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Emr 127 0016
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Dossier
ONG-entreprise :
les liaisons dangereuses
DU MÉCÉNAT CLASSIQUE AU PARTENARIAT STRATÉGIQUE, LES RELATIONS ENTRE ONG
ET ENTREPRISES SE SONT CONSIDÉRABLEMENT TRANSFORMÉES CES DERNIÈRES ANNÉES.
A
lors que les relations entre les progressif pour ces rapprochements
ONG et les entreprises étaient d’un genre nouveau a donné naissance
soit inexistantes soit marquées aux Etats-Unis à des « brokers en parte-
par une profonde opposition, les rap- nariat » qui ont pour rôle de faciliter
prochements actuels observés entre ces la rencontre entre firmes multinatio-
deux acteurs démontrent aujourd’hui nales demandeuses d’expertise et ONG
l’apparition d’un profond changement souhaitant diversifier leurs sources de
de mentalités. financement.
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des contre-pouvoirs, les ONG ont exercé motivations qui poussent les entreprises
depuis la fin des années 80 un rôle de à tisser les nouveaux liens sont nom-
veille et de dénonciation en attaquant breuses : recherche d’expertise, volonté
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Anne-Sophie Binninger est professeur de marketing au groupe Reims Management School et chercheur as-
socié au laboratoire de recherche LEM-CNRS (IAE de Lille). Isabelle Robert est professeur associé à Reims
Management School, où elle enseigne le marketing.
anne-sophie.binninger@reims-ms.fr
isabelle.robert@reims-ms.fr
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dent à une démarche commerciale dont les frontières entre les deux mondes.
les retombées économiques sont préa-
lablement calculées. Dans les grandes A mesure qu’elles acquéraient 17
entreprises, la mise en place d’une po- du poids auprès des multinationales,
Dossier
>> d’une ONG ou d’une association, l’en- ment d’un mécénat d’initiatives. La
treprise accède à l’ère de la proximité : prise en compte des attentes du person-
elle tente de reconstruire le lien social, nel dans les politiques de mécénat et
de tisser des liens de nature affective, l’implication des salariés dans des pro-
d’être plus « transparente ». L’investis- jets de solidarité nationale ou inter-
sement de Total dans le mécénat envi- nationale sont devenues un enjeu
ronnemental après le naufrage de l’Erika déterminant pour l’entreprise en ren-
en est un exemple probant. Plus visible, forçant les liens et la cohésion du groupe
moins élitiste, le mécénat de autour de valeurs ci-
solidarité permet prioritaire- Le mécénat de toyennes. L’ONG est
ment à l’entreprise d’accroître alors un acteur dé-
son capital de sympathie mais solidarité terminant dans la
également de renforcer le senti- permet conduite de projets
ment de fierté des salariés. d’accroître visant à soutenir les
Les budgets consacrés au mé- actions bénévoles des
cénat par les entreprises fran- le capital de salariés et à instaurer
çaises ont ainsi connu un for- sympathie une politique de mé-
midable bond durant les cinq cénat de compé-
dernières années, passant d’un
et la fierté des tences. Ces deux
budget total de l’ordre de salariés. formes de mécénat de
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ganisations, et non plus environnemental périodiques… Il faut noter
seulement les départe- ou social et d’ailleurs que ces formes de
ments marketing ou partenariat constituent des in-
communication (voir
fait des recom- dicateurs pertinents, utilisés
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Type de
partenariat Mécénat Partenariat Mécénat Partenariat
financier produit de compétence stratégique
– +
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Dossier
Pilotage des partenariats : l’entreprise n’a plus le monopole
Maître d’œuvre
ONG
Labels, normes,
chartes, filières :
– environnement
– nature/animaux
– commerce équitable
– commerce éthique
ces actions sont le reflet d’une certaine sont généralement attribuables à l’émer-
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volonté existant dans l’entreprise. L’ex- gence des ONG humanitaires ou urgen-
pertise sociétale (droits de l’homme) et tistes dans le sillage du mouvement
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environnementale des ONG devient in- « sans-frontiériste » des années 70 et 80.
contournable pour les entreprises sou- Parallèlement, aux côtés des ONG
L’Expansion Management Review
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nationale. En France, le 1992), où elles s’érigent en
flou sémantique provo-
mises en place contre-pouvoir, en tentant
qué par le manque de par les ONG. d’orienter certaines décisions
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statut juridique clair en- de politique publique voire de
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>> paysans…), facilités par la globalisation tir une pêche plus responsable. A l’ins-
des technologies de l’information. tar du FSC, MSC gagne en popularité
L’exemple du réseau regroupant ONG auprès des consommateurs avec une
et associations du Nord et du Sud, vente de plus de trois millions de tonnes
constitué pour combattre l’industrie de produits de la mer certifiés. Les
pharmaceutique face au problème de ONG participent également activement
l’accès aux médicaments génériques à l’élaboration de chartes ou codes de
anti-VIH dans les pays du Sud, illustre conduite destinés aux entreprises, qui
cette formidable puissance. A doivent pallier l’inap-
l’image des entreprises, les ONG La plicabilité ou le carac-
se sont constituées, avec une tère unilatéral de cer-
grande pluralité d’acteurs, des multiplication tains codes internes
réseaux d’action leur permet- de normes, ou sectoriels, et le
tant d’être réactives face aux labels, codes de manque de régula-
nouvelles logiques productives tion globale. A titre
des firmes globalisées (10) lors- conduite se d’exemple, le code de
qu’elles constatent une dé- développe conduite établi par
faillance de ces dernières en le collectif Clean
matière de citoyenneté.
parallèlement Clothes Campaign
L’avènement de l’entreprise au droit « dur ». (CCC) (11), coalition
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projets développant une coresponsabi- concernant l’identité même de l’ONG.
lité réelle (voir figure page 20). De plus, Une autre approche antinomique et
cette imbrication plus tangible est ren- teintée cette fois de cynisme considére-
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forcée par l’avènement d’« ONG entre- rait cette interconnexion progressive
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>> image de marque existante vers des (label) auprès du grand public et en par-
domaines encore inexploités par l’his- ticulier de la grande distribution (voir
toire de l’entreprise (culture, humani- figure page suivante), cette organisa-
taire, environnement…). Pour les ONG, tion se voit la cible de pamphlets cri-
les interconnexions en termes d’image tiques de la part des puristes (13), tandis
sont moins évidentes et relèvent plutôt que sa démarche est largement soute-
d’une recherche de crédibilité, grâce à nue ou copiée par les acteurs classiques
une prise directe avec des actions du grand commerce.
« terrain », et de moyens. Ayant contribué L’utilisation de la
Toutefois, pour les unes et les grande distribution et
autres, cette recherche de gains à faire découvrir le revers de la pra-
communs peut aussi s’apparen- le commerce tique des marges ar-
ter à une quête du Graal à double
tranchant. L’intimité entre deux
équitable, Max rière posent égale-
ment des problèmes
acteurs, perçue par les parties Havelaar éthiques importants
prenantes, nécessite en effet un connaît une lorsqu’on représente
caractère irréprochable et une des petits produc-
transparence dans la relation,
notoriété peu teurs du Sud.
qui doit leur permettre d’agir en évolutive. Parallèlement, alors
confiance et de se faire confiance, qu’il a contribué à la
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« faire-valoir » qui menace toute ONG. valeur de celui-ci pour ces associés ac-
Mais des enjeux plus actuels se présen- tuels et potentiels. Une interrogation
tent aujourd’hui. Ainsi, la multiplica- mérite alors d’être soulevée : la multi-
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Etape 1 Etape 2
Acteurs historiques Petites entreprises
du commerce équitable industrielles ou commerciales
(Artisans du monde)
(Lobodis, Méo, Alter Eco)
?? MAX HAVELAAR
Etape 4 Etape 3
Grandes entreprises Marques de distributeur
(McDonald’s, Starbucks…) (Monoprix, Carrefour…)
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dans le jeu du marché, et montre les marketing encourageant les industriels
risques et les enjeux que la multipli- à « singer » tout attribut externe propre
cation des partenariats et l’utilisation aux ONG (sigle, label, information, ga-
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de méthodes propres au marché peu- rantie de fabrication…) ne puissent se