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4447-12509-1-SM
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AlAzmina
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AlHaditat
Haditat
dans le théâtre de Jean Genet
Khnata Lahrichi
Enseignant- chercheur
Université Ibn Tofail
Kénitra
entièrement aux pouvoirs de l’imaginaire ; la fait presque toujours par opposition à la vie, au
chambre de Madame, l’univers tabou et interdit réel et au social. Le monde du théâtre est distinct
se transforme en lieu de jeu rituel. du monde profane.
En effet, aucune place n’est donnée au naturel, Ainsi, le théâtre genétien nous entraîne
au vraisemblable qui pourrait engendrer la dans un monde sacré où toutes les valeurs
confusion entre représentation et réalité jusqu’à prennent une autre dimension ; sur scène
installer une identification entre spectateur et la répétition est une cérémonie rituelle qui
personnage ; personnage qui renvoie à l’homme s’effectue dans un climat pseudo-religieux.
sa propre image. Le théâtre classique joue sur Dans le vocabulaire de Genet, la séparation
l’identification, celui du nouveau théâtre sur la du profane et du sacré s’exprime en terme
distanciation. d’opposition de la fête et du quotidien, du
magnifié et du trivial ; de l’ici et de l’ailleurs.
La distanciation, telle qu’elle est conçue dans
L’ici étant le domaine de la théâtralité, du jeu, des
le théâtre bréchtien c’est-à-dire la désaliénation
réalités transhistoriques et l’ailleurs étant la ville.
de l’homme de toute mythologie, de l’éternel et
de l’immuable pour faire percevoir le possible, Le passage de l’acteur sur scène prend sa
donc arracher l’homme à la fatalité, est, chez véritable signification au niveau d’une accession
Genet, étrange et difficile à expliquer, il s’agit fugitive et fulgurante au plan du sacré. Il revêt une
d’une distance d’ordre esthétique, une distance nouvelle dimension, une dimension sacrée.
« infranchissable entre l’homme et le divin » « Apparaître, scintiller est comme mourir,
comme l’a remarqué Orieste Pucciani. C’est ce telle est la valeur de l’acte théâtral » dira Genet
qui nous sépare du tabou et de la cérémonie sacrée, dans Les Lettres à Roger Blin.
ce qui nous rend en quelque sorte impuissant,
Pucciani ajoute « Genet s’adresse à notre vue Et l’entrée dans ce monde sacré implique
plutôt qu’à notre goût, notre toucher ou notre nécessairement une sortie du temps quotidien.
odorat ». Avec un tel jeu Genet a voulu affirmer le Toujours dans Les Lettres à Roger Blin, il
théâtre dans sa puissance et dans ses limites. affirme qu’il faut entraîner les comédiens et
les comédiennes dans leurs profondeurs les
C’est ce qui traduit la notion de théâtralité, plus secrètes – pas dans leur finesse – leur faire
celle-ci est définie par Roland Barthes dans Essais accepter les démarches difficiles, les gestes
critiques : « Qu’est ce que la théâtralité ? C’est admirables mais sans rapport avec ceux qu’ils
le théâtre et non le texte. C’est une épaisseur de ont dans la vie.
signes, de sensations qui s’édifient sur la scène
à partir de l’argument écrit. C’est une sorte de Archibald dans Les Nègres dit à un moment
perception œcuméniques des artifices sensuels, de la pièce « ici, c’est le théâtre et non la ville ».
gestes, tons, distance, substance, lumière qui L’espace cérémonial doit se protéger de la vie,
submergent le texte sous la plénitude de son de la sociabilité ; ainsi, le personnage rappelle
langage extérieur. Naturellement la théâtralité la frontière entre l’ici et l’ailleurs.
doit être présentée dès que le premier germe Il s’agit de mettre en relief l’espace
écrit d’une œuvre, elle est une donnée de cérémonial ; de la même manière il demande à
création, de réalisation... ». Mais lorsque Genet Village (autre personnage) de quitter l’espace
définit le domaine propre de la théâtralité, il le sacré pour que la cérémonie se déroule dans la
pureté ; B. Essette le souligne : « Dans l’espace du sacré mais un rituel, une cérémonie. Cela
scénique des Nègres seuls dominent le rêve et est apparent dans Les Nègres : Archibald se
le fantasme que soutient une réalité illusoire, présente comme le maître de la cérémonie ;
tous les accessoires et les ingrédients du rituels dans Le Balcon, c’est Irma. Dans Les Bonnes,
sont évoqués : cérémonie, masque, répétition, Claire définit les règles du jeu cérémonial : c’est
prières, danse, chant… ». Le sacré est toujours un évènement où chaque participant se voit
assimilé dans l’esprit de Genet à quelque chose confier un rôle, en fait il s’agit de « créations »
de pur, de précieux et de rare. Le sacré, on le au moyen duquel chacune des deux s’expriment,
découvre à la fois dans le langage et dans la l’une jouant Madame ; l’autre la bonne, non pas
gestualité mais aussi au niveau des costumes et elle mais elle se met dans la peau de sa sœur,
du décor. nous sommes en perpétuel travestissement.
Par exemple dans Les Bonnes, une structure C’est ainsi qu’à tout moment, il est
dichotomique est maintenue, et ce à tous les rappelé que tout n’est que théâtre, le
niveaux : espace, décor, vêtement. L’opposition jeu en tant que tel est mis en évidence.
entre la chambre et la cuisine est symbolique, elle Genet veut opposer la vie à la scène qui devient
n’oppose pas seulement deux espaces habités, alors un lieu voisin de la mort où toutes les libertés
situés sur un même plan mais met en présence sont possibles. « la fête si limitée dans l’espace et
« un haut et un bas identifiés respectivement au dans le temps apparemment destinée à quelques
blanc et au noir, à la lumière et aux ténèbres, à spectateurs sera d’une telle gravité qu’elle sera
un ciel et un enfer » car l’univers de Madame destinée aux morts » Lettres à Roger Blin.
symbolise la richesse, l’élégance alors que celui Le maquillage, les gestes, la voix ; tout
des bonnes incarne la misère et la laideur. Ce doit concourir à établir l’esthétique du sacré,
qui incite les bonnes à investir et l’univers de du poétique or atteindre la poétique c’est
Madame et tout ce qui en est le symbole à savoir s’approcher du hiérarchique (du solennel), de
les robes, les objets, les fleurs…autrement dit en la fixité, de l’absolu, de la mort ; « l’homme, la
usurpant la personnalité de leur patronne elles femme, l’attitude ou la parole qui dans la vie
se meuvent dans un univers sacré. apparaissent comme abjects, au théâtre doivent
Pratiquement dans toutes ses pièces, émerveiller toujours, étonner toujours par leur
l’espace est considéré comme une hauteur où élégance et leur force d’évidence » (J. Genet).
la vie quotidienne est vue comme de la boue ou Pour obtenir la poésie, il faut faire appel à
comme une toile d’araignée où se débattent des la somptuosité, à l’apparat des cérémonies - le
prisonniers : « rien sur la scène, rien qui doit trivial, le vif doit être magnifié, même la mort.
être laid ou ridicule » souligne-t-il dans Les D’ailleurs toute l’œuvre de Genet est traversée
Lettres à Roger Blin٫ par des symboles funèbres. A titre d’exemple,
C’est par le sacré que le dramaturge arrive dans Les Bonnes, la mort est omniprésente, elle
à créer une communication authentique. La est tour à tour rêvée, voulue, choisie et enfin
cérémonie constitue pour lui la forme idéale acceptée. Les objets, eux aussi la symbolisent
de l’art. C’est ce qui explique qu’il existe dans tel est le cas des fleurs « fleurs à profusion » qui
toutes ses pièces non seulement une quête accompagnent une cérémonie funèbre.
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