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Institutions politiques

au Maroc.
Le choc de la modernité,
Protectorat et Indépendance.

Abdellah Tourabi
« 
Suite aux transformations politiques et économiques qui ont caractérisé l’Europe à la fin

1.Crise de
du 18e et début du 19e siècle (la Révolution française et les guerres napoléoniennes, la
révolution industrielle), le Maroc était condamné à faire face aux visées des puissances
occidentales (notamment la France, l’Angleterre et l’Espagne).

l’Etat, crise
Le Maroc vivait au rythme d’une longue crise, aux différentes manifestations, qui l’ont
affaibli. Les expressions de cette crise sont multiples :
- Une crise démographique : le nombre de la population marocaine ne dépassait pas 4

de la société
millions d’habitants, résidant notamment dans les montagnes et les oasis. Cette
situation s’explique par les vagues successives d’épidémies qui ravageaient le pays et
le rendait exsangue sur le plan démographique et économique. Lépidémie de 1799-

au début du 1800, par exemple, a emporté dans son macabre sillage entre le quart et la moitié de
la population marocaine et a vidé les grandes villes et les plaines côtières de leurs
habitants. À titre de comparaison, la ville de Paris comptait à elle seule 1 million

19éme d’habitants au milieu du 19e siècle.


- Une crise économique : la production agricole et les échanges commerciaux étaient
caractérisés par leur archaïsme et la faible circulation de la monnaie. L’économie était

siècle. de subsistance recourant à un dispositif technique rudimentaire et demeurait tributaire


des pénuries et de la hantise de la famine qui accompagnait les cycles d’épidémies.
- Une crise de pouvoir : La succession au pouvoir et la désignation d’un nouveau sultan
ont toujours été des problèmes majeurs dans l’histoire politique marocaine. Mais au
début du 19e siècle, ce problème s’est aggravé avec les manœuvres des puissances
occidentales soutenant un prétendant au pouvoir contre un autre, le soulèvement des
tribus contre le Makhzen et l’influence déterminante des confréries religieuses.
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QUES
À partir de la fin du 18e siècle, les sultans marocains ont compris qu’un nouveau monde

2.Le Choc se dessinait et qu’il n’était plus possible de faire face militairement aux puissances
européennes. L’expédition militaire en Égypte du général Bonaparte en 1789, qui a
permis à la France de s’emparer provisoirement de ce pays, a eu des ondes de choc qui

occidental ont touché le Maroc. Le choix de Moulay Souleiman (sultan de 1792 à 1822) de mener
une politique d’isolement du Maroc et de réduire les relations commerciales et les
contacts avec les pays européens s’expliquent par la crainte de tomber entre les mains de
ces puissances.
En 1830, la France entame un processus d’extension en Afrique du Nord à travers la
conquête d’Alger et l’élargissement de sa domination territoriale dans les frontières
orientales du Maroc. Une situation tendue qui aboutira en 1844 à la bataille d’Isly, où
l’armée du sultan Moulay Abderrahmane a subi une défaite terrible face aux troupes
françaises. Au nord du pays, l’Espagne exerçait également une pression militaire sur le
Maroc, qui s’achève par l’entrée de l’armée ibérique à la ville de Tétouan en 1860 et
l’imposition de lourdes indemnités de guerre au Maroc, dont ce dernier était incapable de
s’acquitter. Le pays entre alors dans un long et fatal processus d’endettement, profitant
aux puissances européennes et à leurs représentants, et qui aura de lourdes conséquences
sur les ressources financières du Makhzen.
La souveraineté du Maroc sur sa population, et notamment sur ses élites, a été également
compromise par le recours au système de « la protection consulaire ». Ce système
permettait à des sujets marocains de se placer sous la protection et l’autorité de
puissances européennes et échapper au pouvoir du Makhzen. Des commerçants prospères,
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des chefs de confréries, des ministres et parfois des tribus entières… Ont pu bénéficier du
QUES statut de « protégés ».
 
Face aux défis imposés par les puissances occidentales, le makhzen a entrepris une
série de réformes pour endiguer le risque de pénétration étrangère et la perte
3. Les tentatives progressive de sa souveraineté sur son territoire et sur ses sujets. Ces réformes ont
été de différentes dimensions :
- Réformes administratives : la structure du Makhzen était rudimentaire et ses

de réforme des moyens modestes. Le Sultan était au sommet, avec une administration centrale
composée de Chambellan (Hajib), des secrétaires/ministres (Oumana) et des
serviteurs organisés en corporations spécialisées. Au niveau local, les caids, les

institutions pachas, les juges et les Adouls assuraient les fonctions administratives et
judiciaires. Les réformes ont tenté de moderniser et d’étoffer cette structure en
créant de nouveaux ministères avec des attributions précises (Affaires

économiques et
étrangères, Défense, Finances…) et en essayant d’améliorer et
« professionnaliser » la collecte des impôts et des recettes douanières.
- Réformes militaires : Après les défaites cuisantes de Isly et de Tétouan, les
sultans marocains (notamment Hassan 1er) ont tenté d’apporter des changements
administratives. à la formation des soldats marocains et à l’organisation de l’armée (recours à des
instructeurs étrangers, augmentation des effectifs, construction de fortifications
militaires modernes, envoie des étudiants marocains se former en Europe dans
des écoles militaires…).
- Réformes économiques : Afin de pouvoir honorer ses engagements à l’égard
de ses créanciers et financer les projets entrepris par les sultans, le Maroc a
introduit une série de réformes économiques. Notons donc l’imposition de
nouvelles taxes (Mukus), la création de nouvelles monnaies ( le Riyal Hassani,
par exemple), l’introduction de cultures non connues encore au Maroc (coton,
soie…)
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Après le décès du sultan Hassan 1er en 1894, le Maroc devait affronter une situation
4-.L’échec marquée par les troubles et les incertitudes. Les grands caïds, notamment dans l’Atlas,
jouissaient de plus en plus de pouvoirs et de force armée, des soulèvements se
succédaient dans différentes régions du Maroc ( ex: Bouhmara en 1902) et la France ne
des réformes cachait plus ses visées expansionniste au Maroc.
Le jeune sultan Moulay Abdelaziz tente alors de mener une série de réformes,
notamment le projet de réorganisation fiscale et administrative, appelé « Tartib » et qui
et avait pour ambition de moderniser les impôts et leur collecte dans le pays, et de rendre la
fiscalité plus équitable et proportionnelle. Cette réforme s’est heurtée à une résistance
violente de la part des forces traditionnelles et privilégiées au Maroc ( les confréries, les
l’avènement oulémas, les notables, les agents d’autorité…) mais aussi de la part des puissances
européennes, hostiles à toute réforme au Maroc. Le Sultan essaya également de créer

du Protectorat
l’embryon d’un « parlement » marocain ( Assemblée de notables, représentant les
grandes villes et quelques tribus), mais sans succés.
La France réussit à conclure des accords avec les pays européens concernés, pour lui
laisser les mains libres au Maroc. En 1907, les forces françaises s’emparent de Ouejda,
bombardent Casablanca et envoient une expédition militaire aux plaines de Chaouia.
La proclamation d’un nouveau sultan, Moulay Abdelhafid, pour mener le Jihad contre la
présence militaire française n’a été d’aucune utilité, malgré les tentatives de
négociations du nouveau sultan. Le traité de Protectorat sera signé entre le Maroc et la
France le 30 mars 2012.
 
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Après la signature du traité de Protectorat, l’armée française s’est lancée dans une vaste
5.L’influence entreprise de colonisation et d’occupation du territoire marocains, visant à anéantir toute
résistance. « La campagne de pacification», appellation donnée à cette guerre a duré
jusqu’à 1934 et a provoqué la mort de centaines de milliers de victimes.
du Protectorat En parallèle à cette violence militaire, le premier résidant général français, le Maréchal
Lyautey, a mené une politique habile visant à donner un vernis respectueux du
Protectorat à l’égard des institutions traditionnelles marocaines. C’est ainsi qu’il
sur les multiplia les signes d’égard au sultan en se présentant comme »le serviteur de Sidna », il
maintient aussi les structures traditionnelles du pouvoir et les utilise pour asseoir la
présence française, (les confréries, les grands caids…), il préserve l’urbanisme des villes
instituions marocaines et leur héritage, tout en se lançant dans une vaste opération de
transformation urbaine qui donneront un nouveau visage à des villes comme Casablanca

marocaines.
ou Rabat. Le littoral atlantique, ou l’axe Casa-Rabat, deviendra le nouveau centre de
gravité du Maroc, au lieu des anciennes capitales impériales comme Fès et Marrakech.
Un système dual est mis ne place à tous les niveaux, où l’on juxtapose le traditionnel et
le moderne, le local et l’occidental. Cette dualité a eu un impact important sur les
institutions politiques, économiques et administratives du Maroc et marquera
durablement son évolution. Le Protectorat a mis ainsi en place un maillage administratif
qui permet au pouvoir central de contrôler tout le territoire marocain et le soumettre à
son autorité. Ces nouvelles institutions administratives et judicaires ( droit positif,
tribunaux civils, police, agents d’autorité avec des fonctions précises et hiérarchisées…)
formeront l’ossature institutionnelle de l’Etat moderne marocain après l’Indépendance.
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On désigne par le mouvement national marocain un ensemble d’organisations et
d’intitiatives,portées et menées par de jeunes marocains issus de milieux urbains et instruits,
6.Naissance et qui ont opté pour l’action politique pour réclamer l’indépendance du maroc et la fin de
l’occupation française et espagnole. Ce mouvement était influencé par les idées nationalistes
et réformistes répandues en Orient, mais aussi par les théses défendues par des milieux
développement libéraux européens. Les manifestations contre le Dahir du 16 mai 1930, dit « Dahir
berbère » marque un jalon dans l’émergence de ce mouvement. Ce dernier recourt à
différents moyens pour affirmer son existence et renforcer son action : utilisation de la
du mouvement presse, création d’écoles libres et modernes gérées par les nationalistes, adoption de costume
national, boycott de produits français. L’apparition de partis politiques liés à ce mouvement
constitue un élément important dans cette action nationaliste ( Hizb Al islah Al watani en

national et la 1936 dans la zone nord, Al Hizb Al watani en 1937). La célébration de la fête du trône, pour
la première fois, en 1934 par les nationalistes marocains, marque une étape dans les
relations de ces derniers avec le Sultan Sid Mohammed Ben Youssef, qui affirmera

lutte pour progressivement sa stature et sa place centrale dans la lutte pour l’indépendance.
En 1944, le parti de l’Istiqlal a été créé et le manifeste du 11 janvier de la même année
appelle clairement et solennellement à l’indépendance du Maroc. Le sultan devient alors la

l’indépendance . cible de l’hostilité des autorités françaises et des milieux marocains rétives à
l’indépendance. À l’initiative de ces deniers, le sultan et sa famille sont déportés le 20 août
1953 en Corse et par la suite à Madagascar. Cette crise déclenche un mouvement de
résistance au Maroc, incarnée par les manifestations organisées par les nationalistes et la
création de l’Armée de libération en 1955. Des pourparlers ont été ouverts entre la France et
des représentants marocains, aboutissant au retour du sultan Mohammed V au Maroc le 16
novembre 1955, et la reconnaissance de l’indépendance du Maroc par la France le 2 mars
1956 et par l’Espagne le 4-7 avril 1956.
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Bibliographie:
 Histoire du Maroc. Réactualisation et synthèse. Direction
Mohamed Kably. Publications de l’Institut Royal pour la Recherche
sur l’Histoire du Maroc. 2012
 Abdellah Laroui. Les origines sociales et culturelles du nationalisme
marocain (1830-1912). Centre Culturel Arabe. 2001.
 Germain Ayache. Etudes d’Histoire marocaine. SMER. 1979.
 Charles-André Julien. Le Maroc face aux impérialsmes (1415-1956).
Editions Jeune Afrique. 1978.
 E. Burke III. Prelude to Protectorate in Morocco. The University of
Chicago Press. 1976

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