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La littérature d'idées du 16ème siècle au 18ème siècle :

Parcours associé à l'étude de Gargantua de F Rabelais : « Rire et savoir »

Explication linéaire complémentaire


Une lettre de Mme de Sévigné – 17ème siècle

Introduction

– Mme de Sévigné (1626-1696) est une épistolière française du 17ème siècle que
l'on peut rapprocher du classicisme (elle a le souci d'être claire et rigoureuse,
d'instruire et de plaire en même temps, et croit en une raison universelle). Elle a
fréquenté des Précieuses (pas forcément « ridicules » contrairement à ce qu'a
montré Molière !) ainsi que le milieu janséniste (le jansénisme est une branche du
catholicisme qui prône une vie austère de méditation et de prière et qui pense que
seul Dieu décide de nous accorder la grâce, indépendamment de toutes bonnes
actions)
– De son vivant, sa compagnie était recherchée dans les Salons de la haute
société parisienne : on appréciait sa conversation pleine d'esprit et
d'inventions. Ce n'est qu'après sa mort que l'on a publié ses Lettres,
adressées à son entourage (et en particulier à partir de 1669 à sa fille,
véritablement adorée, partie rejoindre son mari en Provence). (Le genre se répand
car la Poste devient enfin plus fiable !)
– Ses lettres permettent à la fois de découvrir une femme libre, sensible et
brillante et, parfois, donnent l'impression d'être au cœur de la vie à la Cour de
Louis XIV.
– C'est le cas ici , pour cette célèbre « petite historiette »

Lecture stricte de la lettre écrite : donc attention : lire à partir de « A Pomponne » et


jusqu'à la date (pas l'année...)

Mouvements : trois ?

Après une 1ère phrase d'annonce importante, Mme de S raconte la « petite historiette »,
jusqu'à ses deux premières conclusions. La lettre finit sur une dernière phrase qui est une
réflexion personnelle de l'épistolière.

Problématiques proposées :

Dans quelle mesure cette « petite historiette » amusante cache-t-elle une observation
profonde de la vie à la Cour de Louis XIV ?
Comment Mme de S parvient-elle ici à la fois à divertir et à susciter une réflexion sur la vie
à la Cour de Louis XIV ?

Explication linéaire

Les premiers et les derniers mots de ce texte, en dehors du corps de la lettre, sont
déjà intéressants à commenter :
– « A Pomponne » révèle la position sociale élévée de Mme de Sévigné qui peut se
permettre de ne pas écrire « au Seigneur de Pomponne » car c'est un de ses
proches amis (qui sera Secrétaire d'Etat et Ministre sous Louis XIV !)
– « A Paris, lundi 1er décembre (1664) » : Mme de S est un peu comme l'informatrice
de Pomponne qui n'est donc pas, contrairement à elle, à Paris. Il était parfois
essentiel pour une carrière d'être informé des « événements » de la Cour tout
particulièrement quand le roi y participait : Mme de S est soucieuse de ne pas
laisser à l'écart de la Cour son ami...

La 1ère phrase :

« Il faut que je vous conte une petite historiette» : on retrouve d'emblée cette idée de
la nécessité de rester informé de tout ce qui se passe à la Cour (comme on vient de le
dire). C'est aussi une façon enjouée de commencer : on sent une excitation à l'idée de
raconter !
Il s'agit bien d'une lettre intime avec les pronoms « je » et « vous » et deux temps
habituels de l'énonciation, le présent et le futur : c'est comme une conversation où la
distance est presque abolie.
« conte » : l'auteure se présente comme une conteuse et c'est effectivement une lettre
centrée sur un récit aussi vivant et court qu'un conte qui va suivre.
De plus, l'adjectif « petite » qualifie d'une manière redondante l' « historiette » : Mme de S
indique par là a priori la légèreté de la « toute petite » histoire qui suit. On va voir que sous
le ton léger, Mme de S se montre une observatrice redoutable...
« qui est très vraie » : l'adverbe veut en convaincre le destinataire. Ce qui suit n'est donc
ni une invention, ni un ragot (chose fréquente à la Cour)...
« et qui vous divertira » : le but de cette lettre intime semble donc encore une fois léger :
Mme de S veut donner un peu de bon temps à son ami en l'amusant.

Le récit :

« Le Roi se mêle depuis peu de faire des vers » : récit vif et concis : Mme de S va
directement au personnage central et à l'origine de l'histoire.
« depuis peu » : le fait est donc récent et révèle implicitement à quel point Mme de S est
proche de louis XIV. La suite le confirment : elle sait que le roi suit des cours d'écriture
poétique avec deux courtisans « MM de Saint-Aignan et Dangeau ». Cela révèle aussi le
goût prononcé (récent donc en 1664) de louis XIV pour le langage, l'art et la beauté. Il y a
un peu plus d'affectation dans l'expression « comme il s'y faut prendre » : Mme de S est
plutôt connue pour la simplicité de son style : est-ce une pointe ironique en lien avec
précisément l'art du langage qu'essaie d'apprendre le roi ? Un reste de beau langage et
de préciosité ?
« Il fit l'autre jour» : avec le passé simple, Mme de S adopte à présent le style d'un récit
au passé.
« un petit madrigal que lui-même ne trouva pas trop joli» : le roi est-il modeste dans ses
ambitions pour ses premiers poèmes ? C'est ce qu'indiquerait le fait qu'il écrit un « petit
madrigal » qui est en soi déjàun petit poème (note 1). « lui-même » et non pas « il » qui
grammaticalement suffisait : façon d'indiquer le bon sens du roi et déjà que le poème n'est
pas beau : il n'est même pas « joli ». L'adverbe « trop » serait un signe d'humilité...
Il faut dire ici aussi que tout ce préambule permet au lecteur de comprendre et d'assister
à la cruauté du piège tendu par le roi qui va suivre car grâce à ce début, il en sait plus
que le maréchal et donc il va pouvoir vivre en quelque sorte la scène et le supplice du
« vieux courtisan » ! L'utilisation de la même expression « petit madrigal » aux lignes 3 et
plus bas 5 lève toute ambiguité.
« Un matin » : là encore, c'est la rapidité du récit qui prime : il y a une sorte d'ellipse ici. La
suite, mélange de passages narratifs et de paroles rapportées au style direct fait
penser à une petite scène. Et c'est d'ailleurs le rythme du récit adopté : nous avons ainsi
l'impression d'être sur place.
C'est toujours le roi qui est au centre. Mais c'est cette fois pour tendre un piège cruel à l'un
de ses proches courtisans (qui a organisé son mariage dans le pays basque 4 ans plus
tôt). « Monsieur le maréchal, je vous prie » : cela commence par une demande
respectueuse et même une prière, qui flatte indirectement le maréchal. Le « petit
madrigal » rend la question sans grande importance, en démine en qq sorte l'enjeu.
« (voyez) si vous en avez jamais vu un si impertinent » : c'est ensuite une question
indirecte qui est en fait doublement trompeuse car 1) elle vient du roi (que l'on ne peut
pas contredire sous peine de disgrâce voire pire) et 2) celui-ci a in fluencé le jugement en
appuyant déjà sur la stupidité du madrigal avec l'adverbe « jamais » et l'intensif « si » !
La phrase suivante affine le piège en justifiant d'une manière convaincante la possession
de ce petit poème.
Mme de S ajoute ensuite une phrase courte, proposition incise indispensable pour
évoquer le temps de la lecture... (Est-il pourtant utile qu'il lise en réalité ce poème ?! La
suite semble dire qu'il l'a fait, mais sans certitude)
La parole du maréchal est celle d'un courtisan flatteur et soumis à son roi : « Sire, Votre
Majesté » : titres redondants avec les majuscules du respect (de l'obséquiosité?),
expressions hyperboliques « divinement bien » « de toutes choses ». Piégé, il se laisse
aller à une surenchère : « le plus sot et le plus ridicule » : non pas 1 mais 2 superlatifs
absolus associés à la reprise (servile?) de l'adverbe « jamais » !
La cruauté s'accentue : si « le Roi se m(et) à rire » c'est d'un rire plutôt moqueur et
méchant. Et, dans l'interronégative qui suit, il pose de nouveau une question rhétorique
en accentuant en outre avec l'adverbe « bien » l'adjectif insultant « fat ». Le roi joue
d'un jeu bien cruel (et inégal) avec le maréchal...
Les répliques qui suivent s'enchaînent maintenant sans propositions incises : Mme de
S, de nouveau, va à l'essentiel, dans un échange direct. C'est aussi fort et vivant que du
théâtre !
- La réponse du maréchale, affirmation toujours catégorique faite notamment d'une
négation totale, l'enfonce plus encore...
- La réponse du roi retarde cruellement encore la révélation de l'auteur du madrigal qui
ne surprend en fait que sa victime : après un début enthousiaste (« bien » « ravi » « si
bonnement »), il finit sur une proposition emphatique qui appuie donc sur sa personne :
« c'est moi qui l'ai fait » !
-La dernière réaction du maréchal nous fait rire mais par « correction sociale »
(Bergson) : nous compatissons (et/ou nous nous réjouissons?!) de son malaise...
La surprise fait vite place ensuite à une réaction honnête, impossible à réprimer : « Sire,
quelle trahison ! » Le maréchal finit par trouver juste après une solution de repli : la
demande de pouvoir relire le texte. Le fait que celle-ci soit assez vite trouvée révélerait
bien le climat cruel de la Cour sous Louis XIV (Pour les plus curieux, regardez Ridicule, un
film de P Leconte !) ? L'historiette ainsi, encore une fois, n'est peut-être pas si « petite »
qu'annoncée ?
- La dernière réplique du Roi finit sur une sorte de vérité générale avec son présent et
ses mots abstraits qui clôt le dialogue et laisse le maréchal dans une situation en
suspens...
« Le Roi a fort ri de cette folie » : Mme de S montre une certaine liberté de penser dans
cette façon d'évoquer et en fait de condamner la dernière réaction moqueuse du roi : le
mot « folie » est fort et « fort ri » et « folie » sont peut-être associés dans une même
intention de condamnation morale. Rappelons encore que Mme de S est proche des
jansénistes qui étaient d'une extrême exigence morale. Elle ne peut pas être d'accord
avec l'attitude manipulatrice et humiliante du roi.
« tout le monde... vieux courtisan » : le superlatif absolu « la plus cruelle » est
contredite par l'adjectif « petite ». Mme de S est consciente de la faible importance en
réalité de la scène racontée. A moins qu'il ne s'agisse dans cette sorte d'antithèse d'une
formule précieuse (mouvement qui aimait les réflexions originales et raffinées et le beau
langage) car faite d'une association de mots piquante ? Ce qui fait réagir « tout le
monde », finalement, c'est que ce jeu cruel a été appliqué à un « vieux courtisan »,
quelqu'un a priori qui se trouvait donc à l'abri. Mme de S ne montre-t-elle pas ainsi
également la cruauté en fait de cette cour et de son roi qui peut n'épargner personne ?

La dernière phrase :

« Pour moi, qui aime à faire des réflexions » : il y a après « le Roi », « tout le monde »,
et l'aveu de la proposition subordonnée relative, la volonté de montrer une attitude
personnelle et singulière...
« je voudrais qu'il en fît là-dessus » : on retrouve la volonté de la moraliste (Mme de S
vénérait notamment La Fontaine, La Rochefoucauld et Mme de La Fayette) qui aimerait
que le roi, tout roi qu'il est, accepte d'aller assez loin pour voir certaines vérités... En
l'occurrence, son lien avec... la vérité !
La fin de la phrase donne en effet une nouvelle portée au récit, plus ambitieuse,
philosophique, en évoquant la faible part (« combien », « loin », « jamais ») de « vérité »
qui entoure le roi : c'est bien là pour elle le dernier mot de cette « petite historiette » !

Eléments pour la conclusion :

La lettre est bien écrite pour « divertir » son destinataire et elle le fait avec art dans le récit
de cette saynète cruellement drôle.
Mais Mme de S s'appuie sur cette « petite historiette » pour susciter la réflexion non
seulement autour de cette cruauté du roi mais aussi, en bonne moraliste du 17ème siècle
classique français proche du jansénisme, par rapport à sa vanité et à son faible lien avec
la vérité...

Ouvertures :
parler par exemple d'une fable contemporaine de La Fontaine centrée de même sur une
critique comparable de la cour : « Les obsèques de la lionne », « La cour du lion »... ou
autre... Il s'agit ici d'apologues = récits imaginaires qui cherchent à faire passer une
morale
Ou : dire que, le siècle d'après, la cible des rieurs sera davantage... la noblesse et ses
privilèges, avec par exemple Voltaire (explication linéaire suivante !) ou Beaumarchais
(groupement de textes complémentaires) qui annoncent la Révolution française...

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