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Le transfert de propriété en droit français 1

Issu de Revue des contrats - n°4 - page 1694


Date de parution : 01/10/2013
Id : RDCO2013-4-057
Réf : RDC 2013, n° RDCO2013-4-057, p. 1694

Auteur :
l Par William Dross, professeur agrégé des facultés de droit à l'université Jean-Moulin
Lyon 3

1. Matérialité du transfert. – La question du transfert de propriété appelle spontanément


une représentation intellectuelle simple, celle de la vente instantanée d'un bien meuble
corporel. Le contrat se forme par un échange de consentements et s'éteint
concomitamment par l'exécution immédiate des obligations : le prix est payé et la chose
remise au même instant.
L'idée de transfert de propriété exprime de manière vivante cette opération qui
provoque le déplacement de la chose vendue du vendeur vers l'acheteur : il y a bien «
transfert », au sens de déplacement matériel d'une chose corporelle des mains de l'un
aux mains de l'autre.
2. Intellectualité du transfert. – Sorti de ce schéma, la question gagne en complexité.
D'abord, si le transfert est un déplacement, a-t-il seulement un sens en matière
d'immeubles, lesquels, Lapalisse ne l'aurait pas démenti, sont immobiles ? Il faut, pour
en admettre la figure, considérer alors qu'il s'agit d'un déplacement du bien vendu non
pas matériel mais juridique, l'immeuble passant de la puissance du vendeur en celle de
l'acquéreur. Mais on peine encore à l'abstraction car, même affranchi de toute idée de
déplacement, le transfert continue irrésistiblement d'évoquer celle de mainmise
matérielle. C'est dire qu'il se pense d'abord sur l'image de la mise en possession d'une
chose corporelle. Or chacun sait que la possession n'est pas la propriété. Si bien qu'il doit
pouvoir y avoir transfert de propriété d'une part sans déplacement matériel de la chose,
d'autre part sans mise en possession de l'acquéreur. On est alors bien loin de l'évidence
fruste et immédiate qui a justifié l'expression « transfert de propriété ». L'opération est
en réalité abstraite par essence et donc complexe. Cela d'autant qu'il est impossible,
chemin faisant, de laisser tout à fait de côté la question de la possession. Certes, en
théorie, la propriété n'étant pas la possession, la question de son transfert devrait
s'affranchir de ses évocations trompeuses. Mais ce serait ignorer les liens étroits
qu'entretiennent possession et propriété, notamment parce que la seconde se prouve et
s'acquiert par la première. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que, dans le transfert de la
propriété, la mise en possession de la chose conserve une place de choix2.
3. Objet et mécanisme du transfert. – À l'analyse, la question du transfert de propriété
recèle une triple difficulté. La première est celle de son objet. Que transfère-t-on ? Est-ce
la chose elle-même ou le droit qui la grève ? Si l'on tient qu'il s'agit d'une chose, faut-il
alors se restreindre aux choses corporelles pour lesquelles l'expression a été forgée ? Y
a-t-il un sens à parler de transfert des choses incorporelles ? S'il s'agit des droits, faut-il
cantonner la question au seul droit de propriété ou la même problématique se
rencontre-t-elle à propos d'autres droits, notamment les droits personnels : autrement
dit, la question du transfert de propriété se pose-t-elle pour la cession de créances ?
La seconde question est celle de l'opération même en cause. Étymologiquement, le
transfert est un déplacement. Peut-on parler alors de transfert lorsqu'un propriétaire
consent un droit réel sur sa chose à un tiers ? La doctrine préfère parler d'acte «
constitutif » plutôt que d'acte « translatif », mais est-ce à bon escient ? Et si l'on tient que
c'est le droit de propriété qui est en cause et non son objet, corporel ou incorporel, est-
on sûr qu'il puisse véritablement se transférer ? N'y a-t-il pas plutôt extinction du droit
et recréation ? Le principe « Nemo plus juris... » est ici au cœur de la question : il est gros
de questionnements davantage que de réponses car, s'il est constamment invoqué, il
rend mal compte de la réalité des solutions de droit positif.
Il ne faut pas se dissimuler que ces deux premières questions, parce qu'elles sont
d'ordre essentiellement théorique3, n'occupent pas le devant de la scène. Elles méritent
toutefois plein examen en ce qu'elles dévoilent les différentes conceptions de la
propriété qui ont cours aujourd'hui dans la doctrine française et donc la manière dont
celle-ci modélise le droit des biens.
4. Moment du transfert. – Au-delà de ces problématiques et en filigrane, la question du
transfert de propriété est d'ordre temporel : elle est celle de son moment. À quel instant
précis le vendeur perd-il la propriété de son bien, à quel moment l'acquéreur devient-il
propriétaire ? Le juriste français répondra généralement avec assurance : dès l'échange
des consentements, par application du principe de transfert solo consensu. Mais la
question, largement arpentée par la doctrine, est piégeuse. Il n'est pas sûr que le Code
civil ait consacré un tel principe et, même à l'avoir fait, les dérogations que le législateur
contemporain lui apporte sont si nombreuses et importantes qu'elles interrogent son
bien-fondé. Cela sans compter la pratique notariale et des affaires qui s'en affranchit
systématiquement ou presque par des stipulations particulières des ventes
immobilières ou de marchandises. Ne convient-il pas alors de renverser aujourd'hui ce
principe mal assis et de renouer avec un transfert différé de la propriété ?
Quoi ? L'objet du transfert. Comment ? L'idée d'un transfert. Quand ? Le moment du
transfert. La question du transfert de propriété se dévide au fil de ces trois
interrogations, sans se dissimuler qu'elles sont largement intriquées, la détermination
de l'objet du transfert ayant des répercussions non seulement sur le mécanisme même
de la transmission mais encore sur celle de son moment.
I – Quoi ? L'objet du transfert

5. Amphibologie de la « propriété ». – Le transfert est celui de la propriété. Rien de plus


ambigu, car le terme de « propriété » est ambivalent : il désigne tantôt l'objet sur lequel
s'exercent les prérogatives du propriétaire, tantôt ces prérogatives elles-mêmes.
Autrement dit, la propriété est, et cela sous la plume même des codificateurs, tantôt
l'objet du droit défini par l'article 5444, tantôt ce droit lui-même, c'est-à-dire cette
relation absolue de l'homme à la chose. Il faut dire alors de quoi l'on parle. Ce n'est qu'à
condition de confondre la chose et le droit qui la grève, comme on dit que les Romains
l'avaient fait5, qu'il est envisageable de s'épargner un tel choix, mais il n'est plus
possible aujourd'hui de se défausser ainsi. Contre une doctrine majoritairement
favorable à l'idée d'un transfert du droit lui-même (A), il faut préférer l'idée que ce soit
la chose elle-même qui est transmise (B).
A. – Fluctuations doctrinales
6. Transfert de la chose. – Le réflexe le plus immédiat conduit à considérer que c'est la
chose elle-même qui est transférée. C'est l'image de la vente d'un bien mobilier corporel
qui, revenant à la charge, s'impose à l'esprit : ce que l'on voit, c'est une chose qui change
de mains. Certes, il est plus délicat de l'admettre pour les choses dépourvues de corps.
L'œuvre, l'invention, ne peuvent guère être déplacées par cela que, dotées d'ubiquité,
elles sont partout et nulle part à la fois. Mais on admet néanmoins qu'on puisse les
posséder : c'est l'exploitation de l'œuvre ou de l'invention sans opposition de son
titulaire qui est à même de provoquer leur déplacement6. Au prix de cette concession,
on peut considérer que les choses incorporelles elles-mêmes ne sont pas tout à fait
rétives à l'idée de transfert.
Si elle a pour elle l'avantage de la simplicité, l'approche se révèle à l'usage excessivement
fruste. Elle ne permet en effet aucune prise en compte des limitations du droit du
propriétaire cédant résultant de ce qu'il aurait antérieurement conféré à des tiers à titre
réel des droits sur la chose cédée. Si l'on raisonne sur le modèle de l'aliénation d'un
fonds servant, si c'est l'immeuble qui est transmis à l'acquéreur, ce dernier ne devrait
pas être tenu de souffrir la servitude. L'immeuble, en tant que chose matérielle, n'est
qu'un agrégat de matières organiques et minérales localisé en un endroit précis du globe
ou, si l'on préfère à cette analyse concrète des choses celle, davantage abstraite,
proposée par Savatier, un volume spatial pyramidal7. Quelle que soit l'approche
retenue, il est impossible d'y intégrer l'usage que le maître du fonds dominant pourrait
prétendre en retirer au nom de son droit de servitude. La chose, dans sa matérialité, ne
saurait comporter une dimension proprement juridique. Si bien que l'acquéreur, si c'est
bien la chose seule qui lui est transmise, devrait pouvoir prétendre sur celle-ci aux
prérogatives que lui donne l'article 544, au premier rang desquelles se trouve la
possibilité d'exclure quiconque de son usage : la propriété est d'abord exclusivité.
7. Transfert du droit. – Cette faiblesse explique que Planiol, semble-t-il le premier, ait
défendu l'idée que ce n'était pas tant la chose elle-même qui était transmise que le droit
qu'avait sur elle l'aliénateur8. L'amputation de ses prérogatives au profit d'un tiers, par
exemple en raison de l'existence d'une servitude, doit nécessairement s'imposer à
l'acquéreur par simple application du principe « Nemo plus juris... ». Cette analyse reçoit
le renfort d'une conceptualisation homogène du patrimoine dans lequel ne figurent pas
tant des choses corporelles que des droits, qu'il s'agisse de droits réels ou personnels. Si
les droits patrimoniaux sont précisément ceux qui se stigmatisent par leur inscription
dans l'échange, alors ce sont bien les droits eux-mêmes et non leur objet qui doivent être
transférés.
B. – Critique de la thèse de la transmission des droits
L'analyse de Planiol reste aujourd'hui la mieux partagée : lorsque l'on parle de «
transfert de propriété », on estime généralement que c'est le droit de propriété lui-
même qui est transmis et non la chose qui en est l'objet. Elle n'est pourtant pas
unanimement admise.
1. Exposé
8. Critique néopersonnaliste. – C'est dans les rangs du courant néopersonnaliste que se
trouve l'objection la plus vive. La thèse est bien connue. Dans sa reconfiguration
rationnelle des droits réels et personnels9, Ginossar analyse l'ensemble des droits sur le
modèle obligationnel, c'est-à-dire comme une relation entre deux individus10. Les
droits réels démembrés ne traduisent rien d'autre, du côté du propriétaire, qu'une
obligation réelle envers le titulaire du droit. Un seul droit échappe à cette structure
obligationnelle, la propriété. Celle-ci exprime fondamentalement le lien qu'entretient la
personne avec les éléments de son patrimoine. Émanation de la personne,
consubstantielle à celle-ci, la propriété ne saurait évidemment se transmettre11. C'est
donc la chose qui, seule, peut l'être lorsque l'on raisonne sur l'exemple de la vente d'un
bien corporel. Pour les droits réels démembrés et les droits personnels, ce sont ceux-ci,
alors pensés comme des objets de propriété, qui sont transférés.
9. Nature du droit subjectif. – Même sans adhérer à cette conception de la propriété, il
faut convenir que l'idée de transfert des droits est inconfortable. Qu'est-ce en effet qu'un
droit subjectif, sinon le lien que tisse l'individu avec le monde qui l'entoure ? Monde au
sein duquel la discrimination fondamentale est celle de la similitude et de l'altérité,
autrement dit des personnes (ce qui partage ma nature propre) et des choses (ce qui est
étranger à ma nature propre). La distinction des personnes et des choses est cardinale et
fonde celle des droits personnels et réels. Si leur structure est nécessairement différente,
le droit réel conférant une prérogative immédiate sur la chose tandis le droit personnel
aliène la liberté du débiteur au créancier, le droit subjectif demeure une relation. Il est
malaisé de se figurer que cette relation même puisse être transmise. Qu'un lien puisse
être dénoué et renoué est envisageable, mais son dénouement provoque son extinction.
À proprement parler, il ne peut être transmis12. C'est cela qui explique que la science
juridique romaine n'a jamais accepté la transmission des créances, même si elle a
déployé des trésors d'imagination pour parvenir à des résultats équivalents13. Il ne
suffit pas de dire que la créance est devenue aujourd'hui davantage un bien qu'un lien
pour prétendre résoudre la difficulté14.
2. Conséquences
10. Difficulté. – Si l'on rejette l'idée qu'un droit puisse se transmettre, parce qu'il est
avant tout une relation, il faut alors affronter de nouveau le problème qui avait conduit
Planiol à déplacer l'objet du transfert de la chose vers le droit : comment faire une place
aux droits des tiers sur la chose afin que le sous-acquéreur soit tenu de les respecter15 ?
11. Le statut juridique des biens. – Le courant néopersonnaliste propose de raisonner en
termes de statut juridique du bien16. La chose ne doit pas être appréhendée dans sa
dimension purement matérielle et concrète mais de la manière dont le droit l'a
refaçonnée. Le statut légal de la propriété immobilière, par les multiples limitations qu'il
apporte à l'usage de la chose, participe de cette redéfinition juridique de l'immeuble17.
Mais la volonté des parties joue le même rôle : en consentant une servitude sur son
terrain, le maître du fonds servant altère l'objet même qui lui appartient. Or c'est cet
objet seul qui est transmis à l'acquéreur.
Cette thèse du statut juridique du bien tend à objectiver les prérogatives exercées sur les
biens : elle transforme le construit en donné. Mais elle n'est guère qu'un artifice destiné
à pallier la disparition, dans cette analyse, de la propriété elle-même en tant qu'elle
définit un pouvoir sur la chose. Dès l'instant, en effet, que la propriété a été exhaussée de
telle sorte qu'elle surplombe dorénavant tous les droits réels et personnels afin d'en
faire ses objets particuliers, la propriété ne pouvant porter sur la propriété, elle a pour
objet les droits et les choses. Cette hétérogénéité des objets de propriété appelait
naturellement leur rapprochement : l'idée de statut juridique du bien le permet. La
chose, comme le droit, devient à son tour un objet purement juridique : l'élégance et la
cohérence du système étaient à ce prix. On trouvera, dans cette thèse, le parfum très net
de l'incorporation du droit dans la chose, confusion que ce courant de pensée ne cesse
pourtant de reprocher à la doctrine classique.
12. La dimension économique des choses. – On peut lui préférer une autre approche, de
type économique, laquelle suppose d'en revenir à la notion de « bien ». Il est de doctrine
courante de considérer qu'est « bien » ce qui a une valeur, la valeur se déclinant, selon la
distinction fondatrice d'Aristote, en valeur d'usage et valeur d'échange. Les choses sont
des « biens » parce qu'elles sont utiles à l'homme, parce qu'elle sont « bonnes » pour lui.
C'est en cela qu'elles ont une valeur, car la valeur n'a de sens que dans une opération
d'appréciation subjective ou intersubjective. Cette attention doctrinale à la valeur est
profondément légitime : les choses n'ont vocation à être saisies par le droit qu'autant
qu'elles sont utiles à l'homme, qu'elles ont pour lui une valeur. C'est dire que ce qui
intéresse le droit n'est pas la chose en tant que réalité mais en tant qu'utilité.
Le principe même du droit de propriété est, selon l'article 544, de garantir au
propriétaire la maîtrise exclusive de la totalité des utilités offertes par la chose. Mais
cette réservation exclusive ne lui interdit nullement de procéder à une cession de
certaines de ces utilités. C'est précisément ce dont rend compte la théorie du «
démembrement de propriété ». Les termes sont expressifs : il s'agit d'arracher une
utilité offerte par la chose pour l'attribuer à un autre que le propriétaire, soit de manière
exclusive, soit concurremment avec le propriétaire lui-même. Si bien que l'opération de
démembrement modifie nécessairement l'objet même approprié. De ce point de vue, les
servitudes mobilisent de manière particulière la technique du démembrement : l'utilité
arrachée au fonds servant est rattachée au fonds dominant, opérant ainsi une
reconfiguration de l'objet même de la propriété : le fonds servant est amputé, plus ou
moins gravement, d'une utilité tandis que le fonds dominant voit, au contraire, aux
utilités fournies par l'immeuble lui-même, s'ajouter celles prises au fonds voisin.
13. Conclusion. – En résumé, le droit ne s'intéresse pas aux choses, corporelles ou
incorporelles (œuvres, inventions), telles que le monde les lui offre. Il se focalise, dans
une approche économique, sur les utilités qu'elles procurent à l'homme. On peut donc
estimer que l'objet du transfert de propriété n'est ni le droit de propriété lui-même
parce que, en tant que relation à la chose, il est par nature intransmissible, ni la chose
elle-même en tant qu'elle est un donné purement factuel, corporel ou incorporel, ni une
chose « juridique » dans laquelle les prérogatives reconnues à d'autres que le
propriétaire se trouveraient intégrées, mais une valeur, c'est-à-dire la chose prise sous
l'angle des utilités qu'elle peut procurer. Si, en principe, l'appréhension matérielle de la
chose permet par ricochet de préciser l'ensemble de ce qui est transmis à l'acquéreur, le
principe étant que toutes les utilités offertes par cette chose le sont, tel n'est pas
toujours le cas : le démembrement reconfigure la chose en lui arrachant certaines
utilités et c'est cette somme nouvelle d'utilités qui fait alors l'objet de la transmission. Il
est donc naturel que l'acquéreur n'obtienne pas davantage que ce que son auteur avait
en sa maîtrise.
II – Comment ? L'idée d'un transfert

L'idée d'un transfert est évocatrice : il s'agit d'opérer le déplacement de la chose, non
pas tant matériellement (car il n'y aurait pas à ce compte de transfert de propriété des
immeubles), mais juridiquement, afin que la chose soit placée sous une nouvelle
maîtrise, celle de l'acquéreur. De ce point de vue, la difficulté est double, celle du champ
du transfert (A) et celle de son mécanisme (B).
A. – Champ du transfert
L'idée que certains contrats sont aptes à provoquer le déplacement de la chose d'un
maître à l'autre est communément partagée, au point que les typologies contractuelles
mettent ce critère à l'honneur en distinguant les contrats translatifs de ceux qui ne le
sont pas. S'il ne fait de doute pour personne que la vente est un contrat translatif à
l'inverse d'un simple bail, la chose est plus incertaine pour d'autres contrats, notamment
la fiducie.
14. L'effet translatif de la fiducie ? – Certains auteurs ont radicalement nié que la fiducie
puisse avoir un effet translatif, sur la foi d'arguments de texte et de sa neutralité
fiscale18. Le constituant demeurerait donc seul propriétaire du bien fiducié, le fiduciaire
n'exerçant ses prérogatives sur celui-ci qu'à titre personnel. Si l'analyse tire habilement
parti du syncrétisme de mauvais aloi qui a inspiré le législateur lorsqu'il a introduit la
fiducie en droit français, elle présente le défaut majeur, sinon rédhibitoire, de priver
l'institution de son originalité fondamentale pour la réduire à des techniques connues de
longue date : sans transfert de propriété au profit du fiduciaire, la fiducie perd son âme.
Mais si, avec une doctrine écrasante19, on concède la réalité du transfert fiduciaire, du
moins est-on contraint d'en souligner l'originalité. C'est pour faire pendant au trust
anglo-saxon que la fiducie a été introduite dans notre droit, dans une perspective de
mise en concurrence des systèmes juridiques. Or il est couramment admis que le trust
trouve sa vérité dans la distinction du « legal » et de l'« equitable ownership »20. Tandis
que le bénéficiaire du trust conserve ou obtient la propriété équitable, le trustee est
investi de la propriété légale, autrement dit est propriétaire selon le common law. Parce
que cette distinction, fruit de l'évolution du système judiciaire anglais, est inacculturable
en droit français21, on a tenté de lui trouver un équivalent dans nos propres racines
historiques. Tandis que le constituant conserverait le domaine utile, le fiduciaire aurait
quant à lui le domaine éminent22.
Inutile de dire que cette approche n'a pas sa place dans notre régime des biens tel que le
Code civil l'a rebâti. On tente donc d'édulcorer la conclusion et, sans plus se référer à la
théorie des « domaines éminents et utiles », on préfère parler de « propriété temporaire
et affectée »23. La fiducie aurait un effet translatif, mais non de la propriété telle que
l'article 544 l'institue.
Il n'y a rien de tout cela en réalité. La propriété que reçoit le fiduciaire n'est rien d'autre
que la propriété absolue du Code civil. Son caractère apparemment temporaire24 n'est
que la conséquence de son intégration dans le patrimoine fiduciaire dont la transmission
opère, au terme de la fiducie, au profit du bénéficiaire : c'est le patrimoine qui disparaît
et non le droit de propriété. Quant aux restrictions de pouvoirs que subit le fiduciaire
dans la gestion des biens, elles ne résultent pas d'une altération réelle de ses pouvoirs
mais des engagements personnels qui le lient au constituant25.
Il n'y a donc pas, contrairement à ce que l'on soutient souvent, d'originalité propre au
transfert fiduciaire.
15. Opérations translatives et constitutives. – Hors du cas spécifique de la fiducie, les
opérations translatives s'opposent volontiers aux opérations constitutives et l'on est
donc naturellement tenté d'approcher mieux les premières en les opposant aux
secondes. Il n'y aurait rien de commun entre la cession d'un immeuble et la constitution
d'une servitude sur celui-ci. Cette opposition est radicalisée par le courant
néopersonnaliste. Dès lors que le droit réel sur la chose d'autrui est conçu comme une
charge réelle, il ne provoque nullement le déplacement d'une chose entre les mains de
son bénéficiaire mais exprime l'engagement du propriétaire à tolérer l'emprise d'un
tiers (le titulaire du droit réel) sur son bien. En forçant le trait, le droit réel est, dans
cette conception, moins un droit dans la chose (« jus in rem ») qu'un droit à la chose («
jus ad rem »). L'idée même de transfert n'a, dans cette analyse, pas de sens, faute d'un
quelconque objet à transférer : seul l'engagement du propriétaire est en cause26.
La distinction du « constitutif » et du « translatif » s'étiole, en revanche, si l'on considère
la dimension économique des choses. Lorsqu'un propriétaire consent une servitude au
profit de l'immeuble voisin, il permet que soit rattachée à celui-ci l'une des utilités
offertes par son propre fonds, soit qu'il l'abandonne totalement, soit qu'il entende
dorénavant la partager avec le maître du fonds servant. Le démembrement de propriété
réalise donc bien un transfert d'utilité et, de ce point de vue, il relève pleinement de la
catégorie des actes translatifs27.
B. – Mécanisme du transfert
La détermination des opérations translatives n'est pas l'essentiel de la difficulté : ce qu'il
importe surtout de comprendre, c'est la manière dont opère ce transfert. Comment
éclairer ce mécanisme par lequel la chose passe d'une maîtrise à une autre ?
16. « Nemo plus juris... ». – Dans cette quête, l'observation d'un possible défaut de
correspondance entre la maîtrise initiale de l'aliénateur et celle que peut ensuite
prétendre exercer l'acquéreur joue un rôle déterminant.
Si l'on considère, avec Planiol et une large part des auteurs, que c'est le droit de
propriété lui-même qui est transmis28, alors le droit de l'acquéreur ne saurait être
différent de celui de l'aliénateur puisque, par nature, il s'agit de l'objet même de la
transmission. Il ne saurait y avoir aucune perte d'efficacité, aucun « frottement » dans
l'opération de transfert et inversement, aucun enrichissement. Le droit transmis
demeure intègre. Cette évidence est exprimée par l'adage « Nemo plus juris... » : on ne
saurait transmettre un droit plus étendu que celui qu'on tenait dans la chose.
Si l'on raisonne sur l'idée d'un transfert de la chose conçue avant tout à travers sa
double valeur d'usage et d'échange, la conclusion n'est pas différente. Le propriétaire ne
peut transmettre que les utilités dont il a la maîtrise : s'il les a abandonnées à un tiers, il
ne peut les transmettre à nouveau. La règle trouve seulement une plus juste expression
dans l'adage « Nemo dat quod non habet ».
17. Inadéquation du droit reçu avec le droit cédé. – Le hic est que cette conclusion,
pourtant parée de l'éclat de l'évidence, est précisément démentie par le droit positif. Il
n'est pas rare qu'au terme de l'opération de transfert, l'acquéreur soit plus riche que
l'aliénateur, qu'il obtienne davantage que celui-ci n'avait. Voici une servitude non
publiée : l'acquéreur du fonds servant pourra prétendre, s'il publie son titre le premier,
être le maître exclusif de l'utilité qui avait pourtant été rattachée au fonds dominant. La
solution n'est pas différente lorsque c'est la valeur d'échange et non d'usage du bien qui
est en cause : l'hypothèque non inscrite est inopposable à l'acquéreur de l'immeuble, qui
conserve alors à son seul bénéfice l'intégralité de la valeur d'échange de son bien, sans
que le créancier hypothécaire puisse prétendre l'accaparer à l'occasion de sa saisie ou de
sa vente.
Les manifestations de ce décalage entre l'objet transmis et reçu au terme de l'opération
translative confinent parfois à la caricature : l'aliénateur n'avait rien mais l'acquéreur
aura tout. On songe évidemment au jeu de l'article 2276 : l'acquéreur d'un meuble
corporel en sera définitivement propriétaire sitôt qu'il en aura été mis en possession de
bonne foi, et ce, même si son auteur n'en était pas propriétaire. Et la théorie prétorienne
de l'« apparence » permet de déployer une solution identique, sinon dans ses exigences
techniques29, du moins dans ses effets, en matière immobilière.
18. Conséquences quant à l'analyse du transfert. – On peut être tenté de résoudre ce
problème d'enrichissement au travers de la remise en cause de l'idée même de
translation. Plutôt que de considérer que le droit de propriété est transmis à l'acquéreur,
il faudrait au contraire estimer qu'il s'éteint dans la personne de l'aliénateur pour se
récréer dans celle de l'acquéreur30. Cette extinction-recréation permettrait d'expliquer
mieux la différence de configuration des maîtrises passée et présente.
Bien qu'elle prive le droit de propriété de sa perpétuité31, la thèse rencontre
aujourd'hui un succès assez net en doctrine32. Elle est évidemment soutenue par le
courant néopersonnaliste33, qui nie que la propriété puisse être transférée dès l'instant
qu'elle est une émanation de la personne34. Elle l'est aussi si l'on estime qu'un droit
subjectif est, de sa nature même, intransmissible : considérer que c'est la chose et non le
droit qui est transmise conduit nécessairement à admettre que celui-ci s'éteint et se
recrée. Reste que cette analyse, si elle renoue avec l'histoire35, est impropre à résoudre
la difficulté posée : elle prouve trop. Car si le droit de propriété qui se recrée sur la chose
est nouveau, pourquoi et dans quelle mesure devrait-il être bâti sur le patron du droit
abdiqué ? Lorsque l'aliénateur n'avait aucun droit sur la chose et que l'acquéreur est
néanmoins reconnu propriétaire du bien36, il est évident que le droit nouveau
n'emprunte rien à l'ancien. Mais dans la plupart des cas, il lui est parfaitement
conforme37.
19. Effet légal attributif. – Il faut alors chercher plus loin l'explication. Sans doute ne faut-
il pas se laisser égarer par l'exception. Si l'on pense que c'est la chose, conçue moins
dans sa matérialité que comme une valeur, c'est-à-dire comme une somme d'utilités, qui
est transmise, il en résulte que le droit de propriété, lui, ne l'est pas. Il y a donc bien
abdication du droit, mais cette abdication joue in favorem. Seules les utilités laissées
libres par l'aliénateur peuvent être accaparées par l'acquéreur.
Cela explique qu'il doive souffrir les droits réels octroyés à des tiers.
Cela n'explique pas, en revanche, pourquoi il peut prétendre parfois à davantage.
Pourquoi l'utilité démembrée à un tiers qui n'a pas publié son droit lui demeure-t-elle ?
Pourquoi le défaut total de droit de son auteur n'interdit-il pas qu'il puisse devenir
propriétaire ? L'abdication que porte l'acte d'aliénation ne peut avoir en effet aucune
portée puisqu'elle est l'œuvre d'un autre que le propriétaire.
La seule explication possible – et qui n'est pas nouvelle – est qu'il n'y ait là aucune
translation, ni du droit, ni de l'utilité elle-même. C'est par la force de la loi et non du
contrat que l'utilité est conférée à l'ayant cause. C'est la loi qui ajoute aux utilités
transmises de telle manière qu'à l'éventuel effet translatif contractuel s'ajoute un effet
attributif légal.
20. Importance du titre. – Ce qui sème le trouble, c'est que cet effet attributif légal ne
s'opère qu'en considération de conditions légales particulières parmi lesquelles figure
toujours le titre translatif de l'acquéreur, si bien que l'on en vient à penser que celui-ci
est le fondement, la cause, de l'investissement de l'acquéreur alors qu'il n'en est qu'une
condition.
Pour le jeu de la théorie de l'« apparence », il faut que la victime démontre certes une
erreur commune, sinon invincible, mais d'abord et avant tout qu'elle établisse à son
profit un juste titre translatif.
Pour l'application de l'article 2276, et contre ce que pourrait sembler signifier la lettre
de la maxime, l'acquisition légale du meuble n'est possible qu'à la condition non
seulement que l'acquéreur ait été de bonne foi au moment de sa mise en possession
mais encore qu'il puisse se prévaloir d'un titre acquisitif, généralement conventionnel.
Cette dernière condition est indispensable à l'adéquation du mécanisme technique
qu'elle met en œuvre avec sa finalité sociale. Visant à garantir la rapidité des échanges
mobiliers en dispensant l'acquéreur d'avoir à vérifier le droit de son auteur sur le
meuble acquis, elle n'a de sens que si le possesseur l'est devenu ensuite d'une opération
d'échange, autrement dit par l'effet d'un titre translatif38. Si cette condition paraît
dépourvue de consistance réelle, c'est uniquement parce que la règle acquisitive se
double d'une règle probatoire portée par le même texte. La possession du meuble
permet en effet de laisser supposer que l'acquéreur dispose d'un titre translatif, pour
cette raison simple qu'il n'est pas d'usage d'en dresser en matière mobilière. Cette
présomption légale tirée de la possession n'efface toutefois la condition de titre que sur
le plan probatoire : au fond, elle continue d'être requise.
Enfin, lorsqu'il n'est question que d'inopposabilité à l'acquéreur d'un droit réel
démembré non publié, le titre acquisitif est d'évidence présent. S'il a été fait mention de
la servitude ou du droit réel non publié dans l'acte, le transfert ne pourra porter que sur
les autres utilités de la chose, celles dont l'aliénateur est effectivement propriétaire.
21. Conséquences (place du titre). – Dans toutes ces hypothèses, l'acte translatif porte
sur des utilités de la chose qui n'appartiennent pas à l'aliénateur. Il y a aliénation de la
chose d'autrui. En théorie, une telle cession devrait être déclarée inopposable au
véritable propriétaire. Les choses se passent différemment. Afin de garantir la sécurité
des échanges, la loi décide que si s'ajoutent à ce titre excessif d'autres conditions39,
l'acquéreur sera investi de l'utilité en cause.
Le rôle déterminant joué par le titre dans ce mécanisme acquisitif légal donne à croire
qu'il s'agirait d'une simple manifestation de l'effet translatif qui lui est attaché :
autrement dit, l'effet translatif porterait non seulement sur les utilités abandonnées par
le cédant mais encore sur d'autres qu'il n'avait pourtant pas le pouvoir d'abdiquer, faute
précisément qu'elles lui appartiennent. Cette analyse ne tient pas : le titre n'est qu'une
condition parmi d'autres d'une investiture réalisée par la loi au nom non pas de la seule
bonne foi de l'ayant cause40 mais d'une considération d'intérêt général plus vaste : la
sécurité des échanges. C'est donc la loi et non le contrat qui réalise l'investiture
d'utilités, le contrat ne jouant ici qu'à titre de condition légale, l'essentiel étant le
caractère public de cette investiture41.
22. Conséquences (rôle de la publicité foncière). – Cette constatation éclaire la place
exacte que joue la publicité foncière (ou la mise en possession pour la matière
mobilière42) en droit français dans le mécanisme translatif de propriété. Le système
français n'appartient à aucun système théorique pur.
Il n'est pas un système purement consensuel car, si le transfert de propriété s'opère bien
dès l'échange des consentements, le conflit entre ayants cause tenant leur droit du
même auteur est tranché non pas en fonction de la date des actes mais selon la date de
l'accomplissement des formalités publicitaires.
Il n'est pas un système causal différé car, même s'il résout les conflits entre ayants cause
d'un même auteur selon la date de la formalité, d'une part il ne diffère précisément pas
le transfert à la date de cette formalité43, d'autre part il n'exige plus, du moins en
matière immobilière, la bonne foi de l'acquéreur qui publie son droit le premier pour le
déclarer propriétaire44. À cela s'ajoute que, dans le cas particulier de l'aliénation
successive du même bien par son propriétaire à deux acquéreurs successifs, la nullité du
titre liée au défaut de droit de l'aliénateur au moment de la seconde vente n'entraîne
pourtant aucune remise en cause du droit du second acquéreur s'il est le premier à
publier.
Il n'est pas non plus un système abstrait comme l'est le système allemand. En France, la
publicité foncière reste seulement utile à départager deux ayants cause dont le droit
émane du même auteur. En revanche, dans un conflit opposant deux litigants tenant leur
droit d'auteurs différents, la publicité joue un rôle très modeste : elle n'est qu'un indice
tout à fait secondaire permettant au juge de forger sa conviction. L'anéantissement du
titre entraîne de plus avec lui la formalité publicitaire : autrement dit, en France, la
publicité reste dans la totale dépendance du titre.
Le caractère syncrétique du système publicitaire français permet d'en rattacher
certaines dimensions au système abstrait : c'est précisément le cas des acquisitions de
meubles ou d'immeubles a non domino. Il faut d'abord remarquer à leur sujet que, dans
un système de transfert solo consensu, leur occurrence est nécessairement plus grande
que dans un système retardant le transfert de propriété au moment de
l'accomplissement de la formalité. En effet, toute double cession implique que la seconde
s'opère a non domino45. Cela précisé, le système français est un système abstrait dès
l'instant que, la formalité accomplie, le vice du titre – lequel est majeur puisqu'il résulte
précisément du défaut de droit de son auteur sur la chose – ne peut avoir pour effet de
faire tomber le droit de propriété de l'acquéreur qui résulte soit de l'accomplissement
de la publicité foncière (immeuble), soit de sa mise en possession et de bonne foi
(meubles). Parfaitement détachée du titre qui a fondé l'accomplissement de la formalité,
cette dernière rend définitivement l'acquéreur propriétaire. À quoi s'ajoute, pour la
matière mobilière, que la possession de bonne foi46 permet de résoudre de manière
générale tout type de conflit, que celui-ci oppose les ayants cause d'un même auteur ou
d'auteurs différents. Autrement dit, la publicité foncière est bien parfois investie d'un
effet constitutif en droit français.
III – Quand ? Le moment du transfert

La question du moment auquel opère le transfert de propriété est celle qui a fait l'objet
de toutes les attentions de la doctrine pour cette raison simple qu'elle concentre la
plupart des incidences pratiques du transfert de propriété. Celui qui conserve la
propriété du bien alors même que le principe de sa cession est acquis et que sa livraison
a été faite supporte certes, en principe, les risques de destruction par cas fortuit47, mais
a cet insigne avantage de pouvoir, en cas de non-paiement, le revendiquer. Si bien que
l'on peut être tenté d'abandonner (B) le principe voulant que la propriété soit transmise
dès l'échange des consentements (A).
A. – La faiblesse d'un principe
23. Ambiguïté du Code civil. – Il est peu contesté en doctrine que le Code civil de 1804,
rompant avec une tradition millénaire, aurait consacré le principe du transfert solo
consensu de la propriété48. Autrement dit, depuis 1804, en France, la propriété se
transporte de l'aliénateur à l'acquéreur par la seule force de l'échange des
consentements au contrat translatif, indépendamment de toute exécution, tant par
l'acquéreur (paiement du prix) que par l'aliénateur (livraison de la chose).
La rédaction des textes est cependant loin d'être limpide. Certes, le principe est
clairement affirmé en matière de vente49 et de donation50, mais pour ce qui est du
droit commun des contrats, l'article 1138 est d'une rédaction si alambiquée qu'on peut à
peu près lui faire dire tout et son contraire, ce dont la doctrine ne s'est d'ailleurs pas
privée51. Surtout, en dehors de toute analyse exégétique – toujours un peu vaine –, le
fait que les codificateurs aient, à l'article 1126, inclus dans leur typologie des obligations
celle de donner atteste d'une rupture de logique. L'obligation de donner consiste en effet
pour l'aliénateur à devoir procéder à la formalité propre à opérer le déplacement de
propriété de la chose au profit de l'acquéreur. L'abolition de tout formalisme translatif la
rend nécessairement vaine, y compris dans l'hypothèse où le transfert de propriété est
retardé. Tant que l'événement auquel est conditionné le transfert de propriété n'est pas
survenu, il est inexact de prétendre que l'acquéreur serait créancier et l'aliénateur
débiteur d'une telle obligation de donner pour tenter d'éclairer leur situation respective.
Le propre d'une obligation est en effet d'être susceptible d'inexécution, or la pseudo
obligation de donner ne peut jamais l'être : soit l'événement survient et le transfert se
produira, soit il ne survient pas et l'aliénateur conservera la propriété de son bien, sans
que la volonté de l'aliénateur soit requise. Même lorsqu'elle est greffée sur un
événement en la puissance de l'aliénateur, par exemple lorsque le transfert est retardé à
la livraison, c'est bien l'obligation de délivrer, autrement dit de faire, qui est inexécutée
et non le transfert de propriété qui y est seulement attaché de la volonté des parties.
Sauf à les confondre volontairement, l'obligation de donner échappe à l'inexécution.
Pour parler avec P. Ancel, le transfert de propriété n'est pas un effet obligationnel du
contrat mais un effet obligatoire52.
24. Importance des transferts différés dans la loi. – La permanence en 1804 de
l'obligation de donner n'est pas le seul signe de la faiblesse du principe de transfert solo
consensu de la propriété. L'article 2102, 4o (aujourd'hui art. 2332, 4o), prévoit en effet
que le vendeur au comptant de marchandises peut, faute d'être payé immédiatement, les
revendiquer sous huit jours si l'acquéreur les a toujours entre ses mains et qu'elles se
trouvent dans l'état qui était le leur au jour de l'aliénation53. La solution n'est que la
reprise d'une règle de l'Ancien droit54, mais elle détonne dans un système qui rend
l'acquéreur propriétaire de la chose dès l'échange des consentements55.
Si le principe du transfert solo consensu est mal assuré en 1804, les lois ultérieures n'ont
eu de cesse que de le faire reculer. On ne compte plus les dispositions ayant rejeté le
principe56, la plus emblématique étant sans doute celle touchant aux valeurs
mobilières. L'article L. 211-17 du Code monétaire et financier dispose à leur propos que
« le transfert de propriété de titres financiers résulte de l'inscription de ces titres au
compte-titres de l'acquéreur », ce qui est dire que seule la publicité transfère.
25. Importance des transferts différés dans la pratique. – Quant à la pratique, prenant
avantage de ce que le principe du transfert solo consensu n'est pas d'ordre public, elle le
répudie presque systématiquement. En matière mobilière, c'est bien évidemment le
succès de la clause de réserve de propriété qui en atteste depuis qu'en 1981, la loi a
consacré son opposabilité à la masse. Le vendeur de marchandises trouve dans la
stipulation une garantie efficace de paiement du prix : en cas d'ouverture d'une
procédure collective à l'encontre de l'acquéreur, il s'y présentera non en qualité de
créancier chirographaire mais de propriétaire, ce qui lui permettra d'éviter tout
concours avec les autres créanciers57. En matière immobilière, la clause retardant le
transfert de propriété au jour de la signature de l'acte authentique, laquelle est une
clause de style dans tous les avant-contrats immobiliers, joue exactement le même rôle
de garantie puisque le prix est payé via la comptabilité du notaire au jour de la signature
de l'acte authentique58.
C'est dire que la quasi-totalité des transactions immobilières et une large partie des
ventes de marchandises obéissent à un principe de transfert différé au paiement du prix,
si bien que l'importance des dérogations légales et conventionnelles à un principe mal
assis de transfert solo consensu amène naturellement à interroger sa pérennité.
B. – Le renversement du principe ?
26. Alternative. – L'abandon du principe de transfert solo consensu requiert que l'on
puisse déterminer un autre moment pour ce transfert. La pratique plébiscite le paiement
du prix par l'acquéreur : c'est l'intérêt des parties qui est pris en compte, et plus
spécifiquement celui de l'aliénateur. Les tiers demeurent hors champ.
L'approche législative est opposée puisque l'intérêt des parties est abandonné à leur
prudence au profit de la considération des tiers à l'opération translative. Il s'agit que ne
se crée pas pour ceux-ci une apparence trompeuse, laissant croire que l'aliénateur est
propriétaire du bien parce qu'il le tient encore entre ses mains alors qu'il ne l'est
juridiquement plus pour avoir consenti à son aliénation. C'est donc naturellement à
l'accomplissement d'une mesure de publicité que le transfert de propriété de la chose
sera légalement conditionné, étant observé qu'il ne s'agit pas tant que le transfert de
propriété soit connu des tiers que ceux-ci soient simplement mis en mesure de le
connaître. À cette dimension protectrice de l'intérêt des tiers s'ajoute aussi l'idée d'un
nécessaire contrôle par le corps social du changement de propriétaire.
S'il fallait un renversement du principe, de lege ferenda, c'est sur le fondement de cette
seconde considération, l'intérêt des tiers, qu'il devrait s'opérer. L'impact en serait
double, pratique et théorique, mais en définitive assez mince.
27. Impact théorique du renversement. – Sur le terrain conceptuel, notre système a
engendré une figure complexe. Si l'on raisonne sur l'hypothèse d'une double aliénation
du même bien, par application du principe de transfert solo consensu, le premier
acquéreur devient immédiatement propriétaire de la chose. Mais en matière mobilière,
si le second acquéreur est mis le premier en possession de bonne foi, c'est lui qui sera,
par application de l'article 1141 du Code civil, déclaré propriétaire. La même règle se
retrouve, fors la bonne foi, en matière immobilière puisqu'en cas d'aliénations
successives du même immeuble, sera préféré celui qui a le premier publié son droit au
fichier immobilier et non le premier acquéreur en date.
Au plan théorique, la publicité foncière n'étant pas considérée comme constitutive des
droits immobiliers mais seulement confortative, on estime généralement que le droit de
propriété du premier acquéreur est seulement inopposable au second acquéreur.
L'approche est contestable.
Du point de vue du premier acquéreur, il est difficile de tenir que son droit de propriété
puisse être inopposable dès lors que, dans l'imaginaire collectif des juristes, le propre
des droits réels, au premier rang desquels se trouve le droit de propriété, est
précisément son opposabilité erga omnes. Un droit de propriété inopposable est un
oxymore59. Certes, on peut raffiner l'analyse pour lui trouver droit de cité. On a soutenu
que, dans l'esprit des rédacteurs du Code civil, la propriété était précisément transmise
immédiatement mais de manière imparfaite à l'acquéreur60, la perfection du transfert
résultant de la tradition61, étant observé que celle-ci se trouve, avec le développement
de la publicité foncière et mobilière, de plus en plus largement supplantée par
l'inscription du droit sur un registre public. Il n'empêche : un droit de propriété
inopposable est privé de l'absoluité qui en constitue pourtant, plus qu'un caractère, le
cœur même.
Du point de vue du second acquéreur, il faudrait estimer, dans une figure inverse, qu'il
n'est pas propriétaire (« Nemo dat quod non habet ») mais qu'il peut néanmoins
opposer son droit au premier acquéreur. On voit toute l'absurdité de la figure : pour
pouvoir opposer un droit en le publiant, encore faut-il en être investi62. D'où cette
conclusion : il n'est pas possible de soutenir, quoi qu'on en dise, que la publicité foncière
permettrait seulement au second acquéreur d'opposer son droit au premier, le contrat
de vente n'ayant pu avoir cet effet puisqu'au moment de la seconde vente, la chose
n'appartenait plus à l'aliénateur63. Son droit ne peut donc être que d'origine légale, cet
investissement légal étant conditionné par l'accomplissement de la publicité foncière64.
À décider de retarder le transfert de la propriété au jour de l'accomplissement de la
formalité publicitaire ou au jour de la mise en possession pour les meubles corporels, le
système gagnerait en simplicité puisque, le second acquéreur ne l'étant plus a non
domino, la double figure de la propriété inopposable et de la non-propriété opposable
disparaîtrait.
28. Impacts pratiques du renversement. – Au plan pratique, l'admission d'un transfert
différé de la propriété dans l'intérêt des tiers modifierait au premier titre la situation
des créanciers chirographaires. À l'heure actuelle, le transfert immédiat de la propriété
du bien est, réserve faite de la fraude paulienne65, pleinement opposable aux créanciers
du vendeur, ce qui peut créer une apparence de solvabilité trompeuse. On a cependant
souligné de longue date que l'apparence de solvabilité liée à la possession des biens
corporels non délivrés n'avait plus guère d'incidence puisque c'est aujourd'hui sur la
base de pièces comptables que le créancier accorde sa foi au débiteur66.
Quant aux ayants cause particuliers de l'aliénateur, lorsque ceux-ci n'avaient qu'un droit
personnel sur la chose, leur droit s'éteint en principe puisque, précisément, ils n'ont de
droit que contre leur débiteur et non sur la chose. Lorsqu'il arrive exceptionnellement
qu'en dépit de cette nature, le système juridique leur permet de se prévaloir de leur
droit à l'encontre de l'acquéreur de celle-ci, le transfert leur est immédiatement
opposable. Ainsi, le preneur à bail change de bailleur dès la vente de l'immeuble par
application de l'article 1743 du Code civil, sans pouvoir prétendre à l'inopposabilité de
celle-ci tant que les formalités de publicité foncière ne sont pas accomplies67. Il ne
semble pas que le décalage de la date du transfert de propriété permettrait de mieux
protéger ses intérêts68.
Quant aux ayants cause investis d'un droit réel sur la chose, le retard du transfert à la
publicité n'aura guère d'impact puisque l'état actuel du droit français conduit à des
solutions de conflit similaires à celles que donnerait un transfert différé : seule la
cohérence théorique du système s'en trouverait améliorée69.
29. Intérêt du changement ? – Si l'abandon du transfert solo consensu ne semble pas
induire d'effets pervers, il ne provoquerait guère non plus d'améliorations notables, si
bien qu'on peut légitimement s'interroger sur la nécessité qu'il y aurait à changer la
règle au regard du risque d'une double aliénation consécutive dont les effets sont
finalement assez bien régis par notre système. Il semble donc que, s'il fallait retarder le
transfert de propriété, il faudrait le soumettre au paiement du prix par l'acquéreur... ce
qui est une solution que ne partagent pas les pays européens et qui, évoquée en 1995
suite à une proposition de loi en ce sens, avait finalement conduit la doctrine à se
prononcer contre tout renversement du principe70.

1–
1. Le texte de cette communication a été rédigé avant que ne soit soutenue la thèse de J.
Dubarry, Le transfert conventionnel de propriété. Essai sur le mécanisme translatif à la
lumière des droits français et allemand, Thèse Paris I et Cologne 2013, dir. R. Libchaber
et B. Dauner-Lieb à la lecture de laquelle on trouvera grand profit.
2–
2. C'est notamment toute la thèse de F. Danos (Propriété, possession et opposabilité,
Économica, 2007) qui, après avoir clairement distingué la possession de la propriété,
faisant de la première l'exercice concret de la seconde, considère que la dépendance
fonctionnelle de la propriété et de la possession se manifeste précisément au moment du
transfert de la propriété, ce transfert ne pouvant rationnellement se produire sans une
mise en possession réelle ou à défaut juridique de l'acquéreur (nos 259 et s.).
3–
3. On laissera ici de côté la question du mécanisme même qui permet le déclenchement
du transfert de propriété, autrement dit le pouvoir de disposition. Le situer dans le droit
de propriété lui-même aboutit à cette contradiction, soulignée par de Visscher, que la
propriété est alors tant l'objet que le fondement de la disposition, ce qui rend l'analyse
aporétique (F. de Visscher, « Du “jus abutendi” » : RTD civ. 1913, p. 337 et s., spéc. p.
341). On s'en affranchit généralement en situant le pouvoir de disposer non dans le droit
de propriété mais dans la personnalité juridique, l'abusus n'étant plus alors qu'un
pouvoir de disposition matériel et non juridique de la chose (F. de Visscher, « Du “jus
abutendi” », préc., p. 343 ; M. Planiol et G. Ripert, par M. Picard, Traité pratique de droit
civil français, t. III, LGDJ, 1952, no 218, l'analyse étant aujourd'hui de doctrine courante).
4–
4. V. ainsi, par ex., C. civ., art. 642, 644, 646.
5–
5. Sur la thèse d'une confusion à Rome du droit de propriété avec la chose elle-même, v.
P.-F. Girard, Manuel élémentaire de droit romain, A. Rousseau, 7e éd., 1924, p. 273 ; R.
Monier, Manuel élémentaire de droit romain, Montchrestien, 1935, no 244, p. 341. V.
pour une analyse détaillée de la question, E. Sabathié, La chose en droit civil, thèse Paris
I, 2004, nos 193-239.
6–
6. V. par ex. J. Azéma et J.-C. Galloux, Droit de la propriété industrielle, Dalloz, 2006, no
460, à propos de la délivrance des brevets.
7–
7. V. R. Savatier, « Vers de nouveaux aspects de la conception et de la classification
juridique des biens corporels » : RTD civ. 1958, p. 1 et s. ; « La propriété de l'espace » : D.
1965, chr., p. 213 et s.
8–
8. M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. I, LGDJ, 11e éd., 1938, no 2337 : « Il faut
bien se pénétrer de l'idée que les différents actes juridiques sont accomplis, non sur la
chose, mais sur le droit du propriétaire. »
9–
9. S. Ginossar, Droit réel, propriété et créances. Élaboration d'un système rationnel des
droits patrimoniaux, LGDJ, 1960.
10 –
10. C'est notamment pour cela qu'il est toujours question, sous la plume des auteurs
favorables à cette thèse, de « droit réel sur la chose d'autrui », afin de mettre en lumière
cet autrui (le propriétaire) qui est l'un des deux pôles de la relation en place de la chose
dans l'analyse classique.
11 –
11. V. F. Zenati-Castaing et T. Revet, Les biens, PUF, coll. Droit fondamental, 3e éd., 2008,
nos 176 et s.
12 –
12. Cette objection à la transmission des droits est courante. On la trouve chez Kant (E.
Kant, Éléments métaphysiques de la doctrine du droit, trad. J. Barni, Durand, 1853, p.
108) et plusieurs auteurs parmi lesquels G. Ripert (« Le socialisme juridique
d'Emmanuel Levy. À propos de “La vision socialiste du droit” » : Rev. crit. lég. et jurispr.
1928, 1, p. 21 et s., spéc. p. 24 : « Aucun droit n'est transmis car le rapport juridique
change dès que l'un des sujets disparaît »), M. de Vareilles-Sommières (« La définition et
la notion juridique de la propriété » : RTD civ. 1905, p. 443 et s. : « Est-ce qu'un droit
quelconque, le droit de propriété en particulier, a un être propre, est une substance, une
chose, une individualité réellement existante et sur laquelle des actes puissent
s'accomplir et produire effet ? En dehors du propriétaire et de la chose matérielle qui lui
appartient, ou en dehors du créancier et de son débiteur, y a-t-il quelque chose qui existe
d'une existence propre, quelque chose d'immatériel mais de réel, sur quoi puisse
véritablement s'exercer l'action humaine, qu'on puisse “déplacer” dans le sens exact du
mot, et qui est le droit, la propriété, la créance ? »), A. Colin et H. Capitant (Cours
élémentaire de droit civil, t. I, Dalloz, 7e éd., 1931 no 941), E. Lévy (Preuve par titre du
droit de propriété immobilière, thèse Paris, 1896, p. 98 et s.), etc.
13 –
13. Quant à la propriété, sa transmission était d'abord celle de la chose avec laquelle elle
se confondait Sur cette confusion, v. supra, note 4.
14 –
14. V. pourtant I. Tosi, Acte translatif et titularité des droits, LGDJ, 2006, no 97.
15 –
15. V. l'objection de J.-F. Barbièri, Perpétuité et perpétuation dans la théorie des droits
réels. Contribution à l'étude de la notion de perpétuité dans les actes juridiques, thèse
Toulouse, 1977, p. 36, note 16, qui considère que si le droit du précédent propriétaire
s'éteint, l'acquéreur ne peut obtenir, par une sorte d'occupation, qu'un droit de
propriété totalement nouveau, affranchi des charges qui le grevaient antérieurement.
16 –
16. V. ainsi F. Zenati, La nature juridique de la propriété. Contribution à la théorie
juridique du droit de propriété, thèse Lyon, 1981, no 269 : « La chose passe d'un
propriétaire à l'autre en conservant toutes ses caractéristiques juridiques (...), le
nouveau propriétaire, par le seul effet des caractéristiques intrinsèques du bien acquis,
aura une propriété aussi limitée que celle de son prédécesseur » ; rappr., se situant
pourtant dans une perspective classique, C. Atias, Le transfert conventionnel de la
propriété, thèse Poitiers, 1974, nos 377 et s., qui, déniant toute idée de transmission du
droit, en appelle à la destination de l'immeuble pour expliquer que le droit de
l'acquéreur porte l'empreinte de celui de l'aliénateur (v. aussi V. Bonnet, « La durée de la
propriété » : RRJ 2002, p. 273 et s., no 14 in fine : « Ce n'est pas seulement la chose qui
est déplacée, c'est un bien avec tout un statut »).
17 –
17. G. Delavaquerie, Pour une théorie de la propriété renouvelée. Étude commune des
propriétés privées et publiques, thèse Caen, 2011, nos 556 et s. Selon l'auteur, c'est
l'existence d'un statut juridique objectif des biens qui explique la variété de l'étendue
des droits des propriétaires. Néanmoins, ce statut juridique découle pour l'auteur de la
seule volonté du législateur : il n'aborde pas la question de savoir dans quelle mesure les
particuliers pourraient à leur tour le modifier. Réduite à cette dimension de statut légal
des choses, la thèse ne permet pas d'éclairer le mécanisme translatif, car il est « facile
d'admettre que la situation légale du vendeur se retrouve sur la tête de l'acheteur,
simplement parce que la détermination légale du contenu de la propriété est
indifférente à la personne de son titulaire » (C. Atias, « L'effet translatif en demi-teinte de
la vente immobilière » : D. 2011, p. 2062 et s., no 12).
18 –
18. V. R. Libchaber, « Les aspects civils de la fiducie dans la loi du 19 février 2007 » :
Defrénois 2007, p. 1094 et s., et p. 1194 et s., nos 25-28, et « Une fiducie française inutile
et incertaine... », in Mélanges P. Malaurie, Defrénois, 2005, p. 303 et s., nos 6-11.
19 –
19. V. les auteurs cités par C. Lajarte, « La nature juridique des droits du bénéficiaire
d'un contrat de fiducie » : RLDC 2009/60, no 3445, no 13.
20 –
20. V. en sens contraire, cependant, W. Swadling, « The DCFR Trusts: A Common Law
Perspective », in The Future of European Property Law, Sellier European Law
Publishers, Munich, 2012, p. 21 et s., spéc. p. 23.
21 –
21. V. l'article classique d'H. Motulsky, « De l'impossibilité de constituer un trust anglo-
saxon sous l'empire de la loi française » : Rev. crit. DIP 1948, p. 451 et s.
22 –
22. M. Grimaldi, « La fiducie : réflexions sur l'institution et sur l'avant-projet de loi qui la
consacre » : Defrénois 1991, p. 897 et s., et p. 961 et s., no 18. L'auteur en déduit que « la
formule selon laquelle la fiducie serait un contrat translatif de propriété est à manier
avec prudence » (no 13).
23 –
23. Par ex., F. Zenati-Castaing et T. Revet, Les biens, op. cit., no 252, qui en font une forme
de propriété affectée.
24 –
24. Aux termes de l'article 2018, 2o, du Code civil, la fiducie ne saurait excéder quatre-
vingt-dix-neuf ans.
25 –
25. V. C. Witz, La fiducie en droit privé français, Économica, 1981, no 16, qui définit la
fiducie comme « l'acte juridique par lequel une personne, le fiduciaire, rendue titulaire
d'un droit patrimonial, voit l'exercice de son droit limité par une série d'obligations (...).
»
26 –
26. Cette approche est généralement servie par une analyse critique de la théorie
médiévale de l'« usufruit causal », l'usufruit n'étant pas contenu dans le droit de
propriété lui-même (F. Zenati-Castaing et T. Revet, Les biens, op. cit., no 343).
27 –
27. Sauf à observer néanmoins que, dans certains cas, la servitude n'opère aucun «
transfert » d'utilité au profit du fonds dominant ; ainsi de la servitude « non aedificandi »
qui se contente de stériliser une utilité du fonds servant (pouvoir y bâtir) dans l'intérêt
du fonds dominant.
28 –
28. V. supra, no 7.
29 –
29. La théorie de l'« apparence », du moins dans le domaine des droits réels, impose à
celui qui s'en prévaut d'établir qu'il a commis une erreur commune, sinon invincible,
tandis que cette preuve n'est nullement requise de celui qui invoque le bénéfice de
l'article 2276 : seule sa bonne foi, d'ailleurs présumée, est nécessaire. Cette rigueur
trouve sa contrepartie dans l'absence d'exigence de mise en possession. Tandis que celui
qui se prévaut de l'apparence n'a pas à avoir été mis en possession du bien qui lui a été
cédé « a non domino », cette exigence est en revanche centrale dans l'article 2276.
30 –
30. Cette analyse a engendré une dispute théorique, car la rupture de l'appropriation
laisse augurer que la chose se retrouve un instant de raison dépourvue de tout maître et
devient alors « res communis ». L'argument a occupé un temps les auteurs, à la suite de
la thèse de Chauffardet (M. Chauffardet, Le problème de la perpétuité de la propriété.
Étude de sociologie juridique et de droit positif, thèse Aix-en-Provence, 1933, p. 134 et s.
; v. estimant au contraire qu'à cet instant « t », la chose a deux propriétaires, A. Colin et
H. Capitant, Cours élémentaire de droit civil, t. I, op. cit., no 941).
31 –
31. Si, en effet, le droit de propriété s'éteint et se recrée au gré des aliénations
successives, alors il ne saurait être perpétuel (v., défendant l'idée que le transfert
porterait nécessairement sur le droit de propriété lui-même afin que sa perpétuité soit
assurée, J.-F. Barbiéri, Perpétuité et perpétuation dans la théorie des droits réels.
Contribution à l'étude de la notion de perpétuité dans les actes juridiques, thèse
précitée, p. 26-54). Contre cette conclusion, on a défendu l'idée que la perpétuité de la
propriété n'étant rien d'autre que celle de son objet, c'est celui-ci et non celle-là qui est
l'objet du transfert (C. Pourquier, Propriété et perpétuité. Essai sur la durée du droit de
propriété, PUAM, 2000, nos 388-431).
32 –
32. Elle a d'abord été soutenue par E. Lévy, La preuve par titre de la propriété
immobilière, thèse précitée. Cherchant à établir que la propriété peut se prouver par la
seule production d'un titre, il lui fallait expliquer que la force de cette preuve par titre ne
dépendait pas de l'existence du droit de l'aliénateur, ce qui passait par la remise en
cause de la règle « Nemo plus juris... » : l'aliénateur, par la seule force du titre, peut
conférer un droit qu'il n'avait pas, par cela que le titre acquisitif transfère moins un droit
ancien (car les droits sont intransmissibles de leur nature même, p. 88) qu'il ne
constitue un droit nouveau (p. 102). Elle est pareillement défendue par Vareilles-
Sommières (« La définition et la notion juridique de la propriété », préc., no 16), C. Atias
(Le transfert conventionnel de la propriété, thèse précitée, no 403), ou encore I. Tosi
(Acte translatif et titularité des droits, op. cit., no 98).
33 –
33. V. F. Zenati-Castaing et T. Revet, Les biens, op. cit., nos 176 et 187.
34 –
34. V. supra, no 8.
35 –
35. Le transfert de propriété s'opérait sous l'Ancien régime par le formalisme du
dessaisissement et de l'ensaisissement ; sur cette histoire, v. J.-P. Lévy et A. Castaldo,
Histoire du droit civil, Dalloz, 2002, nos 379-395.
36 –
36. Application de l'article 2276 ou de la théorie de l'« apparence ».
37 –
37. V. sur cette critique, I. Tosi, Acte translatif et titularité des droits, op. cit., no 57.
38 –
38. Ce qui justifie, selon nous, que la règle ne devrait pas jouer, conformément d'ailleurs
à la solution retenue en matière d'apparence avec laquelle elle partage une même
inspiration, lorsque le possesseur a été mis en possession par l'effet d'un acte à titre
gratuit, donation ou testament.
39 –
39. Bonne foi, possession, erreur commune et invincible... On remarquera qu'en matière
de servitude, lorsqu'elle n'est ni déclarée ni publiée, l'acquéreur pourra jouir de l'utilité
en cause à condition qu'il soit de bonne foi, la Cour de cassation n'ayant pas pour l'heure
avoir abandonné cette exigence en la matière (Cass. 3e civ., 16 sept. 2009, no 08-16499 :
D. 2010 p. 2194, obs. N. Reboul-Maupin ; JCP G 2010, I, 336, no 17, obs. H. Périnet-
Marquet ; Defrénois 2010, p. 979, obs. C. Atias et surtout Cass. 3e civ., 2 juill. 2013, no12-
20681).
40 –
40. Lequel peut d'ailleurs parfois être de mauvaise foi, la publicité foncière étant
aujourd'hui découplée de la considération de bonne foi (v. infra, note 43, pour la
jurisprudence).
41 –
41. L'originalité de la théorie de l'« apparence » doit à ce titre être soulignée :
l'investissement de l'ayant cause ne suppose en effet l'accomplissement d'aucune
publicité, pas davantage qu'une mise en possession. Quant à l'idée même d'apparence,
elle porte sur le droit de l'auteur et non sur celui de l'ayant cause.
42 –
42. À moins que ces meubles ne soient, par exception, soumis à un système publicitaire
organisé. Pour les navires et les bateaux (les premiers naviguant sur les mers et océans,
les seconds sur les cours et pièces d'eau intérieurs), la publicité joue sensiblement le
même rôle qu'en matière d'immeubles : elle assure l'opposabilité du droit publié aux
tiers qui ont acquis des droits concurrents sur celui-ci (pour les navires, D. no 67-967,
27 oct. 1967 : JO 4 nov. 1967, art. 93 ; pour les bateaux, C. dom. publ. fluv., art. 101, al.
1er). Toutefois, en raison de la généralité des termes employés par la loi, on considère
ordinairement que le mot « tiers » revêt ici une dimension élargie et englobe les simples
créanciers chirographaires (comp. infra, no 28).
43 –
43. Pour la matière mobilière, on pourrait estimer que le second acquéreur d'un meuble
mis en possession le premier ne devient propriétaire qu'à compter de sa mise en
possession de bonne foi, la Cour de cassation estimant que la bonne foi doit exister au
jour de la mise en possession et non au jour de la seconde acquisition (Cass. 1re civ., 27
nov. 2001 : no 99-18335 : Bull. civ. I, no 295 ; D. 2002, p. 671, note J.-P. Gridel, et p. 2505,
obs. B. Mallet-Bricout – Cass. com., 23 janv. 2001, no 98-22616 – contra F. Danos,
Propriété, possession et opposabilité, thèse précitée, no 426). On considère néanmoins
généralement que l'acquisition opère dès la date du titre, cela sur la foi de l'article 1141
énonçant non que le second acquéreur « devient » propriétaire mais qu'il le « demeure ».
44 –
44. Cass. 3e civ., 12 janv. 2011, no 10-10667 : Bull. civ. III, no 5 ; D. 2011, p. 851, note L.
Aynès ; Defrénois 2011, p. 479, note M. Grimaldi ; RTD civ. 2011, p. 158, obs. P. Crocq, et
p. 369, obs. T. Revet – Cass. 3e civ., 10 févr. 2010, no 08-21656 : Bull. civ. III, no 41, pour
l'inopposabilité d'une promesse de vente non publiée. Cette jurisprudence rapproche le
système français sur ce point des systèmes que l'on peut qualifier de « tradition causée
», à l'instar du système autrichien.
45 –
45. Alors que dans un système de transfert différé, jusqu'à ce que l'un des ayants cause
accomplisse la formalité, l'aliénateur demeure propriétaire, si bien que les aliénations
successives qu'il consent s'opèrent a domino.
46 –
46. Voire l'inscription pour certains meubles, ainsi des aéronefs (C. aviation, art. L. 121-
10), du moins selon certains auteurs (v. par ex. F. Terré et P. Simler, Les biens, Dalloz,
2010, no 408).
47 –
47. Le lien traditionnellement opéré entre la qualité de propriétaire et la charge des
risques peut être contesté. On peut fonder la même solution en conservant le principe «
Res perit debitori » qui s'applique dans les contrats non translatifs. L'idée est que les
risques doivent être supportés par le débiteur de l'obligation devenue impossible à
exécuter. Or la propriété ayant été transmise et l'aliénateur tenant la chose à la
disposition de l'acquéreur, c'est ce dernier qui est débiteur de l'obligation de retirement,
laquelle devient impossible à exécuter du fait de la destruction de la chose. L'application
du principe « Res perit debitori », en mettant les risques à sa charge, le contraint à
devoir payer le prix (en ce sens, G. Blanluet, « Le moment du transfert de la propriété »,
in Le Code civil, Un passé, un présent, un avenir, Dalloz, 2004, p. 409 et s., no 19). Reste
que l'idée clé du principe « Res perit debitori » consiste à interdire à celui qui ne peut
exécuter son obligation d'exiger de son cocontractant qu'il accomplisse la sienne. Le
raisonnement mené ici aboutit à imposer à celui qui ne peut plus exécuter l'une de ses
obligations (retirer la chose) d'accomplir néanmoins les autres (paiement du prix), ce
qui s'intègre mal dans le schéma initial.
48 –
48. V. cependant G. Blanluet, « Le moment du transfert de la propriété », préc., et surtout,
J.-P. Chazal et S. Vicente, « Le transfert de propriété par l'effet des obligations dans le
Code civil » : RTD civ. 2000, p. 477 et s.
49 –
49. C. civ., art. 1583 : « Elle est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de
droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix,
quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé. »
50 –
50. C. civ., art. 938 : « La donation dûment acceptée sera parfaite par le seul
consentement des parties ; et la propriété des objets donnés sera transférée au
donataire, sans qu'il soit besoin d'autre tradition. »
51 –
51. V. sur l'interprétation de ce texte, not. G. Blanluet, « Le moment du transfert de la
propriété », préc., no 8 ; J.-P. Chazal et S. Vicente, « Le transfert de propriété par l'effet
des obligations dans le Code civil », préc., nos 8-16 et 40-43 ; F. Zenati-Castaing et T.
Revet, Les biens, op. cit., no 187, p. 299.
52 –
52. P. Ancel, « Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat » : RTD civ. 1999, p.
771 et s., nos 17-19.
53 –
53. Les travaux préparatoires sont clairs. Treilhard expliquait ainsi cette disposition : «
La préférence donnée à celui qui l'exerce [le privilège] lui est due (...) soit parce qu'il a
conservé ou amélioré la chose, soit parce qu'il en est encore en quelque manière
propriétaire, le paiement du prix, condition essentielle de la vente, ne lui ayant pas
encore été fait » (P.-A. Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t.
XV, 1827, p. 474). Pour la conciliation de ce principe avec les procédures collectives ; v.
C. com., art. L. 624-11.
54 –
54. Par ex., R.-J. Pothier, Traité du contrat de vente, no 322 : « Il est particulier à la
tradition qui se fait en exécution du contrat de vente qu'elle ne transfère la propriété à
l'acheteur que lorsque le vendeur a été payé ou satisfait du prix ». Dans le même sens, J.
Domat, Les loix civiles dans leur ordre naturel, Paris, 1771, Liv. I, Tit. II, Sect. III, § 1.
55 –
55. V. aussi C. com., art. L. 624-13 : « Peuvent être revendiquées les marchandises
expédiées au débiteur tant que la tradition n'en a point été effectuée dans ses magasins
ou dans ceux du commissionnaire chargé de les vendre pour son compte. »
56 –
56. Ainsi, en matière immobilière, peut-on citer la vente à terme, dont le principe est
précisément de retarder le transfert de propriété au complet achèvement de l'immeuble,
lequel est constaté par acte authentique (C. civ., art. 1601, 2o), la règle étant identique
pour la location accession (L. no 84-595 du 12 juill. 1984). En matière mobilière, la
propriété des choses de genre n'est transmise qu'à compter de leur individualisation,
étant observé que la standardisation des biens de consommation courante a fait croître
de manière exponentielle la catégorie. En revanche, et bien qu'on soutienne parfois le
contraire (F. Danos, Propriété, possession et opposabilité, thèse précitée, no 430, note
1), rien dans la loi ne diffère le transfert de propriété des aéronefs (C. aviation, art. L.
121-10) ou des navires à l'inscription au registre destiné à constater leurs mutations (D.
no 67-967, 27 oct. 1967, préc., art. 98). Dans le domaine incorporel, les inventions ne
peuvent être cédées qu'à condition que soit rédigé un écrit, lequel doit être publié au
registre national des brevets (C. propr. intell., art. L. 613-9). Cette publicité conditionne
l'opposabilité aux tiers du transfert. Comme pour les meubles corporels, elle permet de
départager les deux ayants cause successifs du breveté en fonction de sa date, étant
observé que le tempérament de la bonne foi est appelé à jouer de la même manière : le
cessionnaire en second mais premier inscrit ne triomphera pas s'il a procédé à
l'inscription en connaissance de la première cession (C. propr. intell., art. L. 613-19, al.
2). Cette publicité joue cependant un rôle davantage étendu que pour les biens corporels
dès l'instant qu'elle conditionne de manière générale l'opposition de la cession de brevet
aux tiers, alors même que ceux-ci n'auraient aucun droit sur l'invention. Ainsi, l'action en
contrefaçon ne pourra être valablement exercée par le cessionnaire qu'à compter du
moment où il aura procédé à l'inscription requise. La solution est la même pour les
dessins et modèles (C. propr. intell., art. L. 513-3) et les marques (C. propr. intell., L. 714-
7). En revanche, le droit d'auteur est soumis au principe du transfert solo consensu, de
même que les fonds de commerce, la publicité organisée par les articles L. 141-12 et
suivants du Code de commerce ne servant qu'à assurer l'opposabilité du droit du
créancier nanti.
57 –
57. Sur la dimension rhétorique et non technique de cette pseudo revendication, v. W.
Dross, « La revendication dans les procédures collectives, une imposture ? » : Dr. et patr.
2011, no 200, p. 30 et s.
58 –
58. On a d'ailleurs souligné qu'en pratique, même en l'absence de toute clause
particulière, le transfert de propriété des immeubles s'accomplissait non pas en un trait
de temps mais au terme d'un processus inscrit dans la durée, v. C. Atias, Le transfert
conventionnel de la propriété, thèse précitée, passim.
59 –
59. En ce sens, F. Danos, Propriété, possession et opposabilité, thèse précitée, no 437 : «
Le transfert de la propriété met en exergue le fait qu'une propriété qui n'est pas
opposable erga omnes est un concept vide de sens » (v. aussi nos 324 et s., et 344). Il faut
préciser cependant que, pour l'auteur, l'exercice de la propriété se confond avec la
possession, si bien qu'il ne conçoit la propriété que dans son aspect externe (pour parler
avec Rigaud), autrement dit dans son opposabilité aux tiers (qu'il qualifie d'«
opposabilité substantielle »). Dès cet instant, puisque l'opposabilité ne se conçoit pas
sans que les tiers aient été mis en mesure de connaître le changement de propriétaire, la
propriété ne peut être réellement transférée que par l'accomplissement d'une formalité
informative quelconque (no 343), laquelle est toujours une sorte de possession,
matérielle ou juridique.
60 –
60. On peut remarquer à cet égard qu'en matière de vente, si « la propriété est acquise
de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix,
quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé », c'est seulement « à l'égard
du vendeur » qu'un tel déplacement opère...
61 –
61. V. en ce sens, J.-P. Chazal et S. Vicente, « Le transfert de propriété par l'effet des
obligations dans le Code civil », préc., nos 40 et s. L'idée est qu'à la suite de Pufendorf, il
conviendrait de distinguer la propriété en tant que qualité morale, laquelle se transmet
par une tradition civile suffisamment réalisée par l'échange des consentements, de la
propriété absolue qui, elle, ne se transmettrait que par l'effet d'une tradition réelle. Ce
raffinement a été rendu nécessaire pour justifier la possibilité de forcer la remise de la
chose et donc le transfert de propriété. Alors que le droit romain et l'Ancien droit
n'offraient à l'acquéreur aucune action pour forcer le transfert de propriété (exécution
forcée de l'obligation de donner), la morale catholique imposant le respect de la parole
donnée va conduire les auteurs (not. J. Domat : Les loix civiles dans leur ordre naturel,
op. cit., Sect. II, chap. XX) à défendre la nécessité d'une solution contraire. La justification
juridique de ce principe moral passera par l'investissement immédiat de l'acquéreur du
titre de propriétaire, cette propriété, conçue comme une qualité morale, lui permettant
justement et seulement de forcer la tradition de la chose. S'il n'était pas déjà
propriétaire, rien ne pourrait justifier qu'il puisse prétendre évincer celui qui l'est (sur
la critique de ce raisonnement, G. Blanluet, « Le moment du transfert de la propriété »,
préc., no 15).
62 –
62. Pour redonner une cohérence au système, on a soutenu que le fait qu'en cas de
conflit entre ayants cause successifs du même auteur soit préféré celui qui est le premier
à être en possession (meubles corporels) ou à publier (immeubles) témoignerait de la
réception du principe de transfert différé de la propriété (F. Danos, Propriété,
possession et opposabilité, thèse précitée, no 334 : « Si la préférence est donnée au
second cessionnaire (de bonne foi) en date mais premier en possession, on [se] passe
nécessairement dans un système de transfert causal et différé de la propriété. Car si on
admet que le second cessionnaire en date est valablement propriétaire, cela signifie que
son titre d'acquisition était valable (on fait produire effet au second titre d'acquisition),
qu'il a contracté a domino, et qu'en conséquence son auteur était lui-même encore
propriétaire lorsqu'il a contracté avec lui, et ce malgré la conclusion de la première
vente »). Cette opinion est contestable dès lors que ce n'est pas le titre qui opère le
transfert de la propriété mais la loi. Preuve en est que, dans le cadre de l'article 2276,
l'usurpateur, qui n'a jamais été propriétaire de la chose, peut néanmoins en rendre
propriétaire le tiers à qui il la cède pour peu que ce dernier soit mis en possession de
bonne foi. Le retard du transfert de propriété ne peut certainement pas expliquer une
telle solution, ce qui établit que l'explication, qui n'est valable que dans l'hypothèse
d'une double cession, est impropre à rendre compte du mécanisme étudié.
63 –
63. À moins, autre raffinement, de dire que ce n'est pas un droit de propriété dont il est
dépourvu qu'opposerait le second acquéreur mais son titre d'acquisition (v. not. P.
Ancel, « Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat », préc., nos 49 et s.). Mais
qu'est-ce qu'opposer un contrat, sinon exiger des tiers qu'ils en respectent les
conséquences ? Or, par hypothèse, un tel contrat n'a pu produire aucun effet translatif,
faute précisément pour l'aliénateur d'être propriétaire de la chose.
64 –
64. V. supra, nos 20 et s. On observera que le mécanisme de la rétroactivité contribue à
gommer la fonction constitutive de la publicité foncière. On considère en effet que le
second acquéreur n'est pas devenu propriétaire au moment de l'accomplissement de la
publicité mais que son titre légal rétroagit au jour du contrat de vente. Pareillement, la
rétroactivité permet d'effacer la première acquisition.
65 –
65. Ou de l'existence d'une procédure de saisie.
66 –
66. V. P. Crocq, Propriété et garantie, LGDJ, 1995, nos 445 et s.
67 –
67. L'acquéreur ne peut toutefois prétendre au paiement des loyers qu'à compter de son
entrée en jouissance, v. Cass. 3e civ., 19 juill. 1995, no 93-14868 : Bull. civ. III, no 208.
68 –
68. On peut en effet supposer que le paiement du loyer fait entre les mains de l'ancien
propriétaire conservera son caractère libératoire tant que la cession n'aura pas été
signifiée au locataire dans les formes de l'article 1690 du Code civil.
69 –
69. V. supra, no 27.
70 –
70. « Faut-il retarder le transfert de propriété ? » : JCP E 1995, Cah. dr. entr., suppl. no 5,
p. 51.
RDCO2013-4-057 urn:RDCO2013-4-057

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