pour les projections des équipes
de Bob Denard.
En bref, le nouveau contexte modifie le système mercenaire.
Dans les années 1960, les soldats de fortune sont des acteurs
majeurs dans les recompositions internes des nouveaux États,
à tel point qu’ils peuvent penser affronter un pouvoir central
(RDC en 1967). Dans la structuration de ces États nés de la
décolonisation, les enjeux de la guerre froide ne viennent qu’au
second plan. La Grande-Bretagne et l’URSS affrontent par
exemple la France par acteurs locaux interposés dans le conflit
du Biafra. Dans les années 1970, le contexte de décolonisation
passe au second plan (sans disparaître comme le montre le des-
tin des espaces anciennement dominés par les Portugais) et les
enjeux de guerre froide deviennent la principale logique d’em-
ploi des mercenaires français. Cet affrontement mondial passe

287
en partie par des opérations clandestines et/ou parallèles à la
diplomatie officielle des États.
Devenu Gilbert Bourgeaud par la volonté du SDECE,
Bob Denard s’impose définitivement comme le chef de la hié-
rarchie des « chiens de guerre » français. Il n’a désormais plus
de concurrent­de premier plan et peut se permettre de laisser
partir des équipes sur certains contrats, comme en Rhodésie. Il
organise également le renouvellement du personnel mercenaire
par des méthodes qui semblent relever de l’amateurisme (petites
annonces). Pour autant, elles rendent possible l’émergence de
nouveaux cadres à ses côtés. Les viviers de prédilection qui four-
nissent encore une grande partie des hommes finalement enrô-
lés (parachutistes, légionnaires…) montrent de grandes conti-
nuités avec la décennie précédente. Les nouvelles générations de
soldats de fortune ne peuvent pas se prévaloir de l’expérience au
feu de leurs aînés. Mais ni le commando projeté au Bénin, ni
celui qui participe au débarquement aux Comores en 1978 ne
montrent de défaillances militaires majeures.
Cette dernière opération est particulièrement importante
pour les mercenaires français. Elle semble leur offrir une nou-
velle base. Denard en rêve depuis la perte de la relative autono-
mie dont il pouvait jouir dans les années 1960. Les sociétés de
sécurité privées ouvertes au Gabon relèvent de cette démarche.
En même temps, l’installation dans un État peut signifier pour
ces hommes la fin de leur activité mercenaire, à l’instar de leurs
anciens compa­gnons d’armes qui ont intégré la GP gabonaise au
début de la décennie. Une nouvelle période s’ouvre donc avec de
nouveaux enjeux.
Troisième partie

Les Comores dans la guerre froide,


le sultanat des mercenaires français
Chapitre 9

La GP comorienne, une base


pour le nouveau système mercenaire

L’installation aux Comores en 1978 change fon­da­men­ta­


lement le système mercenaire français. S’ouvre un « troisième
système mercenaire » ou « troisième âge » pour décrire son arti-
culation avec Paris. D’une part, en offrant des moyens et une
indépendance incomparables à Bob Denard, la stabilisation à
Kandani consacre l’écrasante domination du « Vieux » sur le
milieu français. D’autre part, en devenant une base arrière, les
Comores transforment le fonctionnement du groupe des sol-
dats de fortune. Stabilisé, sédentarisé, celui-ci s’organise dans
un cadre dif­férent, plus proche d’une unité militaire régulière
d’un État. Certes, il dépend beaucoup moins des contrats exté-
rieurs. Toutefois, la persistance d’opérations commanditées
sur le continent africain distingue la GP comorienne d’autres
unités semblables (Gabon ou Centrafrique). L’activité de ces
dernières répond aux seules demandes du président qu’elles
protègent.

Les opérations mercenaires : des projets


à la concrétisation

Depuis l’époque du Congo peut-être, en tout cas depuis la


période du refuge gabonais, Bob Denard a toujours souhaité

291
Dans l’ombre de Bob Denard

s’ancrer dans un État qui servirait de base à sa troupe privée. Il


s’inscrit partiellement dans la tradition des célèbres condottieri de
la Renaissance comme les Sforza. Parvenus au pouvoir à Milan,
ceux-ci cherchent à renforcer leur place dans la géopolitique ita-
lienne en renonçant à l’activité mercenaire. Pour les « chiens de
guerre » français de la guerre froide, l’implication dans la géopoli-
tique régionale explique largement leur maintien pendant douze
ans dans le « sultanat » de Bob Denard. Cependant, la base como-
rienne est également une « vitrine » qui leur offre la sécurité, des
facilités diplomatiques et un espace de négociation avec d’éven-
tuels clients à l’abri des regards indiscrets. En complément et en
guise de symbole du maintien d’un système mercenaire adossé à
l’État français, l’antenne de Paris continue de fonctionner.

Les Seychelles : Mike Hoare plutôt que Bob Denard


L’installation aux Comores ne marque donc pas la fin des
contrats extérieurs. Ceux-ci se font tout de même plus rares, non
en raison de cette sédentarisation mais plutôt du contexte poli-
tique (nous y reviendrons dans le chapitre 11, notamment pour les
rapports avec le gouvernement français). Pourtant, Bob Denard
demeure attentif aux opportunités d’opérations dans son envi-
ronnement africain. Dans les années 1970, la vie diplomatique
de l’Afrique australe est rythmée par les conflits reposant sur deux
binômes antagonistes, Blancs/Noirs et Occident/communisme.
Sur cette toile de fond de la géopolitique régionale, une com-
mande pour une équipe mercenaire se présente aux Seychelles.
Dans l’archipel, les Britanniques ont amorcé la décolonisation
dès les années 1960 en structurant la vie politique autour de
deux partis, le Seychelles Democratic Party (SDP) et le Seychelles
People United Party (SPUP). Le premier souhaite le maintien de
liens forts avec la Grande-Bretagne ; son chef, James Mancham,
devient Premier ministre en 1974. L’année suivante, l’archipel
devient « colonie autonome ». En novembre 1976, le SDP s’ac-

292
La GP comorienne, une base pour le nouveau système mercenaire

corde pourtant avec le SPUP pour obtenir l’indépendance de


Londres. Mancham prend alors la tête du pays et le meneur du
SPUP, France-Albert René, est nommé Premier ministre.
Toutefois, l’alliance des deux partis ne fait pas long feu. Le
5 juin 1977, profitant d’un déplacement du président, France-
Albert René organise un coup d’État. Le nouvel homme fort des
Seychelles met alors en place un régime de type marxiste. Bob
Denard est contacté pour monter une opération de déstabilisa-
tion du régime sur le modèle de ce qu’il a réussi aux Comores1. Il
est d’autant plus sensible à l’évolution politique des Seychelles que
France-Albert René a été l’un des chefs d’État qui, en 1978, ont le
plus dénoncé sa nomination dans le directoire de la République
islamique des Comores aux lendemains du coup d’État. En juillet­
1980, une petite équipe est envoyée pour étudier la faisabilité du
renversement de France-Albert René au profit de l’ancien pré-
sident James Mancham.
Elle met en évidence la faiblesse des moyens militaires seychel-
lois : « L’effectif fréquemment avancé est de 600 hommes. La pro-
portion armée semble faible […]. Ces nombreux fonctionnaires
en uniforme ont le plus grand mal à se donner une allure mar-
tiale, lorsqu’ils s’efforcent de le faire, ce qui est rarement le cas. »
Les observateurs valident donc la possibilité d’une opération
commando par voie maritime pour faire tomber France-Albert
René en soulignant la faiblesse des effectifs en place sur les points
sensibles : « À l’aéroport, une dizaine d’hommes. Bureau prési-
dentiel : 2 hommes armés. Résidence 1 : 3 hommes dont 1 armé
et disposant d’un E-R portatif. Résidence 2 : 2 hommes armés.
Radio : 2 hommes armés. Caserne : 2 hommes en faction2 […]. »

1. Lettre de James R. Mancham, homme politique et1er président des Seychelles


de juin 1976 à juin 1977, écrite à Londres le 13 octobre 1980 à Gérard Hoareau
à Durban en Afrique du Sud. Il sollicite une rencontre avec Bob Denard sur les
modalités d’un tel projet, archives privées Bob Denard, carton 29.
2. Dossier dactylographié Opération Margareth : rapport de la mission effectuée
en juillet 1980 de 14 pages avec cartes et photos prises aux Seychelles, archives pri-
vées Bob Denard, carton 29.

293
Dans l’ombre de Bob Denard

L’opération « Margareth » n’aboutit finalement pas et le chef


mercenaire sud-africain Mike Hoare est le maître d’œuvre d’une
tentative d’action militaire en novembre 1981 qui est déjouée.

Les projets sur le continent

Sans doute l’affaire seychelloise ne va-t-elle pas à son terme car


elle se situe dans l’espace anglophone de l’Afrique et que James
Mancham préfère finalement faire appel à des réseaux sud-afri-
cains. En 1984, les mercenaires de la GP comorienne entrent en
négociation avec le CNLE. Ce mouvement éthiopien souhaite
rétablir un descendant du Négus sur le trône. Après la chute
d’Hailé Sélassié en 1974, l’Éthiopie est devenue une dictature
militaire alignée sur le bloc de l’Est. Elle connaît de multiples
difficultés : guerre civile, famines, conflits intérieur et extérieur
(Érythrée, Ogaden avec intervention de la Somalie). Largement
implanté dans les élites éthiopiennes, et notamment dans le
clergé copte, le CNLE espère profiter de l’enlisement dans lequel
la dictature a plongé le pays. Des contacts sont donc pris à partir
de février 1984. Une série de rencontres se déroule à Paris mais,
finalement, l’affaire ne se fait pas1.
D’autres opportunités se présentent surtout dans l’ex-Afrique
française. Le Congo-Brazzaville est un pays qui retient l’atten-
tion de tout le « pré carré » depuis son indépendance, en raison
des turbulences politiques qui l’agitent et qui impactent les États
voisins. Cette destinée mouvementée est bien connue de Bob
Denard qui s’était intéressé à ce front de guerre froide au début
des années 1970. À partir de 1988, alors que la GP comorienne
est encore susceptible de fournir une équipe, Denard nourrit des
contacts réguliers avec des opposants à Denis Sassou Nguesso2.

1. Sur les contacts, il y a notamment deux lettres de l’intermédiaire de Bob Denard,


Jean-Louis Salles, qui rend compte le 2 février et le 19 avril 1984 de ses rendez-vous
avec les représentants du CNLE (Archives privées Bob Denard, carton 29).
2. Une lettre rédigée par Michel Roger Kaantey, chef du Parti libéral du Congo, à

294
La GP comorienne, une base pour le nouveau système mercenaire

Finalement, le projet s’affine après la chute des mercenaires aux


Comores. Affaibli, Denard doit partager le contrat avec d’autres
figures, des anciens comme Christian Tavernier, avec lequel
Denard a combattu au Katanga, ou des nouveaux comme le colo-
nel israélien Yaïr Klein. En effet, les Israéliens sont devenus dans
les années 1980 des acteurs importants du mercenariat au sein
du bloc occidental. Principalement actif en Amérique latine, Yaïr
Klein est l’un des principaux « soldats libres » originaires de l’État
hébreu ; d’autres opèrent en Asie du Sud-Est ou en Afrique.
Un dossier est monté pour une action qui s’appuie sur la
Guinée équatoriale comme base arrière de l’opération et qui
inclut Christian Tavernier et Yaïr Klein. Comme pour les
Comores, le chef mercenaire français semble prêt à investir de
l’argent sur ce projet : « Colonel Bob Denard, après cette opé-
ration, le gouvernement que je dirigerai vous remboursera les
sommes de 500 000 dollars US à 1 million, mon gouvernement
vous offrira un exil doré et confortable au Congo. – Monsieur
Christian Tavernier, le porteur de cette lettre, mettra à notre dis-
position toutes les ressources disponibles de son côté pour nous
aider et assurer la réussite de cette opération. – Je vous demande,
colonel Bob Denard, que vous ayez droit un droit de regard dans
cette opération par la personne de Christian Tavernier qui vous
rendra compte. J’irai chercher le colonel Yaïr Klein à Tel-Aviv en
Israël avec monsieur Christian Tavernier puis ensuite aller ren-
contrer son excellence Obiang… à Malabo et le travail commen-
cera1. » Le Congo deviendrait ainsi le nouveau lieu de résidence
de Denard. Il pourrait y commander un centre d’instruction
pour les commandos de l’armée congolaise. Sans qu’il y ait d’ex-
plication dans les archives du mercenaire français, le projet n’est
finalement pas concrétisé.

Montréal le 21 novembre 1988, fait état de nombreuses conversations téléphoniques


avec les Comores (archives privées Bob Denard, carton 29).
1. Lettre de Michel Roger Kaantey du 29 novembre 1990, archives privées Bob
Denard, carton 29.

295
Dans l’ombre de Bob Denard

Le Tchad : enfin une signature de contrat

Si les esquisses sont plus nombreuses que les réalisations, les


soldats de fortune installés aux Comores mènent toutefois des
actions militaires à l’extérieur de l’archipel comorien. Le Tchad
en est le principal théâtre. Indépendant de la France depuis 1960,
le pays plonge rapidement dans la guerre civile. À partir de 1965,
le Front de libération nationale du Tchad (FROLINAT) s’op-
pose au président François Tombalbaye. En 1973, la Libye enva-
hit une partie du Tchad, et, dans ce contexte nouveau de conflit
tchado-libyen, le FROLINAT éclate en deux tendances. Les
pro-Libyens sont dirigés par Goukouni Oueddei ; emmenés par
Hissène Habré, les anti-Libyens se rapprochent du nouveau pré-
sident Félix Malloum. Grâce à l’appui de plus en plus impor-
tant de la Libye, Goukouni Oueddei s’empare de la capitale en
1979. Il dirige le Gouvernement d’union nationale de transi-
tion (GUNT) organisé autour de onze courants d’opposition à
Félix Malloum. Hissène Habré devient ministre de la Défense du
GUNT. Toutefois, il continue de reprocher à Goukouni Oueddei
sa docilité vis-à-vis de Mouammar Kadhafi. Il est chassé lors de
la seconde bataille de N’Djamena en 1980 grâce à une nouvelle
intervention libyenne au profit de son adversaire et doit se réfu-
gier au Cameroun.
En 1981, les troupes libyennes se retirent du pays (à l’exception
de la bande d’Aozou au nord) car le colonel Kadhafi et Goukouni
Oueddei n’ont pas réussi à s’entendre sur une fusion du Tchad
et de la Libye. Revenu sur le territoire tchadien, Hissène Habré
semble dans l’incapacité de redevenir un opposant significatif à
Goukouni Oueddei. Seulement entouré d’un carré de Goranes
fidèles, il s’est installé dans l’est du pays, à proximité de la fron-
tière soudanaise, à Ouadi Bari. Il crée un mouvement concurrent
du FROLINAT, le Conseil de commandement des forces armées
du Nord (CCFAN), rapidement appelées Forces armées du Nord
(FAN).

296
La GP comorienne, une base pour le nouveau système mercenaire

Hissène Habré décide alors de faire appel aux mercenaires de


Bob Denard pour une mission de soutien. Le contact est établi
par l’intermédiaire de Khalil d’Abzac. Fils d’un lieutenant fran-
çais tué durant la campagne d’Afrique du Nord en 1943 et d’une
fille des élites libyennes, ce conseiller militaire est l’éminence grise
d’Hissène Habré avec son frère Arnaud. Il sera ensuite ministre
des Postes et Télécommunications tchadiennes. Bob Denard doit
fournir des cadres expérimentés pour les partisans de l’oppo-
sant tchadien. Très isolé, ce dernier ne peut pas honorer fi­nan­
ciè­rement un éventuel contrat. Le mercenaire décide finalement
d’accepter et d’investir sur le budget de la GP comorienne. Il
parie sur la reconnaissance d’Habré en cas de victoire.
L’opération 61 consiste à appuyer l’offensive du rebelle tcha-
dien sur la capitale N’Djamena. Compte tenu de l’absence de
financement externe, les moyens envisagés dans un premier temps
sont limités. Trois hommes sont retenus pour soutenir les milices
d’Hissène Habré. En septembre 1981, Jean-Baptiste Pouye, spé-
cialiste des mortiers, prend en charge l’artillerie des FAN ; Émery
de La Chapelle dit Riot, également bon connaisseur en artillerie
lourde, et Hugues de Tressac l’accompagnent. Foulques assure les
relations avec les Comores et fait des allers-retours.
Dans cette opération, Jean-Baptiste Pouye s’illustre aux côtés
des FAN lors de la prise d’Abéché. Hugues de Tressac rend compte
de sa « légende de baraka depuis la prise de la ville où les Goranes
l’ont vu traverser les balles […]. Les combattants goranes qui ne
sont pas des pleutres, sidérés par le courage de ce blond l’ont bap-
tisé [Lucky Ahmed] ». La conquête de la ville permet de mettre
la main sur d’importants stocks d’armes livrés par les Libyens
au GUNT. Pouye et Riot montent une véritable section d’ap-
pui mortier constituée d’une trentaine d’hommes. Les merce-
naires sont également les conseillers militaires des FAN dans cette
offensive : ils font embarquer des « canons de 106 sur des Jeep
Willis, [des] Katioucha et mitrailleuses lourdes sur Toyota, [des]

297
Dans l’ombre de Bob Denard

canons de 23 mm sur VLRA français1 ». De vieilles mitrailleuses


de la Première Guerre mondiale, des « Browning point 30 », sont
également installées sur des 4X4. Les trois hommes de Denard
apportent leur savoir-faire en mettant en place le système de trans-
missions entre les différents véhicules et l’« état-major » d’Hissène
Habré. Ces colonnes montent ensuite à l’assaut d’Oum Hadjer,
ultime verrou sur la route de N’Djamena.
Toutefois, le lendemain, les FAN sont surprises par une contre-
offensive des forces gouvernementales. Les colonnes de 4X4 sont
appuyées par des rafales de roquettes. Pourtant, les FAN finissent
par rétablir la situation. Quelques jours plus tard, des membres
des milices d’Hissène Habré reprennent l’initiative et lancent une
attaque sur un puits situé au nord-ouest d’Oum Hadjer, Goss.
Malgré le déclenchement de cette offensive sans ordre ni concer-
tation, Hissène Habré considère qu’il faut l’appuyer. Même
mineur, un revers casserait la dynamique des FAN. Jean-Baptiste
Pouye est donc dépêché sur place. Il meurt au combat le 9 avril
1982. Son corps est ensuite brûlé sur les lieux de l’affrontement
pour que l’on ne puisse pas attester de la présence des mercenaires
aux côtés des rebelles.

Le Tchad, un nouvel eldorado pour les mercenaires ?

En juin 1982, Hissène Habré achève son offensive sur


N’Djamena, entre dans la capitale et renverse Goukouni Oueddei.

De l’organisation de la GP à la seconde opération tchadienne

Devant la réussite de l’opération à laquelle ses hommes ont


pris part, Bob Denard est venu féliciter le chef tchadien et laisse
aux côtés de ce dernier Hugues de Tressac, chargé d’organiser

1. Hugues de Tressac, Tu resteras ma fille, le nouveau combat d’un soldat de fortune,


Paris, Plon, 1992, 235 p.

298
La GP comorienne, une base pour le nouveau système mercenaire

une GP. Celui-ci doit mettre en œuvre un dossier de onze pages


présentant le projet de Bob Denard articulé autour d’un corps
d’élite et d’un quartier présidentiel sécurisé. Tressac recommande
le recrutement de quatre sections de 35 hommes, auxquelles il
faut ajouter 15 combattants plus particulièrement dévolus à la
sécurité rapprochée du président ; il décline également les moyens
en armement nécessaires à cette mise en place1. En réalité, le pari
de Denard sur Hissène Habré avait donc une contrepartie, l’at-
tribution de la future GP. Il est difficile de savoir quel objectif
poursuit Denard avec cette seconde troupe rapprochée du chef
d’État tchadien. On peut simplement remarquer que cette affaire
s’est conclue sans ordre de Paris. Bob Denard envisage-t-il d’as-
surer définitivement le repli de sa troupe privée en cas de délo-
gement des Comores par la France ? Compte-t-il multiplier, à
chaque fois qu’une occasion se présente, les GP africaines qui
pourraient lui être confiées et devenir ainsi un acteur majeur de
la scène politico-militaire africaine ? Cette hypothèse marquerait
une réelle avancée de la « petite entreprise » de mercenariat de
Bob Denard vers une démarche contractuelle, commerciale telle
qu’on peut aujourd’hui l’observer avec les SMP. Espère-t-il dans
un tel schéma s’émanciper complètement des services secrets qui
étaient ses commanditaires dans les années 1970 ? Il n’en dit rien
dans ses Mémoires.
Parallèlement, Hissène Habré n’exclut pas de rappeler des
Comores les soldats de fortune pour stabiliser la situation mili-
taire générale. Les troupes de Goukouni Oueddei ne sont pas
écrasées. Réfugiées dans le nord du pays, elles attendent un nou-
vel appui libyen pour repasser à l’offensive. À l’autre bout du ter-
ritoire, dans le Sud, certaines tribus n’ont pas non plus reconnu le
nouveau pouvoir. Une seconde équipe vient rejoindre les troupes
d’Hissène Habré ; elle est encore composée de trois hommes.

1. Fiche remise à monsieur le président du C.C.F.A.N. à N’Djamena, le 23 juillet


82. Objet : Sécurité présidentielle, archives privées Bob Denard, carton 29.

299
Dans l’ombre de Bob Denard

Riot est chargé d’avancer le projet de GP auprès d’Hissène


Habré. Toutefois, le chef d’État tchadien montre très rapide-
ment qu’il ne souhaite pas donner une trop grande place aux
mercenaires français. Fin politique, l’homme n’envisage sans
doute pas d’être aussi dépendant d’eux que peut l’être Ahmed
Abdallah aux Comores. Riot rend compte à Bob Denard de sa
rapide mise à l’écart. Le 8 février 1983, il écrit : « Cette semaine
H[issène] H[abré] nous a réunis [les responsables de la Garde]
pour dire qu’il n’était pas content de l’ambiance de travail. Aussi
prenait-il la décision de faire venir un ancien [ancien chef d’es-
cadron], de le nommer commandant de la Garde et ma pomme
“conseiller” du commandant de la Garde, ensuite il reléguait
mon ancien adjoint à des responsabilités moindres. Bref je
rentrais donc la queue entre les jambes afin de réfléchir et de
prendre une décision, et de préparer un entretien avec le pré-
sident. Donc nouveau point, nouveau bilan fait par moi-même
et tous nos camarades réunis. Nous décidons donc de rapporter
au président notre volonté de partir. Je crois que nous sommes
arrivés de nouveau à un moment où il faut de nouveau mettre
les points sur les i. Mais, cette fois-ci, je ne ferai plus de conces-
sions, ou H[issène] H[abré] accepte ou bien nous faisons nos
valises1 […]. »
Le président tchadien le convainc que son choix s’explique par
des questions de politique intérieure. Mais le 21, Riot constate,
amer : « Il y a presque quinze jours H[issène] H[abré] me nom-
mait “conseiller” à un nouveau commandant de Garde ; ce der-
nier ne s’est pas gêné pour tout simplement me dire que j’étais
inutile2. » En fait, Hissène Habré a tenu en haleine le chef de
l’équipe le temps que ses compagnons d’armes effectuent la tâche
qu’il attend d’eux. Dans son esprit, le recours aux hommes de
Denard est bien ponctuel et ne se justifie que par le besoin d’un
1. Lettre de Riot du 8 février 1983 rédigée à N’Djamena, archives privées Bob
Denard, carton 29.
2. Lettre de Riot du 21 février 1983, archives privées Bob Denard, carton 29.

300
La GP comorienne, une base pour le nouveau système mercenaire

en­ca­drement de l’armée au niveau tactique. En effet, en décembre


1982, l’opération de reconquête tchado-libyenne a été lancée.

L’offensive sur Faya


Les mercenaires de la GP participent à l’offensive des forces
d’Hissène Habré vers le nord : « Après le tête-à-tête qu’il a eu avec
Saïd [Riot], nous rencontrons le président le 2 novembre, lequel
nous fait part de son désir de nous voir participer, avec la section
mortier, à l’opération qu’il projette sur l’oasis de Gouro, dans le
nord du pays, à environ 180 kilomètres au N-NE de Faya. Notre
mission sera de commander la section mortier et de s’occuper de
la réparation de l’armement lourd. » Villeneuve-Assad et Mokhat-
Suresnes servent de conseillers et encadrent les quinze éléments
de la section mortier.
Après s’être emparée sans difficulté de Faya, la colonne ne pro-
gresse plus : « Pour la première fois, on nous fait comprendre que
la situation traîne du fait d’un manque de volonté de N’Djamena.
Ce qui semble contredire les propos du président. La situation
va s’enliser durant une période de vingt-cinq jours. L’attente va
influer sur le moral des combattants déjà peu désireux d’aller se
battre […]. » Les mercenaires français observent que cette pause
dans la marche sur Gouro donne lieu à un relâchement de la disci-
pline chez les éléments tchadiens qu’ils accompagnent : bagarres,
beuveries en ville… De leur côté, les Français assurent leur tra-
vail et mettent en place une couverture de la ville par la section
mortier sous leurs ordres. Finalement, la petite troupe reprend la
route le 11 décembre et marche vers Ounianga-Kebir.
Parvenus à ce nouvel objectif, les soldats de fortune observent,
impuissants, les luttes internes au FAN. Principal conseiller mili-
taire d’Hissène Habré, Idriss Déby quitte la troupe avec d’autres
officiers pour des raisons futiles. La colonne se retrouve désormais
sans officier supérieur. C’est un jeune lieutenant, cousin et conseil-
ler d’Idriss Déby, qui donne l’ordre de reprendre la route sur Gouro.

301
Dans l’ombre de Bob Denard

L’affrontement avec les forces libyennes

L’attaque de Gouro est fixée au samedi 21 décembre et débute


en milieu d’après-midi. En queue de convoi, les mercenaires et
leur section mortier arrivent une dizaine de minutes après le
début des tirs ennemis « pour constater un manque de coordina-
tion générale de nos forces. Après avoir pris le temps de monter
sur un piton pour juger de la situation, nous décidons de nous
engager contre un piton qui semble opposer une forte résistance
et qui verrouille le passage vers Gouro. Nous sommes engagés
dans cette partie du terrain avec une “zône” c’est-à-dire une com-
pagnie d’infanterie et une partie de l’escadron. Le reste des forces
est engagé plus au sud et essaie de forcer le passage ».
Une fois encore, cet accrochage est une bonne illustra-
tion des difficultés auxquelles sont confrontés les hommes de
Denard quand ils sont sous le feu avec les forces pour lesquelles
ils travaillent­. Trop peu nombreux, sans officier supérieur pour
relayer leurs conseils tactiques, ils sont impuissants à renverser
la situation : « Plusieurs combattants prennent peur et commu-
niquent leur panique à toute la section qui devient rapidement
difficilement commandable, nous devrons les regrouper plusieurs
fois en hurlant et en allant les chercher derrière le camion où ils se
cachent pour les remettre devant leurs pièces. Nous changerons
trois fois l’emplacement de la batterie. Lors d’un déplacement, un
obus de Sol-Sol explose entre la Land Rover et l’Unimog, perce le
radiateur de celui-ci et tue un élément de la section. Ses camarades
le laisseront tomber du véhicule sans prévenir Assad qui est au
volant. » Même si l’affrontement dure quelques heures, le combat­
demeure de faible intensité mais les FAN ne réussissent pas la
percée nécessaire pour pouvoir entrer dans Gouro : « À aucun
moment, nous avons eu l’impression d’être engagés contre un
ennemi susceptible de nous faire reculer. L’élément sud a même
pu pénétrer dans le dispositif ennemi et faire des prisonniers !!!
Pourtant, à la tombée de la nuit, l’escadron recule et donne le

302
La GP comorienne, une base pour le nouveau système mercenaire

signal de la panique générale […]. Les combattants incapables de


se concentrer sur le service des pièces saisissent leurs armes indivi-
duelles et “tiraillent” dans tous les sens. Nous sommes persuadés
qu’à ce moment-là aussi des éléments se sont tirés dessus dans la
panique générale. »
La colonne doit donc se replier pour se réorganiser. Les mer-
cenaires prennent une nouvelle fois conscience qu’ils ont trop
peu d’emprise sur le jeu des acteurs locaux. Les soldats de fortune
français sont victimes des rapports de forces internes au camp
d’Hissène Habré : « Impossible de raisonner les combattants
qui, voyant les phares de deux Toyota amies qui nous suivent et
croyant qu’il s’agit d’ennemis abandonnent le véhicule avec armes
et bagages et se sauvent tous […]. Sur la piste de retour, à environ
20 kilomètres d’Ouninaga-Kébir, nous retrouvons Idriss Déby et
son état-major, en panne et qui s’apprêtait à nous rejoindre. Il ne
nous cache pas sa satisfaction d’avoir vu les responsables échouer
dans cette opération et nous parle déjà de mise en place de nou-
velles structures à Faya1 ! »

La troisième équipe au Tchad : vers la création


d’une nouvelle troupe

Pour autant, les rivalités au sein des FAN profitent à l’ennemi


tchado-libyen. Le pouvoir d’Hissène Habré demeure très fragile.
En juin 1983, persuadé que seuls les conseils de mercenaires bien
formés peuvent l’aider, Bob Denard reprend contact avec le pré-
sident tchadien : « La réussite tient […] à une autre composante
essentielle à mes yeux : la qualification, l’expérience et le jugement
de ceux qui vont avoir à se servir de ce matériel et à l’exploiter au
mieux. L’équipement le plus sophistiqué ne saura jamais compenser
le manque d’hommes compétents, formés et entraînés à ce type de
1. Les citations sont extraites du compte rendu de 19 pages du 10 janvier 1983
rédigé à N’Djamena. Il est signé Assad et Mokhtar mais a été entièrement rédigé par
Assad-Villeneuve, archives privées Bob Denard, carton 29.

303
Dans l’ombre de Bob Denard

combat […]. Le combat que vous avez à mener a changé d’allure.


Vous étiez rompus à une technique de guérilla et d’actions ponc-
tuelles […]. Aujourd’hui, vous n’êtes plus l’attaquant et il vous faut
mener une guerre de position sur plusieurs fronts. Or, cette guerre-
là, seule une armée bien équipée et bien structurée peut en assurer
le succès […]. Comme par ailleurs vous ne disposez pas de temps
nécessaire pour les former et que les techniciens civils qui accom-
pagnent le matériel ne sont sans doute là que pour une durée limi-
tée, vous allez devoir utiliser des éléments étrangers. »
Denard dépêche donc une troisième équipe au Tchad.
Villeneuve-Assad et Mokhtar-Suresnes reprennent le chemin de
N’Djamena. Ils sont accompagnés de Patrick Ollivier. Comme
Hissène Habré dispose désormais de davantage de moyens finan-
ciers (d’autant plus que la France s’est rapprochée de lui comme
on le verra au chapitre 11), une nouvelle troupe en nombre
significatif est envisagée : « Que soit définie une idée-force de
manœuvre dans un cadre autonome. À mon avis, l’efficacité
maximale nécessite une stratégie opérationnelle souple, complé-
tée d’actions ponctuelles, type commandos, en liaison avec les
unités conventionnelles pour désorganiser les arrières de l’adver-
saire. Monsieur le Président, je vous proposerais, si vous le jugez
nécessaire, une force d’intervention rapide de 100 à 150 hommes
auxquels il faudrait adjoindre 3 à 400 combattants pour enfoncer
le dispositif ennemi, et cette dernière possibilité ne peut se conce-
voir qu’avec l’aide de mes amis du Sud car il n’est pas possible
de trouver en Europe avec discrétion suffisamment d’hommes
entraînés et préparés à ce genre de combat […]. » Finalement,
Bob Denard imagine le Tchad comme un nouveau Congo avec
une troupe encadrée par de nombreux mercenaires. Il tire les
leçons des années 1960 : il est difficile d’enrôler de nombreux
hommes en Europe, encore plus dans les années 1980 qu’au len-
demain des décolonisations. Comme vingt ans plus tôt, l’Afrique
du Sud demeure un second vivier dans lequel il est nécessaire de
prévoir des recrutements.

304
La GP comorienne, une base pour le nouveau système mercenaire

Bob Denard poursuit : « Dans un 1er temps, l’équipe de 12 à


15 techniciens que je peux mettre à votre disposition à très brefs
délais pourrait préparer l’unité mobile tchadienne de choc. Saïd
[Riot] est retourné aux îles mais si vous le souhaitez, il peut revenir.
Quant au capitaine Stofflet [P. Ollivier] qu’accompagnent Assad
et Mokhtar, il a une très grande expérience militaire notamment
dans les combats de ces dernières années. Si vous le souhaitez, il
pourra faire avec vous le point de la situation et évaluer l’effectif
et le profil des techniciens dont vous avez un besoin immédiat.
Personnellement, je vois la formation d’une unité très mobile
avec des moyens d’appui lourd permettant d’attaquer l’ennemi
sur ses arrières et de réduire son potentiel de combat1. »
Les trois hommes proposent la création d’un groupe de recon-
naissance autonome (GRA) le 12 juillet 1983. La solde des cadres
techniques (la même pour tous) serait de 600 000 francs CFA
par mois (soit 26 000 francs de l’époque, c’est-à-dire 6 700 euros)
avec un contrat initial de six mois. On remarque la reprise de la
terminologie chère aux mercenaires de Bob Denard, proche du
« groupe de volontaires experts » des années 1970. Simplement,
son équipe n’est alors plus la seule à servir Hissène Habré et le
président tchadien comprend qu’il a beaucoup à gagner en négo-
ciant directement avec Paris.

Les opérations mercenaires hors du groupe Denard

Le principe général retenu par Bob Denard est de limiter au


maximum les informations sur les missions des officiers de la GP
partis sur un théâtre extérieur. Comme les nouvelles finissent
toujours par circuler, il demande à ses hommes de s’en tenir au
plus grand secret possible, comme en témoigne cette consigne
régulièrement répétée aux cadres européens des Comores : « Si

1. Citations extraites de la lettre de Bob Denard à Hissène Habré rédigée à Paris le


3 juin 1983, archives privées Bob Denard, carton 29.

305
Dans l’ombre de Bob Denard

l’un d’entre vous soupçonne une action éventuelle à l’étranger de


notre part, je vous demande de vous taire et de n’en faire état à
personne, a fortiori si ces bruits peuvent se justifier1. » Même si le
principal objectif est de maintenir la plus grande discrétion pos-
sible vis-à-vis des services secrets, un autre but pourrait être d’évi-
ter de générer une concurrence sur de potentiels gros contrats.

Une équipe Dulac pour le Tchad

Bob Denard doit faire face à d’autres acteurs crédibles qui pro-
posent leurs services à Hissène Habré. En juin 1983, René Dulac
constitue une équipe pour remplacer les hommes de Denard au
Tchad. À ce moment-là, comme l’ont montré les tractations qu’il
mène avec le Médocain, le président tchadien a besoin d’experts
étrangers beaucoup mieux équipés ou plus nombreux. Appuyé
par la logistique libyenne, Goukouni Oueddei s’apprête à lancer
une offensive sur Faya-Largeau qui doit ensuite le mener jusqu’à
N’Djamena. René Dulac voit l’opportunité de concurrencer,
voire de supplanter le « Vieux » dans le milieu. L’ancien lieute-
nant du Médocain fait appel à des hommes de confiance pour ce
projet. Il prend contact un ancien officier hongrois de l’Air, Lajos
Marton, qu’il fréquente depuis les années 1960 dans les cercles
de sociabilité OAS. Dulac recrute également Lenormand qui va
l’assister pour l’enrôlement du reste de l’équipe. Finalement, 32
mercenaires composent le groupe Omega. L’objectif assigné est
d’établir une ceinture défensive au nord de N’Djamena et de per-
mettre ainsi l’évacuation des civils européens par le fleuve Chari
avec des barges de débarquement. Après une phase d’en­traî­
nement in situ, le groupe Omega se met au travail.
Le 21 juillet 1983, déjà opérationnels, les onze premiers
soldats de fortune participent à la prise de Faya-Largeau. Une

1. Compte rendu du briefing du 17 juillet 1981, archives privées Bob Denard,


carton 42.

306
La GP comorienne, une base pour le nouveau système mercenaire

semaine plus tard, ils rejoignent Hissène Habré à N’Djamena.


Huit d’entre eux repartent vers Faya pour trier les armes aban-
données par l’ennemi. Ils disposent ainsi du matériel militaire à la
pointe de la technologie : des missiles Milan dotés d’une caméra
thermique Mira qu’on utilise alors pour la première fois dans un
combat réel ; un véhicule aménagé pour les transmissions et les
écoutes et muni d’un poste de radio à mémoire que l’armée fran-
çaise ne possède pas encore. Cependant, la présence des merce-
naires est dénoncée par des journalistes après l’évacuation de l’un
des membres de l’équipe, atteint de troubles nerveux1.

Une GP en Guinée équatoriale

Tandis que René Dulac lui a mis le pied à l’étrier, Lenormand


tente de décrocher ses propres contrats. En 1985, « j’ai également
assuré la sécurité du président de Guinée équatoriale. C’était
Thierry Roussel, de la famille des laboratoires qui m’avait entraîné
là-dedans », raconte-t-il. Indépendante depuis 1968, la Guinée
équatoriale est d’abord dirigée par Francisco Macias qui instaure
rapidement une dictature. Il est renversé en 1979 par des militaires
emmenés par le colonel Teodoro Obiang Nguema Mbasogo. En
1982, celui-ci est nommé président de la République et cherche
dès lors à renforcer son pouvoir. Il confie donc à Lenormand le
soin d’organiser sa protection rapprochée et une unité d’élite
chargée de soutenir le régime. Les premiers cadres recrutés sont
choisis dans le milieu mercenaire français, soit auprès d’anciens
de la GP comorienne (Mélis, Jean-Louis Salles ou Ricard), soit
parmi les hommes qui ont participé à l’opération tchadienne sous
les ordres de René Dulac.
Toutefois, les pressions sur Lenormand compliquent la mise
en place de cette unité guinéenne. D’un côté, les hommes de la

1. « Tchad : à la fortune du pro », Les Dossiers du Canard enchaîné, n° 28, juin-juillet­


1988.

307
Dans l’ombre de Bob Denard

GP gabonaise voient d’un mauvais œil l’installation de merce-


naires français dans leur voisinage géographique ; d’un autre, des
dissensions internes entre « denardiens » et « dulacistes » ternissent
l’ambiance. Enfin, l’appui de Thierry Roussel s’avère inconstant :
« Roussel, c’était un fils de riches, entouré de personnes intéres-
sées, c’était pas fiable. Je suis rentré1. » Finalement, l’expérience ne
dure que quelques mois.
Dans la continuité de la période précédente, les opérations
mercenaires sont de plus en plus rares. Le long conflit tchadien
offre toutefois un cadre privilégié pour le travail de groupes
de soldats privés. Même s’il développe des projets plus ambi-
tieux, Bob Denard n’y envoie que des équipes très restreintes.
L’essentiel des activités de ses hommes se concentrent aux
Comores.

La GP, un outil sécuritaire pour les Comores

La GP des Comores n’échappe pas aux modèles développés


dans d’autres États africains du « pré carré » français. L’outil tac-
tique qu’est la garde pour la sécurité personnelle du président
devient une unité d’élite pour la pérennité du régime. Le ren-
seignement entre ensuite dans la logique de stabilisation et de
renforcement du pouvoir. Finalement, de simple outil de pro-
tection, la GP s’octroie des pouvoirs informatifs et coercitifs au
point de faire du chef des mercenaires un « sultan blanc » de la
République islamique. Dès lors, Bob Denard et ses hommes sont
impliqués et/ou mis en cause dans la stratégie politique des diffé-
rents acteurs qui interfèrent sur la scène comorienne.

1. Citation de l’entretien avec Lenormand à Montpellier, le 2 avril 2013.

308
La GP comorienne, une base pour le nouveau système mercenaire

Naissance d’une troupe d’élite encadrée par les mercenaires

Après le coup d’État, seule une petite partie des membres


de l’équipe qui l’a réalisé, un tiers environ en 1979, choisit de
demeurer aux Comores aux côtés de Bob Denard. Dans un pre-
mier temps, ces hommes sont affectés dans une unité appelée le
« commando noir ». Le nom s’est rapidement imposé tant la tenue
noire adoptée par les mercenaires pour débarquer dis­crè­tement le
13 mai a frappé les Comoriens au cours de la journée du coup
d’État. Dans les semaines qui suivent, le « commando noir » s’il-
lustre par quelques actions civilo-militaires spectaculaires. Sous
les ordres de Jacques Lafaille, les caciques du régime d’Ali Soilih,
les Moissi, sont obligés de travailler à la remise en état exté-
rieur de la capitale. En moins de deux semaines, ils repeignent la
ville, bâtiments officiels, maisons privées et équipements collec-
tifs, notamment l’hôpital. Pour autant, la principale mission du
« commando noir » demeure d’assurer le changement politique.
Des mercenaires assument ainsi les fonctions sécuritaires : réta-
blissement des flux et de la surveillance de ceux-ci dans le port
et à l’aéroport ; patrouilles de nuit dans la capitale… D’autres
assurent également la surveillance de la résidence où est retenu
l’ancien président.
Les circonstances de la mort de ce dernier demeurent troubles.
Dans ses Mémoires, Patrick Ollivier sous-entend par exemple que
Denard et ses hommes l’ont exécuté de sang-froid : « Denard lui
a-t-il demandé les coordonnées de ses comptes en Suisse comme
cela m’a été rapporté ? Excédé par son refus, l’a-t-il abattu d’une
balle de P 38 ? Est-ce bien lui qui a tiré ? Ne serait-ce pas plutôt
l’un de ses adjoints qui s’illustra plus tard par son goût de la tor-
ture ? Est-il exact que l’auteur du coup de grâce qui a achevé Ali
Soilih l’a ensuite dépouillé de sa montre en guise de trophée ?
Les rumeurs les plus contradictoires courent encore sur l’homme
assis en face de moi. » S’il ouvre des pistes, le témoignage de
Patrick Ollivier est celui d’un homme qui n’était pas présent aux

309
Dans l’ombre de Bob Denard

Comores au moment des faits. Surtout, l’homme est en rupture


avec Denard et ses fidèles au moment où il rédige ses Mémoires et
peut être suspecté de vouloir noircir l’action du « Vieux »1.
Bob Denard présente une version des faits très différente et
plus noble des raisons qui l’auraient poussé à ouvrir le feu sur Ali
Soilih. Selon lui, le destin du président déchu est déjà scellé et il
préfère lui donner une chance de mourir dignement. Il lui pro-
pose de tenter l’évasion. En prenant sa chance, Ali Soilih est tué.
Cette version n’emporte pas davantage l’adhésion que celle de
Patrick Ollivier2. En fait, en dehors des témoins directs et de ceux
prêts à colporter une vision qui les arrange (Patrick Ollivier), le
secret semble avoir été bien gardé, y compris parmi les hommes
du « commando noir ». Volontiers franc sur ses rapports avec Bob
Denard et les décisions de celui-ci, Michel Loiseau raconte avoir
appris la nouvelle à Voidjou par téléphone puis conclut : « Je ne
saurai jamais exactement ce qui s’est passé3. »
Toutefois, fort des précédents africains (et notamment gabo-
nais), Bob Denard comprend qu’il s’agit désormais d’institution-
naliser la place des mercenaires au sein de la République isla-
mique des Comores. Une GP est mise sur pied ; elle remplace
le « commando noir ». Cette nouvelle troupe d’élite est encadrée
par les soldats de fortune. Ils sont désormais des « officiers ser-
vant à titre étranger » sur le modèle de la Légion étrangère, à ceci
près que le modèle existant dans l’armée française est inversé : aux
Comores, les nationaux sont sous-officiers et soldats, et les cadres,
européens. Dans un premier temps, son coût de fonctionnement
est assuré par une somme d’un million de dollars versée par le

1. Patrick Ollivier, Soldat de fortune, op. cit., p. 150.


2. Lors de notre entretien téléphonique le 4 juillet 2013, Cheikh Hafedh
Abdourazakou, lieutenant-chef de la division formation de l’établissement logistique
du commissariat des armées à Roanne, fils du lieutenant-colonel chef de la
gendarmerie fédérale des Comores de 1978 à 1989, défend l’idée que le sort d’Ali
Soilih avait été décidé en amont de l’opération avec les commanditaires, allant dans
le sens de la version de Bob Denard.
3. Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit.

310
La GP comorienne, une base pour le nouveau système mercenaire

sultan d’Oman qui avait été donnée au moment de l’opération


du 13 mai 1978 ; « Une délégation d’Irak […] nous a aidés éga-
lement à passer le cap1. » Pendant un an, le budget de la nouvelle
troupe est donc assuré, laissant le temps au président Abdallah et
à Bob Denard de trouver des sources de financement pérennes. À
partir de 1979, elle est entièrement financée par l’Afrique du Sud
(nous y reviendrons).
En réalité, son montage budgétaire la distingue des autres GP
du « pré carré ». En effet, il est dissocié des deniers publics como-
riens. L’argent de Pretoria transite par un compte (en France puis
en Suisse) dont Bob Denard est le détenteur officieux. Ainsi la
GP comorienne peut être considérée comme une troupe pri-
vée, propriété personnelle de Bob Denard et mise au service de
la République islamique des Comores. Le mercenaire demeure
un condottiere. On peut considérer qu’il s’agit d’un SMP dont
l’unique client (hors des opérations ponctuelles) est le régime du
président Abdallah.

Un autre aspect la distingue des autres unités, semblables au


premier abord, qui ont été organisées sur le continent africain. Sa
conception, entre savoir-faire de sécurisation et capacité de pro-
jection, est ambivalente. Dans les différents textes qui jalonnent
la réflexion de Bob Denard sur son organisation, on mesure à
quel point la GP doit demeurer un outil d’éventuels coups de
main à l’extérieur des Comores. L’appellation même retenue dans
ce projet est significative de la double dimension envisagée : « Le
groupe Commando de sécurité particulière a été mis sur pied par
une personnalité militaire de premier plan pour faire face à des
besoins de sécurité requérant efficacité et discrétion. Ces condi-
tions imposent l’emploi d’un personnel ouvert, fiable et po­ly­
valent. Exclusivement composé de personnel d’origine militaire,
le groupe commando de sécurité particulière est issu en droite
1. Mémo GP89/OPS 95 daté du 23 juin 1996, archives privées Bob Denard,
carton 44.

311
Dans l’ombre de Bob Denard

ligne d’unités opérationnelles entraînées pour des missions offen-


sives et lointaines de type commando. La plupart des hommes
qui la constituent ont parfait leur expérience au sein de la section
de Protection rapprochée de la Garde présidentielle des Comores
ou dans des formations de type similaire au Zaïre et au Gabon. »
En quelques lignes sont ainsi rappelées l’expérience des
membres du groupe commando, sa conception sur le modèle des
unités combattantes des mercenaires français des années 1960 et
1970 mais aussi sa compétence nouvelle dans la garde rappro-
chée. Bob Denard poursuit : « Les problèmes de la sécurité des
personnes ou des biens, la protection des entreprises, en milieu
rural ou urbain, sous toutes les latitudes et généralement dans
une ambiance hostile sont familiers au Groupe commando de
sécurité particulière. » Finalement, ces grandes orientations jetées
sur le papier au cours de l’année 1979 pourraient tout à fait être
un descriptif sommaire à destination de futurs clients pour des
contrats mercenaires. Les références à d’autres espaces géogra-
phiques, à des commanditaires privés prouvent que la destina-
tion de ce « groupe commando » ne répond pas aux seuls impéra-
tifs de la sécurité d’Ahmed Abdallah, ni même de la République
islamique des Comores. En stabilisant son personnel au sein de
la GP, Bob Denard construit bien alors une SMP informelle.
D’ailleurs, la symbolique est explicite avec l’adoption de la devise
de la GP, Orbs patria nostra1 (« Le monde est notre patrie »).

La place de la GP au sein des forces comoriennes

La GP doit trouver sa place dans le système de Défense como-


rienne. Il s’agit donc de redéfinir le rôle des forces armées conven-
tionnelles mais aussi de la gendarmerie. La nouvelle répartition
assure, bien entendu, une part privilégiée à la GP afin d’asseoir

1. Citations du projet « Groupe commando de sécurité particulière » daté du 20 juin


1979, archives privées Bob Denard, carton 42.

312
La GP comorienne, une base pour le nouveau système mercenaire

la position des mercenaires français dans l’archipel. Ainsi, dans le


nouveau schéma d’organisation de toutes les forces armées, la GP
se voit confier les missions suivantes :
« 1. Assurer la sécurité du chef de l’État.
2. En cas d’agression extérieure, s’articuler autour des forces
armées.
3. En cas de calamités naturelles, participer dans la mesure de
ses moyens, en liaison avec les autres formations ou organisations
de secours aux opérations d’assistance. »
Son rôle dépasse donc la seule sécurité du chef de l’État.
Comme la plupart des GP africaines mises sur pied dans les
années 1960 et 1970, elle est également une troupe d’élite au ser-
vice de la stabilité du pouvoir en place. Le modèle gabonais est
évidemment bien connu de Denard et de certains cadres de la GP
comorienne. Pour son efficacité comme unité d’excellence, la GP
reçoit donc « deux compagnies de combat, l’une assurant la mis-
sion permanente et ses servitudes, l’autre constituant la compa-
gnie d’intervention et de manœuvre. Ces deux compagnies sont
coiffées par un état-major réduit, placé sous l’autorité directe du
président ». Les effectifs envisagés dans un premier temps sont
de « 200 Comoriens et 20 techniciens étrangers ». La GP devient
l’outil tactique qui assure la pérennité du régime.
À côté de la GP, « la mission traditionnelle de la gendarme-
rie à la française est axée sur les deux pôles : recherche du ren­sei­
gnement, maintien de l’ordre. Et principalement en zone rurale.
Le caractère spécifique comorien, le fractionnement insulaire et le
compartimentage du terrain nous feront évaluer les besoins de la
gendarmerie en personnels à 250, encadrement technique fran-
çais compris1 ». Les zones géographiques d’action de cette gendar-
merie sont définies selon la culture commune aux mercenaires et
à la tradition coloniale. Surtout, le format est fixé par Denard.
1. Citations tirées du texte dactylographié intitulé « De l’esprit de la coopération
entre la République islamique des Comores et la République française », archives pri-
vées Bob Denard, carton 42.

313
Dans l’ombre de Bob Denard

Limitée numériquement et rejetée loin des zones urbaines,


notamment de Moroni, la gendarmerie ne peut pas devenir une
force d’opposition à la GP. Elle est cantonnée au seul rôle de force
de police en zone rurale.
Demeure l’armée comorienne, laquelle n’a pas montré sa
capacité à résister au coup d’État en 1978 mais qui doit cepen-
dant être suffisamment opérationnelle pour pouvoir fournir des
troupes sous les ordres des hommes de la GP en cas d’attaque
étrangère.

La GP, une unité de plus en plus indispensable


au régime
Lors de sa mise en place, la nouvelle unité mercenaire ne com-
prend donc qu’une vingtaine d’Européens. Toutefois, elle gagne
ensuite en importance pour différentes raisons.

Des effectifs en hausse


Unité d’élite garante de la stabilité du pouvoir d’Ahmed
Abdallah, la GP voit ses effectifs lentement gonfler, notamment
à partir du milieu des années 1980, moment où l’opposition
au régime semble plus vive. Preuve de son rayonnement, elle
attire de plus en plus les jeunes les mieux éduqués de l’archi-
pel : « Actuellement, la partie militaire de la Garde comprend
26 officiers dont 4 Comoriens […]. Pour les sous-officiers, cette
année a été particulièrement marquante puisque de 60 en début
d’année, ils sont maintenant 87, soit un peu moins de 20 % de
l’effectif […]. Les hommes du rang connaissent eux aussi une
augmentation d’effectif de plus de 80, ce qui se traduit in­di­
vi­duel­lement par moins de service puisqu’il est le même qu’en
85. Nous avons incorporé 130 jeunes après une formation de
4 mois. Le niveau intellectuel des jeunes est en sensible augmen-
tation depuis un an, plus de 70 % des jeunes recrutés savent

314
La GP comorienne, une base pour le nouveau système mercenaire

lire et écrire1. » La GP comprend, à son apogée, trois compa-


gnies de combat. Elle compte environ 700 hommes à la chute
du régime d’Ahmed Abdallah en 1989 dont une trentaine de
cadres européens.
Ahmed Abdallah s’implique dans l’évolution de la gestion de
la GP avec quelques exigences particulières. Ainsi écrit-il à Bob
Denard en novembre 1979 : « Il faut continuer à éliminer ceux
qui sont racistes » et affiche sa satisfaction : « On n’entend plus
parler d’elle mais elle est toujours aussi efficace2. » Sécurisé par
la GP, le régime évolue peu à peu vers des formes dictatoriales.
En 1982, les partis politiques de l’archipel sont dissous. L’Union
comorienne pour le progrès (UCP), ou « Parti bleu », dirigée par
le chef d’État devient l’unique représentation politique autorisée.
Lors de l’élection présidentielle de 1984, aucun autre candidat ne
peut se présenter et Ahmed Abdallah est donc reconduit dans ses
fonctions par le vote du 30 septembre. Ainsi le milieu des années
1980 marque une nette inflexion dans l’évolution politique de la
République islamique depuis l’arrivée des mercenaires.

La tentative de putsch de 1985

En 1985, la situation des Comores paraît stabilisée et la GP


solidement arrimée au pouvoir. Pourtant, l’apparente tranquil-
lité de ses cadres européens est remise en question par un sou­lè­
vement interne à l’unité de garde rapprochée du chef de l’État. Le
vendredi 8 mars, vers 19 h 30, une vingtaine de soldats de la GP
se sont rassemblés à Kandani. Ils envisagent de s’emparer du mess
des officiers dans l’intention d’y neutraliser les cadres européens
et de prendre le contrôle de l’unité d’élite du régime. Cependant,
juste avant de passer à l’action, un soldat du complot prend peur

1. Compte rendu de l’activité de la GP pour l’année 1986, archives privées Bob


Denard, carton 42.
2. Rapport effectué à Moroni le 29 novembre 1979 sur l’entretien avec le président
Ahmed Abdallah.

315
Dans l’ombre de Bob Denard

et s’enfuit avec la voiture d’un officier à Mbeni. Cette défection


paralyse les Comoriens de la GP gagnés au complot ; ils préfèrent
retourner à leurs chambres.
Le lendemain, les mercenaires enquêtent sur ce qui ne peut
ressembler encore qu’à un incident isolé. Grâce à un militaire
du rang, membre de la GP, ils apprennent que les comploteurs
avaient récupéré des armes lourdes (mines antichars notam-
ment). Très rapidement, les principaux suspects sont identi-
fiés. L’enquête révèle que les 10 Comoriens de la GP impliqués
dans le complot­étaient en contact avec des civils. Les opposants,
Moustapha Saïd Cheikh et Saïd Soilih, s’avèrent les instigateurs
de l’action. Dans la journée du lundi 11, Moustapha Saïd Cheikh
et Saïd Soilih sont interpellés. Les fouilles effectuées chez les deux
suspects entraînent la saisie de nombreux documents. Les inter-
rogatoires permettent de recouper et de compléter les renseigne-
ments recueillis.
Les deux complices avouent leur implication mais il semble
que les principales responsabilités portent sur Saïd Soilih. Dès
lors, le fil de l’enquête mène jusqu’à un second groupe de civils :
« Le lundi 18, un renseignement important fourni au capitaine
Cheikh Allaoui faisait faire un bond en avant en dévoilant les
responsables du Mouvement communiste. L’arrestation et l’audi-
tion de messieurs Saïd Nafion, Ahmed Coudra, Abderamane et
Andhume Houmadi , respectivement secrétaire à l’Information,
secrétaire aux Finances, secrétaire du Bureau politique, confir-
mèrent les renseignements donnés et la connaissance par certains
membres du bureau politique de la tentative de coup d’État1. »
Même très mal préparée, cette tentative de putsch révèle l’acti-
vité clandestine des partis d’opposition et leur capacité à diffuser
leur discours politique jusqu’au sein de l’unité d’élite du régime.
Finalement, l’événement démontre les dysfonctionnements
du système ou l’insuffisante attention portée à la surveillance de
1. Compte rendu d’interrogatoire du 13 mars 1985, archives privées Bob Denard,
carton 44.

316
La GP comorienne, une base pour le nouveau système mercenaire

ces organisations antigouvernementales. Il conforte l’idée qu’il


faut renforcer l’appareil sécuritaire organisé par les mercenaires,
notamment sa partie renseignement. L’accroissement des fonc-
tions coercitives de la GP s’accélère. Les autorités et le comman-
dement tirent le bilan d’une nécessaire réforme de cette troupe.

Une réorganisation pour mieux défendre le régime


La GP est réorganisée. Le premier bureau est consacré aux
aspects administratifs et à la comptabilité de l’unité. Les activi-
tés du second sont entièrement dévolues au renseignement. Le
B3 gère l’activité militaire, l’entraînement… ; le B4 s’occupe
de logistique, des cuisines et de l’approvisionnement de l’unité.
Un 5e bureau a pour cœur d’activité la jeunesse de l’archipel, les
activités éducatives et sportives. À côté de ces différents dépar-
tements, un service « Relations extérieures » remplit une double
mission. La première est d’assurer l’articulation avec les Affaires
étrangères de la République islamique des Comores. La seconde
consiste surtout en une bonne liaison pour les mercenaires avec
les ambassades étrangères dans l’archipel et avec certains bureaux
de l’État.
L’effort porte surtout sur le 2e bureau de la GP consacré aux
activités de contre-espionnage et de surveillance politique. Déjà
existant sur l’organigramme de la GP, il n’avait pas jusque-là de
véritable politique de renseignement. Lors de l’audit de l’unité
mercenaire en 1980, la conclusion de son auteur est d’ailleurs
sévère : « Les missions de B2 sont incomplètement remplies.
On peut considérer qu’il manque un officier, soit au B3, soit au
B2, mieux à chacun de ces deux bureaux. Bien sûr, la situation
actuelle est tenable tant que tout est calme. » Les événements de
1985 font qu’il est urgent de prendre en compte les recomman-
dations de l’audit de 1980. « C’est certainement le domaine où
il y a le plus à faire car rien n’existe. L’effort doit se faire dans
quatre directions : la sécurité militaire […], le renseignement

317
Dans l’ombre de Bob Denard

politique intérieur et extérieur […], le renseignement à caractère


politico-économique1. »
Dans la deuxième partie des années 1980, la mise en place
d’un véritable B2 autonome et efficient constitue donc une nou-
velle compétence très importante confiée à la GP. Elle revient
à reconnaître que le contre-espionnage et la sécurité intérieure
sont aux mains des mercenaires. Les réticences avaient pro­ba­
blement été fortes jusque-là. À la suite de l’inspection de 1980,
Bob Denard avait prévu en vain un service dédié à ces tâches.
Lors du briefing des activités de l’année 1986, le B2 semble
avoir répondu aux attentes qui ont généré sa mise en place.
Dans son bilan, le commandant de la GP développe plus parti-
culièrement le cas du B2 : « Après un peu plus d’un an de fonc-
tionnement, je crois qu’il faut féliciter le lieutenant Brémont
pour l’organisation de son bureau, pour la formation qu’il a
donnée à ses hommes et pour l’organisation en général de la
sécurité à l’intérieur de la Garde. En ces quelques mois, le 2e
bureau de la Garde est devenu aux yeux des autorités un organe
de renseignement et d’investigation à part entière. Pour la plu-
part des affaires délicates, le B2 a prêté son concours et pour
certaines, il les a complètement résolues. Un projet de décret
habilitant la Garde pour intervenir dans les affaires de sûreté
de l’État est en cours mais, bien sûr, comme nous touchons aux
prérogatives de certains, il ne fait pas l’unanimité, ce qui retarde
sa mise en application. »
Bien entendu, les réticences à élargir encore davantage le péri-
mètre des compétences des cadres européens de la GP demeurent
importantes. Pourtant, pendant les élections présidentielles ver-
rouillées au bénéfice d’Ahmed Abdallah, il semble possible d’ar-
racher au président cet accroissement du pouvoir des merce-
naires : « Je crois qu’après les élections, le moment sera venu pour
1. Audit de la Garde effectué à la demande de Bob Denard par le lieutenant-colonel
François au cours du premier trimestre 1980 (document de 22 pages, dactylographié,
non daté, non signé), archives privées Bob Denard, carton 58.

318
La GP comorienne, une base pour le nouveau système mercenaire

insister. Il est bien évident que la Garde ne doit pas se transfor-


mer en police politique ou autre, mais vu le fonctionnement des
autres services de sécurité, nous nous devons d’intervenir dans le
domaine de la sûreté de l’État1. »
De nouveaux événements poussent Ahmed Abdallah à accor-
der aux hommes de Bob Denard davantage de latitude. Une nou-
velle action de l’opposition comorienne se déroule en deux temps,
le 30 novembre et le 6 décembre 1987. Le principal but des inté-
ressés est la libération des prisonniers du camp d’Itsoundzou.
Parmi ces hommes se trouvent des prisonniers de droit commun
mais aussi des acteurs de la tentative de putsch de 1985 dont
l’ex-sergent-chef Anouar, dit Rambo. Le montage de l’opération
a été organisé par un de ses camarades, un ex-caporal de la GP
nommé Gaya. Les principaux comploteurs ont pris contact avec
deux sous-officiers d’active de la GP, les sergents Ali Ibouroi et
Saïd Ahamada. Ils ont prévu de passer à l’action le 30 novembre
à minuit. La conspiration est étouffée dans l’œuf car le sergent
Ali Ibouroi dénonce immédiatement les préparatifs à ses chefs.
L’officier B2 demande ensuite à Ibouroi d’infiltrer la bande afin
de connaître leur plan. Ainsi les remédiations effectuées après la
tentative de 1985 semblent-elles porter leurs fruits face à cette
nouvelle tentative de l’opposition.
Mais, le 6 décembre 1987, à 4 h du matin, profitant de la
relève des sentinelles et rompant leur vigilance, trois des complo-
teurs arrêtés s’évadent. Ils sont poursuivis et ne répondent pas aux
sommations d’usage. Un sergent de la GP ouvre alors le feu sur
les fugitifs. Ils sont mortellement atteints. Les corps sont ramenés
au poste de police d’Itsoundzou. Après les formalités d’usage, les
familles sont informées des événements et invitées à récupérer les
dépouilles pour les enterrer suivant les rites confessionnels isla-
miques. Pour éviter la propagation de fausses nouvelles, d’autres

1. Citations tirées du Compte rendu des activités de l’année 1986, 12 décembre 1986,
archives privées Bob Denard, carton 42.

319
Dans l’ombre de Bob Denard

prévenus sont présentés à leurs familles qui peuvent constater


leur bon état de santé1.

Un outil de répression musclée

La principale accusation portée contre les mercenaires repose


sur la brutalité avec laquelle ils réprimeraient les différentes formes
d’actions de l’opposition. La contestation de leurs méthodes
monte en puissance au cours des années 1980. L’opposition
comorienne dénonce les violences extrêmes infligées aux per-
sonnes impliquées. Le représentant du Front démocratique
comorien (FDC) à Paris proteste contre des arrestations jugées
arbitraires, des violences contre les militants interpellés dont le
nombre s’élèverait à près d’une centaine. Le principal d’entre eux,
Moustapha Saïd Cheikh, reste effectivement emprisonné sans
procès jusqu’à la chute du régime d’Ahmed Abdallah. Reprise
par certains journalistes français comme Pierre Péan, l’opposi-
tion affirme que « depuis le 8 mars, la horde de mercenaires de
Bob Denard est déchaînée et s’en prend violemment à tous ceux
qui, peu ou prou, contestent leur présence sur notre scène natio-
nale. Deux à trois dizaines de GP ont été arrêtés. Parmi ceux-ci,
certains ont été soumis à la torture, 3 à 5 GP seraient morts ou
à l’agonie2 ». Dans le documentaire tourné par Laurent Boullard,
le frère de l’un des acteurs du complot, Hassani, défend la thèse
selon laquelle celui-ci aurait été lynché par les mercenaires de la
GP. Abdelaziz Riziki Mohamed assure également qu’« il y a eu du
sang versé, plusieurs morts3 ».

1. Récit des événements d’après le rapport classé confidentiel « Synthèse des


événements des 30 novembre et 6 décembre 1987 » du 16 décembre 1987, archives
privées Bob Denard, carton 44.
2. Lettre du 28 mars 1985 du représentant en France du FDC à l’ambassadeur des
Comores à Paris, archives privées Bob Denard, carton 44.
3. Entretien téléphonique le 1er juillet 2013 avec Abdelaziz Riziki Mohamed,
intellectuel comorien exilé en France, docteur en sciences politiques.

320
La GP comorienne, une base pour le nouveau système mercenaire

Les arguments de l’opposition comorienne sont également


repris par l’ONG Amnesty International. L’impact médiatique
est d’ailleurs jugé suffisamment négatif pour que l’ambassadeur
des Comores en France, Ali Mlahaili, demande le 24 août 1985
une tribune au Monde pour réfuter les faits : « Jamais le gouver-
nement comorien ne saurait accepter la torture comme moyen
d’information judiciaire et méthode de répression politique.
L’instruction des responsables de la tentative de putsch du 8 mars
se fait avec la coopération, pour ne pas dire sous le contrôle d’un
commissaire de police judiciaire français, en retraite, venu spécia-
lement de France pour ce dossier. »
Du côté des mercenaires, le système de défense repose sur l’ab-
sence de preuves. On affirme ainsi que ces accusations ne tiennent
pas, qu’aucun corps n’a jamais été trouvé. Si l’on s’appuie sur les
archives administratives (dont on ne peut exclure qu’elles aient
été expurgées des pièces compromettantes), un compte rendu des
événements évoque un « interrogatoire musclé » grâce à laquelle
« l’information s’est confirmée, il a pu être établi que 5 soldats
auraient pris les armes avec l’intention de s’en servir contre les
Européens en général1 ». L’expression d’« interrogatoire musclé »
renvoie-t-elle à des méthodes policières alors courantes ou cache-
t-elle un euphémisme pour des violences plus extrêmes ? Rien ne
permet de conclure. Le déroulement est assez semblable pour
la tentative de 1987. À Paris, différents communiqués de l’op-
position parlent de 3 à 25 morts. L’antenne de la GP relaie les
informations aux Comores selon lesquelles on évoque des types
découpés, abandonnés dans des sacs en plastique ou bien même
retrouvés dans des citernes. Forte de l’expérience de 1985, la GP
met en avant les précautions mises en place, notamment la res-
titution des corps des évadés aux familles et l’entrevue des autres
comploteurs avec leurs proches. Cette nouvelle procédure permet

1. Rapport non signé « Situation de la GP aux Comores », archives privées Bob


Denard, carton 44.

321
Dans l’ombre de Bob Denard

en 1987 d’établir le nombre réel de tués et d’écarter les accusa-


tions de torture sur les autres.

La chute des mercenaires

À partir de 1988, il devient cependant de plus en plus évident


que la GP doit connaître une nouvelle évolution pour se mainte-
nir. Sa situation se dégrade en raison de changements intérieurs
et extérieurs. Nous nous proposons d’examiner, pour l’instant, les
éléments du changement dans l’archipel des Comores.

Une tutelle de moins en moins bien acceptée

Depuis 1978, les Comoriens acceptent sans la moindre difficulté


la présence et le rôle joué par les mercenaires dans la République
islamique. En réalité, après être apparus en libérateurs au moment
du coup d’État puis s’être fondus en partie dans les élites como-
riennes par les liens matrimoniaux et/ou d’affaires, les cadres euro-
péens de la GP sont adoptés par la population. Pourtant, peu à peu,
les soldats de fortune ont tendance à prendre davantage de liber-
tés au quotidien. Certains prennent l’habitude de se servir avant
tout le monde dans les magasins. Les incidents se multiplient. Saïd
Mohamed Djohar est beaucoup plus radical dans ses critiques
contre les membres de la GP « à commencer par leurs chefs blancs,
[qui] se mirent à appliquer la loi du plus fort […] prenant tout ce
qu’ils voulaient sans payer, violaient les femmes et les jeunes filles,
frappant ceux qui protestaient, arrêtaient et emprisonnaient ceux
qui osaient les défier1 ». Témoignant a posteriori dans le documen-

1. Djohar Saïd Mohamed, Mémoires du président des Comores : quelques vérités qui ne
sauraient mourir, Paris, L’Harmattan, 2012, 344 pages, p. 249. Devenu président par
intérim à la chute du régime d’Ahmed Abdallah (27 novembre 1989-20 mars 1990),
ses affirmations sont cependant à prendre avec précaution. En politique, il semble
systématiquement prendre les mercenaires pour boucs émissaires. Ainsi affirme-t-il
dans le même passage que le budget de la GP pèse sur les caisses de l’État, ce qui est
faux (voir chapitre 11).

322
La GP comorienne, une base pour le nouveau système mercenaire

taire de Laurent Boullard, Salim Abdallah, fils du président, consi-


dère que cette évolution indique l’acceptation de moins en moins
partagée par les Comoriens de mercenaires qui outrepassent large-
ment les missions dont ils sont officiellement investis.
Alors que la répression s’alourdit depuis les tentatives de
1985 et 1987, la violence nouvelle des « chiens de guerre » fran-
çais contribue à détacher d’eux la population. Selon Cheikh
Hafedh Abdourazakou, les arrestations sont désormais plus mas-
sives lors de manifestations publiques liées à l’opposition. En fait,
les mesures prises par la GP pour obtenir une plus grande effi-
cacité en termes de renseignements et de surveillance portent
leurs fruits mais se révèlent finalement contre-productives à long
terme. Les rumeurs de torture instaurent notamment un climat
de plus grande peur. Dans ces conditions de dégradation des liens
noués entre les cadres européens et la population, le « Comorien
moyen considère plus volontiers que les mercenaires s’accaparent
les richesses du pays, que ces étrangers venus de nulle part pro-
fitent du rapport de force1 ».
Cette inflexion du regard porté par les Comoriens sur les
membres de la GP s’explique également par la présence de plus
en plus visible des Sud-Africains liés aux mercenaires. Vivant dans
un système régi par l’apartheid, les Sud-Africains ont tendance à
modeler leurs relations avec les habitants de l’archipel sur leurs pra-
tiques nationales. Ce racisme heurte une partie des élites como-
riennes, comme en témoigne Abdelaziz Riziki Mohamed qui vit
alors à Mohéli2. Dans ce contexte, le discours des opposants à
Ahmed Abdallah reçoit davantage d’attention. L’un des principaux
contestataires du régime est Abdallah Mouzaoir. Ancien ministre
des Affaires étrangères d’Ali Soilih, il se situe dans une gauche
modérée sur l’échiquier politique comorien et dirige l’Union pour
une république démocratique aux Comores (URDC). Son mou-
vement est bien implanté parmi les immigrés comoriens en France.
1. Entretien téléphonique avec Cheikh Hafedh Abdourazakou le 4 juillet 2013.
2. Entretien téléphonique avec Abdelaziz Riziki Mohamed le 1er juillet 2013.

323
Dans l’ombre de Bob Denard

Lui-même originaire de Grande Comore, il connaît, en revanche,


davantage de difficultés à recruter des militants dans l’archipel.
Le prince Saïd Ali Kemal est le fils de l’ancien président, le
prince Saïd Ibrahim décédé en 1975. Après avoir fait ses études
à Madagascar, il a travaillé à France 3 à la Réunion et Djibouti.
À la chute d’Ali Soilih, Ahmed Abdallah l’a nommé ambassa-
deur des Comores en France mais il démissionne au bout de
quelques mois. Favorable au progrès démocratique, il fonde un
mou­vement politique qui n’a pas non plus de soutien populaire
important parmi les Comoriens tant son programme est élitiste.
Une troisième figure, Mohamed Taki, s’impose parmi la classe
politique comorienne en exil. Il descend également d’une famille
de sultans. Dans un premier temps proche d’Ahmed Abdallah, il
est président de la Chambre des députés jusqu’en 1984. Mais il
rompt avec le président de la République quand une modification
de la Constitution lui enlève son rang de numéro 2 du régime.
Installé à Paris, l’homme est opportuniste, il fonde l’Union natio-
nale démocratique des Comores (UNDC) et sa forte personnalité
lui permet de faire vivre son mouvement.
Toutefois, l’emprise des principaux partis d’opposition
demeure extérieure à l’archipel des Comores et repose surtout
sur les membres de la diaspora. À l’intérieur, seul le FDC, dont
les activistes de 1985 et 1987 sont des militants, constitue une
menace potentielle pour le régime. Pourtant, le mouvement
semble durement affaibli par la répression de la GP : « Le coup
que nous venons de lui porter en arrêtant une trentaine de diri-
geants, dont 7 du Bureau politique sur 8, sera pour lui rude à
encaisser. Mais n’oublions pas que les communistes ne sont
jamais pressés. Il faut s’attendre à ce que le mouvement émerge
de nouveau, peut-être sous une autre forme. C’est pourquoi il
est essentiel de mener l’enquête jusqu’au bout, de démanteler les
cellules existantes », analysent les cadres du B21. Le mouvement

1. Rapport du B2 du 20 mars 1985, archives privées Bob Denard, carton 42.

324
La GP comorienne, une base pour le nouveau système mercenaire

fait l’objet d’une surveillance régulière à partir de 1985 au moins.


Les structures qui lui sont associées sont soumises au même trai-
tement : l’ASEC pour les étudiants, l’UTMA (Union des tra-
vailleurs mahorais) et l’UTC (Union des travailleurs comoriens)
pour le syndicalisme ou des associations culturelles comme « les
Papillons bleus » pour le sport.
Pourtant, l’opposition n’est jamais complètement muselée. En
1989, la question d’un troisième mandat d’Ahmed Abdallah se
pose. Il nécessite toutefois une modification de la Constitution.
C’est l’occasion pour l’opposition de donner de la voix. En février
1989, un texte circule dans l’archipel. Intitulé Comores : le vent
tourne et rédigé en France, il dénonce « la dictature de l’incom-
pétence » et affirme que « sans un bouleversement de la situation,
les Comores risquent de s’enfoncer plus encore dans le marasme.
La pièce qui se joue […] menace de tourner au drame1 ». À la
veille de la victoire (trop) écrasante du « oui » à la réforme consti-
tutionnelle proposée par Ahmed Abdallah (92,5 % des voix) le
5 novembre, 4 000 personnes viennent assister à un meeting de
l’UNDC de Mohamed Taki.
Les mercenaires s’inquiètent également des remous au sein des
forces armées et de la gendarmerie. Rappelé à l’ordre par le FMI
et la Banque mondiale, le président Abdallah a dras­ti­quement
réduit les budgets et s’expose à une « grogne croissante ». Ces insti-
tutions servent à distribuer des fonctions et les émoluments asso-
ciés à des représentants de l’élite. La GP est également affectée
par la réduction de son enveloppe par l’Afrique du Sud. Durant
l’été 1989, l’ensemble de ces signaux négatifs pousse Bob Denard
à organiser dans les rues de Moroni un grand défilé militaire de
la GP et de ses matériels pour convaincre les différents acteurs
politiques de sa capacité d’action. Le démantèlement de l’unité
est cependant réclamé par la France et l’Afrique du Sud (nous y
reviendrons dans le chapitre 11).

1. Extrait cité par Pierre Lunel, Bob Denard, le roi de fortune, op. cit., p. 612.

325
Dans l’ombre de Bob Denard

Troubles circonstances de la mort du président

L’étau se resserre donc autour d’Ahmed Abdallah et de sa GP.


La fin du régime est précipitée par la mort du chef de l’État. Dans
la nuit du 26 au 27 novembre 1989, aux environs de minuit,
des coups de feu retentissent à proximité du palais présidentiel.
Les premières versions divergent sur l’identité des assaillants. Bob
Denard défend d’abord la thèse selon laquelle il s’agirait de gen-
darmes et d’éléments incontrôlés des FAC. Dans la première
version de ses Mémoires, écrits avec le journaliste Pierre Lunel
et publiés en 1991, le « Vieux » présente ainsi les événements et
affirme : « Des questions, il y en a beaucoup qui restent à ce jour
sans réponse. Sur l’identité des assaillants de la Présidence1 […]. »
L’argumentaire du mercenaire consiste à faire remarquer que la
mort d’Ahmed Abdallah dans ces conditions ne lui profite pas.
Cependant, il devient rapidement évident que les forces armées
comoriennes sont trop affaiblies et que leurs chefs sont trop
proches du régime pour tenter un coup de force contre le palais
présidentiel tenu par la GP.

Les mercenaires présentent une seconde version à la fin des


années 1990. Ils auraient décidé de renforcer leur emprise sur
Ahmed Abdallah en écartant la concurrence des FAC. Seulement,
le commandant Mohamed Ahmed aurait refusé de démissionner
et, « pour éviter tout face-à-face, on a décidé de les désarmer. J’ai
mis au point le plan de désarmement », affirme le commandant de
la GP, Marqués2. Les mercenaires auraient alors décidé de mettre
en place un « plastron » pour laisser penser à Ahmed Abdallah que
les FAC pouvaient se retourner contre lui et qu’il fallait définiti-

1. Pierre Lunel, Bob Denard, le roi de fortune, op. cit., p. 625 et suivantes.
2. Marc Pivois, « L’assassinat du président comorien en 1989 », Libération, 12 mai
1999.
http://www.liberation.fr/societe/0101281966-l-assassinat-du-president-comorien-
en-1989-j-ai-compris-qu-il-allait-tirer-je-me-suis-couche-instinctivement-bob-
denard-a-donne-sa-version-de-la-mort-d-abdallah consulté le 25 mai 2013.

326
La GP comorienne, une base pour le nouveau système mercenaire

vement leur ôter toute capacité d’action. En réalité, ce sont donc


quelques membres de la GP, présentés comme des gendarmes et
membres des FAC en rébellion, qui simulent l’attaque du palais
présidentiel dans la nuit du 26 au 27 novembre. Ils sont char-
gés de tirer quelques rafales en l’air pour donner de la crédibilité
à la défense d’Ahmed Abdallah par les autres cadres européens.
Selon le plan établi, la GP doit alors obtenir du président le désar-
mement immédiat de toutes les autres forces armées. Comme
convenu, Bob Denard arrive à la présidence peu après les pre-
miers tirs. Tandis que ses hommes mettent en application cet
ordre, le « Vieux », Marqués et Siam entrent dans le bureau du
président pour faire signer le décret à Ahmed Abdallah.
Les circonstances sur les événements qui suivent demeurent
non élucidées. Ils sont décrits de façon contradictoire par de nom-
breux témoins si bien qu’une version définitive est impossible à
établir, comme l’ont notamment montré l’enquête et le procès
consécutif à cet homicide. On peut aussi se rapporter aux écrits
de Bob Denard, aux différents livres sur l’histoire des Comores
ou encore au documentaire de Laurent Boullart, Bob Denard,
le sultan blanc des Comores dans lequel Pierre Lunel, Philippe
Chapleau ou encore Salim Abdallah, fils aîné du président tué
donnent leur sentiment.
Selon les mercenaires, les tirs continuent d’éclater dans la nuit :
« En Afrique, c’est toujours comme ça. Si un soldat tire, tous les
autres tirent, on ne sait plus d’où ça vient. Réaction de soldat.
Rien, en effet, ne semble se passer comme prévu : les vitres du
palais présidentiel tremblent sous des tirs de bazooka et d’armes
lourdes. Le Président a pâli, il avait très peur, poursuit Denard.
Je l’ai pris, je l’ai secoué en lui disant : “Ce n’est rien. En même
temps, j’ai gueulé à Marqués de faire cesser le feu1”. » Le plan

1. Marc Pivois, « L’assassinat du président comorien en 1989 », Libération, 12 mai


1999. http://www.liberation.fr/societe/0101281966-l-assassinat-du-president-como-
rien-en-1989-j-ai-compris-qu-il-allait-tirer-je-me-suis-couche-instinctivement-bob-
denard-a-donne-sa-version-de-la-mort-d-abdallah consulté le 25 mai 2013.

327
Dans l’ombre de Bob Denard

é­ tabli par la GP semble donc lui échapper puisque les mercenaires


ne parviennent pas à rétablir le calme. Toujours selon cette ver-
sion, au moment où Marqués sortait, le sergent-chef Jaffar, l’un
des quatre gardes du corps personnels du chef de l’État comorien,
serait entré dans la pièce.
Il se méprendrait sur les gesticulations de Bob Denard qui se
tient à proximité du président et pointerait sa kalachnikov en
direction du « Vieux » : « Siam a réagi en soldat entraîné. Il en
avait le passé et l’expérience, les réflexes. Dans la même seconde,
je me suis jeté au sol, hors de la ligne de tir. La rafale est partie et
Siam a abattu Jaffar. » Il touche également mortellement Ahmed
Abdallah. L’autre version veut que, seuls dans le bureau avec le
président, les mercenaires fassent pression sur lui pour obtenir
leur maintien. Ils auraient été trop loin dans la menace – lors de
notre entretien, Abdelaziz Riziki Mohamed parle de traces sur
son corps constatées par la sœur du président après son décès –
et l’auraient tué, tandis que Jaffar aurait été abattu dans l’esca-
lier menant au bureau situé à l’étage1. Lors de notre entretien,
Abdoulhamid Abdourazakou confirme que le corps du garde du
corps se trouvait bien au pied de l’escalier.
Ayant assumé depuis de hautes fonctions dans son pays (pré-
sident de la Cour constitutionnelle des Comores de 2008 à
2012), cet homme calme, hostile à la violence était, en 1989,
commandant en chef de la gendarmerie. À ce titre, il était plu-
tôt proche des mercenaires. Il affirme d’ailleurs avoir été appelé
par Bob Denard pour rejoindre le palais peu après minuit. Il
constate alors que les hommes de la GP contrôlent les princi-
paux axes menant à la résidence d’Ahmed Abdallah sur lesquels
ils ont installé des barrages. Il confirme également que les merce-
naires ont fait le siège du poste principal de gendarmerie où ses
hommes, de leur propre initiative, ont refusé de se rendre et ont
ouvert le feu sur la GP. Ceci est d’ailleurs un élément d’explica-
1. Thèse également défendue par Pascal Perri, Comores. Les nouveaux mercenaires,
op. cit., p. 51.

328
La GP comorienne, une base pour le nouveau système mercenaire

tion sur l’absence de cessez-le-feu malgré les ordres de Marqués.


Ainsi, alors que les cadres de la GP cherchent à désarmer les
autres forces armées, conformément à l’objectif de l’opération,
les bruits de ces combats­secondaires contribuent au désordre au
palais présidentiel.
Arrivé sur place, Abdoulhamid Abdourazakou est frappé par
le désordre général ; il voit le corps criblé de balles de Jaffar au
rez-de-chaussée puis rejoint le bureau du président. Là, comme
les deux hommes s’entendent plutôt bien, Bob Denard lui aurait
proposé de succéder à Ahmed Abdallah, offre que le Comorien
décline par prudence, voire par pusillanimité. Abdourazakou et le
mercenaire maintiendront cependant des liens. Ainsi, le « Vieux »
continuera à l’accueillir à ses frais à une ou deux reprises dans les
années 1990 à Paris, lorsque le Comorien vient voir ses enfants
dont certains vivent et travaillent en France. Toujours est-il que
le témoignage d’Abdoulhamid Abdourazakou plaide pour une
perte de contrôle de la situation par les mercenaires au cours de
laquelle Ahmed Abdallah aurait été tué hors de la présence de son
garde du corps Jaffar. Une autre possibilité serait un plan déli-
béré de Bob Denard pour éliminer le chef d’État et le remplacer
par un autre qui leur devrait son pouvoir. Un tel projet dans les
circonstances politiques et géopolitiques d’alors paraît toutefois
irréaliste1.
Dès le lendemain, en vertu de la Constitution, Saïd Mohamed
Djohar exerce l’intérim de la présidence. Chef des FAC, Mohamed
Ahmed est finalement arrêté à Anjouan, tandis qu’à Moroni la
rumeur accuse déjà la GP de meurtre. L’opposition s’exprime
désormais ouvertement. Dans les semaines qui suivent, la France
annonce officiellement la suspension de l’aide qu’elle accorde aux
Comores. À Mayotte, 150 hommes de la LE, du 1er RPIMA et

1. Cela semble notamment le scénario retenu par Saïd Mohamed Djohar mais il
n’est pas présent au palais présidentiel avant le lendemain matin et donne une version
peu crédible et très à son avantage de la chute de Bob Denard (Saïd Mohamed
Djohar, Mémoires du président des Comores, op. cit., p. 255-261).

329
Dans l’ombre de Bob Denard

le commando Jaubert sont mis en état d’alerte. Le 13 décembre,


comprenant que son maintien est désormais impossible, Bob
Denard négocie son départ avec les autorités françaises et sud-
africaines. Le 15, sous l’œil des troupes françaises, il embarque
avec les derniers mercenaires pour Pretoria où il s’installe. La
­plupart de ses hommes rentrent en Europe.

1995, le chant du cygne

Alors que l’Afrique du Sud où s’est réfugié Bob Denard voit se


développer une puissante SMP, Executive Outcomes, les « chiens
de guerre » français n’adhèrent pas à ce nouveau modèle entrepre-
neurial. Leur chef l’a esquissé sans jamais franchir la ligne d’une
structure ouvertement commerciale. Ils continuent à fonction-
ner sur le schéma des anciennes modalités, informelles et clan-
destines, à l’abri de « feu(x) orange » des services pour décrocher
un contrat. Aifix affirme à propos du « Vieux » : « On a essayé de
le pousser » mais selon lui, « Denard était déboussolé. Il fonction-
nait avec la France comme unique donneur d’ordres1 ».
En 1995, Bob Denard tente un ultime retour aux Comores. La
planification de l’opération débute en 1994. Pourtant, elle n’est
déclenchée qu’en septembre 1995 après l’élection présidentielle
française. Les souvenirs de 1981 et le retour probable de Jacques
Foccart à l’Élysée expliquent très vraisemblablement le choix de
ce calendrier. Entouré de ses fidèles, le « Vieux » recrute et prépare
l’opération « Kashkazi ». Il achète à Narvik, au nord de la Norvège,
un ancien câblier algérien le Tell Elkabell et crée une société d’ar-
mement panaméenne pour le financement de cette acquisition.
Le bateau se nommera désormais le Vulcain. Des armes démili-
tarisées et rapidement remises en condition de fonctionnement
sont trouvées chez des revendeurs français et belges. Le Vulcain
prend ensuite la mer au départ de Rotterdam. Pour plus de dis-

1. Entretien à Paris avec Aifix le 23 mars 2012.

330
La GP comorienne, une base pour le nouveau système mercenaire

crétion, 12 hommes seulement sont à bord. Bob Denard et 18


autres recrues s’embarquent lors d’une relâche aux Canaries avant
de cingler vers le cap de Bonne-Espérance. Nostalgie ou féti-
chisme, l’opération s’inscrit dans le sillage de l’Antinéa en 1978.
La tentative de retour aux Comores s’appuie sur d’anciens
cadres de la GP et de vieux fidèles de Bob Denard. Le « Vieux »
doit cependant renouveler son effectif pour avoir un commando
suffisamment étoffé et efficace. Là encore, il a recours aux mêmes
recettes. Une nouvelle fois, la sociabilité parachutiste, en l’occur-
rence l’Union nationale parachutiste (UNP), constitue le vivier
privilégié pour l’enrôlement. Les hommes de l’équipe sont plus
globalement issus des troupes aéroportées, les meilleures de l’ar-
mée française aux yeux de Bob Denard : infanterie de marine
(2e et 4e RIMA, 6e RPIMA), 9e régiment de chasseurs parachu-
tistes, 35e régiment d’artillerie parachutiste. Pourtant, l’un de ces
jeunes mercenaires, Franck Hugo, témoigne : « Jour après jour, je
me rendais compte que la troupe était loin d’être homogène. Le
Vieux avait raclé les fonds de tiroir et pris un peu tout ce qu’il
trouvait1. »
Comme en 1978, le commando arrive à bon port sans avoir
été intercepté. Il reprend le contrôle des Comores sans difficulté
majeure. Le plan décline à peu près l’action de 1978. Débarqués
sur l’archipel de l’océan Indien dans la nuit du 27 au 28 sep-
tembre, la trentaine d’hommes se sépare en quatre équipes2. Sous
les ordres du commandant Marqués, la première s’empare du
poste de police du camp de Kandani. La seconde emmenée par
Siam investit le camp lui-même. À la tête des 3e et 4e groupes, Bob
Denard et J.M.D.3 s’emparent du palais présidentiel qui se rend

1. Franck Hugo, Philippe Lobjois, Mercenaire de la République, Paris, Nouveau


Monde éditions, 2009, 429 p.
2. Nous reprenons ici le récit des événements tels qu’il est retranscrit dans le
jugement de la 14e chambre du tribunal de grande instance de Paris rendu le 20 juin
2006, affaire n° 9528637979.
3. Cet homme n’a pas été pris en compte dans le corpus comme tous ceux qui n’ont
pas appartenu à la GP ou participé à des opérations avant 1989.

331
Dans l’ombre de Bob Denard

sans la moindre résistance. La population considère avec bien­


veillance ce retour. Plus qu’un regard redevenu totalement positif
sur les mercenaires, cette attitude est probablement due au soula-
gement d’en finir avec l’ère Djohar marquée par une dégradation
de la vie économique et sociale (vie économique atone, augmen-
tation des coupures d’électricité ou d’alimentation en eau…) et
par la corruption politique.

Comme dans les opérations de la période d’avant 1989, la


complicité des forces françaises est également mise en lumière
lors du procès, notamment pour la prise de la résidence du pré-
sident Djohar : « Ayant été hélé par Jean-Marie Dessales sous son
nom confidentiel, celui de Stanislas, le capitaine Rubis, après
quelques tirs de dissuasion destinés à neutraliser les lumières
avait ordonné à la trentaine d’hommes chargés de la sécurité
[…] et lourdement armés de déposer les armes1. » Une fois Saïd
Mohamed Djohar déchu, un comité militaire dirigé par le capi-
taine Combo, complice­des mercenaires, assure le pouvoir.
Mais les temps ont changé. Après la déclaration, le 29 sep-
tembre 1995, du Premier ministre Alain Juppé, selon laquelle
la France n’interviendrait pas, la condamnation internationale
est unanime. Paris est pointé du doigt à l’OUA, à l’ONU et
par ses partenaires européens. Face à ces protestations, Paris
change de position et l’opération « Azalée » est rapidement mise
sur pied pour intervenir aux Comores. Elle mobilise plus de
1 000 hommes du COS, du commando Jaubert, du GIGN et du
2e RPIMA. Déployant un DC-8, quatre hélicoptères PUMA et
huit avions-cargos Transall, ainsi qu’une frégate et deux patrouil-
leurs, ils interviennent contre les mercenaires. Selon la retrans-
cription des événements pour le procès de 2006, l’attaque contre
Moroni est particulièrement brutale. Largement moins nom-
breux et impressionnés par les conséquences d’un combat contre
1. Jugement de la 14e chambre du tribunal de grande instance de Paris rendu le
20 juin 2006, affaire n° 9528637979.

332
La GP comorienne, une base pour le nouveau système mercenaire

la puissance militaire française, les hommes de Denard sont dés-


tabilisés. Ils n’ont d’autres choix que de se rendre ou d’ouvrir
le feu contre des compatriotes et soldats avec toutes les consé-
quences que cela suppose en cas de mort. Franck Hugo se sou-
vient : « Sans visée nocturne, j’ai épaulé les ombres mouvantes
[…]. Le doigt sur la détente, j’ai hésité. J’en avais au moins trois
dans ma ligne de mire. Un coup de doigt et tout était fini… il y
aurait la peur, les tirs de riposte, les blessés qui se tordraient sur
le tarmac. Ouais, il y aurait tout ça mais il y aurait aussi la chasse
à l’homme sans fin dans l’île et, au bout du compte, une balle
dans la tête. Dans ces instants, il ne faut pas hésiter. Je l’ai fait,
j’ai perdu1. »
Bob Denard et ses hommes sont arrêtés et ramenés à Paris.
Comme le système mercenaire français ne peut plus continuer
à fonctionner, il n’est pas impossible que la brutalité de l’inter-
vention ait eu pour objectif de créer les conditions de l’élimina-
tion de Denard au cours du combat. Selon le procès-verbal du
jugement de 2006, « il semble qu’on avait fait croire à ces mili-
taires qu’ils auraient affaire à de véritables terroristes de diverses
origines, notamment libanaise et il semble aussi […] que des
consignes avaient été données pour que Robert Denard et ses
hommes soient carrément éliminés […]. Bien que Robert Denard
s’était engagé à ne pas résister ni tirer sur l’armée française, celle-
ci initia à plusieurs reprises des tirs sans sommation qui firent
plusieurs morts parmi les militaires et les civils comoriens et plu-
sieurs blessés, y compris parmi les journalistes présents ». Il appa-
raît, en effet, que le vieux mercenaire ait envisagé une telle réac-
tion et ait invité quelques journalistes à assister à l’éventuel assaut.
L’un d’entre eux, Christophe Gautier, présent sur place est blessé
par les forces françaises. Finalement, Bob Denard est jeté en pri-
son à la Santé où il reste jusqu’en juillet 1996. L’homme autour
duquel s’était organisé depuis trente ans le milieu des soldats de

1. Franck Hugo, Philippe Lobjois, Mercenaire de la République, op. cit., p. 152.

333
Dans l’ombre de Bob Denard

fortune français met alors définitivement fin à sa carrière sur le


terrain de combattant irrégulier.

Queues de comète

Il continue cependant de mûrir des projets avec ses « experts-


volontaires ». En 1996-1997, il s’agit d’intervenir pour défendre
le régime de Mobutu contre les forces rebelles de Laurent-Désiré
Kabila, lequel finit par prendre le pouvoir en mai 1997. Les
premiers mercenaires arrivent à Kinshasa en janvier 1997 sous
les ordres de Christian Tavernier, l’ancien compagnon d’armes
de Bob Denard au Katanga. Environ 280 « chiens de guerre »
doivent lutter contre la guérilla organisée par Laurent-Désiré
Kabila. La plupart sont yougoslaves mais on compte également
des hommes du « milieu français », notamment des vétérans de
la GP et de 1995. Ils sont impuissants à empêcher la chute de
Mobutu en mai. Les soldats de fortune se tournent ensuite vers
le Congo-Brazzaville. Après la guerre civile qui a opposé ses par-
tisans à ceux de Pascal Lissouba entre mai et octobre 1997, Denis
Sassou Nguesso s’impose militairement et se proclame président
du pays. Il s’assure du concours de mercenaires français pour
encadrer ses milices et consolider son pouvoir.
Au début du xxie siècle encore, une équipe opère en Côte
d’Ivoire. Après la période de stabilité et de développement éco-
nomique sous le règne de Félix Houphouët-Boigny, le pays
est entré dans une période d’agitation et d’affrontements san-
glants. L’ethnie dominante des Baoulé se maintient après la mort
d’­Houphouët-Boigny­en 1993. Avec la montée en puissance des
rebelles du Nord, l’alternance devient possible en la personne
d’Alassane Ouattara, musulman d’origine burkinabé. Pour écar-
ter cette éventualité, le général Robert Gueï s’empare du pou-
voir par la force en décembre 1999. Élu l’année suivante, Laurent
Gbagbo est élu dans des circonstances contestables.

334
La GP comorienne, une base pour le nouveau système mercenaire

La rébellion, menée par Guillaume Soro, prend alors davan-


tage d’ampleur dans le Nord. Marqués prend la tête de 37 mer-
cenaires européens en octobre 2002. Ils doivent encadrer une
petite compagnie d’une centaine d’hommes, directement aux
ordres de Gbagbo, chargée de mener des raids chez les insurgés.
Les soldats de fortune sont sévèrement accrochés en décembre
2002 par des miliciens libériens dans l’ouest du pays. Ils sont
attaqués à l’arme lourde, alors qu’ils progressent à bord de véhi-
cules : « Le véhicule de tête prendra deux coups de roquette RPG
dans les portières. L’un des légos sera blessé au visage par les éclats
­tandis que le conducteur aura les jambes transpercées. Deux légos
tchèques de notre équipe vont faire des merveilles et se porte-
ront à leur secours. Pendant ce temps, moi [Franck Hugo] et
mon équipe allons tout prendre dans la gueule jusqu’à ce que
les deux Tchèques viennent nous sortir de là. Je perdrai plus de
50 % de ma section1. » À l’instar de Franck Hugo, certains mer-
cenaires surpris d’être impliqués dans des combats aussi rudes
préfèrent se retirer. Alors que Paris fait pression sur Gbagbo pour
qu’il renonce à ses « chiens de guerre » français, la France lance
l’opération « Licorne » d’interposition entre les forces gouverne-
mentales et les rebelles. En janvier 2003, l’équipe française quitte
le théâtre du conflit. Il semble que ce soit le dernier engagement
significatif des mercenaires français. Moins de quinze ans après la
chute de la GP comorienne et de la fin de la guerre froide, le sys-
tème périclite, malgré un vivier renouvelé depuis quarante ans.

1. Franck Hugo, Philippe Lobjois, Mercenaire de la République, op. cit., p. 349.


Chapitre 10

Les années 1980, le « Vieux »


et ses « mercenaires-colons »

La doctrine d’emploi des mercenaires a changé à partir du


moment où ils intègrent la GP comorienne. Pourtant, la hié-
rarchie au sein du milieu français demeure organisée autour de la
personne de Bob Denard. Malgré son activité désormais très cen-
trée sur les Comores, il demeure un chef à peu près incontesté.
Dans cette nouvelle configuration, ses rapports avec ses hommes
connaissent également des évolutions.

Le système mercenaire français : le centre comorien


et ses périphéries

Bob Denard est au carrefour entre le monde des combattants


irréguliers et celui des donneurs d’ordres politiques ; il est devenu
un interlocuteur familier de chefs d’État solidement en place sur
le continent africain. La sédentarisation de ses hommes et son
propre vieillissement posent toutefois la question des nécessaires
recompositions de cette hiérarchie. Les changements peuvent se
faire par promotion interne à la GP comorienne ou par la voie de
construction d’équipes concurrentes.

337
Dans l’ombre de Bob Denard

Bob Denard, « sultan blanc » des Comores

De 1978 à 1989, Bob Denard n’est plus un combattant de


terrain. Officiellement mis en place le 23 mai 1978, le direc-
toire politico-militaire se compose des deux coprésidents, Ahmed
Abdallah et Mohamed Ahmed, et de six membres parmi lesquels
Bob Denard. Il apparaît alors encore en uniforme. Toutefois,
après son retrait du directoire en juillet 1978, l’homme porte
plus souvent le costume que le treillis. D’ailleurs, il quitte les
Comores en septembre pour plusieurs années et vit entre la
France, l’Afrique du Sud et les Comores. Il devient à la fois un
conseiller­très proche du président Abdallah qu’il appelle « mon
frère » comme les autres chefs d’État africains avec lesquels il
entretient des liens étroits (Omar Bongo par exemple).

Également ambassadeur itinérant au service des Comores,


Bob Denard est à la fois un ministre des Affaires étrangères et
un ministre du Commerce extérieur bis. Bien entendu, il suit de
près le fonctionnement de la GP, régulièrement tenu au courant
par le commandant effectif de la troupe, mais s’intéresse davan-
tage aux affaires publiques comoriennes. Il n’a pourtant pas reçu
l’éducation d’un grand commis d’État. Son instruction s’est
arrêtée au niveau du certificat d’études et à l’école des appren-
tis mécaniciens de la flotte à Saint-Mandrier près de Toulon.
En revanche, il a une longue expérience des cercles de pouvoir
en Afrique et en France en raison des liens qu’il a noués avec le
SDECE et les hommes de Jacques Foccart. L’âge mais surtout
les séquelles plus marquées de sa grave blessure à la tête de 1967
entraînent des difficultés nouvelles. C’est sans doute autant par
peur d’être trahi par une mémoire de plus en plus défaillante au
cours des années que par méfiance vis-à-vis de l’action des ser-
vices secrets ou de subordonnés ambitieux qu’il prend l’habi-
tude de tout noter, d’enregistrer ses conversations, notamment
téléphoniques.

338
Les années 1980, le « Vieux » et ses « mercenaires-colons »

Le guerrier a toujours su, par ailleurs, qu’il n’était pas un


officier d’administration. Depuis le début de sa carrière, il s’est
appuyé sur un mercenaire pouvant compenser cette carence per-
sonnelle. Le commandant de la GP joue pleinement ce rôle aux
Comores. Son choix est donc crucial mais il l’est également pour
tenir les cadres de la jeune génération qu’il a fait monter en grade
depuis le Bénin. Ces hommes sont plus instruits que lui, ont une
culture générale plus solide et repèrent ses défauts de logique, son
obstination sur certains dossiers ; ils savent que les qualités du
« Vieux » consistent davantage en un bon sens de paysan médocain
qu’en des capacités d’analyse objective d’une situation. Ils raillent
volontiers son enthousiasme irrationnel pour telle ou telle affaire
et sa volonté d’être abreuvé de memoranda sur tout afin de ne pas
être pris en défaut sur un sujet. Aux Comores comme aupara-
vant, l’autorité de Bob Denard sur ses hommes est construite sur
la dépendance financière vis-à-vis du chef ; elle tient surtout au
respect pour la carrière du mercenaire, le seul à être la clé de voûte
d’un régime. Il attire ainsi de nouveaux candidats, des hommes
qui vont rejoindre la GP sans avoir jamais participé à une opéra-
tion de combat aux côtés du « Vieux ».

Un pôle d’attraction des soldats perdus


On voit notamment apparaître des anciens de la Rhodésie, y
compris ceux considérés comme des volontaires armés dans la
période précédente. Patrick Ollivier est l’un de ces jeunes à la fois
intelligents et ambitieux qui regardent avec intérêt la GP como-
rienne. Il écrit par exemple à Denard en septembre 1979 : « Cher
camarade, me voilà depuis longtemps faisant du safari dans l’hé-
misphère sud. Je connais votre passion pour ce genre de sport, et
bien qu’ici le terrain soit propice, nous n’avons pas eu le plaisir de
nous rencontrer sous ces latitudes. Des gens que nous connaissons
sont venus il y a bientôt deux ans, ici, se faire ridiculiser avant de
se faire renvoyer promptement. Leur amateurisme ne sied guère

339
Dans l’ombre de Bob Denard

au genre d’exercice que nous pratiquons, il est vrai avec des for-
tunes diverses. J’espère que vous serez bien d’accord sur ce point. »
Dans cette allusion transparente à la 7th Independent Company,
l’auteur montre une réelle volonté de s’inscrire en contrepoint
des mercenaires qu’il décrit. Venu en volontaire armé internatio-
nal, lui-même serait finalement davantage un professionnel que
des soldats de fortune aguerris comme Roland de L’Assomption,
le vétéran d’Indochine, d’Algérie et du Biafra. Par ailleurs, il qua-
lifie Bob Denard de « camarade » : il ne se revendique donc plus
comme un volontaire armé mais s’assimile à un mercenaire.
D’ailleurs, son propos se fait plus clair sur ses intentions : « Vu
l’excellente qualité de nos safaris, en Afrique australe, j’ai beau-
coup de guides expérimentés (européens comme africains, ce
qui est intéressant !), bien entraînés, pouvant se plier à une très
stricte discipline, qui seraient enchantés de mettre leurs connais-
sances au service d’une autre maison touristique. La satisfaction
des “boys” qui d’esclaves (c’est une image) sont devenus maîtres
laissent, vous en conviendrez, tout le monde dans l’expectative.
Alors, on parle voyage. Pensez-vous que ce genre d’activités soit
irrémédiablement terminé, ou existe-t-il encore des possibilités ?
Parmi ces guides, certains peuvent prendre des clients et les faire
promener en avion, même au cours des pires conditions météo-
rologiques. Bien entendu, la plupart des guides parlent anglais
mais cela peut même constituer un avantage évident. Le nombre
de guides est fonction du safari, bien entendu. Mais la quantité et
la qualité ne constituent pas un problème. Au mois d’avril 1980,
tous les contrats étant révisables. Il serait fort dommage de lais-
ser passer l’occasion d’utiliser leurs services. En fonction de votre
position actuelle, pouvez-vous me dire ce que vous pensez de tout
cela et si cela présente, à vos yeux, quelque intérêt ? Dans l’at-
tente de vous lire, bien à vous, Patrick Ollivier1. » Il s’agit d’une
véritable offre de service. Patrick Ollivier se montre sous le jour
1. Lettre de Patrick Ollivier adressée à Bob Denard datée du 11 septembre 1979 de
Chiredzi au Zimbabwe, archives privées Bob Denard, carton 29.

340
Les années 1980, le « Vieux » et ses « mercenaires-colons »

d’un soldat de fortune mais aussi d’un chef de troupe mercenaire ;


il dispose selon ses dires de personnels compétents et prêts à le
suivre vers d’autres commanditaires. Pour autant, il est l’interlo-
cuteur qui va négocier la condotta.
Cette lettre illustre à quel point, dès son arrivée aux Comores,
Patrick Ollivier va se considérer comme un chef au sein du
milieu des « chiens de guerre » et non comme un employé parmi
d’autres de Bob Denard. Avant d’en examiner les conséquences,
il convient de revenir sur le basculement vers le mercenariat de
celui qui se présentait comme un volontaire. Plusieurs interpré-
tations de sa volonté de rejoindre les Comores sont possibles.
La première est purement prosaïque et repose sur la nécessité de
gagner sa vie en partant du savoir-faire acquis et du plaisir ressenti
à la pratique guerrière en Rhodésie. La seconde consiste à voir
dans le service pour Bob Denard une forme de continuation de
la « cause » embrassée en Rhodésie. Patrick Ollivier est un orphe-
lin de la défense de la Rhodésie blanche mais la lutte anticom-
muniste, qui lui était consubstantielle, doit être poursuivie. À ce
titre, cet homme semble tout à fait représentatif d’une partie de
ses compagnons d’armes. Il incarne le prototype du « volontaire
mercenarisé ». Les différentes motivations qui coexistent chez lui
et qui sont en tension connaissent simplement une hiérarchisa-
tion nouvelle. L’engagement politique primait à son départ ; la
chute de la Rhodésie de Ian Smith et la nécessité de continuer à
gagner sa vie font triompher les facteurs pécuniaire et guerrier.
Patrick Ollivier est également animé par l’envie de partici-
per à un projet civilisateur (référence à la cause anachronique de
Commandos de brousse). Dans le second volume de ses Mémoires,
Soldat de fortune, il ne fait pas mention des propositions de ser-
vices faits en 1979. Au contraire, il affirme que c’est Denard
qui vient vers lui, séducteur : « L’atmosphère est à la camarade-
rie, tutoiement et accent bordelais. » Selon lui, Denard lui pro-
pose de participer au développement économique des Comores
piloté par la GP, notamment en prenant la tête d’une unité de

341
Dans l’ombre de Bob Denard

­ ionniers : « “Tu recruteras des jeunes Comoriens. Autant que tu


p
veux. Tu les équiperas ; je te fournirai le matériel de génie civil
nécessaire. Vous serez mes bâtisseurs.” Bâtir un royaume ? Le
Vieux sait flatter ses hommes. Voilà maintenant qu’il s’efforce de
faire vibrer ma corde monarchiste1. » Les deux explications sont
plausibles et peuvent d’ailleurs se compléter dans l’arrêt du choix
de Patrick Ollivier. D’ailleurs, aux Comores, il se signale ensuite
par une idéologie plus revendiquée que nombre de ses camarades
au point d’y gagner le surnom du « moine-soldat ».

Un creuset de soldats de fortune

L’engagement dont se réclame Patrick Ollivier le place davan-


tage comme une exception que comme un cas emblématique des
mercenaires de la GP. Comme l’illustre son parcours, certains
d’entre eux sont d’anciens volontaires armés qui « revendent »
leur expertise. C’est sur ce critère de savoir-faire militaire que les
identités de mercenaires et de volontaires se confondent. Par ce
type de déroulement de carrière, mais pas uniquement, on peut
considérer qu’il existe des degrés de motivation politique plus
ou moins forts chez les mercenaires. Il existe parallèlement, et
peut-être paradoxalement, le sentiment que l’idéologie les mène
à une impasse. Dans la dernière version de ses Mémoires (Soldat
de fortune), Patrick Ollivier conclut en ces termes : « N’étant pas
homme d’idéologie [à revers de nombreux passages de ses diffé-
rents témoignages] et pour avoir, à l’épreuve de la réalité souvent
dure des hommes, forgé ma conviction que les grands principes
sont ceux que l’on s’invente à soi-même2 […] » Finalement, l’ex-
périence des combats a peu à peu permis à Patrick Ollivier de
prendre du recul, d’acquérir un regard plus objectif sur son enga-

1. Patrick Ollivier, Soldat de fortune, op. cit., p. 97.


2. Ibid., p. 254.

342
Les années 1980, le « Vieux » et ses « mercenaires-colons »

gement politique. On pourrait considérer qu’il est « un volontaire


expert mercenarisé1 ».
A contrario, après leur expérience de soldat de fortune, des
membres de la GP s’impliquent dans des combats dont ils par-
tagent les valeurs ou, en tout cas, dont le but leur paraît noble.
Il s’agit ici de démontrer que la motivation politique est souvent
présente dans les engagements des mercenaires de la décennie
1980 mais qu’elle fluctue. Elle peut passer au second plan comme
on l’a vu avec Patrick Ollivier qui réinvestit son expérience rho-
désienne en termes d’expertise. La même expertise acquise dans
le cadre mercenaire de la GP peut ensuite être mise au service
d’une lutte choisie par conviction et sans enjeu pécuniaire. Après
la chute des soldats de fortune installés aux Comores, on peut
ainsi dresser le portrait de « mercenaires idéologisés ». On perçoit
particulièrement ce type de trajectoire dans la « filière » Karen.
Minorité particulièrement présente dans les montagnes, cette
ethnie vit dans l’est de la Birmanie, à proximité de la frontière
thaïlandaise. Même si les Karen ne sont que minoritairement
chrétiens, la cause religieuse est à l’origine de la mobilisation en
leur faveur. En résistant contre l’État central birman depuis 1948,
la Karen National Union (KNU) a attiré la sympathie de mili-
tants chrétiens traditionalistes en France puis, plus largement,
des milieux de l’extrême droite. Jean-Philippe Courrège est tué
le 4 octobre 1985 par les soldats birmans au cours d’un accro-
chage à proximité de la frontière thaïlandaise et à 150 kilomètres
de Rangoon. Cette icône de la cause Karen est un ancien membre
du GUD. Les frères Gaston et Jean-François Besson combattent
également dans la petite unité et font connaître leur cause en

1. Le parcours de Franck Hugo tel qu’il le décrit dans son ouvrage (Mercenaires de
la République ; quinze ans de guerres secrètes, Paris, Nouveau Monde éditions, 2009,
429 p.) correspond également à ce type. Engagé auprès des Karen, il en tire une
expertise dans la manipulation de certains types d’armement et un savoir-faire dans
l’encadrement de sections de combat qu’il réinvestit en 1995 comme mercenaire au
service de Bob Denard pour l’ultime équipée aux Comores. Il continue ensuite sa
carrière comme contractor.

343
Dans l’ombre de Bob Denard

tournant un documentaire sur le sujet. Aujourd’hui encore, la


médiatisation de ce combat est portée par l’association Amitiés
Franco-Karen fondée par le « crabe-tambour » Pierre Guillaume.
À l’issue de leur service aux Comores ou après la chute de la
GP et du régime d’Ahmed Abdallah, des hommes de Bob Denard
font le choix d’aller encadrer les combattants Karen. Appartenant
à la GP de 1985 à 1989, le lieutenant Jean Philippe part ensuite
pour la Birmanie avec un autre ancien, « Titi » Cheng. Ils ne
touchent pas de solde et seul le transport leur est indemnisé. Les
missions peuvent être courtes (trois mois) car les volontaires ne
disposent que d’un visa touristique. En cas de séjour prolongé, ils
doivent le renouveler par un aller-retour vers la Malaisie. À Paris,
un autre ancien des Comores, Aifix, participe au recrutement de
volontaires pour la cause Karen. Le chef de l’insurrection Bo Mya
organise alors une nouvelle unité confiée à des Français. Il n’a pas
les moyens de les rétribuer et le budget dont il dispose (10 000
baths, soit l’équivalent de 450 euros) couvre seulement une par-
tie des frais d’équipement. Dès lors, les anciens mercenaires partis
combattre aux côtés des Karen laissent davantage de leurs écono-
mies qu’ils ne gagnent de l’argent1.
Cette « filière » Karen est paradoxale. Elle relève d’une
démarche de volontaire international. Dans le même temps, la
motivation politique à s’engager pour cette cause est peu argu-
mentée politiquement, laissant simplement place à un discours
généreux sur la nécessité de ne pas les laisser se faire « écraser » par
le pouvoir central birman. Ainsi, si l’on se réfère au critère prin-
cipal de la solde, les hommes qui adhèrent à cette cause relèvent
du volontariat armé. Une grille de lecture prenant en compte les
représentations politiques rend cette conclusion plus nuancée.
En effet, le combat­pour les Karen repose sur des motivations
relevant de l’aventure virile dans un espace fantasmé, celui des

1. François-Xavier Sidos, Les soldats libres, op. cit., p. 281.

344
Les années 1980, le « Vieux » et ses « mercenaires-colons »

montagnes d’Asie du Sud-Est, cadre semblable à celui des « aînés »


du GCMA, des maquis Hmong… de la guerre d’Indochine.
D’autres membres de la GP sont beaucoup moins habités par
la dimension politique de leur service aux Comores : ils vivent en
mercenaires « fonctionnarisés », profitant d’une situation socia-
lement et financièrement avantageuse. Ainsi, dans un question-
naire distribué au sein de la GP, le lieutenant Didier s’estime satis-
fait de ses fonctions « parce qu’elles permettent de se remettre
en question et qu’elles correspondent à un style de vie qui [lui]
convient ». Il estime sa solde « très correcte pour le moment »,
son habitat « bien au point de vue du confort » et sa cohabitation
« excellente ». Pour les suggestions d’amélioration de la vie au sein
de la GP, il propose pour le cercle nautique, équivalent d’un mess,
d’« organiser des repas » le week-end, d’« y fêter systématiquement
tous les pots, les anniversaires, les fêtes » et d’« installer des salles
d’écoute de la musique1 ». À travers cet exemple, on mesure fina-
lement la similitude entre la situation des cadres de la GP, leurs
préoccupations quotidiennes et celles que pourrait connaître un
soldat du rang dans une caserne française.
L’éloignement des combats devient d’ailleurs l’une des pro-
blématiques auxquelles doit faire face Bob Denard pour mainte-
nir l’efficacité, et donc la crédibilité, de son groupe de soldats de
fortune. André Cau et Patrick Ollivier font ce constat : « Comme
Carel [Cau], tu estimes que nos gars s’embourgeoisent dans les
îles, qu’ils font du lard sous les cocotiers. » Il semble que soit
envisagée au début des années 1980 (Patrick Ollivier s’attribue
la paternité de cette idée) une rotation des hommes entre acti-
vité mercenaire, service au sein de la GP et retour en Europe
avec l’incertitude d’être repris. « J’y vois de multiples avantages :
émulation, dynamisme accru, meilleure sélection. Cela serait

1. Réponses à un questionnaire sur la vie et les motivations à servir dans la GP,


document non daté mais qui semble avoir été distribué au début des années 1980,
archives privées Bob Denard, carton 42.

345
Dans l’ombre de Bob Denard

tout bénéfice pour la Garde. Cela éviterait la karthalite1 [terme


comorien pour désigner la paranoïa]. » Une telle réforme consis-
terait finalement à revenir à un rythme de vie mercenaire avec des
allers-retours entre une vie classique en Europe et des « contrats
à durée déterminée » soit pour des opérations commandos, soit
pour intégrer la GP aux Comores. Elle conforterait également
l’esprit dans lequel Bob Denard avait, dans un premier temps,
instauré la GP aux Comores. Il s’agissait de disposer d’un cadre
dans lequel il pourrait maintenir en activité salariée des hommes
mobilisables à tout moment pour un « coup ». Finalement, cette
réorganisation ne se concrétise pas.

Travailler sans Denard

Même si certains prennent leurs distances avec Denard et


quittent les Comores, ils ne sortent pas complètement de ce sys-
tème centré sur Moroni. René Dulac souhaite s’émanciper du
« Vieux », comme l’illustre l’organisation du groupe Omega au
Tchad en 1983. Pourtant, ce type de démarche se heurte aux dif-
ficultés inhérentes à la position de « chiens de guerre » : la capacité
et l’opportunité de répondre à des contrats qui vous assurent une
survie financière et une visibilité auprès de commanditaires. Or,
des périodes creuses sont inévitables, notamment au moment du
départ des Comores. Très souvent, les mercenaires versent alors
dans des activités connexes grâce aux liens qu’ils ont pu se créer.
En premier lieu revient le trafic d’armes. Bob Denard avait illus-
tré ce phénomène dès le Biafra et dans les années 1970. René
Dulac connaît le même parcours. Après son départ en 1979, il
se transforme en marchand de canons. Il vend notamment « des
Cascavel, des sortes de VAB avec des canons de 120 brésiliens »
au Gabon.

1. Citations de l’ouvrage de Patrick Ollivier, Soldat de fortune, op. cit., p. 150.

346
Les années 1980, le « Vieux » et ses « mercenaires-colons »

Le « Grand » dispose pourtant d’atouts pour rebondir ra­pi­


dement. Sa carrière a commencé au 1er choc et il a fait ses preuves
sur le plan militaire. Très respecté pour cela dans le milieu des sol-
dats de fortune, il a ensuite « formé » les générations suivantes en
dirigeant les entraînements des opérations commandos des années
1970 (Bénin notamment). Professionnel, l’homme a également
une forte personnalité et connaît sa valeur (qu’il trouve peut-être
plus grande d’ailleurs que celle de son chef ). Enfin, bras droit de
Bob Denard pendant longtemps, il s’est construit un réseau et
peut donc solliciter suffisamment d’hommes expérimentés pour
constituer une troupe crédible (difficulté à laquelle s’étaient rapi-
dement heurtés les chefs de la 7th Independent Company dans la
période précédente).
Pour autant, Dulac a besoin de s’appuyer sur un groupe sorti
de l’orbite des Comores. Pour cela, il a en partie recours à des
hommes retirés depuis longtemps de l’action. Ainsi, Lajos Marton
a combattu pour l’OAS puis a fait partie des équipes françaises
déployées au Congo à partir de 1964. Il n’a ensuite participé à
aucun coup et a repris une vie civile ordinaire. Le second point
fort de Dulac réside dans son accréditation auprès des plus hautes
autorités avec lequels Bob Denard travaillait.
La tâche s’avère plus compliquée pour des hommes de rang
inférieur dans la hiérarchie. Ainsi Lenormand se retrouve devant
les tribunaux lorsqu’il cherche à emprunter les mêmes chemins.
Le 9 octobre 1981, il est arrêté au Raincy au volant d’un véhicule
transportant des armes : « Rentré à Paris, j’ai eu des ennuis. J’ai
voulu vendre des armes. Je les passais de Belgique en France […].
Des armes de poing. Je me suis fait prendre avec une douzaine.
Mon interlocuteur belge n’était pas discret. » L’ancien soldat de
fortune se retrouve à une échelle de trafic assez ridicule.
Par ailleurs, sa position marginale ainsi que la mauvaise image
du mercenariat conduisent Lenormand dans des situations
compro­met­tantes. Parmi les soupçons qui se portent sur sa per-
sonne, l’accusation d’être impliqué dans l’attentat de la gare de

347
Dans l’ombre de Bob Denard

Bologne le 2 août 1980 organisé par l’extrême droite italienne est


sans doute la plus grave. À la question de savoir quel lien il pou-
vait avoir avec les affaires intérieures transalpines, Lenormand
répond : « Aucun. En fait, un type louche en Suisse a dénoncé
une dizaine de personnes pour passer un accord avec la police
italienne dont moi. J’ai essayé un temps de savoir ce qu’il était
devenu. Certains étaient en Amérique du Sud, cela a mal tourné
pour eux, l’un a reçu une balle lors de son arrestation et est mort.
Moi, j’ai fait dix-huit mois de prison à ce moment-là. Pour
Bologne, en fait, j’avais été à Libreville au même moment. Je l’ai
prouvé avec l’enregistrement d’avion. »
Cet alibi de Libreville est particulièrement intéressant. Il
illustre la stratégie de Bob Denard pour asseoir sa position de
« patron » incontesté du milieu mercenaire. Pour les soldats per-
dus qui l’ont quitté, il agit, comme pour ses fidèles, en protec-
teur. Le Médocain redonne sa chance à Lenormand et lui permet
de rebondir après son inculpation pour trafic d’armes. Ce dernier
se disculpe des accusations à propos de Bologne car il travaille
au Gabon : « J’avais été sollicité par Denard pour Affrétair. On
livrait on ne sait pas trop quoi. Cela passait par l’Arabie saoudite,
on allait en Afrique du Sud. En fait, avec Jack Mallock, le célèbre
aviateur rhodésien, c’était une façon de briser le blocus. La société
appartenait en partie à Bongo en réalité. Moi, j’étais à Libreville
avec Jean-Louis [Domange]. On assurait l’entretien des avions1. »
Le témoignage de Lenormand montre également l’ambition de
Bob Denard d’être un prestataire de services pour l’Afrique du
Sud en lien avec ses amis africains.
L’itinéraire de Lenormand est particulièrement significatif de
cette difficulté à fonctionner hors des réseaux Denard. Certes,
son passé et sans doute son sérieux dans le travail lui offrent des
opportunités. Toutefois, la fiabilité des interlocuteurs est un para-
mètre que ne peuvent guère maîtriser des hommes désormais

1. Extraits de l’entretien avec Lenormand à Montpellier le 2 avril 2013.

348
Les années 1980, le « Vieux » et ses « mercenaires-colons »

isolés, comme l’a montré la tentative d’organisation d’une GP


équato-guinéenne. Outre l’incertitude sur les contrats décrochés,
exister dans un milieu très fermé et dont la hiérarchie est établie
de longue date n’est guère envisageable. En réalité, monter dans
la hiérarchie passe, comme dans les périodes précédentes, par le
poste de principal lieutenant (ou d’héritier présomptif ) de Bob
Denard.
Pourtant, le mercenaire peut mettre en valeur sa maîtrise des
missiles Milan acquise au Tchad : « En fait, j’ai été sur le terrain
jusqu’en 2004 en Irak. Je suis passé deux fois en Afghanistan, au
Nardak. En 1989, j’ai passé même trois ans à Peshawar. J’étais avec
un copain journaliste qui faisait un peu de renseignement, je devais
entraîner les moudjahidines au Milan. Ils arrivaient d’Arabie­saou-
dite, mais il y avait déjà beaucoup de djihadistes. On était mal vus.
Il a fallu repartir. » Pour lui, comme pour une partie significative de
ses camarades, le rebond professionnel passe donc par la sécurité
privée. L’expérience de « chien de guerre » est un passeport ambigu
pour leur avenir professionnel. D’une part, le vécu militaire sur
des théâtres d’opérations sensibles leur est reconnu comme une
plus-value. D’un autre côté, ce parcours aux marges de la société
et de ses lois les fragilise dans des moments de grandes tensions.
Son passé rattrape ainsi Lenormand quand il assure la sécurité des
meetings politiques d’Édouard Balladur lors de la campagne pour
l’élection présidentielle de 1995 : « J’organisais tout mais il y a eu
des échos dans la presse : un ancien facho, impliqué dans l’attentat
de Bologne… Les politiques, ça ne m’a jamais réussi, il fallait que
je reste dans l’ombre1. »
La reconversion se fait par ailleurs souvent avec les mêmes
relations interpersonnelles. Quand il évoque son travail dans les

1. Entretien avec Lenormand le 2 avril 2013. Voir à ce propos par exemple l’article
de Patricia Tourancheau, « Les gros bras d’Édouard Balladur ont aussi de grandes
oreilles », Libération, 6 mars 1995.
http://www.liberation.fr/france/0101137242-les-gros-bras-de-balladur-ont-aussi-
de-trop-grandes-oreilles consulté le 2 juin 2013.

349
Dans l’ombre de Bob Denard

années 1990, Lenormand reconnaît ainsi : « Siam a travaillé avec


moi, je le connaissais de la Rhodésie. On est un petit cercle, on
travaille à la confiance. » Sans vivre en marginaux, les anciens mer-
cenaires entretiennent cependant les relations horizontales qui
structurent leur milieu. Dans les opportunités d’emplois, y com-
pris hors de leur activité de soldat irrégulier, ils se soutiennent
les uns les autres. Toutefois, l’écrasante figure de Bob Denard,
sa renommée et sa longévité, et le mode informel de prestation
de services militaires qu’il offre aux États empêchent l’émergence
durable de structures concurrentes.

Les mercenaires aux Comores, outil des ambitions


de Denard
Même si des opérations mercenaires peuvent se dérouler hors
du contrôle de Denard et du vivier de la GP comorienne, celle-ci
demeure la pierre angulaire du système mercenaire. Avec la sta-
bilisation de la plupart des soldats de fortune français dans l’ar-
chipel, il connaît cependant une nouvelle mutation. À partir de
1978, on assiste finalement à l’existence d’un « troisième système
mercenaire » ou d’un « troisième âge » du mercenariat.

Le mercenaire vecteur de transferts culturels croisés


En fait, cette identité de « chiens de guerre » demeure mal assu-
mée par ceux qui l’incarnent alors. Pour décrire un contexte qui
se prête peut-être davantage à une image plus lisse de ses hommes,
Denard continue d’employer le terme de « volontaires » pour évo-
quer la période des Comores : « Ces volontaires ne sont pas venus
me rejoindre pour la bagarre puisque le calme règne désormais.
Ils ne sont pas là non plus dans l’intention de faire rapidement
fortune […]. Au fil de nos conversations, je me rends compte
que c’est surtout la perspective de participer à la création d’un
nouveau pays qui les a attirés dans l’océan Indien. La douceur

350
Les années 1980, le « Vieux » et ses « mercenaires-colons »

du climat a pesé dans la balance, et les femmes aussi, bien sûr,


qui sont si belles aux Comores. Plusieurs de mes hommes, sui-
vant mon exemple, ont d’ailleurs fondé des ménages coutumiers,
et ne sont pas près d’y renoncer pour regagner la vieille Europe.
L’esprit qui règne chez mes volontaires n’est donc pas celui qu’on
prête habituellement aux mercenaires. Abdallah ne s’y est pas
trompé en déclarant […] qu’il disposait d’une troupe régulière,
une sorte de légion étrangère obéissant aux règles communes à
toutes les armées constituées1. » De fait, le Médocain s’inscrit
dans la culture militaire française. Sa démarche est assez sem-
blable à celle des Européens (anciens officiers ou non) qui partent
fonder la Colonie de la Vigne et de l’Olivier aux États-Unis aux
lendemains du Premier Empire. Le parallèle avec la Légion étran-
gère est encore plus évident. La démarche de la GP marque une
grande continuité avec les discours tenus lors de la période précé-
dente mais en concrétisant ce qui n’était jusque-là que des velléi-
tés. Les ambitions de Denard de participer à la construction du
Congo, l’espoir de faire de ses mercenaires un outil stabilisé au
Gabon peuvent cette fois réellement prendre corps.
Comme il l’indique dans ses Mémoires, Denard recherche une
symbiose entre ses hommes et la population comorienne. Il s’agit
d’opérer des transferts culturels d’un groupe vers l’autre. La GP
apporte ce qui est perçu comme les « bienfaits » de l’Occident en
termes de savoir-faire (militaires et civils) et de plus-values géopo-
litiques et diplomatiques. L’accueil qui est réservé au « commando
noir » dans les premières semaines qui suivent le coup d’État est
fondateur (dans l’esprit des mercenaires) du contrat moral qu’ils
passent avec la population. Michel Loiseau se souvient avoir eu
« l’impression d’être un officier FFI à la Libération » en voyant
des Comoriens venir à ses devants pour proposer leurs services
(et devenir les futurs sous-officiers de la GP). La moindre compé­
tence est survalorisée par une population laissée-pour-compte :

1. Pierre Lunel, Corsaire de la République, op. cit., p. 530.

351
Dans l’ombre de Bob Denard

« Coco, notre aide cuisinier, est métamorphosé. J’ignorais qu’il


était infirmier à la Légion. Il s’est dégoté une Land Rover sur
laquelle il a fait peindre une croix rouge […]. Il est devenu doc-
teur Coco, aussi populaire chez les civils que chez les militaires1. »
Dans tous les villages où ils pénètrent pour la première fois, les
soldats de fortune sont fêtés en libérateurs et en bienfaiteurs. Bob
Denard écrit notamment : « Pourrais-je l’oublier, cet aïeul qui
m’embrassait les pieds, ou cet instituteur – un des premiers ins-
tituteurs comoriens, un très vieux – qui pleure, me saute au cou
et soudain se met à réciter un poème en français appris quand il
était enfant ? »
En échange, ils sont incités à adopter la culture locale. Denard
lui-même montre l’exemple. Il prend une épouse locale et se
convertit à l’islam, devenant Saïd Mustapha M’Hadjou. Il se
laisse appeler Bako, « le sage », par la population. Bien entendu,
il y a une part de pragmatisme dans cette attitude. C’est en cela
que l’on peut considérer également que le chef des soldats privés
s’inscrit dans la culture militaire française. Cette French touch sin-
gulariserait une armée qui aurait une plus grande empathie avec
les populations au sein desquelles elle est déployée. De la part
d’un homme sans doute peu croyant et qui a déjà changé de reli-
gion (il s’était converti au judaïsme lors de son mariage), adop-
ter l’islam est moins une démarche religieuse qu’un signe de cette
volonté de symbiose culturelle avec les autochtones. Il se perçoit
comme un nouveau Bonaparte arrivant en Égypte. Dans les pre-
mières semaines, Denard a ainsi multiplié les rites symboliques :
« A M’Béni […] l’ancêtre me tend ce qu’il confectionne pour moi
depuis le 13 mai : un habit comorien de notable, de chef, une
grande cape verte brodée d’or […] et aussi, symbole de la puis-
sance, une canne sculptée. Saïd Mustapha M’Hadjou s’habille,
tient le vieux par la main. Les cris, les tambourins, les prières s’ac-
centuent tandis qu’on s’achemine vers la mosquée2. »
1. Extraits de Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit.
2. Citations de Bob Denard, Corsaire de la République, op. cit., p. 529.

352
Les années 1980, le « Vieux » et ses « mercenaires-colons »

Il est suivi par une partie de ses hommes. Le comman-


dant Charles [Roger Ghys] se convertit également et se fond
par mariage dans les élites de l’archipel. Il en adopte les codes
et affiche son rang social par de généreux dons à la mosquée.
À l’­instar de Bob Denard, il perçoit le rôle intégrateur et social
de la religion. Il comprend également que son alliance matrimo-
niale est susceptible de lui offrir une large parentèle sur laquelle
construire ses affaires : culture de la vanille, immobilier, taxis…
L’homme investit souvent au nom de son épouse comorienne et
de son fils, ce qui laisse penser à une véritable ambition de s’ins-
taller définitivement. Son enracinement est d’ailleurs suffisam-
ment fort pour que Saïd Mohamed Djohar, pourtant très hos-
tile aux mercenaires dans ses Mémoires, y exprime ses regrets
de l’avoir inclus dans la liste des proscrits en 19891. À sa suite,
une partie des cadres de la GP, souvent jeunes et parfois céliba-
taires, vont prendre épouse sur l’île. Pour eux, la démarche est
cependant différente. Elle répond moins à des logiques sociopo-
litiques qu’à des désirs plus vulgaires. Certains d’entre eux pro-
fitent des coutumes locales, vivent en polygames et ne renoncent
pas forcément à une vie matrimoniale européenne. Pour autant,
d’autres construisent véritablement un foyer harmonieux. Ainsi,
Jean-Pierre ou Daniel se marient sur place, fondent une famille
et la ramènent en France après 1989.
La dimension civilisatrice est également portée par l’ambi-
tion de mettre en place une unité de pionniers. Ce projet est
au cœur des discussions entre Bob Denard et Patrick Ollivier en
1979. Le projet est sérieusement envisagé en 1981 : « Il m’appa-
raît opportun de créer une unité de pionniers distincte de la GP
[…]. Elle fera appel à des personnels hommes du rang nouveaux
[sic]. » La création de cette compagnie répond à plusieurs préoc-
cupations. L’instruction de la population et la valorisation du ter-
ritoire comorien sont cependant des objectifs majeurs : « École

1. Saïd Mohamed Djohar, Mémoires du président des Comores, op. cit., p. 261.

353
Dans l’ombre de Bob Denard

de citoyens des hommes qui la composent par leur per­fec­tion­


nement physique, intellectuel et professionnel, participant col-
lectivement à des tâches encadrées du génie rural ou maritime,
immédiatement profitables et appréciables par tous. Visant à
l’autosuffisance alimentaire, cette unité militaire quant à son style
et civile quant à ses travaux sera formée et entraînée pour agir au
bénéfice des populations en cas de cataclysmes pour : établir ou
rétablir les voies de communication ; secourir et assister les sinis-
trés ; assurer le maintien de l’ordre des zones ruinées ; constituer
éventuellement l’amorce d’un service national. Ces aspects mul-
tiples sont compatibles. Les buts proposés peuvent être atteints
par une triple formation, personnelle, professionnelle et militaire
proposée dans l’ébauche de progression. » L’unité de pionniers est
donc perçue comme un levier majeur dans le projet plus général
de participer au développement comorien.
Pour autant, des objectifs plus prosaïques ne sont pas absents
de la réflexion de Bob Denard : « En temps normal, cette compa-
gnie de pionniers distincte de la GP par son statut, son uniforme,
son implantation, ses missions et son moindre coût doit être une
ressource privilégiée en hommes préformés pour assurer sans
délai le plein effectif de la GP. Elle permet en outre de disposer
d’une troupe constituée supplémentaire pouvant prendre à son
compte de grands travaux d’intérêt général qui, actuellement, ne
peuvent être entrepris dans le cadre de la GP1. » En principe, ce
dernier aspect relève des compétences de la compagnie logistique,
ou 4e bureau. Probablement en raison de réticences internes sur
ce conflit de compétences, l’unité de pionniers ne voit finalement
pas le jour. Les aspects financiers peuvent également avoir été pris
en compte.

1. Extraits d’une note rédigée à Paris par Bob Denard le 17 août 1981 sur la création
d’une unité de pionniers, archives privées Bob Denard, carton 42.

354
Les années 1980, le « Vieux » et ses « mercenaires-colons »

La GP envisagée comme une force motrice du développement


économique

La participation de la GP à la dynamique économique souhai-


tée pour la République islamique des Comores est la principale
dimension envisagée de leur apport en termes de savoir-faire non
proprement militaire. Une nouvelle fois, cette forme de compé-
tences de la GP résulte des recommandations faites lors de l’ins-
pection de 1980. Un tableau plutôt sombre est alors dressé de la
situation économique et sociale des Comores. Le rapport pointe
l’absence de ligne directrice dans la politique gouvernementale,
les entraves que constituent la corruption et des formes de favo-
ritisme politique, avant de rappeler que le développement écono-
mique qu’on pouvait espérer du nouveau régime en 1978 n’est
pas encore amorcé deux ans plus tard. Seule la restauration des
libertés individuelles est portée au crédit d’Ahmed Abdallah.
Dès lors, face à la gabegie de la classe politique comorienne,
les mercenaires auraient légitimité à intervenir dans le champ
économique. Peut-être attaché aux services français et en poste
à la contre-ingérence du Gabon, le lieutenant-colonel François,
auteur du rapport, défend la nécessité d’une influence renfor-
cée de Bob Denard dans la gouvernance économique de l’archi-
pel. Autant qu’un audit de la GP et de la politique menée par le
régime Ahmed Abdallah, ce document constitue donc un plai-
doyer adressé au chef de l’État en faveur des soldats de fortune.
Le lien entre situation économique et stabilité du régime figure
en bonne place parmi les arguments avancés. L’amélioration des
conditions de vie de la population serait la meilleure parade contre
tout risque révolutionnaire et insurrectionnel. Sans que l’on
sache comment Ahmed Abdallah a appréhendé les conclusions
du lieutenant-colonel François, force est de constater que la GP
est autorisée à mettre en œuvre des programmes économiques.
La GP et la gendarmerie sont également régulièrement sollici-
tées pour prendre part au développement des i­ nfrastructures. Ces

355
Dans l’ombre de Bob Denard

troupes possèdent leurs propres peintres, électriciens, maçons1…


Ce nouveau pan d’activités se traduit surtout par la création de
la ferme-modèle de Sangani. Les membres de la GP se transfor-
ment en troupe de génie et réalisent un vaste impluvium afin de
surmonter les problèmes d’irrigation que pose le sol volcanique
des Comores.
Un contremaître, Mohamed Saïd, est formé par les ingénieurs
agronomes sud-africains. Il s’appuie sur la mécanisation de l’agri-
culture et sur les nouvelles méthodes de l’agriculture scientifique.
Une série de rapports permettent de se faire une idée de la moder-
nisation des méthodes mises en place. En 1986, Sangani assure
l’approvisionnement de la Garde en légumes, aussi bien pour le
mess des officiers que pour l’ordinaire. La GP possède bientôt
un troupeau de quatorze vaches de race Gouni, deux taureaux de
même race et deux taureaux de race Jersiais, le tout nouvellement
arrivé d’Afrique du Sud. Un programme de fertilisation des parcs
(prairie naturelle) est également mis en œuvre. Selon Cheikh
Hafedh Abdourazakou, la production de Sangani entre dans le
circuit commercial comorien mais une partie est é­ga­lement desti-
née à l’exportation (sans doute au bénéfice de la GP).
La GP intervient également dans les principaux dossiers pré-
sentés par des investisseurs occidentaux aux Comores. Elle pros-
pecte, négocie, valide (ou non), voire participe aux investisse-
ments étrangers. Un courrier adressé à Bob Denard le 16 juin
1979 fait le point sur les dossiers que suit la GP sur de poten-
tiels partenaires. Pour un premier projet porté par des « financiers
allemands », les mercenaires intercèdent auprès des membres du
gouvernement officiellement chargés de ces négociations : « Il m’a
laissé lire le dossier des Allemands. J’ai immédiatement fait remar-
quer les anomalies de ce projet et lui ai dit de ne pas prendre la
responsabilité de signer seul. » Finalement, le dossier est examiné
1. Selon Cheikh Hafedh Abdourazakou, ces actions expliquent la nostalgie de
la population dans les années 1990 et jusqu’à nos jours pour le régime d’Ahmed
Abdallah (entretien téléphonique le 4 juillet 2013).

356
Les années 1980, le « Vieux » et ses « mercenaires-colons »

en conseil des ministres après une enquête d’un « expert finan-


cier de l’ONU ». Un second dossier pour l’implantation d’une
entreprise pharmaceutique fait l’objet d’un rapport détaillé à part
(non présent dans les archives Denard). Il semble qu’il s’agisse
d’une véritable étude prospective comme l’indique le commen-
taire du commandant de la GP pour Bob Denard : « Je pense que
ce rapport vous donnera un caractère général des besoins et de
l’étude du marché possible aux Comores1. » La « pêche, un dossier
financé par la Communauté économique européenne » est encore
« entre les seules mains de Bob Denard » affirme Abdelaziz Riziki
Mohamed2.
Comme le reconnaît Mohamed Djohar, président des
Comores après la chute du régime Ahmed Abdallah, « un nouvel
élan commença à se faire sentir dans le pays : agriculture, pêche,
construction de nouvelles routes, des ports, électrification rurale et
urbaine, transport maritime et aérien. Toutes ses activités mirent
le pays en mouvement. Le secteur privé commença à prospérer
et le chômage à reculer sensiblement. Les bacheliers étaient tous
boursiers de l’État. Les malades étaient soignés gratis dans des
hôpitaux bien pourvus en médicaments et en matériels3. »

Cependant, c’est le tourisme qui s’avère le domaine privilé-


gié par la GP. Pour créer une activité florissante dans ce secteur,
il faut créer des complexes hôteliers mais aussi des infrastructures
pour faciliter l’arrivée de clients. Les Sud-Africains sont particu-
lièrement attendus et ce pays est donc prioritairement sollicité
pour participer aux investissements. Le représentant de la GP en
Afrique du Sud, Freddy Thielemans, est fortement mobilisé en ce
sens. Finalement, les principales réalisations consistent en deux
1. Extraits du rapport du commandant Charles du 16 juin 1979, archives privées
Bob Denard, carton 42.
2. Entretien téléphonique le 1er juillet 2013 avec Abdelaziz Riziki Mohamed,
intellectuel comorien exilé en France, docteur en sciences politiques.
3. Saïd Mohamed Djohar, Mémoires du président des Comores : quelques vérités qui ne
sauraient mourir, op. cit., p. 234.

357
Dans l’ombre de Bob Denard

complexes hôteliers de 250 chambres. L’achèvement des travaux


permet une ouverture en 1988. Ancien guide de l’hôtel Galawo,
Nixon témoigne dans le documentaire Bob Denard, sultan blanc
des Comores de la riche clientèle sud-africaine qui est alors atti-
rée aux Comores et, a posteriori, regrette la fin de cet embryon de
développement touristique.
À son exemple, la très grande majorité des emplois créés sont
occupés par des Comoriens. De plus en plus systématiquement,
Denard et les hommes de la GP constituent une interface entre
les acteurs politiques et économiques de l’archipel et des inves-
tisseurs étrangers. Cette position prête à double interprétation.
La première consiste à considérer que les mercenaires mettent,
en plus de leurs propres compétences, leurs réseaux au service du
développement du pays. Bob Denard rappellera jusqu’à la fin de
sa vie son investissement personnel au service de son pays d’adop-
tion. Cela correspond sans doute réellement à une ambition qu’il
a toujours nourrie et qui anime également, au moins à l’origine,
certains de ses hommes (Patrick Ollivier). La seconde serait plu-
tôt de considérer qu’en devenant des maillons systématiques de la
chaîne d’intermédiaires sur les dossiers de développement écono-
mique des Comores, les cadres de la GP se rendent doublement
indispensables au régime d’Ahmed Abdallah et qu’ils en retirent
des bénéfices. Plutôt que d’opposer ces deux lectures, nous serions
tenté de les considérer comme complémentaires.

Le « Vieux » et ses hommes


La GP jouit donc d’une position de force dans le paysage mili-
taire, politique et économique comorien. Dans la hiérarchie de
ses différents rôles, le cœur d’activité demeure le secteur sécuri-
taire. En fait, Bob Denard, qui avait voulu construire sa réputa-
tion de « chien de guerre » sur une discipline et une morale exem-
plaires de ces mercenaires à l’époque du Congo, a d’abord tenté
de maintenir cette sévérité aux Comores.

358
Les années 1980, le « Vieux » et ses « mercenaires-colons »

Le « Vieux » : un pardon facile pour les fautifs

Dans les premiers mois passés à Moroni, Bob Denard peut


expulser, par « conseil d’honneur » interposé, tout élément dont
le comportement n’est pas irréprochable. On remarque au pas-
sage le respect des prises de décision collégiales pour les aspects
majeurs ayant trait au fonctionnement du groupe des soldats de
fortune : un « conseil d’honneur » doit avaliser le renvoi. En tout
cas, une épuration a lieu pour les hommes qui ne savent pas res-
pecter les règles à un moment où la situation des mercenaires
n’est pas consolidée. Un ancien légionnaire est ainsi renvoyé pour
avoir fait verser indûment de l’argent à un complice.
L’intégration réussie dans la société comorienne en 1978 que
nous avons étudiée plus haut s’explique également par la volonté
à nouveau affichée de Bob Denard d’obtenir de ses hommes
un comportement conforme à celle d’une troupe régulière au
contact de la population. Or, la sélection des hommes pour l’opé-
ration « Atlantide » a été faite sur leurs qualités potentielles de
comman­do et non sur leur éthique. Habitués à une vie nomade et
parfois aux excès tolérés dans le contexte africain du Congo ou de
l’Angola, ils ne sont pas forcément aptes à mener la vie sédentari-
sée qu’exige la GP. C’est sans doute parce qu’ils sont conscients de
cette inadéquation entre cette nouvelle mission et leur mode de
vie qu’un tiers du commando a quitté les Comores dans l’année
qui suit le coup d’État. D’autres ne sont sans doute pas suffisam-
ment lucides pour le faire. Bob Denard prend donc le problème
en charge avec ce « conseil d’honneur ». Largement étranger à la
sémantique des soldats de fortune, l’usage du terme « honneur »
montre que le « Vieux » est décidé à dépasser la distorsion entre
les codes de fonctionnement du groupe mercenaire et l’honneur
militaire usuel qui sous-entend une déontologie dans le compor-
tement avec les civils1. Dès lors, il accroît par cette démarche le
1. Walter Bruyère-Ostells, « L’honneur, un sentiment étranger aux mercenaires ? »,
Inflexions, 2014-2, à paraître.

359
Dans l’ombre de Bob Denard

rapprochement entre sa GP et une troupe régulière et participe


ainsi à l’émergence des « mercenaires fonctionnarisés ».
En réalité, la fermeté de Bob Denard vis-à-vis de ses hommes
s’est peu à peu émoussée aux Comores. Sans doute cet effort s’est-
il relâché avec l’impression que l’intégration des cadres à la vie
sociale et politique comorienne était réussie. En tout cas, plu-
sieurs affaires montrent la grande indulgence du chef envers ses
hommes. En 1985, un des lieutenants de la GP, Frédéric, voit son
arme lui échapper des mains. Or, il avait laissé une balle engagée
dans le canon. Quand le pistolet tombe au sol, la balle part et
touche son camarade Riot. Grièvement blessé, celui-ci est rapi-
dement évacué vers l’Afrique du Sud pour y recevoir des soins. Il
meurt pourtant des suites de cette blessure. Malgré la faute mani-
feste commise par le mercenaire, malgré l’accumulation d’élé-
ments prouvant les piètres qualités du lieutenant Frédéric, celui-
ci n’est pas renvoyé1. Il se voit même offrir l’opportunité de par-
ticiper à un stage au GIGN et prend la tête de la 5e compagnie
en 1989.
La GP répond aux ordres de Denard, par-delà son com-
mandant en chef nominal, Jean-Louis Millote. Le « Vieux » est
é­ga­lement davantage considéré comme le patron de la troupe
qu’Ahmed­ Abdallah ; il est vrai que les mercenaires savent que
leur solde est versée par le premier. C’est sans doute pourquoi les
rapports avec le président peuvent être sensibles, comme l’illustre
l’affaire Jean-Louis Millote en 1979. Parti à la pêche, le com-
mandant officiel de la GP est rappelé par le chef de l’État como-
rien mais refuse d’obéir sur le moment. L’affaire se complique
lorsqu’il se présente à Ahmed Abdallah en déclarant : « Je n’ai pas
de compte à vous rendre, ni d’excuses à vous présenter. » Furieux
de cette attitude insolente, le président s’entretient avec Bob
Denard et menace de dissoudre la GP. Même si les mercenaires
ont une place privilégiée, le chef de l’État demeure en principe le
1. Entretien avec Villeneuve le 20 juillet 2011 à Paris. Selon lui, Bob Denard avait
même le livret militaire du lieutenant Frédéric qui signalait déjà ses capacités limitées.

360
Les années 1980, le « Vieux » et ses « mercenaires-colons »

donneur d’ordres ultime. Le « Vieux » s’en explique avec Ahmed


Abdallah dans une lettre à son « cher frère » : « J’ai été désagréable-
ment surpris avec beaucoup d’inquiétude du comportement de J
[ean]-L [ouis]. Ma déception me donne à réfléchir mais nous en
reparlerons. La maladie de la colonisation l’a atteint. Ainsi il n’a
plus ses ordres à recevoir de moi, ni de comptes à me rendre. Cela
signifie avec beaucoup d’impolitesse ou de mépris qu’il ne pourra
plus servir sous mon autorité1. » Jean-Louis Millote est immédia-
tement destitué de son commandement.
Cet acte d’insubordination est l’un des rares pour lequel un
renvoi des Comores est décidé. Sans doute est-il pourtant provi-
soire dans l’esprit de Bob Denard, comme semble l’indiquer un
rapport établi après un entretien avec Ahmed Abdallah. Évoquant
le courrier qu’il vient d’adresser à son lieutenant, le Médocain
écrit : « Je n’ai pas de rancune contre lui mais ce qu’il a fait est
inacceptable. Il n’est pas question qu’il revienne pour l’instant2. »
On mesure le rapport de plus en plus paternaliste du chef merce-
naire avec ses hommes. Une fois passé le coup de semonce de sa
destitution, Bob Denard a finalement du mal à se séparer de Jean-
Louis Millote. Il recherche durant plusieurs semaines la concilia-
tion avec le président, lequel ne veut rien entendre. Finalement,
les deux hommes tombent d’accord. Millote peut demeurer au
service de Denard mais ce sera forcément hors des Comores.
L’épisode confirme la grande indulgence du chef par rapport à
un acte d’insubordination manifeste du premier de ses officiers.

Un chef qui fonctionne à l’affectif

Cela montre également la persistance chez Bob Denard de la


dimension humaine, affective qu’il entretient avec ses hommes.

1. Lettre de Bob Denard à Ahmed Abdallah du 7 septembre 1979, archives privées


Bob Denard, carton 42.
2. Rapport sur l’entretien avec le Président à Moroni le 29 novembre 1979, archives
privées Bob Denard, carton 42.

361
Dans l’ombre de Bob Denard

À ce titre, il se comporte en vrai condottiere, en vrai chef de clan.


Ainsi ses plus vieux compagnons d’armes sont-ils récompen-
sés de leur fidélité. Jugé trop peu capable pour devenir un cadre
des compagnies de combat de la GP, Marc Robyn (né en 1939)
qui suit le mercenaire français depuis le Katanga devient chef du
garage de l’unité d’élite comorienne. Même à ce poste, il n’ap-
porte pas entièrement satisfaction : « Le capitaine Marc est un
excellent exécutant dont les compétences et l’ardeur au travail
ne peuvent être mises en doute. Malheureusement, il n’a pas le
niveau suffisant pour occuper le poste de chef du service auto »,
juge le lieutenant-colonel François en 19801. Pour autant, sans
doute en souvenir de leur vieux compagnonnage, Bob Denard le
maintient dans ses fonctions. Un autre Belge, également rencon-
tré au Katanga, Jo Wallendorf, se voit proposer de prendre la tête
du Kartala, le cercle des officiers de la GP.
Cette dimension affective se traduit également par le soin tout
particulier de Bob Denard lors de l’annonce faite à la famille de
la mort de Jean-Baptiste Pouye au Tchad. La mortalité en opé-
ration est devenue exceptionnelle pour les mercenaires dans les
années 1980. Bob Denard comprend sans doute que son inves-
tissement auprès des proches du tué aura valeur d’exemple pour
les autres membres de la GP qui peuvent imaginer la douleur
de leur propre famille s’ils étaient à la place de Jean-Baptiste.
Denard a connu à la tête du 1er choc des pertes significatives et
sait sans doute par expérience l’impact que l’absence d’une tombe
sur laquelle les proches pourront se recueillir a sur le moral des
hommes. Pierre Chassin en témoigne dans ses Mémoires à pro-
pos de la mort de Jean-Pierre Vibert au Congo : « Un simple tas
de terre au-dessus duquel se dresse une croix de bois et ce dénue-
ment est rendu encore plus poignant par les herbes folles alentour

1. Audit de la Garde effectué à la demande de Bob Denard par le lieutenant-colonel


François au cours du premier trimestre 1980 (document de 22 pages, dactylographié,
non daté, non signé), archives privées Bob Denard, carton 58.

362
Les années 1980, le « Vieux » et ses « mercenaires-colons »

[…]. Il est doux et beau de mourir pour la patrie, disait Horace,


mais qu’il est triste et idiot de mourir pour le Congo1. »
Ce sacrifice d’une vie pour un pays et une cause qu’on ne
comprend­ou ne connaît pas est encore moins compréhensible
pour une mère. Dans le cas de Jean-Baptiste Pouye, elle ne peut
même pas se recueillir sur la dépouille de son fils dont le corps a
été immédiatement brûlé. Dès que Bob Denard prend connais-
sance de la mort du jeune homme, il insiste donc auprès de Riot
pour qu’il écrive immédiatement une longue missive à la famille.
Sur sa demande, Hissène Habré rencontre ensuite la mère de
Jean-Baptiste pour lui exprimer son respect pour la valeur de ce
fils perdu et pour lui présenter ses condoléances2. Recueillies dans
un étui de grenade, les cendres du mercenaire sont remises à Bob
Denard en août 1982 qui les apporte en personne à sa famille.
Cette démarche des plus hautes autorités officielles (Denard
comme « patron » du jeune homme et le président tchadien)
auprès des proches de morts au combat n’est alors pas pratiquée
au sein de l’institution militaire et singularise donc le monde des
soldats de fortune français.
Depuis le Congo, le « Vieux » incarne à la fois le rapport clas-
sique dans une société militaire entre un chef et ses subordon-
nés mais s’inscrit également dans une relation entre un puissant
et ses clients, plus spécifique à des milieux fermés et tradition-
nels. Enfin, malgré la mort de Karl Coucke en 1967, la recherche
de nouveaux fils spirituels rejaillit chez le vieux mercenaire. Il
le reconnaît à demi-mot dans ses Mémoires à propos de Jean-
Louis Millote : « J’éprouve de l’affection pour lui3. » Cette place
est ensuite dévolue à un autre lieutenant, Jean-Pierre, dans la
seconde moitié des années 1980 (et au-delà), qui tient le rôle d’un
officier d’ordonnance. Homme de confiance, il sert entre autres

1. Pierre Chassin, Baroud pour une autre vie, op. cit., p. 288.
2. Lettre de Riot écrite de N’Djamena le 30 décembre 1982, archives privées Bob
Denard, carton 28.
3. Pierre Lunel, Bob Denard, le roi de fortune, op. cit., p. 487.

363
Dans l’ombre de Bob Denard

de chauffeur à Bob Denard pour l’amener à ces rendez-vous sen-


sibles, notamment chez Jacques Foccart ou Maurice Robert. Cet
homme introverti est reconnu comme l’ultime fils spirituel par
tous. Jusqu’à la fin de la vie du « Vieux », Jean-Pierre reste proche
de son ancien chef, l’aidant à préparer ses procès et à classer ses
archives. Il demeure proche de la famille Denard : Marie-Élise,
sa compagne zaïroise, Katia, sa fille, mais aussi Philippe, son fils
aîné.
Comme nous l’avons évoqué, la distribution d’un question-
naire sur la vie au sein de la GP illustre également les éventuelles
évolutions de son fonctionnement, des possibilités de carrière,
de solde… offertes aux cadres européens. À une époque où la
méthode n’est pas franchement répandue, et encore moins dans
une institution militaire que dans le civil, le commandant de la
troupe de mercenaires offre ainsi l’opportunité à ses hommes de
participer aux modalités de réforme de la GP. Lors de briefings
réguliers (au moins pour le bilan annuel), tous les problèmes sont
évoqués et discutés en toute franchise avec les mercenaires, même
si Bob Denard abuse sans doute du langage diplomatique pour
rassurer ses hommes. Par exemple, en 1985, il évoque les diffi-
cultés passagères de financement de la troupe et clôt le débat par
« c’est mon problème, je me bats pour obtenir ce qui va nous
manquer. La situation actuelle est brumeuse mais l’avenir sera
certainement riche1 ».

Un profil d’excellence ?

À bien des égards, les hommes qui composent la GP ne sont


pas des soldats d’élite. Le niveau militaire et intellectuel de ses
membres est assez disparate. Cela pourrait correspondre aux dif-
férentes époques et aux diverses modalités de recrutement. En

1. Compte rendu de la réunion des officiers de la Garde avec le Colonel qui s’est tenue à
Kandani le 20 septembre 1985, archives privées Bob Denard, carton 43.

364
Les années 1980, le « Vieux » et ses « mercenaires-colons »

caricaturant le propos, on pourrait opposer les hommes qui se


sont imposés sur le terrain dans les années 1960, en Angola ou
en Rhodésie et d’autres qui ont été enrôlés avec une formation
initiale plus poussée (étudiants, EOR…). En tout cas, la conti-
nuité avec l’époque précédente (au moins le renouvellement
opéré en vue des opérations du Bénin et des Comores de 1978)
est significative. Parmi les cas étudiés, seuls 8 des 30 hommes
n’ont pas connu d’expérience mercenaire avant d’intégrer la GP.
En revanche, les anciens militaires deviennent largement mino-
ritaires avec l’éloignement des guerres de décolonisation. Ils sont
seulement 9 hommes si l’on prend en compte l’engagement dans
une armée européenne ; 3 autres ont servi dans l’armée rhodé-
sienne pour une durée plus ou moins brève. Ils sont remplacés
par de très jeunes officiers rapidement démissionnaires à la sor-
tie de Saint-Cyr ou par des officiers appelés ou de réserve (André
Cau). Au final, un tiers a reçu une formation d’officier ; les sous-
officiers (d’active ou par service long) constituent un second tiers.
Une fois la GP constituée, le profil des nouveaux candidats
est bien défini. En premier lieu, les impétrants doivent avoir au
minimum 25 ans. La maturité devient donc un critère impor-
tant. Alors que les cadres entrés au service de Bob Denard dans
les années 1960 et les années 1970 sont gardés s’ils le souhaitent,
le renouvellement ne se fait pas avec de très jeunes hommes. C’est
pourquoi l’âge moyen s’élève par rapport aux décennies précé-
dentes : il est de 36,8 ans en 1985. Il n’était que de 32,5 ans dans
le commando qui a fait le coup d’État le 13 mai 1978. Les autres
critères retenus sont un « bagage militaire poussé. Présentation
physique (minimum 1,70 mètre) et intellectuelle les plus pous-
sées, ceci en fonction des diverses missions dans le cadre de la
protection rapprochée du Président (invitations, dîners, réu-
nions, etc.1). » Bien entendu, les mercenaires de la GP doivent
désormais soigner leur image de marque. Cette obsession habite
1. Note rédigée le 7 septembre 1979 par le commandant Charles, archives privées
Bob Denard, carton 31.

365
Dans l’ombre de Bob Denard

Bob Denard depuis ses débuts. À l’époque du 1er choc, il s’agit


d’excellence au combat. Désormais, le « Vieux » veut des hommes
qu’il puisse envoyer dans des réceptions sans qu’on se plaigne d’y
voir des soudards.
Pour cela, il recherche des candidats disposant d’une allure
martiale mais passés par l’université. L’expérience comme mili-
taire d’active ou lors du service national dans les unités parachu-
tistes continue d’être une référence en la matière dans l’esprit de
Bob Denard. Neuf des 30 hommes étudiés correspondent à ce
profil (deux autres ont appartenu aux commandos de l’Air pen-
dant un service long). Les liens avec la LE semblent, en revanche,
s’être distendus.
Les dossiers de recrutement sont beaucoup plus complets
que les formulaires remplis par les enrôlés de la décennie 1960.
Ils comprennent notamment une série d’items qui montrent la
préoccupation de l’apparence des cadres européens de la GP :
taille, poids, pointure mais aussi tour de tête, tour de cou, hau-
teur de pantalon, tour de poitrine, tour de hanches… On peut
toutefois s’interroger sur la mise en application réelle de ces cri-
tères (en dehors d’une impression générale) car les items en
question ne sont que rarement remplis en dehors des habituels
poids-taille-pointure1.

Une filière GUD-PFN

La recherche d’étudiants tentés par la carrière militaire, les


réseaux dont disposent Denard et ses proches semblent les orien-
ter vers les milieux des droites radicales actives au sein des uni-
versités. Les cadres passés par l’université d’Assas et/ou par le
GUD paraissent notamment former un noyau significatif parmi
les hommes qui intègrent la GP aux Comores sans avoir d’autre

1. Questionnaires distribués aux candidats à la GP, archives privées Bob Denard,


carton 32.

366
Les années 1980, le « Vieux » et ses « mercenaires-colons »

expérience préalable. André Cau a probablement eu particuliè-


rement recours à cette filière, comme l’attestent notamment les
recrutements de Villeneuve et Suresnes. Les enrôlements dans ces
milieux avaient commencé dans la période précédente au cours
de laquelle André Cau est déjà l’un des principaux bras droits de
Bob Denard. Au cours de notre entretien, Lenormand raconte
son basculement dans le monde mercenaire : « Je rentrais du
Liban. Je connaissais René Resciniti ; on se retrouvait souvent­au
Chat Noir. Il m’a fait rencontrer quelqu’un qui pouvait nous pro-
poser quelque chose d’intéressant, c’était André Cau. » Désormais
la filière est sans doute bien balisée vers un en­ga­gement aux
Comores.
Toutefois, le changement de perspective est significatif. Dans
les années 1970, ces étudiants partaient largement par conviction
politique (Liban, Rhodésie…). Le choix comorien relève d’une
logique mercenaire et non plus d’une motivation de volontaire
international armé. Toutes générations confondues, ces mili-
tants des différents courants de droite radicale sont 8 sur les 30
hommes étudiés1. Pour le dire autrement, cela signifie que la pro-
portion représente plus du quart des hommes nés après 1950.
Outre Villeneuve et Lenormand, Sanders a également milité au
GUD. Il a ensuite fait partie des militants du Parti des forces nou-
velles2. Sans qu’il soit certain qu’ils aient milité, Barjac et Suresnes
entretiennent des sympathies avec ce courant au moment de leur
recrutement.
À première vue, ces parcours de jeunesse mènent logiquement
à la défense de la Rhodésie blanche puis, dans les années 1980, au
système de l’apartheid de l’Afrique du Sud. À ce titre, deux merce-
naires doivent plus particulièrement retenir l’attention : Sanders
1. Sont pris en compte tous les hommes qui l’ont admis au cours d’entretiens ou
dont l’appartenance est avérée par recoupement de sources (presse notamment).
2. Le journaliste politique Philippe de Boissieu indique qu’il est membre de la
Direction nationale au 5e congrès du parti en 1982.
http://www.france-politique.fr/wiki/Parti_des_Forces_Nouvelles_%28PFN%29
consulté le 30 mai 2013.

367
Dans l’ombre de Bob Denard

et Siam. Tous deux ont été soupçonnés d’avoir participé à des


assassinats de représentants ANC en Europe. Le 29 mars 1988,
Dulcie September est tuée par balles sur le palier des bureaux de
la délégation du parti de Nelson Mandela à Paris. Alors installé
en Belgique, Godfrey Motsepe affirme avoir également été lui-
même visé par un escadron de la mort1.
Passé par la GP entre 1985 et 1987, Sanders travaille ensuite
directement pour les services sud-africains. Pourtant, le seul
témoin oculaire dans l’affaire Dulcie September ne le reconnaît
pas. Il est donc innocenté par la justice en 19922. En 1998, le
rapport de la commission sud-africaine Vérité et Réconciliation,
chargée d’enquêter sur les crimes commis pendant l’apartheid,
oriente les accusations vers un autre mercenaire. Eugen de Koch,
ancien chef de la Vlakplaas, unité C10 de la police secrète, c’est-
à-dire un escadron de la mort, affirme que l’un des deux tueurs
est le capitaine Siam. Le doute subsiste encore aujourd’hui sur
sa participation à l’assassinat de Dulcie September3. S’il est passé
par la 7th Independent Company, Siam n’a, en réalité, pas servi
au sein de la GP des Comores. Après la Rhodésie, il s’installe en
1982 en Afrique du Sud et intègre l’armée. Versé dans l’instruc-
tion, il rejoint la GP seulement en 1989 au titre d’agent sud-afri-
cain ; en revanche, il est l’homme qui tue Ahmed Abdallah.
Il convient de tirer deux conclusions de cette affaire Dulcie
September. En premier lieu, l’implication des « chiens de guerre »
n’est pas clairement attestée. En second lieu, les deux hommes
1. « Révélations sur l’assassinat de Dulcie September », L’Humanité, 1er octobre
1996.
http://www.humanite.fr/node/165761 consulté le 19 mars 2013.
2. Karl Laske, « Des mercenaires français ont-ils tué Dulcie September », Libération,
19 février 2000.
http://www.liberation.fr/societe/0101327184-des-mercenaires-francais-ont-ils-tue-
dulcie-september-retour-sur-l-assassinat-de-la-militante-de-l-anc-en-1988 consulté
le 19 mars 2013.
3. Voir les nombreux articles consacrés à cette affaire, notamment « Qui se souvient
de Dulcie September », Le Journal du dimanche, 16 août 2010.
http://www.lejdd.fr/International/Actualite/Qui-se-souvient-de-Dulcie-
September-214243 consulté le 19 mars 2013.

368
Les années 1980, le « Vieux » et ses « mercenaires-colons »

dont les noms ont pu être cités (le premier ayant été innocenté)
travaillent alors pour l’Afrique du Sud et n’ont qu’un lien indi-
rect avec la GP au moment des faits. D’ailleurs, dans le question-
naire de recrutement de Bob Denard, Barjac est l’un des rares à
revendiquer être « parfois mais rarement » raciste. Parmi la dizaine
d’autres exemplaires de réponses conservés, Didier est le seul autre
à considérer le racisme comme « un signe de bonne santé quand il
est bien compris », précisant « cela demanderait, à mon avis, plus
d’une ligne de réponse1 ».
En fait, on ne peut pas définitivement conclure au racisme ou
à la réelle adhésion de ces jeunes hommes aux thèses du Parti des
forces nouvelles (PFN). Ainsi, pour Villeneuve, « en fait, on n’y
allait pas pour la cause : la défense de l’Occident chrétien ! Moi,
j’avais 22, 23 ans ! C’était plutôt l’aventure, voir du pays2 ! ». De
son côté, lors de notre entretien, Lenormand affirme : « Il y avait
un chef [au GUD], Alain Robert et on était plusieurs lieutenants.
En fait, l’idéologie était secondaire, c’était proche du zéro. C’était
surtout l’anticommunisme, ils étaient très présents dans les facs à
ce moment-là. On les combattait. Mais cela m’a joué des tours. »
En effet, il est possible que ces hommes cherchent à se démarquer
de leurs parents : « On était des enfants de bonnes familles. » Ils
affichent une position qui les distingue du reste de la société : « À
l’époque, 1972, je portais une grande croix celtique sur la poi-
trine ! » Ces hommes qui font volontiers le coup de poing à Assas
se voient, pour certains, refuser la voie militaire classique qui est
souvent une vocation : « J’ai voulu entrer dans l’armée française
mais tout était vérifié. On ne voulait pas de moi pour Saint-Cyr.
Je préparais les officiers de réserve depuis quatre mois. Et puis on
m’a découvert un problème aux yeux, on allait me mettre sur une
voie de garage. Une deuxième expertise et on m’a demandé si je
voulais être réformé. Ils ne voulaient pas me payer une paire de
1. Questionnaires distribués aux candidats à la GP, archives privées Bob Denard,
carton 32.
2. Extraits d’un entretien avec Villeneuve à Paris le 24 juillet 2012.

369
Dans l’ombre de Bob Denard

lunettes. J’ai compris que la caserne, ce n’était pas pour moi ; j’ai
accepté. » Comme pour d’autres dans les années 1960, l’appar-
tenance politique de ces jeunes explique un imaginaire qui les
pousse à voir dans un « ailleurs » comorien (après le Congo deux
décennies plus tôt) un lieu où ils pourront s’affranchir des règles
qui régissent la société française avec laquelle ils sont culturel-
lement en décalage. Dans les années 1980 encore, le « goût de
l’aventure » et la soif d’action demeurent primordiaux, encoura-
gés par les représentations positives véhiculées au sein des cou-
rants des droites radicales.
Par ailleurs, alors qu’on est une dizaine ou une quinzaine d’an-
nées après la guerre d’Algérie, certains noms sont sans doute éga-
lement difficiles à porter. Le père et l’oncle d’Aifix, François et
Pierre S., sont des figures de l’Algérie française et du nationalisme
français, de Jeune Nation à Occident. Officier à la GP, Aifix reste
proche des milieux d’extrême droite. Ainsi, en 1995, conduira-t-
il notamment la liste FN aux élections municipales d’Épinay-sur-
Seine. Le capitaine Morin affiche également une grande proxi-
mité avec le FN. D’autres courants sont représentés, à l’instar
du royalisme porté par Patrick Ollivier. Au-delà de sa jeunesse
militante à l’Action française, il semble que son adhésion à la
cause royaliste soit réelle. À la GP, il prend pour nom de guerre
« Stofflet » en hommage au chef vendéen puis sera à nouveau
engagé dans les années 1990 comme président de France roya-
liste en 1995-1996 et comme directeur de publication de Combat
royaliste : organe d’action et de réflexion royaliste des régions de
l’Ouest et d’Héritages­: la revue du royalisme français à la même
période.

Les luttes internes à la GP


Quel que soit leur parcours avant d’intégrer le milieu merce-
naire, la plupart de ces hommes envisagent une longue carrière
de soldat de fortune. Les dysfonctionnements de la GP mais aussi

370
Les années 1980, le « Vieux » et ses « mercenaires-colons »

les difficultés rencontrées dans les rapports avec l’Afrique du Sud


et/ou avec la France (ré)activent les concurrences pour occuper
la place de bras droit du « Vieux ». Né en 1929, il est le seul et
unique chef du milieu mercenaire français. Aux Comores il est
question même, de façon plus ou moins tacite, de sa succession.

Rivalités de lieutenants

Bob Denard s’appuie sur quelques proches qui lui sont complé­
men­taires. Toutefois, la structure de l’unité d’élite aux Comores
impose qu’un second, le chef nominal de la GP, soit placé au-des-
sus des autres. Dès l’installation dans l’archipel pourtant, le pro-
blème se pose de la concurrence pour le comman­dement nomi-
nal des « chiens de guerre ». Roger Bruni pouvait légitimement
assumer cette fonction. Peut-être est-il jugé trop âgé pour faire
durablement un cadre de la troupe ; peut-être le baroudeur n’a-
t-il pas envie de se fondre dans cette vie de caserne. En tout cas,
il est invité à quitter les Comores comme une bonne partie du
« commando noir » : « Roger, d’après ses seconds, devenait iras-
cible et buvait plus qu’il ne fallait. Ça sentait la cabale ; j’avais
décliné l’offre [de le relever dans ses fonctions] en rétorquant au
patron que deux vieux amis qui se tutoyaient pouvaient s’expli-
quer en tête à tête. » Finalement, Roger Ghys va « évincer Roger
en douceur, entre Belges1 ».
Bras droit du chef depuis l’Angola, André Cau demeure, en
revanche, l’un des hommes que le « Vieux » considère comme
indispensables et fait fonction de chef d’état-major des mer-
cenaires. Malgré les contestations dont il a pu faire l’objet, il
conserve donc la confiance de Denard. L’ancien policier est intel-
ligent, organisé et dispose de connaissances juridiques jugées très
utiles pour l’installation aux Comores en 1978.

1. Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit.

371
Dans l’ombre de Bob Denard

Pourtant, Bob Denard fait également appel à un vieux


compa­gnon d’armes, perdu de vue depuis 1967, Roger Ghys.
Apprenant en Belgique la nouvelle du coup d’État par la télévi-
sion, il reprend contact avec Denard. Ghys a belle allure, aussi
à l’aise comme baroudeur que comme homme de bureau. Ce
type de profil a toujours été apprécié du chef mercenaire, à la fois
empreint de charisme et doté des capacités de jouer le rôle d’offi-
cier d’administration. Jovial, il est unanimement apprécié par les
hommes, aussi bien les anciens que ceux de la nouvelle généra-
tion, pourtant souvent recrutés par André Cau. Sans doute est-
ce pour ses capacités à nouer de bonnes relations que Denard lui
donne la première place : il devient le commandant de la GP sous
le nom de « commandant Charles » (après la destitution du fils
spirituel, Jean-Louis Millote). Sa chaleur humaine et son habi-
leté à se fondre dans les élites comoriennes en font également
un interlocuteur apprécié par le gouvernement et le président.
Ce dernier point n’est pas négligeable, alors qu’il s’agit de faire
oublier l’affaire Millote.
Contrairement à la période des années 1970, le facteur du
rajeunissement n’est pas le premier critère dans le choix de Bob
Denard. En effet, Roger Ghys est né en 1933. D’autres vétérans,
des opérations congolaises ou des guerres de décolonisation fran-
çaise, sont également convoqués. Né en 1938, Roger Mas a effec-
tué toute sa carrière dans l’armée belge. Il prend la tête de la police
comorienne en 1978. Parallèlement, le souci de faire « monter »
la jeune génération ne disparaît pas. Fort de l’expérience ango-
laise, Bob Denard prend sans doute le temps et affecte les jeunes
à des tâches de confiance. Dès la préparation opérationnelle
sur ­l’Antinéa qui vogue vers les Comores, le Bosco observe « les
jeunes-turcs, seuls convoqués avec Roger Bruni dans la cabine
du chef1 ». D’ailleurs, cette préoccupation demeure logique dans
l’optique d’éventuelles opérations de combat. Au Tchad, ce sont

1. Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit.

372
Les années 1980, le « Vieux » et ses « mercenaires-colons »

des représentants des nouvelles générations qui sont dépêchés


auprès d’Hissène Habré. C’est pourquoi des postes importants
sont très rapidement confiés aux « baby-boomers ».
Les compagnies de combat sont sous les ordres de Marqués et
Riot. Physique, le premier est particulièrement dynamique. C’est
un bon meneur d’hommes. Identifié comme tel mais élevé par
son expérience de sous-officier des tercios, il ne se voit pas confier
de tâches d’officier supérieur avant de prendre la tête de la GP.
En revanche, Riot fait partie des jeunes valorisés dès les premières
années. Passionné de voile, il est très sportif et a servi comme offi-
cier. Basé à Djibouti, il a sillonné la région de la Corne et a des
connaissances géopolitiques convenables. Son bagage militaire,
notamment comme artilleur, justifie la direction des équipes
envoyées au Tchad.
Après Jean-Louis Millote, Riot et Marqués, Foulques et Jean-
Baptiste Pouye sont également considérés comme les « poulains »
du chef. Ayant rejoint Bob Denard pour l’opération du Bénin,
Foulques est jugé par ce dernier comme un garçon intelligent
et courageux. Le « Vieux » s’appuie sur les grandes qualités que
peut mettre en œuvre cet officier de réserve dans le cadre admi-
nistratif d’abord. Il lui confiera ensuite la responsabilité du ser-
vice de sécurité pour la garde rapprochée présidentielle. En effet,
c’est un bon chef pour ses hommes, excellent tireur et il jouit
d’une très bonne condition sportive. Sa polyvalence l’inscrit ainsi
dans la lignée des profils tant appréciés du chef depuis ses débuts.
D’apparence nonchalante mais vif d’esprit, volontiers persifleur,
Jean-Baptiste Pouye réunit les mêmes qualités et est également
issu du corps des officiers de réserve.
Cet élargissement du cercle des hommes de confiance, asso-
cié à l’accession d’un seul au poste de commandement, entre-
tient les rivalités. Écarté de l’organigramme de la GP dès 1978,
André Cau nourrit une certaine rancune contre Roger Ghys. En
fait, ce commandement de la GP est perçu comme une posi-
tion prédominante qui fait de son dépositaire un homme tout-

373
Dans l’ombre de Bob Denard

puissant dans l’archipel. Elle permet à celui-ci de construire ses


propres réseaux parmi les mercenaires. Roger Ghys sait se faire
aimer de ses hommes, à part sans doute de ceux qui aspirent à
prendre sa place. Selon Patrick Ollivier, fort de la confiance des
cadres de la GP et de sa proximité avec le président Abdallah,
Ghys pourrait être tenté de remplacer Denard. Patrick Ollivier
dit ainsi au « Vieux » : « Vous ne contrôlez plus rien. » Dans le récit
qu’il donne de son échange avec celui-ci, Patrick Ollivier prête
ces paroles à son interlocuteur : « Avec Charles, nous formions
un bon tandem. Nous avions chacun notre rôle. Le sien consis-
tait à bien tenir en laisse tonton Abdallah. Je t’accorde qu’il s’est
pris au jeu, qu’il se verrait bien tout seul à la présidence1. » En
réalité, rien ne vient étayer un début de trahison du comman-
dant Charles envers le patron de la GP. En fait, le sommet du
groupe fonctionne aux Comores selon la même logique que dans
les périodes précédentes. Homme de dossiers, Roger Ghys est le
lieutenant de Denard chargé du fonctionnement quotidien et du
suivi des affaires en cours ; il jouit d’une très grande latitude dans
cette fonction. Denard se charge de son côté des « relations exté-
rieures » ; il gère d’éventuels contrats d’opérations mercenaires
hors de l’archipel.
Cette répartition des rôles offre cependant l’inconvénient,
déjà perçu à travers le rapport entre André Cau et son équipe
en Angola, d’une trop large place donnée à ce second, véritable
interface entre le chef et les cadres de la GP. La place semble
tel­lement offrir de pouvoir qu’elle aiguise les appétits. Patrick
Ollivier est peut-être celui qui dévoile le plus ses ambitions. En
effet, lui aussi, en raison d’un fort charisme et d’un passé militaire
jugé probant (Grey’s Scouts), fait figure de futur bras droit pos-
sible pour Denard. Pour autant, beaucoup reprochent à Patrick
Ollivier sa posture de « moine-soldat », et non de mercenaire,
ainsi que son jeu personnel.

1. Patrick Ollivier, Soldat de fortune, op. cit., p. 148.

374
Les années 1980, le « Vieux » et ses « mercenaires-colons »

D’ailleurs, au changement de génération dans le comman­


dement de la GP, le choix de Denard se porte sur Marqués et non
sur Patrick Ollivier. Or, cette décision marque une rupture avec les
profils complémentaires systématiquement désignés jusque-là. Le
chef mercenaire avait toujours recherché des hommes aux capa-
cités à la fois intellectuelles et d’administration qui l’emportaient
presque sur leurs aptitudes au combat (Thielemans, Clément,
Cardinal, Cau puis le vieillissant Ghys). Incontestablement,
Marqués est davantage un soldat qu’un homme de dossier. De
taille moyenne et plutôt trapu, il n’est pas très bavard. Marqués
ne se livre guère. Débrouillard, très fidèle au chef et courageux,
il a moins de hauteur de vue que ses prédécesseurs. Sans doute
son rôle dans la reprise en main de la sécurité après la tentative de
putsch de 1985 l’a-t-il mis en valeur.

Le complot de 1988
En 1988, une nouvelle déstabilisation interne vient accroître
les problèmes que rencontre la force mercenaire. L’ancien membre
de la GP, écarté de la course au commandement de l’unité, Patrick
Ollivier, semble le maître d’œuvre du complot. Son objet serait
la préparation d’un coup d’État au profit de Mohamed Taki, ex-
président de l’Assemblée fédérale islamique des Comores. Par
l’intermédiaire d’André Cau, autre ancien proche de Denard, le
lieutenant Servadac (Max Vieillard) et le sous-lieutenant Jansen
sont approchés. Le premier exprime des positions politiques en
décalage avec le régime mais dénonce le complot ; le second ne se
serait pas prononcé en faveur de l’opération mais sans en rendre
compte1. Finalement, les deux cadres sont exclus et renvoyés des
Comores. Même si aucun début de déclenchement militaire ne se
produit en 1988, l’alerte est significative car un renversement de
la GP est désormais imaginé par des cadres européens.
1. Selon la note établie le 23 juin 1987 par le lieutenant Suresnes, responsable de
l’antenne de Paris, archives privées Bob Denard, carton 44.

375
Dans l’ombre de Bob Denard

Le complot permet de tirer deux conclusions sur les rapports


internes à la GP et au milieu des mercenaires. D’une part, on
observe la volonté renouvelée des seconds de Denard de tenter
leur chance indépendamment (et ici aux dépens) de Denard.
Après Dulac à la fin des années 1970 et au début des années 1980
(affaire du Tchad), Patrick Ollivier a sans doute imaginé pouvoir
devenir un nouveau meneur. Sa carrière rhodésienne parle en sa
faveur. En arrière-plan, la figure d’André Cau, l’ancien membre
du premier cercle, apparaît. Là encore, il n’est pas improbable
que l’homme envisage de reprendre la place qu’il n’avait pas su
garder au sein du milieu. Jusqu’à la fin des opérations merce-
naires, Patrick Ollivier se positionne en concurrent du « Vieux ».
En 1995, à la veille de l’élection présidentielle de Jacques Chirac
(et donc quelques semaines avant le retour de Bob Denard), il
organise depuis Split (Croatie) une tentative de putsch contre le
président Djohar. Il recrute une dizaine de Français et surtout
des Croates mais son équipe est démasquée lors de repérages.
L’affaire tombe à l’eau. Les ambitions personnelles guident éga-
lement les autres acteurs importants du complot. Servadac aspire
à peser sur l’évolution politique des Comores et sans doute à se
tailler une place de choix dans une éventuelle redistribution des
rôles parmi les mercenaires. Il faut rappeler qu’il est tué en 1990
aux Comores lors d’une tentative (en franc-tireur, semble-t-il) de
coup d’État. Selon la version communément admise, il est venu
pour assassiner le président Djohar pour le compte de Mohamed
Taki dont il est demeuré proche.
D’autre part, la question de la succession se pose de façon de
plus en plus cruciale. Les intérêts des différents acteurs qui inter-
fèrent avec le maintien des soldats de fortune aux Comores (pré-
sident Abdallah, France et Afrique du Sud) ouvrent des oppor-
tunités aux ambitieux. Pour une partie des cadres de la GP, écar-
tés ou insuffisamment dotés de pouvoir, la dimension affective
de Denard est incontestablement l’un de ses principaux points
faibles. Elle le conduirait à ne pas forcément rendre hommage

376
Les années 1980, le « Vieux » et ses « mercenaires-colons »

aux plus talentueux de ses hommes (qualité que Patrick Ollivier


considère par exemple comme sienne). Cela affaiblit en partie
son autorité mais se traduit surtout par ces choix politiques. Le
« corsaire de la République » ne romprait que très dif­fi­ci­lement
avec la France si cela devenait nécessaire. Certes, avec le recul
des événements postérieurs (1989 et 1995), Aifix affirme ainsi :
« Il y avait une très forte dimension affective, humaine chez
Denard. C’était un homme d’une grande fidélité à ses amis et à
ses contacts : Foccart, le colonel Robert… C’est pour cela qu’il n’a
jamais franchi la ligne jaune1. »

1. Entretien avec Aifix à Aix-en-Provence le 22 novembre 2012.


Chapitre 11

La GP au cœur du triangle
France-Comores-Afrique du Sud

Depuis le Biafra et les opérations des années 1970, les mer-


cenaires apparaissent sur la scène africaine comme une « main
gauche » de l’action étatique française. En même temps, les rap-
ports avec le SDECE se sont distendus depuis le début de l’« ère
Marenches ». Désormais centrés sur les Comores, les « chiens de
guerre » français peuvent compter sur un autre soutien tradition-
nel de leurs opérations sur le continent noir, l’Afrique du Sud. Le
troisième âge du système mercenaire français fonctionne sur la
base de ce triangle.

Les Comores : géopolitique régionale et combat


anticommuniste en Afrique

Bob Denard a rapidement compris tout le bénéfice que les


soldats de fortune, en quête d’émancipation vis-à-vis de Paris,
peuvent tirer de leur domination militaire sur les Comores.

La GP et les Comores, à l’avant-garde du camp occidental


Désormais rassemblés et régulièrement entraînés dans le cadre
de leurs activités quotidiennes de la GP, les mercenaires fran-
çais sont un recours auquel peuvent faire appel les acteurs afri-

379
Dans l’ombre de Bob Denard

cains pour leurs affaires intérieures, mais aussi dans le cadre de


la guerre froide. Les interventions au Tchad des équipes de la
GP comorienne s’inscrivent dans la lutte d’Hissène Habré contre
la Libye et ses appuis au sein du bloc de l’Est. Lors de la prise
d’Abéché, Jean-Baptiste Pouye constate ainsi la présence d’héli-
coptères d’attaque soviétiques, les Mi-24 super Hind, pilotés par
des Allemands de l’Est. Les FAN, et notamment Hissène Habré,
bénéficient en retour du soutien du camp occidental. Depuis la
fin des années 1970, Hissène Habré reçoit notamment des sub-
sides de Washington. Malgré de nombreux projets, les opérations
des « chiens de guerre » français sont pourtant moins fréquentes
lors de la « guerre fraîche » (1979-1985) qu’au cours de la Détente.
La garantie de voir les Comores maintenues dans le giron de
l’Ouest est sans doute leur principal atout. En effet, l’archipel
se situe dans une zone stratégique. Le canal de Mozambique est
très disputé. Maputo à la sortie sud et Nacala au nord sont des
escales contrôlées par les Soviétiques. Il est même possible qu’à un
moment, l’URSS ait envisagé de couper la route du pétrole pas-
sant par Le Cap. Dans la défense des flux marchands, l’Afrique
du Sud joue, bien entendu, un rôle majeur. La France est un autre
acteur privilégié de la zone, agissant à partir des Comores puis de
Mayotte. L’archipel peut sans doute également faire fonction de
« port de relâche » pour les intérêts occidentaux qui ne souhaitent
pas trop afficher une proximité avec l’Afrique du Sud. Sans doute
est-ce cet aspect qui pousse des financiers allemands à présenter
un dossier d’investissement dans l’archipel (voir le chapitre 10).
En effet, le commandant Charles y décèle des logiques de guerre
froide avec l’« impression personnelle que ce groupe d’Allemands
[…] doit cacher au travers de l’exploitation du tourisme la vente
d’armes. En effet, ils possèdent une usine en Suisse et sont en
pourparlers avec Taïwan1 ».

1. Rapport du commandant Charles du 16 juin 1979, archives privées Bob Denard,


carton 42.

380
La GP au cœur du triangle France-Comores-Afrique du Sud

Les tensions dans l’est du continent africain et dans l’océan


Indien sont également induites par la présence de régimes socia-
listes et la confrontation avec l’Afrique du Sud. Les Seychelles de
France-Albert René mais également la République démocratique
de Madagascar dirigée par Didier Ratsiraka sont proches du bloc
de l’Est. Ainsi Bob Denard reçoit-il une lettre quelques semaines
après le coup d’État qui traduit cet esprit d’affrontement : « Il en
reste encore un dans la grande île à côté de la vôtre […]. Occupez-
vous-en aussi […]. Maintenant vous êtes bien placé pour trou-
ver qui pourrait financer l’opération […]. Nous comptons sur
vous pour nous débarrasser de ces faux révolutionnaires qui s’en-
richissent au détriment de leurs peuples. Les Russes, les Chinois,
les Nord-Coréens et les Cubains sont omniprésents chez nous.
Notre pays [Madagascar apparemment] est une plate-forme géos-
tratégique et nous n’avons pas le droit de la laisser définitivement
sous le giron des communistes1. » Comme l’illustre le rapport sur
une éventuelle opération pour renverser France-Albert René, le
rôle de relais des Seychelles pour les Libyens peut être rapproché
de celui des Comores pour le bloc de l’Ouest. Les observateurs
dépêchés par Bob Denard à Victoria établissent la présence d’ins-
tructeurs de la Jamahiriya et font de son ambassade le seul lieu
à neutraliser en cas d’action car susceptible de receler des forces
pouvant s’opposer aux mercenaires.
Surtout la Tanzanie et le Mozambique sont des États qui
inquiètent Pretoria et les puissances occidentales (voir carte
page 442). En Tanzanie, Julius Nyerere est l’un des hommes forts
de la pénétration commu­niste sur le continent noir. Théoricien
d’un socialisme africain, inspiré par la voie maoïste, il reçoit le
soutien de Pékin et joue un rôle majeur dans la zone de culture
swahilie. En 1978, au moment du coup d’État perpétré par les
mercenaires, ce sont des militaires tanzaniens qui conseillent les
chefs des milices Moissi. Patrick Ollivier témoigne de la menace
1. Lettre signée « votre ami Armand » rédigée le 22 juin 1978, archives privées Bob
Denard, carton 42.

381
Dans l’ombre de Bob Denard

qu’il incarne ensuite pour les mercenaires de la GP. À propos


d’événements se déroulant en 1982, il écrit : « Les Cubains, les
Tanzaniens, les Nord-Coréens, tous rôdent autour des Comores.
On aurait aperçu un sous-marin au large de Mitsamiouli1. »
Ancienne colonie portugaise, le Mozambique se rapproche égale-
ment dès son indépendance du bloc soviétique, ce qui plonge le
pays dans la guerre civile. Le Front de libération du Mozambique
(FRELIMO) au pouvoir est confronté aux mouvements soute-
nus d’abord par la Rhodésie puis par l’Afrique du Sud à partir de
1979. Enfin, dans un environnement plus large, comme l’atteste
l’intérêt particulier porté par les mercenaires à son ambassade aux
Seychelles, la Libye joue également un rôle majeur dans l’opposi-
tion au nouveau régime comorien. À son accession au pouvoir en
1969, le jeune colonel Kadhafi fait figure de chef nationaliste et
anticolonialiste. Ensuite, le chef de la Jamahiriya arabe populaire
et socialiste déverse les revenus du pétrole libyen dans le soutien
aux guérillas antioccidentales d’Afrique subsaharienne et souhaite
faire entrer le continent dans sa sphère d’influence.
Dans cette configuration géopolitique, les Comores font figure
d’allié objectif de Pretoria et de membre du bloc occidental. C’est
pourquoi l’installation d’un mercenaire (Bob Denard) aux côtés
d’Ahmed Abdallah au sein d’un directoire qui prend en charge les
affaires politiques de la République islamique provoque de fortes
contestations aux lendemains du coup d’État. Le passé du « chien
de guerre », et notamment sa tentative béninoise, est mis en avant
par les régimes proches du bloc de l’Est. L’année 1979 est mar-
quée par le rapport de force de guerre froide au cours des débats
entre États africains de l’OUA. À Khartoum, la délégation como-
rienne venue pour négocier avec les États socialisants est même
expulsée des débats. La question personnelle de Bob Denard met
alors en danger l’enracinement du pouvoir d’Ahmed Abdallah et
des soldats privés.

1. Patrick Ollivier, Soldat de fortune, op. cit., p. 145.

382
La GP au cœur du triangle France-Comores-Afrique du Sud

C’est pourquoi le chef préfère s’effacer du devant de la scène


politique et militaire de l’archipel (au moins provisoirement) à la
fin du mois de septembre 1978. Avant son départ, de grandes céré-
monies festives sont organisées le 26 septembre 1978 au cours des-
quelles Bob Denard répète son grand attachement aux Comores et
Ahmed Abdallah lui rend un vibrant hommage. Le « Vieux » dis-
socie donc ses contentieux personnels avec les régimes socialisants
du continent noir de l’avenir des Comores. Il choisit de mettre
en lumière son geste en adressant une lettre rendue publique à
France-Albert René : « Il est compréhensible qu’on nous fasse des
procès d’intention, vu ce que nous représentions dans le passé.
Mais je pense qu’il est injuste de nous juger sans nous entendre.
Je suis prêt à me soumettre à un tribunal d’exception des chefs
d’État africains. Qu’on me le dise en face et qu’on me condamne.
J’accepte d’avance le jugement. » La bataille sur la situation como-
rienne fait rage au sein de l’OUA et Bob Denard estime qu’une
majorité d’États peuvent rapidement tenir pour légitime le régime
d’Ahmed Abdallah. Il sait pouvoir compter sur le soutien des États
pro-occidentaux et profrançais : « J’ai risqué ma vie pour libérer un
peuple opprimé ; demain, je recommencerais sans regret1. »
Pour autant, l’archipel peut toujours être déstabilisé par des
forces communistes qui cherchent à entrer en contact avec les
partisans d’Ali Soilih, ancien président marxisant. La GP joue
donc un rôle de contre-espionnage dans ce contexte. En 1979,
moment de forte tension régionale, des rumeurs de préparatifs
au Mozambique et en Tanzanie visant à organiser un coup d’État
à Moroni la mettent en alerte2. Ainsi, le rôle d’« ambassadeur iti-
nérant » du président Abdallah auprès des chefs d’État africains
qui devient celui de Bob Denard n’est pas un véritable choix mais
résulte de cette géopolitique régionale. La nécessité initiale de ne
pas constituer un facteur d’échec d’enracinement du régime se
double de l’intérêt de se déplacer souvent auprès de présidents
1. Lettre de Bob Denard du 3 mars 1979, archives privées Bob Denard, carton 42.
2. Rapport RG du 14 décembre 1979, archives privées Bob Denard, carton 42.

383
Dans l’ombre de Bob Denard

africains susceptibles de soutenir Ahmed Abdallah et de s’ins-


crire à ses côtés dans l’alliance occidentale. Finalement, ce rôle
de Denard est pérennisé car il correspond à une véritable action
positive du mercenaire dans ce nouveau registre.

Les amis africains


Les partenaires majeurs des Comores sont des pays de la Ligue
arabe (à laquelle la candidature comorienne a pourtant échoué) :
Koweït, Qatar ou Arabie saoudite. Les Comores sont ra­vi­taillées
gratuitement en hydrocarbures par l’OPEP et ont développé
des systèmes de bourses et de prêts avec les États cités. Les orga-
nismes bancaires liés à la Conférence islamique sont également
des créanciers significatifs du régime. À côté de cette inscrip-
tion de la République islamique comorienne dans un réseau qui
correspond à son identité musulmane, de nouveaux partenaires
doivent être trouvés.
Bob Denard exerce son influence dans la recherche de colla-
borations économiques pour le pays. Il s’implique dans la stra-
tégie du commerce extérieur et montre une hauteur de vue qui
dépasse l’examen des dossiers d’investisseurs par la GP. Il donne
par exemple son avis sur la place à accorder à la Chine commu-
niste : « Le président Abdallah voulait chasser les Chinois parce
qu’ils avaient favorisé Ali Soilih. Moi, je lui ai conseillé, puisque
les Chinois étaient installés, de les garder plutôt que de faire
venir les Russes. Et c’est d’ailleurs ce qu’il a fait. Les Chinois ont
aidé les Comores après, puisqu’ils ont envoyé des bateaux com-
plets de riz et de matériels ; ils ont construit le palais du peuple,
des routes, une cité administrative […]. Parallèlement à cela, j’ai
moi-même fait plusieurs visites à Taïwan parce que les Chinois
nationalistes essayaient d’exploiter la situation pour s’implanter
à la place des communistes. Mais le président a tenu bon1. »
1. Entretien accordé à Stéphane Vauterin, Les Comores dans les relations
internationales, op. cit., p. 154. Ces éléments sont corroborés par les entretiens avec

384
La GP au cœur du triangle France-Comores-Afrique du Sud

Surtout, Denard a établi dans les années 1970 des relations


avec les capitales africaines amies de la France, comme Rabat ou
Libreville. Hassan II ou Omar Bongo qui envisagent d’avoir un
rayonnement continental continuent d’entretenir des liens cor-
diaux avec le mercenaire français, lequel incarne le pouvoir como-
rien. Bob Denard cherche donc à tirer profit de son réseau de
connaissances. Le Maroc devient ainsi une destination privilégiée
pour les étudiants comoriens qui y reçoivent un accueil particu-
lièrement soigné au temps d’Ahmed Abdallah. Des quotas et des
aides leur permettent de poursuivre leurs études à Rabat. Cette
bienveillance prend fin après 1989. Le chef d’État comorien dis-
pose d’indéniables capacités à créer un lien de confiance avec ses
homologues africains. Il n’en demeure pas moins que les relations
interpersonnelles entre le roi marocain et le « chien de guerre » du
président Abdallah ont joué un rôle significatif dans cet accord.
Bob Denard fait également appel au Gabon dont il souhai-
terait faire l’un des soutiens de la République islamique des
Comores : « Monsieur le Président, écrit-il à Omar Bongo, j’aurais
aimé vous parler de deux choses qui sont d’ailleurs liées : A. Les
Comores, B. Les relations avec l’Afrique du Sud. Les Comores :
Monsieur le président Abdallah A. m’a prié de vous transmettre
verbalement ses fraternelles amitiés et vous exposer nos difficul-
tés dans le contexte politique actuel en France où il est arrivé
hier pour un séjour de deux semaines car les Comores sont assis-
tées en grande partie par Paris ainsi que par les divers organismes
internationaux. Lors de précédentes visites de missions como-
riennes, il avait été abordé une aide indirecte sous forme de four-
nitures : Bois, Véhicules Land Rover pour la GP, Stages de for-
mation, Aide politique1. » Les demandes matérielles des Comores
au Gabon passent donc par l’intermédiation du patron de la GP,
même s’il est fait mention du chef de l’État.
Philippe Chapleau (qui donne également une autre dimension aux déplacements à
Taïwan, voir plus loin) et Aifix.
1. Lettre à Omar Bongo le 15 juin 1979, archives privées Bob Denard, carton 44.

385
Dans l’ombre de Bob Denard

En entreprenant de telles démarches auprès des « amis » qu’il


s’est constitués au cours de sa carrière, il doit également aborder
les liens tissés avec l’Afrique du Sud : « Nos relations sont bonnes,
écrit-il à Omar Bongo. Ils nous aident à construire des hôtels,
financent une partie de la GP, financent une ferme expérimentale,
financent la construction d’habitations ainsi que d’autres projets
ponctuels. Je suis également en très bons termes avec les auto-
rités, vivant en partie chez eux. Avant ma venue, j’ai rencontré
M. Glenn Babb [ancien conseiller diplomatique à Paris et alors
ambassadeur à Rome]. Il souhaite vous revoir et parler avec vous
mais il sait que, dans votre entourage, des éléments étrangers font
obstruction et faussent vos relations. Il souhaite que vos relations
passent par notre ami Maurice [Delauney]1. » Finalement, la lutte
anticommuniste menée par le mercenaire depuis les années 1960
constitue le fil rouge de son action.
Bien entendu, les relations africaines du mercenaire continuent­
surtout à appuyer ses « opérations extérieures », notamment au
Tchad. Ainsi, Hassan II semble apporter son soutien au soldat
de fortune auprès d’Hissène Habré. Bob Denard écrit ainsi à son
client tchadien en 1983 : « Je dois également vous informer que je
suis rentré dernièrement du Maroc avant la visite de Kadhafi. J’y ai
rencontré le colonel Kadri, l’actuel responsable des services maro-
cains. Vous avez là des amis prêts à intervenir directement si la
situation l’exige2. » Les activités de la GP comorienne s’inscrivent
donc dans le prolongement des opérations des années 1970. À
cette période, les régimes d’Afrique francophone soutenaient Bob
Denard en accord avec les services français. Désormais, il parti-
cipe, à son niveau, à une plus grande indépendance des États de
la Françafrique qui renforcent leurs liens, indépendamment (en
partie au moins) de la France.

1. Lettre de Bob Denard à Omar Bongo le 15 juin 1979, archives privées Bob
Denard, carton 44.
2. Lettre de Bob Denard à Hissène Habré rédigée à Paris le 3 juin 1983, archives
privées Bob Denard, carton 29.

386
La GP au cœur du triangle France-Comores-Afrique du Sud

Des rapports ambigus avec la France

Malgré l’indépendance, les Comores demeurent sous le


contrôle de Paris, comme le laisse entendre Harold W. Geisel,
ambassadeur américain à Maurice : « J’ai dû y aller trois fois […].
Il n’y avait rien que nous puissions faire là-bas. Les Français
dominaient l’endroit parce qu’ils étaient les seuls qui donnaient
aux Comoriens un peu d’argent et je crois qu’ils alimentaient leur
banque centrale. Nous n’avions aucun intérêt à ce qui me sem-
blait. » Peu auparavant, le même diplomate associait les nom-
breux coups d’État de l’histoire de l’archipel au « même homme,
Bob Denard […]. Il venait renverser le gouvernement quand il
ne lui plaisait pas1 ». Selon Harold W. Geisel, la France et Bob
Denard sont tout-puissants aux Comores. Pourtant, dans l’inter-
view, il n’établit pas de lien entre les deux faits qu’il constate.

L’ère Journiac, le changement dans la continuité

Paris est l’un des grands gagnants du changement de régime


du 13 mai 1978. Dès le 10 novembre, les deux États signent des
accords de coopération dans lesquels la place faite aux aspects
militaires est significative. Un tel texte n’avait pas pu être négo-
cié en 1975. Tandis que les forces comoriennes doivent assurer la
sécurité intérieure de l’archipel, la France se porte garante de sa
sécurité extérieure. Comme elle entretient également de bonnes
relations avec l’île Maurice et les Seychelles, la France est donc un
acteur majeur de la géopolitique de cette partie de l’océan Indien.
Par ailleurs, la signature de ces accords laisse penser que la ques-
tion mahoraise est réglée. Comme les enjeux financiers sont déci-
sifs pour le nouveau régime, il devient difficile à Ahmed Abdallah

1. Traduction personnelle d’un extrait de l’entretien avec l’ambassadeur Harold W.


Geisel réalisé le 30 juin 2006, Library of Congress, Manuscript Division, Washington,
D.C. Consulté en ligne http://memory.loc.gov/cgi-bin/query/r?ammem/mfdipbib:@
field %28NUMBER+@band%28mfdip+2007gei01 %29%29 le 2 juin 2013.

387
Dans l’ombre de Bob Denard

de se mettre en porte-à-faux avec Paris à propos de Mayotte qui


campe sur ses positions profrançaises.
Finalement, la principale préoccupation de Paris est de conser-
ver le plus grand contrôle possible sur les mercenaires français.
La France est l’un des contributeurs significatifs au budget de
la République islamique des Comores ; elle cherche à exploiter
cette position : « En fonction de la somme que la France doit ver-
ser aux Comores, l’ambassadeur s’est permis de prendre di­rec­
tement contact avec monsieur Kafé afin de connaître la desti-
nation des fonds dans le paiement des ressortissants français ;
d’après le Tonton [désigne le président comorien], cette démarche
vous concerne directement ! Le Tonton l’a convoqué et lui aurait
signifié que la destination ne le concernait en aucun cas, que le
Tonton était seul maître à bord. » Roger Ghys en tire une conclu-
sion simple : « Il est certain que cet ambassadeur ne porte pas la
GP dans son cœur1. »
Comme dans la période précédente, le système mercenaire
s’articule à partir de Paris. L’antenne de la GP dans la capitale
est une place essentielle dans les relations entre les autorités fran-
çaises et Moroni. Elle collecte en temps réel les informations sur
les rumeurs dans les milieux politiques tricolores pour les trans-
mettre aux Comores. Au-delà des rapports plus ou moins tendus
entre l’État français et les soldats de fortune, l’existence de 1978 à
1989 de cette antenne prouve l’accord tacite de Paris à son fonc-
tionnement. Les recrutements de cadres pour assurer les besoins
croissants d’encadrement de la GP se font à Paris. Or, il est incon-
cevable que les services français ne soient pas au courant de ces
enrôlements, voire qu’ils n’y soient pas associés. Cette seconde
hypothèse reste toutefois moins probable car aucun entretien n’a
conforté cette hypothèse, y compris avec Villeneuve qui a long-
temps dirigé l’antenne parisienne de la GP.

1. Rapport RG du commandant Charles le 20 octobre 1979, archives privées Bob


Denard, carton 42.

388
La GP au cœur du triangle France-Comores-Afrique du Sud

Changement d’ère

Malgré un rapport de force déséquilibré entre les mercenaires


et la cellule Afrique de l’Élysée, le travail se fait en bonne intelli-
gence entre René Journiac et Bob Denard. Il est vrai que le pre-
mier est l’ancien bras droit de Jacques Foccart. Nez pointu, crâne
dégarni, derrière de grosses lunettes d’écaille, les yeux bleus de cet
austère magistrat sont vifs. Sourire ironique aux lèvres, l’homme
est compétent, rigoureux et très secret. Le Secrétariat aux affaires
africaines et malgaches de Foccart comptait jusqu’à dix-sept per-
sonnes, là où René Journiac ne conserve que deux secrétaires
pour son bureau élyséen, mais il incarne une forme de conti-
nuité qui ne peut que plaire au mercenaire. Les relations entre les
deux hommes sont plutôt chaleureuses, en tout cas, empreintes
d’un incontestable respect mutuel. La mort en février 1980 du
conseiller­très écouté de Valéry Giscard d’Estaing vient remettre
en cause cette situation. Bob Denard affirme d’ailleurs au pré-
sident comorien : « La mort de notre ami Journiac m’a beaucoup
bouleversé. Je suis franchement triste. Enfin, on n’y peut rien
mais c’était un grand ami1. » Sa disparition fait d’ailleurs naître
des espoirs dans l’opposition comorienne, comme le rapporte la
cellule RG de la GP : « Il [Ahmed Abdallah] me parle de tracts
le concernant avec vous-même, où il est dit qu’avec la mort de
monsieur Journiac, il est temps qu’il s’en aille car il ne possède
plus aucun appui en France mais il ne doit pas s’en aller seul, il
doit prendre avec lui ses Bob Denard !!! Il souhaite que vous acti-
viez la riposte par tracts, élaborés chez vous et permettant de don-
ner une riposte vive. L’on cherche toujours la source de fabrica-
tion mais à ce jour, rien2. »
La mort du Monsieur Afrique de l’Élysée, membre du
Secrétariat aux affaires africaines et malgaches depuis sa création,

1. Lettre de Bob Denard à Ahmed Abdallah le 14 février 1980, archives privées Bob
Denard, carton 42.
2. Rapport RG du 27 mars 1980, archives privées Bob Denard, carton 42.

389
Dans l’ombre de Bob Denard

peut n’être qu’un trouble passager. Tel est d’abord l’interprétation


de Bob Denard. « Paris : avec la mort de notre ami, je sais que
certains vont essayer de jouer là aussi. Nous verrons. Il est clair
que l’on cherchera un premier temps à tout cacher au Président
[Valéry Giscard d’Estaing]. Le nouveau conseiller, M. [Martin]
Kirsch, n’étant pas encore au courant des petites combines mal
intentionnées, se trouvera pourtant un bon moment dans les
nuages mais c’est un homme d’une haute expérience et il se rat-
trapera sûrement1. » Le dernier Monsieur Afrique de Valéry
Giscard d’Estaing (1980-1981) a également débuté sa carrière
aux côtés de Jacques Foccart ; il s’inscrit ainsi dans la continuité
de l’œuvre de Jacques Foccart et de René Journiac. Pourtant, le
mercenaire français change rapidement d’avis et s’interroge sur
un refroidissement plus structurel des rapports entretenus avec
Paris : « Certains ici croient que la mort de notre ami enterrera
aussi l’amitié entre le président VG et moi2. »
Surtout, l’arrivée au pouvoir des socialistes provoque une pro-
fonde inquiétude à Moroni. Quelle attitude va adopter Paris vis-
à-vis de la GP comorienne ? Cette anxiété est nourrie par ce qui
est vécu comme un antagonisme politique entre les mercenaires
et le nouveau gouvernement français : « L’ambiance générale se
dégrade en France. La chasse aux sorcières dans les milieux d’ex-
trême droite est commencée tant du point de vue civil particu-
lier que pour les entreprises. Dans les organismes publics telle la
police, il en va de même. Le colonel André [Cau] a des problèmes
dans ses fonctions à propos de l’affaire de l’aéroport. » Jusque-là
les officiers de la GP de retour à Paris jouissaient de facilités pour
franchir les dispositifs de sécurité et la douane à l’aéroport. Ces
dispositions sont apparemment suspendues par Paris, plaçant en
difficulté André Cau à son arrivée à Roissy. Ces nouvelles condi-

1. Lettre de Bob Denard à Ahmed Abdallah le 8 mars 1980, archives privées Bob
Denard, carton 42.
2. Lettre de Bob Denard à Ahmed Abdallah le 15 mars 1980, archives privées Bob
Denard, carton 42.

390
La GP au cœur du triangle France-Comores-Afrique du Sud

tions impliquent de nouvelles dispositions : « Aussi est-il dif-


ficile de travailler dans ces conditions et l’antenne de Paris est
aujourd’hui fermée. À votre retour en France, je vous demande
beaucoup de discrétion tant sur le passé, que sur le présent ou
l’avenir. De même pour la correspondance, elle doit être banalisée
volontairement. Je vous demande de tenir la boutique du mieux
que vous pouvez. Cette boutique et son bon fonc­tion­nement
sont un tremplin pour l’avenir et faire autre chose ailleurs­1. »
L’inquiétude est si forte que Roger Ghys envisage le destin des
mercenaires hors des Comores, ce qui sous-entend qu’il n’exclut
pas qu’ils pourraient donc en être délogés.
Selon Patrick Ollivier, cette crainte est justifiée. En effet, les
demandes formulées par Paris auprès du président Abdallah par-
viennent aux cadres de la GP : « Notre taupe à la présidence, la
secrétaire d’Abdallah informe le commandant Charles [Roger
Ghys] que Régis Debray et la diplomatie française ne cessent
d’exiger du chef de l’État qu’il expulse les mercenaires. Réelles
ou imaginaires, ces menaces sont prises très au sérieux par Bob
Denard2. » Un autre élément alarme les soldats de fortune : le
« corsaire de la République » voit la justice française lancer un
mandat d’arrêt international le 21 juin 1981 à son encontre pour
l’affaire du Bénin. Depuis l’automne 1978, Paris était l’un des
lieux de séjour les plus habituels de Denard. Mais l’accession au
pouvoir de François Mitterrand l’oblige à quitter la France et à
choisir Pretoria comme résidence principale. Il doit également
organiser différemment les transferts d’argent concernant la GP.
Jusque-là ouvert dans une banque parisienne, le compte dédié à
celle-ci est transféré vers la Suisse.

1. Compte rendu du briefing du 17 juillet 1981, archives privées Bob Denard,


carton 42.
2. Patrick Ollivier, Soldat de fortune, op. cit., p. 140.

391
Dans l’ombre de Bob Denard

Les affaires tchadiennes, illustration de ces relations distendues

Les tensions entre Paris et les mercenaires français rendent ces


derniers plus libres sur certains dossiers sensibles. Quand Bob
Denard décide d’envoyer sa première équipe aux côtés d’His-
sène Habré, il le fait en toute indépendance des services français.
Il semble d’ailleurs qu’Hissène Habré soit très méfiant vis-à-vis
de la France après l’affaire des époux Claustre. Après l’enlève-
ment de Françoise Claustre en avril 1974 puis de son mari Pierre
en 1975 par les FAN, pour obtenir leur libération, le Premier
ministre Jacques Chirac s’est tourné vers le colonel Kadhafi qui
soutient désormais Goukouni Oueddei contre Hissène Habré.
Ce dernier ne l’a pas oublié et en garde une profonde rancune
vis-à-vis de la France. Il n’est, en revanche, pas exclu que les frères
Khalil d’Abzac­qui ont servi d’intermédiaires entre le Tchadien
et le mercenaire français ne l’aient pas fait sur instruction de la
DGSE. En tout cas, du point de vue de Bob Denard, l’accepta-
tion de ce contrat atteste sa volonté de s’affranchir des services
français et en donne le signal. Compte tenu des tensions et des
entraves mises aux affaires de la GP comorienne, les relations avec
la « Boîte » sont d’ailleurs particulièrement distendues.
En réalité, les premiers succès rencontrés par Hissène Habré,
aidé par les mercenaires français, infléchissent la politique de
Paris. Pragmatique, le gouvernement socialiste accepte de lui
livrer des armes au printemps 1983, comme le confirme la lettre
de Denard au président tchadien en juin : « La réussite de l’action
qui vous avez à mener dépend pour une large part du matériel
dont vous disposez et du mode d’emploi qui vous en sera livré ;
c’est pourquoi il faut reconnaître qu’une des priorités a été assu-
rée avec cette aide logistique que la France a enfin décidé de vous
apporter. » On perçoit au ton du mercenaire qu’aucun des deux
interlocuteurs ne souhaite réellement donner prise au pouvoir
français mais que les circonstances militaires ne leur en laissent
pas le choix.

392
La GP au cœur du triangle France-Comores-Afrique du Sud

Comme le soutien de Paris est absolument nécessaire au pré-


sident tchadien en butte à la nouvelle offensive de Goukouni
Oueddei et des troupes libyennes, Bob Denard ne veut pas deve-
nir un obstacle à la réussite d’Hissène Habré. Il accepte que les
services français redeviennent maîtres du jeu : « En premier lieu,
je tiens à vous préciser qu’il n’a jamais été dans mes intentions
de venir moi-même physiquement sur le terrain au risque de
vous causer une gêne politique. Mais je me suis trouvé amené à
prendre position pour le simple fait que les techniciens compé­
tents et disponibles actuellement font partie de mon équipe et
se sont tous vus contactés1. Aussi j’ai pris directement contact
avec un responsable des services français pour savoir clairement
de quoi il retournait et comment serait acceptée l’éventuelle pré-
sence de mes hommes. Il m’a assuré que la gravité de la situation
ne pouvait que se trouver améliorée par une équipe supplémen-
taire, qu’il vous appartiendrait à vous d’engager. » Il reprend donc
sa posture de « corsaire de la République ».
En sens inverse, il ne reçoit pas de « feu rouge », ce qui marque
un premier signe de réchauffement entre les hommes de la GP
des Comores et le pouvoir à Paris. Toutefois, Bob Denard sou-
haite encore conserver sa liberté et le signifie à Hissène Habré. Il
agit en mercenaire et son premier chef demeure son comman-
ditaire (à partir du moment où cela n’entre pas en contradic-
tion absolue avec les intérêts français) : « Je pense, monsieur le
Président, comme nous vous l’avons souvent préconisé, que vous
avez besoin, plus que jamais, d’une équipe indépendante, placée
sous votre seule autorité plus encore que d’éléments dépendants
d’un service étranger et dont la fidélité sera subordonnée aux rela-
tions avec ce pays. Vous nous savez parfaitement capables d’assu-
rer parallèlement la formation des hommes et les opérations sur
le terrain, avec cette différence toutefois à notre bénéfice qu’au

1. Denard force le trait mais il est vrai qu’il développe au même moment le projet
éthiopien.

393
Dans l’ombre de Bob Denard

cours de ces deux années passées à vos côtés nous avons acquis
une bonne expérience du pays1. »

Paris : susciter la concurrence entre mercenaires

Le réchauffement avec Paris demeure inachevé. L’équipe


Dulac est bien une concurrente de Bob Denard. Contrairement
aux pratiques du mercenaire qui propose de mettre des hommes
de la GP comorienne à disposition (7th Independent Company
en Rhodésie par exemple), son ancien bras droit refuse de les
embaucher. Le pivot historique du système français est évincé.
Deux hypothèses peuvent être formulées sur ce choix de Paris qui
aurait pu accroître son aide matériel à Hissène Habré et assurer
la formation des hommes de Denard, au lieu de ceux de Dulac.
A minima, il s’agit de sortir de la longue séquence (depuis la fin
du Biafra) qui fait de Bob Denard le seul patron crédible des
équipes mercenaires françaises. A contrario, il s’agit d’engager un
processus qui viserait à l’écarter définitivement de ce rôle et de le
remplacer par un homme mieux tenu par la DGSE, ne bénéfi-
ciant pas d’une base solide comme les Comores. Aucun témoi-
gnage ou document ne permet de trancher entre les deux. Quoi
qu’il en soit, l’épisode atteste de nouveau que le système merce-
naire français demeure une entreprise d’État et que celui-ci en est
le maître. Selon Le Canard enchaîné, l’affaire est directement trai-
tée au niveau de l’Élysée. Guy Penne et François de Grossouvre,
les conseillers du président Mitterrand, sont les maîtres d’œuvre
dans le dossier tchadien2. Jean-François Dubos et Charles Hernu
coordonnent l’opération avec le chargé des questions militaires,
Robert Peccoud. L’officier traitant de René Dulac à la DGSE

1. Extraits de la lettre de Bob Denard à Hissène Habré rédigée à Paris le 3 juin 1983,
archives privées Bob Denard, carton 29.
2. « Tchad : à la fortune du pro », Les Dossiers du Canard enchaîné, n° 28, juin-juillet­
1988.

394
La GP au cœur du triangle France-Comores-Afrique du Sud

est également convié aux réunions régulières ayant trait au bon


déroulement de l’opération.
Arrivés au camp Dubut à Fort-Lamy, une quarantaine d’agents
de la DGSE enseignent aux mercenaires les transmissions radio
et le tir aux missiles Milan. En effet, trop anciens ou simplement
passés par une formation militaire de base, les hommes de René
Dulac ne sont pas familiers de ces nouveaux types d’armement.
Sont présents quelques éléments du 13e RDP de Dieuze et trois
membres du service Action, comme me le confirme Lenormand
lors de notre entretien : « Il fallait préparer l’opinion à une inter-
vention française. En attendant, on était là, une sorte de pré-
Manta. Les gars de la DGSE nous ont formés au Milan. On avait
tout le matériel que l’armée de Terre n’avait pas, des moyens de
communication performants entre sections – j’ai oublié le nom –
qui marchaient avec des cellules photovoltaïques. Globalement,
on avait du matériel de pointe, ce qui se faisait de mieux. Cette
formation au Milan m’a beaucoup servi par la suite. » Le merce-
naire accrédite également l’idée que l’intervention officielle de la
France est alors déjà décidée.

Paris et les mercenaires : un problème Denard ?

L’alternance de 1981 marque incontestablement une dégra-


dation des relations avec l’Élysée. Pourtant, celle-ci n’est qu’une
parenthèse et Bob Denard, la GP et le pouvoir socialiste à Paris
retissent des liens et travaillent en bonne intelligence. L’arrivée
à la direction de la DGSE de l’amiral Lacoste en 1982 consacre
le rétablissement des contacts avec les services. Derrière l’atti-
tude ferme de Paris (renvoi de Denard, procédure judiciaire à son
encontre pour le Bénin), les rapports entre les mercenaires et les
services français reprennent donc leur cours habituel.

395
Dans l’ombre de Bob Denard

Des rapports normalisés aux Comores avec Paris ?

Dans les négociations avec le CNLE pour l’envoi éven-


tuel d’une équipe de mercenaires en Éthiopie, les services fran-
çais sont en arrière-plan. Jean-Louis Salles, le représentant du
Médocain, lui écrit qu’il a accepté de devenir un HC de la DGSE
qui lui a fourni un emploi comme secrétaire de l’écrivain Gérard
de Villiers. Les soldats de fortune ont bien compris que se rappro-
cher de la « Boîte » est leur intérêt. D’ailleurs, le montage pour ce
projet semble en coordination avec les services du camp occiden-
tal comme le laisse paraître une lettre de Jean-Louis Salles : « Israël
serait d’accord pour livrer ce qui a été demandé (récupération des
stocks palestiniens à Beyrouth). Le transport ne poserait pas de
problème […]. Pour les six instructeurs demandés, l’accord sur
les conditions de salaire est arrivé des États-Unis. J’ai les six per-
sonnes qui pourraient partir1. »
Le rétablissement en 1978 de la coopération avec Paris, inter-
rompue depuis l’indépendance et le maintien dans le giron fran-
çais de Mayotte, doit permettre à la GP de légitimer son pou-
voir à l’intérieur de l’archipel. L’argent français doit participer au
développement des Comores comme on le reconnaît à Moroni :
« La coopération avec la France est d’abord une exigence… de
notre Histoire. Elle a un caractère naturel. Une partie de notre
peuple l’a mieux compris pour des raisons historiques. Le reste
du peuple comorien a mesuré ce que l’absence de cette amicale
coopération pouvait entraîner quand exploitée malhonnêtement
par l’un des siens, avec ses abus et son cortège d’injustices, de
misères et de malheurs. La coopération bien comprise doit en
premier lieu ne pas porter atteinte aux aspirations profondes des
peuples qu’elle gage. Elle se fortifie dans le respect des coutumes
et des idéaux de chacun. Cette coopération devrait aider d’abord
les Comoriens de toute origine à s’élever de façon harmonieuse
1. Lettre de Jean-Louis Salles du 2 février 1984, archives privées Bob Denard,
carton 29.

396
La GP au cœur du triangle France-Comores-Afrique du Sud

dans une communauté enfin retrouvée et dans la sécurité du pays


au sens large du terme. Bien menée, cette coopération devrait ser-
vir de trait d’union, de “dénominateur commun” dont l’archipel
a grand besoin. »
Mais la GP est, au premier chef, concernée par le ren­for­cement
de la coopération militaire avec les autorités françaises. Les cha-
pitres militaires des accords avec Paris placent un peu plus la GP
au centre de la vie politique des Comores. Ils lui offrent l’op-
portunité d’asseoir sa domination sécuritaire et de renforcer son
rôle de catalyseur du développement économique, rôle sans cesse
revendiqué par Bob Denard. Il est vrai qu’il envisage le travail de
ses mercenaires sous cet angle depuis son contrat congolais des
années 1960. En fait, la coopération technique française offre des
gages de développement économique qui séduit les élites como-
riennes. La garantie de voir l’île défendue en cas d’agression exté-
rieure neutralise les voisins idéologiquement hostiles et potentiel-
lement belliqueux. Ainsi, les déclarations d’hostilité qui se mul-
tiplient à l’époque où Bob Denard figure dans le directoire qui
assume les affaires d’État ne connaissent guère de suite. Peu à
peu, le régime et sa GP sont acceptés. Dans la nouvelle configu-
ration du système mercenaire français, Paris participe donc à la
consolidation du régime d’Ahmed Abdallah, et conforte la base
arrière des soldats de fortune.
Bob Denard cherche également à consolider sa position de
« pion avancé » du camp occidental dans l’océan Indien, en rappe-
lant le bénéfice que peuvent retirer les amis du régime d’Ahmed­
Abdallah d’une valorisation de la position géographique des
Comores : « Est-il besoin de rappeler combien ce sujet est par
définition “sensible” pour ce qu’il peut impliquer d’engagement
politique, voire idéologique dans un monde particulièrement
turbulent à cet égard ? Il est sensible pour le poids stratégique,
fût-il modeste, qu’il peut apporter à celui qui paraît en bénéficier
et par-là même est refusé à celui qui le convoite […]. » Il fait com-
prendre à Paris que les intérêts français pourraient bénéficier de sa

397
Dans l’ombre de Bob Denard

position à Moroni : « Il pourra être envisagé après l’étape de l’assis-


tance technique et si les autorités françaises en expriment le désir
de “prolonger ces précédents accords par des accords de Défense”.
Le gouvernement comorien examinera avec bien­veillance toute
demande en ce sens et favorisera l’implantation permanente de
structures d’accueil, facilités navales et aériennes. »
Mais, dans le même temps, Denard ne veut plus connaître la
situation de trop grande dépendance à l’égard d’un gou­ver­nement
ou de services, situation qu’il a connue vis-à-vis du SDECE ou
du Gabon dans la décennie 1970. Les relations qu’il souhaite
renouer avec la DGSE et/ou la Défense française doivent être
désormais plus équilibrées : « Il est “sensible” enfin pour ce qu’il
peut traduire d’abandon de souveraineté nationale aux yeux de
ceux qui ne manquent pas de le souligner. Il convient donc de
l’aborder avec prudence et de la moduler en vue de répondre le
plus possible à ces exigences politiques tout en répondant aux
nécessités purement techniques. Avançons également que les
objectifs de la coopération en matière militaire doivent en prio-
rité répondre aux exigences de notre Constitution. Elles doivent
aussi être conformes aux intérêts de la France […]. Les missions
de nos armées sont celles “classiques” de tous les États de notre
planète1. »

L’armée française, un partenaire privilégié

Les interlocuteurs français de la GP sont nombreux. Dans le


domaine sécuritaire, les hommes de Bob Denard sont confron-
tés à l’habituel rapport de force entre police et forces militaires.
Les mercenaires ont davantage de sympathie – et/ou de réseaux
dans – pour le second groupe. Ils peuvent se réjouir d’une évo-
lution qui joue en leur faveur. En effet, les militaires français
1. Extraits du texte dactylographié non daté et intitulé « De l’esprit de la coopération
entre la République islamique des Comores et la République française », archives pri-
vées Bob Denard, carton 42.

398
La GP au cœur du triangle France-Comores-Afrique du Sud

viennent de remporter une victoire sur leurs collègues du minis-


tère de l’Intérieur en obtenant le départ du commissaire principal
Mallevialle. Arrivé de l’archipel en mai 1985 au titre du Service
de coopération technique international de la Police (STIP), celui-
ci avait pour mission d’organiser et de restructurer une police
comorienne sans moyens et sans formation. Ce projet s’est cepen-
dant heurté à l’hostilité des militaires français dont les plans d’or-
ganisation des forces de l’ordre locales ne prévoient pas le déve-
loppement de la police. Le lieutenant-colonel Arnaud, à la fois
chef de la mission militaire française de coopération et conseiller
militaire de l’ambassadeur de France, obtient dès l’automne que
l’effort français de coopération se porte exclusivement sur l’ar-
mée, la gendarmerie et les hommes de la GP.
Ainsi les relations de terrain entre mercenaires et militaires
français se révèlent-elles excellentes dans la seconde moitié des
années 1980. Cela tient pour partie aux liens interpersonnels qui
se sont noués sur place. Outre la proximité culturelle avec des
mercenaires en partie sortis du même creuset qu’eux, les officiers
français comprennent que la seule véritable force armée organi-
sée est la GP. Il semble également que l’habileté du chef de la GP,
le commandant Charles, à obtenir l’estime du lieutenant-colo-
nel Arnaud ait permis de renforcer ces liens. Preuve de ce rap­
pro­chement, un projet attribuant à certains mercenaires un sta-
tut officiel de coopérant et faisant de la GP une véritable Garde
républicaine est mis sur la table par le lieutenant-colonel Arnaud.
Ce changement de statut qui ferait passer officiellement les mer-
cenaires au service français est bien reçu par une large partie
de ces derniers : un sous-lieutenant de GP qui touche en 1986
8 000 francs (logé, nourri), soit un peu moins de 2000 euros,
aurait vu son salaire quasiment doubler en devenant coopérant.
Le projet ne va pas à terme, sans doute en raison de la fin de
non-recevoir de Bob Denard qui verrait ainsi son statut indépen-
dant réduit à néant. En revanche, ses hommes bénéficient désor-
mais de formations en France. Un membre de la GP effectue ainsi

399
Dans l’ombre de Bob Denard

un stage au Centre de formation interarmées du renseignement.


À la fin de l’année 1986, le lieutenant-colonel Arnaud obtient
également que dix membres comoriens de la GP ef­fectuent des
stages d’agent de police judiciaire (APJ) et d’officier de police
judiciaire (OPJ) au camp de Voidjou sous encadrement fran-
çais. Ces nouvelles compétences vont d’ailleurs permettre à la GP
d’effectuer un travail contre l’opposition plus conforme au droit.
Après le complot de 1985, aucun mercenaire n’avait pu établir de
PV d’interrogatoire conforme aux normes juridiques françaises et
ainsi crédibiliser son respect du droit dans les nombreuses arres-
tations effectuées.
De fait, les formations offertes par la France sont très impor-
tantes pour la GP. Elles assurent une élévation du niveau de qua-
lification des officiers mercenaires. Sans grande expérience opé-
rationnelle ou même procédurale avant leur entrée dans la GP,
ces hommes n’acquièrent de compétences nouvelles que grâce à
la France. Villeneuve confirme en prenant l’exemple du lieute-
nant Frédéric : « Il a été engagé sans savoir-faire militaire appro-
fondi. Il a bénéficié de formations GIGN offertes à la GP par la
France. Il a d’ailleurs fait ensuite toute sa carrière sur ces compé-
tences, finissant chef de la sécurité à Eurodisney1. » Les Comores
ne sont pas forcément un poste définitif dans l’esprit des cadres
de la GP. Certes, ils sont des « mercenaires fonctionnarisés » mais
sont tout de même habités par l’esprit des « chiens de guerre ». Ils
peuvent quitter leur service pour d’autres combats. Or, dans cette
optique, l’acquisition de savoir-faire particuliers est très précieuse
pour l’enrichissement de leur CV.
Cette bonne coopération est plutôt rassurante pour la GP qui
connaît alors d’autres difficultés, notamment financières. Les
mercenaires cherchent donc à mettre à profit cette relation pri-
vilégiée avec les militaires français pour renforcer leurs moyens
techniques aux dépens des autres acteurs sécuritaires comoriens :

1. Entretien avec Villeneuve à Paris le 24 juillet 2012.

400
La GP au cœur du triangle France-Comores-Afrique du Sud

« Il faut noter que la mission militaire française de coopération


ferme les yeux quand elle constate qu’un nombre important de
véhicules qu’elle délivre aux forces armées comoriennes est en fait
réquisitionné par la GP. On peut par ailleurs se demander si l’hé-
licoptère Écureuil qui devrait bientôt être livré à l’armée como-
rienne (avec deux équipages français) ne risque pas aussi de se
retrouver sous le contrôle de la GP. On comprend aisément dans
ces conditions que l’existence d’une police comorienne, même
faible numériquement (cent hommes) mais exerçant ses pouvoirs
de police judiciaire puisse apparaître comme un trouble-fête1. »

La cohabitation, Jacques Foccart et le groupe Denard

Parallèlement aux bonnes relations de terrain, la cohabitation


en France en 1986 est perçue comme une bonne nouvelle par les
mercenaires français aux Comores. Chez les gaullistes, Jacques
Foccart, conseiller Afrique de Jacques Chirac, est un interlocu-
teur privilégié pour Bob Denard. Pourtant, malgré la longue
habitude de travailler ensemble, le soldat de fortune a besoin de
rassurer le Monsieur Afrique de Matignon. Ce dernier souhaite
s’assurer que la GP demeure un relais de l’influence française. Le
partenariat renforcé avec l’Afrique du Sud, synonyme d’une plus
grande autonomie du groupe comorien vis-à-vis de Paris, est mal
perçu par Jacques Foccart. Il a toujours souhaité, voire réussi,
à maintenir les mercenaires français dans une forte dépendance
des services. Bob Denard est donc obligé de le rassurer par écrit
après un rendez-vous manqué : « Monsieur, […] ma déception
fut d’autant plus grande que j’avais l’intention (et les moyens)
d’apaiser dans votre esprit l’effet de certains échos malheureux
concernant mes prétentions aux Comores. Si un climat de suspi-
cion est entretenu de façon malveillante par un certain entourage

1. Note dactylographiée, non datée et non signée intitulée « Les militaires français
courtisent les mercenaires », archives privées Bob Denard, carton 42.

401
Dans l’ombre de Bob Denard

du président, croyez bien qu’il ne repose sur aucun fondement


et ne signe que l’intérêt personnel et borné de ses colporteurs.
Bien que l’incohérence qui consisterait à vouloir compromettre
un travail de près de dix années me paraisse être le meilleur garant
de ma fidélité à venir, je tiens à votre disposition tous les élé-
ments et arguments nécessaires pour finir de vous convaincre de
ma loyauté. En ce qui concerne la présence de nos amis du Sud
[Afrique du Sud], je peux vous assurer qu’elle n’a pas pour objec-
tif de supplanter à terme et de quelque manière que ce soit l’in-
fluence de la France. Leur aide est relative bien que providentielle
pour les petites Comores1. »
Sans renier l’importance prise par les Sud-Africains, le « cor-
saire de la République » emploie des termes très forts comme
« loyauté » ou « fidélité ». Certes, il s’exprime avec l’arrière-pen-
sée d’obtenir le maintien de la confiance de Jacques Foccart.
Toutefois, rien ne permet de douter de sa sincérité qui est plu-
tôt en adéquation avec les choix opérés au cours de sa carrière.
Par ailleurs, il peut profiter du clivage politique français. Le réveil
de l’opposition comorienne se traduit par des appels à la gauche
française. En contrepoint, la GP peut jouer de la nécessaire soli-
darité de la droite pour que les événements comoriens n’aient
pas trop d’incidence sur la politique intérieure française. En effet,
la gauche revenue dans l’opposition parlementaire entretient des
liens avec les courants socialistes africains et cherche à exploiter
le retour de Jacques Foccart dans l’ombre du Premier ministre.
Le lieutenant de la GP en charge de l’antenne de Paris écrit ainsi
à son patron : « Au sujet de l’affaire qui vient d’éclater [tentative
d’action avortée des opposants comoriens les 30 novembre et
6 décembre], l’heure est plutôt au pessimisme. Il doit recontacter
le “Papy” [Jacques Foccart] afin d’avoir plus de précisions sur le
déroulement. Le PS veut ouvrir un dossier et peut-être le mettre

1. Lettre de Bob Denard à Jacques Foccart datée du 11 janvier 1987, archives privées
Bob Denard, carton 44.

402
La GP au cœur du triangle France-Comores-Afrique du Sud

sur le dos du RPR à la veille des élections. De toutes façons, je


pense qu’il y aura enquête. Le PS veut mettre ça à votre passif1. »

Les troubles au sein de la GP : l’instrumentalisation parisienne

En réalité, les difficultés internes de la GP semblent largement


orchestrées depuis la France. Les projets parisiens alternatifs à Bob
Denard ne passent pas forcément par la chute d’Ahmed Abdallah.
Dès 1986, l’idée de remplacer le « Vieux » par un de ses lieute-
nants semble faire son chemin. Une partie du gou­ver­nement,
notamment le ministre de l’Intérieur Omar Tamou, comorien,
prêche auprès du chef d’État pour l’éviction de Bob Denard et de
ses mercenaires avec l’assentiment de Paris. Finalement, à l’instar
de ce qu’était Bob Denard aux lendemains du retrait de Roger
Faulques à la fin de la guerre du Biafra, un nouveau patron de
la GP élevé à la tête du système mercenaire français serait très
dépendant de l’État français.
Cependant, Paris cherche également à tenir un « second fer au
chaud » au cas où le régime d’Ahmed Abdallah deviendrait trop
fragile. Il est primordial de conserver un chef d’État qui serait sus-
ceptible de demeurer proche de la France et Mohamed Taki ferait,
de ce point de vue, un meilleur président alternatif qu’un héritier
d’Ali Soilih comme Moustapha Saïd Cheikh. L’antenne de Paris
apprend que des contacts sont ainsi établis « entre Mohamed
Taki et des personnalités gaullistes vers juin 1986. Mohamed
Taki leur aurait proposé un resserrement des liens entre Paris et
Moroni en échange de son accession au pouvoir. Il ne semble pas
qu’une suite ait été donnée. En revanche, avant cette époque, il
est notoire que, par l’entremise de son épouse, Mohamed Taki
entretenait des relations suivies avec des gaullistes membres de la
franc-maçonnerie ».

1. Lettre du lieutenant Suresnes du 29 décembre 1987 à Bob Denard, archives


privées Bob Denard, carton 44.

403
Dans l’ombre de Bob Denard

Le lieutenant Suresnes rend compte à Bob Denard du grand


optimisme des partisans de Mohamed Taki à Paris sur l’avancée
de ses projets avec les gaullistes au pouvoir : « La fin de l’année
1986 devrait être décisive. Ils laissent entendre que M. Taki béné-
ficie d’une grande bienveillance du gouvernement et de l’admi-
nistration française. Parmi les noms cités, ceux de M. Foccart
et [Pierre] Kosciusko-Morizet [alors secrétaire national du RPR
pour les Relations extérieures] reviennent souvent1. » Mais les ser-
ments de fidélité de Bob Denard suffisent apparemment à rassu-
rer Foccart, et ni Taki ni d’autres factions ne parviennent à sup-
planter la GP dans le système politique comorien. La tentative
autour de Patrick Ollivier et Servadac en 1988 est étouffée dans
l’œuf.
Finalement, le système mercenaire tel qu’il s’est construit
depuis la fin des années 1960, avec une hiérarchie claire et domi-
née par Bob Denard, impose sa logique au-delà des aléas de la
vie politique française. Dans cette configuration, les « chiens de
guerre » répondent en partie aux intérêts de Paris. Les services
qui ont façonné la hiérarchie du milieu et fait du Médocain un
élément-clé infléchissent pourtant leur politique dans les années
1980. Désormais, sa place est remise en question et la position des
soldats de fortune redevient plus incertaine. La possible reconfi-
guration de la pyramide aiguise les appétits. Ainsi, René Dulac
s’est affranchi de Bob Denard. Dans les cercles d’anciens cadres
de la GP, André Cau, Roger Ghys ou Patrick Ollivier semblent
prêts à jouer un jeu personnel face à leurs compagnons d’armes
avec la bienveillance de la République. L’indépendance construite
depuis l’installation aux Comores est un faux-semblant. Pourtant,
l’implication majeure de l’Afrique du Sud semblait avoir changé
le rapport de force frontal entre l’État français et les « chiens de
guerre » ; une relation triangulaire demeure pour ces derniers le
meilleur garant d’une plus large autonomie par rapport à Paris.
1. Notes d’information générale d’octobre 1986, à la date du 17, de l’antenne de
Paris, archives privées Bob Denard, carton 44.

404
La GP au cœur du triangle France-Comores-Afrique du Sud

L’Afrique du Sud, l’autre partenaire de confiance

Les relations de Bob Denard avec les services sud-africains


remontent aux années 1960 et surtout à la période congo-
laise. Comme on l’a indiqué dans les deux premières parties,
Pretoria a toujours prêté main-forte aux mercenaires français,
de cette période fondatrice jusqu’au coup d’État aux Comores.
Notamment par l’appui des réseaux Foccart, Denard se construit
un carnet d’adresses au sein des armées et des services secrets sud-
africains. Très souvent, ses interlocuteurs, rencontrés sur le terrain
dans les années 1960, sont devenus des généraux chefs de service
du SADF.

Un partenaire de premier plan dans la guerre froide en Afrique

Tout au long de ces années, la défense des intérêts occidentaux


est une cause commune aux mercenaires français et aux services
sud-africains. Les antennes de ces derniers offrent une couver-
ture de toute la zone subéquatoriale de l’Afrique, aussi bien de
l’Ouest que de l’Est. Ils sont donc très largement complémen-
taires des services français, ce qui explique cette proximité avec
Paris. Pour Bob Denard, Pretoria constitue donc un partenaire
solide et fiable. Ainsi, pour l’opération tchadienne, les merce-
naires français n’hésitent pas à solliciter l’appui sud-africain. À
l’été 1982, alors qu’Hissène Habré vient de s’emparer du pou-
voir mais qu’une riposte de Goukouni Oueddei est prévisible
avec le soutien de Kadhafi, les mercenaires apparaissent comme
un instrument très utile pour N’Djamena. En réalité, Denard
doit prouver qu’il est capable de fournir l’aide nécessaire : il a les
hommes mais il manque de moyens matériels.
L’Afrique du Sud est immédiatement perçue comme le par-
tenaire possible : « Je repars cette semaine chez les Poissons [Sud-
Africains]. Je ne puis attendre Hugues mais j’ai laissé des consignes
pour qu’il me rejoigne à Mri. Si le Tonton [Hissène Habré] m’en-

405
Dans l’ombre de Bob Denard

voie ce que j’ai demandé et même s’il ne l’envoie pas, je ferai mon
possible pour obtenir une aide » écrit-il le 3 août1. Il semble obte-
nir le soutien souhaité, puisqu’il affirme un mois plus tard : « La
situation a beaucoup évolué depuis notre dernière rencontre. Je
suis tenu au courant par l’antenne de Paris. Les Poissons [Sud-
Africains] toujours disposés à nous aider. Dans le cadre achat de
matériel, pas de problème ; cela sera assorti d’une aide en é­qui­
pement. Il faut que votre Tonton prenne l’initiative côté Taïwan
où je dois me rendre début octobre comme ambassadeur (faut
pas le dire). Ton Ahmed leur a demandé le gros paquet ; l’avenir
s’annonce pas trop mal2. »
Les mercenaires français finissent par démontrer à Hissène
Habré qu’ils sont en capacité de mobiliser l’aide sud-africaine.
Bob Denard vient en personne à N’Djamena pour cela : « Je
pense que le fait que vous veniez avec l’avion l’a rassuré un peu.
D’autre part, le fait de faire venir un off[icier] des services de
là-bas ne lui a pas déplu […] ; je lui ai dit que s’il voulait des
suites, il était nécessaire de donner continuité à ce que vous aviez
commencé, il m’a répondu par l’affirmative3. » Il faudra pourtant
encore de longs mois avant que des munitions en provenance
de Pretoria soient effectivement livrées à Hissène Habré. Entre-
temps, l’équipe comorienne est rentrée à Moroni.

L’intérêt pour une position géostratégique

Fort de ses contacts anciens avec Pretoria, Bob Denard fait


rapidement valoir aux Sud-Africains le potentiel des Comores
dans la configuration géopolitique de l’Afrique australe. À partir
de 1979, Pretoria devient le seul contributeur direct au budget
1. Lettre de Bob Denard rédigée le 3 août 1982 à l’intention des membres de son
équipe présents au Tchad, archives privées Bob Denard, carton 29.
2. Lettre de Bob Denard rédigée le 19 septembre 1982 à l’intention des membres de
son équipe présents au Tchad, archives privées Bob Denard, carton 29.
3. Lettre de Villeneuve à Bob Denard rédigée le 20 décembre 1982, archives privées
Bob Denard, carton 29.

406
La GP au cœur du triangle France-Comores-Afrique du Sud

de fonctionnement de la GP. La dimension stratégique associée


à ces versements est visible dans la répartition au sein du bud-
get de l’État sud-africain. 75 % proviennent du ministère de la
Défense et plus particulièrement des fonds des services secrets ; les
25 % restant sont pris sur le ministère des Affaires étrangères. En
moyenne, le budget consacré par l’Afrique du Sud à la GP como-
rienne s’élève à environ un milliard de francs CFA, soit environ
4,8 millions d’euros. En échange, les Sud-Africains peuvent ins-
taller une station radio sur l’archipel pour espionner les liaisons
dans le canal du Mozambique.
Cette écoute est stratégique par rapport aux tensions perma-
nentes avec les régimes socialistes de la zone. En février 1980,
le commandant Charles obtient de la présidence l’accord pour
occuper un terrain à Itsoundra. Désormais qualifié de zone mili-
taire, celui-ci est délimité et de la végétation est plantée pour
camoufler les installations et les activités qui s’y tiendront. La GP
reçoit carte blanche pour gérer cette implantation sud-africaine,
elle reçoit la garantie que les FAC seront tenues écartées du dos-
sier et demeure ainsi l’interlocuteur privilégié des services sud-
africains. Dès 1981, une dizaine de spécialistes sud-africains de la
cryptographie et des transmissions s’installent donc. Après avoir
été dans un premier temps intégrés à la GP sans en porter l’uni-
forme, ils adoptent finalement la tenue des cadres européens. Ils
ne peuvent, en revanche, sortir du camp qu’accompagnés d’un
mercenaire de la GP. Ces Sud-Africains captent les communica-
tions d’Angola et de Mozambique et transmettent les informa-
tions à Pretoria. Cette station joue ainsi un rôle éminent dans les
opérations menées par l’Afrique du Sud. Les renseignements sur
les mouvements du MPLA permettent de planifier les bombar-
dements sur les lignes ennemies et les parachutages des équipes
commandos qui « nomadisent » sur leurs arrières.
Pourtant, si l’on suit les réflexions tardives de Bob Denard,
l’intérêt de la base d’Itsoundra dépasse très largement la seule
Afrique australe. Elle s’inscrit également dans le cadre de la

407
Dans l’ombre de Bob Denard

lutte anticommuniste sur un espace plus large, jusqu’au golfe de


Guinée, ce qui permet de mieux comprendre le travail en bonne
intelligence avec le SDECE : « Les services français ont passé un
accord avec le SADF/SR pour que les Comores deviennent une
base contrôlée par le réseau d’écoutes du SADF afin de faire une
triangulaire Comores-Malawi/Sao Tomé-Gabon/Cap de Bonne-
Espérance où se trouve la base de Silverstone. » Le mercenaire pré-
cise : « Les accords ont été verbaux entre le SDAF et moi-même
sous couvert du SDECE. Avec la caution du président Abdallah,
rien n’a été signé, même pas un document de base, uniquement
sur la parole donnée entre les trois parties RSA/France/GP1. » Les
informations transmises à Pretoria sont donc également livrées
au SDECE.

L’Afrique du Sud, coauteur du développement économique


avec la GP

L’argent sud-africain est dirigé vers le développement écono-


mique. Denard a toujours souhaité que ses « volontaires étran-
gers » puissent participer à la construction économique des pays
pour lesquels il travaille. Pour une partie d’entre eux, ses mer-
cenaires sont très attachés à l’archipel, notamment par des liens
matrimoniaux. Dès lors, ils constituent une petite poignée de
colons et vont être la main-d’œuvre qualifiée du développement.
L’Afrique du Sud doit devenir le financier de ces opérations. Pour
cela, Bob Denard s’en remet à son vieux compagnon, Freddy
Thielemans. À partir de 1982, le mercenaire belge est devenu le
représentant de la GP auprès des autorités de Pretoria. La capi-
tale sud-africaine est la seule avec Paris à accueillir une antenne
de la GP ; elle abrite également officiellement une « représenta-
tion commerciale avec statut diplomatique » des Comores, tan-

1. Mémo GP89/OPS 95 daté du 23 juin 1996, archives privées Bob Denard,


carton 44.

408
La GP au cœur du triangle France-Comores-Afrique du Sud

dis qu’une mission équivalente est ouverte par l’Afrique du Sud


à Moroni.
La GP devient l’intermédiaire entre les autorités sud-afri-
caines et le gouvernement et/ou le président comorien. Bob
Denard peut ainsi s’assurer des revenus en prélevant une part sur
les investissements opérés par ses réseaux. Selon Patrick Ollivier,
la ponction s’élève à « environ 2 400 000 francs [575 000 euros
environ] sur une enveloppe globale de 12 millions fournis par
l’Afrique du Sud » au milieu des années 1980, soit 20 %1. En
tout cas, Pretoria est satisfaite de ses relations avec Moroni. Elle
accorde d’ailleurs une rallonge budgétaire à la GP dès 1982. Le
travail diplomatique des mercenaires permet, s’il était nécessaire,
de renforcer leur position auprès d’Ahmed Abdallah reçu avec
les honneurs en Afrique du Sud en 1983 pour une visite offi-
cielle de six jours. Il peut alors mesurer le travail accompli pour
les Comores par Freddy Thielemans, le représentant de la GP à
Pretoria.
Négociée par le vieux compagnon belge de Bob Denard, cette
visite accélère très fortement les investissements sud-africains
aux Comores. Pour le patron des mercenaires, l’archipel peut
devenir la « Suisse » de l’océan Indien. Il imagine un projet de
free zone offshore pour permettre aux Comores d’y accueillir des
activités délocalisées d’Afrique du Sud. Cette perspective a été
tracée dès l’audit de la Garde en 1980 qui conseille quatre axes
de développement dont « le tourisme » et « faire des Comores le
paradis fiscal de l’Afrique2 ». C’est dans ce cadre que la société

1. Patrick Ollivier, Soldat de fortune, op. cit., p. 149. Compte tenu de l’hostilité
du témoin au moment où il écrit, il faut tout de même demeurer circonspect sur
ce pourcentage qui n’a pu être vérifié par ailleurs. La seule certitude est qu’un
prélèvement de Bob Denard est opéré.
2. Audit de la Garde effectué à la demande de Bob Denard par le lieutenant-colonel
François au cours du premier trimestre 1980 (document de 22 pages, dactylographié,
non daté, non signé), archives privées Bob Denard, carton 58. Si l’on tient compte
du poste à la contre-ingérence du Gabon du lieutenant-colonel François, on peut
s’interroger sur une éventuelle orientation guidée par le SDECE, et donc par la
France, pour le développement économique des Comores.

409
Dans l’ombre de Bob Denard

SOCOTEL se propose d’implanter un complexe hôtelier dans


le nord de la Grande Comore, à Anjouan et Mohéli. Sun ouvre
l’hôtel Galawo sur la Grande Comore avant d’en laisser l’exploi-
tation à World Leisure Management qui investit 4 à 5 millions
de francs pour des travaux de rénovation. Le complexe attire une
clientèle, essentiellement sud-africaine, suffisante pour créer 300
emplois environ et devient ainsi le deuxième employeur du pays
après l’État.

Les Comores, plate-forme des activités secrètes de l’Afrique du


Sud sous embargo
Isolée diplomatiquement, l’Afrique du Sud utilise enfin les
Comores pour ses opérations secrètes extérieures. Pour l’organi-
sation de ces flux, la GP est l’interlocuteur des services sud-afri-
cains. Freddy Thielemans joue sur place les intermédiaires. Ainsi
les détournements de l’embargo qui pèse sur Pretoria nécessitent-
ils l’envoi d’agents auprès de vendeurs d’armes ou d’hydrocar-
bures. Très souvent, Moroni prête son concours à leurs déplace-
ments, comme le prouvent de nombreux Télex de ce type conser-
vés dans les archives Denard : « Pour M. Djamal, pouvez-vous
arranger transfert aéroport… M. P. de Ravelle sera à Moroni le
10 septembre avec M. Prinsloo pour traiter problèmes de sécu-
rité comme décidé lors de votre séjour RSA […]. Autorités SAA
estiment que tous arrangements à faire en Arabie saoudite néces-
siteront plusieurs voyages d’où le désir de commencer le plus tôt
possible afin d’être prêt le 4 novembre. Pour visa quelle est la pro-
cédure pour détenteur passeport comorien et délais d’obtention.
De Ravelle possède passeport Maurice peut être utile déjà ; lui
fournir passeport comorien si visa difficile obtenir sur passeport
Maurice. Attends votre réponse et commentaire amicalement
Freddy. » Moroni assure également le rôle de plate-forme pour le
départ des agents sous identité comorienne mais aussi met à dis-
position ses représentations diplomatiques ou consulaires pour

410
La GP au cœur du triangle France-Comores-Afrique du Sud

faciliter les transactions effectuées par les Sud-Africains en toute


discrétion1.
Selon Philippe Chapleau, les flux vers le Moyen-Orient
sont souvent des affaires conclues avec l’Iran pour les armes. Le
Canard enchaîné accrédite cette thèse. Le journal affirme que
des obus de 155 et des missiles Armscor font l’objet des transac-
tions. Acheminés par des appareils de la société Afair, dont Bob
Denard est l’un des principaux actionnaires, ils sont débarqués à
l’aéroport de Moroni, sous protection de la GP. Les armes partent
ensuite vers l’Iran grâce aux bons soins d’une autre société de fret
Golbair qui possède des DC-82. Les négociations pétrolières se
font principalement, selon Philippe Chapleau, avec le Koweït.
Le journaliste se souvient avoir vu des cahiers d’Ahmed Abdallah
dans les archives de Denard en 1992-1993, alors qu’il aidait le
mercenaire à faire le classement dans ses cantines. Ces documents
ont aujourd’hui disparu (perte ou soustraction ?). Le président
comorien y décrivait les pots-de-vin versés aux uns et aux autres
pour obtenir le pétrole pour lui-même et surtout pour Pretoria.
L’appartenance aux services sud-africains des agents qui tran-
sitent par les Comores est renforcée par le tampon « Military
Intelligence Service » apposé sur tous les Télex secrets et priori-
taires. En effet, la gestion des rapports avec les Comores, et plus
précisément avec la GP, est aux mains des militaires (sauf en fin
de période). Cette mainmise de l’armée sud-africaine sur le dos-
sier comorien s’explique par ces activités parallèles. La plupart des
achats d’armes des Sud-Africains visent en large partie à fournir
ces matériels à l’UNITA en Angola. Selon Philippe Chapleau,
l’essentiel des déplacements des Sud-Africains pour ces transac-
tions se font vers la Chine et Hong Kong. Ces hommes peuvent
d’ailleurs être des hommes d’affaires et non systématiquement

1. Télex secret et prioritaire de Freddy Thielemans à Bob Denard des 22 octobre et


1er novembre 1984, archives privées Bob Denard, carton 44.
2. « Tchad : à la fortune du pro », Les Dossiers du Canard enchaîné, n° 28, juin-juillet­
1988.

411
Dans l’ombre de Bob Denard

des membres des services. De fait, de nombreux Télex simi-


laires à ceux reproduits ci-dessus ont trait à des déplacements vers
l’Extrême-Orient.

Taïwan est une destination privilégiée par les Sud-Africains.


Depuis 1971, Pékin a remplacé les nationalistes comme instance
reconnue par la communauté internationale à l’ONU. En 1979,
l’ouverture de relations diplomatiques entre la Chine commu-
niste et Washington est scellée lors de la rencontre entre Deng
Xiaoping et Jimmy Carter. Ce dernier s’engage à ne conserver
que des liens non officiels avec Taipei, ce qui isole encore davan-
tage Taïwan. Dans ce contexte, les nationalistes chinois nouent
des liens renforcés avec Pretoria. Désormais placés en marge de la
communauté internationale, les deux États font de l’archipel des
Comores une plaque tournante pour contourner certains embar-
gos. Organisées par Bob Denard, les négociations se déroulent
souvent en Suisse : « Tout ce petit monde se promenait dans un
minibus pour discuter en roulant dans les rues de Genève à l’abri
des oreilles indiscrètes1. » Le mercenaire confirme d’ailleurs ces
flux clandestins au cœur desquels se trouvent les Comores : « Si
les Comores ont été une plaque tournante des activités de la RSA,
elles l’ont été au travers de la GP, et c’était, bien sûr, une contre-
partie, une aide non négligeable dans certaines tractations de
matériels sensibles, au moment de la guerre des Malouines, pour
les aides matérielles par la Chine de Pékin pour équiper l’UNITA
et la RENAMO, via Hong Kong et Taïwan2. »

1. Alain Jourdan, « Quand l’embargo sud-africain était détourné depuis Genève »,


La Tribune de Genève, 26 juin 2010.
http://archives.tdg.ch/geneve/actu/embargo-sud-africain-contourne-geneve-2010-
06-25 consulté le 3 juin 2013.
2. Mémo GP89/OPS 95 daté du 23 juin 1996, archives privées Bob Denard,
carton 44. En 1994, dans l’entretien accordé à Stéphane Vauterin (Les Comores
dans les relations internationales, op. cit., p. 162), il niait pourtant les faits qui sont
corroborés par de nombreux témoins.

412
La GP au cœur du triangle France-Comores-Afrique du Sud

Parfois, la GP assure ensuite elle-même la livraison aux com-


battants anticommunistes. Ainsi, en 1986 ou 1987, un cargo
chargé de matériel militaire en provenance de Chine pour le
compte des Sud-Africains aurait transité par Moroni. Bob Denard
et ses hommes auraient assuré la sécurité de la cargaison jusqu’en
Namibie. Une fois les armes débarquées, le cargo aurait été coulé
au large. Ce système de transit par les Comores et la prise en
main par les mercenaires français pour assurer la dernière partie
du convoyage dans la zone sensible de l’Afrique australe aurait été
utilisé à plusieurs reprises. Un autre cas similaire aurait consisté à
livrer des Dakota également achetés en Asie du Sud-Est par l’ar-
mée de l’Air sud-africaine.
Au fil du temps, le chef mercenaire joue de la concurrence
entre influences sud-africaine et française, la première a été per-
mise, et sans doute même sollicitée, par Paris. En effet, le par-
tage du financement de la République islamique des Comores
se fait contre compensation. La France, vendeuse d’armes, sou-
haite pouvoir échapper à l’embargo qui touche l’Afrique du Sud.
Une affaire est notamment révélée en 1989 par L’Événement du
jeudi1. Pascal Krop dénonce dans les colonnes du journal la vente
de missiles Mistral à Pretoria. Ceux-ci doivent transiter par la
République populaire du Congo. L’article met en cause Jean-
Christophe Mitterrand, Monsieur Afrique de son père, et l’un
des négociateurs de ce contrat, Thierry Miallier, est mis en exa-
men et placé en détention provisoire. Sans que les circuits soient
toujours bien établis, il est clair pour Jean-Pierre Bat que « le
trio sulfureux politique parallèle/argent/services secrets a opéré
à plein », avant de compléter : « L’idée [d’insister sur les enrichis-
sements personnels] participe à brouiller la dimension politique
des décisions prises par la cellule [Afrique de l’Élysée] pour pri-
vilégier une lecture affairiste2. » Incontestablement, les Comores
1. Pascal Krop, « Des missiles bien embarrassants pour l’Élysée », L’Événement du
jeudi, 8 mars 1989.
2. Jean-Pierre Bat, Le syndrome Foccart, op. cit., p. 462.

413
Dans l’ombre de Bob Denard

sont l’un des rouages de ce système plus politique qu’affairiste qui


lie Paris et Pretoria.

Les logiques des retraits sud-africain et français

La fin des années 1980 se caractérise par un climat diplo-


matique en pleine mutation. Les réformes lancées par Mikhaïl
Gorbatchev et les évolutions déjà amorcées par l’URSS rendent
le climat de guerre froide moins prégnant. L’Afrique du Sud
est également en pleine mutation. En réalité, depuis l’accession
au pouvoir en 1979 de Pieter Botha, des assouplissements sur
l’apartheid s’accomplissent lentement. Les contestations du pou-
voir blanc menées par l’ANC sont de plus en plus fortes à l’inté-
rieur comme à l’extérieur du pays. À partir de 1985-1986, l’iso-
lement diplomatique de l’Afrique du Sud pèse davantage sur le
pays (et notamment les élites blanches) en raison de la mise en
application de plus en plus concrète des sanctions économiques
internationales. À l’intérieur, la situation se durcit et, en 1986,
Pieter Botha proclame l’état d’urgence dans certaines townships.
La même année, le Congrès américain impose un embargo com-
mercial rigoureux à l’Afrique du Sud et interdit les investisse-
ments de sociétés américaines dans le pays (Comprehensive Anti-
Apartheid Act).
Ainsi, même dans le camp occidental, le rôle de vigie face au
communisme dans la région n’est plus suffisant pour contreba-
lancer le système discriminatoire du régime. Dans son environ-
nement régional, l’Afrique du Sud participe d’ailleurs au dégel de
la guerre froide. Pretoria recherche une paix de compromis avec
les voisins avec lesquels elle est en tension. Le 7 septembre 1988,
un accord est conclu avec l’Angola, le Mozambique mais aussi
les Pays-Bas et la France. Les différents acteurs procèdent à des
échanges de prisonniers. La France retrouve ainsi un jeune coo-
pérant français, Albertini, qui avait été arrêté en Afrique du Sud

414
La GP au cœur du triangle France-Comores-Afrique du Sud

pour son soutien à l’ANC1 ; l’Afrique du Sud récupère, de son


côté, un chef de commando capturé dans l’enclave de Cabinda
par les Cubains, tandis que des membres du MPLA sont libé-
rés par l’UNITA. Au-delà des libérations, l’Afrique du Sud s’en-
gage à retirer son soutien à l’UNITA en Angola et à entamer un
processus de négociations pour l’indépendance de la Namibie.
Ces gestes de bonne volonté sont la contrepartie du retrait des
forces cubaines. Ainsi, l’accord ouvre la voie à une normalisation
des rapports diplomatiques et militaires en Afrique australe. Or,
Pretoria sait gré à l’intense activité du Quai d’Orsay pour obte-
nir ce résultat. Dans les mois qui suivent, la France dont la pos-
ture est toujours de condamner l’apartheid, reprend officielle-
ment ses relations diplomatiques avec l’Afrique du Sud.
Sur le plan intérieur, Pretoria connaît également une accéléra-
tion des mutations. Affaibli physiquement, Pieter Botha se retire
à l’été 1989 au profit de Frederik De Klerk, lequel s’engage dans
un processus de démantèlement progressif du système de l’apar-
theid. Cela se traduit par la réduction de l’influence du SADF
au sein du pouvoir. Dans ce contexte, le budget de la GP como-
rienne passe des mains des militaires à celles du ministère des
Affaires étrangères ; il est aussitôt réduit. Par ailleurs, la marche
vers une normalisation politique de l’Afrique du Sud répond à
son puissant besoin de continuer à attirer les capitaux étrangers.
Elle nécessite également un changement d’attitude vis-à-vis des
Comores. Au cours de l’année 1989, la ferme expérimentale de
Sangani entièrement financée par l’Afrique du Sud est prise en
main par un ingénieur agronome sud-africain. Les mercenaires
qui s’en occupaient sont ainsi évincés.
Pour la France, les conditions géopolitiques sont également
nouvelles en cette fin d’année 1989 et les liens avec les soldats
­privés des Comores sont de moins en moins acceptables sur le
1. Le dossier empoisonnait depuis de longs mois les relations entre Paris et Pretoria.
Un ressortissant néerlandais réfugié dans son ambassade et également accusé de
soutenir l’ANC peut également regagner son pays.

415
Dans l’ombre de Bob Denard

plan éthique pour le gouvernement français. Directeur de la


DGSE en 1989, Claude Silberzahn évoque dans le documentaire
Bob Denard, sultan blanc des Comores son choix « d’assainir un
certain nombre de situations dont les Comores ». L’idée d’écar-
ter le « Vieux » et ses mercenaires, déjà présente depuis 1986, se
pose de façon plus aiguë depuis le retour de la gauche au pouvoir
en 1988. Les négociations se font avec les Sud-Africains dont les
intérêts convergent avec Paris.
Désormais dans une dynamique de respectabilité, Pretoria
cherche à donner des gages de sa volonté de rupture avec ses pra-
tiques politiques. Son représentant commercial à Moroni affiche
ainsi son agacement au printemps 1989 à la BBC : « Tous les pro-
jets sud-africains aux Comores sont présentés comme émanant
de la Garde présidentielle. » Il se dit préoccupé par « le rôle joué
par la Garde présidentielle, garde composée de mercenaires étran-
gers ». En décembre 1989, un rapport interne de la GP explique :
« Il y a un an, ils [les Sud-Africains] avaient déjà décidé d’affaiblir
et de purger la GP de ses officiers expatriés à la demande du pré-
sident Abdallah qui avait fait la même demande à la France. À ce
moment-là, la France et la RSA travaillant séparément ont entre-
pris de résoudre le problème. »
Les suspicions croissantes sur les activités de Jean-Christophe
Mitterrand, notamment les révélations du journaliste Pascal
Krop sur l’« affaire du Mistral », nécessitent un geste fort. La coo-
pération de Paris et Pretoria s’accélère à l’automne 1989 : « Il y a à
peu près deux mois, selon le même rapport de décembre 1989, la
France a demandé à la RSA de travailler conjointement, d’où l’ex-
plication de la réduction de budget1. » En réalité, la coupe sévère
dans le financement de la GP ne s’explique pas par le seul trans-
fert du dossier de la Défense vers les Affaires étrangères sud-afri-
caines. Ce ministère prend la main car il est en concertation avec
le Quai d’Orsay (ou l’Élysée). Paris s’appuie de son côté sur le
1. Extraits du compte rendu d’entretiens de Bob Denard avec M. Evans le
18 décembre 1989, archives privées Bob Denard, carton 42.

416
La GP au cœur du triangle France-Comores-Afrique du Sud

rapport du capitaine Barril, venu inspecter la GP en septembre.


L’ancien chef du GIGN qui a quitté ses fonctions auprès de
François Mitterrand à l’Élysée préconise la dissolution de la GP
et l’intégration de ses membres comoriens dans la gendarmerie.
Les cadres européens qui sont alors une trentaine devraient quit-
ter les Comores. La mesure doit prendre effet au 31 décembre au
plus tard et le durcissement de Pretoria sur l’abondement du bud-
get de la GP doit avoir un effet suffisamment incitatif pour que
les mercenaires respectent cette mise en demeure.
À l’automne 1989, Bob Denard et ses hommes savent que
leur départ de l’archipel est désormais le scénario le plus pro-
bable. Pour autant, le « Vieux » compte encore sur le président
Abdallah pour refuser cette décision prise par Paris et Pretoria
(d’où le plastron contre le palais présidentiel dans la nuit du
26 au 27 novembre). En 1994, le mercenaire affirme que « le
Président n’a jamais laissé entendre qu’il envisageait de se sépa-
rer de nous ». Si cette assertion est inexacte quant aux intentions
d’Ahmed Abdallah, en revanche il est probable que le chef des
soldats de fortune français espère encore le convaincre : « Il a joué
souvent au jeu du chat et de la souris parce que c’était dans sa
manière de voir les choses1. » Après la mort du chef d’État como-
rien, le « Vieux » s’incline et négocie avec la France les condi-
tions du départ des cadres de la GP. Paris craint que ces derniers
prennent complètement le pouvoir et, selon le directeur des ser-
vices français, « la décision fut alors prise de faire prendre en main
la garde par la DGSE. Quand les avions qui transportaient la
force d’intervention française se posèrent, celle-ci occupa immé-
diatement l’aéroport. Puis Bob Denard arriva pour embarquer
dans l’avion qui devait le conduire en Afrique du Sud. C’est à
ce moment-là que les hommes de la DGSE quittèrent le terrain
pour se rendre au camp de la garde où ils dirent : – C’est nous les
patrons ; d’ailleurs, on va vous payer votre solde pour commencer
1. Entretien avec Stéphane Vauterin, Les Comores dans les relations internationales,
op. cit., p. 163.

417
Dans l’ombre de Bob Denard

puis on va faire l’inspection, revue d’armement, etc. C’est-à-dire


qu’au moment même où Denard et ses fidèles quittaient la garde,
la DGSE en prenait le commandement […]. Le chef de l’opéra-
tion “Comores” assura plusieurs mois le commandement de la
garde. Ensuite, le président des Comores demanda à ce qu’il soit
détaché auprès de lui comme conseiller. Un grand classique…
Notre colonel devint logiquement l’homme-pivot de la paix dans
le pays1 ».
En mettant fin à ce troisième système mercenaire, la France
reprend le contrôle aux Comores. De son côté, Bob Denard
demande simplement à Paris et Pretoria de lui laisser le temps
nécessaire pour trouver un nouveau lieu de résidence. Finalement,
son exfiltration vers l’Afrique du Sud se traduit par un séjour pro-
longé à Pretoria.

1. Claude Silberzahn et Jean Guisnel, Au cœur du secret, Paris, Fayard, 1995, 330 p.
Épilogue

Après 1989, l’incompréhension face


aux nouvelles configurations internationales

L’année 1989 marque la chute du système mercenaire français


et son effacement au profit de nouvelles formes entrepreneuriales
qui se développent dans le monde anglo-saxon. Symboliquement,
l’évolution du droit international entérine cette mutation ;
concrètement, le milieu français montre son incapacité à s’adap-
ter à cette nouvelle situation.

Un nouveau contexte juridique


Un nouveau texte, la Convention internationale contre le recru-
tement, l’utilisation, le financement et l’instruction de mercenaires,
est donc rédigé par l’ONU en 1989. En réalité, sa préparation
remonte au 4 décembre 1980. Un Comité spécial pour l’élabo-
ration d’une convention est créé à New York. Sa mise en place
répond à la dynamique lancée par l’affaire du Bénin mais aussi
par la mobilisation au sein de l’OUA contre le régime du pré-
sident Abdallah. Toutefois, durant la décennie 1980, l’absence
de législation internationale laisse une relative liberté d’action
aux membres de la GP et à Bob Denard avec la complicité de
l’Afrique du Sud et de la France, comme on l’a vu.
La nouvelle législation adoptée en 1989 marque la première
forme de criminalisation des activités mercenaires dans le droit

419
Dans l’ombre de Bob Denard

international à l’échelle mondiale1. Sa publication coïncide avec le


calendrier comorien. Elle apparaît comme une réponse aux accu-
sations qui pèsent sur les hommes de Bob Denard dans l’assassinat
du président comorien Ahmed Abdallah quelques semaines aupa-
ravant. En effet, selon les législations précédentes, la GP como-
rienne ne relevait pas du statut de mercenaire. Cette convention
apporte de nouveaux éléments de définition par rapport aux pro-
tocoles additionnels de Genève. Ainsi précise-t-on que sera consi-
déré comme tel toute personne « ni ressortissante, ni résidante de
l’État contre lequel un tel acte est dirigé » qui cherche à « renverser
un gouvernement, ou, de quelque autre manière, porter atteinte
à l’ordre constitutionnel d’un État » ou qui chercherait à « por-
ter atteinte à l’intégrité territoriale d’un État ». Est exclue toute
personne envoyée en mission par une armée étrangère et tout
membre étranger d’une force armée de l’État concerné. Enfin, on
reprend la disposition africaine incitant les États « à ne pas recru-
ter, utiliser, financer ou instruire des mercenaires et à interdire les
activités de cette nature ».
Le nouveau texte est toutefois loin d’emporter l’adhésion
puisque seuls seize États la ratifient alors, dont quatre euro-
péens2. Plusieurs points expliquent les réticences. La première
est la possible implication de personnels délégués au titre de l’as-
sistance technique. En effet, il n’est plus précisé que le merce-
naire prend une part directe aux hostilités. La seconde, notam-
ment dans le cas français, est une incrimination potentielle
désormais de la France au regard de la spécificité de la Légion
étrangère. En suscitant la réserve de puissances militaires de pre-
mier rang, le droit international onusien peine donc toujours à
criminaliser les activités des soldats de fortune et les États qui
les emploient. En réalité, les mesures les plus efficaces dans la
lutte contre les mercenaires sont prises par les législations natio-
nales. Les premières sont le fait d’États confrontés au dévelop-
1. Les textes de l’OUA n’engageant que les États signataires du continent africain.
2. L’Allemagne, l’Italie, la Pologne et la Roumanie.

420
Épilogue

pement des activités militaires privées, comme l’Afrique du Sud


(lois de 1998 puis 2007). La France s’est également dotée de sa
propre législation en 2003, soit à un moment où les « queues
de comète » des opérations des réseaux Denard se multiplient
(1997-2003).

Une nouvelle configuration professionnelle et géopolitique


Finalement, 2003 constitue l’achèvement du processus ouvert
en 1989 de démantèlement du système mercenaire français. La
chute de la GP comorienne met à bas le fonctionnement péren-
nisé depuis les années 1960, c’est-à-dire un ensemble de relations
au cœur desquelles se trouvait Bob Denard. Dans les années
1980, il est le seul homme à pouvoir offrir une prestation mili-
taire autonome du pouvoir politique français. Pour autant, il est
bien souvent au carrefour de la diplomatie grise de la France avec
l’Afrique du Sud et d’autres acteurs du continent noir. La fin de la
guerre froide bouleverse fondamentalement ce fonc­tion­nement.
Le mercenariat s’industrialise, se professionnalise et s’offre des
vitrines légales avec les SMP. Toutefois, chez les Français, l’ef-
fet d’inertie explique que les différents acteurs ne prennent pas
immédiatement la mesure de la fin du système qu’ils ont connu
depuis les indépendances africaines.
Les hommes politiques français ont compris qu’il était de leur
intérêt en 1989 de « liquider » la GP comorienne. Pour autant,
face à des situations difficiles, là où dans les décennies précé-
dentes, on faisait discrètement passer un message aux hommes
de Bob Denard, ils n’arrivent pas forcément à imaginer d’autres
recours. D’ailleurs, la liquidation brutale du système français en
1989 n’a pas permis de préparer un nouveau modèle inspiré des
Anglo-Saxons (Sud-Africains ou Américains). C’est pourquoi la
tentation de faire appel à nouveau aux mercenaires ne disparaît
pas brutalement avec la fin de la guerre froide. Ainsi, en 1992, le
ministère de la Santé et à l’Action humanitaire approche-t-il le

421
Dans l’ombre de Bob Denard

« corsaire de la République » réfugié en Afrique du Sud1. La direc-


trice de cabinet de Bernard Kouchner, détenteur du maroquin,
prend contact avec Philippe Chapleau à Paris par l’intermédiaire
de l’un de ses amis. Il s’agit pour le journaliste de porter de vive
voix la sollicitation de Paris pour le déploiement d’une éventuelle
troupe de protection d’une ONG française sur le départ pour la
Somalie. L’affaire ne va pas à son terme, puisque, finalement, la
crise somalienne devient si aiguë que des unités de l’armée fran-
çaise sont projetées sur place (opération « Oryx » de décembre
1992 à avril 1993).
Parmi les hommes politiques qui ne comprennent pas qu’une
ère nouvelle s’est ouverte, il y a sans doute Jacques Foccart. Le
vieux « Monsieur Afrique » reprend du service à l’Élysée pour
Jacques Chirac en 1995. Incontestablement, la DGSE et Jacques
Foccart sont au courant de l’opération « Kashkazi ». La diffi-
culté est de mesurer le degré d’implication de l’Élysée. Selon
Bob Denard, il aurait évoqué le déroulement de son intervention
à plusieurs reprises avec Jacques Foccart. Le conseiller Afrique
ne reconnaît qu’un seul contact téléphonique le 27 septembre
et dans de mauvaises conditions de liaison qui auraient rendu
impossible un véritable échange2. Malgré la réticence de l’homme
de l’ombre de l’Élysée, il est évident que le pouvoir est au cou-
rant du coup envisagé par les mercenaires. Même si elle n’a pas
formellement donné son aval, la DGSE a, au moins, indiqué que
le « feu » était « orange ». On observe encore les scories du sys-
tème mercenaire français dans la période 1989-2003. Elle est é­ga­
lement marquée par la disparition des piliers de celui-ci, notam-
ment Jacques Foccart en 1997. Les poursuites judiciaires contre
Bob Denard doivent symboliser le changement d’époque.

1. Correspondant pour l’AFP à Pretoria, Philippe Chapleau se voit proposer par Bob
Denard de s’installer chez lui pour trier ses archives. Le journaliste et le mercenaire
passent ainsi près de dix-huit mois dans une grande proximité personnelle.
2. Voir notamment Jean-Pierre Bat, Le syndrome Foccart, op. cit., p. 554.

422
Épilogue

Au cours des auditions du procès en 2006 sur « Kashkazi », il


apparaît que la longue planification du vieux mercenaire ne peut
avoir échappé aux services (DGSE et DST), alors que l’homme
est officiellement placé sous contrôle judiciaire. Lors du pro-
cès sur les événements comoriens de 1995, le jugement indique
d’ailleurs qu’il retient cette hypothèse : « Il est donc évident que
les services secrets français avaient eu connaissance du projet de
coup d’État conçu par Robert Denard, de ses préparatifs et de
son exécution. Il est tout aussi manifeste qu’ils n’avaient rien fait
pour l’entraver et qu’ils l’avaient donc laissé aller à son terme. En
conséquence, c’est donc que les responsables politiques l’avaient
nécessairement voulu ainsi ; ce qui est à rapprocher du fait que,
comme vu ci-dessus, Mohamed Djohar après l’opération “Azalée”
n’avait nullement été rétabli dans ses fonctions présidentielles1. »
Un autre élément tend à renforcer l’hypothèse de l’as­sen­timent
de l’Élysée à cette opération : le sort réservé, semble-t-il, aux mer-
cenaires, lors de l’intervention des forces françaises – des jour-
nalistes présents sur place – ont confirmé sa violence. En effet,
si l’on suit le rendu du jugement de 2006, « il semble qu’on ait
fait croire à ces militaires qu’ils auraient affaire à de véritables ter-
roristes de diverses origines, notamment libanaise, et il semble
aussi, au vu de plusieurs enquêtes journalistiques figurant au dos-
sier de la procédure et au vu de plusieurs témoignages que des
consignes avaient été données pour que Robert Denard et ses
hommes soient carrément éliminés, projet qui aurait avorté en
raison de la présence inopinée de journalistes sur place2 ».
Les acteurs comoriens n’ont également pas perçu les change-
ments induits par la guerre froide. Les deux fils cadets d’Ahmed­
Abdallah ont comploté contre le nouveau président, Mohamed

1. Jugement de la 14e chambre du tribunal de grande instance de Paris rendu le


20 juin 2006, affaire n° 9528637979 (voir en annexe).
2. Ibid. Les différents acteurs (journalistes et mercenaires) confirment cette thèse
dans le documentaire de Laurent Boullard, Bob Denard, le sultan blanc des Comores,
op. cit.

423
Dans l’ombre de Bob Denard

Djohar, ce qui les a conduits en prison. Le fils aîné sollicite alors


le « Vieux » soupçonné d’avoir fait tuer son père. Outre les « inves-
tissements » des soldats de fortune et l’argent reçu de services
secrets, le montage financier de l’opération de 1995 (l’équivalent
d’environ 2 millions d’euros) comprend Salim Abdallah mais
également le prince Kemal, autre homme politique comorien de
premier plan depuis l’indépendance. Finalement, la classe poli-
tique de l’archipel n’aurait pas non plus tiré d’enseignement des
expériences précédentes.
Les mercenaires français n’ont pas davantage pris conscience
du changement. Michel Loiseau choisit d’introduire ses
Mémoires par le récit de 1995 ; il écrit ainsi : « Les temps avaient
changé ; on n’avait pas dû s’en apercevoir. Il fallait se réveiller.
Cette fois, on était passé près. On gênait avec nos singeries d’un
autre temps, déjà qu’on n’avait pas bonne presse […]. Les règles
du jeu n’étaient plus les mêmes ; on ne nous avait pas prévenus1. »

L’impossible recomposition du milieu français

En fait, Denard a perdu contact avec la réalité. Certains


membres de la « génération comorienne » échafaudent des pro-
jets. Quelques-uns sont mis en œuvre entre 1997 et 2003. Les
propositions continuent d’affluer, peut-être moins nombreuses,
vers le « Vieux » comme l’affirme Villeneuve : « On lui propose
plein de coups, soit Hoffmann, soit Jean-Pierre… Mais il perd la
tête. Des Picards, deux frères qui possédaient de grands terrains
près de l’aéroport Charles de Gaulle et qui ont de gros intérêts
en Afrique viennent le voir. Ils dînent […]. Alors qu’il s’agissait
d’un coup à peut-être trois millions d’euros, ficelé par JP et moi,
le Vieux répète qu’il faut prévoir des hameçons au cas où les gars
soient coincés, qu’ils puissent pêcher. Les deux frères, la première

1. Michel Loiseau, Mémoires inédits de Bosco, op. cit., chapitre 1 « La der des der ».

424
Épilogue

fois, ça les fait sourire puis ils voient qu’il ne plaisante pas ; l’af-
faire ne s’est pas faite. Et il y en a eu d’autres comme cela1. »
L’époque du mercenariat français se referme, tandis que les
« nouveaux entrepreneurs de guerre » anglo-saxons s’imposent
sur la scène africaine puis sur les nouveaux théâtres de conflits
(Irak et Afghanistan notamment). Autour du « Vieux », les princi-
paux lieutenants qui auraient pu assurer le passage à une nouvelle
génération sont impliqués dans les procès pour la mort d’Ahmed
Abdallah et pour l’opération de 1995. Le premier, tenu en 1999,
permet à Bob Denard de bénéficier du doute. Marqués et lui-
même soutiennent que le président a été abattu par son garde du
corps Jaffar dans le désordre qui règne alors. Comme l’atteste un
courrier adressé au président de la cour d’assises, Bob Denard sou-
tient qu’« aucun mobile, aucune logique ne peut accréditer cette
thèse [de l’assassinat] ». Aucun élément solide ne peut remettre
en cause cette version. Lors de ce procès, il s’appuie toujours sur
sa position de « soldat ». Il insiste sur les services qu’il a rendus à
la République : « J’ai été mandaté pour des opérations en Afrique
et au Moyen-Orient par les services français, parfois en coopéra-
tion avec des services étrangers. » Cet aveu (confirmé et développé
dans ses Mémoires avec Pierre Lunel et Georges Fleury) montre
la dimension du combat pour l’Occident qu’il a mené et dévoile
les agences qui ont fait appel à ses services : « CIA, MI-6, Israël,
Afrique du Sud, Taïwan ». Pour le mercenaire qu’il demeure, la
question de l’allégeance est pourtant clairement reconnue dans
cette lettre : « J’ai toujours rendu compte aux services de tutelle »,
forçant ici le trait car tel est alors son intérêt2.
Alors que les représentations du mercenariat dans l’opinion
française sont de nouveau très négatives, le jugement de 2006
rend hommage à Bob Denard en prenant acte de sa sincérité sur
les rapports avec les services : « Les témoignages notamment des
1. Entretien à Paris avec Villeneuve le 20 juillet 2012.
2. Brouillon de lettre adressée au président et aux jurés de la Cour chargée de le juger
daté du 19 mai 1999, archives privées Bob Denard, carton 88.

425
Dans l’ombre de Bob Denard

anciens ministres Maurice Robert [mort à la date du procès mais


qui a été auditionné au cours de l’instruction] et Michel Roussin
démontrent que Robert Denard avait dans le passé été continuel-
lement “manipulé” par les services secrets à l’égard desquels d’ail-
leurs, sans être vraiment un agent, il s’était toujours montré loyal
et désintéressé, agissant essentiellement pour des motifs liés à la
défense de l’Occident ; Michel Roussin indiquait d’ailleurs que,
concernant le coup d’État de 1995, on l’avait pour le moins laissé
faire1. » Après la période de guerre froide, l’image très négative du
mercenaire tient toujours aux vieux poncifs de l’homme « assoiffé
d’argent », mais se double en France de la « barbouze », de la per-
sonnification des « circuits parallèles » de la République.

1. Compte rendu du jugement du 20 juin 2006.


Conclusion de la troisième partie

De 1978 à 1989, le système mercenaire français est boule-


versé par de nouvelles données. Il est désormais organisé autour
de la base comorienne de Bob Denard. Les tentatives de déve-
lopper d’autres équipes (Dulac) ou de s’imposer comme succes-
seur du « Vieux » semblent vouées à l’échec. La GP des Comores
doit également prendre en compte les nouveaux rapports qu’elle
entretient avec les services français. Dès 1981, les relations avec le
pouvoir socialiste sont plus compliquées. Certes, l’espoir de Jean-
Pierre Cot – « nous avions le souci de faire le ménage [au sein de
la Françafrique] » – ne fait pas long feu1. Toutefois, Bob Denard
en profite pour jouer du partenariat entre Pretoria et Paris pour la
position stratégique comorienne afin de reprendre un peu d’indé-
pendance (contrat tchadien).
Le contexte nouveau est également celui de la fin de la guerre
froide. Après la relative liberté d’action des mercenaires de la
première moitié des années 1980 (durcissement des rapports
Est-Ouest), la seconde moitié de la décennie est caractérisée
par la volonté de la France et de l’Afrique du Sud de normali-
ser leur situation vis-à-vis des mercenaires (pas seulement pour la
seconde). Ces éléments conduisent à l’étouffement financier de la
GP puis à la question de sa disparition pure et simple. Dans cette
1. Ministre délégué à la Coopération et au Développement en 1981-1982, Jean-
Pierre Cot incarne une volonté de rupture avec la tradition des réseaux Foccart.
Pourtant, la nomination de Guy Penne à la cellule Afrique de l’Élysée traduit dans le
même temps le pragmatisme de François Mitterrand. Les propos de Jean-Pierre Cot
sont extraits du documentaire de Patrick Benquet, Françafrique, la « raison d’État »,
op. cit.

427
Dans l’ombre de Bob Denard

atmosphère de mutation des relations internationales, la mort


d’Ahmed Abdallah précipite les événements.
Cette indépendance demeure fictive, par-delà les alternances
politiques. Dès la cohabitation, et malgré le retour de Jacques
Foccart aux affaires, le remplacement de Bob Denard est envi-
sagé. Le « Vieux » se maintient jusqu’en 1989. Toutefois, la pré-
paration de son éventuelle succession est surtout guidée par
les luttes intestines chez ses lieutenants. À partir du milieu des
années 1980, rompant avec les habitudes qu’il avait prises depuis
le début de sa carrière, il choisit un bras droit, Marqués qui n’a
pas le profil d’un officier d’état-major ou d’administration mais
celui d’un homme de terrain.
Abandonné par la DGSE en 1989, dans un monde bouleversé
par la sortie de guerre froide où les enjeux africains se dépolitisent,
sans second complémentaire du « Vieux » ni héritier capable de
« réinventer » le système mercenaire français, celui-ci se meurt
lentement dans les années 1990 au rythme des poursuites judi-
ciaires et de la dégradation physique de son pilier, Bob Denard.
Conclusion générale

La fin de la guerre froide et les recompositions de l’ordre


mondial qui l’accompagnent signent la liquidation du système
mercenaire français. On peut considérer que la période de 1960
à 1989 possède une unité par l’existence d’un même groupe de
soldats privés. Celui-ci vient combler la pénurie de prestataires
pour des missions qui ne peuvent être assumées par les armées
régulières, soit pour des raisons liées aux relations internatio-
nales, soit à cause de l’insuffisance de la Défense des nouveaux
États issus de la décolonisation. Son existence repose en pre-
mier lieu sur des compétences. Elles sont essentiellement tech-
niques (formation et encadrement, artillerie, médecine…), liées
à la diffusion d’un art moderne de la guerre, que certains ont
pu qualifier assez improprement d’« art occidental », où la puis-
sance de feu et sa disposition sur les théâtres de combat sont sou-
vent décisives. Les savoir-faire des mercenaires relèvent surtout
de l’échelle tactique. Jean Schramme est incapable d’arrêter un
plan cohérent pour résister à l’avancée de l’ANC en 1967. Seuls
les meilleurs possèdent la capacité de planifier à l’échelle opéra-
tive (Roger Faulques ou Bob Denard).
L’existence du système mercenaire s’explique également par le
contexte international. Le manque d’anticipation des décoloni-
sations, principalement en Afrique, et les enjeux de domination
(sur l’espace mondial dans le cadre de l’affrontement Est-Ouest,
sur les ressources naturelles…) offrent l’opportunité aux troupes
– que forment les soldats de fortune en contrat de courte durée –

429
Dans l’ombre de Bob Denard

de servir de variable d’ajustement dans les nouvelles armées afri-


caines. Les mercenaires jouent surtout le rôle de levier aux États
du bloc de l’Ouest. Habitée par le « syndrome Foccart » (J.-P. Bat),
la France arrive au premier rang des puissances qui cherchent à
peser sur le devenir des nouveaux États africains, mais d’autres
puissances occidentales suivent les mêmes logiques (États-Unis,
Grande-Bretagne, Belgique ou Portugal). Ils sont soutenus par
des acteurs africains qui possèdent des intérêts partagés avec les
précédents (Afrique du Sud, Rhodésie, Gabon, Maroc…). Les
mercenaires sont les principaux auteurs de coups d’État sur le
continent noir1. Sans doute en raison du rôle majeur joué par
Paris en Afrique, mais également grâce à des qualités intrinsèques,
les Français s’imposent comme une référence dans le « métier ».
Cette prédominance des Français parmi les « Affreux » est
acquise à la fin de la décennie 1960. S’il existe un même système
de 1960 à 1989, il convient de rappeler que l’époque est scandée
par trois temps distincts. Les différences reposent à la fois sur les
hommes qui se renouvellent, sur les contextes politiques diffé-
renciés et donc sur les évolutions de l’articulation entre les com-
battants privés et les politiques des grandes puissances au cours
de ces trois décennies. Ainsi, à système unique, on peut opposer
des postures humaines très variées. C’est en partie pour cela, nous
semble-t-il, que la définition du mercenariat est si difficile à fixer.
Comme ces irréguliers répondent à des dysfonctionnements dans
les relations internationales et dans les structures militaires d’une
époque donnée, ils ont un profil en adéquation avec ces condi-
tions préalables à leur déploiement.
Ainsi l’appellation d’« Affreux » paraît-elle particulièrement
impropre pour les soldats de fortune français de la décennie 1960.
En effet, ce groupe est celui qui se rapproche le plus des armées
régulières. Une partie significative des mercenaires a combattu
dans les guerres d’Indochine et d’Algérie, et ce sont donc des

1. Extérieurs aux pays concernés en tout cas.

430
Conclusion générale

soldats très expérimentés. Ils connaissent des conflits (Katanga,


RDC et Biafra) qui ressemblent fortement à leurs expériences
précédentes et encadrent des troupes nombreuses (plusieurs cen-
taines de combattants au moins), ce qui rapproche le cadre dans
lequel ils évoluent de celui d’un régiment français. Cette impor-
tance numérique explique que le seul vivier français ne peut
répondre à la demande pressante du milieu de la décennie, à tel
point que les chefs originaires de l’Hexagone opèrent des enrôle-
ments à l’échelle européenne. Leur implantation sur le continent
africain est, par ailleurs, facilitée par la mise en place d’un système
qui autorise leur départ (envoi piloté par Jacques Foccart et Pierre
Messmer des premiers « Affreux »). Leur circulation entre le Vieux
Monde et le continent noir est ainsi simplifiée et ces hommes dis-
posent de soutiens logistiques de plus en plus importants (éva-
cuation des mercenaires de RDC ou fourniture en armement au
Biafra).
Ces conditions expliquent que ces soldats privés échappent
largement aux sanctions imaginées par l’ONU au moment du
Katanga ou aux exigences de Mobutu auprès de l’OUA (à l’is-
sue de leur révolte en 1967). Cela contribue également au chan-
gement de regard porté sur cette catégorie de combattants. Les
représentations des « chiens de guerre » dans les médias sont beau-
coup moins négatives dans la décennie 1960 que dans l’imagi-
naire collectif construit depuis la Révolution française, et une
partie de l’opinion les considère même avec bienveillance pour
leur rôle de secours auprès des anciens colons ou pour le service
d’une « cause » apparemment juste (royaume yéménite et surtout
Biafra).

Bob Denard joue particulièrement de cette image renvoyée


par une partie de la presse et bâtit sa carrière sur deux bases. La
première est de s’auréoler de la réputation de grande rigueur
militaire de ses hommes ; la seconde est de jouer sur la séman-
tique. Il conteste en permanence la légitimité de la catégorie de

431
Dans l’ombre de Bob Denard

­ ercenaires et défend l’idée d’experts volontaires pour s’affran-


m
chir des poncifs associés aux « chiens de guerre ». Pour autant, dès
cette époque, les troupes qu’il commande se distinguent par un
esprit propre aux coutumes des irréguliers ; elles s’affranchissent
notamment de l’organisation verticale lors des prises de décision
décisives au profit d’un avis collégial1. Bob Denard reprend é­ga­
lement la tradition d’une association forte des hommes au chef,
mais plutôt sous l’angle de la solidarité corporative et de liens de
patron à clients. Avec l’émergence de Bob Denard et l’effacement
progressif d’autres chefs (Tony de Saint-Paul, Jean Schramme,
puis surtout Roger Faulques et ses adjoints), le fonctionnement
interne à la microsociété des combattants privés français se met
en place. À côté du chef s’imposent d’autres soldats de fortune
non issus du corps des officiers de l’armée française. Pour cela, ils
peuvent disposer soit d’un charisme particulier et d’une relation
affective avec Bob Denard (Karl Coucke ou Jean-Louis Millote),
soit de prédispositions pour devenir des cadres d’état-major.
Dans les années 1970, la figure du mercenaire français est fon-
cièrement différente de l’époque précédente. L’encadrement au
combat d’unités nombreuses disparaît après la guerre du Biafra ;
les facilités opérées par la Belgique et le Portugal, lesquels n’ont
plus d’intérêt aussi majeur en Afrique, s’estompent au profit du
seul SDECE et des réseaux Foccart. Par ailleurs, l’absence d’un
vaste et durable terrain d’opération, comme a pu l’être la RDC,
rappelle aux mercenaires leur statut d’intermittents de la guerre.
Ce nouveau contexte entraîne quatre évolutions majeures. Tout
d’abord, les soldats de fortune cherchent un refuge, voire une
base, sur le continent noir. Ce sera le Gabon (mais sous l’étroit
contrôle d’Omar Bongo) puis les Comores. Deuxième point, l’in-
capacité à maintenir enrégimenté l’important vivier d’hommes
démobilisés à l’issue du conflit biafrais oblige les chefs merce-
naires français à se spécialiser dans des actions de type com-
1. Ce type de prise de décision peut toutefois être observée à certains moments de la
Révolution française et parfois même jusqu’à l’Empire.

432
Conclusion générale

mando, moins gourmandes en hommes, moins durables dans le


temps (et donc moins chères)1. En troisième point, conséquence
du précédent, naît l’idée d’une structure entrepreneuriale à
laquelle pourraient s’adosser les opérations de mercenaires (socié-
tés de sécurité au Gabon). Pour différents motifs, parmi lesquels
l’absence d’appétence personnelle de Bob Denard pour la gestion
des affaires et pour les aspects administratifs que cela induit, cette
démarche n’est jamais poussée à son terme et le système mer-
cenaire continue­à fonctionner par relations interpersonnelles et
par réseaux informels.
Enfin, la dernière et principale évolution est marquée par la
très forte dépendance des « chiens de guerre » français envers leurs
commanditaires organisés autour de la figure tutélaire qu’est
Jacques Foccart : la cellule Afrique de l’Élysée et le SDECE, les
partenaires africains et notamment le Gabon d’Omar Bongo.
Ce dernier assèche d’ailleurs une partie du vivier en engageant
de nombreux anciens des opérations des années 1960 dans sa
GP. Cette inféodation aux services français et/ou aux réseaux
Foccart réduit l’emploi des mercenaires à des opérations discrètes
(Angola), de déstabilisation de régimes (Comores 1975 et 1978,
Bénin) ou à des combats éthiquement contestés et contestables
(Rhodésie). La mauvaise image des « Affreux » s’ancre à nouveau
dans l’opinion publique et les échecs les plus médiatisés (Bénin)
la doublent d’une étiquette d’amateurisme très sévère.
Ces évolutions entraînent une profonde recomposition du
milieu des soldats de fortune. Elle est à la fois caractérisée par
des continuités autour des anciens de la période précédente mais
surtout autour de la figure incontestablement dominante de
Bob Denard. En fonction de sa personnalité, l’homme façonne
donc les nouvelles facettes du mercenariat français. Après l’opé-
ration angolaise, malgré des méthodes qui peuvent sembler très
1. Cela signifie notamment que, contrairement à la période précédente, le milieu
mercenaire n’est composé que de Français ou d’anciens soldats de l’armée française
(Légion étrangère), hormis un carré de fidèles belges.

433
Dans l’ombre de Bob Denard

artisanales, il fait émerger une nouvelle génération entre 1976 et


1978. Les tensions sont fortes entre les Anciens et les Modernes.
Toutefois, cette période transitoire si sensible connaît une issue
favorable avec la prise de pouvoir aux Comores pour le compte
d’Ahmed Abdallah. En raison du caractère hétéroclite des par-
cours qui mènent au milieu des combattants privés dans cette
seconde moitié de la décennie 1970, la palette des profils est
extrêmement variée, en âge bien entendu mais aussi en motiva-
tions. Derrière la catégorie unique du mercenaire, on décèle des
parcours de « volontaires mercenarisés » (en provenance du Liban
notamment) et des trajectoires qui se rapprochent, au contraire,
de plus en plus du banditisme.
Une nouvelle ère s’ouvre ensuite avec l’installation aux Comores
et une indépendance apparemment plus grande vis-à-vis des ser-
vices secrets. Après le coup d’État du 13 mai 1978, la GP como-
rienne remplace, dans l’esprit de Denard, les sociétés de sécu-
rité privée comme structure d’emploi officiel du personnel mer-
cenaire. Cette sédentarisation provoque également l’a­chè­vement
du processus de renouvellement des hommes car une large partie
des Anciens refusent de se fixer et s’éloignent du centre comorien.
On mesure alors à quel point Bob Denard est devenu le cœur du
système français car les tentatives d’équipes concurrentes peinent
à se concrétiser. Seul Dulac peut, un moment, incarner cette
alternative mais à la seule condition du refroidissement des rela-
tions entre le SDECE et les combattants installés aux Comores.
En apparence, les « chiens de guerre » de Bob Denard ont
retrouvé une liberté d’action ; les relations avec l’Afrique du Sud
sont censées renforcer cette prise de distance avec Paris. Pour
autant, comme la France ne cesse jamais de prendre part à ce jeu
à trois et qu’elle trouve son intérêt à des relations discrètes avec
Pretoria, les deux États se mettent facilement d’accord dans le
nouveau contexte de 1989, aux dépens de la GP comorienne.
Moins visible, son instrumentalisation par Paris demeure réelle.
La sédentarisation aux Comores, l’investissement des combat-

434
Conclusion générale

tants privés dans la politique intérieure du pays et leur moindre


action extérieure ont sans doute cristallisé certains aspects de
la culture mercenaire, notamment la violence que la GP exerce
quand le besoin s’en fait sentir dans la seconde moitié des années
1980.
Peut-être par crainte d’être supplanté (le risque est réel), Bob
Denard a écarté les hommes qui avaient complété ses propres
qualités dans les périodes précédentes. En faisant de Marqués le
commandant de la GP et son second, le « Vieux » n’offre pas la
possibilité aux mercenaires d’être dirigés par un homme capable
de comprendre les mutations en cours. Comme lui, Marqués est
un chef de terrain. Jamais l’idée d’une nécessaire structure à l’ac-
tivité de « chiens de guerre » ne se transforme chez les Français
en SMP. Réfugié en Afrique du Sud, Denard peut observer ce
modèle. Par son habitude de l’informel, des réseaux parallèles et
malgré ses intuitions précédentes, il ne franchit pas le pas. Peut-
être n’en a-t-il plus non plus les moyens financiers1. Marqués n’a
sans doute pas l’envergure (ou l’envie) de le supplanter dé­fi­ni­ti­
vement et continue à travailler dans son ombre.
Le virage entrepreneurial est manqué par le milieu français.
Les hommes en capacité ne sont pas en position de le faire. Les
efforts de Sanders pour émerger interviennent trop tard. Un
minimum de soutien politique eût également été nécessaire pour
que les soldats de fortune français puissent faire face à cette muta-
tion. L’affaire Elf marque symboliquement la volonté de la classe
politique hexagonale de sortir progressivement des pratiques des
réseaux Foccart. Elle retient la nécessité de transparence qui doit
conduire à achever la liquidation de l’époque Denard. Sans doute
fixé sur ce difficile objectif de changement de paradigme dans les
relations avec l’Afrique, Paris ne perçoit pas le levier que peuvent
constituer les « nouveaux entrepreneurs de guerre » et s’enferme

1. Entretien téléphonique avec Philippe Chapleau le 4 octobre 2012.

435
Dans l’ombre de Bob Denard

dans la législation antimercenariat de 2003. Les Anglo-Saxons


prennent la relève.
Finalement, ces trois décennies répondent à des logiques très
différentes ; elles offrent des trajectoires et des parcours de merce-
naires très divers. Faut-il dès lors minimiser l’unité de la période
qui a été esquissée en début de conclusion ? Faut-il écarter la thèse
d’un milieu et d’une culture spécifiques aux mercenaires fran-
çais ? Cela serait sans doute une erreur. Les valeurs des droites
radicales réunissent ces hommes : un culte de l’aventure virile et
la défense de causes réactionnaires (au sens premier du terme).
Du refus de l’indépendance algérienne et des réseaux « nostalgé-
riques », les combattants privés passent à la priorité de la lutte
anticommuniste (comme l’ensemble de l’extrême droite dans les
années 1970). À partir de cette époque, les dernières générations
de « chiens de guerre » offrent des profils de toutes les mouvances
radicales. Souvent mise en avant, l’extrême droite raciste n’est que
marginale. À bien des égards, les mercenaires gangstérisés pour-
raient être rattachés à une culture poujadiste. La culture identi-
taire a pu guider les engagements en Rhodésie et la mouvance tra-
ditionaliste explique les parcours de « mercenaires volontarisés »,
partis rejoindre les maquis Karen.
Le paradoxe est finalement de définir l’unité du milieu par sa
culture politique. En ce sens, les catégories du volontaire armé et
du mercenaire (à l’époque de la guerre froide) s’avèrent encore plus
parallèles qu’on ne l’avait imaginé. Elles ne coïncident cependant
pas. Si le volontaire armé peut être motivé par des engagements
de gauche ou de droite, il semble que le mercenaire n’appartienne
qu’à ce second camp politique. Il se distingue également (peut-
être en lien avec son appartenance à la droite) par un rapport
décomplexé à l’argent et à l’idéologie. Son pragmatisme l’incite à
davantage de compromis avec ses idéaux. Cependant, ces distinc-
tions sont sans doute schématiques. Elles sont des clés de lecture
de la trajectoire collective des hommes ici étudiés. L’observation
des parcours personnels incite à prendre en compte les incohé-

436
Conclusion générale

rences de chacun et à ne pas prétendre tout passer au crible de


grilles d’analyse. Répétant toute sa carrière qu’il est un « expert
volontaire », Bob Denard finit d’ailleurs par assumer l’étiquette
de mercenaire et s’approprie la formule Orbs patria nostra (« Le
monde est notre patrie »).
Cartes
Dans l’ombre de Bob Denard

LES MERCENAIRES FRANÇAIS DANS


LA CRISE CONGOLAISE 1960-1967
RÉP. CENTRAFRICAINE SOUDAN
N
Paulis
(Isiro)
Buta

OUGANDA
Au
Stanleyville
(Kisangani)
S
R ÉP UB L I Q UE
GABON CONGO
DÉ MO CR ATI Q U E RWANDA
C Bukavu
DU CO NG O Au
D BURUNDI
Léopoldville
(Kinshasa) Sn

TANZANIE
Matadi Albertville
Luluabourg (Kalemie)
(Kananga)
D

KATANGA
Kamina

ANGOLA Kolwesi
Mn
ZAMBIE
Congo
(Kinshasa) Élisabethville Cu Co
ou RDC 200 km
(Lubumbashi)

Ressources naturelles Les actions des mercenaires


Pétrole Intervention
Mn Manganèse en 1960-1963
D Diamants Opérations de
Au Or 1964-1965
Coltan (peu important à l’époque) Soulèvement des
Cartograph ie : Cyril Cou rgea u

C
mercenaires en 1967
Pb Zn Plomb-Zinc
Sn Étain
Cu Co Cuivre-Cobalt
Ceinture de diamant
Ceinture stannifère (étain)
Ceinture cuprifère (cuivre-cobalt)

440
Cartes

Ni
ge
r
LA SÉCESSIO N B IA FRA I SE

Akure N

NIGERIA
Enugu
Benin City
Abakaliki
Asaba Awka Cr S
Onitsha os
s
iger

Golfe du Bénin

CAMER O UN
ve N

Uli
BIAFRA
Fleu

Warri Umuahia
Owerri
Aba Calabar
Yenagoa
Port-Harcourt Uyo

Golfe
Delta du Biafra
du Niger

Nigeria
100 km

Limites de l’État du Biafra proclamé indépendant le 30 mai 1967


Car togr a phie : Cyr il Cour gea u

Réduit biafrais où combattent les mercenaires en 1968-1969

Zone pétrolière

Aide française au Biafra avec présence mercenaire


Livraisons par voie aérienne de l’aide française
au Biafra et présence mercenaire

441
Dans l’ombre de Bob Denard

LES MERCENAIRES, UN OUTIL AU


SERVICE DE LA POLITIQUE DU
« PRÉ CARRÉ » FRANÇAIS EN AFRIQUE
N
MA R O C

S
S É NÉ G A L TCHAD
1981-1983
Dakar Djibouti
NIGERIA ÉTHIOPIE
CÔ T E
GUINÉE
D ’ I V O I RE BIAFRA
Abidjan BÉNIN 1967
1977
CONGO SOMALIE
Libreville (BRAZZAVILLE)
G A BO N CONGO
(KINSHASA)
KATANGA COMORES
1960-1963 1975 et 1978
ANGOLA
1976

MOZAMBIQUE
RHODÉSIE
(ZIMBABWE)
1977-1978

AFRIQUE
1 000 km

Ancien empire colonial en Afrique noire. Le « pré carré »


Ca rtogra phi e : Cyril Courg eau

Extension du « pré carré »


vers les pays francophones et la Zone franc
Utilisation des mercenaires
Pays ayant conclu des accords d’amitié et d’assistance
avec l’URSS ou la Chine
Bases françaises dans les années 1970-1980
États partenaires de la France et de ses mercenaires
Table des sigles et acronymes

ANC : African National Congress


APJ : Agent de police judiciaire
ASEC : Association des étudiants comoriens
ATM : Assistance technique militaire
CCFAN : Conseil de commandement des forces armées du Nord
CDR : Comité de défense de la République
CIA : Central Intelligence Agency
CNLE : Conseil national de libération de l’Éthiopie
COS : Commandement des opérations spéciales
EOR : Élève officier de réserve
ESSD : Entreprise de services de sécurité et de défense
DGSE : Direction générale de la sécurité extérieure
DOM : Département d’outre-mer
DST : Direction de la surveillance du territoire
FAC : Forces armées comoriennes
FAN : Forces armées du Nord
FDC : Front démocratique comorien
FLEC : Front de libération de l’enclave de Cabinda
FLERD : Front de libération et de réhabilitation du Dahomey
FM : Fusil-mitrailleur
FNLA : Front national de libération de l’Angola
FRELIMO : Front de libération du Mozambique
FROLINAT : Front de libération nationale du Tchad
FUMACO : Fusilier marin commando
GATI : Groupe d’assistance technique indépendant
GCMA : Groupement des commandos mixtes aéroportés
GEI : Groupe étranger d’intervention
GIGN : Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale
GRA : Groupe de reconnaissance autonome
GUNT : Gouvernement d’union nationale de transition
GP : Garde présidentielle

443
Dans l’ombre de Bob Denard

HC : Honorable correspondant
KNU : Karen National Union
LE : Légion étrangère
MiG : Mikoyan-Gourevitch
MPLA : Mouvement pour la libération de l’Angola
OACI : Organisation d’action contre le communisme international
OCAM : Organisation commune africaine et malgache
ONG : Organisation non gouvernementale
ONU : Organisation des Nations unies
OPJ : Officier de police judiciaire
OUA : Organisation de l’unité africaine
RENAMO : Résistance nationale du Mozambique
RCP : Régiment de chasseurs parachutistes
RDC : République démocratique du Congo
RG : Renseignements généraux
RGE : Regroupement des Guinéens de l’extérieur
RPIMA : Régiment parachutiste d’infanterie de marine
RSA : Republic of South Africa
SAC : Service d’action civique
SADF : South African Defence Force
SDECE : Service de documentation extérieure et de contre-espionnage
SDP : Seychelles Democratic Party
SGS : Société gabonaise de sécurité (puis Société gabonaise de services)
SMP : Société militaire privée
SPUP : Seychelles People United Party
SR : Service de renseignement
STIP : Service de coopération technique international de la Police
TOM : Territoire d’outre-mer
UCP : Union comorienne pour le progrès
UMHK : Union minière du Haut-Katanga
UNDC : Union nationale démocratique des Comores
UNITA : Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola
UNP : Union nationale des parachutistes
URDC : Union pour une république démocratique aux Comores
URSS : Union des républiques socialistes soviétiques
UTC : Union des travailleurs comoriens
UTMA : Union des travailleurs mahorais
VAB : Véhicule de l’avant blindé
VLRA : Véhicule léger de reconnaissance et d’appui
Repères chronologiques par pays

République démocratique du Congo


30 juin 1960 : Indépendance du Congo-Léopoldville.
11 juillet 1960 : Proclamation de la sécession katangaise par Moïse
Tshombé.
5 septembre 1960 : Chute du gouvernement de Patrice Lumumba, soup-
çonné de sympathies pour le bloc de l’Est.
17 janvier 1961 : Assassinat par les Katangais de l’ancien Premier ministre
Patrice Lumumba qui leur a été livré par Mobutu.
21 février 1961 : La résolution 161 de l’ONU autorise l’envoi d’un
contingent de Casques bleus au Congo.
Août 1961 : Gouvernement d’union nationale comprenant des lumum-
bistes (dont Antoine Gizenga et Christophe Gbenyé) et des membres du
groupe de Binza.
28 août-20 septembre 1961 : Première bataille d’Élisabethville contre les
Casques bleus.
17 septembre 1961 : Reddition des soldats de la garnison irlandaise de
Jadotville aux mains des mercenaires Michel de Clary et Henri Lasimone.
Nuit du 17 au 18 septembre 1961 : Mort du secrétaire général de l’ONU
Dag Hammarskjöld dans un crash.
5-21 décembre 1961 : Deuxième bataille d’Élisabethville.
28 décembre 1962-21 janvier 1963 : Troisième bataille d’Élisabethville.
3 janvier 1963 : Défense de Kolwezi où s’est réfugié le gouvernement
katangais par les mercenaires.
15 janvier 1963 : Moïse Tshombé négocie avec Léopoldville. Fin de la
sécession katangaise.
Janvier 1964 : Soulèvement des Simbas sous la direction de Pierre Mulélé
au Kwilu à l’ouest du Congo et de Christophe Gbenyé dans la région
de Stanleyville. Ils reçoivent rapidement le soutien du bloc communiste.

445
Dans l’ombre de Bob Denard

Juin 1964 : Départ des Casques bleus du Congo.


10 juillet 1964 : Moïse Tshombé est rappelé comme Premier ministre par
le président Kasa-Vubu.
7 septembre 1964 : Christophe Gbenyé proclame l’avènement d’une Ré-
publique populaire du Congo à Stanleyville.
24 novembre 1964 : Opération « Dragon rouge ». Les parachutistes belges
sautent sur Stanleyville. Entrée de l’Ommegang dans la ville.
Décembre 1964 : Bob Denard obtient de Moïse Tshombé et de Mobutu,
général en chef de l’ANC, la maîtrise de son recrutement et le comman-
dement autonome d’une unité mercenaire qu’il souhaite créer et qu’il
baptise 1er choc.
22 février 1965 : Arrivée de Bob Denard au Congo.
23 mars 1965 : Opération « Yangambi ».
26 mai 1965 : Opération « Violettes impériales » pour la libération
d’otages dans la région de Buta.
3 juin 1965 : Les mercenaires prennent le contrôle de Buta et libèrent des
otages européens.
19 octobre 1965 : Le président Kasa-Vubu destitue son Premier ministre
Moïse Tshombé.
25 octobre 1965 : Prise de pouvoir du général Mobutu qui devient le
nouveau chef d’État.
Novembre 1965 : Mike Hoare décide de quitter le Congo.
Juillet 1966 : Mutinerie des Katangais sous les ordres du colonel Tshipola
à Stanleyville. Bob Denard étouffe l’insurrection. Plusieurs mercenaires
présents à Kinshasa (ex-Léopoldville) et soupçonnés de collusion avec
les mutins sont arrêtés le 6 juillet avant d’être torturés et abattus par les
forces de l’ANC.
Octobre 1966 : Une cinquantaine de Katangais sont exécutés sans ju-
gement dès leur débarquement à Léopoldville ou à Coquilhatville. De
nombreux autres sont assassinés à leur retour au Katanga par les hommes
du gouverneur Jean Foster Manzikala.
5 juillet 1967 : Soulèvement des mercenaires contre Mobutu.
6 juillet 1967 : Bob Denard est blessé à la tête. Le lendemain, il aban-
donne son commandement à Jean Schramme et est évacué en Rhodésie.
7 août 1967 : Les mercenaires s’installent à Bukavu. Début du siège par
l’ANC.
3 novembre 1967 : Les mercenaires à Bukavu se rendent. Ils se réfugient
au Rwanda où ils sont ensuite pris en charge par le CICR.
5 novembre 1967 : Échec de l’opération « Lucifer » tentée par Bob De-
nard au Katanga.

446
Repères chronologiques par pays

Yémen
1918 : Indépendance du Yémen du Nord (alors sous l’autorité de l’Em-
pire ottoman). Mise en place du Royaume mutawakkilite du Yémen.
26 décembre 1961 : Rupture des relations entre le Yémen et l’Égypte.
27 septembre 1962 : L’iman-roi Muhammad Al-Badr est renversé par des
forces républicaines nasséristes qui proclament la République arabe du
Yémen avec l’aide de l’Égypte et de la Syrie. Soutenus par l’Arabie saou-
dite et la Jordanie, les zaydites, royalistes partisans d’Al-Badr, se réfugient
dans les montagnes : c’est la guerre civile.
Mars 1963-février 1964 : Offensives républicaines avec l’appui de l’armée
égyptienne.
Été 1963-automne 1964 : Présence des mercenaires français.
22 décembre 1963 : Mort de Tony de Saint-Paul, première grande figure
du mercenariat français, au Yémen.

Biafra (Nigeria)
1er octobre 1960 : Indépendance du Nigeria dans le cadre du Com-
monwealth.
15 janvier 1966 : Coup d’État par des Ibos qui portent au pouvoir le
lieutenant-colonel Ironsi.
30 juillet 1966 : Les militaires à l’origine du coup d’État placent le colo-
nel Gowon à la tête de l’État.
Janvier 1967 : Les mercenaires français sont engagés pour le Biafra.
2 mars 1967 : Ojukwu proclame qu’il ne reconnaît plus Gowon comme
chef d’État.
30 mai 1967 : Proclamation de la sécession de l’Eastern Region sous le
nom de République du Biafra.
6 juin 1967 : Premiers affrontements sur la frontière nord du Biafra.
15 août 1967 : Premières livraisons d’armes du gouvernement britan-
nique à l’armée fédérale.
1er septembre 1967 : L’armée fédérale reçoit des avions du bloc de l’Est.
28 septembre 1967 : Chute d’Enugu aux mains de l’armée fédérale.
23 mars 1968 : L’armée fédérale reprend Onitsha.
8 mai 1968 : Le Gabon reconnaît le Biafra.
14 mai 1968 : La Côte d’Ivoire reconnaît le Biafra.
24 mai 1968 : L’armée fédérale s’empare de Port-Harcourt.
23 août 1968 : Chute d’Aba.
Août 1968 : Rolf Steiner quitte le service biafrais, renvoyé par Ojukwu.

447
Dans l’ombre de Bob Denard

22 avril 1969 : Chute de la nouvelle capitale biafraise Umuahia.


23 juillet 1969 : Les troupes biafraises reprennent Onitsha.
11 janvier 1970 : Ojukwu se réfugie en Côte d’Ivoire.
13 janvier 1970 : Reddition des forces biafraises.

Gabon
17 août 1960 : Proclamation de l’indépendance gabonaise. Le président
Léon Mba s’inscrit dans la politique du « pré carré » français et dans la
mouvance d’un anticommunisme modéré.
18 février 1964 : Tentative de coup d’État militaire mené par de jeunes
officiers formés contre Léon Mba.
Nuit du 18 au 19 février 1964 : Intervention des forces françaises de Dakar
et Brazzaville, sur ordre de Paris. Léon Mba est rétabli dans ses fonctions.
24 juillet 1964 : Création de la Garde républicaine gabonaise confiée à
Bob Maloubier.
28 février 1967 : Mort du président Léon Mba. Aussitôt, le vice-pré-
sident, Albert Bernard Bongo, prête serment et lui succède. Il adopte
ensuite en 1973 le nom d’Omar Bongo en se convertissant à l’islam.
4 juin 1970 : La Garde républicaine devient Garde présidentielle et est
dirigée par Loulou Martin.
1977 : Création de la société de sécurité SGS dont Bob Denard et Mau-
rice Robert sont les principaux actionnaires.
21 juin 1979 : Assassinat du Français Robert Bossard, président de Die-
sel-Gabon. Les soupçons se portent notamment vers les mercenaires fran-
çais de Bob Denard.
27 octobre 1979 : Assassinat à Villeneuve-sur-Lot du Français Robert
Luong, membre de la GP et amant supposé de l’épouse d’Omar Bongo.
Les mercenaires sont à nouveau soupçonnés.

Libye
1er septembre 1969 : Coup d’État de Mouammar Kadhafi. Chute de la
monarchie d’Idriss Ier.
11 juin 1970 : Évacuation des dernières bases étrangères (occidentales)
sur les territoires.
1970 : Projets d’opérations mercenaires contre la Libye : la première sous
Roger Bruni commanditée par le MI-6, la seconde sous Bob Denard
pour le Maroc.

448
Repères chronologiques par pays

Congo-Brazzaville
1960 : Fulbert Youlou devient le premier président du Congo indépen-
dant. Il s’inscrit dans la politique du « pré carré français » et de l’anticom-
munisme.
13-15 août 1963 : Trois Glorieuses – Fulbert Youlou est contraint à la
démission. À l’initiative de son successeur, Alphonse Massamba-Débat,
le pays se rapproche de la Chine maoïste et bascule vers le bloc de l’Est
(devenant la République populaire du Congo en 1970).
1971-5 mai 1972 : Projet d’opération pour le rétablissement à la tête du
pays de Fulbert Youlou jusqu’au décès de ce dernier.
1988-1990 : Contacts entre Bob Denard et un groupe d’opposants à
Denis Sassou Nguesso.

Kurdistan irakien
1958-1970 : Résistance récurrente des Kurdes avec le soutien des États-
Unis, d’Israël et de l’Iran contre les militaires au pouvoir à Bagdad. Mous-
tapha Barzani est le chef des Peshmergas.
Mars 1970 : Un accord de paix prévoit la reconnaissance des Kurdes
comme composante à part entière de la population irakienne.
Avril 1974 : Nouveau soulèvement kurde. Bagdad obtient de Téhéran
l’abandon du soutien aux Kurdes irakiens OU IRANIENS ?
Printemps 1974 : Bob Denard et son équipe opèrent quelques semaines
auprès des Peshmergas.
1975 : Moustapha Barzani est défait par les forces irakiennes comman-
dées par Saddam Hussein ; il fuit vers l’Iran. Fin du projet de contrat avec
les mercenaires.

Guinée
Septembre 1958 : La Guinée est la seule colonie française à rejeter l’adhé-
sion à la Communauté proposée par le général de Gaulle.
2 octobre 1958 : La Guinée devient indépendante. Le marxiste Sekou
Touré en devient le président.
17 octobre 1965 : Sekou Touré rompt toute relation avec la France, pro-
voquant l’isolement diplomatique de la Guinée et l’hostilité de ses voisins
(notamment la Côte d’Ivoire et le Sénégal).
1967 : Création, avec la bienveillance de l’Ivoirien Félix Houphouët-Boi-

449
Dans l’ombre de Bob Denard

gny, du parti d’opposition à Sékou Touré FNLG. Des leaders en exil du


RGE, autre mouvement d’opposition, sont également accueillis en Côte
d’Ivoire ou au Sénégal.
1975 : Entraînement dans les Landes de combattants pour l’opposition
au président socialiste Sékou Touré.

Angola
Années 1960 : Combat de libération nationale mené par trois groupes
contre les Portugais : le MPLA, le FNLA et l’UNITA.
25 avril 1974 : « Révolution des œillets » à Lisbonne.
22 octobre 1974 : Cessez-le-feu entre le FNLA et l’armée portugaise.
15 janvier 1975 : Accords d’Alvor pour préparer la transition vers l’indé-
pendance.
22 octobre 1975 : Opération « Zulu » lancée par l’Afrique du Sud qui sou-
haite empêcher le basculement de l’Angola vers un pouvoir procommu-
niste. Opération « IE Feature » prévue par la CIA pour soutenir l’UNITA
pro-occidentale.
11 novembre 1975 : Indépendance de l’ancienne métropole portugaise
proclamée par le MPLA à Luanda d’un côté et par le FNLA et l’UNITA
à Huambo de l’autre. Guerre civile entre le MPLA, le FNLA et l’UNITA
(soutenue par les États-Unis).
Novembre 1975 : Opération « Carlotta » : soutien du bloc de l’Est au
MPLA. Envoi d’un contingent de combattants cubains.
Janvier 1976 : Début de retrait des forces sud-africaines. Arrivée de
l’équipe de mercenaires sous les ordres d’André Cau. Soutien au FLEC
d’une autre équipe confiée à René Dulac dans l’enclave du Cabinda.
Fin février 1976 : Les mercenaires quittent l’Angola.

Mauritanie
28 novembre 1960 : Indépendance de la Mauritanie. Moktar Ould Dad-
dah en devient le président en 1961.
1976 : La Mauritanie se range aux côtés du Maroc d’Hassan II pour
affronter le Front Polisario au Sahara occidental.
Avril 1976 : Mission de conseil de Bob Denard pour la constitution d’une
GP.

450
Repères chronologiques par pays

Bénin
1er août 1960 : Indépendance sous le nom de Dahomey avec une forte
instabilité.
17 juillet 1968 : Après la prise en main du pouvoir par les militaires l’an-
née précédente, Émile Derlin Zinsou est nommé président de la Répu-
blique. Il est renversé en décembre 1969.
26 octobre 1972 : Coup d’État de Mathieu Kérékou qui établit un régime
marxiste. Le pays devient la République populaire du Bénin. Derlin Zin-
sou est l’un des principaux opposants du nouveau régime.
16 janvier 1977 : Tentative de coup d’État contre Mathieu Kérékou par
les mercenaires français.

Rhodésie
11 novembre 1965 : Indépendance proclamée par les élites blanches et non
reconnue par la Grande-Bretagne. Ian Smith devient Premier ministre.
1966 : Début de la guérilla noire animée par la ZAPU et la ZANU,
toutes deux soutenues par le bloc de l’Est.
1968 : Début des sanctions internationales contre la Rhodésie.
25 août 1975 : Échec des négociations entre le gouvernement et la gué-
rilla sous l’égide de l’Afrique du Sud.
29 septembre 1977 : Rencontre à Zurich entre les représentants des auto-
rités rhodésiennes et les mercenaires Mario Laviola et Roland de L’As-
somption.
Octobre 1977 : Début des opérations de la 7th Independent Company
contre les forces de la guérilla à la frontière du Mozambique.
17 janvier 1978 : Premières contestations des mercenaires contre l’état-
major rhodésien.
13 mai 1978 : La Rhodésie licencie la 7th Independent Company.
Avril 1979 : Premières élections multiraciales.
1er juin 1979 : Abel Muzorewa, premier Premier ministre noir de la nou-
velle Zimbabwe-Rhodésie.

Comores
1946 : Les Comores deviennent un territoire d’outre-mer.
1972 : Ahmed Abdallah devient président du Conseil de gouvernement
des Comores.

451
Dans l’ombre de Bob Denard

Décembre 1974 : Référendum sur l’indépendance comorienne.


6 juillet 1975 : Proclamation unilatérale de l’indépendance par Ahmed
Abdallah (sauf Mayotte).
3 août 1975 : Prise de pouvoir d’Ali Soilih. Ahmed Abdallah se réfugie
sur l’île d’Anjouan.
21 septembre 1975 : Opération des mercenaires français contre Anjouan
pour déloger Ahmed Abdallah. Ali Soilih est désormais maître de toutes
les îles (sauf Mayotte restée française).
12 décembre 1975 : Rapatriement de tous les fonctionnaires français.
Les Comores sont privées de toute assistance technique de la part de la
France.
Juillet 1976 : Tous les mercenaires encore présents aux Comores quittent
l’archipel.
Février 1977 : Premiers préparatifs d’une opération en faveur d’Ahmed
Abdallah.
Octobre 1977 : Montage du projet par voie maritime. Achat de l’Antinea.
Nuit du 12 au 13 mai 1978 : Les mercenaires prennent position pour un
débarquement dans la baie encaissée d’Itsandra au nord de Moroni.
13 mai 1978 : Coup d’État mené par les mercenaires. Ali Soilih est cap-
turé et retenu en détention.
23 mai 1978 : Mise en place à la tête du pays d’un directoire dirigé par
deux coprésidents, Ahmed Abdallah et Mohamed Ahmed, et de six
membres, parmi lesquels Bob Denard.
Juillet 1978 : Bob Denard quitte le directoire.
28 septembre 1978 : Bob Denard quitte les Comores.
23 octobre 1978 : Ahmed Abdallah est élu président de la République.
Fin 1978-septembre 1979 : Jean-Louis Millote est commandant de la GP.
Septembre 1979 : Après l’affaire Millote, la GP est confiée au comman-
dant Charles.
1982 : Dissolution des partis d’opposition.
30 septembre 1984 : Réélection du président Ahmed Abdallah. L’opposi-
tion comorienne se structure en exil.
8 mars 1985 : Tentative de soulèvement suscitée par l’opposition como-
rienne au sein de la GP contre les cadres européens.
19 mars 1986 : Marqués prend le commandement de la GP.
30 novembre 1987 : Nouvelle tentative de soulèvement.
6 décembre 1987 : Trois des comploteurs sont abattus lors d’une tentative
d’évasion.
Nuit du 26 au 27 novembre 1989 : Mort du président Ahmed Abdallah
dans des circonstances troubles.

452
Repères chronologiques par pays

27 novembre 1989 : Saïd Mohamed Djohar devient président par inté-


rim (puis est élu président en 1990).
13-16 décembre 1989 : Opération « Oside » menée par la France contre
les mercenaires de la GP. Chute des mercenaires ; Bob Denard part s’ins-
taller en Afrique du Sud.
28 septembre 1995 : Les mercenaires de Bob Denard reprennent le
contrôle des Comores (opération « Kashkazi »).
3-6 octobre 1995 : Opération « Azalée » de l’armée française pour neutra-
liser les mercenaires.

Seychelles
1974 : James Mancham devient Premier ministre de la colonie britan-
nique.
5 juin 1977 : Coup d’État de France-Albert René.
1980 : Projet d’opération des mercenaires français.
Novembre 1981 : Tentative avortée de renversement de France-Albert
René par Mike Hoare.

Tchad
11 août 1960 : Indépendance du Tchad. François Tombalbaye devient
président, tandis que la moitié nord du pays demeure sous contrôle de
l’armée française.
Octobre 1965 : Début de la guerre civile tchadienne avec un soulèvement
dans le nord du pays.
1966 : Création du FROLINAT qui s’oppose à François Tombalbaye.
1968-1969 : Interventions françaises en soutien au président Tombalbaye
contre le FROLINAT soutenu par la Libye.
1973 : Nouvelle intervention libyenne. Le FROLINAT éclate en deux
tendances : les pro-Libyens dirigés par Goukouni Oueddei et les anti-Li-
byens emmenés par Hissène Habré.
13 avril 1975 : Coup d’État militaire contre François Tombalbaye, rem-
placé par Félix Malloum.
Juin 1978 : Combats entre les forces françaises (opération « Tacaud ») et
les militants du FROLINAT.
29 août 1978 : Hissène Habré devient Premier ministre de Félix Malloum.
Février 1979 : Nouvelle guerre civile. Félix Malloum se retire de la vie
politique.

453
Dans l’ombre de Bob Denard

23 mars 1979 : Goukouni Oueddei devient président du Gouvernement


d’union nationale de transition (GUNT) et Hissène Habré son ministre
de la Défense.
Mars 1980 : Hissène Habré rompt avec Goukouni Oueddei. Après avoir
brièvement occupé N’Djamena, il en est chassé par Goukouni Oueddei
aidé par les forces libyennes.
Décembre 1980 : Victoire de Goukouni Oueddei sur Hissène Habré
grâce à l’appui des forces libyennes.
Janvier 1981 : Goukouni Oueddei annonce la fusion du Tchad et de la
Libye mais ses relations avec M. Kadhafi se détériorent rapidement.
Septembre 1981 : Arrivée des mercenaires français en appui à Hissène
Habré.
Novembre 1981 : Retrait des forces libyennes (sauf bande d’Aozou).
7 juin 1982 : Victoire d’Hissène Habré qui s’empare de N’Djamena et
renverse Goukouni Oueddei. Projet d’un GP tchadienne.
Décembre 1982-février 1983 : Participation des mercenaires à l’offensive
des forces d’Hissène Habré vers le nord.
Juin-juillet 1983 : Après la prise de Faya-Largeau par Goukouni Oued-
dei et ses soutiens libyens, une troisième équipe de mercenaires venus
des Comores doit conseiller Hissène Habré. Ils sont écartés au profit du
groupe Omega sous les ordres de Dulac et commandité par le ministère
français de la Coopération.
10 août 1983 : Déclenchement de l’opération « Manta » de l’armée fran-
çaise pour soutenir Hissène Habré.
Sources et orientations bibliographiques

A. SOURCES

I. Archives et documentations institutionnelles

Archives du ministère des Affaires étrangères


Série Afrique-Levant
Congo belge-RDC : 47 (recrutement de mercenaires).
Nigeria : 11 (questions militaires 1966-1970) et 13-14 (guerre du Biafra).

Centre des Archives diplomatiques de Nantes


Ambassade de Bruxelles : 79, 80, 81, 82, 83 (Congo), 132 et 166 (expor-
tation d’armes de Belgique et trafic).
Ambassade de Kinshasa : 16 (incidents avec le Katanga 1960-1963), 29-
31 (presse 1960-1964), 32-36 (Katanga 1960-1963), 77-78-79 (ONUC
1960-1966).

Archives diplomatiques belges


14 662 (situation au Katanga 1960-1963), 18 802 (RDC et le Rwanda)
et 18 882/ VI à IX (situation au Katanga 1960-1963 et en RDC 1964-
1967, mercenaires).

455
Dans l’ombre de Bob Denard

Documents judiciaires français


Jugement de la 14e chambre du tribunal de grande instance de Paris ren-
du le 20 juin 2006, affaire n° 9528637979.

Bibliothèque du Congrès, département des manuscrits


Entretien avec l’ambassadeur Harold W. Geisel réalisé le 30 juin 2006.

Rapports et textes internationaux


ONU
– Convention internationale contre le recrutement, l’utilisation, le finan-
cement et l’instruction de mercenaires (Résolution de l’Assemblée géné-
rale 44/34 le 4 décembre 1989, supplément n° 49).
– Demande d’inscription d’une question additionnelle à l’ordre du jour
de la 44e session de l’Assemblée générale le 14 décembre 1989, A-44-249
(à propos de la mort du président Ahmed Abdallah aux Comores).
– Protocole I, article 47, addition à la convention de Genève du 12 août
1949, se référant à la protection des victimes de conflits internationaux
armés (protocole 1), UN Doc. A/32/144, annexe 1 (1977).
– Rapport au secrétaire général de l’ONU de l’officier général en charge
de l’opération au Congo le 20 août 1962, S-0888-0006-02-00001 (à
propos des mercenaires arrêtés au Katanga).
– Rapport adressé au secrétaire général par le fonctionnaire en charge
de l’opération des Nations unies au Congo le 31 octobre 1962, S-
5053-Add.12-/Add.1 (liste de mercenaires encore présents au Katanga).
– Rapport du comité du Conseil de sécurité créé en application de la
résolution 253 (1968) concernant la question de la Rhodésie du Sud le
4 mai 1979, S-13296 (mercenaires au service du pouvoir rhodésien).
– Rapport de la mission spéciale du Conseil de sécurité en République po-
pulaire du Bénin constituée en vertu de la résolution 404-1977, S/12294
et Add/1 (à propos de l’opération visant à renverser le pouvoir en place).
– Résolution de l’Assemblée générale 24/65, 23 UN GAOR supplément
n° 18, document ONU A/7218 en 1968 (à propos de la plainte de la
RDC contre les mercenaires révoltés).

456
Sources et orientations bibliographiques

OUA
Convention sur l’élimination des mercenaires en Afrique, OUA Docu-
ment CM/433/Rev. L., 1972.

II. Sources privées

Archives privées Bob Denard


Ce fonds privé non classé comprend près d’une centaine de grands cartons
de déménagement où se mêlent ouvrages de la bibliothèque personnelle
de Bob Denard, papiers liés aux déplacements (papiers à en-tête d’hôtels,
d’avions, notes de frais…), papiers privés liés au mercenariat (correspon-
dances notamment) et archives administratives des différents États par
lesquels le mercenaire a pu passer (RDC et Comores notamment), presse,
photos personnelles, enregistrement audio… Les cartons sont numérotés.
Sont ici cités ceux qui ont été principalement utilisés avec le(s) théâtre(s)
d’opérations concernés et des indications thématiques.

Cartons 29 (projet Congo-Brazzaville en 1971, Gabon, Angola, Bénin,


projet de GP pour la Mauritanie, projet d’opération « Margareth » aux
Maldives en 1980, Tchad) ; 31 (effectifs Congo et années 1970) ; 32 (GP
Comores) ; 42 (GP Comores) ; 43 (GP Comores) ; 44 (Bénin, opposi-
tion aux Comores) ; 51 (Katanga, opérations et personnels Congo) ; 54
(GP Comores) ; 56 (Congo 1965-1967) ; 58 (Comores 1978-1981) ; 68
(Katanga, Congo 1966-1967) ; 74 (Biafra, projet d’opération en Libye) ;
78 (Katanga-Angola 1963, Angola, poursuites judiciaires pour le Bénin)
et 88 (affaires judiciaires de Bob Denard).

Entretiens oraux
– Entretiens avec cinq anciens mercenaires français ayant désiré conserver
un anonymat absolu lors de la réunion à Grayan pour commémorer le
5e anniversaire de la mort de Robert Denard les 13 et 14 octobre 2012.
– Entretien avec Abdoulhamid Abdourazakou, chef de la gendarmerie
fédérale comorienne de 1978 à 1989, ancien chef d’état-major des forces
comoriennes et actuellement président de la cour constitutionnelle des
Comores, à Paris le 15 novembre 2013.

457
Dans l’ombre de Bob Denard

– Entretien avec Yann Alain, fils d’Henry Alain, mercenaire mort en


Angola­en 1976, à Aix-en-Provence le 22 novembre 2012.
– Entretien avec Philippe Chapleau, journaliste qui a assisté Robert
Denard en Afrique du Sud en 1992-1993, à Aix-en-Provence le 22 no-
vembre 2012.
– Entretien avec Henri Clément et Pierre Chassin, anciens mercenaires,
à Paris le 24 janvier 2014.
– Entretien avec O. D., dit Lenormand, ancien mercenaire, le 2 avril
2013 à Montpellier.
– Entretien avec Jacques Duchemin, ancien conseiller militaire et mi-
nistre du président du Katanga, Moïse Tshombé, le 14 mai 2013 à Paris.
– Entretiens avec Michel de Hasque, ancien mercenaire, à Grayan le
14 octobre 2012 et à Bruxelles le 27 avril 2013.
– Entretien avec J.-P. D., dit Jean-Philippe, ancien mercenaire, le 20 oc-
tobre 2012 à Aix-en-Provence.
– Entretien avec J.-P. K. dit Jean-Pierre, ancien mercenaire, à Paris le
20 juillet 2011.
– Entretien avec Michel Neyt, ancien capitaine de l’Ommegang en 1964-
1965 à Bruxelles le 27 avril 2013.
– Entretiens avec F.X. S., dit Aifix, ancien mercenaire, à Paris les 21 juillet
2011, 23 mars 2012 et à Aix-en-Provence le 22 novembre 2012.
– Entretiens avec T. T., dit Villeneuve, ancien mercenaire, les 20 juillet
2011 et 20 juillet 2012.
– Entretien avec p. V. de K., dit Max, ancien mercenaire, le 20 octobre
2012 à Aix-en-Provence.

Entretiens téléphoniques
– Entretien avec Cheikh Hafedh Abdourazakou, lieutenant-chef de la
division formation de l’établissement logistique du commissariat des ar-
mées à Roanne, le 4 juillet 2013.
– Entretien avec Philippe Chapleau le 4 octobre 2012.
– Entretien avec Abdelaziz Riziki Mohamed, intellectuel comorien exilé
en France, docteur en sciences politiques et administrateur du site www.
lemohelien.com, le 1er juillet 2013.

458
Sources et orientations bibliographiques

Témoignages et mémoires inédits


– Lefèvre Christian, sans titre, 2 p., transmis par Pascal Gauchon.
– Loiseau Michel, Mémoires inédits de Bosco, mémoire dactylographié, 12
chapitres avec plusieurs versions parfois d’un même chapitre.
– Pinaton Hubert, Compte rendu de monsieur Hubert Pinaton sur son sé-
jour au Congo-Kinshasa, mémoire manuscrit, 74 p.

Témoignages et mémoires publiés


– Captain Armand, Biafra vaincra, Paris, Éditions France-Empire, 1969,
268 p. Sous ce pseudonyme se cache Armand Ianarelli.
– Chassin Pierre, Baroud pour une autre vie, Paris, Jean Picollec, 2000,
363 p.
– Denard Bob, Corsaire de la République, Paris, R. Laffont, 1998, 436 p.
– Devlin Lawrence, CIA : mémoire d’un agent. Quand j’étais chef de poste
pendant la guerre froide, Paris, Jourdan éditeur, 2009, 351 p.
– Djohar Saïd Mohamed, Mémoires du président des Comores : quelques
vérités qui ne sauraient mourir, Paris, L’Harmattan, 2012, 344 p.
– Foccart Jacques, Journal de l’Élysée. Tome 1 : Tous les soirs avec De Gaulle
(1965-1967), Paris, Fayard-Jeune Afrique, 1997, 800 p.
– Foccart Jacques, Journal de l’Élysée. Tome 2 : Le Général en mai (1968-
1969), Paris, Fayard, 1998, 790 p.
– Foccart Jacques, Journal de l’Élysée. Tome 3 : Dans les bottes du général
(1969-1971), Paris, Fayard-Jeune Afrique, 1999, 790 p.
– Foccart Jacques, Journal de l’Élysée. Tome 4 : La France pompidolienne
(1971-1972), Paris, Fayard-Jeune Afrique, 2000, 650 p.
– Le Bailly Jacques, Notre guerre au Katanga, Paris, Albin Michel (témoi-
gnages de Trinquier et Duchemin).
– Lobjois Philippe, Hugo Franck, Mercenaires de la République ; quinze
ans de guerres secrètes, Paris, Nouveau Monde éditions, 2009, 429 p.
– Ollivier Patrick, Soldat de fortune, Paris, Gérard de Villiers, 1990, 263 p.
– Ollivier Patrick, Commandos de brousse, Paris, Grasset, 1985, 275 p.
– Penne Guy, Mémoires d’Afrique 1981-1998, Paris, Fayard, 1999, 392 p.

459
Dans l’ombre de Bob Denard

– Marenches Alexandre de, Ockrent Christine, Dans le secret des princes,


Paris, Stock, 1986, 341 p.
– Maurice Robert, Ministre de l’Afrique, entretien avec André Renault,
Paris, Seuil, 2004, 412 p.
– Sanchez Jean-Claude, La dernière épopée de Bob Denard, Paris,
Pygmalion­, 2010, 233 p.
– Schramme Jean, Le bataillon Léopard. Souvenir d’un Africain blanc,
Paris, Robert Laffont, 1969, 359 p.
– Silberzahn Claude, Au cœur du secret : 1 500 jours à la tête de la DGSE
(1989-1993), Paris, Fayard, 1995, 330 p.
– Smiley David, Au cœur de l’action clandestine : des commandos au MI-6,
Paris, L’Esprit du livre, 2008, 344 p.
– Steiner Rolf, Carré rouge, du Biafra au Soudan, le dernier condottiere,
Paris, R. Laffont, 1976, 450 p.
– Stockwell John, In Search of Enemies: a CIA Story, New York, W. W.
Norton, 1978, 285 p.
– Tressac Hugues de, Tu resteras ma fille : le nouveau combat d’un soldat de
fortune, Paris, Plon, 1992, 235 p.
– Trinquier Roger, Le temps perdu, Paris, Robert Laffont, 1978, 442 p.
– Vandewalle Frédéric, Odyssée et reconquête de Stanleyville 1964 :
l’Ommegang­, Bruxelles, Librairie générale de sciences humaines-Le Livre
africain, 1970, 345 p.

III. Presse

Quotidiens
Le Canard enchaîné, La Dépêche, Le Figaro, L’Humanité, Libération, Le
Journal du dimanche, Le Monde, The Times, La Tribune de Genève, The
Washington Post.

460
Sources et orientations bibliographiques

Hebdomadaires
L’Événement du Jeudi, L’Express, Le Nouvel Observateur, Paris-Match, Le
Point, Zondags Nieuws

Bimensuels
Les Dossiers du Canard enchaîné, La Lettre du Continent, Le Petit
Crapouillot­.

B. INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

La bibliographie ci-dessous est sélective. Elle ne prend en compte qu’une


partie de l’abondante littérature consacrée à la « Françafrique » ou aux
mercenaires.

Méthodologie et outils
– Awananengo Séverine, Barthélémy Pascale et Tshimanga Charles, Écrire
l’histoire de l’Afrique autrement, Paris, L’Harmattan, 2004, 280 p.
– Balancie Jean-Marc, de La Grange Arnaud, Mondes rebelles : acteurs,
conflits et violences politiques, Paris, Michalon, 1996, 2 volumes.
– Bayart Jean-François, Les études postcoloniales, Paris, Karthala, collec-
tion « Disputatio », 2010, 126 p.
– Bedarida François, « Le temps présent et l’historiographie contem-
poraine », Vingtième siècle, Revue d’histoire, n° 69, janvier-mars 2001,
p. 153-160.
– André-Paul Comor, La Légion étrangère. Histoire et dictionnaire, Paris,
R. Laffont collection « Bouquins », 2013, 1 140 p.
– Descamp Florence, Les sources orales et l’histoire. Récits de vie, entretiens,
témoignages oraux, Paris, Bréal, 2006, 287 p.
– Friedmann Lawrence, Atlas de la guerre froide, Paris, Autrement, 2004,
224 p.

461
Dans l’ombre de Bob Denard

– IHTP, Écrire l’histoire du temps présent. En hommage à François Bedarida­,


Paris, CNRS éditions, 2004, 417 p.
– Laurent Sébastien, Archives « secrètes », secrets d’archives : l’historien et
l’archiviste face aux archives sensibles, Paris, CNRS éditions, 2003, 288 p.
– Smith Stephen, Atlas de l’Afrique, Paris, Autrement, 2009, 80 p.
– Soulet Jean-François, L’histoire immédiate : historiographie, sources, mé-
thode, Paris, A. Colin, collection « U », 2009, 238 p.
– Tertrais Bruno, Atlas militaire et stratégique, Paris, Autrement, 2008,
227 p.

Histoire de l’Afrique et de ses États


– Buijtenhuijs Robert, Le Frolinat et les guerres civiles du Tchad, Paris,
Karthala, 1987, 479 p.
– Cooper Frederick, Africa since 1940. The Past of the Present, Cambridge,
Cambridge University Press, 2002, 230 p.
– D’Almeida-Topor Hélène, L’Afrique du xxe siècle à nos jours, Paris,
A. Colin, 2010, 399 p.
– D’Almeida-Topor Hélène, Naissance des États africains, Bruxelles,
­Casterman-Giunti­, 1996, 127 p.
– Deschamps Alain, Les Comores d’Ahmed Abdallah : mercenaires, révolu-
tionnaires et coelacanthe, Paris, Karthala, 2005, 189 p.
– De Witte Ludo, L’assassinat de Patrice Lumumba, Paris, Karthala, 2000,
415 p.
– Fauvelle-Aymar François-Xavier, Histoire de l’Afrique du Sud, Paris,
Seuil, collection « Univers historique », 2006, 469 p.
– Guébourg Jean-Louis, La Grande Comore : des sultans aux mercenaires,
Paris, L’Harmattan, 2000, 272 p.
– Hudson Andrew, Congo Unravelled: Military Operations from
Independence­to the Mercenary Revolt 1960-1968, London, Solihull,
­
2012, 63 p.
– Hugon Anne, Introduction à l’histoire de l’Afrique contemporaine, Paris,
A. Colin, 1998, 95 p.
– Kennes Erik, Fin du cycle postcolonial au Katanga, RD Congo : rébellions,
sécessions et leurs mémoires dans la dynamique des articulations entre l’État

462
Sources et orientations bibliographiques

central et l’autonomie régionale 1960-2007, thèse (de sciences politiques)


sous la direction de Johanna Siméant, université de Paris-I, 2009, 643 p.
– Koula Yitzhak, La démocratie congolaise brûlée au pétrole, Paris,
L’Harmattan­, 2000, 219 p.
– Lugan Bernard, Histoire de l’Afrique du Sud, Paris, Ellipses, 2010, 551 p.
– Mattoir Nakidine, Les Comores de 1975 à 1990, une histoire mouvemen-
tée, Paris, L’Harmattan, 2004, 192 p.
– Petithomme Mathieu, Les élites postcoloniales et le pouvoir politique en
Afrique subsaharienne, Paris, L’Harmattan, collection « Études eurafri-
caines », 2009, 312 p.
– Vandewalle Dirk, A History of Modern Libya, Cambridge, Cambridge
University Press, 2006, 246 p.

Décolonisations, géopolitique et relations internationales


– Ageron Charles-Robert et Michel Marc, L’Afrique noire française : l’âge
des indépendances, Paris, CNRS éditions, 2010, 797 p.
– Akaga Jean-Félix, Mercenariat et armes légères : facteurs aggravants de
l’instabilité en Afrique subsaharienne de 1977 à 2004, mémoire de master
II sous la direction d’Hervé Coutau-Bégarie, E.P.H.E., 2007, 95 p.
– Bat Jean-Pierre, Le syndrome Foccart : la politique française en Afrique de
1959 à nos jours, Paris, Gallimard, collection « Folio », 2012, 838 p.
– Bat Jean-Pierre, Geneste Pascal, « Jean Mauricheau-Beaupré : de
Fontaine­à Mathurin, JMB au service du général », Relations internatio-
nales, 2010/2, n° 142, p. 87-100.
– Benquet Patrick, Françafrique. 1. La « raison d’État » 2. L’argent roi,
Paris, Compagnie des phares et balises, 2010, film documentaire de deux
fois 80 minutes.
– Braeckman Colette, Congo 1960 : échec d’une décolonisation, Bruxelles,
André Versailles, 156 p.
– Baulin Jacques, La politique africaine d’Houphouët-Boigny, Paris,
­Eurafor-Press, 1980, 215 p.
– Bayart Jean-François, La politique africaine de François Mitterrand,
Paris­, Karthala, 1984, 149 p.
– Brocheux Pierre (sous la dir.), Les décolonisations au xxe siècle : la fin des

463
Dans l’ombre de Bob Denard

empires européens et japonais, Paris, A. Colin, 2012, 328 p.


– Bugwabari Nicodème, La politique subsaharienne du Maroc de 1956 à
1984, thèse sous la direction du professeur Jean-Claude Allain, université
Paris-I, 1997, 467 p.
– Centre d’étude d’Afrique noire, La politique africaine du général de
Gaulle (1958-1969), Paris, Pedone, 1980, 421 p.
– Centre tricontinental, Géopolitique militaire et commerce des armes dans
le Sud, Paris, L’Harmattan, 1998, 194 p.
– Calmettes Joseph, Histoires secrètes du Biafra, Paris, Beta digital, film
documentaire de 55 minutes.
– Chaliand Gérard, L’enjeu africain, géostratégies des puissances, Paris,
Seuil, 1980, 155 p.
– Clergerie Jean-Louis, La crise du Biafra, Paris, PUF, 1994, 385 p.
– Cloarec Vincent, Laurens Henry, Le Moyen-Orient au xxe siècle, Paris,
A. Colin, 2003, 255 p.
– Djona Madi, L’organisation de l’Unité africaine et la sécurité en Afrique,
thèse sous la direction du professeur Jean-Claude Allain, université de
Paris-I, 1999, 514 p.
– Domergue-Cloarec Danielle, L’Europe et l’Afrique après les indépen-
dances, Paris, Sedes, 1994, 405 p.
– Droz Bernard, Histoire de la décolonisation au xxe siècle, Paris, Seuil,
2006, 390 p.
– Durand Pierre-Michel, L’Afrique et les relations franco-américaines des
années 1960 : aux origines de l’obsession américaine, Paris, L’Harmattan,
2007, 554 p.
– Frank Robert (sous la dir.), Pour l’histoire des relations internationales,
Paris, PUF, 2012, 756 p.
– Gifford Prosser, Decolonization and African Independence: The Transfers
of Power 1960-1980, New Heaven, Yale University Press, 1988, 651 p.
– Glaser Antoine, Smith Stephen, Ces messieurs Afrique : le Paris-village du
continent noir, Paris, Calmann-Lévy, 1997, 235 p.
– Glaser Antoine, Smith Stephen, Ces messieurs Afrique : des réseaux aux
lobbies, Paris, Calmann-Lévy, 1997, 286 p.
– Gounin Yves, La France en Afrique, Bruxelles, De Boeck université,
2009, 192 p.

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Sources et orientations bibliographiques

– Le Hunsec Mathieu, La Marine nationale en Afrique depuis les indépen-


dances : cinquante ans de diplomatie navale dans le golfe de Guinée, Paris,
SHD, 2011, 325 p.
– Martel André, La Libye, 1835-1990, essai de géopolitique historique,
PUF, 1991, 260 p.
– Migani Guia, La France et l’Afrique subsaharienne 1957-1963, Bruxelles,
p.I.E. Peter Lang, collection « Euroclio », 2008, 295 p.
– Mwamba Mputu Baudoin, Histoire des rivalités franco-belges au Congo
de Léopold II à Mobutu, Paris, Éditions Bayanda, 2008, 162 p.
– Neau Jackie, L’intervention de la France dans le conflit tchadien, Paris,
Mémoires d’hommes, 2006, 172 p.
– Ngoupandé Jean-Paul, L’Afrique sans la France : histoire d’un divorce
consommé, Paris, Albin Michel, 2002, 393 p.
– Obiang Jean-François, France-Gabon, pratiques clientélaires et logiques
d’État dans les relations franco-africaines, Paris, Karthala, 2007, 392 p.
– Péan Pierre, Affaires africaines, Paris, Fayard, 1983, 340 p.
– Péan Pierre, L’homme de l’ombre : éléments d’enquête autour de Jacques
Foccart, l’homme le plus mystérieux et le plus puissant de la Ve République,
Paris, Fayard, 1990, 594 p.
– Roosens Claude, « Les États-Unis et la sécession du Katanga 1960-
1963 », Studia diplomatica, n° 35-4, 1982, p. 371-415.
– Soutou Georges-Henri, La guerre de cinquante ans. Le conflit Est-Ouest
1943-1990, Paris, Fayard, 2001.
– Tourbe Cédric, Foccart, l’homme qui dirigeait l’Afrique, Paris, K’ien
Production­, 2010, film documentaire de 90 minutes.
– Turpin Frédéric, De Gaulle, Pompidou et l’Afrique 1958-1974, Paris, Les
Indes savantes, 2010, 335 p.
– Vaïsse Maurice, Puissance ou influence. La politique étrangère de la France
depuis 1958, Paris, Fayard, 2009, 649 p.
– Vauterin Stéphane, L’archipel des Comores dans les relations internatio-
nales 1975-1989 : de l’indépendance à la dépendance, mémoire de maîtrise,
université Aix-Marseille I, 1994, 177 p.
– Verschave François-Xavier, La Françafrique : le plus long scandale de la
République, Paris, Stock, 1998, 379 p.

465
Dans l’ombre de Bob Denard

– Verschave François-Xavier, France-Afrique : le crime continue, Lyon,


Tahin Party, 2000, 75 p.

Histoire des pratiques et des idées politiques


– Audigier François, Histoire du SAC : la part d’ombre du gaullisme, Paris,
Stock, 2008, 521 p.
– Audigier François, Lachaise Bernard, Laurent Sébastien, Les gaullistes :
hommes et réseaux, Paris, Nouveau Monde éditions, 2013, 604 p.
– Bayart Jean-François, L’État en Afrique : la politique du ventre, Paris,
Fayard, 2006, 439 p.
– Camus Jean-Yves, Les droites nationales et radicales en France, répertoire
critique, Lyon, PUL, 1992, 526 p.
– Dard Olivier, Enquête au cœur de l’OAS, Paris, Perrin, 2005, 423 p.

Renseignement et action des services secrets


– Faligot Roger, Guisnel Jean, Kauffer Rémi, Histoire politique des ser-
vices secrets français, Paris, La Découverte, collection « Les cahiers libres »,
2012, 280 p.
– Faure Claude, Au service de la République du BCRA à la DGSE, Paris,
Fayard, 2004, 782 p.
– Forcade Olivier, Laurent Sébastien, Secrets d’État : pouvoirs et ren­sei­
gnement dans le monde contemporain, Paris, A. Colin, collection « L’his-
toire au présent », 2009, 233 p.
– Dorril Stephen, MI6: Inside the Covert World of Her Majesty’s Secret
­I­ntelligence­ Service, Free Press, 2002, 928 p.
– Laurent Sébastien (sous la dir.), Les espions français parlent : archives
et témoignages inédits des services secrets français, Paris, Nouveau Monde
éditions, 2011, 622 p.

Mercenariat
– Agir ici et Survie, France-Zaïre-Congo 1969-1977 : échec aux merce-
naires, Paris, L’Harmattan, collection « Les dossiers noirs de la politique
africaine de la France », 1997, 175 p.

466
Sources et orientations bibliographiques

– Boullard Laurent, Bob Denard, le sultan blanc des Comores, Paris, France
O, « Archipels », 2012, film documentaire de 59 minutes.
– Chapleau Philippe, Les sociétés militaires privées : enquête sur les soldats
sans armées, Monaco, Éditions du Rocher, 2005, 310 p.
– Chapleau Philippe, Les mercenaires, de l’Antiquité à nos jours, Rennes,
Éditions Ouest-France, 2006, 127 p.
– Chapleau Philippe, Les nouveaux entrepreneurs de guerre. Des merce-
naires aux sociétés militaires privées : privatisation ou externalisation, Paris,
Vuibert-INHESJ, 2011, 239 p.
– Desgranges Michel, Les trois mercenaires, Paris, Grasset, 1979, 344 p.
– Kinsey Christopher, « Le droit international et le contrôle des merce-
naires et des compagnies militaires privées », Cultures & Conflits, n° 52,
2003-4, p. 91-116.
– Klen Michel, L’odyssée des mercenaires, Paris, Ellipses, 2009, 331 p.
– Lantier Jacques, Le temps des mercenaires, Paris, Marabout, 1969, 312 p.
– Lunel Pierre, Bob Denard. Le roi de fortune, Paris, Éditions n° 1, 1992,
650 p.
– Pasteger Romain, Le visage des Affreux, Bruxelles, Éditions Labor, 2005,
229 p.
– Perri Pascal, Comores : les nouveaux mercenaires, Paris, L’Harmattan,
1994, 172 p.
– Renou Xavier (sous la dir.), La privatisation de la violence : mercenaires et
sociétés privées au service du marché, Marseille, Agone, 2005, 488 p.
– Risch Thomas, Bob Denard, profession mercenaire, Paris, Doc en stock,
2005, film documentaire de 52 minutes.
– Sidos François-Xavier, Les soldats libres. La grande aventure des merce-
naires, Paris, L’Æncre, 2002, 350 p.
– Venter Al. J., War dogs: Fighting other People’s Wars, Havertown,
­Casemate­, 2006, 664 p.

467
Dans l’ombre de Bob Denard

Histoire des représentations, représentations littéraires et


cinématographiques du mercenariat
– Bodart Denis, Célestin Speculos, Bruxelles, Glénat, 1989. Dans cette
BD, un jeune homme décide de s’engager dans les Affreux du Congo
après une déception amoureuse. Les grandes figures mercenaires y sont
croquées avec humour.
– Boisset Yves, Le juge Fayard dit le Shériff, film de 1977, 112 minutes.
– Cailleteau Thierry, Wayne Shelton. Tome 6 : L’otage, Bruxelles, Dargaud,
2007, 48 p. Dans ce tome de la série BD, le personnage Fred Ménard est
une allusion transparente à la figure de Bob Denard.
– Cardiff Jack, The Mercenaries, film de 1968, 100 minutes.
– Courtine Jean-Jacques (sous la dir.), Histoire de la virilité. Tome 3 : La
virilité en crise ? xxe-xxie siècle, Paris, Seuil, 2011, 566 p.
– Flemyng Gordon, The Last Grenade, film de 1969, 101 minutes.
– Forsyth Frederick, The Dogs of War, London, Hutchinson-Viking Press,
1974, 355 p. (roman).
– Irvin John, Dogs of War, film de 1980, 114 minutes.
– Kay Jean, L’arme au cœur, Paris, Denoël, 1972, 206 p. (roman).
– Kay Jean, Les fous de guerre : la vie d’un mercenaire de Teruel au Yémen,
1973, 202 p. (roman).
– McLaglen Andrew V., The Wild Geese, film de 1978, 130 minutes.
– Reynolds Mack, Mercenary for Tomorrow, éd. fr. : Le mercenaire, Paris,
Le Passager clandestin, 2013, 144 p. (roman).
– Smith Wilbur, The Dark of the Sun, Cape Town, Heinemann, 1965,
272 p.
– Venayre Sylvain, La gloire de l’aventure. Genèse d’une mystique moderne. 1850-
1940, Paris, Aubier, « Collection historique », 2002, 350 p.
– Vincent Thomas, Mister Bob, film TV de 2011, 103 minutes.
À condition de prendre le terme littérature dans un sens très large, il
faut rappeler que la trame des romans de Gérard de Villiers dans la série
SAS repose sur les opérations des mercenaires français (Compte à rebours
en Rhodésie par exemple à partir de l’expérience de la 7th Independent
Company).
Remerciements

Je tiens, en premier lieu, à remercier à nouveau les membres


du jury de mon HDR, messieurs les professeurs Xavier Boniface,
Bruno Colson et Olivier Forcade pour avoir accepté de lire et de
discuter mon texte. Cet ouvrage est directement issu du mémoire
inédit produit en cette occasion et j’ai tâché de prendre au mieux
en compte leurs remarques pour cette version publiée.
Il convient cependant que je remercie tout particulièrement les
deux derniers membres du jury, Jacques-Olivier Boudon et Jean-
Charles Jauffret. Toute ma gratitude va au premier pour avoir
patiemment accompagné mon parcours depuis le DEA et avoir
accepté de relire ce travail sur un sujet qui lui est moins fami-
lier. Ce manuscrit doit beaucoup au second qui m’a constam-
ment soutenu au cours de cette recherche et au contact quotidien
duquel le métier d’enseignant-chercheur prend tout son sens. À
tous deux, mille mercis.
Ma réflexion a également été stimulée par les discussions que
j’ai pu avoir à propos des réseaux de Jacques Foccart avec Jean-
Pierre Bat, toujours dans la bonne humeur et autour d’un bon
déjeuner ou d’un bon vin. L’aide de Philippe Chapleau, si fin
connaisseur des affaires sud-africaines et du mercenariat, a é­ga­
lement été précieuse.
Ce livre n’aurait cependant pas pu voir le jour sans l’accueil
des membres de l’association Orbs patria nostra qui ont accepté
de m’ouvrir les archives de Bob Denard et de partager avec moi
leurs souvenirs. Ma gratitude va plus particulièrement à certains

469
Dans l’ombre de Bob Denard

d’entre eux : Max, Jean-Philippe ou Olivier. Que Jean-Pierre et


Aifix soient plus particulièrement remerciés : le premier pour
m’avoir très vite fait confiance et le second pour m’avoir éclairé
avec une hauteur de vue remarquable sur des événements qu’il a
vécus. Une dédicace particulière doit être décernée à Villeneuve
qui m’a livré tant d’anecdotes pendant les pauses-café. Avec son
épouse, ils m’ont toujours facilité l’accès aux archives sans me faire
sentir que je pouvais les gêner dans leur travail. Ma gratitude va
également à Michel de Hasque et aux membres de l’Ommegang­
pour leurs éclairages sur les versants belges de cette histoire. Je
remercie enfin Henri Clément pour m’avoir aidé à entrer dans le
détail de l’aventure du 1er choc et pour sa relecture très attentive.
Je ne saurais oublier mon épouse Béatrice et mes fils, Titouan
et Maxandre, car le temps d’écriture et de recherche est souvent
pris sur les soirées et les vacances scolaires.
Index des noms cités

Ben Hussein (Mohammed) 71, 140


A
ben Yahya (Ahmad) 32
Abdallah (Ahmed) 9, 13, 15, 172, Besson (Gaston) 343
173, 180, 191, 218, 259, 300, Biaunie (René) 111, 151, 196
311, 312, 314, 315, 318, 320, Bichelot Raymond) 133
323, 324, 325, 326, 327, 328, Bigeard 200
344, 351, 358, 360, 361, 374, Bob Denard 102
376, 382, 383, 384, 385, 387, Bongo (Omar) 48, 138, 139, 140,
389, 391, 397, 403, 408, 409, 154, 164, 165, 177, 179, 180,
416, 417, 420, 423, 425, 428, 434 194, 202, 231, 240, 265, 270,
Abdallah, Ahmed 7 271, 272, 273, 274, 275, 287,
Abdallah (Salim) 323, 424 385, 432, 433
Abdourazakou (Cheikh Afedh) 323 Bossard (Robert) 273, 274
Abdourazakou (Cheikh Hafedh) 356 Botha (Pieter) 414, 415
Ahamada (Saïd) 319 Bottu 95, 124, 126
Ahmed (Mohamed) 326, 329 Bouffard (Pierre) 227
Aifix (S. FX dit) 330, 344, 370 Bourges (André) 61, 75
Alain (Henry) 78, 166, 212, 213, Boyer (Philippe) 198
229, 230, 231 Bracco (Roger) 33, 172, 222
al-Badr 32 Brant (John) 186
Albertini (Georges) 235 Broizat (Joseph) 134
Anouar (sergent-chef ) dit Rambo 319 Bruni (Roger) 111, 168, 170, 207,
214, 218, 219, 221, 251, 264
B Bugeaud (maréchal) 166
Buni (Roger) 220
Bâ Alpha Oumarou 268
Babb (Glenn) 386 C
Badaire 27, 70
Barjac (C. J-C dit) 367, 369 Cardinal (Guy) 112, 191, 199, 221,
Barril (Paul) 417 375
Barzani (Massoud) 170 Cau (André) 175, 176, 204, 207,
Beauvais (Patrice de) 60 209, 210, 211, 212, 214, 215,

471
Dans l’ombre de Bob Denard

216, 217, 218, 219, 220, 221, Delauney (Maurice) 155, 386
254, 255, 256, 261, 262, 264, Delon (Alain) 246
345, 367, 371, 375, 376, 390, 404 Demange (Jean-Louis) 71, 348
Chaban-Delmas (Jacques) 263 Denad (Bob) 224
Chapleau (Philippe) 15, 274, 411, 422 Denard (Ahmed) 311, 344
Charrette de La Contrie (Michaël) Denard (Bob) 5, 11, 13, 15, 16, 18,
204 19, 28, 31, 32, 35, 40, 41, 42, 47,
Chauvel (Jean-François) 58, 138 48, 50, 55, 56, 57, 58, 59, 63, 64,
Cheikh Allaoui 316 66, 68, 70, 71, 74, 78, 80, 81, 83,
Chevalerias (Alain) 199, 233, 234 84, 86, 87, 89, 90, 91, 93, 94, 95,
Chirac (Jacques) 392, 401, 422 96, 98, 100, 101, 102, 103, 104,
Clary (Michel de) 27, 62, 78, 153 105, 106, 107, 108, 110, 111,
Claude (Madame) 242 113, 114, 120, 121, 125, 126,
Claustre (Françoise) 392 127, 130, 131, 134, 135, 136,
Claustre (Pierre) 392 137, 138, 140, 141, 142, 143,
Cochin (Augustin) 227 145, 146, 148, 150, 154, 156,
Condé (Louis Honorat de) 137, 140 157, 160, 163, 165, 166, 167,
Cooper (Johnny) 136 168, 169, 170, 172, 173, 175,
Cooper (Johny) 33 176, 177, 178, 179, 180, 182,
Cot (Jean-Pierre) 427 184, 186, 187, 189, 190, 191,
Coucke (Karl) 35, 74, 108, 110, 216, 193, 194, 196, 197, 199, 201,
220, 363, 432 202, 203, 204, 207, 208, 209,
Coucke (major) 110 210, 211, 212, 214, 216, 217,
Coudra (Ahmed) 316 218, 219, 220, 221, 226, 230,
Courrège (Jean-Philippe) 343 231, 233, 234, 235, 236, 239,
240, 241, 242, 243, 244, 250,
D 252, 254, 255, 256, 257, 258,
Déat (Marcel) 235 259, 260, 262, 263, 264, 265,
Debizet (Pierre) 143, 178 266, 272, 273, 274, 284, 287,
Debray (Régis) 391 288, 291, 292, 293, 294, 295,
Debré (Michel) 133 297, 298, 299, 300, 302, 304,
Déby (Idriss) 301, 303 305, 308, 309, 310, 311, 312,
De Chivre (Hugues) 204, 244 313, 315, 318, 326, 327, 328,
De Gaulle (Charles) 11, 133, 137, 330, 331, 333, 334, 337, 340,
138, 142, 143 341, 345, 346, 347, 348, 349,
Degrelle (Léon) 227 350, 351, 352, 353, 354, 356,
De Hasque (Michel) 103 357, 358, 360, 361, 362, 363,
De Klerk (Frederik) 415 364, 365, 366, 367, 371, 372,
De Koch (Eugen) 368 374, 375, 376, 377, 379, 381,
Delamichel (Paul) 67 382, 383, 385, 386, 387, 389,
Delaunay (Maurice) 154, 164, 178, 390, 391, 392, 393, 394, 395,
273 397, 398, 401, 403, 404, 405,

472
Index des noms cités

406, 407, 408, 409, 411, 412, 194, 239, 258, 262, 263, 264,
413, 416, 417, 420, 421, 422, 287, 364, 377, 401, 402, 404,
423, 424, 425, 427, 428, 429, 405, 422, 428, 430, 431, 432,
431, 432, 433, 434, 435, 437 433, 435
Denard (Philippe) 178, 179 Foccart (Jean) 82
Desblé (Jean-Michel) 206 Frédéric (C.F. dit) 360, 400
Devlin (Larry) 116, 118, 119
D’Hulster (Charly) 43, 104 G
Didier (K.D. dit) 345, 369 Gardien (Charles) 71, 196
Diur) 123 Gaya (caporal) 319
Djohar (Saïd) 329, 376, 423, 424 Gbagbo (Laurent) 334, 335
Dubos (Jean-François) 394 Geisel (Harold W.) 387
Duchemin (Jacques) 25, 29 Gemayel 236
Dulac (René) 16, 176, 177, 189, 199, Gemayel) 235
207, 209, 214, 216, 217, 218, Gheysels (Roger) 29
219, 220, 221, 243, 256, 262, Ghys (Roger) 112, 146, 196, 353,
264, 306, 307, 346, 376, 394, 372, 374, 375, 388, 391, 404, 407
404, 427, 434 Gilsou (Jean Dominique) 189
E Gino (capitaine) 110
Giscard d’Estaing (Valéry) 260, 263,
Egé (Léon) 27 389, 390
Eggé (Léon) 79 G. (J. dit Lebreton) 205
Eisenhower 119 Godard (Yves) 134
Emery Passerat de la Chapelle (Bruno) Goldman (Pierre) 238
297, 300, 305, 360, 363, 373 Gorbatchev (Mikhaïl) 414
Emery Passerat de la Chapelle dit Riot Gossens (Marc) 63, 66, 106
(Bruno) 300 Gowon (colonel) 250
Erik le rouge 227 Gowon (général) 46
Grossouvre (François de) 394
F Gruber (Helmut) 207, 209
Faugère (Pierre) 92, 93, 94, 141, 166, Gueï (Robert) 334
202 Guérin-Sérac (Yves) 82
Faulques (Roger) 26, 28, 30, 31, 44, Guevara (Ernesto Che) 278
46, 47, 56, 61, 66, 74, 75, 76, 77, H
80, 81, 84, 113, 114, 124, 132,
133, 134, 136, 137, 140, 154, Habré (Hissène) 296, 297, 298, 299,
157, 160, 187, 195, 202, 209, 300, 301, 303, 304, 305, 306,
235, 429, 432 307, 363, 380, 386, 392, 393,
F occart (Jacques) 330 405, 406, 453
Foccart (Jacques) 81, 132, 133, 134, Hammarskjöld (Dag) 29, 145, 277,
137, 138, 142, 163, 169, 178, 445

473
Dans l’ombre de Bob Denard

Hassan II, roi du Maroc 169, 173, Kérékou (Mathieu) 181, 233, 258,
264, 265, 266, 386 266, 282, 283
Hassan II, roi du Maroc) 385 Kipling (Rudyard) 227
Hauteville (Tancrède de) 227 Kirsch (Martin) 390
Heltzen (François) 196 Kissinger 254
Hernu (Charles) 394 Klein (Yair) 295
Hetzlen (François) 140, 141 Kosciusko-Morizet 404
Hoare (Mike) 39, 45, 51, 56, 88, 99, Kouchner (Bernard) 422
113, 121, 126, 155, 294 Krop (Pascal) 413, 416
Houmani (Abderamane) 316
Houmani (Andhume) 316 L
Houphouët-Boigny (Félix) 122, 124, La Bourdonnaye 27, 77
133, 154, 334 Lacaze (Jeannou) 260
Hugo (Franck) 157, 331, 333, 335 Lacoste (amiral) 395
Huyghé (Carlos) 25, 119 Lafaille (Jacques) 79, 202, 209, 246,
I 309
Lallemand (François), général 167
Ianarelli (Armand) 63, 65, 137, 168, Lambinet (Michel) 257
196, 242, 245 Lambroschini (Joseph) 133
Ibouroi (Ali) 319 Lamouline (colonel) 95, 124, 125
Idriss Ier, ex-roi de Libye 168 Larapidie (Daniel) 168, 213, 251
Idzuimbuir (Théodore) 128 Lasimone 27, 62, 78
L’Assomption (Roland de) 186, 187,
J 195, 201, 205, 206, 340
Jaffar 425 Laviola (Mario) 186, 187, 201
Jaffar (sergent-chef ) 328 Lawrence d’Arabie 227
Jean-Pierre (K. JP) 363 Lebeurrier (Gildas) 89, 133, 137,
Jean-Pierre (K. JP dit) 353, 424 138, 164, 195
Joly (Pierre) 146 Le Braz (Yves) 164
Journiac (René) 260, 263, 389 Le Bret (Yves) 259
Lecavelier (Gilbert) 143
K Lécrivain (Jacques) 152
Lefèvre (Alfred) 222
Kabila (Laurent-Désiré) 334 Lenormand (D.O. dit) 226, 227,
Kadhafi (Mouammar) 168, 169, 265, 233, 236, 237, 238, 306, 307,
296, 386, 392, 405 347, 348, 349, 350, 367, 369, 395
Kadri (colonel) 386 Leprette 284
Kasa-Vubu (Joseph) 24, 35, 118, Leroy (Paul) 71, 106, 137
147 Letteron (Philippe) 154
Kay (Jean) 33, 235, 236, 272, 273 Lissouba (Pascal) 334
Kennedy (John F.) 117 Loiseau (Michel) 47, 48, 67, 74, 76,
77, 79, 114, 142, 182, 195, 200,

474
Index des noms cités

202, 203, 207, 208, 209, 210, Monfreid (Henri de) 227
212, 218, 222, 232, 242, 243, Monga (Léonard) 42
244, 252, 254, 424 Montluc 27
Loiseau Michel) 168 Morin (P.E. dit) 370
Lumumba (Patrice) 24, 27, 36, 116, Motsepe (Godfrey) 368
118, 124, 133, 144 Mouzaoir (Abdallah) 323
Luong (Robert) 274, 275 Mugabe (Robert) 185
Lutz 126 Mulélé (Pierre) 36
Musial (Dominique) 307
M Musial (Dominique dit Mélis) 207
Macias (Francisco) 307 N
Malacrino (Dominique) 425, 428,
435 Nafion (Saïd) 316
Malacrino (Dominique dit Marqués) Nasser (colonel) 265
326, 327, 331, 335, 373, 375 Nixon (guide comorien) 358
Mallock (Jack) 153, 155, 156 Noël (Raymond) 110
Mallock Jack 348 Nyerere (Julius) 381
Malloum (Félix) 296
Maloubier (Robert) 164 O
Mancham (James) 292, 293, 294 Ojukwu (colonel) 44, 46, 47, 65, 81,
Mandela (Nelson) 368 89, 113, 128, 139, 148, 153, 154,
Marenches (Alexandre de) 256, 262, 157
263, 379 Ollivier (Patrick) 18, 185, 206, 230,
Martin (Louis dit Loulou) 75, 164 231, 236, 237, 238, 304, 305,
Mas (Roger) 372 309, 310, 339, 340, 341, 342,
Masson (Paul) 101 345, 353, 370, 374, 375, 376,
Massu 26 381, 391, 404, 409
Mauricheau-Beaupré (Jean) 122, 124, Ouattara (Alassane) 334
126, 134, 140, 141, 262, 263 Oueddei (Goukouni) 296, 298, 299,
M’Ba (Germain) 272 306, 392, 393, 405, 453
Mba (Léon) 164 Ould Dada (Moktar) 180
Messmer (Pierre) 26, 133, 431 Oussel (Thierry) 308
Miallier (Thierry) 413
Millote (Jean-Louis) 204, 220, 221, P
360, 361, 363, 372, 373, 432
Mitterrand (François) 11, 391, 417 Paillard (Pierre) 207
Mitterrand (Jean-Christophe) 413, Paulus (Jean-Joseph) 107
416 Peccoud (Charles) 394
Mobutu 39, 40, 42, 44, 58, 60, 86, Peeters (John) 39, 44, 99, 130, 154,
88, 91, 100, 103, 113, 116, 118, 157
120, 127, 150, 277, 279, 334, 431 Penne (Guy) 394
Mobutu) 141 Pervins (André) 75

475
Dans l’ombre de Bob Denard

Picaut d’Assignies 76, 79, 106, 137, Sassou Nguesso (Denis) 294, 334
196 Savimbi (Jonas) 174, 175, 176, 254,
Picot d’Assignies 46 255, 256
Pinaton (Hubert) 41, 48, 61, 69, 75, Schramme (Jean) 31, 39, 40, 41, 42,
101, 108, 109, 111, 127, 141, 50, 56, 70, 82, 83, 88, 90, 100,
151, 166, 195, 275 101, 104, 105, 108, 121, 125,
Piret (Raoul) 105, 128, 146 127, 128, 130, 145, 146, 151,
Pognon (Gratien) 181 429, 432
Polevieja 94, 95 Sékou Touré 267, 268
Pompidou (Georges) 258, 262 Sélassié (Hailé) 294
Pouye (Jean-Baptiste) 297, 298, 363, Sénart (John) 137, 138
373, 380 September (Dulcie) 368
Seren-Rosso (Georges) 58, 79, 107,
R 113, 142
Raja (général) 30 Sergent (Pierre) 79
Ratsiraka (Didier) 381 Servadac (Vieillard Max dit) 404
Raucoules (Roland) 172, 240 S. (F.X. dit Aifix) 206
René (France-Albert) 293, 381, 383 Siam (G. JP) 368
Répagnol 27 Siam (G. JP dit) 327, 328, 350, 368
Resciniti de Says (René) 238, 367 Silberzahn (Claude) 260, 416
Riziki Mohamed (Abdelaziz) 320, S. (L. de dit Foulques) 204, 207, 220,
323, 328, 357 221, 297, 373
Robbyn (Marc) 104 Smiley (David) 33, 136
Robert (Alain) 369 Smith (Ian) 237, 341
Robert (Maurice) 135, 139, 178, 194, Smith (Wilbur) 51
234, 235, 239, 258, 263, 272, Soilih (Ali) 13, 172, 173, 189, 191,
274, 364, 377, 426 218, 259, 263, 270, 309, 310,
Robyn (Marc) 362 323, 324, 383, 384
Rosen (Gustav von) 45 Soilih (Saïd) 316
Roussel (Thierry) 307 Soro (Guillaume) 335
Roussin (Michel) 260, 426 Souêtre (Jean-René) 43, 78, 89, 111,
202
S Steiner (Rolf ) 46, 48, 55, 56, 63, 66,
80, 106, 137, 138, 168, 196
Sage (Joseph-Noël révérend) 54 Stimbre (Maurice) 67, 77
Saïd (Ali Kemal) 324 Stirling (David) 136
Saïd Cheikh (Moustapha) 316 Stirn (Olivier) 172
Saïd (Mohamed) 356 Stockwell (John) 254, 256
Saint-Paul (Tony de) 27, 28, 32, 33, Suresnes (P.W. dit) 301, 304, 305,
34, 35, 74, 91, 213, 432 367
Salles (Jean-Louis) 307, 396 Surma (Thaddée) 172, 240, 260, 273
Sanders (R.R. dit) 367, 368, 435 Suzini (Jean-Jacques) 79

476
Index des noms cités

T V
Taki (Mohamed) 324, 325, 375, 376, Vandewalle (colonel) 37, 67, 119
403, 404 Verne (Jules) 224
Tamou (Omar) 403 Vieillard (Max dit Servadac) 375, 376
Tavernier (Christian) 31, 295, 334 Vigoureux de Kermorvan (Philip dit
T. dit Tressac (Hugues) 185 Max) 210, 213, 244, 262
T; dit Tressac (Hugues de) 297, 298 Villeneuve (T.T. dit) 301, 302, 304,
T. dit Tressac (Hugues de) 206, 297, 305, 367, 369, 400
405 Villiers (Gérard de) 396
Thielemans (Freddy) 34, 90, 91, 104, Vosseler (Gunther) 224, 225
112, 212, 214, 215, 357, 375,
408, 409, 410 W
Tilly 6 Wallendorf (Jo) 104, 197, 362
Tombalbaye (François) 296 Wallenstein 6
Toumi (Guy) 202, 206 Wauthier (colonel) 102
Trinquier (Roger) 26, 61, 75, 76, 123, W. (H. dit Leclerc) 205
132, 133, 134 Winter (Michel) 240
Tsatshi (colonel) 39
Tshombé (Moïse) 24, 25, 29, 30, 31, Y
35, 36, 50, 60, 61, 78, 79, 84, 90,
94, 95, 119, 123, 124, 125, 127, Youlou (Fulbert) 169, 250, 251
129, 131, 133, 134, 144, 147
Tshombé, Moïse 7 Z
Zambon (Italo) 92
U
U Thant 145
Table des matières

Introduction............................................................................................................................ 5

Première partie
La naissance d’un système mercenaire français

Chapitre 1
Du Katanga au Biafra, au cœur des guerres africaines....................... 23
Chapitre 2
« Affreux » ou soldats perdus ?............................................................................. 49
Chapitre 3
Les mercenaires français, un groupe en voie
de structuration parmi les « Affreux »............................................................. 83
Chapitre 4
Les mercenaires français dans la géopolitique africaine
de la guerre froide................................................................................................... 115
Conclusion de la première partie......................................................................... 159

Deuxième partie
La « main gauche » de la France en Afrique

Chapitre 5
Nouvelle époque, nouvelles opérations pour les mercenaires...... 163
Chapitre 6
Le milieu mercenaire français.......................................................................... 193

479
Dans l’ombre de Bob Denard

Chapitre 7
La défense de l’Occident en Afrique,
une forme d’ultime aventure virile............................................................... 223
Chapitre 8
Une survie au prix de la perte d’indépendance..................................... 249
Conclusion de la deuxième partie........................................................................ 287

Troisième partie
Les Comores dans la guerre froide,
le sultanat des mercenaires français
Chapitre 9
La GP comorienne, une base
pour le nouveau système mercenaire........................................................... 291
Chapitre 10
Les années 1980, le « Vieux »
et ses « mercenaires-colons ».............................................................................. 337
Chapitre 11
La GP au cœur du triangle
France-Comores-Afrique du Sud.................................................................. 379
Épilogue
Après 1989, l’incompréhension face
aux nouvelles configurations internationales.......................................... 419
Conclusion de la troisième partie......................................................................... 427
Conclusion générale..................................................................................................... 429
Cartes.................................................................................................................................... 439
Table des sigles et acronymes.................................................................................. 443
Repères chronologiques par pays.......................................................................... 445
Sources et orientations bibliographiques......................................................... 455
Remerciements................................................................................................................ 469
Index des noms cités.................................................................................................... 471

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