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B 334
Dénutrition
Signes cliniques et biologiques, traitement
PR Luc CYNOBER 1, DR Pascal CRENN 2, PR Bernard MESSING 2,3
1. Service de biochimie et président du Comité de liaison alimentation nutrition (CLAN), L’Hôtel-Dieu, 75181 Paris Cedex 04.
2. Service d’hépato-gastro-entérologie et d’assistance nutrititionnelle, hôpital Lariboisière.
3. Président du CLAN, hôpital Lariboisière, 75475 Paris Cedex 10.
Des mesures de la composition corporelle peuvent La détermination du bilan azoté (différence entre l’azote
objectiver une diminution de la masse musculaire et absorbé ou perfusé et l’azote excrété) est utile au cours
de la masse grasse (MG) au cours de la dénutrition : des états cataboliques. Schématiquement, la balance est
en pratique clinique, elles sont surtout utiles à évaluer positive en cas de rétention azotée, négative en situation
l’efficacité d’une renutrition par des mesures séquentielles. de perte nette d’azote, par carence d’apport et (ou) par
Il faut remarquer que la masse musculaire comporte pertes accrues. Sa détermination est, en pratique clinique,
environ 75 % d’eau. Ce secteur se subdivise en eaux difficile (erreurs dans la mesure des entrées et des
extra- et intracellulaire dont le rapport usuel est de sorties). Elle peut contribuer, avec la détermination de la
2 tiers/1 tiers et dont l’estimation est possible au lit du transthyrétine, à l’évaluation de l’efficacité de la renutrition.
malade par impédancemétrie. La masse grasse est Le dosage de l’azote est pratiqué sur les urines et, en cas
estimée par la mesure des 4 plis cutanés (bicipital, de diarrhée par malabsorption, sur les selles (recueil
tricipital, sus-scapulaire et supra-iliaque) et la masse complet de 3 j). Il est réalisé par la méthode de Kjeldahl
musculaire par la mesure de la circonférence musculaire ou par chimioluminescence. À défaut, on dose l’urée
brachiale (CMB) ou la créatininurie. mais cela conduit à des erreurs liées à la variabilité des
pertes azotées sous forme d’ammoniaque.
Signes biologiques
Immunité
Protéines marqueurs de l’état nutritionnel La lymphopénie (< 1 200/mm3) est un marqueur très
simple mais non spécifique de la dénutrition. Les tests
L’albumine, la transthyrétine (TTR ou préalbumine), la cutanés d’immunité cellulaire (Multitest) sont étroitement
transferrine et la retinol binding protein (RBP) sont des liés à l’état nutritionnel, avec hypoergie ou anergie, qui
protéines exclusivement synthétisées par le foie. Leur s’améliorent lors de la renutrition.
synthèse est dépendante de l’état nutritionnel, leurs
concentrations circulantes diminuant lors d’une dénutri- Statut en minéraux et en micronutriments
tion et augmentant à nouveau lors de la renutrition. Leur
sensibilité à la dénutrition, et surtout à la renutrition, est La détermination des concentrations plasmatiques des
d’autant meilleure que leur demi-vie est courte (48 h minéraux (calcium, phosphore, magnésium) et, plus
pour la transthyrétine, 20 j pour l’albumine). Cependant, rarement, celle des oligo-éléments (fer, zinc, sélénium)
les syndromes inflammatoires, les maladies hépatiques et des vitamines (25-OH-D3, B12, acide folique…) sont
et les modifications des secteurs hydriques de l’organisme pratiquées selon l’orientation clinique. En situation de
peuvent faire varier ces marqueurs. Ces protéines désordres hydro-électrolytiques et de pertes réduites ou
marqueurs de l’état nutritionnel voient leur synthèse accrues, les bilans sodé et potassique doivent être mesurés.
inhibée par les cytokines, dont les sécrétions sont
augmentées lors de processus inflammatoires, même en
l’absence de dénutrition. Ainsi, le dosage d’une protéine Traitement
marqueur de l’état nutritionnel doit être systématiquement
associé à celui d’une protéine de la réaction inflammatoire. Principes et bénéfices attendus
En pratique clinique, il faut retenir :
– l’albuminémie, marqueur pronostique global dont la La prise en charge diagnostique et thérapeutique du
diminution (< 35 g/L) fait passer le degré de dénutrition patient dénutri doit être faite par une équipe de nutrition
de modéré à sévère ; (CLAN) qui seule peut obtenir les meilleurs résultats,
– la transthyrétine est un marqueur d’anabolisme qui c’est-à-dire un taux minimal d’iatrogénicité et un
indique ce déficit pour un seuil < 0,2 g/L. La trans- meilleur rapport efficacité-coût. Le traitement de la
thyrétine augmente dès le 5e j d’une renutrition efficace ; dénutrition est complémentaire du traitement de la
– une protéine de la réaction inflammatoire telle que maladie causale dont il améliore le pronostic en en
l’α1-glycoprotéine acide (orosomucoïde) et surtout la réduisant la morbi-mortalité. Le diagnostic et le
protéine C réactive qui est un très bon marqueur de traitement précoces de la dénutrition (avant le 5e j
l’existence d’un syndrome inflammatoire ; d’hospitalisation) réduisent la durée du séjour hospitalier
– il est utile d’analyser la créatininurie selon, bien et de la convalescence. La correction des désordres
entendu, la fonction rénale, mais aussi à l’aune de la hydro-électrolytiques et en minéraux est une urgence
masse musculaire. Elle diminue parallèlement au thérapeutique ; celle-ci augmente l’efficacité de la
degré d’amyotrophie. renutrition, de même que son caractère « complet »
Le dosage de la transferrine n’a aucun intérêt car incluant électrolytes, vitamines et oligo-éléments, et ce
l’existence fréquente d’une anémie ferriprive et (ou) quelle que soit la durée du traitement par nutrition
d’une inflammation contrebalance ses variations secon- artificielle. La prescription du traitement de la dénutrition
daires à la dénutrition. par nutrition artificielle et sa surveillance doivent être
– en postopératoire et en réanimation, chez les malades élément est nécessaire à l’utilisation du glucose et de
à risque de dénutrition ou ayant une dénutrition l’azote. Les besoins en phosphore sont élevés chez les
modérée ; la nutrition entérale précoce diminue la malades agressés. Ceux en magnésium sont augmentés
fréquence des infections ; dans les entéropathies. Les apports en vitamines et
– en présence d’une insuffisance intestinale aiguë tran- oligo-éléments doivent être systématiques.
sitoire (2 semaines) ou prolongée (malabsorption
sévère de cause médicale ou chirurgicale), la nutrition 4. Nutrition entérale
parentérale est indiquée. La voie entérale doit être utilisée dès lors que l’état
anatomique et fonctionnel du tube digestif le permet. En
3. Détermination des besoins effet, pour une efficacité nutritionnelle identique, elle
Les besoins énergétiques peuvent être calculés à l’aide est moins onéreuse et plus sûre que la voie parentérale.
de la formule de Harris et Benedict qui prend en compte Cette voie d’abord digestive implique l’utilisation d’une
le sexe, la taille, le poids et l’âge. Les valeurs obtenues sonde, mise en place le plus en amont possible afin de
doivent être corrigées pour tenir compte du niveau tirer profit au mieux de la fonctionnalité digestive :
d’agression : x 1,1 en période postopératoire, x 1,1 à – la sonde naso-gastrique est la méthode la plus adaptée
1,3 en cas de fractures multiples, x 1,3 à 1,6 dans les du fait de sa simplicité ;
infections sévères, x 1,5 à 2,1 chez le brûlé, en fonction – la sonde naso-duodénale ou naso-jéjunale est moins
de la surface corporelle lésée. Cependant, leur application bien tolérée mais permet une nutrition entérale en cas
aboutit souvent à une surestimation des dépenses éner- de gastroparésie ou de pancréatite aiguë.
gétiques vraies. Les besoins énergétiques peuvent être – pour la gastrostomie perendoscopique, les indications
mesurés par la calorimétrie indirecte qui permet préférentielles de ce geste réalisable sous anesthésie
d’approcher les dépenses réelles du malade. Cette locale sont les cancers des voies aérodigestives
méthode repose sur la détermination de la consom- supérieures et les troubles de déglutition ;
mation d’oxygène et de la production de gaz carbonique. – la jéjunostomie chirurgicale.
De réalisation relativement simple, elle nécessite • Modalités d’administration : elle se fait de manière
cependant des précautions méthodologiques. La continue sur le nycthémère au moyen d’une pompe péri-
dépense énergétique de repos est ainsi d’environ staltique. Le débit initial est augmenté toutes les 24 à 48 h
30 kcal/kg/24 h chez l’homme et 25 kcal/kg/24 h chez en fonction de la tolérance digestive.
la femme. Elle est réduite dans les états de dénutrition La plupart des produits sont iso-osmolaires et contien-
chronique et chez les malades normométaboliques nent 1 kcal/mL. On préfère les produits polymériques
sédatés sous ventilation mécanique ou hypothermiques. (nutriments non dégradés : protéines, polysaccharides,
Elle est augmentée chez les malades agressés, d’un triglycérides à chaînes longues : Normoréal, Nutrison…).
facteur variable selon la maladie (v. ci-dessus). En Lorsque les capacités intestinales de digestion-absorption
pratique, la majorité des patients peut être correctement sont réduites (entéropathies), on utilise des produits
nourrie avec 1 600 à 2 400 kcal/j. semi-élémentaires (peptides, dextrines, triglycérides à
Les besoins azotés se situent entre 150 et 350 mg chaîne moyenne) [Réabilan].
d’azote/kg/j. D’un point de vue qualitatif, on utilise des • Parmi les complications mécaniques, les plus fré-
protéines de bonne valeur nutritionnelle (nutrition enté- quentes sont les déplacements secondaires de la sonde.
rale) ou des mélanges d’acides aminés reproduisant la Leur prévention passe par sa mise en place par un
composition des protéines de valeur nutritionnelle personnel entraîné et la vérification régulière du bon
élevée (nutrition parentérale). Certains acides aminés, positionnement de son extrémité. Les obstructions sont
tels que la glutamine (Dipeptiven), l’arginine (Impact, prévenues par son rinçage régulier.
Hyperamine) et l’alpha-cétoglutarate d’ornithine, pré- • Les régurgitations avec risque d’inhalation sont un
curseur des 2 précédents (Ornicétil, Cétornan) possèdent autre type de complications. La pneumopathie d’inhala-
des propriétés pharmacologiques (sur le métabolisme tion est la complication la plus grave. Sa fréquence est
protéique, la cicatrisation, l’immunité) lorsqu’ils sont augmentée dans les maladies neurologiques et est
apportés en quantités importantes (de l’ordre de 10 à diminuée en position semi-assise.
30 g/j). Leur utilisation est justifiée chez les patients • L’intolérance digestive n’est pas rare, surtout chez le
sévèrement dénutris et (ou) cataboliques, lorsqu’une patient agressé chez qui la motricité gastro-intestinale
nutrition conventionnelle est inefficace. est altérée. Les nausées et vomissements (10 à 20 % des
Parce que l’accrétion azotée a un coût énergétique, le patients) imposent l’arrêt ou la modification de la tech-
rapport entre apports caloriques et apports azotés doit nique de nutrition. Des ballonnements et des crampes
être optimal : 1 g d’azote pour 200 calories glucido- abdominales peuvent survenir. La diarrhée est une com-
lipidiques chez les malades dénutris chroniques et plication fréquente (40 % des patients), en rapport avec
1 pour 100 à 1 pour 125 chez les patients agressés. l’osmolalité des produits, la vitesse d’infusion (elle doit
L’administration d’eau et d’électrolytes doit être adaptée être inférieure à 180-240 mL/h), une infection nosoco-
à la pathologie. Les apports en sodium doivent être limités miale favorisée par une antibiothérapie.
à 3 mmol/kg/j. Au contraire, les besoins en potassium • Certaines complications sont liées à la sonde ; il
sont augmentés (de l’ordre de 6 mmol/g d’azote) car cet s’agit des œsophagites et de l’érosion de l’aile du nez.