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Innervation cutanée
L. Misery
La peau est un organe sensoriel et donc avec une innervation dense. Les terminaisons nerveuses sensitives
sont de plusieurs types. Il existe des terminaisons dilatées, corpusculaires ou libres. Les terminaisons
dilatées sont les terminaisons lancéolées et les disques de Merkel-Ranvier, qui viennent au contact des
cellules de Merkel, cellules neuroendocrines de l’épiderme. Les terminaisons corpusculaires sont situées
dans les zones les plus sensibles : corpuscules cutanéomuqueux, de Ruffini, de Meissner, de Vater-Pacini
ou de Golgi. Les terminaisons libres sont de fines ramifications non myélinisées de fibres myélinisées et se
trouvent dans le derme ou l’épiderme, à l’exclusion de la couche cornée. Les fibres neurovégétatives se
terminent autour des vaisseaux, des muscles arrecteurs des poils et des glandes sudorales. L’innervation
cutanée est tellement dense et fine que l’on a pu décrire des connexions neurocutanées, de cellule à
cellule, que l’on peut considérer comme des synapses. Les neuromédiateurs sont des substances
chimiques médiant l’information nerveuse. Environ 30 ont été retrouvés dans la peau. Les facteurs de
croissance nerveuse interviennent un peu en amont, en contrôlant non seulement la croissance neuronale
mais aussi la libération de neuromédiateurs. Le plus connu d’entre eux est le NGF ou « nerve growth
factor ». Le système nerveux peut moduler toutes les fonctions de la peau en modifiant les propriétés des
cellules après activation par les neuromédiateurs de leurs récepteurs spécifiques, qui sont généralement
couplés à la protéine G.
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Innervation cutanée ¶ 50-020-E-10
voies extralemniscales (sensibilités protopathique et doulou- morphiniques et n’est ressentie qu’au-dessus d’un seuil assez
reuse). À tous les niveaux, il existe un contrôle dit « de porte » élevé. Le prurit est spécifique de la peau, au contraire de la
par des interneurones et un autocontrôle. Dans le cerveau, le douleur. Il n’y a pas de récepteur spécifique du prurit mais des
traitement de l’information est complexe, faisant intervenir des récepteurs dédiés (fibres C différentes des nocicepteurs). Le
interactions entre le thalamus et différentes zones corticales, en prurit semble naître dans les terminaisons nerveuses libres
particulier sensorielles et affectives. épidermiques ou sous-épidermiques. Il est ensuite conduit par
La classification des récepteurs cutanés selon leur fonction ne les fibres Ad et surtout C puis suit les voies habituelles de la
se superpose pas à la classification anatomique. En effet, une sensibilité, transmis par l’influx nerveux et les neuromédiateurs.
même terminaison peut transmettre plusieurs types d’informa- L’intégration centrale est importante mais le centre du prurit
tion. Il est commode de grouper les récepteurs sensitifs cutanés n’est pas clairement identifié. Un contrôle de porte existe
en trois types fonctionnels : mécaniques, thermiques et probablement à différents niveaux. D’ailleurs, le prurit sénile,
nociceptifs. mais peut-être aussi le prurit diabétique et certains prurits
Il existe deux types de récepteurs mécaniques : à accommo- neurologiques semblent être liés à une désafférentation. L’hista-
dation lente (répondant pendant toute la durée d’un stimulus) mine est loin d’être le seul médiateur impliqué dans le prurit.
et à accommodation rapide (répondant au début et à la fin du Elle peut même ne pas intervenir du tout dans certains prurits.
stimulus). Dans la peau glabre, les récepteurs de type I ont des Ceci explique pourquoi les antihistaminiques ne sont pas
champs de réception petits et bien limités et une vitesse de toujours efficaces. La substance P, la sérotonine et les prosta-
conduction de 55-60 m/s. Il s’agit des cellules de Merkel et de glandines (PgE2 essentiellement) sont aussi importants que
corpuscules de Meissner. Les récepteurs de type II ont des l’histamine. Le rôle d’autres neuromédiateurs comme la soma-
champs de réception plus larges et moins bien limités et une tostatine, le CGRP et le VIP (vasoactive intestinal peptide) est aussi
vitesse de conduction de 45-50 m/s. Ils correspondent aux suspecté mais probablement à tort. Les morphiniques naturels
corpuscules de Ruffini et de Pacini. En peau poilue, les méca- (ou exogènes) peuvent induire un prurit. Récemment, il a été
norécepteurs sont représentés par des terminaisons libres démontré que le prurit pouvait être induit par des cytokines
péripilaires, des complexes de Merkel, des terminaisons lancéo- telles que l’interleukine 2 et l’interféron a, et d’ailleurs calmé
lées et des corpuscules de Ruffini. Le nombre de mécanorécep- par des substances comme la ciclosporine. Certaines protéases
teurs est très variable d’un territoire à l’autre. (trypsine, papaïne) ou kinines (kallicréine, bradykinine) peuvent
Les récepteurs thermiques ont une conduction très lente être pruritogènes, en se liant aux récepteurs PAR2.
(0,5 m/s). Il existe deux types de récepteurs bien distincts : au
froid (25-30 °C) et au chaud (30-34 °C). Les températures
inférieures à 20 °C ou supérieures à 45 °C sont perçues comme
douloureuses. Les récepteurs au froid peuvent aussi être activés ■ Fonctions efférentes
par des substances chimiques telles que le menthol.
Les récepteurs nociceptifs sont constitués par les terminaisons Le système nerveux végétatif contrôle la vasodilatation (et
libres non myélinisées, dermiques, épidermiques ou annexielles. donc la thermorégulation), la piloarrection ou la sécrétion et
Trois types sont décrits : l’excrétion sudorale. La vasomotricité cutanée participe à la
• les fibres Ad, sensibles aux fortes stimulations mécaniques régulation tensionnelle mais elle est surtout impliquée dans la
(piqûre, pincement, coupure) ; thermorégulation. De façon permanente, le flux sanguin cutané
• les fibres C classiques, sensibles à des stimulus mécaniques, est régulé par le système nerveux en fonction d’informations
thermiques, chimiques et à de nombreux médiateurs (neuro- locales ou générales provenant de thermorécepteurs cutanés, de
médiateurs, cytokines, éicosanoïdes, etc.) ; barorécepteurs artériels ou cardiopulmonaires ou de chémoré-
• les fibres C « silencieuses », activables seulement après cepteurs. Le flux sanguin peut varier dans des proportions
sensibilisation chimique ou biochimique. énormes, allant de 0,3 ml à 7 l/m2/min ! De plus, les variations
peuvent être très rapides. Les principaux médiateurs impliqués
dans ces mécanismes sont sécrétés par les neurones ou les
■ Douleur cellules endothéliales. Certains sont vasodilatateurs (CGRP,
substance P, oxyde nitrique, histamine, acétylcholine...) alors
La douleur correspond à un excès de nociception et apparaît que d’autres sont vasoconstricteurs (endothélines, catécholami-
donc au-delà d’un certain seuil. À partir des nocirécepteurs [9], nes). La vasodilatation est responsable d’érythème, de chaleur et
l’information douloureuse suit les voies habituelles. À tous les d’œdème alors que la vasoconstriction est responsable de pâleur
niveaux, il existe une balance entre excitation et inhibition. et de froideur. En cas de vasodilatation, le passage de très
L’intégration centrale de la douleur [10] - et donc les facteurs nombreuses substances va être nettement augmenté. Ces
psychologiques - joue un rôle non négligeable. Les mécanismes substances peuvent avoir des fonctions très diverses : nutritives,
intimes de la douleur sont loin d’être élucidés. La substance P pro-inflammatoires, immunostimulantes, immunosuppressives,
est le médiateur de la douleur par excellence mais il semble en toxiques, etc.
exister d’autres (CGRP [calcitonin gene-related peptide], somato-
La fonction sensorielle est une des principales fonctions du
statine, glutamate, bradykinine, histamine, sérotonine, prosta-
système nerveux somatique mais est loin d’être la seule [16]. Les
glandines, interleukine 1,...). La sérotonine, la noradrénaline
fibres nerveuses influencent aussi de façon notable l’immunité
mais surtout les endorphines et les enképhalines ont une
cutanée, la trophicité cutanée, la croissance pilaire, l’excrétion
activité antalgique endogène (contrôle de porte). La douleur
sébacée, la réaction aux ultraviolets (photoprotection et immu-
peut parfois être liée à une désafférentation car il y a alors perte
nosuppression), la différenciation et la multiplication des
des mécanismes normaux de contrôle de la douleur.
kératinocytes ou des fibroblastes. Elles modulent la cicatrisation
et l’inflammation et interviennent dans de nombreuses mala-
■ Prurit dies cutanées. Ainsi, l’information est transmise de la périphérie
vers le centre (fonction sensorielle) mais aussi dans le sens
Les mécanismes du prurit [11-15] sont moins bien connus que inverse, par les mêmes neurones, permettant le contrôle de
ceux de la douleur. Le prurit n’est pas une douleur a minima. Il toutes les fonctions de la peau par le système nerveux.
semble qu’on puisse définir certaines sensations intermédiaires Les neuromédiateurs présents dans la peau (Tableau 1)
entre le prurit et la douleur (paresthésies ou autres), mais le proviennent essentiellement des terminaisons nerveuses cuta-
prurit et la douleur sont deux sensations bien différentes. Le nées mais ils peuvent être aussi synthétisés par les cellules de
prurit est cutané ou semi-muqueux (gland, lèvres) mais pas Merkel et d’autres cellules cutanées. Toutes les cellules de la
muqueux, entraîne le grattage, est aggravé par la chaleur ou les peau possèdent des récepteurs pour tel ou tel neuromédiateur.
morphiniques, calmé par le froid et peut être déclenché par des Le système nerveux module donc les fonctions des cellules de
stimulus minimes. La douleur est cutanéomuqueuse, entraîne le la peau par les neuromédiateurs qui se lient à des récepteurs
retrait, est aggravée par le froid et calmée par la chaleur et les spécifiques [16].
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Prolactine
PTH (para-thyroid hormone)
■ Références
Somatostatine
Substance P [1] Misery L. Le système neuro-immuno-cutané (SNIC). Pathol Biol 1996;
44:867-74.
VIP (vasoactive intestinal peptide)
[2] Reznik M. Structure et fonctions du système nerveux cutané. Pathol
Biol 1996;44:831-7.
[3] Gaudillere A, Misery L. La cellule de Merkel. Ann Dermatol Venereol
1994;121:909-17.
■ Applications [4] Diamond J. Nerve-skin interactions in adult and aged animals. Prog
Clin Biol Res 1994;390:21-44.
physiopathologiques [5] Chédotal A, Hamel E. L’innervation cholinergique de la paroi
[16],
vasculaire. Med Sci (Paris) 1993;9:1035-42.
Au cours des maladies cutanées surtout s’il existe une [6] Chateau Y, Misery L. Connections between nerve endings and
inflammation ou si l’immunité joue un rôle important, l’équi- epidermal cells:are they synapses? Exp Dermatol 2004;13:2-4.
libre entre les différents neuromédiateurs est fortement perturbé. [7] Tachibana T. The Merkel cell:recent findings and unresolved problems.
Certains neuromédiateurs (ou leurs récepteurs) sont surexpri- Arch Histol Cytol 1995;58:379-96.
més, alors que d’autres sont inhibés. Les cellules immunitaires [8] Comtet JJ. La sensibilité : physiologie, examen, principes de la réédu-
possèdent toutes des récepteurs pour les neuromédiateurs. cation de la sensation. Ann Chir Main 1987;6:230-8.
L’inflammation est amplifiée par la libération de certains [9] Fitzgerald M. The development of nociceptive circuits. Nat Neurosci
neuromédiateurs, dont la substance P : c’est l’inflammation 2005;6:507-20.
neurogène. [10] Vogt BA. Pain and emotion interactions in subregions of the cingulate
Dès lors, on comprend comment le système nerveux peut gyrus. Nat Neurosci 2005;6:533-44.
influencer des maladies telles que le psoriasis, la dermatite [11] Wallengren J. The pathophysiology of itch. Eur J Dermatol 1993;3:
atopique, le vitiligo, la pelade, l’herpès ou l’acné. Cela permet 643-7.
aussi d’envisager comment le stress peut avoir une influence sur [12] Teofili P, Procacci P, Maresca M, Lotti T. Itch and pain. Int J Dermatol
le déroulement de ces maladies. Mais la libération endocrine de 1996;35:159-66.
[13] Bernhard JD. Itch:mechanisms and management of pruritus. New
corticoïdes et de catécholamines joue alors aussi un rôle
York: MacGraw-Hill; 1994 (454p).
important.
[14] Misery L, Cambazard F. Prurit. Encycl Méd Chir (Elsevier SAS, Paris),
Au cours des désordres cosmétiques, le système nerveux peut Dermatologie, 98-140-A-10, 2000:6p.
aussi avoir des effets déterminants [17]. C’est en particulier le cas [15] Yosipovitch G, Greaves MW, Schmelz M. Itch. Lancet 2003;361:
des peaux réactives, caractérisées par un érythème et des 690-4.
picotements en réponse à des stimuli variés. Le système nerveux [16] Misery L. Skin, immunity and the nervous system. Br J Dermatol 1997;
peut aussi participer à la physiopathogénie d’une chute de 137:843-50.
cheveux, d’une peau sèche ou grasse ou de toute autre anomalie [17] Misery L. Les nerfs à fleur de peau. Int J Cosmet Sci 2002;24:
relevant de la cosmétologie. 111-6.
L. Misery (laurent.misery@chu-brest.fr).
Service de Dermatologie, CHU Brest, 29609 Brest cedex, France.
Toute référence à cet article doit porter la mention : Misery L. Innervation cutanée. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Cosmétologie et Dermatologie
esthétique, 50-020-E-10, 2006.
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