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Endocrinologie - Métabolisme - Nutrition

B 334

Dénutrition
Signes cliniques et biologiques, traitement
PR Luc CYNOBER 1, DR Pascal CRENN 2, PR Bernard MESSING 2,3
1. Service de biochimie et président du Comité de liaison alimentation nutrition (CLAN), L’Hôtel-Dieu, 75181 Paris Cedex 04.
2. Service d’hépato-gastro-entérologie et d’assistance nutrititionnelle, hôpital Lariboisière.
3. Président du CLAN, hôpital Lariboisière, 75475 Paris Cedex 10.

Points Forts à comprendre Étiologie, physiopathologie


La dénutrition résulte d’un bilan négatif, entre apports
• Un dépistage systématique de la dénutrition, nutritionnels et besoins métaboliques, notamment
quel qu’en soit le degré, chez des patients protéino-énergétiques. Elle est le plus souvent la consé-
hospitalisés et dans la communauté, est quence d’une diminution des apports avec mobilisation
nécessaire car sa prévalence est respectivement des réserves énergétiques et utilisation de la masse
de l’ordre de 30 % et 10 %. Elle est majorée maigre musculaire à des fins énergétiques. L’existence
chez les personnes âgées. de besoins augmentés et (ou) de pertes accrues accélère
• La dénutrition résulte d’un bilan protéino- la vitesse de survenue de la dénutrition et en modifie
énergétique négatif. Dans la majorité des cas, l’expression clinique dans le sens d’une dénutrition à
une réduction absolue ou relative des ingesta est prédominance protéique.
retrouvée ; elle est isolée ou associée à une aug-
mentation des besoins dans tous les états trau-
matiques, infectieux et inflammatoires Dénutrition par réduction des apports
et (ou) une augmentation des pertes, notamment Il existe 2 formes de dénutrition, l’une globale, protéino-
dans les syndromes de malabsorption énergétique ou marasme, d’évolution chronique, l’autre
et les brûlures. à prédominance protéique ou kwashiorkor, d’évolution
• Le traitement de la dénutrition repose subaiguë. Dans les pays occidentaux, la carence d’ap-
donc sur des apports nutritionnels adaptés port « isolée » la plus caractéristique est représentée par
et suffisants sous forme soit de suppléments l’anorexie mentale non compliquée : elle entraîne une
oraux, soit d’une nutrition artificielle entérale dénutrition de type « marasme ». La réduction des
ou parentérale ; le mode entéral doit être utilisé apports conduit à une érosion de la masse maigre et à
de façon préférentielle au mode parentéral. une diminution de la masse grasse, d’autant plus rapide
• L’efficacité de la renutrition doit être vérifiée : que la carence est importante. En cas de jeûne total
elle est plus facilement obtenue lorsque (grève de la faim), la synthèse accrue de corps céto-
ses complications sont prévenues et maintenues niques supplée partiellement aux besoins des tissus
à un taux minimal par un programme gluco-dépendants, notamment du cerveau et de la moelle
d’assurance qualité sous la responsabilité osseuse.
d’un Comité de liaison pour la nutrition Les situations caractérisées essentiellement par la réduction
et l’alimentation (CLAN). des apports, dites anorexiantes, se rencontrent dans :
• de nombreuses pathologies chroniques telles que les
syndromes algiques, dépressifs, de maldigestion ou de
malabsorption, la cirrhose, l’alcoolisme, le sida, les
Il y a dénutrition lorsque le bilan protéique, influencé cancers, la bronchopneumopathie, l’insuffisance
négativement par un bilan énergétique négatif, devient rénale… ;
insuffisant pour répondre aux besoins métaboliques de • comme conséquence de thérapeutiques lourdes telles
l’organisme. Elle s’accompagne d’une diminution de la la chimiothérapie, la radiothérapie ou la chirurgie ;
masse maigre (MM), notamment de la masse dite • chez les personnes âgées et dans le quart monde :
« cellulaire active », de la masse musculaire et d’une isolement social, denture, polymédication, escarres,
altération de fonctions physiologiques notamment insuffisance de ressources…
musculaire, immunitaire, de cicatrisation et de la vie
de relation ou psychique. Ces altérations dépendent Dénutrition par hypermétabolisme
plus de la réduction nette des ingesta, si la durée est
supérieure à 7 jours, que de la masse proprement dite ; L’hypermétabolisme est une caractéristique des états
elles peuvent donc être observées de façon précoce au d’agression : brûlure, polytraumatisme, infection,
cours de la dénutrition. syndromes inflammatoires, suite de chirurgie lourde…

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La dénutrition est alors plus protéique que calorique et Clinique de la dénutrition


la perte de masse musculaire, accélérée par l’immobi-
lisation, est de survenue étonnamment rapide. L’hyper-
métabolisme est relayé par une réaction immuno-neuro-
Interrogatoire
endocrine (tableau I). Il a pour but de satisfaire L’anamnèse pondérale (données déclaratives) semi-
l’augmentation des besoins énergétiques secondaire à la récente (3 à 6 derniers mois) et récente (2 dernières
redistribution de la synthèse protéique, notamment vers semaines) précisant le poids de référence personnel pré-
les protéines de l’inflammation, l’hématopoïèse et la morbide, ainsi que le recueil du niveau semi-quantitatif
réparation des tissus lésés. Le bilan protéique négatif est (médical) récent des ingesta (normaux, réduits, nuls)
dû au déséquilibre entre la synthèse protéique et celle, sont des données clés faisant partie de l’évaluation de
plus forte, de la protéolyse. L’utilisation des acides l’état nutritionnel (tableau II). Il est également nécessaire
aminés à des fins néoglucogéniques entraîne une de disposer de l’enquête alimentaire quantitative
azoturie qui peut atteindre 20 g/j, soit un équivalent diététique en macronutriments, jugée sur la prise orale
protéique de 125 g (20 x 6,25), soit l’équivalent de des 3 à 7 derniers jours. Une modification de l’activité
500 g de masse musculaire. Ces situations hyper- physique et des signes de carence en minéraux et en
métaboliques entraînent également une consommation micronutriments (crampes, paresthésies, douleurs
accrue de certains acides aminés, de minéraux et de osseuses, etc.) sont recherchés.
micronutriments (vitamines et oligo-éléments).
Poids et taille
TABLEAU I Le poids (en kg, mesuré avec une balance de qualité
médicale) et la taille (en cm) sont notés. Le degré
Médiation de la réponse d’amaigrissement, non volontaire, est alors exprimé en
à l’agression pourcentage du poids usuel. Toute perte de poids égale
à 5 % est significative ; elle traduit une dénutrition
Facteur Variations Principales modérée et sévère lorsqu’elle atteint respectivement
de synthèse actions résultantes 10 % et 20 %. L’existence d’œdèmes surestime le poids
et sous-estime le degré de dénutrition. Même en leur
Hormones absence, il existe une augmentation de l’eau extra-
cellulaire, parallèle au degré de sévérité de la
Cortisol ➔ ➔protéolyse musculaire dénutrition chronique.
➔efflux musculaire Le poids (en kg) divisé par la taille (en m2) constitue
des acides aminés
Glucagon ➔ ➔captation hépatique l’indice de masse corporelle (IMC) de Quetelet de
des acides aminés valeurs normales comprises entre 20 et 25 kg/m2.
➔glycogénolyse, Associé à un amaigrissement, un indice de masse corpo-
néoglucogenèse relle entre 20 et 18,5 traduit un risque de dénutrition ;
Catécholamines ➔ ➔lipolyse, entre 18,5 et 16 une dénutrition modérée ; entre 16 et
glycogénolyse
Insuline Insulinorésistance : 13 une dénutrition sévère et en dessous de 13 une

hyperglycémie, dénutrition grave avec augmentation significative du
➔lipolyse, risque de décès à court terme (figure). Chez le vieillard,
hypertriglycéridémie, la taille peut être difficile à déterminer : on peut utiliser à
➔ synthèses protéiques la place de celle-ci la hauteur du genou ou l’envergure
Hormone ➔ Résistance à l’action sterno-digitale ; chez l’enfant, la courbe de croissance
de croissance de la GH : ➔ IGF1,
➔ synthèses protéiques est un bon marqueur de l’état nutritionnel.
Médiateurs
Examen clinique
Cytokines ➔ Anorexigène
pro-inflammatoires activation de l’axe Il permet de reconnaître plusieurs facteurs.
(tumour necrosis hypothalamo- • Le risque de dénutrition peut être évoqué en présence
factor α, hypophyso-surrénal d’une pathologie chronique, devant une réduction des
interleukines 1 et 6) ➔synthèse des protéines ingesta O 50 % des besoins et O 7 j. Dans ce cas,
de l’inflammation
la perte de poids involontaire et récente peut ne pas
➔resynthèse hépatique
d’acides gras dépasser 5 à 10 % du poids usuel.
Chémokines ➔ mobilisation • Dans la dénutrition « établie », l’index clinique le
(dont interleukine 8) des cellules immunitaires plus utile qui permet d’évaluer l’état nutritionnel est
(polynucléaires) celui dit « de Detsky ». Il s’agit d’un index subjectif
Prostaglandines, ➔peroxydation lipidique clinique global qui classe les patients en 3 catégories
leucotriènes ➔ ➔génération de radicaux
libres
d’état nutritionnel (normal, dénutri sévère et état inter-
médiaire ou dénutrition modérée). Il associe les para-

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TABLEAU II mètres décrits dans le tableau II. Cet index a, après


apprentissage, une bonne reproductibilité entre observa-
Évaluation clinique subjective teurs indépendants pour le diagnostic de ces 3 classes ;
globale de l’état nutritionnel* il a une meilleure valeur prédictive positive et négative
de complications postopératoires que des variables
biologiques nutritionnelles, isolées ou associées à l’anthro-
Histoire
pométrie. L’examen cardiaque, neurologique, cutanéo-
muqueux et des phanères (perte des cheveux, ongles
1 / Perte de poids des 6 derniers mois (% poids de forme) striés, desquamation, hyperpigmentation cutanée, folli-
❑<5% culite, chéilite, muqueuses [gencives hémorragiques…])
❑ 6 à 10 % et l’état dentaire apportent des arguments pour des
❑ > 10 % carences minérales, en vitamines ou oligo-éléments.
Évolution pondérale des 2 dernières semaines : Des œdèmes et une hépatomégalie molle (stéatose)
❑ prise de poids sont 2 signes cardinaux d’une dénutrition protéique
❑ poids stable
❑ perte de poids prédominante et leur absence, en présence d’un amai-
grissement notable, est en faveur d’une dénutrition à
2 / Modification de la prise alimentaire prédominance énergétique.
(versus ingesta habituel)
❑ pas de changement
❑ modification (depuis combien de semaines : ................) Complications de la dénutrition
Type : ❑ diminution nette Une dénutrition significative est responsable d’une
❑ jeûne morbidité et d’une mortalité accrues, indépendamment
3 / Symptômes digestifs d’une durée > 2 semaines du diagnostic étiologique de la dénutrition. Cela se traduit
❑ aucun par une prolongation du séjour hospitalier, source d’une
❑ nausées augmentation des dépenses de santé :
❑ vomissements – défaut de cicatrisation avec l’absence de prise de
❑ diarrhée greffe de peau (brûlé), des fistules… ;
❑ anorexie – immunodépression avec des infections plus fréquentes
4 / Capacités fonctionnelles et plus sévères majorant la dénutrition ;
❑ normales – défaillance musculaire respiratoire, cardiomyopathie,
❑ perturbées : durée : (.......... semaines) retard de la vidange gastrique, état grabataire avec
Type : ❑ travaille presque normalement escarres… ;
❑ garde quelques activités – altération des fonctions intellectuelles, irritabilité,
❑ reste au lit le plus souvent dépression ;
– aménorrhée, hypothermie, hypoglycémie, acro-
5. Degré d’agression : dépense énergétique attendue
syndrome… ;
❑ normale – et, selon la cause de la dénutrition, les carences miné-
❑ peu augmentée rales ou en micronutriments peuvent être au 1er plan :
❑ très augmentée
iléus paralytique dû à une hypokaliémie, maladie de
Gayet-Wernicke à cause du déficit en vitamine B1,
Examen clinique pancytopénie due au déficit en folates, acrodermatite
entéropathique liée à un déficit sévère en zinc, neuro-
Normal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 0 pathie périphérique et (ou) centrale due aux carences
Dénutrition modérée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 vitaminiques (B1, B12), fractures pathologiques par
Dénutrition nette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 déficit prolongé en calcium et en vitamine D…
Dénutrition sévère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
Perte de masse grasse (plis cutanés quadricipital, tricipital, Diagnostic différentiel
préthoracique)
Perte musculaire (quadriceps, fessiers, deltoïde) Il faut attirer l’attention sur 2 pièges diagnostiques :
Œdèmes (prétibial, chevilles, lombes) – les faux positifs ; en effet, la maigreur dite constitu-
tionnelle n’est pas synonyme de dénutrition car l’indice
Classement (3 stades) de masse corporelle est certes bas, compris entre
20 et 16, mais il n’y a ni amaigrissement, ni réduction
A / État nutritionnel normal (absence de symptômes) patente des ingesta, ni signes carentiels objectifs ;
B / Dénutrition modérée ou potentielle – les faux négatifs sont plus nombreux, car l’indice de
(intermédiaire entre A et C) masse corporelle peut rester supérieur à 20 et l’amai-
C / Dénutrition sévère (forte présence de symptômes) grissement, non volontaire (musculaire), peut être
Index dit de Detsky* (d’après J Parent Enteral Nutr 1987 ; 11 : 8-13). masqué par la persistance d’une masse adipeuse sous-
cutanée normale ou augmentée.

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Composition corporelle Bilan azoté

Des mesures de la composition corporelle peuvent La détermination du bilan azoté (différence entre l’azote
objectiver une diminution de la masse musculaire et absorbé ou perfusé et l’azote excrété) est utile au cours
de la masse grasse (MG) au cours de la dénutrition : des états cataboliques. Schématiquement, la balance est
en pratique clinique, elles sont surtout utiles à évaluer positive en cas de rétention azotée, négative en situation
l’efficacité d’une renutrition par des mesures séquentielles. de perte nette d’azote, par carence d’apport et (ou) par
Il faut remarquer que la masse musculaire comporte pertes accrues. Sa détermination est, en pratique clinique,
environ 75 % d’eau. Ce secteur se subdivise en eaux difficile (erreurs dans la mesure des entrées et des
extra- et intracellulaire dont le rapport usuel est de sorties). Elle peut contribuer, avec la détermination de la
2 tiers/1 tiers et dont l’estimation est possible au lit du transthyrétine, à l’évaluation de l’efficacité de la renutrition.
malade par impédancemétrie. La masse grasse est Le dosage de l’azote est pratiqué sur les urines et, en cas
estimée par la mesure des 4 plis cutanés (bicipital, de diarrhée par malabsorption, sur les selles (recueil
tricipital, sus-scapulaire et supra-iliaque) et la masse complet de 3 j). Il est réalisé par la méthode de Kjeldahl
musculaire par la mesure de la circonférence musculaire ou par chimioluminescence. À défaut, on dose l’urée
brachiale (CMB) ou la créatininurie. mais cela conduit à des erreurs liées à la variabilité des
pertes azotées sous forme d’ammoniaque.
Signes biologiques
Immunité
Protéines marqueurs de l’état nutritionnel La lymphopénie (< 1 200/mm3) est un marqueur très
simple mais non spécifique de la dénutrition. Les tests
L’albumine, la transthyrétine (TTR ou préalbumine), la cutanés d’immunité cellulaire (Multitest) sont étroitement
transferrine et la retinol binding protein (RBP) sont des liés à l’état nutritionnel, avec hypoergie ou anergie, qui
protéines exclusivement synthétisées par le foie. Leur s’améliorent lors de la renutrition.
synthèse est dépendante de l’état nutritionnel, leurs
concentrations circulantes diminuant lors d’une dénutri- Statut en minéraux et en micronutriments
tion et augmentant à nouveau lors de la renutrition. Leur
sensibilité à la dénutrition, et surtout à la renutrition, est La détermination des concentrations plasmatiques des
d’autant meilleure que leur demi-vie est courte (48 h minéraux (calcium, phosphore, magnésium) et, plus
pour la transthyrétine, 20 j pour l’albumine). Cependant, rarement, celle des oligo-éléments (fer, zinc, sélénium)
les syndromes inflammatoires, les maladies hépatiques et des vitamines (25-OH-D3, B12, acide folique…) sont
et les modifications des secteurs hydriques de l’organisme pratiquées selon l’orientation clinique. En situation de
peuvent faire varier ces marqueurs. Ces protéines désordres hydro-électrolytiques et de pertes réduites ou
marqueurs de l’état nutritionnel voient leur synthèse accrues, les bilans sodé et potassique doivent être mesurés.
inhibée par les cytokines, dont les sécrétions sont
augmentées lors de processus inflammatoires, même en
l’absence de dénutrition. Ainsi, le dosage d’une protéine Traitement
marqueur de l’état nutritionnel doit être systématiquement
associé à celui d’une protéine de la réaction inflammatoire. Principes et bénéfices attendus
En pratique clinique, il faut retenir :
– l’albuminémie, marqueur pronostique global dont la La prise en charge diagnostique et thérapeutique du
diminution (< 35 g/L) fait passer le degré de dénutrition patient dénutri doit être faite par une équipe de nutrition
de modéré à sévère ; (CLAN) qui seule peut obtenir les meilleurs résultats,
– la transthyrétine est un marqueur d’anabolisme qui c’est-à-dire un taux minimal d’iatrogénicité et un
indique ce déficit pour un seuil < 0,2 g/L. La trans- meilleur rapport efficacité-coût. Le traitement de la
thyrétine augmente dès le 5e j d’une renutrition efficace ; dénutrition est complémentaire du traitement de la
– une protéine de la réaction inflammatoire telle que maladie causale dont il améliore le pronostic en en
l’α1-glycoprotéine acide (orosomucoïde) et surtout la réduisant la morbi-mortalité. Le diagnostic et le
protéine C réactive qui est un très bon marqueur de traitement précoces de la dénutrition (avant le 5e j
l’existence d’un syndrome inflammatoire ; d’hospitalisation) réduisent la durée du séjour hospitalier
– il est utile d’analyser la créatininurie selon, bien et de la convalescence. La correction des désordres
entendu, la fonction rénale, mais aussi à l’aune de la hydro-électrolytiques et en minéraux est une urgence
masse musculaire. Elle diminue parallèlement au thérapeutique ; celle-ci augmente l’efficacité de la
degré d’amyotrophie. renutrition, de même que son caractère « complet »
Le dosage de la transferrine n’a aucun intérêt car incluant électrolytes, vitamines et oligo-éléments, et ce
l’existence fréquente d’une anémie ferriprive et (ou) quelle que soit la durée du traitement par nutrition
d’une inflammation contrebalance ses variations secon- artificielle. La prescription du traitement de la dénutrition
daires à la dénutrition. par nutrition artificielle et sa surveillance doivent être

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Ainsi, le bénéfice initial de la renutrition ne se juge pas


sur le gain de poids qui, s’il dépasse 250-300 g/j, traduit
Poids (kg) une rétention hydrosodée. Les techniques de nutrition
IMC pour une taille artificielle ne doivent pas contraindre à l’immobilisation
de 1,70 m du patient et l’on doit encourager une reprise prudente et
Obésité sévère
progressive de l’activité physique avec l’aide d’une
kinésithérapie adaptée.
40 115
Indications
Obésité
Une assistance nutritive est formellement indiquée chez
30 85 le patient ayant une dénutrition sévère définie par l’un
de ces facteurs :
– une perte de poids, involontaire et récente, dans les
Surcharge pondérale 3 à 6 mois qui précèdent, égale à 20 % du poids de
référence usuel antérieur (donnée déclarative) ; ou,
25 70 maigreur constitutionnelle exclue :
– un indice de masse corporelle o 16 ;
Zone de normalité – un stade « C » à l’évaluation clinique subjective
globale de Detsky.
20 55 Le patient ayant une dénutrition modérée associée à un
taux d’albumine sérique de 35g/L doit aussi bénéficier
d’une assistance nutritive. Ce « stade modéré » est
Risque de dénutrition défini par l’un des paramètres suivants :
– une perte de poids, involontaire et récente dans les 3 à
18,5 53 6 mois qui précèdent, de 10 à 19 % du poids usuel ;
– un indice de masse corporelle égal à 18,5 ;
Dénutrition modérée – un stade « B » à l’évaluation clinique subjective
globale de Detsky.
Une assistance nutritive peut être aussi indiquée chez le
16 46 patient à risque de dénutrition. Ce risque est difficile à
quantifier ; il semble raisonnable de poser l’indication
Dénutrition sévère en présence de l’association des 3 valeurs « seuils »
suivantes :
13 37,5 – une perte de poids, involontaire et récente, de 5 à 9 %
du poids usuel ;
Risque de décès – une situation médicale « anorexiante », quelle qu’elle
soit ;
– une transthyrétinémie inférieure à 200 mg/L.
Une courbe en U relie le risque de décès à l’indice de masse corporelle,
le risque le plus faible étant compris entre 20 et 25 (zone de normalité). Méthodes d’assistance nutritive
1. Suppléments diététiques oraux
Classification de l’état nutritionnel selon l’indice de (Renutryl, Fortimel…)
masse corporelle [IMC = poids (kg)/taille (m)2].
Ils sont indiqués en 1re intention en cas d’ingesta bas
chez les patients à risque de dénutrition ou ayant une
dénutrition modérée. Le niveau calorique des supplé-
faites par un CLAN sur documents spécifiques, préétablis, ments est habituellement limité à 1 000 kcal/j. Ils sont
adaptés à la catégorie de patients traités. Normonutrition prescrits pour une durée de 1 mois, renouvelable une
protéino-énergétique et nutrition complète préviennent fois et, en règle générale, ils ne s’accompagnent pas de
le « syndrome de renutrition », parfois mortel, secondai- la réduction des ingesta spontanés.
re aux déficits en nutriments, notamment en phosphore,
magnésium, potassium, sélénium, zinc et vitamines. 2. Nutrition artificielle
Une renutrition bien conduite doit être efficace en 1 à 2 Elle est indiquée dès lors que le malade ne peut pas ou
semaines avec améliorations fonctionnelles, musculaires, plus s’alimenter suffisamment :
immunitaires et psychologiques, bilan azoté positif, – en préopératoire avec une dénutrition sévère avant une
augmentation de la transthyrétine et bilan hydrosodé chirurgie lourde programmée (l’assistance nutritive est
équilibré ou négatif (hyperdiurèse et fonte des œdèmes). poursuivie en postopératoire) ;

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– en postopératoire et en réanimation, chez les malades élément est nécessaire à l’utilisation du glucose et de
à risque de dénutrition ou ayant une dénutrition l’azote. Les besoins en phosphore sont élevés chez les
modérée ; la nutrition entérale précoce diminue la malades agressés. Ceux en magnésium sont augmentés
fréquence des infections ; dans les entéropathies. Les apports en vitamines et
– en présence d’une insuffisance intestinale aiguë tran- oligo-éléments doivent être systématiques.
sitoire (2 semaines) ou prolongée (malabsorption
sévère de cause médicale ou chirurgicale), la nutrition 4. Nutrition entérale
parentérale est indiquée. La voie entérale doit être utilisée dès lors que l’état
anatomique et fonctionnel du tube digestif le permet. En
3. Détermination des besoins effet, pour une efficacité nutritionnelle identique, elle
Les besoins énergétiques peuvent être calculés à l’aide est moins onéreuse et plus sûre que la voie parentérale.
de la formule de Harris et Benedict qui prend en compte Cette voie d’abord digestive implique l’utilisation d’une
le sexe, la taille, le poids et l’âge. Les valeurs obtenues sonde, mise en place le plus en amont possible afin de
doivent être corrigées pour tenir compte du niveau tirer profit au mieux de la fonctionnalité digestive :
d’agression : x 1,1 en période postopératoire, x 1,1 à – la sonde naso-gastrique est la méthode la plus adaptée
1,3 en cas de fractures multiples, x 1,3 à 1,6 dans les du fait de sa simplicité ;
infections sévères, x 1,5 à 2,1 chez le brûlé, en fonction – la sonde naso-duodénale ou naso-jéjunale est moins
de la surface corporelle lésée. Cependant, leur application bien tolérée mais permet une nutrition entérale en cas
aboutit souvent à une surestimation des dépenses éner- de gastroparésie ou de pancréatite aiguë.
gétiques vraies. Les besoins énergétiques peuvent être – pour la gastrostomie perendoscopique, les indications
mesurés par la calorimétrie indirecte qui permet préférentielles de ce geste réalisable sous anesthésie
d’approcher les dépenses réelles du malade. Cette locale sont les cancers des voies aérodigestives
méthode repose sur la détermination de la consom- supérieures et les troubles de déglutition ;
mation d’oxygène et de la production de gaz carbonique. – la jéjunostomie chirurgicale.
De réalisation relativement simple, elle nécessite • Modalités d’administration : elle se fait de manière
cependant des précautions méthodologiques. La continue sur le nycthémère au moyen d’une pompe péri-
dépense énergétique de repos est ainsi d’environ staltique. Le débit initial est augmenté toutes les 24 à 48 h
30 kcal/kg/24 h chez l’homme et 25 kcal/kg/24 h chez en fonction de la tolérance digestive.
la femme. Elle est réduite dans les états de dénutrition La plupart des produits sont iso-osmolaires et contien-
chronique et chez les malades normométaboliques nent 1 kcal/mL. On préfère les produits polymériques
sédatés sous ventilation mécanique ou hypothermiques. (nutriments non dégradés : protéines, polysaccharides,
Elle est augmentée chez les malades agressés, d’un triglycérides à chaînes longues : Normoréal, Nutrison…).
facteur variable selon la maladie (v. ci-dessus). En Lorsque les capacités intestinales de digestion-absorption
pratique, la majorité des patients peut être correctement sont réduites (entéropathies), on utilise des produits
nourrie avec 1 600 à 2 400 kcal/j. semi-élémentaires (peptides, dextrines, triglycérides à
Les besoins azotés se situent entre 150 et 350 mg chaîne moyenne) [Réabilan].
d’azote/kg/j. D’un point de vue qualitatif, on utilise des • Parmi les complications mécaniques, les plus fré-
protéines de bonne valeur nutritionnelle (nutrition enté- quentes sont les déplacements secondaires de la sonde.
rale) ou des mélanges d’acides aminés reproduisant la Leur prévention passe par sa mise en place par un
composition des protéines de valeur nutritionnelle personnel entraîné et la vérification régulière du bon
élevée (nutrition parentérale). Certains acides aminés, positionnement de son extrémité. Les obstructions sont
tels que la glutamine (Dipeptiven), l’arginine (Impact, prévenues par son rinçage régulier.
Hyperamine) et l’alpha-cétoglutarate d’ornithine, pré- • Les régurgitations avec risque d’inhalation sont un
curseur des 2 précédents (Ornicétil, Cétornan) possèdent autre type de complications. La pneumopathie d’inhala-
des propriétés pharmacologiques (sur le métabolisme tion est la complication la plus grave. Sa fréquence est
protéique, la cicatrisation, l’immunité) lorsqu’ils sont augmentée dans les maladies neurologiques et est
apportés en quantités importantes (de l’ordre de 10 à diminuée en position semi-assise.
30 g/j). Leur utilisation est justifiée chez les patients • L’intolérance digestive n’est pas rare, surtout chez le
sévèrement dénutris et (ou) cataboliques, lorsqu’une patient agressé chez qui la motricité gastro-intestinale
nutrition conventionnelle est inefficace. est altérée. Les nausées et vomissements (10 à 20 % des
Parce que l’accrétion azotée a un coût énergétique, le patients) imposent l’arrêt ou la modification de la tech-
rapport entre apports caloriques et apports azotés doit nique de nutrition. Des ballonnements et des crampes
être optimal : 1 g d’azote pour 200 calories glucido- abdominales peuvent survenir. La diarrhée est une com-
lipidiques chez les malades dénutris chroniques et plication fréquente (40 % des patients), en rapport avec
1 pour 100 à 1 pour 125 chez les patients agressés. l’osmolalité des produits, la vitesse d’infusion (elle doit
L’administration d’eau et d’électrolytes doit être adaptée être inférieure à 180-240 mL/h), une infection nosoco-
à la pathologie. Les apports en sodium doivent être limités miale favorisée par une antibiothérapie.
à 3 mmol/kg/j. Au contraire, les besoins en potassium • Certaines complications sont liées à la sonde ; il
sont augmentés (de l’ordre de 6 mmol/g d’azote) car cet s’agit des œsophagites et de l’érosion de l’aile du nez.

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5. Nutrition parentérale – la survenue d’une fièvre chez un malade porteur d’un


Ses indications sont les contre-indications et impossibilités cathéter central doit faire systématiquement suspecter
de la nutrition entérale : sténose digestive haute, occlu- son infection et réaliser une hémoculture périphérique
sion intestinale chronique, colites sévères (notamment et sur le cathéter ;
maladie de Crohn), syndromes de malabsorption chro- – hépatiques (stéatose, cholestase) ;
niques sévères (insuffisance intestinale) qui répondent à – osseuses (en cas de nutrition parentérale au long cours).
une indication au long cours et est réalisée le plus
souvent au domicile du patient.
• La voie d’abord vasculaire (nutrition par veine péri-
phérique) est réservée à une nutrition de courte durée
POUR EN SAVOIR PLUS
(< 2 à 3 semaines) et suppose un capital veineux
Carences nutritionnelles : étiologies et dépistage. Paris : INSERM,
suffisant. L’osmolarité des solutions ne doit pas dépasser 1999.
800 mOsm/L.
Cynober L, Aussel C. Exploration de l’état nutritionnel.
Dans la nutrition par voie centrale, le cathéter est placé Collection Explorations fonctionnelles humaines. Cachan : Édi-
dans la veine sous-clavière ou dans la veine jugulaire tions Médicales Internationales, 1998.
interne.
Ricour, Ghisolfi J, Putet G, Goulet O. Traité de nutrition pédiatrique.
Dans tous les cas, la nutrition parentérale nécessite des Paris : Maloine, 1993.
cathéters biocompatibles et inertes.
• En ce qui concerne les modalités d’administration, Leverve X, Cosnes J, Erny Ph, Hasselmann M. Traité de nutrition
artificielle de l’adulte. Paris : Mariette Guena, 1998.
on peut utiliser des flacons séparés pour chaque macro-
nutriment (acides aminés, glucides, lipides) et perfusés
simultanément en Y. Il existe des poches où les 3 macro-
nutriments sont prémélangés (mélanges ternaires :
Vitrimix…) ou doivent l’être extemporanément (poches Points Forts à retenir
bi- ou tri-compartimentées ; Aminomix, Clinomel).
Chez les malades agressés, on préfère une perfusion 24 h • La dénutrition est responsable d’une morbidité
sur 24 ; sinon, une nutrition cyclique nocturne, sur 12 h et d’une mortalité accrues avec prolongation
à 16 h sur 24, est la plus adaptée. du séjour hospitalier.
Les besoins énergétiques sont couverts par un apport • La dénutrition, qu’elle soit sévère ou modérée,
mixte glucido-lipidique. Les glucides sont apportés sous entraîne des anomalies fonctionnelles qui sont
forme de glucose qui fournit 4 kcal/g. L’apport est responsables de complications propres,
compris entre 3 et 4 g/kg/j. Les émulsions lipidiques et notamment d’une augmentation de la fréquence
(9 kcal/g) sont administrées à la dose de 1 à 2 g/kg/j, et de la sévérité des infections.
perfusées sur au moins 6 h, idéalement sur 12 à 16 h. • Son diagnostic repose sur un amaigrissement
Les émulsions lipidiques contiennent : non volontaire, supérieur à 5 % du poids usuel,
– des triglycérides à chaînes longues (TCL) [Intralipide] ; parfois considérable, touchant préférentiellement
on préfère les émulsions à 20 % ; la masse musculaire, associé à une réduction
– un mélange équilibré triglycérides à chaînes longues/ des ingesta. Un indice de masse corporelle
triglycérides à chaînes moyennes (TCM) [Médialipide]. inférieur à 20, à condition de le distinguer
Les triglycérides à chaînes moyennes présentent de la maigreur, est un bon argument diagnostique ;
l’avantage de pénétrer dans les mitochondries sans cependant un indice de masse corporelle
recourir à un transporteur, la carnitine, qui pourrait normal ou fort peut masquer une dénutrition
être déficient chez les malades agressés ; même sévère.
– les émulsions à base d’huile d’olive (Clinoléic) sont • Les méthodes de renutrition par nutrition
riches en acide oléique et en vitamine E, leur conférant artificielle font appel soit aux compléments
des propriétés antioxydantes. oraux, soit à la nutrition entérale et, en cas
De nombreuses solutions d’acides aminés cristallisés d’échec ou d’impossibilité de celle-ci, à la nutrition
existent. La plupart reproduisent la composition de parentérale. Ces traitements doivent obéir
protéines de référence (Vintène, Vamine, etc.). Certaines à des référentiels qui, sous l’égide des comités
sont plus riches en acides aminés non essentiels de liaison pour la nutrition et l’alimentation,
(Nutrilamine). en garantissent la sécurité et l’efficacité.
• Les complications pouvant survenir sont de différents
• Le traitement précoce de la dénutrition est
ordres :
complémentaire du traitement de la maladie
– acidose, désordres métaboliques et autres désordres
causale ; il améliore le pronostic en réduisant
hydro-électrolytiques. Leur surveillance nécessite la
la morbi-mortalité, la durée du séjour hospitalier
mesure régulière de l’ionogramme sanguin et urinaire
et la qualité de vie.
et de la glycémie ;
– thrombose veineuse sur cathéter ;

LA REVUE DU PRATICIEN 2000, 50 1599

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