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Spectrométries de pertes d’énergie

des électrons dans les solides

par Paul A. THIRY


Docteur ès Sciences
Chef de Travaux aux Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix, à Namur (Belgique)
Roland CAUDANO
Docteur ès Sciences
Directeur du Laboratoire Interdisciplinaire de Spectroscopie Électronique (LISE)
Professeur ordinaire aux Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix,
à Namur (Belgique)
et Jean-Jacques PIREAUX
Docteur ès Sciences
Chargé de cours aux Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix, à Namur (Belgique)

1. Principe de la mesure et caractéristiques ........................................ PE 2 635 - 2


2. Spectrométrie de pertes d’énergie des électrons (EELS) ............. — 5
2.1 Principe de la mesure et description des spectromètres ......................... — 5
2.2 Enregistrement et traitement des données ............................................... — 7
2.3 Interprétation des spectres ......................................................................... — 7
2.4 Considérations expérimentales.................................................................. — 10
3. Spectrométrie de pertes d’énergie des électrons à haute
résolution (HREELS)................................................................................. — 10
3.1 Principe de la mesure et description des spectromètres ......................... — 10
3.2 Environnement de la mesure ..................................................................... — 13
3.3 Enregistrement et traitement des données ............................................... — 13
3.4 Aspects opérationnels................................................................................. — 15
4. Mécanismes d’interaction responsables des pertes d’énergie
des électrons ............................................................................................. — 15
4.1 Diffusion dipolaire ....................................................................................... — 16
4.2 Diffusion par impact .................................................................................... — 18
5. Applications de la spectrométrie de pertes d’énergie
des électrons à haute résolution ................................................ — 19
5.1 Caractérisation d’un matériau nouveau : le carbone 60........................... — 20
5.2 Formation d’une interface polymère-métal............................................... — 21
6. Conclusion ................................................................................................. — 21
Références bibliographiques ......................................................................... Doc. PE 2 635

uand un électron d’un faisceau incident extérieur de moyenne ou basse


Q énergie entre en contact avec de la matière condensée, il peut interagir avec
celle-ci de deux façons, en cédant de l’énergie au réseau des ions ou aux élec-
trons. Les spectres de pertes d’énergie des électrons rétrodiffusés (ou éventuel-
lement transmis) par une cible solide révèlent des structures caractéristiques
liées à l’excitation de phénomènes collectifs ou individuels.
L’énergie du faisceau des électrons incidents (de quelques eV à quelques cen-
taines d’eV) est choisie de façon à rendre maximale la section efficace de l’inter-

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action avec le phénomène que l’on désire mettre en évidence. On peut établir
que les électrons incidents doivent avoir au moins trois à quatre fois l’énergie
des pertes caractéristiques pour avoir une probabilité raisonnable de les exciter.
Ces énergies correspondent à des libres parcours moyens électroniques relati-
vement courts (de l’ordre de quelques nanomètres au maximum), c’est dire que
les spectrométries de pertes d’énergie des électrons doivent être considérées
comme des techniques spécifiques d’analyse de surface des matériaux.
Les méthodes décrites ici sont non destructives : elles permettent l’identifica-
tion de composés ou d’éléments chimiques présents à la surface d’un échan-
tillon, principalement au moyen de leur signature vibrationnelle, mais
également par leurs autres excitations électroniques caractéristiques : plasmons
et transitions interbandes. Ces informations sont essentiellement qualitatives,
mais en étalonnant à l’aide d’autres techniques, on a pu établir que, dans le cas
du monoxyde de carbone adsorbé sur un métal, la limite de détection est infé-
rieure à 0,001 monocouche (1 monocouche correspond à une densité d’environ
1014 atomes par cm2 de surface).
Contrairement aux autres spectrométries électroniques, la spectrométrie de
pertes d’énergie des électrons à haute résolution est très sensible aux éléments
légers et en particulier à l’hydrogène. L’analyse d’échantillons isolants est possi-
ble en spectrométrie HREELS, moyennant l’utilisation d’un canon à électrons de
neutralisation. Cette spectrométrie permet la détermination quantitative des
constantes diélectriques et élastiques de surface des échantillons, à partir de
l’observation respective de phonons optiques et acoustiques de surface.

1. Principe de la mesure En revanche, la mesure des pertes d’énergie mises en jeu lors de
l’excitation de vibrations nécessite, en plus, l’utilisation d’un mono-
et caractéristiques chromateur d’électrons : on parle dans ce cas de spectrométrie de
pertes d’énergie des électrons à haute résolution (en anglais
HREELS : High Resolution Electron Energy Loss Spectrometry ). La
résolution en énergie est alors de 1 à 10 meV.
Les spectres de pertes d’énergie des électrons rétrodiffusés (ou
éventuellement transmis) par une cible solide révèlent des structu- La figure 1 permet de situer ces spectrométries dans un contexte
res caractéristiques observées à E0 – Ec où E0 est l’énergie initiale plus général. La spectrométrie EELS se concentre sur les pertes
des électrons et Ec est une énergie caractéristique associée à l’exci- d’énergie caractéristiques (IV) visibles à proximité du pied du pic
tation de phénomènes collectifs ou individuels. élastique. Dans une deuxième étape d’agrandissement, la spectro-
métrie HREELS révèle, par sa haute résolution, des pics de pertes
■ Les excitations collectives sont essentiellement les vibrations du d’énergie (V) situés encore plus près du pic élastique et qui n’appa-
réseau des ions (phonons) ou les oscillations des électrons de raissaient pas préalablement.
valence (plasmons).
■ Les excitations individuelles recouvrent deux sortes de
phénomènes : vibrations de molécules, généralement adsorbées en
surface, ou de groupements moléculaires, et excitations des élec-
trons du solide. Ces dernières peuvent être de plusieurs types :
— la promotion d’un électron vers un niveau supérieur vide de sa
propre bande électronique (transition intrabande) ou d’une autre
bande (transition interbande),
— la création d’une paire électron-trou liée (exciton),
— l’émission d’un électron secondaire par ionisation d’un atome
du solide (transition vers le continuum des états non liés au solide).
Lorsqu’elles impliquent l’excitation de phénomènes périodiques,
les pertes d’énergie des électrons font intervenir un ou plusieurs
quantums d’énergie, notés " ω [où ω est la pulsation de l’oscillation
mise en jeu et " , la constante réduite de Planck (1,0546 × 10–34 J · s)].
À l’exception des phonons et vibrations de molécules dont les
énergies se trouvent dans un domaine allant de quelques meV
(1 eV = 1,6 × 10–19 J) à quelques centaines de meV, toutes les pertes
d’énergie allant de quelques eV à quelques dizaines d’eV sont acces-
sibles à la spectrométrie de pertes d’énergie des électrons (désignée
ici par ses initiales anglaises EELS : Electron Energy Loss
Spectrometry ) qui utilise un canon à électrons et un analyseur et tra- Figure 1 – Densité spectrale des énergies des électrons diffusés par
vaille avec une résolution en énergie de 0,3 à 0,5 eV. une cible bombardée par un faisceau d’électrons d’énergie E0

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Notons que les spectrométries Auger et EELS se font avec des lution de l’ordre de 0,3 à 0,5 eV est largement suffisante pour mettre
énergies primaires et des résolutions en énergie comparables tan- en évidence les structures associées à ces pertes caractéristiques.
dis que la spectrométrie HREELS utilise des énergies plus faibles et Les spectromètres EELS sont identiques à ceux utilisés pour la
une haute résolution. Cela explique que, sur la figure 1, le spectre de spectrométrie des électrons Auger [32] et pour la spectrométrie de
pertes d’énergie EELS correspond rigoureusement à l’agrandisse- photoélectrons XPS ou ESCA et UPS [33]. Ce type de spectromètre
ment d’une partie du spectre des électrons Auger, tandis que la est constitué d’un analyseur dispersif et d’un canon à électrons dans
haute résolution du spectre de pertes d’énergie HREELS creuse lequel le faisceau d’électrons est produit par émission thermoélec-
l’écart entre le pic élastique et le premier pic de pertes EELS, rédui- tronique à partir d’un filament chaud. La largeur de la distribution en
sant considérablement le fond, et permet de découvrir des structu- énergie des électrons dépend de la température du filament et est
res indétectables dans le spectre EELS. donnée par la largeur à mi-hauteur de la distribution de Maxwell-
L’utilisation de faisceaux d’électrons implique que ces spectromé- Boltzmann. Cette largeur est de l’ordre de 460 meV pour un filament
tries ne peuvent être mises en œuvre que dans un environnement de tungstène thorié chauffé vers 2 100 K et de 370 meV pour un fila-
ultravide (pression < 10–6 Pa). D’autre part, la nécessité de stabiliser ment en hexaborure de lanthane (LaB6) qui émet à partir de 1 700 K.
les surfaces des échantillons et d’éviter leur contamination pendant Les analyseurs dispersifs utilisés sont de type électrostatique. La
le temps de la mesure, exige des vides encore meilleurs (< 10–8 Pa) différence de potentiel appliquée entre les deux électrodes de l’ana-
dans le cas de surfaces réactives. lyseur (hémisphères ou cylindres) crée un champ central (analyseur
Le tableau 1 résume les principales caractéristiques des spectro- hémisphérique) ou axial (analyseur cylindrique) qui disperse les
métries de pertes d’énergie des électrons qui seront expliquées électrons en fonction de leur énergie. Seuls seront sélectionnés par
dans la suite de ce chapitre. le diaphragme de sortie de l’analyseur, et par conséquent détectés,
les électrons qui ont une énergie égale à l’énergie de passage (Ep)
dans l’analyseur, déterminée par la différence de potentiel appli-
quée entre les électrodes. Les deux analyseurs les plus répandus
Tableau 1 – Caractéristiques principales des sont l’analyseur hémisphérique et l’analyseur à miroir cylindrique
(CMA : Cylindrical Mirror Analyzer ). On en trouvera un schéma dans
spectrométries de pertes d’énergie des électrons
le chapitre consacré à la spectrométrie des électrons Auger [32], et
une description détaillée dans l’ouvrage de K.D. Sevier [1]. La réso-
Spectrométrie Spectrométrie
Caractéristiques lution en énergie ∆E, pour ces deux types d’analyseurs, est, dans
EELS HREELS
une bonne approximation, proportionnelle à l’énergie de passage
Énergie incidente Ep :
< 1 000 eV < 100 eV
(E 0 )
∆E
Intensité du courant ------- = constante (1)
incident 0,1 µA < I0 < 100 µA 0,1 nA < I0 < 1 nA Ep

Résolution ■ L’analyseur hémisphérique travaille généralement à Ep constante


en énergie (∆E ) 0,300 à 0,500 eV 1 à 10 meV
et, pour des énergies de passage suffisamment basses, la résolution
globale du spectromètre (canon et analyseur) est principalement
Monochromateur non oui
déterminée par la dispersion thermique des électrons dans le canon
Hémisphérique Hémisphérique (de 0,3 à 0,5 eV). La résolution instrumentale est déterminée par la
Analyseurs Miroir cylindrique Cylindrique à 127o largeur à mi-hauteur (FWHM) du pic élastique mesuré et, à Ep cons-
(CMA) Torique tante, elle est indépendante de l’énergie (E0) des électrons incidents.
Plasmons Vibrations Pour pouvoir travailler à Ep constante, on implante, entre la cible et
Pertes d’énergie Transitions inter- moléculaires l’analyseur hémisphérique, une lentille électrostatique destinée à
observées
bandes Phonons retarder les électrons ayant l’énergie désirée, en provenance de la
cible, jusqu’à l’énergie de passage dans l’analyseur. Le spectre de
Vide requis < 10–6 Pa de 10–6 à 10–8 Pa
pertes d’énergie est alors obtenu en faisant varier le potentiel retar-
Dans certaines avec un canon dateur imposé par cette lentille.
Échantillons isolants conditions auxiliaire
En tournant l’échantillon, on peut faire varier l’angle d’incidence
Résolution spatiale 50 µm 1 mm des électrons provenant du canon et, de cette façon, changer leur
profondeur de pénétration dans la cible. Des mesures en incidence
Limite de détection > 0,01 monocouche 0,001 monocouche
rasante limitent la pénétration des électrons et mettent en valeur les
pertes d’énergie en surface, tandis que des mesures en incidence
normale favorisent l’observation de pertes d’énergie en volume. Les
lentilles électrostatiques des spectromètres hémisphériques ont un
2. Spectrométrie de pertes angle d’acceptance relativement faible, de l’ordre de quelques
degrés, et permettent, en tournant l’échantillon ou l’analyseur,
d’énergie des électrons d’effectuer des mesures de pertes d’énergie résolues en angle. De
(EELS) telles mesures fournissent en plus de la perte d’énergie de l’élec-
tron, des informations sur le transfert de quantité de mouvement
entre l’électron et la cible.
■ Les analyseurs à miroir cylindrique (CMA) sont parfois utilisés en
2.1 Principe de la mesure et description tandem pour augmenter leur résolution. À part quelques excep-
des spectromètres tions, ils ne sont pas équipés d’une grille électrostatique retardatrice
et les électrons d’énergie différente sont mesurés en faisant varier
l’énergie de passage dans l’analyseur. La résolution en énergie (1) et
La spectrométrie de pertes d’énergie des électrons (EELS) mesure la transmission ne sont donc plus constantes dans tout le domaine
des excitations électroniques dans un domaine de 1 à 100 eV résul- analysé et c’est la raison pour laquelle, pour caractériser la précision
tant en création de plasmons, ou de transitions électroniques. Étant des mesures effectuées avec un CMA, on utilise plutôt le rapport ∆E/
donné le domaine d’énergie dans lequel elle travaille, elle ne néces- E (pouvoir de résolution) qui est déterminé expérimentalement à
site pas une haute résolution en énergie : on considère qu’une réso-

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partir de la largeur du pic élastique (∆E/E0). Les meilleurs analyseurs


CMA ont un ∆E/E égal à 0,3 %.
La configuration des spectromètres équipés d’un analyseur CMA
n’est pas favorable aux mesures angulaires, car l’analyseur accepte
tous les électrons entrant près de la surface d’un cône de révolution
d’ouverture ϕ = 42o 18’30”. Toutefois, certains analyseurs CMA en
tandem permettent de sélectionner une partie seulement de ce
cône, au moyen d’un tambour à créneaux, implanté entre les deux
miroirs cylindriques. Signalons enfin que l’on peut utiliser l’analy-
seur CMA avec un canon coaxial intégré, pour les mesures à inci-
dence normale favorisant l’excitation de pertes d’énergie en
volume, ou avec un canon extérieur à incidence rasante, pour
l’observation des pertes d’énergie en surface.

2.2 Enregistrement et traitement


des données

La figure 2a présente deux spectres EELS enregistrés sur un


échantillon de carbone graphite à incidences rasante et normale
avec un spectromètre à analyseur CMA pour une énergie des élec-
trons incidents E0 = 500 eV [2]. Le temps nécessaire à l’obtention de
ces données est de l’ordre d’une dizaine de minutes. L’échelle des
pertes d’énergie prend son origine à partir de la position du pic élas-
tique qui est la structure la plus intense. À part un ou deux pics net-
tement visibles à l’œil nu, les pertes caractéristiques apparaissent
comme des structures relativement faibles sur un fond important et
nécessitent un traitement spécial pour pouvoir être localisées avec
précision. Il est habituel, en spectrométrie des électrons Auger [32],
de dériver le spectre (dI/dE ) de façon à renforcer la visibilité du
signal. En spectrométrie EELS, cette technique ne donne pas des
résultats satisfaisants, car les dérivées premières ne mettent en évi-
dence que des marches peu nettes qui ne permettent pas de mesu-
rer avec précision la position des pics de pertes d’énergie. On utilise
l’opposé de la dérivée seconde (–d2I/dE2) qui a pour avantage de
faire apparaître des pics étroits exactement à l’endroit où le spectre
non dérivé présente des maximums locaux. Les positions de ces Figure 2 – Spectres EELS et densité électronique des bandes de
pics sont indiquées sur les spectres de la figure 2a. En général, con- valence et de conduction du graphite
trairement à la spectrométrie Auger, on ne considère pas les mini-
mums car ils peuvent être produits artificiellement par l’opération
de double dérivation. La dérivation se fait de façon numérique avec d’énergie " ω p ou plasmon, lié à ces oscillations collectives est aisé-
un ordinateur ou de façon analogique. Dans ce dernier cas, une fai- ment calculé [3] :
ble tension alternative de fréquence f est superposée à la différence
de potentiel retardatrice et la détection est faite par un amplificateur 2
4π ne
synchrone verrouillé sur la fréquence du premier harmonique (2f ). " ω p = " ----------------- (2)
me

avec me et e masse et charge de l’électron libre,


2.3 Interprétation des spectres n nombre d’électrons libres par unité de volume
La densité d’électrons libres dans les solides (ce sont, par exem-
ple, les électrons de valence pour les métaux simples) se situe dans
Rappelons qu’en spectrométrie EELS les excitations observées
la gamme de 1022 à 1024 électrons · cm–3, ce qui conduit à une éner-
sont soit des plasmons, soit des transitions électroniques.
gie des plasmons variant entre 4 et 30 eV. Cette énergie est bien
Dans les métaux, les électrons de la bande de conduction ne sont supérieure à l’énergie thermique des électrons libres et donc l’exci-
pas liés aux atomes constituant le réseau cristallin et, selon une tation des plasmons requiert toujours l’intervention d’un agent exté-
théorie développée par Fermi, ils peuvent être considérés comme rieur d’énergie suffisante. Des oscillations collectives d’électrons de
un gaz d’électrons libres (ou plasma) répandu dans un milieu rendu conduction peuvent aussi apparaître à l’interface avec un milieu de
électriquement neutre par la présence des ions positifs. À l’appro- constante diélectrique ε’ différente de celle du matériau étudié. Dans
che d’un électron extérieur, les électrons de conduction vont être ce cas l’énergie du plasmon d’interface est :
repoussés localement et un déséquilibre des charges va être créé en
un point du plasma. Les électrons vont se déplacer de manière à " ωp
compenser ce déséquilibre et, lors de ce mouvement, ils vont " ω i = -----------------
- (3)
1 + ε′
acquérir de l’énergie cinétique, dépasser leur position d’équilibre,
puis vont être repoussés en sens contraire créant ainsi les condi-
tions d’oscillations collectives du gaz d’électrons. Le quantum

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Pour une surface plane bordée par le vide (ε’ = ε0 = 1), l’énergie du à l’unité. Cette condition est plus faible à atteindre en utilisant un
plasmon de surface " ω s est donc inférieure à celle du plasmon de canon à incidence rasante, plutôt qu’un canon à incidence normale.
volume, et vaut : Des mesures de pertes d’énergie des électrons peuvent être faites
"ω avec un spectromètre ESCA ou XPS [33]. En effet, des structures
" ω s = ---------p- (4) caractéristiques y apparaissent sous la forme de satellites accompa-
2 gnant les raies d’émission des électrons de cœur. Ces satellites cor-
respondent exactement aux pertes d’énergie des électrons
Une première identification des éléments chimiques présents à la mesurées en spectrométrie EELS avec une énergie incidente E0
surface de l’échantillon se fait au moyen des valeurs de plasmons égale à l’énergie cinétique des électrons ayant quitté le niveau de
publiées dans la littérature [3]. C’est ainsi que l’on attribue plusieurs cœur en question.
pics des spectres de la figure 2 à différents plasmons du graphite
(voir tableau 2). Les mesures effectuées en incidence rasante Pour être complet, signalons que des mesures de pertes d’énergie
devraient mettre en évidence des plasmons de surface à une éner- des électrons peuvent également être faites avec les faisceaux
gie inférieure à celle des plasmons de volume. Elles ne donnent pas d’électrons de haute énergie (de l’ordre de 100 keV) utilisés par les
de différence ici, en raison de la structure lamellaire du graphite, qui microscopes électroniques à balayage ou à transmission, à condi-
réduit fortement les effets de volume. tion de leur incorporer un analyseur d’énergie. Il s’agit d’une techni-
que en développement qui a déjà fait ses preuves et qui a l’avantage
de combiner l’information spectrale de la spectrométrie EELS avec
une information spatiale détaillée. C’est ainsi que, dans les micros-
Tableau 2 – Attribution des pertes d’énergie du graphite copes modernes, une analyse chimique locale basée sur la mesure
de plasmons, de transitions électroniques ou d’excitations de
mesurées à la figure 2
niveaux de cœur peut être effectuée avec une résolution spatiale de
l’ordre de 1 à 10 nm.
Position (eV) Position (eV)
Perte (incidence (incidence Attribution
normale) rasante)
P1 6,7 6,5 plasmon des électrons π 3. Spectrométrie de pertes
P2 13,5 – transition interbande
V1 - C 1 d’énergie des électrons à
P3 19,3 20,0 combinaison P1 + P2 haute résolution (HREELS)
P4 28,3 27,2 plasmon des électrons σ
et π
P5 34,5 34,5 combinaison P1 + P4 3.1 Principe de la mesure et description
P6 56,7 57,7 double excitation du des spectromètres
plasmon σ et π à 28 eV

Cette spectrométrie, décrite en détail dans un ouvrage de Ibach et


Mills [4], s’intéresse plus particulièrement aux pertes d’énergie
L’identification des pics de transitions électroniques interbandes résultant d’excitations vibrationnelles (de 10 à 500 meV). Les analy-
complète l’interprétation du spectre. Elle est illustrée ici dans le cas seurs utilisés ont la forme d’hémisphères ou de secteurs cylindri-
du graphite dont le spectre de pertes d’énergie des électrons EELS ques à 127o, ces derniers étant éventuellement modifiés avec une
est représenté à la figure 2a. On procède à partir des courbes théo- courbure torique. Les sources classiques d’électrons, ayant des dis-
riques de densité des états électroniques du graphite, en fonction de tributions intrinsèques en énergie de l’ordre de 300 à 500 meV ne
l’énergie, représentées à la figure 2b. On repère les points critiques conviennent pas comme telles. Il est nécessaire de sélectionner une
correspondant aux maximums de densité par la lettre V pour les partie des électrons avant interaction avec la cible. Cette opération
états occupés de la bande de valence et par la lettre C pour les états est réalisée par l’adjonction d’un monochromateur d’électrons et
vides de la bande de conduction. On cherche alors les couples V-C d’une lentille électrostatique d’accélération entre le canon à élec-
dont les différences d’énergie de liaison correspondent aux posi- trons et la cible.
tions des pics de transitions électroniques à attribuer. En procédant
ainsi, l’on peut attribuer le pic P2 à 13,5 eV à une transition V1-C1 du Le monochromateur fonctionne comme un analyseur électrostati-
graphite. Toutes les transitions électroniques ne se font pas avec la que dispersif dont le diaphragme de sortie sélectionne une tranche
même probabilité et des considérations plus détaillées qui sortent de la distribution maxwellienne des électrons en provenance du
du cadre de ce chapitre, devraient tenir compte des transferts de canon. Le monochromateur est l’élément capital du spectromètre
quantité de mouvement et de la valeur des éléments de matrice HREELS. Son problème essentiel est la charge d’espace, due aux
décrivant les transitions. Le tableau 2 résume l’attribution des per- répulsions coulombiennes qui défocalisent le faisceau d’électrons et
tes d’énergie observées dans le graphite. limitent le courant utile qu’il peut délivrer. Une solution fréquem-
ment utilisée à l’heure actuelle est l’adjonction d’un pré-monochro-
mateur (figure 3) travaillant à la limite de la charge d’espace, à
énergie de passage élevée et permettant de décharger le monochro-
2.4 Considérations expérimentales mateur.
Le schéma d’un spectromètre HREELS hémisphérique conçu dans
notre laboratoire [7] est représenté à la figure 3. Les électrons émis
La résolution spatiale de la mesure de pertes d’énergie des élec- par la source (filament chaud de LaB6) sont focalisés dans le canon,
trons dépend des performances du canon à électrons dans la de façon à former l’image du point d’émission, sur le diaphragme
gamme d’énergie utilisée et peut être estimée à 50 µm dans le d’entrée du prémonochromateur. À la sortie de celui-ci, une lentille
meilleur des cas. L’analyse d’échantillons isolants pose des problè- électrostatique de transfert injecte les électrons dans le monochro-
mes d’effet de charge qui sont généralement résolus en sélection- mateur. En raison de la résolution exigée, l’énergie de passage dans
nant une énergie des électrons incidents telle que le rendement de le monochromateur est faible (< 1 eV) et il est donc nécessaire
production d’électrons secondaires arrachés à la cible soit supérieur d’accélérer les électrons à la sortie de celui-ci, pour atteindre l’éner-

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gie désirée pour l’interaction avec la cible (typiquement quelques eV


ou quelques dizaines d’eV).
Les électrons rétrodiffusés par la cible entrent ensuite dans une
lentille électrostatique de décélération, et sont injectés dans un ana-
lyseur qui est en général identique au monochromateur. Les élec-
trons qui traversent le diaphragme de sortie de l’analyseur sont
détectés par un multiplicateur à dynode continue (channeltron) et
comptés par un ictomètre. Leur énergie est égale à l’énergie de pas-
sage dans l’analyseur, additionnée de l’énergie de décélération. En
faisant varier cette dernière on comptera le nombre d’électrons
rétrodiffusés par la cible, en fonction de leur énergie, et finalement,
en référant cette distribution au pic intense correspondant aux élec-
trons réfléchis élastiquement, on obtiendra le spectre des pertes
d’énergie.
Le tableau 3 récapitule les performances garanties par les cons-
tructeurs, pour les spectromètres de pertes d’énergie des électrons,
à très haute résolution, disponibles sur le marché en 1995.

Figure 3 – Schéma d’un spectromètre de pertes d’énergie des


électrons à haute résolution (HREELS) (Doc. Euroscan) [7]

Tableau 3 – Spectromètres HREELS commerciaux


Spectromètre Type Fabricant Pays Résolution Intensité
DELTA 0.5 Torique VSI D 1 meV 5 pA
IB2000 Cylindrique 127o VSW Instruments UK 2 meV 6 pA
ELS3000 Cylindrique 127o LK Technologies USA 2 meV 7 pA
ErEELS 31 Torique VSI D 2 meV 8 pA
LK2000 Cylindrique 127o LK Technologies USA 3 meV 10 pA
MILLISCAN Hémisphérique Euroscan Instruments B 2,8 meV 1 pA
Les performances indiquées et garanties par le fabricant sont mesurées en « tir direct ».

3.2 Environnement de la mesure 3.3 Enregistrement et traitement des


données
Nous avons déjà signalé que l’utilisation de faisceaux d’électrons
requiert que les mesures se fassent en ultravide, mais, de plus, la Comme nous l’avons mentionné, le spectre de pertes d’énergie
haute résolution en énergie demandée a ses exigences propres. des électrons est obtenu en balayant le potentiel retardateur appli-
Elles apparaissent au niveau de la conception de la cathode, des qué dans la lentille électrostatique de décélération à l’entrée de
optiques, des sélecteurs, et des alimentations électroniques, mais l’analyseur. La figure 4 montre un exemple de spectre de pertes
également au niveau des matériaux utilisés (molybdène, cuivre, alu- d’énergie des électrons à très haute résolution, obtenu avec le spec-
minium, titane, etc.) qui doivent être absolument amagnétiques et tromètre IB2000 (tableau 3) sur un monocristal d’iridium (100)
dont les potentiels de surface doivent être stabilisés pour ne pas recouvert d’une couche de molécules de CO adsorbées à basse tem-
perturber les trajectoires électroniques. Il est habituel de recouvrir pérature.
ces surfaces avec du graphite colloïdal. Le spectromètre doit égale-
ment être placé à l’intérieur d’un blindage magnétique (mu-métal) L’élément central du spectre est le pic élastique, très intense et
pour annuler l’influence des champs magnétiques extérieurs et dont la largeur totale à mi-hauteur (FWHM = 0,98 meV) donne la
principalement celle du champ magnétique terrestre. résolution énergétique globale de la mesure, résultant de la convo-
lution des élargissements produits par le monochromateur, l’analy-
La cible est un échantillon solide dont les dimensions maximales seur et la cible. Ce spectre est pris dans des conditions de réflexion
sont de l’ordre du cm. Étant donné le faible angle d’ouverture des spéculaire, favorisant la diffusion dipolaire (§ 4.1) c’est-à-dire avec
lentilles de sortie du monochromateur et d’entrée de l’analyseur (de des angles d’incidence et de diffusion égaux. Toutefois, la plupart
l’ordre de 1o), l’intensité recueillie en réflexion spéculaire est plus des spectromètres permettent de tourner l’échantillon et soit le
importante sur un échantillon bien ordonné, tel qu’un monocristal. monochromateur, soit l’analyseur, dans le plan d’incidence et donc
Les surfaces désordonnées comme les verres ou les polymères don- d’effectuer des mesures en dehors de la réflexion spéculaire.
nent de moins bons résultats : résolution médiocre et pauvre rap-
port signal/fond nécessitant de plus longs temps d’accumulation. La détermination précise de l’énergie des électrons interagissant
avec la cible se fait en mesurant la distance entre le pic élastique et
le zéro de l’intensité mesurée. Bien que l’unité naturelle de perte
d’énergie soit l’eV pour des électrons, il est habituel d’utiliser, en
spectrométrie HREELS vibrationnelle, une échelle en cm–1 (c’est-à-

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trouvera une évaluation critique de ces différents traitements de


données dans [9]. Comme toujours en pareil cas, il faut se garder
des artefacts sans signification physique, qui pourraient résulter
d’un traitement excessif des données saisies.

3.4 Aspects opérationnels

Il est possible d’appliquer la spectrométrie HREELS à des échan-


tillons isolants, à condition de prendre des précautions particulières.
La solution la plus simple consiste à préparer un film mince (épais-
seur de 5 à 20 nm) de l’échantillon à étudier et à le déposer sur un
substrat conducteur. Les charges sont alors évacuées à travers le
film isolant par conduction ohmique et effet tunnel. Cette méthode
est très efficace pour les polymères qui peuvent être condensés à
partir d’une solution. Pour des échantillons épais, on utilise un
canon à électrons auxiliaire, implanté en dehors du blindage
magnétique du spectromètre. Le faisceau de ce second canon est
défocalisé au maximum de façon à couvrir, en plus de la surface de
l’échantillon, une partie des pièces métalliques du manipulateur en
contact avec celui-ci. L’énergie des électrons (de 0,5 à 3 keV) est
réglée de manière à stabiliser le spectre des pertes d’énergie.
L’intensité du faisceau auxiliaire est ensuite réduite le plus possible
pour éviter de trop chauffer la cible et pour ne pas trop dégrader la
résolution du spectromètre.
Figure 4 – Spectre vibrationnel du CO adsorbé sur Ir (100), mesuré Deux phénomènes concourent à assurer la neutralisation de la
dans la direction spéculaire par spectrométrie HREELS, pour un angle charge apportée par le faisceau d’électrons en provenance du
d’incidence de 62o, avec un faisceau d’électrons d’énergie E0 = 5 eV monochromateur [10] :
[6] — l’émission d’électrons secondaires arrachés à la cible par le
canon auxiliaire ;
— l’injection d’électrons « chauds » dans la bande de conduction
dire le nombre d’ondes contenues dans une longueur de 1 cm), de de l’isolant, ayant une mobilité suffisante pour parvenir jusqu’aux
façon à pouvoir comparer les résultats avec les données des spec- pièces métalliques du manipulateur, avant recombinaison.
trométries vibrationnelles infrarouges ou Raman. Une perte d’éner- Il est habituel d’implanter, comme canon auxiliaire, un canon de
gie de 1 meV correspond à un nombre d’ondes de 8,056 cm–1. Dans spectrométrie des électrons Auger. L’utilisation du canon auxiliaire à
les cas où l’on souhaite comparer ces valeurs à des mesures faites haute énergie produit un fond pratiquement linéaire dans la région
par diffusion inélastique de neutrons, on emploie le THz (1 meV cor- d’analyse des pertes d’énergie qui sont superposées aux pertes cor-
respond alors à une pulsation de 0,242 THz). respondant à l’émission d’électrons secondaires arrachés à l’échan-
Les spectres HREELS sont enregistrés en comptage directe et, en tillon par le canon à électrons Auger.
général, le rapport signal sur bruit est excellent de telle sorte qu’il En raison des faibles énergies (quelques eV) et des faibles intensi-
n’est pas nécessaire de dériver le spectre pour obtenir les positions tés délivrées par les monochromateurs (< 1 nA pendant la saisie
des pics de pertes d’énergie. Toutefois, en parallèle avec les efforts d’un spectre, c’est-à-dire une vingtaine de minutes), on peut estimer
d’amélioration de résolution des spectromètres, qui ont produit des que les dégâts radiatifs sont pratiquement nuls, même dans le cas
résultats remarquables, on assiste également à des essais d’amélio- d’échantillons très sensibles tels que des polymères. Évidemment,
ration de résolution des données saisies, par des techniques de trai- l’utilisation de cette spectrométrie à des énergies élevées et/ou la
tement du signal. En effet, si les résolutions théoriques accessibles nécessité d’employer un canon auxiliaire de neutralisation produi-
aujourd’hui s’approchent lentement des largeurs de raies naturelles sent les dégâts classiques causés par les faisceaux d’électrons et
des pics de vibrations (de l’ordre du cm–1), dans de nombreux cas, observés notamment en spectrométrie des électrons Auger [32].
ces résolutions ne peuvent jamais être atteintes car elles restent
limitées en particulier par la rugosité ou le désordre superficiel de
l’échantillon.
Les traitements proposés se fondent sur le fait que, malgré le 4. Mécanismes d’interaction
manque de résolution des données mesurées, toute l’information se
trouve contenue dans les données saisies et doit pouvoir en être responsables des pertes
extraite. Dans ce but, deux types de méthodes ont été développés.
La première méthode a été proposée par Wang et Weinberg [8].
d’énergie des électrons
Elle comprend d’abord une transformation de Fourier du spectre
mesuré et une déconvolution dans l’espace de Fourier, et ensuite Deux mécanismes ont été identifiés :
une estimation spectrale utilisant le critère d’entropie maximale et
une analyse de forme de pic utilisant des fonctions gaussiennes et — l’interaction dipolaire à longue distance permet le couplage de
lorentziennes, réalisées également dans l’espace de Fourier. l’électron avec des excitations actives en infrarouge (vibrations ou
oscillations de plasma) ; elle domine en réflexion spéculaire ;
La deuxième méthode utilise soit un algorithme de restitution du — l’interaction d’impact est à courte portée et permet le couplage
maximum de vraisemblance dans lequel le bruit est traité selon une avec toutes les excitations élémentaires du solide ; elle est observa-
statistique de Poisson, soit un algorithme de restitution bayésienne ble principalement en dehors de la réflexion spéculaire.
ou de maximum d’entropie où le bruit est considéré suivant une dis-
tribution normale. Des logiciels très performants peuvent être obte-
nus auprès de la société Spectrum Square Associates, Inc. On

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4.1 Diffusion dipolaire

La diffusion dipolaire consiste essentiellement en une interaction


de type coulombien entre le champ électrique accompagnant l’élec-
tron incident et les fluctuations du champ dipolaire engendré par les
excitations élémentaires de la cible. Pour que le couplage soit effec-
tif, il faut que ces excitations entraînent des variations de moment
dipolaire. C’est la condition de détection des modes actifs en spec-
trométrie infrarouge. À cause de la longue portée du potentiel cou-
lombien, la diffusion dipolaire commence de façon significative
lorsque l’électron est encore très loin de la surface (entre 10 et
100 nm) et se poursuit pendant un temps relativement long (10–14 à
10–13 s). En conséquence, même si l’électron ne pénètre pas dans la
cible, la spectrométrie HREELS permet la détection d’excitations
dipolaires jusqu’à une profondeur importante (> 10 nm) à condition
que celles-ci ne soient pas écrantées par une couche de matériaux à
caractère métallique (voir plus loin). Dans ce cas, on ne peut évi-
demment plus parler d’une technique d’analyse d’extrême surface.
La section efficace de diffusion dipolaire peut être calculée dans le
cadre de la théorie diélectrique qui a été appliquée pour la première
fois par Fermi [11] à la diffusion inélastique d’électrons de haute
énergie (plusieurs keV). On consultera utilement sur ce sujet la réfé-
rence [32] sur la spectroscopie d’électrons Auger. La théorie diélec-
Figure 5 – Spectre des pertes d’énergie des électrons (HREELS) dans
trique a reçu plusieurs formulations récentes [12], adaptées aux
un monocristal de MgO mesuré en réflexion spéculaire, avec un angle
spectrométries de pertes d’énergie des électrons, et basées soit sur
d’incidence de 45o [15]
un traitement quantique [13], soit sur un traitement semi-classique
[14]. Ces traitements sont valables à condition que l’énergie de
l’excitation reste faible en comparaison de l’énergie de l’électron
incident. centration des molécules en surface, à condition de connaître avec
Le résultat est un spectre complet où l’on retrouve, en plus du pic précision la charge effective qui est associée à leur moment dipo-
élastique et des pics de pertes au premier ordre, des pertes multi- laire oscillant [19].
ples et des combinaisons résultant de l’excitation simultanée de plu- Les dipôles correspondant à des molécules adsorbées sur un
sieurs quantums d’énergie identiques ou différents. On y trouvera substrat métallique ont une réplique appelée « dipôle image » créée
également des pics de gains d’énergie correspondant à l’annihila- à l’intérieur du métal par les électrons libres de celui-ci. En effet, les
tion d’un ou plusieurs quantums d’excitation, transférés à l’électron. électrons tendent à écranter le champ électrique associé au dipôle
L’observation de gains d’énergie est particulièrement intéressante vibrant et cet écrantage est efficace car la période de la vibration
car elle permet de mesurer directement la température de surface (10–12 à 10–13 s) est beaucoup plus longue que celle des oscillations
de l’échantillon. En effet, la théorie diélectrique prédit que le rapport de plasma (10–14 à 10–15 s). Comme le montre la figure 6, l’écran-
de l’intensité d’un gain et de la perte d’énergie correspondante est tage a pour effet de neutraliser les dipôles parallèles à la surface
égal à : métallique, et de renforcer les dipôles orientés perpendiculairement
à la surface du métal qui seront donc les seuls observables par dif-
I gain "ω fusion dipolaire. On peut ainsi énoncer une règle de sélection dipo-
- ∝ exp  – -------
----------- (5) laire associée aux surfaces métalliques : « dans le cas d’une couche
I perte  kT 
de dipôles adsorbés sur une surface métallique, seuls les modes
où "ω est le quantum d’énergie associé à l’excitation. actifs en infrarouge et orientés perpendiculairement à la surface
sont observés en spectrométrie HREELS, dans la direction de
La puissance de la théorie diélectrique a été démontrée à maintes réflexion spéculaire ».
reprises. Elle permet, grâce à une interprétation quantitative des
spectres HREELS obtenus en régime de diffusion dipolaire, de déter-
miner les paramètres importants de la fonction diélectrique du
matériau étudié.
Un exemple de spectre de pertes d’énergie à haute résolution
aisément interprété par la théorie diélectrique est donné à la figure
5. Il a été mesuré sur la surface MgO (001) [15]. Le quantum d’éner-
gie caractéristique de 651 cm–1 est attribué à l’excitation d’un pho-
non optique de surface de grande longueur d’onde du matériau,
apparenté aux modes de surface décrits par Fuchs et Kliewer [16]
pour des films de solides ioniques.
La théorie diélectrique a été également appliquée avec succès à
des matériaux anisotropes tels Al2O3 et SiO2 et à des systèmes com-
plexes de couches minces tels des super réseaux de composition
dans lesquels des vibrations caractéristiques d’interfaces ont été
observées et interprétées [17]. Un logiciel complet de calcul de spec-
tres de pertes d’énergie basé sur la théorie diélectrique a été élaboré Figure 6 – Représentation des dipôles parallèle et perpendiculaire
par Ph. Lambin [18] et des copies de ce logiciel sont disponibles sur d’une molécule adsorbée sur un substrat métallique et de leurs
demande. images
Dans le cas de vibrations de molécules adsorbées, l’analyse des
intensités des pics de pertes d’énergie permet de déterminer la con-

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L’application de cette règle permet de déduire l’orientation de fondeur d’analyse est rigoureusement déterminée par le libre par-
molécules adsorbées sur un substrat métallique. C’est ainsi que, cours moyen des électrons dans la cible.
d’après le spectre de pertes d’énergie représenté à la figure 4, on La figure 8a présente une série de spectres de perte d’énergie
peut conclure que la molécule de CO est orientée perpendiculaire- d’électrons de 20 eV, mesurés en dehors de la réflexion spéculaire
ment à la surface, car les seules vibrations observées sont la vibra- dans un film mince de fluorure de calcium d’une épaisseur de 4 nm,
tion d’élongation νC = O de la molécule à 2 068 cm–1 et la vibration épitaxié sur un substrat de silicium (111) [22]. De chaque côté du pic
d’élongation de la molécule par rapport au métal νCO –Ir à 500 cm–1. élastique apparaissent des pics de pertes et de gains d’énergie dont
Si l’axe de la molécule avait été incliné, les moments dipolaires les positions se déplacent en fonction de l’angle de rotation de l’ana-
associés aux quatre autres modes propres de vibration auraient en lyseur et donc du transfert de quantité de mouvement de l’électron
effet possédé des composantes perpendiculaires à la surface et acti- à la cible. Ces pics sont associés à l’excitation ou à l’annihilation
ves en diffusion dipolaire. d’un phonon acoustique de surface (mode de Rayleigh) du film
mince. La courbe de dispersion de ce mode est représentée à la
figure 8b sous forme de points expérimentaux, auxquels est super-
posée la courbe équivalente mesurée sur un monocristal de fluorure
4.2 Diffusion par impact de calcium. On observe des différences importantes entre ces deux
courbes, à l’extrémité de la zone de Brillouin. Il s’agit là d’un effet de
Le mécanisme d’interaction par impact est un mécanisme à pseudomorphisme résultant du désaccord paramétrique existant
courte portée (quelques dixièmes de nm) qui requiert que l’électron entre le silicium et le fluorure de calcium à la température de 750 oC
entre en contact avec les potentiels atomiques de la surface de nécessaire pour assurer l’épitaxie. En utilisant un modèle de dyna-
l’échantillon ou d’une molécule adsorbée. Il en résulte un choc, dont mique de réseau, on pourra extraire des points expérimentaux, les
la conséquence est le déplacement d’un (ou plusieurs) atomes de la constantes élastiques caractéristiques du film mince déposé.
cible et qui, vu la faible masse de l’électron, peut diffuser celui-ci
très loin de la direction de la réflexion spéculaire. Le traitement
théorique de la diffusion d’impact est complexe et nécessite des
techniques de calcul très élaborées, faisant intervenir des hypothè-
ses simplificatrices. On trouve, dans la littérature, quelques exem-
ples de calculs qui confirment le comportement oscillatoire des
sections efficaces d’excitation de phonons acoustiques observés en
fonction de l’énergie primaire des électrons [20]. Du point de vue de
la spectrométrie HREELS, les électrons diffusés par impact présen-
tent une distribution angulaire extrêmement large, quasi isotrope,
représentée à la figure 7, avec cependant un maximum d’intensité
prévu dans la direction perpendiculaire à la cible.

Figure 7 – Représentation de la section efficace de diffusion


par impact dans le plan d’incidence de la cible

Contrairement à la diffusion dipolaire, la diffusion par impact ne


comporte pas de règle de sélection stricte, de sorte que, en principe,
toutes les excitations sont observables et donc aussi les dipôles
orientés parallèlement aux surfaces métalliques. C’est d’ailleurs
l’observation de modes non actifs pour la diffusion dipolaire, lors
d’expériences d’adsorption de l’hydrogène sur du tungstène (100),
qui amena Ho et coll. [21] à postuler l’existence du mécanisme de
diffusion par impact.
Comme les sections efficaces d’impact sont beaucoup plus faibles
que les sections efficaces dipolaires, les excitations par impact sont
Figure 8 – Spectre de pertes d’énergie d’électrons, en dehors de la
en général mieux visibles en dehors de la réflexion spéculaire.
réflexion spéculaire et courbe de dispersion du mode de Rayleigh
D’autre part, elles mettent en jeu des quantités de mouvement
dans un film mince de fluorure de calcium de 4 nm d’épaisseur [22]
importantes et permettent ainsi une étude des effets de dispersion,
contrairement à la diffusion dipolaire, qui est, elle, limitée à n’inves-
tiguer que le centre de la zone de Brillouin. Enfin, de par sa nature,
la diffusion d’impact est un processus d’extrême surface car sa pro-

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La distinction entre les régimes de diffusion dipolaire et d’impact cristallins et pressions élevées) de telle sorte qu’il n’est pas évident
n’est pas toujours nette, comme l’attestent de nombreuses expé- que les résultats obtenus soient utilisables pour les systèmes opéra-
riences. En effet, dans des conditions expérimentales qui devraient tionnels.
favoriser l’interaction dipolaire, certains atomes, groupements chi- Toutefois, ses possibilités d’application sont réelles, comme nous
miques, ou des solides peu ordonnés, présentent des pertes d’éner- le démontrons dans les deux exemples décrits ci-après.
gie ayant une distribution angulaire fort large qui rappelle plutôt
une distribution d’impact. C’est notamment le cas de la vibration
d’élongation νC – H dans les molécules organiques. Remarquons
aussi qu’un solide peu ordonné et dont la surface est particulière- 5.1 Caractérisation d’un matériau
ment rugueuse, comme c’est le cas d’un polymère, ne présente pas
les caractéristiques marquées de la diffusion dipolaire, pour des rai-
nouveau : le carbone 60
sons géométriques évidentes et, en conséquence, il est très difficile
de distinguer a priori les processus dipolaires, des processus Le carbone 60 ou fullerène, est la troisième forme allotropique du
d’impact. carbone, découverte récemment [27], dans laquelle les 60 atomes
Des anomalies observées dans les courbes des intensités relati- de carbone sont disposés aux sommets d’un icosaèdre tronqué
ves des pertes d’énergie des électrons mesurées dans des molécu- résultant d’un assemblage quasi sphérique de 20 hexagones et 12
les adsorbées faiblement liées (physisorbées) au susbstrat, ont pentagones, comme dans un ballon de foot-ball. La figure 9 pré-
amené à l’identification de processus de diffusion résonnante [23]. Il sente un spectre de pertes d’énergie des électrons (EELS) mesuré
s’agit d’un cas particulier de la diffusion d’impact, lorsque l’électron avec une énergie incidente de 150 eV sur un film mince de carbone
est momentanément piégé dans une orbitale électronique vide de la 60 épitaxié sur un substrat de sulfure de germanium (001) [28]. On y
molécule adsorbée. La désexcitation de cet état, à temps de vie très observe principalement trois structures caractéristiques du carbone
court, peut laisser la molécule dans un niveau vibrationnel excité 60 : un plasmon des électrons π à 6,3 eV, un plasmon des électrons
[24]. σ et π à 28 eV et une transition électronique à 4,8 eV. Les énergies
L’identification de processus résonnants est très importante en des plasmons sont comparables à celles observées dans le graphite
physique, car les conditions de la résonance assurent un transfert (voir figure 2) et cela confirme que l’on peut, en première approxi-
d’énergie extrêmement efficace. En spectrométrie HREELS, l’aug- mation, considérer la molécule de carbone 60 comme issue de
mentation considérable de section efficace obtenue pour les éner- l’« enroulement » d’un plan de graphite sur lui-même. En revanche,
gies incidentes résonnantes permet d’observer des effets non la transition électronique à 4,8 eV est caractéristique du carbone 60.
linéaires tels que des transitions directes depuis l’état fondamental Elle constitue, avec le pic à 6,3 eV, les deux « bosses de chameau »
(nombre quantique vibrationnel v = 0) jusqu’au deuxième niveau bien connues des spectres d’absorption de rayonnement ultraviolet
vibrationnel (v = 2). La perte d’énergie correspondant à la transition et qui sont à l’origine de la découverte de ce matériau. La perte
vibrationnelle 0 → 2 apparaît à une énergie inférieure à la perte d’énergie à 7,6 eV correspond à l’énergie d’ionisation du carbone
d’énergie double correspondant à deux fois le quantum 0 → 1. Cette graphite.
mesure permet, par exemple, de déduire aisément l’énergie de Près du pic élastique, on observe un creux d’intensité pratique-
liaison de la molécule physisorbée. ment nulle, s’étendant sur une région d’environ 2 eV associée à la
bande d’énergie interdite du carbone 60. En effet, mis à part quel-
ques possibles niveaux excitoniques, il n’existe pas dans cette
région, d’états finals vides susceptibles d’accueillir les électrons
5. Applications de la excités. La partie vibrationnelle du spectre des pertes d’énergie très
proche du pic élastique est représentée dans l’agrandissement à la
spectrométrie de pertes figure 9. Elle a été mesurée en spectrométrie HREELS en réflexion
spéculaire, avec des électrons incidents de 3,5 eV [29]. On y observe
d’énergie des électrons à 4 modes dipolaires T1u actifs en infrarouge à 66, 72, 145 et 178 meV,
haute résolution mais on y observe également avec une intensité moindre, les autres
modes de vibration actifs en Raman. Le pic relativement intense,
mesuré à 30 meV, correspond à un mode optique de Fuchs-Kliewer,
localisé à l’interface entre le sulfure de germanium et le carbone 60.
La partie la plus importante des applications de la spectrométrie Il est intéressant de noter que l’interface entre les deux matériaux
de pertes d’énergie des électrons à haute résolution (HREELS) a été est observée par spectrométrie HREELS de façon non destructive,
consacrée à l’étude de molécules adsorbées. Leur signature vibra- bien qu’elle soit enterrée à plus de 30 nm au-dessous de la surface
tionnelle permet en effet de déterminer la nature des espèces adsor- de la cible. Rappelons qu’en raison de la longue portée de l’interac-
bées, le site et la géométrie de la chimisorption, de suivre des tion dipolaire il n’est pas nécessaire que la sonde électronique pénè-
réactions de surface, et dans certains cas, de mesurer des énergies tre dans la cible. Signalons enfin, pour conclure, que les pertes
de liaison. d’énergie observées dans un film cristallin de carbone 60 sont prati-
En régime dipolaire, la spectrométrie HREELS peut se comparer quement identiques à celles observées en phase gazeuse, confir-
assez exactement à la spectrométrie de rayonnement infrarouge, mant par là que le carbone 60 en phase condensée (fullerite) est un
avec cette différence importante que la spectrométrie HREELS est solide peu lié dans lequel la cohésion est assurée par des forces de
intrinsèquement une technique d’analyse de surface, tandis que la Van der Waals.
spectrométrie infrarouge est, en elle-même, sensible au volume, en
raison de sa grande profondeur de pénétration. D’autre part, l’utili-
sation de la spectrométrie HREELS n’est pas réduite à l’observation
de modes actifs en infrarouge puisqu’elle a accès également aux 5.2 Formation d’une interface polymère-
autres modes de vibration détectés par spectrométrie Raman ou par métal
diffusion inélastique de neutrons.
L’application qui a le plus motivé le développement de la spectro-
métrie HREELS, à ses débuts, est l’étude de réactions catalysées en Le premier spectre de pertes d’énergie des électrons à haute réso-
phase hétérogène [26]. Toutefois, les conditions de travail idéales en lution, représenté à la figure 10 a été mesuré sur un film vierge de
HREELS (cibles monocristallines et ultravide) sont loin des condi- polyimide ou [poly- N, N’-bis (phénoxyphényle) pyrométillitimide],
tions réelles de travail d’un catalyseur industriel (matériaux poly- en géométrie spéculaire, avec des électrons incidents de 6,0 eV [30].
L’unité monomérique du polyimide est composée de deux entités

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ques de la partie ODA. Remarquons le pic à 1 720 cm–1 qui est


attribué à la vibration d’élongation νC = O dans la partie PMDA. À
partir des mesures résolues en angle, on peut déduire l’orientation
et l’angle de torsion (environ 40o) entre la partie ODA (caractérisée
par les modes d’élongation νC – H aromatiques) et le plan de la partie
PMDA (caractérisée par les groupements C = O) du monomère [31].

Figure 9 – Spectres de pertes d’énergie des électrons (EELS et


HREELS) dans un film de carbone 60 épitaxié sur substrat de
GeS(001) [28] [29]

PMDA (pyromellitic dianhydride ) et ODA (oxydianiline) représen- Figure 10 – Spectres de pertes d’énergie des électrons HREELS
tées également à la figure 10. Après traitement des données mesurés pendant la formation de l’interface entre le polyimide et
HREELS, on peut identifier 19 pics de pertes d’énergie, qui sont aisé- l’aluminium [30] [31]
ment interprétés par comparaison avec les spectres infrarouges
publiés. Le pic de perte d’énergie à 3 000 cm–1 est attribué à l’excita-
tion de vibrations d’élongation νC – H des groupements CH aromati-

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Après recouvrement d’un dixième de monocouche d’aluminium,


soit environ 2 atomes par unité monomérique du polyimide, on 6. Conclusion
observe, sur la figure 10, que les atomes d’aluminium réagissent
avec les sites carbonyles parce que la perte d’énergie correspondant
à l’excitation de la vibration d’élongation νC = O à 1 720 cm–1 est for- Pour conclure, nous pensons avoir démontré, dans ce chapitre,
tement atténuée. À plus haut recouvrement (une demi-monocou- les possibilités d’application des spectrométries de pertes d’énergie
che), on observe que les sites carbonyles ne sont plus que des électrons. La spectrométrie EELS est utilisée comme technique
faiblement affectés, tandis que des groupements aliphatiques complémentaire des spectrométries ESCA et Auger pour l’analyse
[ν (C – Hx) à 2 950 cm–1] et hydroxyles [ν (O – H) à 3 730 cm–1] appa- chimique de surface des matériaux. Par ailleurs, la spectrométrie
raissent à la surface. Cette étude illustre bien le type d’informations HREELS, qui a récemment bénéficié du développement de spectro-
que l’on peut retirer des spectres de pertes d’énergie des électrons mètres performants, est bien adaptée à l’étude des réactions chimi-
à haute résolution pour la compréhension de la formation d’une ques à la surface de matériaux solides. Cependant, malgré une
interface. production scientifique considérable sur le plan de la recherche fon-
damentale, la spéctrométrie HREELS n’a pas encore, à notre con-
naissance, démontré de réelles possibilités d’application
industrielle telles que la mise au point de catalyseurs en phase hété-
rogène. Elle reste jusqu’à aujourd’hui une technique réservée à des
laboratoires de recherche spécialisés.

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