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Texte L'heure Ud Souper
Texte L'heure Ud Souper
Il vint me prendre par la main, lorsque Manon eut serré l'argent et les bijoux, et me conduisant vers
M. de G... M..., il m'ordonna de lui faire la révérence. J'en fis deux ou trois des plus profondes. « Excusez,
monsieur lui dit Lescaut, c'est un enfant fort neuf. Il est bien éloigné, comme vous voyez, d'avoir des
airs de Paris; mais nous espérons qu'un peu d'usage le façonnera. Vous aurez l'honneur de voir ici souvent
monsieur ajouta-t-il, en se tournant vers moi ; faites bien votre profit d'un si bon modèle. »
Le vieil amant parut prendre plaisir à me voir Il me donna deux ou trois petits coups sur la joue, en
me disant que j'étais un joli garçon, mais qu'il fallait être sur mes gardes à Paris, où les jeunes gens se
laissent aller facilement à la débauche. Lescaut l'assura que j'étais naturellement si sage, que je ne parlais
que de me faire prêtre, et que tout mon plaisir était à faire de petites chapelles. Je lui trouve de l'air de
Manon, reprit le vieillard en me haussant le menton avec la main. Je répondis d'un air niais : « Monsieur,
c'est que nos deux chairs se touchent de bien proche ; aussi, j'aime ma sœur Manon comme un autre moi
même.
- L'entendez-vous ? dit-il à Lescaut, il a de l'esprit. C'est dommage que cet enfant-là n'ait pas un peu
plus de monde. - Ho ! monsieur, repris-je, j'en ai vu beaucoup chez nous dans les églises, et je crois
bien que j'en trouverai, à Paris, de plus sots que moi. - Voyez, ajouta-t-il, cela est admirable pour un
enfant de province.
Abbé Prévost , Manon LESCAUT, 1731
Explication
Introduction
L’abbé Prévost est un écrivain du dix-huitième siècle qui mène à bien des
égards une vie aussi aventureuse que le héros de Manon Lescaut. Dans ce
roman-mémoires, sorte de récit rétrospectif fictif, Prévost se charge avec
malice de moquer l’hypocrisie des mœurs de son époque. Le roman est
construit autour d’un narrateur qui prétend avoir rencontré un personnage dont
il prend en note le récit.
Problématique
Plan
Il s’agit d’une mise en scène : chacun joue son rôle, deux comédiens sont déjà
au plateau et préparent l’entrée de l’un des personnages côté cour tandis que
l’autre entre côté jardin.
Il lui compta ensuite en beaux louis d’or la somme de deux mille quatre cents
livres, qui faisaient la moitié de la pension.
La périphrase « sa belle » désignant Manon trouve son écho dans les « beaux
louis d’or ». Il est manifeste que Manon fait l’objet d’une transaction
commerciale. Cette forte somme faisant de plus « la moitié de sa pension », il
s’agit ici d’un acompte.
Manon ne put lui refuser quelques baisers ; c’était autant de droits qu’elle
acquérait sur l’argent qu’il lui mettait entre les mains.
Des Grieux est placé dans la position d’un complice : il fait le guet, attend
qu’on le fasse entrer comme dans une comédie. En attendant, il prête l’oreille
comme un voleur.
Il vint me prendre par la main, lorsque Manon eut serré l’argent et les bijoux
La mise en scène est achevée quand le frère de Manon vient prendre Des
Grieux « par la main », comme s’il était un enfant. Le verbe « serrer »
possède un sens figuré, il désigne le fait de mettre à l’abri. Manon dissimule la
fortune qu’elle a extorquée à l’aristocrate avant de poursuivre le jeu.
II – Une présentation trompeuse
et me conduisant vers M. de G M, il m’ordonna de lui faire la révérence. J’en
fis deux ou trois des plus profondes. Le véritable maître de la cérémonie est
Lescaut, qui organise comme un metteur en scène les déplacements des
personnages. Ayant amené Des Grieux, le voilà qui « ordonne » de faire la
révérence. À noter également que Des Grieux en fait le récit avec un superlatif
sur un ton badin : il ne se souvient guère s’il en fait deux trois : mais c’est
toujours trop : le jeune chevalier est dans une outrance caricaturale.
« Excusez, monsieur, lui dit Lescaut, c’est un enfant fort neuf. Il est bien
éloigné, comme vous le voyez, d’avoir des airs de Paris ; mais nous espérons
qu’un peu d’usage le façonnera.
Lescaut introduit Des Grieux sous les traits d’un jeune naïf : un « enfant fort
neuf ». La mystification se poursuit avec un demi-mensonge : Lescaut le
brosse en provincial et mauvais courtisan.
Le vieil amant parut prendre plaisir à me voir. Il me donna deux ou trois petits
coups sur la joue
en me disant que j’étais un joli garçon, mais qu’il fallait être sur mes gardes à
Paris, où les jeunes gens se laissent aller facilement à la débauche.
L’amant est prompt à tomber dans le piège qui lui est tendu, imaginant un lien
de parenté inexistant. Il continue de se montrer paternel par sa gestuelle alors
même qu’il est joué.
Je répondis d’un air niais : « Monsieur, c’est que nos deux chairs se touchent
de bien proche ; aussi j’aime ma sœur comme un autre moi-même.
Des Grieux fait un bon mot, indiquant qu’il a déjà vu « du monde » dans les
églises de province : il se comporte de nouveau comme un « niais ». Dans le
même temps, cet épisode lui permet de produire une allusion au futur, sous
forme d’une prolepse, à quelqu’un de « sot » à Paris, nouvelle façon de
moquer le vieillard.
Toute notre conversation fut à peu près du même goût pendant le souper.
Toute notre conversation fut à peu près du même goût, pendant le souper Manon, qui était
badine, fut sur le point, plusieurs fois, de gâter tout par ses éclats de rire. Je trouvai l'occasion, en
soupant, de lui raconter sa propre histoire, et le mauvais sort lui le menaçait. Lescaut et Manon
tremblaient pendant mon récit, surtout lorsque je faisais son portrait au naturel ; mais l'amour-
propre l'empêcha de s'y reconnaître, et je l'achevai si adroitement, qu'il fut le premier à le trouver
fort risible. Vous verrez que ce n'est pas sans raison que je me suis étendu sur cette ridicule scène.