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REQUÊTE
Par
L’association Regards Citoyens, association régie par la loi du 1er juillet 1901
et déclarée le 9 juin 2010 à la préfecture du Rhône (déclaration publiée au Journal
Officiel de la République française n° 20100026 du 26 juin 2010), dont le siège social
est chez Julien Rabier, Bâtiment A2, 17 rue Corneille à Toulouse (31100).
Contre
Saisie de ce refus
1
Requête Regards Citoyens / Éric Ciotti (CADA n° 20174117)
I. Faits
Le 16 mai 2017, l’association Regards Citoyens, exposante, a sollicité Éric Ciotti, ainsi que 573
autres députés en cours de mandat pour leur demander communication, au titre de l’article
L 311-1 du code des relations entre le public et l’administration, de deux documents relatifs à
l’usage du budget alloué aux députés dans le cadre de leur mandat pour leurs frais :
— d’une part, une copie des relevés bancaires dédiés à leurs frais de mandat entre décembre
2016 et mai 2017 ;
— d’autre part, la dernière attestation sur l’honneur du bon usage de ces frais qu’ils ont
eu obligation de faire parvenir au Bureau de l’Assemblée nationale avant le 31 janvier
2017 (obligation prévue, au moment de la demande, à l’article 32 bis III de l’Instruction
générale du Bureau de l’Assemblée nationale).
Sur l’ensemble des députés sollicités, 7 ont fait le choix de répondre favorablement à la demande
de l’association requérante.
Le 26 mai 2017, l’association requérante a envoyé par lettre recommandée sa demande à Éric
Ciotti.
Le 06 juin 2017, Éric Ciotti a accusé réception du courrier de Regards Citoyens.
Le 20 juillet 2017, l’association requérante a constaté que Éric Ciotti n’avait pas accédé à sa
demande de communication de documents.
Le 20 juillet 2017, l’association a sollicité la Commission d’accès aux documents administratifs
(CADA), afin qu’elle rende un avis sur ce refus et celui des 566 autres députés.
Le 03 janvier 2018, l’association exposante a reçu un avis - numéro 20174117 - de la CADA relatif
à la demande adressée à Éric Ciotti. Contre toute attente, la commission s’y déclare incompétente.
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De plus, l’alinéa 2 de ces même statuts prévoit que l’association peut « mener toute action
en justice [. . . ] qui facilite[rait] la réalisation de son objet ». La présente action en justice vise
précisément à favoriser le libre accès aux données publiques et à leur réutilisation : elle entre
donc pleinement dans l’objet de l’association.
Il ne fait ainsi aucune doute que l’association Regards Citoyens est fondée à agir devant votre
tribunal pour obtenir la transparence sur l’usage de ces frais de mandat.
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relevés bancaires du compte dédié à l’IRFM sont des documents administratifs communicables
au sens de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration.
B- Les membres du Parlement sont soumis au droit d’accès aux documents admi-
nistratifs
Les membres du Parlement sont un organe de l’État, tout comme le sont les membres du
Gouvernement. Ainsi, dans l’ouvrage de référence « Le droit constitutionnel », Francis Hamon
et Michel Tropper définissent la fonction de la manière suivante : « Les hommes qui exercent
le pouvoir politique n’exercent pas un pouvoir propre, mais une compétence. On dit qu’ils ont
individuellement ou lorsqu’ils sont réunis en collèges la qualité d’organes de l’État, parce que
leurs actes sont considérés comme ayant été accomplis par l’État et qu’ils sont attribués à l’État ».
Ainsi, si l’État est habituellement incarné par ses administrations ou leurs responsables, il peut
l’être également par des personnes physiques comme c’est le cas des membres du Gouvernement,
ou des membres du Parlement.
En effet, la Constitution attribue aux membres du Gouvernement et aux membres du Parlement
une partie des compétences de l’État. Les premiers voient leurs fonctions notamment régies par les
articles 8 (nomination), 23 (incompatibilité), 31 (accès au Parlement), 68-1 et 68-2 (responsabilité
pénale) ou 72 (délégations territoriales) de la Constitution, là où les seconds voient leurs pouvoirs
attribués, à titre personnel, par la Constitution dans ses articles 11 (initiative référendaire), 26
(immunité), 27 (votes), 39 (initiative des lois), 40 (amendements), 48 (questions au gouvernement),
89 (initiative de la révision constitutionnelle).
Par les pouvoirs personnels dont ils sont investis par la Constitution, les membres du Parlement
jouissent de la qualité d’organe de l’État. À ce titre, l’intégralité des activités liées à leur mandat
de membre du Parlement est reconnue comme mission de service public.
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En vertu de l’ensemble des prérogatives qui leur sont conférées par la Constitution, et en tant
que représentants de la souveraineté nationale, chaque membre du Parlement est donc bien un
organe de l’État producteur et receveur de documents administratifs au sens de l’alinéa 1er de
l’article L 300-2 du code des relations entre le public et l’administration qui prévoit que : « Sont
considérés comme documents administratifs, [. . . ] les documents produits ou reçus, dans le cadre
de leur mission de service public, par l’État ».
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membres du Parlement sont par ailleurs soumis à une pluralité de régimes juridiques. Le Conseil
d’État a ainsi consacré dans sa décision n° 163328 du Conseil d’Etat du 5 mars 1999, qu’un
acte d’une autorité parlementaire est susceptible d’être qualifié d’administratif au regard de son
objet. En outre, l’exception s’applique uniquement aux documents « produits ou reçus par les
assemblées parlementaires », or en l’espèce, les relevés bancaires sont établis par les établissements
bancaires à titre individuel aux députés et n’ont donc été ni reçus, ni produits, par une assemblée
parlementaire.
Le refus de Éric Ciotti de communiquer à l’association requérante les documents liés aux frais de
mandat porte atteinte à son droit à l’information constitutionnellement garanti.
En effet, si l’alinéa 2 de l’article L 300-2 du code des relations entre le public et l’administration
prévoit que les « actes et documents produits ou reçus par les assemblées parlementaires sont
régis par l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées
parlementaires », cette exception doit être interprétée strictement puisqu’aucun article de cette
ordonnance n’organise le droit d’accès aux documents de ces assemblées parlementaires. La
doctrine souligne d’ailleurs régulièrement le déni de justice qu’est susceptible de constituer
l’immunité juridictionnelle des assemblées parlementaires (v. notamment note Morange, sur
Vouters et Vuillemey, Penant 1952, p. 62 ; Quermonne, D. 1952, p. 217 ; A. de Laubadère, suppl.
à la 2e édition du Traité de droit administratif, 1960, n° 15 ; L. Favoreu, Du déni de justice en
droit public français, LGDJ, 1965, p. 98 et ss.).
Un tel refus de communiquer des documents administratifs porte atteinte aux droits garantis
par l’article 15 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui prévoit que :
« La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Ce
principe de libre accès à l’information a été consolidé par le Conseil constitutionnel. Ainsi, ce
dernier a affirmé dans la récente décision du 2 décembre 2016 n° 2016-599 QPC que ce principe
de redevabilité appartient à la catégorie des droits et libertés que la Constitution garantit et
qu’il est donc invocable devant lui. Saisi sur la question de son champ d’application, le Conseil
constitutionnel a entendu donner à ce droit une portée large puisqu’il a considéré dans sa décision
du 15 septembre 2017 n° 2017-655 QPC que cet article garantit également le droit d’accès aux
documents d’archives publiques.
Le Conseil constitutionnel n’a pas manqué de rappeler dans une décision du 28 décembre 2006
n° 2006-545 DC que ce principe de redevabilité doit être articulé avec la recherche du bon emploi
des deniers publics. Le refus de communication de ces documents porte en l’espèce atteinte à ces
deux droits garantis. C’est par ailleurs ce même raisonnement qu’a suivi le Conseil constitutionnel
dans sa décision du 9 octobre 2013 n° 2013-676 DC, en considérant que permettre « à chaque
citoyen de s’assurer par lui-même de la mise en œuvre des garanties de probité et d’intégrité [. . . ],
de prévention des conflits d’intérêts et de lutte contre ceux-ci » caractérise un motif d’intérêt
général.
En refusant de donner accès à des documents administratifs, sans aucune justification juridique
et à défaut de fondement régissant les documents supposément visés par l’exception, Éric Ciotti a
porté atteinte au droit à l’information constitutionnellement garanti de l’association requérante.
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sociales des collaborateurs parlementaires. . . ), ou encore les moyens pour lesquels le parlementaire
est autonome (embauche de ses collaborateurs parlementaires, emploi de ses frais de mandat. . . ).
Face à la diversité de ces actions et activités, plusieurs types de régimes juridiques s’appliquent.
Ce raisonnement a été consacré par le Conseil d’État dans sa décision n° 163328 du 5 mars
1999. Dans cette décision portant sur le droit à l’information, le juge administratif s’est estimé
compétent en matière de demande d’accès à des documents administratifs liés au Parlement sans
que cela ne porte atteinte à la séparation des pouvoirs.
Dans un autre domaine, en ce qui concerne les embauches de collaborateurs, c’est le député, et
non l’assemblée parlementaire, qui est attraite devant le juge en cas de conflit : le député est alors
assigné devant le conseil des prud’hommes (sur ce point, v. notamment les arrêts n°09-41.543 et
09-41.544 de la chambre sociale de la Cour de cassation du 29 septembre 2010). Dans d’autres
situations, ce sont les juridictions classiques qui sont chargées de juger les différends. Ainsi, dans
un arrêt du 6 novembre 2012, la cour d’appel de Nancy a validé le compromis de vente signé par
une députée souhaitant installer sa permanence parlementaire, financée avec son IRFM, sans que
des règles dérogatoires liées à sa qualité de députée n’aient été prises en compte.
Par ailleurs, si les députés bénéficient en principe d’une immunité qui leur assure un régime
juridique dérogatoire au droit commun dans leurs rapports avec la justice afin de préserver leur
indépendance, cette immunité est encadrée par l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 puisqu’elle
ne concerne que les discours tenus au sein du Parlement ou les rapports et autres documents
imprimés par ordre des assemblées, ainsi que les comptes rendus des séances publiques tenues
par ces assemblées. Cette immunité ne fait jamais l’objet d’une interprétation extensive (sur ce
point, v. notamment l’arrêt de la Chambre criminelle du 24 nov. 1960, Bull. crim. n° 551 ).
Les députés ont donc de très larges prérogatives qui entraînent l’application de règles issues de
différents régimes juridiques, allant du droit parlementaire au droit civil en passant par le droit
du travail ou même le droit administratif.
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gestion de leurs frais de mandat ne pouvaient donc en aucun cas relever du fonctionnement du
Parlement tel que prévu par cette ordonnance.
En ce qui concerne le relevé de la comptabilité et l’usage de ses frais de mandat, le député ne
peut donc valablement se revendiquer d’une des assemblées parlementaires.
Ainsi, tout comme l’embauche d’un collaborateur, l’utilisation de la dotation budgétaire relative
aux frais de mandat par un membre du Parlement ne concerne pas l’assemblée parlementaire : il
s’agit d’actes administratifs individuels détachables.
Éric Ciotti ne peut valablement invoquer l’avis de la Commission d’Accès aux Documents
Administratifs (CADA) attenante à cette procédure pour évoquer l’incompétence de votre
juridiction. En effet comme il va être démontré, en se limitant à analyser si le député rentrait
dans la seule catégorie des personnes de droit privé chargées d’une mission de service public,
la CADA a commis une erreur de droit. De plus, il sera rappelé que l’étendue de la présente
requête se limite à l’obtention des documents administratifs et ne constitue en rien une demande
de contrôle du juge administratif.
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Au moment des faits, le III de l’article 32 bis de l’Instruction générale du bureau prévoyait que :
« Avant le 31 janvier suivant chaque année civile de mandat, le député adresse au Bureau une
déclaration attestant sur l’honneur qu’il a utilisé l’indemnité représentative de frais de mandat,
au cours de ladite année, conformément aux règles définies par le Bureau ».
Contrairement aux relevés bancaires du compte dédié à l’usage des frais de mandat, cette
déclaration sur l’honneur n’est pas communicable selon les principes généraux des dispositions
évoquées précédemment car elle tombe justement sous l’application de l’exception prévue au
deuxième alinéa de l’article L 300-2 du code des relations entre le public et l’administration : le
document a été reçu par une assemblée parlementaire.
Cependant, d’après ce même alinéa 2, la communication de ce type de document est régie
par « l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées
parlementaires ». De cette ordonnance découle le code de déontologie de l’Assemblée nationale
: celui-ci prévoit, à son article 4, que les « députés doivent agir de manière transparente dans
l’exercice de leur mandat ».
Ainsi, il ne fait pas de doute que la déclaration sur l’honneur est communicable à ce titre. Mais il
y a plus :
En refusant l’accès à sa déclaration sur l’honneur, Éric Ciotti a porté atteinte à la liberté publique
de l’association requérante qu’est le droit à l’information, caractérisé en l’espèce par l’accès aux
documents administratifs.
En effet, le Conseil constitutionnel a estimé dans sa décision n° 2014-5 LOM du 23 octobre 2014
que « les règles relatives à l’étendue du droit des citoyens d’obtenir communication des documents
administratifs mettent en cause les garanties des libertés publiques ».
Le Conseil d’État avait pris une position analogue et jugé, dans sa décision n° 228830 du
29 avril 2002), que « les dispositions [. . . ] relatives à l’étendue du droit d’accès aux documents
administratifs, concernent les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des
libertés publiques ».
La Convention des Nations unies contre la corruption, adoptée par la résolution de l’Assemblée
générale des Nations unies 58/4 du 31 octobre 2003, et ratifiée par la France avec la loi n° 2005-743
du 4 juillet 2005 reconnaît que « toute personne qui détient un mandat législatif » est un « agent
public ». Or, comme précédemment exprimé, l’article 15 de la déclaration des droits de l’homme
et du citoyen de 1789 prévoit que « tout agent public est comptable de son administration ».
La déclaration sur l’honneur est un document qui rend compte du bon usage fait par les députés
de leurs frais de mandat. À ce titre, ce document rend compte de leur administration. Ainsi,
sur ces fondements, la déclarations sur l’honneur est un document communicable à l’association
requérante.
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