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Bac Blanc Avril 24 Poésie Verhaeren Rimbaud
Bac Blanc Avril 24 Poésie Verhaeren Rimbaud
Vous répondrez à cette question dans un développement organisé qui prendra appui
sur Cahiers de Douai d’Arthur Rimbaud, sur les textes et documents étudiés dans la
cadre du parcours « Émancipations créatrices », ainsi que sur votre culture
personnelle.
Objet d’étude : la poésie Commentaire littéraire
Les usines
Aux carrefours, porte ouverte, les bars :
Étains, cuivres, miroirs hagards,
Se regardant avec les yeux cassés de leurs fenêtres Dressoirs6 d’ébène et flacons fols
Et se mirant dans l’eau de poix1 et de salpêtre2 D’où luit l’alcool
D’un canal droit, tirant sa barre à l’infini, Et sa lueur vers les trottoirs.
Face à face, le long des quais d’ombre et de nuit Et des pintes7 qui tout à coup rayonnent,
Par à travers les faubourgs lourds Sur le comptoir, en pyramides de couronnes ;
Et la misère en pleurs de ces faubourgs, Et des gens soûls, debout,
Ronflent terriblement usines et fabriques. Dont les larges langues lappent, sans phrases,
Les ales8 d’or et le whisky, couleur topaze.[…]
Rectangles de granit, monuments de briques,
Et longs murs noirs durant des lieues3, Ici, sous les grands toits où scintille le verre,
Immensément, par les banlieues ; La vapeur se condense en force prisonnière :
Et sur leurs toits, dans le brouillard, aiguillonnées Des mâchoires d’acier mordent et fument ;
De fers et de paratonnerres, De grands marteaux monumentaux
Les cheminées. […] Broient des blocs d’or, sur des enclumes,
Et, dans un coin, s’illuminent les fontes9
Se regardant de leurs yeux noirs et symétriques, En brasiers tors10 et effrénés qu’on dompte.
Par la banlieue, à l’infini,
Ronflent le jour, la nuit,
Les usines et les fabriques.
1 6
Poix : mélange collant et noir à base de résine et de goudron. Dressoirs : meubles hauts servant à exposer et ranger de la vaisselle.
2 7
Salpêtre : sel minéral blanchâtre qui se développe sur les vieux murs. Pintes : récipient contenant une boisson (ici de la bière).
3 8
Lieue : ancienne unité de longueur (environ quatre kilomètres) Ales : type de bière blonde.
4 9
Plâtras : débris de plâtre. Fonte : matériau fait d’un alliage de fer et de carbone.
5 10
Scories : poussières de fer. Tors : tordus.
Lycée Albert CAMUS de Bois-Colombes Classes de 1ere G6, G7 et G9 2023-24
Corrigé du bac blanc n°2 Objet d’étude : la poésie
Sujet de dissertation « Que voulez-vous, je m'entête affreusement à adorer la liberté libre" écrit
Arthur Rimbaud à son professeur Georges Izambard dans une lettre datée du 2 novembre 1870.
Selon vous, le recueil Cahiers de Douai témoigne-t-il de cette quête absolue de liberté revendiquée
par Rimbaud ? Vous répondrez à cette question dans un développement organisé qui prendra appui sur Cahiers de
Douai d’Arthur Rimbaud, sur les textes et documents étudiés dans la cadre du parcours « Émancipations créatrices »,
ainsi que sur votre culture personnelle.
Analyse du sujet :
-Mots-clés :
Témoigner = exprimer, faire paraître, manifester
Quête = recherche. Ce terme indique une action en cours, un effort, une tension vers un idéal
Absolue = totale, sans réserve, sans limite
Liberté « libre » = pléonasme qui indique le pouvoir d’agir sans contrainte, selon sa propre
volonté, sans entrave
- Problématique possible : Dans les Cahiers de Douai, Rimbaud a-t-il pour objectif de s’affranchir de
toute contrainte, de toute règle, afin d’atteindre la liberté la plus totale ?
- Plan dialectique
Introduction : Rimbaud a seize ans lorsqu’il écrit les poèmes réunis dans les Cahiers de Douai. En
1870, il est donc à la fois un adolescent en quête d’émancipation personnelle et un jeune poète
désireux de trouver sa voix propre. Alors même qu’il fugue à plusieurs reprises, il réfléchit à la poésie
nouvelle qu’il veut créer. La liberté est, pour lui, le corollaire de l’activité créatrice. Dans une lettre
adressée à son professeur de français Georges Izambard datée du 2 novembre 1870 il écrit : « je
m’entête affreusement à adorer la liberté libre ». On pourra alors se demander si les Cahiers de
Douai témoignent effectivement de cette quête absolue de liberté revendiquée par le jeune auteur.
A-t-il pour principal objectif dans ce recueil de rompre avec toute contrainte, toute règle établie,
pour atteindre la liberté la plus totale ? Nous montrerons dans un premier temps que les Cahiers de
Douai expriment bien une émancipation personnelle et artistique et sont un hymne à la liberté sous
toutes ses formes. Mais, en second lieu, nous verrons que le recueil ne renie pas pour autant la
tradition poétique et que les audaces et transgressions du jeune poète sont encore mesurées. Les
écrits ultérieurs de Rimbaud seront bien plus radicaux et, par là, bien plus « libres » : ils feront éclater
ce qui n’est encore qu’en germe dans les Cahiers de Douai.
Attention, ce qui suit est un plan détaillé : tout doit être rédigé lors de l’examen
Si Rimbaud revendique ici une plus grande liberté et innove en matière poétique, il ne s’affranchit pas
pour autant de toute contrainte ni de toute référence.
II Mais le recueil ne renie pas pour autant la tradition poétique : les audaces et
transgressions du jeune poète restent encore mesurées.
A. Rimbaud ne fait pas table rase du passé et ne se détourne pas du présent : il est nourri de
références classiques et romantiques et s’inspire des écrivains de son temps.
- Plusieurs références explicites dans les Cahiers de Douai témoignent d’une culture littéraire acquise et
revendiquée par Rimbaud : la figure d’Ophélie renvoie à Shakespeare, celle de « Tartufe » à Molière et le « Bal
des pendus » est une réécriture de la « Ballade des pendus » du poète médiéval François Villon.
- Au moment de l’écriture des Cahiers de Douai, l’influence du Romantisme est encore palpable dans la poésie
de Rimbaud. Ainsi, dans certains poèmes comme « Le Dormeur du val » ou « Ophélie », on retrouve de
nombreux topoï de ce courant littéraire : la mise en scène de la mort et la contemplation des beautés de la
nature notamment.
- En outre, l’engagement politique et social cher à certains romantiques est également bien présent dans le
recueil. Ainsi, la peinture d’enfants affamés des « Effarés » peut être rapprochée des descriptions pathétiques
des Misérables de V. Hugo. De même, des poèmes satiriques comme « Rages des Césars » rappellent, par la
dénonciation grotesque qu’ils font du tyran impérial, la critique virulente de Napoléon III dans les Châtiments
de ce même auteur.
- Dans « Soleil et chair » on peut cette fois percevoir l’influence du Parnasse : le poète s’adresse à la déesse
Vénus pour célébrer le bonheur qui régnait jadis, dans l’univers antique. Il multiplie alors les références
érudites à la mythologie (« Lysios » pour Bacchus ou « Cypris » pour Aphrodite), choisit d’utiliser les graphies
grecques pour certains noms propres (« Ariadné » pour Ariane), utilise un vocabulaire très riche et soutenu
(«le syrinx » (flûte) ou « Kallipyge »).
- On pourra également penser à l’héritage de Baudelaire qui, dans Les Fleurs du mal, transforme la laideur en
sujet poétique -ce que Rimbaud fera à son tour, par exemple dans « Vénus anadyomène ».
C. Rimbaud révèle dans ce recueil un goût encore marqué pour la régularité et les codes formels
de la poésie traditionnelle
- Rimbaud privilégie très largement la forme poétique du sonnet : douze poèmes sur 22 sont écrits sous cette
forme héritée de la Renaissance. On trouvera aussi quelques odes, comme « Les Effarés ». L’auteur utilise
également dans certains poèmes comme « Première soirée » ou « Roman » des effets de reprise au début et à
la fin du texte, procédé directement inspiré de la poésie médiévale.
- Enfin, sa poésie est uniquement versifiée dans ce recueil. L’alexandrin est majoritaire mais on trouve
également d’autres vers classiques comme les octosyllabes dans « Les Réparties de Nina ».
S’il est bien question d’une quête de « liberté libre » dans les Cahiers de Douai, celle-ci est amorcée
plutôt qu’aboutie.
III Rimbaud n’en est alors qu’au début de son cheminement poétique : les Cahiers
de Douai annoncent pourtant déjà la révolution poétique à venir.
A. Un recueil de transitions
Rimbaud est encore très jeune, influencé par ses lectures personnelles et marqué par sa formation scolaire,
capable néanmoins de véritables audaces, de transgressions et d’une vraie liberté de ton. Cahiers de Douai,
recueil de transition, expose directement cette quête de liberté revendiquée et brosse dans plusieurs poèmes
le portrait d’un jeune poète qui cherche sa voix/ sa voie. Par exemple « Ma Bohême » met en scène un poète
qui marche sans connaître sa destination et qui considère explicitement cette errance comme partie
prenante de son acte poétique : on pourrait donc y voir Rimbaud se représentant lui-même en train de (se)
chercher.
Conclusion
La lecture des Cahiers de Douai permet de découvrir l’œuvre d’un jeune poète qui exprime son désir de se
rebeller contre certains aspects de la société et sa soif de « liberté libre ». Son écriture elle-même manifeste
une volonté de liberté par rapport aux normes établies et à la tradition : ses jeux avec les règles de la
versification ou avec le langage convenu en sont la preuve. Cependant un certain nombre de poèmes
s’inscrivent encore dans la thématique lyrique traditionnelle et dans un héritage littéraire, et conservent une
forme codifiée. Arthur Rimbaud ira beaucoup plus loin par la suite dans sa quête de liberté artistique et
personnelle. Mais Rimbaud pressent, dès les Cahiers de Douai, ce que doit être la poésie moderne : une façon
de vivre pleinement et un nouveau rapport au monde qui se formule dans une langue nouvelle. La poésie
exige-t-elle toujours un tel engagement et un tel don de soi ?
Lycée Albert CAMUS de Bois-Colombes Classes de 1ere G6, G7 et G9 2023-24
Corrigé du bac blanc n°2 Objet d’étude : la poésie
Commentaire littéraire
Emile VERHAEREN, « Les usines », Les Villes tentaculaires, 1895
[Introduction1]
Au XIXe siècle, durant la Révolution industrielle, de nombreux écrivains manifestent leur intérêt pour
les espaces urbains en mutation et peignent la misère du monde ouvrier. Si cela concerne avant tout les
romanciers, comme le naturaliste Emile Zola, le poète belge Emile Verhaeren prouve avec son recueil Les
Villes tentaculaires publié en 1895, que la ville contemporaine peut aussi devenir un sujet poétique. Le texte
« Les usines » est moderne par son thème – il s’agit d’une description d’un univers industriel et des faubourgs
ouvriers-, mais aussi par sa forme – strophes et vers sont de longueur variée, le système de rimes est souple.
Comment le poète le poète rend-il compte de la transformation urbaine et de la détresse du
prolétariat ? Nous verrons tout d’abord que l’auteur dresse, avec réalisme, un véritable tableau des banlieues
industrielles de la fin du XIXe siècle. Nous nous montrerons ensuite que le poète souligne la tristesse
inquiétante et quasiment fantastique de cet univers. Enfin, nous mettrons en valeur la dénonciation des
conditions de travail et de vie des ouvriers qu’offre ici l’auteur.
1
Les éléments entre crochets ne doivent pas figurer dans votre devoir : tout doit être rédigé.
poète crée une atmosphère sombre.
L'ambiance que Verhaeren attache à cette cité industrielle est plutôt morose.
Cette tristesse tient en premier lieu au fait que le décor dégage une uniformité monotone. Ce sont
les indications spatiales qui donnent d'abord cette impression puisque le canal s'écoule « à l'infini » (v.3) et les
« longs murs noirs » des usines s'alignent « durant des lieues » (v.9). Cette longueur uniforme se retrouve
appliquée aux quais qui s'étendent « par à travers les faubourgs lourds » (v.5), expression redondante. La
monotonie qui ressort des éléments décrits est aussi donnée à entendre dans le rythme : le poème
commence par un long vers de 14 syllabes, l'emploi d'adverbes très longs étire les vers 7 et 10
(« terriblement », « immensément ») tandis que certains vers sont allongés par des enjambements (comme
les vers 2 et 3, 11 et 12). Le rythme le plus fréquent est fondé sur quatre syllabes (vers 8 à 11 par exemple) ce
qui engendre lenteur et monotonie. D'autre part, des effets de retour ou même de répétition à l'identique de
certains groupes de mots donnent l'impression de piétiner au lieu d'avancer dans la description : « à l'infini »
aux vers 3 et 15, « se regardant avec/de leurs yeux » aux vers 1 et 14, « par la/les banlieues » aux vers 10 et 15,
« ronflent les usines et les fabriques » aux vers 7 et 16-17. De plus, Verhaeren, par l'emploi d'articles définis
pluriels généralisateurs (« les faubourgs », « les quartiers », « les bars » ...), laisse entendre qu'il dresse le
décor de toutes les banlieues industrielles, qui se ressembleraient toutes. Cette uniformité tient aussi
évidemment à l'absence de vie, tout entière absorbée par l'industrie.
Le canal, qui pourrait constituer un élément positif, être un lieu plaisant de promenade, n'est montré
que de façon péjorative : l'adjectif « droit » insiste sur son aspect artificiel et l'eau est « de poix et de
salpêtre » v.2, donc visqueuse et contaminée par les polluants industriels. La végétation des squares n'arrive
pas à s'épanouir : la « flore [est] pâle et pourrie » v.22. La métaphore « en des caries de plâtras blancs et de
scories » v.21 signifie-t-elle que les squares sont implantés sur les déchets des usines ou est-elle une
métaphore pour désigner les maladies des arbres, touchés eux aussi par la pollution ? Aucune couleur vive
n'apparaît dans cet environnement, où le noir de l'industrie semble tout recouvrir, comme le fait aussi le bruit
des usines. Et surtout la vie humaine paraît absente de ces quartiers, du moins à l'extérieur. Seules « les
femmes et leurs guenilles » v. 19 y font une apparition fantomatique. D'ailleurs, l'atmosphère devient
presque fantastique.
La tonalité fantastique est d'abord créée par l'absence des hommes et par la personnification des
usines. On a l'impression de traverser une ville fantôme, dont les rues sont vides mais où on se sent guetté. Si
les hommes sont presque absents du texte, c'est que les usines ont pris leur place, mais aussi leurs attributs :
elles sont douées de regard (« se regardant », « se mirant », « yeux » v.1, 2 et 7), « ronflent » (répété aux vers 7
et 16 ) comme de gros monstres endormis mais tout de même dangereux (« terriblement » v. 7) et prêts à se
réveiller. Même les hypallages1 des « miroirs hagards » v.24 et des « flacons fols » v. 25 semblent ôter leur
caractère aux hommes pour les donner aux objets, doués d'une volonté propre. D'autre part, cette
atmosphère fantastique est accentuée par les notations climatiques (« brouillard » v.11, « pluie » v.18), par
l'obscurité (« quais d'ombre et de nuit » v.4) et le caractère délabré de l'environnement ( « yeux cassés de
leurs fenêtres » v.1, « quartiers rouillés » v.22, « flore pourrie » v.22, « caries » v.21). Enfin, plusieurs
expressions hyperboliques soulignant la grandeur des bâtiments, comme « à l'infini » v.15 et
« immensément » v.10, font que l'homme se sent encore plus perdu.
La tristesse qui ressort de la description est exprimée par l'exclamation et l'interjection « Oh ! » du
vers 18 à travers lesquelles Verhaeren ne peut s'empêcher de donner son sentiment. Quelle est selon lui la
place de l'homme dans cet univers de désolation ?
En décrivant cette ville inhumaine, Verhaeren dénonce les conditions de vie misérable des ouvriers.
La misère et la souffrance des silhouettes furtives qui apparaissent, « les femmes » v.19 ou les
« gens »v.30, sont évoquées et suscitent la pitié : les femmes sont « en guenilles » v.19, le labeur est accablant
et sans fin, comme le suggèrent la juxtaposition du vers 16 « le jour, la nuit » ou la rime « nuit/infini » v3-4 et
1
Figure de style qui consiste à attribuer à certains mots d'une phrase ce qui convient à d'autres mots de la même phrase
(ex. rendre qqn à la vie pour rendre la vie à qqn).
15-16. Les verbes de la dernière strophe soulignent combien le travail est dangereux : les machines
« mordent, fument » v.35 et « broient » v.37. Dans cette ultime strophe, les êtres humains sont totalement
invisibles : déshumanisés et dominés par la machine, ils sont assimilés à de simples outils, ils sont réifiés : les
sujets des verbes d’action sont toujours des non-humains, la « vapeur », les « mâchoires », les « marteaux »
semblent se mouvoir seuls. Ce qui importe dans cette société ce ne sont pas les individus mais leur force de
travail : la machine, rendue vivante, semble pomper leur énergie et se l’approprier. Le seul lieu où les
hommes croient trouver refuge est le bar, attirant dans la cinquième strophe par son jeu de lumière qui rompt
avec l’obscurité partout ailleurs présente : lieu certes attirant mais surtout lieu de perdition comme dans
L’Assommoir de Zola. « Soûls » v.30, les hommes ont un regard perdu comme le souligne l’adjectif « hagards »
v.24. Ils se tiennent juste « debout » v.30 et sont incapables de communiquer (« sans phrases » v.31). Ils sont à
nouveau déshumanisés, ravalés cette fois-ci au rang d’animal : au vers 31, ils « lappent » la bière avec leur
« large langue » et l’allitération fait entendre ces coups de langue réitérés.
La ville est sourde et aveugle à la souffrance des hommes qu’elle écrase et exploite : aveugle car
elle a les « yeux cassés » v.1 et les « yeux noirs » v.14, comme frappées de cécité. Sourde, parce qu’elle dort et
« ronfl[e] » v.7. Les allitérations en [r] et [f] des vers 6 et 7 - « et la misère en pleurs de ces faubourgs, /
ronflent terriblement usines et fabriques » - font entendre ces bruits incessants. La ville est aussi un piège qui
se referme sur l’être humain, elle est d’ailleurs présentée comme une prison : les lignes horizontales et
verticales semblent dessiner des barreaux qui empêchent de voir l’horizon. La vapeur de l’usine devient elle
aussi « une force prisonnière » v.34. La dernière strophe est en fait une vision de l’enfer, avec son monstre
dévorateur à la « mâchoire d’acier » v.35, la mention de la « vapeur » v.34 et de la fumée v.35 et la présence du
feu –« les brasiers tors et effrénés » v.39. On peut aussi songer à la forge d’Héphaïstos, le dieu forgeron, car
seul un être extraordinaire peut manier « de grands marteaux monumentaux » ou « dompter le feu » v.36 et
39. Les jeux de sonorités font entendre ce bruit infernal grâce à l’homéotéleute (c’est-à-dire la rime
intérieure) du vers 36 « marteaux monumentaux » et à l’allitération en [b] du vers 37 « broient des blocs ». Et
le rythme 4/4 des octosyllabes vers 36-37 fait aussi entendre le martellement incessant de ces outils. Mais ici
ce sont les ouvriers, plus que le métal, qui semblent torturés par cette usine infernale.
[Conclusion]
Verhaeren peint, en cette fin du XIXe siècle, un monde en pleine mutation : le paysage est
considérablement modifié, les villes deviennent gigantesques, la population ouvrière croît et est soumise à la
misère. L’auteur se veut témoin de son époque mais, sous l’œil du poète, cette réalité se transforme en
univers fantastique et infernal qui souligne combien est terrible la condition ouvrière.
Rimbaud, contemporain de Verhaeren, dans son poème « Les effarés » dans le Cahiers de Douai est
également sensible à la misère urbaine, mais c’est un groupe d’enfants affamés qu’il choisit alors de décrire
pour exprimer son indignation.