Insuffisance rénale aiguë obstétricale.
L’expérience du Service de néphrologie, Chu ibn rochd, Casablanca
K. Hachim, K. Badahi, M. Benghanem, El M. Fatihi, K. Zahiri, B. Ramdani et D. Zaid
Service de néphrologie-hémodialyse, CHU Ibn Rochd, Casablanca
Résumé • Summary
L’IRA gravidique est devenue une complication rare de la gros-
sesse dans les pays industrialisés, alors qu’elle reste fréquente dans
les pays en voie de développement et responsable d’une lourde
morbidité et mortalité materno-fœtales. Nous avons étudié le pro-
fil étiologique et évolutif des IRA gravidiques chez cinquante-cinq
patientes sur une période de dix-huit ans (1981-1998), au Service
de néphrologie, CH Ibn Rochd de Casablanca. L’IRA gravidique
représente 65% des patientes gravides. L’âge moyen des
patientes est de 30,92 ± 6,44 ans. La parité moyenne est de 3,38
± 2,25. Le terme moyen est de 31,73 ± 10,02 semaines d’amé-
norrhée. L’étiologie principale est la prééclampsie-éclampsie : qua-
rante et une patientes (74,5%). Les autres causes sont : les états
septiques : six patientes (11%) ; les hémorragies obstétricales :
quatre patientes (7,2%) ; la mort fœtale in utero : trois patientes
(5,5%) et post-césarienne : une patiente (1,8%). 74,6% des
patientes ont été hémodialysées. L’évolution a été marquée par
une récupération normale de la fonction rénale chez quarante-
huit patientes (87,3%), une insuffisance rénale chronique chez
deux patientes (3,6%) et le décès de cinq patientes (mortalité
9,1%). L’IRA gravidique reste encore une circonstance critique
associée à un pronostic grave aussi bien de la femme et du fœtus.
Ainsi, les mesures les plus efficaces restent la prévention et la prise
en charge des complications obstétricales.
Mots clés : Insuffisance rénale aiguë – Grossesse – Prééclampsie –
Complications obstétricales – Dialyse.
● Abréviations
IRA : insuffisance rénale aiguë
ARF : acute renal failure
PE-E : prééclampsie-éclampsie
PNA : pyélonéphrite aiguë
■ Introduction
L’insuffisance rénale aiguë (IRA) est l’une des sérieuses com-
plications associées à la grossesse. Dans les pays occidentaux,
l’incidence de l’IRA obstétricale a baissé au cours de ces der-
nières décennies.1,2,3 Cette diminution spectaculaire de l’IRA obs-
tétricale reflète la disparition virtuelle des IRA post-abortum, et la
Néphrologie Vol. 22 n° 1 2001, pp. 29-31
The gravidic acute renal failure (ARF) becomes a rare compli-
cations of the pregnancy in the industrialized countries, whereas
it is still frequent in the developing countries and responsible of
great maternofetal morbidity and mortality. We studied the etio-
logic and evolutive aspects of the gravidic ARF in 55 patients
during 18 years (1981-1998) at the department of nephrology,
hospital center Ibn Rochd in Casablanca. The gravidic ARF repre-
sents 65% of the gravidic patients. The mean age of the patients
is 30,92 ± 6,44 years old. The mean parity is 3,38 ± 2,25. The
mean terme is 31,73 ± 10,02 weeks of amenorrhea. The main
etiology is the preeclampsia and eclampsia : 41 patients (74,5%) ;
the other causes are : the septic conditions : 6 patients (11%) ;
the obstetrical hemorrhages : 4 patients (7,2%) ; the in uterofetal
death : 3 patients (5,5%) and the post-cesarotomy : 1 patient
(1,8%). 74,6% of the patients has been hemodialysed. The evo-
lution has been characterized by the normal recuperation of the
renal function is 48 patients (87,3%), a chronic renal failure in 2
patients (3,6%) and the death of 5 patients (mortality : 9,1%).
The gravidic ARF is still a critical circumstances associated to a
severe prognosis as well as in the woman and the fetus. So, the
most effective mesures are still the prevention and the managing
of the obstetrical complications.
Key words : Acute renal failure – Pregnancy – Preeclampsia –
Obstetrical complications – Dialysis.
IVG : interruption volontaire de grossesse
articles originaux
HRP : hématome rétroplacentaire
MFIU : mort fœtale in utero
CIVD : coagulation intraveineuse disséminée
IRC : insuffisance rénale chronique
surveillance plus attentive de la période périnatale. Dans les pays
en voie de développement, l’IRA gravidique est encore fréquente
et est responsable d’une lourde morbidité et mortalité materno-
fœtales.4, 5, 6
A la lumière de cette étude, réalisée au Service de néphrolo-
gie, Centre hospitalier universitaire de Casablanca, on propose de
déterminer la fréquence de l’IRA obstétricale, d’analyser les étio-
logies et le pronostic materno-fœtal dans le milieu marocain.
29
 ■ Matériel et méthode
Notre étude a porté sur cinquante-cinq cas d’IRA obstétricale,
colligés dans le Service de néphrologie-hémodialyse au Centre
hospitalier Ibn Rochd de Casablanca, durant une période de dix-
huit ans (janvier 1980-décembre 1997). Pour toute malade hospi-
talisée au service, un dossier médical fait, il a comporté les rensei-
gnements cliniques, les examens paracliniques, les traitements
prescrits et l’évolution de la maladie. Les patientes sont suivies en
consultation après leur sortie. Dans cette étude, sont incluses les
patientes en période gravide ou en post-partum immédiat avec
IRA (créatininémie ≥ 12 mg/l associée ou non à une oligoanurie).
Les patientes avec néphropathie antérieure sont exclues de cette
étude.
■ Résultats
Durant la période 1980-97, quatre-vingt-cinq patientes ont
été hospitalisées au Service de néphrologie-CHU Ibn Rochd,
Casablanca pour une pathologie néphrologique associée à une
grossesse, dont on trouve cinquante-cinq IRA obstétricales, ce
qui représente 65% des patientes gravides.
L’âge moyen de nos patientes était de 30,92 ± 6,44 ans. La
parité moyenne était de 3,38 ± 2,25. Le terme moyen était de
31,73 ± 10,02 semaines d’aménorrhée. Quatre-vingt-seize pour
cent de nos patientes n’ont pas été suivies au cours de la gros-
sesse.
L’étude des étiologies a trouvé une nette prédominance de la
prééclampsie-éclampsie (tableau I). Il faut toutefois remarquer
que les IRA du 1er trimestre étaient dominées par les états sep-
tiques (cinq cas sur six IRA, soit 83,33%), alors que celles du 3e tri-
mestre étaient dominées par la prééclampsie-éclampsie (quarante
cas sur quarante-six IRA, soit 86,96%).
Tableau I: Etiologies de l’IRA obstétricale.
Nombre % modérée est habituelle dans les formes sévères de PE-E secon-
• PE-E 41 74,5
• Etats septiques 6 11
– PNA 1 1,8
– Sepsis post-IVG 4 7,3
– Chorioamniotite 1 1,8
• Hémorragies obstétricales 4 7,2
– HRP 2 3,6
articles originaux
– Hémorragie par inertie utérine 1 1,8
– Hémorragie post-abortum 1 1,8
• MFIU 3 5,5
• Post-césarienne 1 1,8
PE-E : prééclampsie-éclampsie ; PNA : pyélonéphrite aiguë ; IVG : interruption
volontaire de grossesse ; HRP : hématome rétroplacentaire ; MFIU : mort fœtale
in utero.
L’étude de la diurèse a mis en évidence une oligoanurie chez
trente-neuf patientes (71%). Sur le plan biologique, l’urémie
moyenne a été de 2,25 ± 1,22 g/l. La créatininémie moyenne a
été de 95,85 ± 57,36 mg/l (tableau II). La durée moyenne de
l’IRA était de 19,33 ± 11,59 jours. Quarante patientes (72,7%)
ont nécessité une épuration extrarénale par hémodialyse avec un
30
Tableau II: Fonction rénale au cours des IRA obstétricales.
A l’admission A la sortie
(en dehors des décès)
Urémie (g/l) 2,25 ± 1,22 0,35 ± 0,06
Créatininémie (mg/l) 95,85 ± 57,36 8±3
nombre moyen de 4,66 séances pendant une durée moyenne de
10,7 jours. Soixante-quinze pour cent des patientes dialysées ont
été oligo-anuriques. Tout le groupe « états septiques » a été dia-
lysé.
L’étude histologique rénale faite chez six patientes devant la
non-amélioration de la fonction rénale a trouvé une nécrose cor-
ticale dans deux cas, une nécrose tubulaire dans un cas, un
aspect compatible avec une néphropathie gravidique avec lésion
de hyalinose segmentaire et focale dans un cas.
L’étude des complications associées à l’IRA a trouvé neuf cas
de Hellp syndrome, sept cas d’HRP et quatre cas de CIVD dans le
groupe PE-E et un cas de CIVD dans le groupe « états infec-
tieux ». Parmi ces complications, six cas d’HRP et quatre cas de
CIVD ont été dialysés.
L’évolution de nos patientes a été marquée par la survenue
de deux cas d’insuffisance rénale chronique (3,6%) dont une
avait une nécrose corticale et cinq cas de décès, soit une morta-
lité maternelle de 9,1%. Dans le groupe des patientes dialysées,
la mortalité maternelle était légèrement augmentée par rapport
à la moyenne globale (12,5%).
Le pronostic fœtal a été moins favorable, puisque le taux de
mortalité globale était de 63,65%.
■ Discussion
La plupart des études rétrospectives portant sur l’IRA au
cours de la grossesse font figurer la prééclampsie-éclampsie
comme une des causes importantes d’IRA. Une IRA fonctionnelle
daire à la vasoconstriction généralisée et à l’hypovolémie. L’IRA
parenchymateuse est une complication inhabituelle de la pré-
éclampsie, elle revêt deux aspects : le plus souvent une nécrose
tubulaire aiguë et exceptionnellement une nécrose corticale.7,8
Les IRA d’origine infectieuse sont dominées par les avortements
septiques qui restent un problème majeur de santé publique
dans les pays en voie de développement. Cette variété d’IRA,
caractérisée par un état de choc septique, peut s’associer à une
hémolyse intravasculaire et souvent à une anurie.
La PNA est une cause rare d’IRA au cours de la grossesse.9
Les hémorragies obstétricales sont une cause non négligeable
d’IRA. L’évolution vers l’IRA est la manifestation principale et la
plus précoce de l’atteinte polyviscérale de l’état de choc.10 Le
retentissement rénal avec les lésions tubulo-interstitielles aiguës
et lésions de nécrose corticale bilatérale totale ou partielle s’ob-
serve lorsque l’état hémodynamique a été très longtemps per-
turbé, et que les troubles de coagulation ont été particulièrement
sévère. Ce retentissement est tout particulièrement à craindre
lorsque la maladie survient sur des reins préalablement lésés.
L’IRA idiopathique de post-partum survient chez des femmes
en bonne santé apparente, après une grossesse sans complica-
tions. La fréquence de ce syndrome est difficile à préciser. Trois
cas (5,3%) ont été rapportés par Ventura.11
Néphrologie Vol. 22 n° 1 2001
 Dans les pays occidentaux, l’incidence de l’IRA obstétricale a
baissé au cours de ces dernières décennies de 24-40% dans les
années 60 à 2-3% dans les années 80.1,2,3 Dans la même période,
la fréquence de l’IRA gravidique par rapport au nombre total des
grossesses, passe d’environ de 1/3000 à 1/15 000-1/20 000.2,12
Dans notre contexte marocain, l’IRA obstétricale est encore fré-
quente du fait que la majorité des grossesses ne sont pas suivies
et que l’accouchement se fait encore à domicile par des per-
sonnes non entraînées.
L’analyse de nos résultats montre que l’avortement septique
était une cause majeure des IRA du 1er trimestre et la prééclamp-
sie-éclampsie était une cause majeure des IRA du 3e trimestre.
Actuellement, cette distribution bimodale ne persiste pas dans
les pays occidentaux, en effet, le premier pic est en disparition,
alors que dans le dernier trimestre de la grossesse il y a une dimi-
nution de l’IRA obstétricale secondaire à la PE-E.2,3
Les quatre cas d’avortement septique que nous avons rap-
portés ne reflètent pas la réalité, étant donné que se sont des
femmes jeunes, célibataires, pratiquant l’avortement clandestin
dans des conditions de réalisation et d’environnement le plus
souvent ambulatoire.
L’étude histologique montre que la nécrose corticale est fré-
quente dans les IRA obstétricales.8,13 Dans la série récente de Pra-
kash et coll.14 en Inde, les causes obstétricales étaient responsables
de 65% dans vingt-trois cas de nécrose corticale rénale avec une
incidence presque la même au début et à la fin de la grossesse.
Le taux de mortalité est plus bas dans les IRA obstétricales
par rapport aux IRA non obstétricales. La mortalité maternelle
moyenne est de 16,8% comme l’a rapporté Finn en 1983.15 Mais
au cours de l’IRA obstétricale, il y a un haut risque d’insuffisance
rénale chronique ou résiduelle, principalement due aux lésions
de la nécrose corticale.15,16 Ces lésions rénales irréversibles dans
cette forme de nécrose corticale sont observées dans 20-30%
des cas d’IRA gravidique, environ dix fois plus que dans les autres
catégories d’IRA gravidiques. Le pronostic fœtal est beaucoup
plus réservé et la mortalité périnatale est élevée (40%).11
■ Conclusion
L’IRA obstétricale est encore fréquente dans les pays en voie
de développement où la majorité des grossesses ne sont pas sui-
vies et l’accouchement qui se fait encore à domicile. Les avorte-
ments septiques restent encore un problème de santé publique
où la répression de l’avortement aboutit non à sa disparition
mais à sa poursuite et dans des conditions dangereuses. La PE-E
est une étiologie fréquente de l’IRA obstétricale ; ainsi, la sur-
veillance de ces patientes doit être étroite et le dépistage systé-
matique des infections, de la protéinurie et de l’hypertension
artérielle sera régulier.
Nous insistons sur la prévention primaire des complications
obstétricales, l’amélioration des infrastructures sanitaires et la
création de centres de consultation anténatale.
Néphrologie Vol. 22 n° 1 2001
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articles originaux
Adresse de correspondance :
Dr Khadija Hachim
Service de néphrologie-hémodialyse
(pavillon 31)
CHU Ibn Rochd
Casablanca
Maroc
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