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SYNTHESES SUR GARGANTUA

LE PERSONNAGE DE FRERE JEAN

Occurrences de sa présence
Apparition tardive mais ne quitte plus ensuite le devant de la scène :
- 1er surgissement dans la défense de l’abbaye de Seuilly (chap. 27)
- Accueil par G et les siens : Frère Jean se mêle à ces joyeux compagnons (chap.
39)
- Propos de Frère Jean concernant le mode de vie des moines (chap. 40)
- Veillée d’armes (chap. 41)
- Participation à la bataille (chap. 42 à 45)
- Interrogé par Grandgousier à propos de Touquedillon qu’il a fait emprisonner
(chap. 46)
- Fondation de l’abbaye de Thélème (chap. 52)

Une fonction d’adjuvant


- Acteur majeur de la guerre picrocholine : il contribue à la victoire de
Grandgousier et Gargantua
- Courageux, réalise de nombreux exploits

Une fonction comique


- Personnage héroï-comique
- Doté de traits traditionnellement associés à la caricature du moine : ivrogne,
glouton, ignorant, paillard
- Démesure qui empêche d’en faire un modèle ou un idéal
- Cf. nom Entommeures qui renvoie à sa capacité de manger beaucoup mais
aussi de réduire ses ennemis en chair à pâté

Caractéristiques générales
- Personnage qui se définit par l’engagement et la générosité
Drôlerie et sens de la répartie
- Porteur de valeurs positives, image inverse du religieux brocardé par les textes
médiévaux
- Fait ensuite partie du groupe d’amis de G, dont la convivialité et l’art de vie
constituent une forme d’idéal social et humain
- Dimension subversive : sa démesure, sa verve et sa revendication d’autonomie
en font une source de renouveau

Un personnage qui permet de réfléchir sur la religion


Propos de Frère Jean comme éléments de la réflexion critique de R :
- Les moines sont des « mange-merde », car oisifs et inutiles
L’entrée de Frère Jean dans le récit met en valeur l’opposition entre sa capacité
à agir et l’inaction des autres moines
- Indispensable de redonner à la religion un souffle chrétien authentique
- Critique des pèlerinages, inutiles pérégrinations
- Remise en question plaisante de la chasteté des religieux
- Manière de vivre plus fraternelle, plus ouverte : frère Jean est un hédoniste ce
qui permet à R de revendiquer un christianisme épicurien

Bilan : FJ est un personnage essentiel, porteur de l’esprit de franche gaieté prôné par
Rabelais mais en même temps rétif à toute éducation humaniste. A travers cette figure,
Rabelais propose donc un renouvellement des pratiques religieuses et de la vie
monacale.
Grandgousier, un roi philosophe

Chap. XLV : G dit : « C’est ce que dit Platon au livre V de la République : que lors les
républiques seroient heureuses quand les roys philosopheroient ou les philosophes
regneroient »
→ puisque les philosophes ne règnent pas, reste la philosophie du roi et sa
signification

3 figures de roi chez R : Grandgousier, Gargantua puis Pantagruel

G incarne le mieux l’idéal royal de la Renaissance ; Grandgousier est encore associé


aux images de la vie patriarcale
- Richesse considérable
- Va progressivement laisser l’organisation du royaume et la conduite de la
guerre à son fils Gargantua
- A la différence de son fils, Grandgousier n’a pas fait d’études
- Transmission du pouvoir qui se fait par le jeu très simple de l’hérédité

Face à la guerre
- Gg frappé de perplexité quand il apprend que Picrochole a envahi ses terres,
va tout faire pour que Picrochole retrouve la raison et que la guerre n’ait pas
lieu
- Gg s’entoure de ses conseillers pour délibérer et envoie un émissaire, essaie
de réparer la soi-disant offense faite aux fouaciers
→ tentatives vaines face à l’appétit de conquête et la colère barbare de Picrochole
- Connaissance de son devoir de roi : protéger ses sujets donc prêt à se battre
mais dans une volonté de défense et non d’attaque
- Ennemis traités ensuite avec modération

Un roi qui prône l’évangélisme et les valeurs humanistes


- Prie régulièrement Dieu
- Lutte contre l’ignorance et la superstition
- Politique inspirée de quelques maximes simples, formulées par Erasme et
reprises par Grandgousier dans son discours à Toucquedillon : « guarder,
saulver, regir et administrer chascun ses pays et terres »
- Pacifisme qui repose à la fois sur l’Evangile et sur une conception réaliste de la
politique : « le temps n’est plus d’ainsi conquester les royaulmes »
- Notion de bien commun qui doit guider toutes les actions du roi, ce qui
condamne par avance toutes les politiques de prestige personnel
- Roi qui assure la prospérité de son pays et la tranquillité des citoyens mais aussi
veille à l’ordre des consciences et intervient dans le domaine religieux
- Mesure et pondération mises en valeur par la folie de Picrochole, exemple de
mauvais roi

BILAN : valeurs transmises au fils du roi Gargantua


LE PERSONNAGE DE GARGANTUA

I. Un géant digne des chroniques populaires


- Naissance prodigieuse
- Physique et appétit : quantité énorme de lait ingurgité, vertige des mesures pour
ses vêtements
- Personnage burlesque : mesure de la braguette, caractère flegmatique de ses
fesses …
- Occasion pour R de peindre le monde carnavalesque de l’enfance

II. Les signes précurseurs du futur prince humaniste


- Vêtements de prince, richesse et préciosité des matériaux employés
- Soif du nouveau-né qui annonce la soif de connaissances que développera
Ponocrates
Cf. nom Gargantua
- Intelligence nette : paroles précoces, improvisation de la poésie, sens de
l’observation et de l’expérience

III. Le support de l’attaque contre les sophistes : la satire


- Précepteurs douteux qui proposent un apprentissage purement formel et idiot
- Comparé au jeune page Eudémon, G est en retard d’où la réaction de son père
qui lui donne un nouveau précepteur

IV. Le roi Gargantua


- G règne sur un territoire tourangeau, dont la capitale est la Roche-Clermauld
- Opposé à Picrochole, roi fou qui met en relief la raison et l’humanité de G
LE RIRE DANS GARGANTUA

Repérages
- rire associé au MA et au XVIème à la figure du Diable car rire revient à se
moquer de Dieu et à remettre en cause l’ordre établi
- le sérieux est ce qui fait de nous des hommes
- en même temps, conception antique selon laquelle le rire est un privilège
humain : les animaux ne savent pas rire

- rire omniprésent, à l’ouverture du roman (dans les vers du début : « il vaut mieux
traiter du rire que des larmes », dans les vers liminaires « rire est le propre de
l’homme ») et à la fin
- roman qui semble fonder sur l’alternance de passages comiques dépourvus de
toute dimension savante et de passages sérieux où le savoir est au cœur du
propos
Certains critiques voient dans la construction de l’œuvre une alternance entre
épisodes carnavalesques (exemple : les cloches de ND) et épisodes
humanistes (exemple : les chapitres sur l’éducation, Thélème, etc.).
- rire qui caractérise les personnages :
Grandgousier est un « fier luron », Frère Jean est « joyeux »

I. Le rire de connivence avec le lecteur

1/ Le carnaval
- Inversion des valeurs : roi Picrochole représenté comme un roi de pacotille,
colérique
→ le haut devient le bas et inversement
- Rire d’apparence gratuit quand Rabelais joue sur la disproportion entre les
géants et les êtres humains = comique gigantal
Même esthétique de la démesure avec les nombreuses listes
2/ Le détournement
La parodie :
● de la religion : parodie du déluge avec l’urine qui noie les parisiens, parodie de la
parole biblique qui devient l’éloge de l’ivresse
● de la politique : Picrochole ressemble à un personnage de farce qui tue son cheval
à la fin de la guerre et s’enfuit / opposé au prince humaniste que devient Gargantua
● des romans de chevalerie : héros entouré de ses compagnons, série de batailles
comme la description de la bataille du clos de Seuillé
Objectif : parodier l’idéal chevaleresque qui glorifie la force guerrière et la brutalité pour
y opposer un idéal fondé sur l’éducation
● des discours scolastiques : Janotus de Bragmardo qui fait un long discours qui
ridiculise les procédés de la rhétorique = pédant au discours absurde et creux

3/ Une fête verbale


- rire franc lié à la scatologie, aux jeux de langage (noms comiques des
personnages comme le Comte Merdaille, proverbes et expressions prises au
sens propre, énumérations comiques …), vocabulaire populaire, familier, voire
vulgaire : bref, la créativité verbale de Rabelais n’est pas pour rien dans la vis
comica (= force comique) de son œuvre

Bilan 1 : Le comique occupe donc une place de premier plan dans cette œuvre. Mais
comme souvent en littérature, ce comique ne relève pas du seul divertissement
fantaisiste : il a aussi une portée critique, qui permet à Rabelais de dévaloriser
certains travers de son temps, d’autant plus que l’on peut repérer dans l’œuvre maintes
allusions à l’actualité religieuse et politique, et que Gargantua ne se contente pas de
critiquer, mais propose aussi un idéal humaniste.

II. « La substantificque moelle » : le sérieux et l’utopie ?

- Récit à fonction argumentative en faveur des valeurs humanistes.


- L’omniprésence du rire n’empêche donc pas les réflexions sérieuses, voire les
sert.
-
A. Une réflexion sur l’éducation
- thème, particulièrement important pour les humanistes (cf. traités d’Erasme),
- traité grâce à l’opposition manichéenne entre l’éducation des « vieux tousseux »,
abrutissante, et dont les résultats sont du plus haut comique (cf. la journée-type de
Gargantua suivant les préceptes de ces « maîtres » : somnolence, goinfrerie, saleté,
abrutissement de la pensée…), et l’éducation de Ponocrates, qui dessine un idéal
humaniste (à développer : cf. vos cours)
- réflexion prolongée avec Thélème et place accordée aux soins du corps et de l’esprit
dans le quotidien des jeunes gens de l’abbaye

B. Une réflexion sur la politique et la religion


→ façon dont Gargantua multiplie (même s’il les a atténuées en employant le mot
« sophiste » plutôt que « Sorbonagre » ou « théologien ») les attaques contre la
théologie officielle de son temps, représentée par la Sorbonne
- institution jugée rétrograde et intolérante
→ réflexion humaniste sur la guerre : au-delà de la satire de Charles Quint, qu’on peut
reconnaître sous le masque du tyran Picrochole, Rabelais prône la modération et le
pacifisme dans les relations entre nations, réservant le recours à la guerre aux
situations défensives

C. Une dimension utopique


Gargantua s’inscrit dans une tendance littéraire venue d’Italie et d’Angleterre (avec
l’Utopie de Thomas More), qui marque la littérature de la Renaissance : celle de
l’utopie. - - caractère idéal de l’éducation de Ponocrates, du comportement de
Grandgousier et Gargantua, véritables princes humanistes, de la vie à Thélème, utopie
humaniste et évangélique
→ sérieux qui caractérise toute utopie, dans la mesure où il s’agit, par la peinture d’un
monde idéalisé, de faire réfléchir le lecteur aux défauts et scandales du monde réel,
de la société de son temps

Bilan 2 : interpréter ce mélange de fantaisie et de sérieux comme une manière de


briser l’opposition trop simpliste entre rire et sérieux. Bref, on comprend sans doute
mieux la démarche de Rabelais si on prend le rire au sérieux.
III. Prendre le rire au sérieux

A. Le rire comme signe et ferment de vitalité et de créativité


- rire valorisé pour la vitalité qu’il entretient, contre toutes les pulsions mortifères, contre
le désespoir
- rire bon pour le corps et la santé
- « agelastes » : terme forgé à partir du grec et qui signifie « qui ne rient pas » ; ces
gens qui ne savent pas rire sont, pour Rabelais, des personnes détestables, car elles
ne voient pas le potentiel à la fois libérateur et créateur du rire.
- rire qui permet de former l’intelligence : ambiguïté permanente du roman, lecture
allégorique possible mais parfois discréditée (à propos des épisodes bibliques par
exemple) donc choix laissé au lecteur

B. Le rire comme arme et comme révélateur


Rire = arme souvent utilisée dans les débats d’idées
Satire pour faire rire aux dépens de multiples cibles :
● les théologiens
● les mauvais rois (Picrochole) et leurs mauvais conseillers (qui flattent ses ambitions
délirantes, mais déguerpissent avant la fin de la bataille !)
● les moines ignares et inactifs (dans l’épisode du clos de l’abbaye de Seuillé, mais
aussi dans la discussion sur les moines à la cour de Grandgousier)
Le rire dénonce et désacralise, rabaisse ceux qui se parent d’un faux prestige, comme
les théologiens, et révèle ainsi une vérité : leur savoir dépassé, leur intolérance…

C. Le rire contre la peur, rire subversif


Pour Bakhtine, rire rabelaisien comme une forme de résistance aux peurs médiévales
et à ceux qui les entretiennent : peur de la mort, du péché, du châtiment, etc.
Rire libérateur et subversif : il renverse les normes, les interdits, etc.
Savoir rabelaisien fondé sur la liberté d’en rire : invitation à développer son esprit
critique et à se méfier des discours tout faits

Conclusion :
Gargantua illustre donc bien, semble-t-il, tout le potentiel du rire, du délire
fantaisiste à la satire politique ou religieuse. L’œuvre montre ainsi qu’il est simpliste
d’opposer rire et sérieux : les deux sont constamment mêlés. En ce sens, même s’il
avait de fortes réserves sur l’esthétique rabelaisienne, Voltaire en est l’héritier avec
ses contes philosophiques : lui aussi met le rire au service d’une réflexion sérieuse.
La vision du corps dans Gargantua

A la Renaissance
- Mise en valeur du corps magnifié dans la peinture
- Intérêt pour l’homme dans toutes ses dimensions
- Intérêt tout particulier de Rabelais qui a traduit des textes médicaux grecs et
exerce comme médecin

Pbmq : coexistence d’une vision carnavalesque et d’une vision plus sérieuse du corps

I. Une vision carnavalesque du corps

- Comique qui repose sur le corps grotesque → insistance sur ce que M.Bakhtine
appelle le « bas corporel » : ingestion et évacuation de la nourriture, sexualité

Ex : naissance de Gargantua dans un contexte carnavalesque (banquet, abus de
boisson …), enfance où G est livré à lui-même, obnubilé par la nourriture, invention du
meilleur « torche-cul » comme signe que l’enfant apprend la propreté
- Focalisation sur le bas corporel renforcée par la gigantisme qui rend
spectaculaires les manifestations du fonctionnement du corps
- Physiologie traitée sur le mode de l’excès, du hors-normes : précisions chiffrées
sur les quantités de nourriture ou de boisson ingurgitées
- Carnaval comme temps de l’inversion des valeurs et de la régénération
Ex : naissance de G non par le bas mais par l’oreille gauche de sa mère

II. Une vision plus sérieuse du corps : réflexion et provocation

Corps présenté comme un objet d’éducation et de connaissance


1) Le corps à éduquer
Paradoxe : négligence du corps dans l’éduction moyenâgeuse, caricaturée dans G,
qui rend le corps pesant, donc omniprésent
→ éducation humaniste pour civiliser le corps : hygiène et soins corporels (nettoyage
des dents et des mains …), pratiques sportives …
2) Le corps à connaître : le point de vue du médecin
- Repas comme occasion de s’instruire sur les propriétés des aliments → savoir
diététique
- Intérêt de R porté à la connaissance du corps et au savoir médical : érudition
médicale
3) Le corps, entre jouissance et souffrance
- Corps comme lieu de jouissance : alimentaire, sexuelle, esthétique
- Corps comme lieu de souffrance : accouchement de Gargamelle, corps
déchiquetés pendant la guerre
→ corps porteur des ambivalences et de la complexité de la condition humaine

III. Le corps : source d’inspiration littéraire

Corps comme ressource pour la créativité littéraire


- Fête langagière et source de création verbale
Ex : néologisme « rataconniculer » pour désigner l’acte sexuel
- Eblouissantes énumérations
Ex : objets et matières testés comme « torche-cul »
Corps comme métaphore
- Lexique abondant de la boisson et de l’alimentation // goût du savoir et celui de
la lecture
Ex : image de l’os à moelle, symbole de la lecture allégorique : acte de lecture comme
une dégustation à la fois exigeante et savoureuse

BILAN
Gargantua est donc imprégné d’une vision humaniste du corps, objet de
connaissance, lieu du plaisir et de la douleur, bref, partie intégrante de l’expérience
humaine et, comme tel, digne d’objet de littérature, d’autant plus que R en exploite tout
le potentiel métaphorique.
La guerre dans Gargantua

CONTEXTE : Les guerres d’Italie qui, loin de se limiter aux terres italiennes, ont en
réalité concerné toute l’Europe, ont débuté en 1494 et prendront fin en 1559.

Dans Gargantua : récit parodique qui situe le conflit dans la petite région de Chinon,
ce sont tous les aspects de la guerre du temps de François 1er et de Charles Quint qui
sont évoqués

Les chapitres consacrés à la guerre picrocholine dans Gargantua se distinguent par


une très grande variété de genres et de registres :
- nombreux récits pleins de dialogues
- genre épistolaire avec la lettre de Grandgousier à son fils
- différentes sortes de discours : discours diplomatique d’Ulrich Gallet,
harangue de Gargantua, discours de Grandgousier à Toucquedillon et aux
pèlerins.

La guerre dite picrocholine, du nom de Picrochole « bile amère » occupe une place
importante dans Gargantua puisque Rabelais y consacre 27 chapitres (chapitres XXV
à LII.) :
- naissance du conflit et les différentes opérations militaires
- aspects diplomatiques avec les consultations, les envois d’ambassades, les
négociations, le traitement des prisonniers et des vaincus.
- dimension psychologique et morale de la guerre montrée et analysée

I/ Le déroulement de la guerre

- début du récit de la guerre très abrupt : nous quittons brusquement Paris,


Gargantua, Ponocrates et leurs compagnons pour la Touraine, plus
précisément la région de Chinon, au début du chapitre XXV
1/ Le cadre spatio-temporel
Les références à l’actualité sont très présentes et étaient transparentes pour les
lecteurs contemporains de Rabelais.

Cadre de la guerre : petite région de Chinon, région natale de Rabelais où il a passé


son enfance
→ saisissant effet de contraste entre le monde minuscule des bergers et fouaciers
de la région de Chinon et l’ampleur de l’affrontement de deux puissantes armées.

2/ Le déroulement
- d’abord querelle dérisoire qui oppose les bergers de Grandgousier et les
fouaciers de Picrochole
- ampleur quand les fouaciers se plaignent à leur roi Picrochole « bile amère »
de la méchanceté des bergers

→ disproportion entre les causes ou prétextes des guerres et les débuts de celle-ci
et leurs développements ultérieurs et leurs conséquences.
Les causes et prétextes des guerres sont montrées ici, de façon parodique et comique,
comme particulièrement futiles.

3/ Les opérations proprement dites


Rabelais évoque avec précision l’organisation des armées et les techniques militaires
en vigueur à son époque.

A – L’attaque de Picrochole
Rabelais met l’accent sur la précipitation de Picrochole, l’importance de l’armement, la
lâcheté de Picrochole et des « princes de son royaulme », qui restent bien protégés
au milieu de l’armée.
B – Un exploit remarquable : la défense du clos de Seuillé par frère
Jean
Conformément à la tradition des romans de chevalerie, l’exploit personnel et individuel
du héros est fortement valorisé.

C – La suite des opérations : des escarmouches


Dès que Grandgousier est mis au courant de la situation, il rédige une lettre à
Gargantua pour lui demander son intervention. Il envoie en même temps un
négociateur, Ulrich Gallet (chapitres XXX et XXXI), renvoie des charrettes chargées
de fouaces à Picrochole, (chapitres XXII.) Mais ces démonstrations de bonne volonté
ne convainquent pas Picrochole qui, excité par ses conseillers, envisage la conquête
de l’Europe et même du monde (chapitre XXXIII.)

II/ Deux camps que tout oppose

1/ Picrochole, un colérique mégalomane sous influence


→ modèle du mauvais prince, emporté par ses pulsions, ses désirs de conquête, sa
bêtise et son inhumanité.
A travers ce personnage Rabelais apporte une condamnation morale de la guerre de
conquête et de l’ambition sans borne.

2/ Les hommes de Grandgousier


Dans le camp de Grandgousier la guerre est conduite par Gargantua, rappelé de Paris
par son père (chapitre XXIX.)
→ la chevalerie que Gargantua a apprise à Paris doit maintenant être mise à l’épreuve.
Il va passer de la théorie à la pratique.
A la différence de Picrochole, il sait écouter les conseils de gens plus aguerris et
expérimentés que lui
Gargantua est accompagné de son précepteur Ponocrates et de ses compagnons
Gymnaste et Eudémon.

III/ Portrait d’un roi pacifique et humaniste : Grandgousier


→ réflexion sérieuse sur les enjeux de la guerre, sur ses aspects psychologiques et
moraux.
→ portrait du roi pacifique et humaniste qui répond à ses vœux.

- le bon prince doit être pacifique


Il a le souci de ses sujets qui doivent être protégés.
Le roi doit traiter humainement les prisonniers et ne pas exiger de rançon
- la guerre doit être autant que possible évitée.
Grandgousier fait tout pour éviter la guerre :
- envoyer un ambassadeur à Picrochole pour essayer de désamorcer le conflit,
- écrire une lettre à son fils pour l’informer de la situation et le faire venir (chapitre
XXIX).
- seule la guerre défensive est légitime
Les destructions inutiles et gratuites sont bannies. Après la victoire, Gargantua traite
les partisans de Picrochole avec humanité et les revoie dans leurs foyers.
L’éducation de Gargantua

L’éducation est un thème central de l’humanisme. Erasme y a consacré son De ratione


studii en 1512 et Guillaume Budé le De studio litterarum recte et commode instituendo en 1527
et 1533.
Le thème de l’éducation dans Gargantua est en outre le signe de la confiance de
Rabelais dans l’être humain et dans les progrès de la connaissance.
Rabelais confronte deux types d’enseignement, dont il fait reculer le premier dans le
temps, à dessein. L’enseignement du sophiste est ainsi placé à une époque d’avant
l’imprimerie, et avant 1420 (date de la mort du sophiste). Grâce à la chronique gigantale et au
traitement du temps que cela permet, Rabelais confronte ainsi un enseignement qu’il présente
très clairement comme moyenâgeux, scolastique, reculé dans le temps et désuet et un
enseignement nouveau, celui des humanistes de la Renaissance. Les deux enseignements
sont distants d’un siècle dans l’œuvre.

I – Les railleries à l’égard de la scolastique

Le premier temps est donc satirique et porte sur la scolastique médiévale. Il donne en
réalité la perception globale que les humanistes de la Renaissance en avaient : il ne s’agit pas
de la réalité exacte de la scolastique mais de sa caricature.

1.1 ) La prophétie comique de Grandgousier

Grandgousier apparaît ici comme un personnage comique car il est enfermé dans un
optimisme béat concernant son fils. Par le seul fait que celui-ci a inventé un torche-cul, il lui
prédit la plus haute sagesse. Les hyperboles déconsidèrent le discours du père : « participe
de quelque puissance divine », « aigue, subtile, profonde et sereine », « souverain degré de
sagesse ».
Sa position sur l’éducation est de plus fausse et incomplète : il n’assigne pas à
l’éducation le but du développement de soi et de sa personnalité, mais l’instruction au sens
d’une accumulation savante : « je veux le confier à quelque sage, pour qu’il soit instruit selon
ses capacités ». C’est là déjà l’annonce d’un programme d’éducation scolastique, livresque,
fait d’une accumulation de savoirs inutiles et desséchants.

1.2 ) Les moqueries à l’égard de la scolastique et des sophistes

→ On peut noter la raillerie à l’égard du sophiste : l’expression « grand docteur


sophiste » est ironique.
→ Les sophistes étaient des penseurs formalistes, capables de faire servir l’art du
langage non à la recherche de la sagesse, mais à la défense de n’importe quelle idée,
même mauvaise. Comme Socrate, Rabelais dénonce le formalisme du raisonnement.
On retrouve le reproche adressé par les humanistes aux scolastiques : l’apprentissage
exclusif des procédés rhétoriques. Ce terme issu de l’antiquité est peut-être aussi une
façon de rendre l’attaque plus imprécise. Les premières éditions
de Gargantua contenaient le terme « théologien » et non « sophiste » !
→ De même, le nom du sophiste est ironique : Tubal (qui veut dire confusion) est la terre
sur laquelle règne Gog, ennemi de Dieu, selon Ezéchiel. Holoferne est le type même des
persécuteurs du peuple de Dieu, et est connu pour sa lubricité et son ivrognerie (Livre
de Judith).
→ Le programme d’enseignement proposé est exactement le canon scolastique et brille
par sa bêtise et son inutilité : l’alphabet à rebours, les quatre livres de l’enseignement
scolastique (la note 6, p. 142, de l’édition, explique le contenu de chaque ouvrage) et
l’écriture en lettres gothiques (alors qu’on commençait à écrire à l’italienne. Les
humanistes reprochaient aux scolastiques de fonder leur enseignement exclusivement
sur la mémoire : ici, l’exercice d’apprentissage par cœur se trouve déconsidéré par le
raffinement qu’il comporte : l’alphabet doit être appris à rebours. La mémoire devient une
mécanique absurde ne débouchant sur aucun effet de sens. Les quatre livres scolaires
symbolisent en outre un enseignement fondé uniquement sur des commentaires et non
sur des textes véritables. C’est de plus un enseignement passéiste, fondé sur le trivium
antique : grammaire, rhétorique, dialectique.
→ Les indications de temps sont exagérées et ôtent toute pertinence à cet
enseignement : il faut cinq ans et trois mois pour apprendre l’alphabet, et treize ans, six
mois et deux semaines pour les quatre livres, soit 18 ans, 9 mois et 2 semaines. La
précision des chiffres participe de la surenchère comique. Le lecteur en conclut que
Gargantua n’a donc strictement rien appris. Rabelais dénonce la vacuité des
occupations, la perte de temps, la mobilisation de la mémoire pour des connaissances
inutiles.

II – Un programme d’éducation humaniste

Le chapitre 23 se construit en opposition avec le chapitre 14 : à l’enseignement


scolastique desséchant, inutile, uniquement livresque, s’oppose une éducation qui comprend
l’instruction mais aussi le développement de soi-même, du corps et de la personnalité, et qui
comprend toutes les dimensions de la vie. L’éducation doit pouvoir ainsi développer les
qualités naturelles de l’élève.
L’éducation nouvelle que propose Rabelais est donc bien plus large que l’apprentissage
intellectuel : il s’agit aussi d’éduquer le jeune prince aux futures responsabilités de son
royaume.
Ce programme d’éducation est proprement humaniste et le nom de « Ponocrates » forgé
sur le grec et voulant dire « Travailleur » rappelle aussi la culture grecque de l’auteur. De
même, Anagnostes signifie en grec « lecteur ».

2.1 ) La relativisation de la culture livresque

Par rapport à l’enseignement scolastique, entièrement livresque, la part de la culture


livresque est considérablement réduite. Cette culture comprend la Bible et des romans
antiques ou de chevalerie. Les ouvrages scolaires sont abandonnés. Rabelais va de ce point
de vue plus loin que les autres humanistes, même Erasme. La part de lecture est
considérablement réduite, et Gargantua ne recopie plus les ouvrages comme un scribe de
couvent mais écoute les lectures qui lui sont faites. Par ailleurs, la lecture de la Bible est aussi
un acte de foi et une célébration de Dieu, et non une controverse aride sur les points doctrinaux
(l.4-7). C’est aussi une lecture claire et intelligible, un véritable acte de compréhension – « à
voix haute et claire, avec la prononciation requise » - opposé au marmonnement des moines
pour qui le texte est incompréhensible (chap.21 et 27). C’est enfin une lecture directe,
personnelle, débarrassée des commentaires médiévaux. L’acte de foi fait ainsi partie de
l’éducation : il ne s’agit pas seulement d’une éducation intellectuelle : il s’agit d’une
amélioration morale, d’un supplément d’âme.

2.2 ) L’intérêt des humanistes pour tous les domaines de la connaissance

En revanche, l’éducation humaniste proposée par Ponocrates touche tous les domaines
de la connaissance : la religion, l’astrologie (l.11-13), la morale (l.15-16), le sport et la
connaissance du corps, la littérature, les propriétés médicales des aliments et des herbes.
Gargantua devient ainsi un grand sportif, un homme versé dans les saintes Ecritures, lettré,
ayant des connaissances sur tout et capable d’être médecin. L’éducation encyclopédique
proposée doit ouvrir l’esprit et la curiosité.

2.3 ) La part faite au corps


L’éducation est aussi celle au boire, au manger et au sommeil, et préoccupe Rabelais
en tant que médecin. Avec Ponocrates, Gargantua se lève à 4h du matin (contre 8-9h avec le
sophiste), ne fait plus de sieste et ne perd aucune heure du jour.
De même, l’incontinence et l’impudicité de l’excrétion est remplacé dans le contenu par
une relative discrétion et dans la forme par une formule médicale et élégante : « Puis allait es
lieux secrezt faire excretion des disgestions naturelles ». La relative discrétion de Gargantua
dans l’excrétion s’oppose à la volubilité scatologique du chap.13.
Enfin, durant le repas le régime de Gargantua est beaucoup plus varié et fait contraste
avec la profusion de viandes salées de l’éducation sophistique.
L’enseignement humaniste donne une place importante au corps : l’activité physique
occupe une bonne partie de la matinée et la narration détaille les activités sportives.
De même, l’hygiène fait partie de l’éducation : excrétion (l.8-9), hygiène du corps, l. 14
puis l.27. Rabelais critique vivement le peu d’hygiène de l’époque médiévale et des docteurs
de la Sorbonne. Pour l’Eglise, le souci du corps s’oppose au souci de l’âme et de la vie
éternelle. Le corps est considéré comme mauvais par sa dimension profane, corrompu et
détourne l’homme de Dieu et des préoccupations spirituelles. On remarquera cependant que
la nouvelle toilette de Gargantua ne comporte pas d’eau à une époque où l’eau est considérée
comme dangereuse et porteuse de maladies.
L’éducation du corps va donc de pair avec l’éducation de l’esprit sur le modèle de
l’éducation athénienne dans l’antiquité grecque.

2.4 ) Une méthode humaniste

La méthode de Ponocrates repose sur un certain nombre de principes :


- la récitation et la répétition : pour être su, l’enseignement se fonde sur la répétition des
leçons : répétitions des lectures bibliques, l.9, répétition et récitation des leçons de la veille,
l.15, récitation de formules de la leçon, l.28-29.
- Mais c’est aussi un enseignement ouvert et heureux, fondé sur le dialogue, à la manière
du dialogue socratique : l.20, 35.
- Cette éducation est une éducation joyeuse, et non contraignante : le sport se pratique
sans limitation de durée autre que celle de la résistance physique, la conversation est joyeuse :
on y apporte des livres mais ceux-ci ne sont pas la finalité de l’enseignement (l.41-42).
- C’est enfin une éducation pratique : Gargantua apprend en observant les choses de ce
monde (les aliments, les plantes, les racines, les étoiles, le soleil, le ciel, la condition de ses
contemporains). Le savoir livresque n’est là que pour soutenir l’observation du réel : l.42.

2.5 ) Un idéal d’éducation ?

Cependant, on peut être surpris par l’utilisation du temps : toutes les activités de
Gargantua sont recouvertes par l’éducation, jusqu’au passage à la selle, en passant par le
repas ou la promenade. Il s’agit plus d’un idéal que d’un réel programme d’éducation
réalisable. En fait, même positif, ce passage entre quand même dans un récit comique : la
fébrilité, la surcharge de la journée est du côté comique de la démesure. Il y a également du
comique à penser que Gargantua se fait expliquer les points les plus subtiles de l’Ecriture
précisément au moment des cabinets. De même, méditer à quatre heures du matin sur « la
majesté et jugemens merveilleux » de Dieu pendant qu’on lui passe un gant humide sur la
figure prête à sourire. Le comique est plus recherché que dans le chap.14 mais tout aussi
évident.
Toutefois, Rabelais propose sa vision humaniste de ce que doit être l’éducation, contre
l’enseignement scolastique.

Rabelais offre ainsi une progression à son personnage et au lecteur vers plus de
sagesse, d’éducation et de savoir-vivre. Il oppose ainsi l’enseignement aride, livresque et
stérile de la scolastique à une véritable éducation humaniste, qui touche tous les domaines de
la connaissance, s’appuie sur des exemples et des observations complètes, et est un
épanouissement de soi-même, intellectuellement et physiquement. Cet idéal est bien sûr
inapplicable mais est proposé à titre d’exemple pour éduquer des natures lymphatiques. Dans
l’abbaye de Thélème, les participants ayant déjà de la sagesse et du savoir-vivre, certaines
contraintes, comme celle du temps, auront disparu. En d’autres termes, cette éducation
conduit l’homme à une véritable liberté responsable.

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