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LE POUVOIR REGLEMENTAIRE DES COLLECTIVITES LOCALES

DANS LES ETATS D’AFRIQUE NOIRE FRANCOPHONE (LES CAS DU


CAMEROUN, DU GABON ET DU SENEGAL)
Par

Cyrille MONEMBOU
Chargé de cours à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques,
Université de Yaoundé II
cyrillemonembou@yahoo.fr

INTRODUCTION questionnement sur son existence. La


conception souverainiste de l‟Etat unitaire
Le pouvoir réglementaire local existe ! assise sur les principes d‟indivisibilité de la
C‟est par cette exclamation qui marque à la souveraineté et de l‟unité non seulement
fois une surprise et une sorte d‟exaltation de l‟ordre normatif2, mais aussi de l‟Etat
que Pierre-Laurent FRIER constate sa s‟accommoderait mal avec l‟hypothèse
consécration explicite dans la norme d‟un pouvoir réglementaire local. La
fondamentale avec la réforme puissance de l‟Etat3 unitaire se mettrait en
constitutionnelle française du 28 Mars exergue avec l‟exercice du pouvoir
2003 en son article 72.1 L‟alinéa 3 de cet réglementaire par les autorités centrales
article dispose expressément que « Dans notamment le Président de la République
les conditions fixées par la loi, (les) et le Premier Ministre détenteurs du
collectivités s‟administrent librement par pouvoir réglementaire initial4 . Louis
des conseils élus et disposent d‟un pouvoir FAVOREU, après avoir affirmé que le
réglementaire pour l‟exercice de leurs principe de libre administration ne signifie
compétences ». La surprise de l‟auteur pas libre réglementation, s‟insurge contre
semble justifiée eu égard aux nombreuses l‟idée d‟un pouvoir réglementaire local5.
controverses doctrinales ayant été animées
sur l‟existence du pouvoir réglementaire A contrario, l‟existence du pouvoir
local dans un Etat unitaire, fût-il réglementaire local ne fait l‟objet d‟aucun
décentralisé. doute pour le Professeur Bertrand

En effet, la problématique relative au


pouvoir réglementaire des collectivités 2
G. HERAUD, L’ordre normatif et le pouvoir
territoriales a jadis suscité un originaire, Sirey, 1946, 487p.
3
O. BEAUD, La puissance de l’Etat, PUF., 1994,

Mode de citation : Cyrille MONEMBOU 512p.
4
« Le pouvoir règlementaire des collectivités L‟article 15 al 2 de la loi constitutionnelle du 18
locales dans les états d‟Afrique noire Janvier 1996 du Cameroun attribue le pouvoir
francophone (les cas du Cameroun, du Gabon réglementaire au Président de la République et au
et du Sénégal) », Revue CAMES/SJP, Premier Ministre
n°002/2015, p.79-111 5
L. FAVOREU, « Libre administration et
principes constitutionnels », In J. MOREAU et J.
1
P-L. FRIER, « Le pouvoir réglementaire local : D‟ARCY La libre administration des collectivités
force de frappe ou puissance symbolique ? », locales, Paris-Aix en Provence, ECONOMICA-
AJDA, 2003, p559. PUAM, 1984 pp. 63-71.

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FAURE6, dès lors qu‟il existe une des autorités centrales »10. Le pendant de
administration décentralisée, juxtaposée à l‟autonomie des collectivités territoriales
l‟administration déconcentrée. Il est la est ainsi le pouvoir réglementaire local.
matérialisation de l‟autonomie locale.7 Même si on peut encore a priori être
M. CHARLIER affirmera que ce pouvoir surpris de l‟existence d‟une diversité de
s‟est rendu nécessaire pour la conduite des source de production des normes infra-
affaires de la cité.8 législatives dans un Etat unitaire induisant
l‟octroi d‟un pouvoir réglementaire aux
L‟opposition avouée au pouvoir entités infra étatiques11, il faut reconnaître
réglementaire local par la doctrine va que l‟existence du pouvoir réglementaire
finalement être diluée par le simple fait que local ne fait plus l‟objet d‟aucun doute
le constituant dans le cadre d‟un Etat dans la doctrine française du fait de sa
unitaire décentralisé consacre l‟existence consécration explicite.12
d‟une administration locale ayant à sa tête
des organes élus devant organiser et faire Dans les pays d‟Afrique noire
fonctionner la collectivité par des francophone, la question de l‟existence du
règlements locaux9. pouvoir réglementaire local n‟a pas suscité
une controverse doctrinale. Cela est peut
Les règlements locaux sont une être dû à deux raisons : D‟une part du fait
conséquence logique de la décentralisation de la jeunesse des politiques de
territoriale. Selon EISEINMANN, elle décentralisation en Afrique noire13,
« (…) consiste à donner à des autorités à d‟autre part de la prédilection de certains
compétente locale des pouvoirs d’action membres de la doctrine pour les questions
donc d’abord de décision indépendantes

6
B.FAURE, Le pouvoir réglementaire des 10
collectivités locales, Paris, LGDJ, Coll. BDP, tome C. EISENMANN, Cours de droit administratif,
200, 1998 Tome 1, LGDJ., 1982, p278. André ROUX abonde
7
François LUCHAIRE affirmera dans ce sens que dans le même sens en considérant que la notion de
lorsqu‟il s‟agit de déterminer les modalités décentralisation « apparaît comme un principe
d‟exécution par une collectivité territoriale d‟une gouvernant l‟organisation administrative de l‟Etat
compétence qui lui est propre, un règlement et repose sur une délégation de puissance publique
gouvernemental ne peut intervenir que s‟il est que celui-ci consent au collectivités locales ». A.
expressément prévu par la loi à peine de porter ROUX, « Le principe constitutionnel de la libre
atteinte à l‟autonomie locale. F. LUCHAIRE, « Les administration des collectivités territoriales »,
fondements constitutionnels de la RFDA., N°8, 1992, p436.
11
décentralisation », RDP., 1982, p1544. Les collectivités locales ne sont pas les seules
8
Il indique : « les nécessités de l‟exécution même bénéficiaires du pouvoir réglementaire en dehors du
des lois, puis plus largement celles de la conduite pouvoir central. Il est également reconnu aux
des affaires publiques par le gouvernement et autorités administratives indépendantes. Sur cette
l‟administration ont obligé à conférer assez tôt, puis question, on lira utilement A. HAQUET, « Le
de plus en plus, l‟existence de pouvoirs pouvoir réglementaire des autorités administratives
réglementaires. Il en a été admis de locaux … chez indépendantes. Réflexions sur son objet et sa
le préfet, le maire….Et il en a été admis un, de légitimité », RDP., n°2, 2008, pp 393-417
12
général, chez le chef de l‟Exécutif » (Préface à la G. CHAVIER, Le pouvoir normatif local :
thèse de C. WIENER, Recherches sur le pouvoir enjeux et débats, LGDJ, 2011, 182p
13
réglementaire des ministres. Paris, LGDJ., 1970. Les politiques de décentralisation en Afrique
9 noire francophone sont intimement liées aux
B. FAURE, « Règlements locaux et règlements
revendications démocratiques qui ont provoquées
nationaux », Nouveaux cahiers du Conseil des mutations profondes de l‟Etat il y a près de
constitutionnel, N°42, Janvier, 2014, p43. deux décennies.

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d‟autonomie financière des collectivités constitutionnel de libre administration17.
locales.14 La constitutionnalisation de la liberté
d‟administration locale18 reconnaît une
Pourtant, la décentralisation occupe une réserve d‟action aux collectivités
19
place fondamentale dans les politiques territoriales . Le principe de libre
publiques des trois Etats. La Constitution administration débouche logiquement sur
sénégalaise15 en son article 102 affirme la reconnaissance d‟un pouvoir
expressément que : « les collectivités réglementaire local20. Il est un moyen
locales constituent le cadre institutionnel essentiel de la libre administration
de participation des citoyens à la gestion puisqu‟on ne peut administrer qu‟en
des affaires publiques. Elles s’administrent édictant des actes d‟administration21.
librement par des assemblées élues (…) ». L‟exégèse de ces différents corpus
On observe une sorte de synonymie avec le constitutionnels démontre à suffisance que
contenu de l‟article 112 de la Constitution le pouvoir réglementaire local existant, à
gabonaise16 disposant que « les défaut d‟avoir un fondement
collectivités locales de la Républiques sont constitutionnel explicite, a inéluctablement
créées par la loi (…). Elles s’administrent une assise constitutionnelle implicite22, le
librement par des conseils élus (…) ». Le
constituant camerounais n‟en dit pas moins 17
C. BACOYANNIS, Le principe constitutionnel
en affirmant de façon claire que « les de libre administration des collectivités
collectivités territoriales décentralisées territoriales, Paris, Economica, 1993, 319 p.
(…) s’administrent librement par des 18
J.BENOIT, « La liberté d‟administration locale »,
conseils élus et dans les conditions fixées RFDA., 2002, pp1065-1078
par la loi (…) ». 19
G. PROTIERE, La puissance territoriale.
Contribution à l’étude du droit constitutionnel
Au cœur de ces dispositions local, Thèse Université de Lyon II, 2006, p 29.
constitutionnelles se trouve ainsi 20
André ROUX affirme qu‟ « il apparaît ainsi
expressément consacré le principe que, du point de vue constitutionnel, la liberté de
gestion qui doit être assurée aux collectivités
territoriales implique tout d’abord que celles-ci
14
On peut ainsi citer J R. KEUDJEU DE disposent d’une réelle capacité de décision qui leur
KEUDJEU, Recherche sur l’autonomie des permette de gérer leurs propres affaires ».
collectivités territoriales décentralisées, Thèse A.ROUX, « Le principe constitutionnel de la libre
Ph.D, Droit public, Université de Douala 2012, administration des collectivités territoriales »,
670p. ; L. NGONO TSIMI, L’autonomie op.cit., p 438. On notera que ce point de vue n‟est
administrative et financière des collectivités nullement partagé par Michel TROPER pour qui
territoriales décentralisées : L’exemple du « la libre administration ne désigne, du point de
Cameroun, Thèse pour le Doctorat en droit public, vue constitutionnel, aucun concept et reste un terme
Université de Paris Creteil Val de Marne, 421p. ; J. vague et vide dont la fonction est de transposer au
KANKEU, « L‟autonomie des collectivités niveau administratif l’idéologie politique de la
territoriales décentralisées : quelle autonomie ? », démocratie représentative ». M.TROPER, « Libre
Juridis périodique N°85, janvier-février-mars administration et théorie générale du droit, le
2011 ; A. ESSONO OVONO, « L‟autonomie concept de libre administration », in La libre
financière des collectivités locales en Afrique noire administration des collectivités locales p62.
21
francophone. Le cas du Cameroun, de la Côte M. HAURIOU, « Etude sur la décentralisation »,
d‟Ivoire, du Gabon et du Sénégal », Revue Afrilex, in Répertoire de droit administratif, Paris, éd
n°spécial Finances publiques, 2é, 2009, p2. Dupont, 1892
15 22
Constitution du 07 janvier 2001 S‟il est vrai comme l‟affirme Bertrand FAURE
16
Constitution révisée par la Loi n°13/2003 du 19 que « le texte constitutionnel renferme assez peu
août d’exigences relatives au statut des collectivités

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législateur étant chargé de fixer les être appelées ne varietur collectivités
conditions d‟exercice dudit pouvoir. territoriales ou collectivités locales24
détentrices du pouvoir réglementaire local.
Si les constituants des trois Etats ont
ainsi de façon systématique consacrés Le pouvoir réglementaire local ne peut
implicitement le pouvoir réglementaire être compris et appréhendé
local, on note une variation des expressions indépendamment du pouvoir réglementaire
permettant de qualifier les entités locales. national. En effet, il est même souvent
Alors que le constituant camerounais opposé à son pendant au niveau national. Il
utilise l‟expression collectivité territoriale est la manifestation de la désétatisation25
décentralisée pour désigner ces entités du pouvoir réglementaire central d‟ailleurs
infra étatiques, les constituants sénégalais considéré par le professeur Michel
et gabonais font plutôt usage de FROMONT comme « un enfant illégitime
l‟expression collectivités locales, d‟où le de la séparation des pouvoirs ».26
questionnement sur la synonymie des
expressions.23 L‟éclatement du pouvoir réglementaire
central ne se matérialise pas uniquement
L‟analyse des corpus juridiques dans les par le pouvoir réglementaire local. Il se
pays d‟Afrique noire francophone objet de met également en branle par une
l‟étude permet de relever qu‟en dépit de la
variation sémantique, les collectivités 24
De ce fait, alors que le constituant camerounais
locales sont considérées comme précise que les collectivités territoriales
synonymes et interchangeables, les décentralisées sont les régions et les communes
constituants des trois Etats leur ayant (l‟article 55 de la loi n°96 du 18 Janvier 1996
accordé les mêmes statuts juridiques et portant révision de la Constitution du 02 Juin 1972
soumis aux mêmes règles. Elles peuvent dispose que : « Les collectivités territoriales
décentralisées de la République sont les Régions et
locales, et que l’on ne trouve guère de référence à les Communes », le code sénégalais des
un partage du pouvoir entre l’Etat et les entités collectivités locales du 22 Mars 1996 (Loi n°96-06
infra-étatiques » (B.FAURE, Le pouvoir du 22 Mars portant code des collectivités locales )
réglementaire des collectivités locales, op. cit., en son article 1er distingue comme collectivités
p22.), il faut relever que l‟existence d‟un pouvoir locales la région, la commune et la communauté
réglementaire local est déduite de l‟interprétation rurale. Il dispose : « Dans le respect de l‟unité
d‟un certain nombre de dispositions nationale et de l‟intégrité du territoire, les
constitutionnelles collectivités locales de la République sont : la
23
La distinction supposée entre collectivité région, la commune et la communauté rurale (…) ».
territoriale et collectivité locale a animé une grande La loi organique relative à la décentralisation de
controverse doctrinale en droit constitutionnel local 1996 (Loi organique n°15/96 du 06 Juin 1996
français. Joél BOUDINE s‟est demandé si la relative à la décentralisation) au Gabon distingue
distinction entre collectivité locale et collectivité comme collectivités locales le département, la
territoriale n‟était pas une variation sémantique commune urbaine et la commune rurale.
25
n‟ayant pas de véritable impact juridique. Sur la C'est-à-dire de la perte par les autorités centrales
question on lira utilement J.BOUDINE, « La du monopole dans l‟exercice du pouvoir
distinction entre collectivité locale et collectivité réglementaire. On observe de nos jours le partage
territoriale. Variation sémantique ou juridique ? », du pouvoir réglementaire entre lesdites autorités,
RDP., 1992, pp171-199. ; C. AUTEXIER, les autorités administratives indépendantes, et les
« L‟ancrage constitutionnel des collectivités de la collectivités locales.
26
République », RDP., 1981, pp581-619 ; L. M. FROMONT, Préface à M.VERPEAUX, La
FAVOREU, « Décentralisation et Constitution », naissance du pouvoir réglementaire. 1789-1799,
RDP., 1982, pp1259-1261 PUF., 1991, p v.

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reconnaissance du pouvoir réglementaire paraître complète s‟agissant du pouvoir
aux autorités administratives réglementaire national, il convient de
indépendantes. L‟affirmation de ce pouvoir relever qu‟elle s‟avère partielle dès lors
n‟a pas échappé aux interrogations qu‟est ajouté le mot local. En effet, le
relatives à sa légitimité27. Le professeur pouvoir réglementaire local présente
Arnaud HAQUET s‟il affirme que certaines spécificités qui le distinguent du
« l’attribution d’un pouvoir normatif à une pouvoir étatique. Exclure de sa définition
autorité, qui n’est pas le législateur et qui les actes édictés par les assemblées locales
est responsable devant lui, a toujours été dotées pourtant d‟une capacité
perçue comme une forme de dépossession législative32 semble minorer voire même
du pouvoir politique et comme une atteinte ignorer la capacité des collectivités et
à l’unité du pouvoir », il finit par se rendre surtout des assemblées locales à produire
compte de l‟évidence de son existence et des actes juridiques. 33
propose sa réhabilitation28.
Le pouvoir réglementaire local ne date
Le pouvoir réglementaire local est le pas d‟aujourd‟hui. Il a une histoire. Il
pouvoir de l‟exécutif municipal et des existe depuis bien des siècles. Le doyen
assemblées délibérantes locales d‟édicter Jean-Marie AUBY soulignait jadis que les
des règles de droit.29 Les règlements révolutionnaires avaient accordé un
administratifs ainsi édictés visent une pouvoir réglementaire aux autorités
pluralité d‟objectifs : « assurer l’exécution communales dans l‟optique d‟améliorer
des lois, préciser le sens de la loi, l‟exercice de la police municipale.34
organiser les autorités et les services D‟ailleurs poursuit-il, la loi du 18 Juillet
publics, prendre des mesures de police, 1806 sur les conseils généraux précisait les
exceptionnellement combler une lacune de compétences accordées aux autorités
la loi ».30 locales.35 Il a donc traversé l‟histoire au
point d‟être toujours un additif
Cette définition n‟est pas éloignée de incontestable au pouvoir normatif central.
celle que propose le professeur Michel
VERPEAUX pour qui « le pouvoir Partant de la définition du Professeur
réglementaire demeure le pouvoir d’une VERPEAUX sur le pouvoir réglementaire
autorité qui n’est ni une assemblée national, on peut appréhender le pouvoir
législative, ni une juridiction, de prendre réglementaire local comme le pouvoir
des actes à caractère général et d‟une autorité locale, de prendre des actes
impersonnel c'est-à-dire contenant des à caractère général et impersonnel ayant
normes modifiant l’état du droit une valeur normative dans un territoire
existant ».31 Si une telle définition peut délimité. Bien plus, il s‟agit de la faculté
qui leur est reconnue de prendre des
27
décisions de portée générale c'est-à-dire
A. HAQUET, « Le pouvoir réglementaire des
d‟édicter des actes administratifs locaux
autorités administratives indépendantes. Réflexions
sur son objet et sa légitimité », RDP, N° 2, 2008,
pp393-417.
28 32
Ibid., p402. M.MELLA, Essai sur la délibération locale,
29
M. FROMONT, Préface à M.VERPEAUX, La Paris, LGDJ., coll. BDP, tome 234, 2003, 317p.
33
naissance du pouvoir réglementaire. 1789-1799, G. CHAVRIER, Le pouvoir normatif local :
Paris, PUF., 1991, p v enjeux et débats, Paris, LGDJ., 2011, 182p.
30 34
Ibid., p vi J-M. AUBY, « Le pouvoir réglementaire des
31
M. VERPEAUX, La naissance du pouvoir autorités locales », AJDA., Septembre 1984, pp468
35
réglementaire. 1789-1799, PUF., 1991, p 4. Ibid., p469

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nécessaires à l‟organisation et au Toute réflexion sur le pouvoir
fonctionnement desdites collectivités. réglementaire des collectivités locales doit
L‟étude du pouvoir réglementaire local embrasser à la fois des données du droit
en Afrique noire francophone revêt un positif matinées des données factuelles
intérêt à la fois juridique et politique. précisément sociologiques, pour pouvoir
Juridiquement, elle permet de mieux rendre compte de sa réalité. La présente
systématiser cet instrument de droit et de recherche n‟y échappera pas.
mieux préciser la répartition des pouvoirs
entre l‟Etat et les collectivités territoriales. L‟examen des corpus juridiques dans
Politiquement, elle permet de mieux les trois Etats donne l‟image d‟un pouvoir
apprécier l‟enracinement de la démocratie réglementaire local réel parce que
locale. clairement affirmé (I). Toutefois il apparait
aussi encadré pour assurer la protection
Pour cette étude, le choix est porté sur l‟unité de l‟Etat (II)
le Cameroun, le Gabon et le Sénégal. Il est
motivé par une triple considération. I- UN POUVOIR
D‟abord parce que tous les trois pays sont REGLEMENTAIRE LOCAL
des Etats unitaires ; Ensuite parce qu‟ils CLAIREMENT AFFIRME
ont élevé la décentralisation à la dignité
constitutionnelle, Enfin parce qu‟ils sont Le manque de clarté peut parfois
plus ou moins représentatifs nous susciter des confusions voire même des
permettant d‟appréhender l‟Afrique noire conflits de compétence entre acteurs dans
francophone, avec le centre et l‟Ouest.36 un système juridique. Le droit des
collectivités locales qui induit
L‟objectif de notre étude est de inéluctablement un partage de
contribuer à l‟élaboration d‟une théorie compétences entre l‟administration
générale du pouvoir réglementaire dans les centrale et l‟administration décentralisée
pays d‟Afrique noire à partir des cas peut apparaître comme une terre
utilisés. Dès lors, il devient loisible de se d‟expérimentation de chevauchement de
demander comment est aménagé le pouvoir compétences. Le pouvoir réglementaire,
réglementaire local dans les Etats objet de prérogative par excellence reconnue à la
l‟étude ? puissance publique37 se voit ainsi exercée
par les collectivités locales, d‟où l‟idée de
conflit possible de compétence. Pour
éviter une telle situation, les constituants
36
et les législateurs des Etats d‟Afrique
Ils sont représentatifs d‟abord au plan noire francophone ont clairement indiqué
géographique, dès lors qu‟ils permettent de mieux les autorités habilitées à édicter des actes
cerner l‟Afrique centrale et l‟Afrique de l‟ouest. Ils
locaux (A), tout en spécifiant les actes
permettent d‟étudier dans cette zone, les pays
produits par elles (B).
considérés comme avancés et ceux trainant le pas
en matière de décentralisation. Ainsi le Cameroun
est considéré comme le pays qui a engagé la mise
en œuvre de la décentralisation formellement
inscrite dans la constitution en Afrique Centrale.
Le Sénégal est le pays les plus avancée dans ce
domaine en Afrique de l‟ouest, le Gabon apparaît
37
comme un pays intermédiaire entre les deux, B. PLESSIX, « Une prérogative de puissance
puisqu‟il marque le pas sur place malgré une loi publique méconnue : le pouvoir de substitution
ambitieuse adoptée. d‟action », RDP., n° 119, 2003, p.579-630

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A- L’identification des titulaires du camerounais39, gabonais40 et sénégalais41
pouvoir réglementaires local. renvoient la précision et la détermination
des compétences des collectivités locales
Le pouvoir réglementaire a été attribué aux lois, preuve que le pouvoir
aux collectivités locales pour leur réglementaire est consécutif à une
permettre de mettre en œuvre par le biais habilitation législative, le pouvoir
des actes administratifs les compétences réglementaire initial étant exercé par le
à elles transférées par l‟administration Président de la République et le Premier
centrale. Pour éviter des confusions Ministre.42
malheureuses entre les autorités locales et
les autorités centrales, les textes des Etats Bien plus, les constituants ont limité le
d‟Afrique noire Francophone ont domaine d‟action des collectivités locales,
clairement indiqué et hiérarchisé les marquant clairement ainsi le refus
titulaires du pouvoir réglementaire local. généralisé d‟un « Etat unitaire pluri-
Ils distinguent ainsi les titulaires
principaux (1) par opposition aux
titulaires secondaires(2).
39
1- Les titulaires principaux L‟article 55 al 2 de la loi constitutionnelle du 18
janvier 1996 dispose que « les collectivités
S‟il ne fait plus aucun doute que les territoriales décentralisées (…) s’administrent
collectivités locales38 sont les principaux librement par des conseils élus et dans les
titulaires du pouvoir réglementaire local, conditions fixées par la loi ». Il s‟agit de 4lois
on reste tout de même interrogatif sur son suivante :
- Loi n°2004/017 du 22 juillet 2004 portant
fondement juridique. S‟agit-il d‟un
orientation de la décentralisation.
fondement constitutionnel impliquant la - Loi n°2004/018 du 22 juillet 2004 fixant
capacité pour elles d‟édicter des actes les règles applicables aux communes.
puisant leur source directement dans la - Loi n°2004/019 du 22juillet 2004 fixant les
Constitution ? Les collectivités locales des règles applicables aux régions.
Etats d‟Afrique noire francophone ont- - Loi n°2009/11 du 10 juillet 2009, portant
régime financier des collectivités
elles une liberté normative illimitée ? La territoriales décentralisées.
question fondamentale est ainsi de savoir si - Loi n°2009/019 du 15 décembre 2009
elles peuvent édicter des règlements portant fiscalité locale.
40
autonomes. En toile de fond se pose la L‟article 112 de la Constitution révisée le 19 août
problématique du pluralisme des sources 2003 dispose que « Les collectivités locales (…)
dans un Etat unitaire. s’administrent librement par des conseils élus dans
les conditions prévues par la loi, notamment en ce
La réponse s‟avère négative dans les qui concerne les compétences et leurs ressources ».
41
Etats objet de l‟étude. Les constituants ont L‟article 102 de la Constitution du 07 février
2001 précise expressément que : « Les collectivités
clairement indiqué que le pouvoir
locales (…) s’administrent librement par des
réglementaire local n‟était pas initial, dans
assemblées élues. Leur organisation, leur
la mesure où l‟exercice des compétences
composition et leur fonctionnement sont déterminés
est toujours complété par des décrets
par la loi »
d‟application. Les constituants 42
Les constituants des 3 pays consacrent un partage
du pouvoir réglementaire initial entre le Président
de la République et le Premier Ministre.
(Constitution camerounaise article 8 al 8 et 12 al 3 ;
38
Il s‟agit bien des collectivités locales comme Constitution Gabonaise article 8 para 4 et 29 ;
personnes morales ou encore des autorités locales. Constitution Sénégalaise article 43 et 57)

- 85 -
législatif ».43 Ce concept a été introduit en induirait selon François LUCHAIRE, un
droit des collectivités locales par Louis pouvoir réglementaire local capable
FAVOREU. En analysant la réforme d‟édicter des actes autonomes46 au nom du
décentralisatrice de 1982 en France, il s‟est principe constitutionnel de libre
demandé s‟il, « (…), n’ya pas une administration des collectivités
tendance à glisser vers l ‘’Etat unitaire territoriales.47
pluri-législatif’’ c'est-à-dire dans un Etat
dans lequel il n’y a unité de source A contrario, le doyen FAVOREU
normative mais pluralité de droits trouve une telle thèse incohérente et
applicables selon les régions ? ».44 juridiquement non fondée. En effet, il
L‟auteur pose ainsi le problème de estime qu‟une liberté normative autonome
l‟étendue du pouvoir normatif local. reconnue aux collectivités territoriales
L‟affirmation du principe constitutionnel serait contraire non seulement au principe
de la libre administration peut-elle induire d‟unité de la République, mais aussi et
un pouvoir réglementaire local qui surtout à l‟article 21 de la Constitution qui
limiterait le domaine législatif parce que attribue un pouvoir de cette nature et
autorisé à édicter des règlements d‟ailleurs de droit commun au Premier
autonomes ? Ministre.48

Alors même que cette question n‟a pas La réforme constitutionnelle du 28 mars
suscité l‟enthousiasme de la doctrine 2003 en France dont l‟objectif principal
d‟Afrique noire francophone, force est de était de consacrer explicitement un pouvoir
constater qu‟elle a été au centre d‟une réglementaire local49 n‟aurait nullement
grande controverse doctrinale en France v. attribué un pouvoir réglementaire initial
Maurice BOURJOL, l‟un des partisans de aux collectivités locales affirmera Pierre
la thèse d‟un pouvoir réglementaire local Laurent FRIER.50
initial45 soutient que l‟article 72 de la
Constitution française de 1958 confère une La profondeur des développements
compétence initiale aux conseils élus pour opérés par ces illustres auteurs oriente
administrer par voie réglementaire les l‟analyste à s‟appuyer sur l‟exégèse pour
collectivités territoriales. L‟auteur en prendre position. En effet, la modification
déduit que ces entités peuvent édicter des constitutionnelle de 2003 est suffisante
actes à caractère général puisant pour clore le débat sur la nature des actes
directement leur source dans la
Constitution, sans intervention préalable de 46
la loi. D‟ailleurs poursuit-il, le pouvoir F. LUCHAIRE, « Les fondements
réglementaire étatique ne serait nullement constitutionnels de la décentralisation », RDP.,
habilité à intervenir dans un domaine de 1982, p1560.
47
C. BACOYANNIS, Le principe constitutionnel
compétence relevant des collectivités. La
de libre administration des collectivités
liberté reconnue aux collectivités locales
territoriales, Paris, Economica, 1993, 319p.
48
L. FAVOREU, « Elaboration du statut :
43
L. FAVOREU, « Chronique constitutionnelle compétence exclusive de l‟Etat ou compétence
française. Le droit constitutionnel jurisprudentiel, partagée ? », in Les cahiers du CFPC, octobre
mars 1983-mars 1986 », RDP., 1986, p.364. 1993,n°13.
44 49
Ibid., p. 364. Le texte issu de la réforme constitutionnelle du
45
M. BOURJOL, « Elaboration du statut : 28 Mars 2003.
50
compétence exclusive de l‟Etat ou compétence P-L. FRIER, « Le pouvoir réglementaire local :
partagée ? », in Les cahiers du CFPC, Octobre force de frappe ou puissance symbolique ?», op.
1983, n°13 cit., p559.

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locaux. S‟il est incontestable que le régissant l‟exercice de leurs
constituant français a voulu de façon compétences.52 Un Etat pluri-législatif
explicite élever le pouvoir réglementaire octroie un pouvoir d‟auto-organisation
local à la dignité constitutionnelle afin conséquent aux entités infra- étatiques, et
d‟éviter toute confusion malheureuse, il induit une concurrence entre ces
faut également préciser qu‟il n‟a pas eu différentes personnes morales dans
l‟intention d‟accorder une liberté l‟élaboration des normes.
normative exorbitante aux collectivités
locales, leur permettant ainsi d‟être en Dans les pays d‟Afrique noire
concurrence directe avec le détenteur francophone, la désignation des
principal de ce pouvoir c'est-à-dire le collectivités locales comme titulaires
Premier Ministre. principaux du pouvoir réglementaire local
n‟est pas faites ex nihilo. Elle tire son
En droit français de la décentralisation, fondement des normes suprêmes des
véritable source d‟inspiration des Etats différents Etats. En effet, il est clairement
d‟Afrique noire francophone, les affirmé dans ces textes l‟autonomie
collectivités territoriales ont été autorisées administrative et financière des entités
à intervenir dans le domaine de la loi. Les locales « (…) pour la gestion des intérêts
anciens territoires d‟outre-mer devenus régionaux ou locaux »53. Le législateur
collectivités d‟outre-mer se sont vu Sénégalais est plus expressif sur ce sujet. Il
reconnaitre la possibilité d‟intervenir dans affirme clairement que « Le conseil
ce domaine par le biais des actes municipal par ses délibérations, le maire
réglementaires. par ses décisions, par l’instruction des
affaires et l’exécution des délibérations,
La loi du 27 février 2004 portant statut concourent à l’administration de la
d‟autonomie de la Polynésie française commune »54. Le législateur gabonais
donne à cette collectivité la possibilité abonde dans ce sens dès lors qu‟il donne
d‟adopter des « lois du pays », c'est-à-dire compétence au conseil municipal de
à édicter des actes réglementaires dans le « délibérer sur les compétences spécifiques
domaine de la loi au mépris de la et les ressources de la commune »55. Il
répartition des compétences entre s‟agit d‟une affirmation de la compétence
l‟exécutif et le législatif effectuée par les principale reconnue aux organes locaux en
articles 34 et 37 de la Constitution.51 Le matière de pouvoir réglementaire local. A
législateur de 2004 a ainsi poursuivi le ce titre, les collectivités locales
processus entamé par le constituant de apparaissent comme les premiers
2003 en élargissant cette capacité aux intervenants en matière réglementaire dès
départements et régions d‟outre-mer. Ils
ont ainsi la capacité de fixer les règles 52
applicables sur leurs territoires. Pour L. BAGHESTANI-PERREY, « Le pouvoir
d‟expérimentation normative locale, une nouvelle
parachever ce processus d‟affirmation
conception partagée de la réalisation de l‟intérêt
d‟Etat pluri législatif, le constituant en
général », Petites affiches, n° 55, Mars 2004, pp 6-
2003 dans son article 72 a consacré le
16
principe de l‟expérimentation territoriale 53
Article 55 al 2 de la loi du 18 janvier 1996
permettant aux collectivités de déroger aux portant révision de la Constitution du 2 juin 1972
dispositions législatives ou réglementaires 54
Article 77 al 2 de la Loi Organique du 22 mars
1996 portant code des collectivités locales du
51
L. FAVOREU, (dir), Le domaine de la loi et du Sénégal.
55
règlement. Acte du colloque de Marseille, Article 77 de la loi du 06 juin 1996 relative à la
P.U.A.M., 1978, 287 p. décentralisation au Gabon.

- 87 -
lors que leurs actions sont assises sur le «(…) tient dans l’idée que le pouvoir
principe de libre administration. Les réglementaire s’éloigne du centre »56 selon
organes délibérants et exécutifs sont ainsi Bertrand FAURE.
considérés comme les centres d‟impulsion En dehors de ces autorités détentrices
du pouvoir réglementaire local. La du pouvoir réglementaire initial, il faut
décentralisation constituant l‟axe relever que des autorités administratives
fondamental du développement, de la détiennent le pouvoir réglementaire
promotion de la démocratie et de la délégué en matière de décentralisation. Il
gouvernance au niveau local, il s‟avère s‟agit au niveau central du Ministre en
logique de considérer les entités locales charge des collectivités locales et du
comme les premiers acteurs dans la Ministre en charge des finances
matérialisation de ces objectifs. Les respectivement tutelle technique et tutelle
compétences à elles transférées sont mises financière. Leurs actions sont complétées
en œuvre par le biais des délibérations et au niveau local par le Représentant de
des arrêtés locaux. Les constituants des l‟Etat.
différents Etats leur ont clairement octroyé
la prérogative d‟édicter uniquement des En effet, parce que le pouvoir
actes d‟habilitation, les actes autonomes en réglementaire local ne peut être
matière de décentralisation étant édictés appréhendé que comme un pouvoir dans
par des autorités secondaires. l‟Etat et non en dehors de l‟Etat,
l‟attribution d‟un pouvoir réglementaire
2- Les titulaires secondaires local aux autorités étatiques vise à
s‟assurer que ces entités demeurent sous
Il peut paraître paradoxal de qualifier le l‟égide de l‟Etat. En principe, il s‟agit de
Président de la République et le Premier préserver les principes d‟indivisibilité de
Ministre de titulaires secondaires du la souveraineté nationale, de l‟unité de
pouvoir réglementaire fût-il local dans un l‟Etat et de l‟intégrité territoriale.
Etat.
Il faut d‟entrée de jeu dire que
En effet, les constituants des trois Etats l‟indivisibilité de la souveraineté ne peut
précisent que le pouvoir réglementaire être diluée par des contraintes de pouvoir
initial est exercé par le Président de la réglementaire local. Elle est un attribut
République et le Premier Ministre. consubstantiel de l‟Etat et non des entités
Pourtant, l‟avènement de la infra étatiques. Pour François LUCHAIRE,
décentralisation dans ces Etats va changer « la souveraineté est dans la conception
la donne au point de ravaler lesdites traditionnelle un attribut caractéristique
autorités au rang de titulaires secondaires, de l’Etat ; il en résulte que l’indivisibilité
laissant la place majeure aux autorités de la souveraineté est aussi celle de l’Etat
locales. et qu’autant que l’unité de l’Etat, elle
s’oppose au fédéralisme »57 . En fait
Ce ravalement se justifie par l‟objectif suivant l‟auteur, aucune autre entité en
assigné à la décentralisation qui prône une dehors de l‟Etat ne peut se prévaloir des
administration de proximité. Cette
administration met en avant les autorités 56
B. FAURE, « La crise du pouvoir réglementaire
locales, les détenteurs initiaux du pouvoir entre ordre juridique et pluralisme institutionnel »,
réglementaire étatique précisément le AJDA, 1998, p547.
Président de la République et le Premier 57
F. LUCHAIRE, « Les fondements
Ministre agissant en arrière plan. Cet constitutionnels de la décentralisation », R.D.P.,
effacement des autorités réglementaires 1982, p.1552.

- 88 -
attributs de la souveraineté qui est la péremptoire le principe du respect de
matérialisation de la puissance de l‟Etat58. l‟intégrité territoriale interdisant aux
Les constituants Camerounais59, collectivités locales sous le prétexte de la
Gabonais60, et Sénégalais61 ont repris libre administration de mettre en péril
systématiquement le principe posé par l‟intégrité du territoire. La clarification des
l‟article 3 de la Constitution du 04 octobre rôles en matière de pouvoir réglementaire
1958 selon lequel « la souveraineté local permet de mieux cerner la nature des
nationale appartient au peuple qui l’exerce actes édictés. Les autorités centrales sont
par ses représentants et par la voie du considérées secondaires en matières de
référendum. Aucune section du peuple ni pouvoirs réglementaire local parce qu‟elles
aucun individu ne peut s’en attribuer interviennent pour pallier aux défaillances
l’exercice »62. Les autorités locales qui des autorités locales. Ces interventions ont
constituent une fraction de l‟Etat unitaire pour socle juridique les principes de
ne doivent s‟arroger l‟exercice de la subsidiarité64, de complémentarité65 et le
souveraineté étatique. La peur des mécanisme de la substitution d‟office66
divisions et des sécessionnismes a conduit consacrés par les constituants.
ces constituants63 à consacrer de façon
B- La matérialisation du pouvoir
58 réglementaire local
O. BEAUD, La puissance de l’Etat, P.U.F., 1994.
511p.
59
L‟article 2 al 1 de la Constitution Camerounaise
Comment se matérialise le pouvoir
dispose que « La souveraineté nationale appartient réglementaire local ? Telle est la question
au peuple camerounais qui l‟exerce soit par centrale au cœur des développements
l‟intermédiaire du Président de la République et des suivants.
membres du Parlement, soit par voie de
référendum. Aucune fraction du peuple ni aucun En effet, la problématique de la mise
individu ne peut s‟en attribuer l‟exercice ». en œuvre du pouvoir réglementaire local
60
L‟article 3 de la Constitution de la République apparaît comme une question majeure dans
gabonaise dispose expressément que « La l‟analyse de la répartition des compétences
souveraineté nationale appartient au peuple qui entre l‟Etat et les collectivités locales. S‟il
l’exerce directement, par le référendum ou par est avéré que les autorités réglementaires
l’élection, selon le principe de la démocratie centrales et même déconcentrées exercent
pluraliste, et indirectement par les institutions leur pouvoir par le biais des règlements
constitutionnelles. Aucune section du peuple, aucun (décrets et arrêtés), il faut relever que le
individu ne peut s’attribuer l’exercice de la pouvoir réglementaire local se matérialise
souveraineté nationale »
61
La souveraineté nationale appartient au peuple
sénégalais qui l‟exerce par ses représentants ou par les révisions qui portent atteinte à la forme de
la voie du référendum. Aucune section du peuple, républicaine de l‟Etat.
64
ni aucun individu, ne peut s‟attribuer l‟exercice de Article 9 al 2 loi du 22 Juillet 2004 portant
la souveraineté. orientation de la décentralisation au Cameroun.
62
Il faut relever que l‟article 3 de la Constitution Article 228 de la loi organique gabonaise relative à
française de 1958 n‟est qu‟une reprise du principe la décentralisation.
65
posé par la Constitution de 1791. Article 9 al 2 loi du 22 Juillet 2004 portant
63
L‟article 64 de la Constitution camerounaise orientation de la décentralisation au Cameroun.
66
interdit toute révision qui porterait atteinte à l‟unité Article 54 de la loi du 22 mars 1996 portant code
et à l‟intégrité du territoire. L‟article 103 de la des collectivités locales du Sénégal ; L‟article 96 al
Constitution du Sénégal interdit toute révision qui 1 et 2 de la loi du 22 juillet 2004 fixant les règles
porterait atteinte à la forme républicaine de l‟Etat. applicables aux Communes au Cameroun ; L‟article
L‟article 117 de la Constitution gabonaise interdit 20 de la loi organique du Gabon.

- 89 -
par une pluralités d‟actes constitués de « pouvoir dans l’institution »70 locale. Le
délibérations locales et d‟arrêtés locaux (1) principe ainsi consacré attribue un pouvoir
dans un domaine de compétence étendu général à l‟organe d‟administration de la
(2). collectivité ayant pour source la
Constitution. L‟auteur peut donc conclure
1- La pluralité des actes locaux. que l‟assemblée locale dispose de
« pouvoirs généraux »71 dans
Le pouvoir réglementaire local induit l‟administration de la collectivité locale
inexorablement une attribution du pouvoir faisant d‟elle le pouvoir réglementaire
normateur aux collectivités locales. M. référentiel parce qu‟autonome.
WALINE ne pense t-il pas que « la
décentralisation consiste précisément à A contrario, Mme Elisabeth MELLA
diminuer les pouvoirs de décision du remet en cause la théorie considérant la
gouvernement ou de ses agents, en délibération locale comme un acte
certaines matières, pour les transporter administratif72. Selon elle, la délibération
aux représentants des intérêts locaux ou locale est purement et simplement un acte
d’intérêts spéciaux ».67 L‟aptitude à de nature politique73. Dans cette logique,
réglementer des collectivités locales se elle serait dotée d‟une nature politique
matérialise par l‟édiction des actes induisant une véritable autonomie des
administratifs normatifs que constituent les collectivités locales, cessant d‟être des
arrêtés locaux, et les actes de nature organes produisant des actes subordonnés.
controversée notamment les délibérations Pour elle, « (…) il n’est pas réaliste de
locales. soutenir que les actes pris par les
collectivités territoriales ne peuvent et ne
S‟agissant tout d‟abord des doivent être regardés comme des actes
délibérations locales, il faut relever secondaires, mais plutôt comme ces actes
d‟entrée de jeu qu‟elles constituent la primaires ayant leurs caractéristiques
première catégorie des actes locaux. Elles propres »74. L‟auteur recommande de
sont perçues comme une « action de considérer les délibérations locales comme
réflexion et de dialogue qui aboutit à la de véritables actes juridiques au même titre
décision » selon le Pr CHAVRIER68. La que les actes administratifs unilatéraux.
question de la nature des délibérations D‟ailleurs elle affirme sans ambages
locales a généré une controverse dans la qu‟elles sont des actes dont la juridicité est
doctrine française. acquise dès leur constitution. Pour
« infirmer la nature administrative de la
Le Pr FAURE considère qu‟elles délibération »75 et « affirmer sa nature
constituent la traduction par excellence du politique »76, l‟auteur conclut qu‟il ya
pouvoir réglementaire local69. Il s‟appuie existence d‟un régime juridique propre
sur le principe constitutionnel selon lequel distinct du régime de droit commun des
« le conseil municipal règle par ses
délibérations les affaires de la commune ». 70
.Ibid. p.80
Ce principe induit ainsi un véritable 71
Ibid., p.80.
72
E. MELLA, Essai sur la nature de la délibération
67
W. WALINE, Traité élémentaire de droit locale, LGDJ., Bibliothèque de droit public, 2003,
administratif, Sirey 5éme éd.p.181. 317 p.
68 73
G. CHAVRIER, Le pouvoir normatif local : Ibid., p.75.
74
enjeux et débats, LGDJ., p.17 Ibid., p2.
69 75
F.FAURE, Le pouvoir réglementaire des Ibid.,11.
76
collectivités locales, op. cit, p.80 Ibid. , 137.

- 90 -
actes administratifs ordinaires. Leur nature délibérations normatives créant des droits
politique découlerait de la nature de et des devoirs aux administrés, même si on
l‟auteur à savoir une assemblée peut parfois les considérer comme des
délibérative. actes qui préparent à la décision
administrative. Il faut néanmoins
La thèse développée par Mme MELLA constater avec le Pr FAURE que l‟idée
paraît réaliste dans le contexte français selon laquelle certaines compétences des
marqué par l‟attribution d‟une compétence collectivités locales ne peuvent s‟exercer
législative propre à certaines assemblées que par voie réglementaire79 prend dans
locales françaises. Elles bénéficient ainsi ces pays tout son sens. Il peut s‟agir entre
sur la base de l‟article 72 de la Constitution autres des services publics locaux et de la
révisée en 2003, de la possibilité police municipale. La capacité pour les
d‟ « adopter les lois du pays » et de collectivités locales dans ces pays à
procéder à de « l’expérimentation adopter des délibérations locales est assise
législative ». Il est évident que les actes sur une clause générale de compétence
produit par lesdites assemblées ne peuvent affirmée par les textes législatifs. En effet,
pas être des actes administratifs locaux, le législateur camerounais donne la
mais sont des actes assimilables aux lois77. capacité aux organes délibérants de
réglementer toutes les affaires concernant
La théorie de la requalification de la la collectivité locale. L‟article 26 al 2 de la
délibération locale s‟avère inopérante dans loi relative aux communes dispose que le
les pays d‟Afrique noire francophone ayant conseil municipal « (…) règle par
opté pour une magnificence de l‟unité de délibérations, les affaires de la
l‟Etat dans les textes constitutionnels commune ». Dans la même logique,
même dans un contexte de l‟article 28 de la loi camerounaise relative
décentralisation. Dans ces différents pays, aux régions donne pouvoir au conseil
les délibérations locales sont la traduction régional de régler par délibération les
du pouvoir réglementaire local. Elles ne affaires régionales. Les législateurs
peuvent pas être considérées comme des sénégalais80 et gabonais81 abondent dans le
actes de nature politique du fait non
seulement de la subordination juridique des
collectivités locales et de leurs actes, mais « les délibérations des conseils ou les décisions
aussi et surtout du contrôle desdits actes prises par délégation(…) ».
par le juge administratif78. Il s‟agit des L‟article 243 de la loi gabonaise va dans le même
sens en attribuant la totale compétence aux
juridictions administratives pour connaître « des
77
L‟article 72 de la Constitution dispose que « dans actes pris par les collectivités locales ». Telle est
les conditions prévues par la loi organique, et sauf également la démarche du législateur camerounais
lorsque sont en cause les conditions essentielles en son article 71 al 2 de la loi d‟orientation de la
d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit décentralisation.
79
constitutionnellement garanti, les collectivités B.FAURE, Le pouvoir réglementaire des
territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque collectivités locales, op. cit., p.80.
80
selon les cas, la loi ou le règlement l’a prévu, Les articles 25 et 88 de la loi organique relative à
déroger, à titre expérimental et pour un objet et une la décentralisation donnent pouvoir aux conseils
durée limités, aux dispositions législatives ou régionaux et municipaux d‟adopter des
réglementaires qui régissent l’exercice de leurs délibérations pour régler les affaires des communes
compétences » et des régions.
78 81
Le législateur Sénégalais affirme dans son article Les articles 77, 78 et 79 de la loi organique
337 que le Représentant de l‟Etat défère au Conseil relative à la décentralisation donnent pouvoir aux
d‟Etat les actes entachés d‟illégalité entre autres conseils municipaux, aux conseils d‟arrondissement

- 91 -
même sens. En analysant ces différents juridique d‟autres règlements ayant une
textes, on se rend bien compte que les valeur juridique supérieure. Les autorités
délibérations sont des actes par excellence locales d‟exécutions se voient ainsi
d‟administration des collectivités locales reconnaître un pouvoir d‟édicter des
au regard d‟un domaine suffisamment règlements comme « moyen juridique
étendu dont elles disposent. d’action » pour exercer les nombreuses
compétences transférées aux collectivités
Les délibérations locales, bien que locales. Lesdits règlements sont édictés
disposant des domaines de compétence pour arrêter les modalités de mise en
bien spécifiés, sont parfois mises en œuvre application des délibérations locales et leur
par les arrêtés des exécutifs locaux. Par sont logiquement subordonnés. Qu‟il
opposition à l‟acte « initial » que constitue s‟agisse des délibérations locales ou des
la délibération locale, les arrêtés locaux arrêtés locaux, force est de relever qu‟ils
apparaissent selon Bertrand FAURE ne peuvent intervenir que dans un domaine
comme des « actes complémentaires (…) de compétence bien spécifié.
ayant un caractère dérivé et
conditionné ».82Il s‟agit des actes 2- Un domaine de compétence
d‟exécution édictés par les exécutifs locaux diversifié
soit pour mettre en application les
délibérations locales, soit pour matérialiser Il a été clairement indiqué que dans les
le pouvoir de chef d‟administration Etats d‟Afrique noire francophone, les
octroyant un « pouvoir spontané collectivités locales n‟ont pas la possibilité
d’organisation limité au cercle de la vie et d‟édicter des actes autonomes85. Même s‟il
des relations du service » selon Jean apparaît logique que les actes qu‟elles
RIVERO.83 En réalité, il faut relever que produisent sont des règlements
les arrêtés locaux tout comme les d‟application des lois, les questions
délibérations locales disposent des relatives à la typologie et à l‟étendue des
domaines de compétences bien spécifiés. règlements locaux se posent.
S‟agissant par exemple des autorités
locales, il faut indiquer que le pouvoir L‟étendue des règlements locaux pose
réglementaire dont elles disposent est la problématique du domaine matériel. Les
parfois la matérialisation d‟un pouvoir matières relevant du domaine des
réglementaire d‟organisation de service collectivités territoriales sont justifiées par
reconnu à tout chef de service depuis la présence d‟un intérêt local, qui peut être
l‟arrêt Jamart84. communal ou régional. Mais en fait, à quoi
renvoie l‟intérêt local ? Le Pr Francis Paul
Les actes locaux d‟exécution des BENOIT pense qu‟il « n’existe pas
délibérations locales sont souvent édictés d’affaires locales par nature »86, mais que
par des autorités dépositaires du pouvoir
règlementaire local d‟exécution. En réalité, 85
Il s‟agit des actes administratifs unilatéraux qui
il s‟agit des règlements ayant pour base
puise leur source non pas dans une loi mais
directement dans la Constitution. Sur cette question,
et aux conseils de commune rurale d‟adopter des on lira utilement L. FAVOREU, « Les règlements
délibérations pour régler leurs affaires. autonomes n‟existent pas », RFDA., 1987, p871.
82 86
Ibid., p.82. F-P. BENOIT, « L‟évolution des affaires locales.
83
J.RIVERO, note sous l‟arrêt Jamart, cité par B. De la décentralisation des autorités à la
FAURE (B), Le pouvoir réglementaire des décentralisation des compétences », in La
collectivités locales, op cit. p.98. profondeur du droit local, Mélanges en l’honneur
84
Voir arrêt Jamart, CE 7 février 1936. de Jean Claude DOUENCE, op. cit., p24.

- 92 -
« la clef de la compréhension de ce que d‟assurer la promotion du développement
sont les affaires locales se trouverait dans local.91
l’idée de satisfaction des besoins ressentis
par les habitants de chaque collectivité Les matières relevant d‟une collectivité
concernée ».87L‟auteur, en plus de cette locale font partie de son champ de
idée de la nécessité des besoins locaux, compétence. Dans les Etats d‟Afrique
associe dans une conception pertinente du noire francophone, les collectivités locales
concept, les autorités en charge des bénéficient d‟un champ de compétence
questions locales. N‟affirme t‟il pas qui bien qu‟éparpillé dans les lois de
finalement qu‟il faut « reconnaître que les transfert des compétences et des décrets
affaires locales ne sont pas seulement une d‟application, est réel. Il apparaît même
question d’autorité (…), le contenu réel de étendu à l‟image du pouvoir réglementaire
l’idée d’affaires locales résulte de la local français92 En effet, les législateurs
nécessaire conjonction de ces deux nationaux ont pensé un pouvoir
notions ».88 En fait, l‟auteur associe dans la réglementaire local avec un domaine
conception de la notion d‟affaires locale étendu, leur donnant la capacité d‟édicter
une double dimension organique et des règlements diversifiés voire
matérielle. Or, cette appréhension composites, eu égard aux matières relevant
extensive peut conduire à une de leur champ de compétence.
assimilation malheureuse entre les organes
et les missions confiées auxdits organes. Dans ces trois Etats, les règlements
locaux sont édictés aussi bien en matière
Pour une bonne compréhension de la non financière que financière.
notion d‟affaires locales, il convient de la
percevoir comme un objectif à atteindre Les règlements locaux non financiers
par les organes locaux. Il s‟agit davantage peuvent être consécutifs à une loi
des affaires ayant un intérêt local. François d‟habilitation, ou alors résulter de ce que
BURDEAU peut donc affirmer à juste titre Bertrand FAURE appelle « la théorie des
que l‟autonomie de la collectivité locale est pouvoirs implicites »93.
essentiellement due « (…) à la
reconnaissance d’un pouvoir propre, Pour ce qui est des règlements locaux
distinct de l’administration publique ».89 d‟application des lois, il faut d‟entrée de
La conception de la décentralisation par M. jeu dire que l‟exégèse des textes législatifs
WALINE pour qui celle –ci « «consiste présente un pouvoir réglementaire varié.
précisément à diminuer les pouvoirs de Les collectivités locales peuvent édicter
décisions du gouvernement ou de ses
agents en certaines matières, pour les 91
transporter aux représentants des intérêts Les textes législatifs régissant la décentralisation
locaux (…) »90 participe de cette logique. dans les trois Etats assigne une telle mission à la
décentralisation.
Les affaires locales ont ainsi pour objectif 92
Bertrand FAURE affirme s‟agissant de la France
que le pouvoir réglementaire national est « un
87
Ibid., p24. pouvoir assigné induisant ainsi que le pouvoir
88
Ibid., p24. réglementaire local est étendus. B.FAURE, « Le
89
F. BURDEAU, « Affaires locales et conseil d‟Etat et le pouvoir réglementaire des
décentralisation : évolution d‟un couple de la fin de collectivités territoriales. L‟heure de vérité ? »,
l‟Ancien Régime à la Restauration, in Mélanges AJDA., 2013, p2243.
93
BURDEAU, p.772. B.FAURE, « La crise du pouvoir réglementaire :
90
M. WALINE, Traité élémentaire de droit entre ordre juridique et pluralisme institutionnel »,
administratif, Sirey, 5éd, p181. A.JDA., 1998, p.547.

- 93 -
des actes relatifs à leur organisation et leur Le fonctionnement adéquat des
fonctionnement. collectivités locales impose l‟édiction des
règlements locaux de différentes natures.
Toute entité pour son fonctionnement a Cette réglementation peut toucher des
inéluctablement besoin d‟une organisation domaines aussi variés que la fonction
pour pouvoir optimiser son rendement. Les publique locale, le régime domanial,
collectivités locales n‟échappent pas à l‟urbanisme, et la police municipale.
cette règle. En effet, elles sont dotées de la
capacité de s‟auto-organiser. Les Les autorités locales peuvent édicter des
législateurs des trois Etats ont ainsi règlements en matière de police
autorisé ces entités à élaborer leur municipale. D‟ailleurs, Mme le professeur
règlement intérieur. 94 Il s‟agit de la feuille ROUAULT est convaincue que les
de route de la collectivité. Ce règlement mesures de police traduisent la possession
intérieur qui ne peut être en déphasage d‟un véritable pouvoir réglementaire par
avec les lois relatives à la décentralisation, les collectivités locales,98 « la notion de
précise néanmoins, et parfois au détail, le police municipale (ayant) été dégagée
mode de fonctionnement de la collectivité avant que n’apparaissent celle de police
locale. Il précise généralement les d’Etat ou de police administrative ».99
procédures de travail, parce qu‟il a une Dans les pays d‟Afrique noire
« portée complémentaire »95, la loi ayant francophone, il existe deux types de police,
fixé l‟essentiel. Raymond CARRE DE celle des autorités communales et celles
MALBERG affirmait à juste titre que « la des autorités Etatiques. Il faut relever avec
faculté d’auto-organisation consiste, avant CARRE DE MALBERG « qu’il y a une
tout, pour une collectivité, dans le pouvoir grande différence entre le cas des
de se donner à elle-même sa règlements de police municipale et celui
Constitution(…) »96 qui fait office de des règlements décrétés par le
règlement intérieur pour les collectivités gouvernement pour la police du territoire
locales. Le droit pour les organes national ».100
délibérants des communes et régions de
former des commissions participe ni plus Les règlements locaux édictés peuvent
ni moins de ce souci d‟optimisation du avoir un fondement légal. Cette législation
travail local97. leur donne la possibilité de réglementer les
domaines sanitaires et de circulation. On
parlera à ce moment de police sanitaire101
94
Article 38 al 2 de loi fixant les règles relative aux ou de police de circulation102. Mais les
communes ; article 36 de la loi fixant les règles règlements locaux en matière de police
relatives aux régions. Article 46 du code des
collectivités locales du Sénégal ; Article 76 de la loi
98
Organique de 1996 relative à la décentralisation au M-C. ROUAULT, L’intérêt communal, Presses
Gabon Universitaires de Lille, 1991, p85.
95 99
B. FAURE, Le pouvoir réglementaire local, op. Ibid, p. 85.
100
cit., p.34. R. CARRE DE MALBERG, La loi, expression
96
R. CARRE DE MALBERG, Contribution à la de la volonté générale, Paris, Economica, réed
théorie générale de l’Etat op. cit., Tome I, p.159. 1984, p.62.
97 101
Article 42 du code des collectivités locales du Article 89 de la loi fixant les règles relatives aux
Sénégal ; Article 126 de la Loi Organique de 1996 communes du Cameroun ; Article 32 du code des
Relative à la décentralisation au Gabon ; Article 41 collectivités locales du Sénégal
102
al 1 de la loi fixant les règles relatives aux Article 92 de la loi fixant les règles relatives aux
communes et 33 al 1 de la loi fixant les règles communes du Cameroun ;Article 124 du Code des
relative aux régions. collectivités locales du Sénégal.

- 94 -
municipale sont plus poignants dans le l‟aménagement des collectivités ou de la
domaine de l‟ordre public couvrant ainsi la restructuration urbaine ressortissent de la
sureté publique, la tranquillité publique et compétence des collectivités locales. Tel
la salubrité publique103. Le maire dispose est par exemple le cas des lotissements ou
ainsi d‟un pouvoir d‟habilitation en matière de permis d‟implanter ou de construire. En
de police municipale. Il peut à ce titre effet, L‟article 60 de la loi de 2004
prendre des arrêtés visant à réglementer régissant l‟urbanisme au Cameroun
des activités privées et à restreindre dispose clairement que « les lotissements
l‟exercice des libertés publiques bien que sont créés à l’initiative de l’Etat, des
consacrées par Les Constitutions et les collectivités territoriales décentralisées(…)
conventions internationales. En matière de et sont réalisés dans le respect des
libertés publiques, il ya une de dilution de documents de planification urbaine en
la pyramide des normes, les actes vigueur ou à défaut, des règles générales
réglementaires locaux remettant en cause d’urbanisme »106. Il s‟agit des actes
le principe de l‟attribution de la administratifs pouvant permettre à
compétence pour délimiter les droits des l‟autorité locale de construire une
individus à la loi.104 Il s‟agit d‟un pouvoir politique d‟urbanisme suffisamment
matérialisant la liberté d‟action, la marge nourrie. La loi camerounaise sus-évoquée
d‟initiative de l‟exécutif municipal. La autorise les autorités locales à délivrer
police municipale est l‟un des domaines de ainsi les permis d‟implanter107 et les
manifestation par excellence du pouvoir permis de construire108. La délivrance des
réglementaire local. En effet, les autorités documents d‟urbanisme par l‟autorité
locales sont dotées de véritables pouvoirs locale permet ainsi de lutter contre
en matière de police urbaine105. Elles sont l‟insalubrité et d‟éviter des constructions
ainsi amenées à édicter des actes locaux non conformes auxdits documents et en
sanctionnant la violation des infractions en toute logique illégales109. C‟est le véritable
matière de circulation routières, de lieu d‟expression de la puissance publique.
construction ou de tranquillité publique.
En effet, l‟objectif de la décentralisation
Bien plus, des actes locaux dans des étant d‟améliorer substantiellement le
domaines relatifs à l‟aménagement foncier, cadre de vie des populations locales, le
de gestion des espaces, de l‟utilisation du pouvoir réglementaire local en matière
sol peuvent être édictés par les autorités d‟urbanisme permet à l‟autorité
locales. Dans cette logique, l‟établissement
des documents d‟urbanisme pour 106
Loi N° 2004/003 du 21 avril 2004 régissant
l‟urbanisme au Cameroun.
103 107
Article 86 et 87 de la loi d‟orientation de la L‟article 104 cette loi dispose que « Le Permis
décentralisation au Cameroun. Article 125 du Code d‟implanter est un acte administratif d‟urbanisme
des collectivités locales du Sénégal. exigé pour toutes constructions non éligibles au
104
Il faut relever que les limitations aux libertés ne permis de Construire. Quiconque désire implanter
sont valables que dans la mesure où elles sont une construction non éligible au permis de
nécessaires à l‟ordre public. Construire (…) doit au préalable, avoir obtenu un
105
Le professeur Michel VERPEAUX pense que la Permis délivré par le Maire de la commune
clause générale de compétence qui donne vocation concernée ».
108
aux collectivités locales de régir des domaines L‟article 107 de la même loi précise que le
importants de compétences n‟est plus une réalité en Permis de Construire est délivré par le Maire de la
France. On lira utilement M. VERPEAUX, commune concernée.
109
« Pavane pour une notion défunte. La clause P. CAMBOT, « Le maire et la construction sans
générale de compétence », RFDA., 2014, p457-565. autorisation », op.cit., pp102 et S.

- 95 -
communale ou régionale de construire des locaux, et de préciser les règles
villes modernes en passant parfois par la réglementant leur organisation et
déconstruction des habitations.110 Le 117
éventuellement leur suppression .
Maire, autorité locale « incarne
111
l’autorisation d’urbanisme » en Afrique. Bien plus, la gestion du personnel
Il est l‟autorité habilitée à délivrer les communal ou régional apparaît comme une
autorisations de construction sur son prérogative essentielle des autorités
territoire de compétence112 ou de locales. La décentralisation impose
reconstruction pour la collectivité113. l‟existence d‟une fonction publique locale.
L‟édiction des règlements locaux en Prévue dans ces différents Etats, la
matière d‟urbanisme doit logiquement tenir fonction publique locale semble plus
compte des règles de droit, de peur de voir avancée au Sénégal qui, après avoir
la responsabilité de la collectivité engagée. adopté la loi sur le statut général des
Tel est également le cas des règlements fonctionnaires des collectivités locales118, a
domaniaux. fait prendre par des autorités compétentes
des textes d‟application relatifs au statut du
Ils contribuent au renforcement de personnel local119. Cette armature
l‟autonomie des collectivités locales, dès institutionnelle consolidée vise à doter les
lors qu‟ils régissent la gestion des biens et autorités locales de la ressource humaine
des opérations immobilières114, la gestion compétente capable d‟exercer les
et l‟utilisation du domaine public qu‟il soit compétences qui leur sont transférées. Les
maritime ou fluvial115. C‟est dans ce sillage actes règlementaires locaux sont ainsi
que les législateurs donnent la possibilité importants pour non seulement procéder au
juridique aux collectivités locales de créer recrutement de ce personnel, mais aussi
par voie de règlements les services publics pour assurer toute sa gestion efficiente
locaux116, les établissement ou entreprises pour un rendement optimisé120.

110
P. CAMBOT, « Le Maire et la construction sans Toutefois, il faut relever que les
autorisation »,in Mélanges Jean-Claude règlements locaux dans ces différentes
DOUENCE, Les Profondeurs du droit local, op. matières peuvent échapper à tout
cit., pp.99-122. fondement législatif ou décretal. Ils
111
Ibid., p.99.
112
Article 48 de la loi d‟orientation de la
décentralisation au Cameroun. des collectivités locales du Sénégal ; Article 75 de
113
Article 48 de la loi d‟orientation de la la loi Organique relative à la décentralisation au
décentralisation ; Article 78 de la loi relative à la Gabon
117
décentralisation au Gabon ; Article 125 du code des Article 61 al 2 la loi d‟orientation de la
collectivités locales du Sénégal décentralisation au Cameroun
114 118
Article 36 de la loi d‟orientation de la Loi n°2011-08 du 30 Mars 2011 sur le statut
décentralisation. Les articles 11, 12, 13, de la loi général de la fonction publique des collectivités
fixant les règles relatives aux communes et 10, 12 locales
119
de la loi fixant les règles relatives aux régions. ; Décret n°2011-659 du 1er Juin 2011 fixant les
Article 85 du code des collectivités locales du attributions, la composition, l‟organisation et le
Sénégal; Article 75 de la loi Organique relative à la fonctionnement du conseil supérieur de la fonction
décentralisation au Gabon publique locale/
115 120
Article 19 la loi d‟orientation de la Le législateur sénégalais a créé un conseil
décentralisation au Cameroun. Article 86 du code supérieur de la fonction publique locale qui a un
des collectivités locales du Sénégal ; caractère consultatif. Il donne son avis sur toutes les
116
Article 34 la loi d‟orientation de la questions intéressant les fonctionnaires des
décentralisation au Cameroun. ; Article 86 du code collectivités locales ou la fonction publique

- 96 -
peuvent résulter simplement du pouvoir Selon le Pr ESSONO OVONO,
d‟office du chef de service, c'est-à-dire sa l‟autonomie financière peut s‟entendre
compétence générale pour régler les « comme la situation d’une collectivité
affaires de la collectivité, ou être liées aux locale disposant d’un pouvoir propre de
exigences de fonctionnement des services décision et de gestion de ses recettes et des
publics locaux.121 Ils sont par ailleurs dépenses regroupées en un budget
soumis à un interne contrôle exercé par nécessaires pour l’exercice de ses
l‟organe délibérant. Le juge sénégalais compétences ».124 Dans cette logique,
s‟avère très regardant sur le respect de ce l‟autonomie implique un pouvoir fiscal
contrôle. C‟est ainsi que le Conseil d‟Etat local, accompagné d‟un pouvoir budgétaire
sénégalais dans son arrêt du 29 juillet 1998 autonome dotant les collectivités locales de
Gouverneur de la région de Tambacouda la capacité de disposer d‟un budget propre,
contre conseil régional de Tambacouda a distinct du budget général de l‟Etat, et dont
annulé une convention signée par le l‟exécution se fait indépendamment de
président du conseil rural de Tambacouda, toute contrainte extérieure ou précisément
motif pris de ce qu‟elle a été signé sans de toute influence étatique. La définition
l‟autorisation de l‟organe délibérant.122Il que donne le professeur André ROUX,
s‟agit d‟autre part d‟un contrôle initié par même si elle n‟est pas très éloignée de la
le Représentant de l‟Etat pouvant d‟ailleurs première semble plus précise et complète.
induire une substitution d‟action.123 Pour lui, « (…) l’autonomie financière
revêt une double dimension. En premier
S‟agissant du domaine financier et lieu, c’est la reconnaissance d’une
fiscal, il y a lieu de préciser qu‟il relève en capacité juridique de décision qui en
partie du champ de compétence des matière de recette implique un véritable
collectivités locales, la décentralisation pouvoir fiscal, le pouvoir de créer et de
induisant une double autonomie lever l’impôt et qui en matière de dépenses
administrative et financière. Celles-ci implique la liberté de décider d’affecter les
apparaissent d‟ailleurs comme les ressources à telle dépense. En second,
conditions sine qua non d‟une politique de c’est la possibilité pour la collectivité
décentralisation. En réalité, les transferts régionale ou locale d’assurer le
de compétence resteraient vains s‟ils financement de leurs dépenses par des
n‟étaient pas accompagnés par des ressources propres en volume
transferts de moyens. L‟autonomie suffisant »125.
financière est ainsi la conséquence
juridique d‟une décentralisation financière. L‟exercice des compétences transférées
aux collectivités locales en matière
financière ne peut se faire que par la mise
en œuvre d‟un pouvoir réglementaire. Ce
121
pouvoir est restreint dans son étendue
Le Pr Jean-Claude DOUENCE explique que « le
pouvoir de police existe spontanément car il a pour
124
fondement la nature des choses, la nécessité de A. ESSONO OVONO, « L‟autonomie
l’ordre public…. », J-C. DOUENCE, Recherches financière des collectivités locales en Afrique noire
sur le pouvoir réglementaire de l’administration, francophone. Le cas du Cameroun, de la Côte
LGDJ., 1968, p.341. d‟Ivoire, du Gabon et du Sénégal », Revue Afrilex,
122
CE 29 Juillet 1998, Gouverneur de la région de n°spécial Finance publique, 2éd ? 2009, p2.
125
Tambouca c/conseil régional de Tambouca, Recueil A. ROUX, « L‟autonomie financière des
des arrêts du conseil d‟Etat du Sénégal, 1998, 1999, collectivités locales en Europe », Rapport
2000. introductif, Annuaire internationale de justice
123
Voir infra. constitutionnelle, 2006, p499.

- 97 -
puisqu‟il ne couvre que les aspects délibérations produites par les organes
budgétaires et fiscaux. La libre délibérants et des actes locaux édictés par
administration au plan fiscal apparait les organes exécutif. Pour éviter des
comme une liberté d‟action reconnue aux dérives et des débordements préjudiciables
autorités locales, non pas de créer, de au fonctionnement normal de l‟Etat
modifier ou de supprimer les impôts unitaire, les législateurs des trois Etats,
comme le souligne le Pr Loic PHILIPP126, reprenant les orientations des constituants
mais d‟assurer la détermination des règles ont choisi d‟encadré ledit pouvoir.
relatives à l‟assiette et au recouvrement de
l‟impôt. Ce pouvoir est mis en œuvre par le II- UN POUVOIR
biais des règlements locaux. La REGLEMENTAIRE LOCAL
décentralisation deviendrait un mirage sans NECESSAIREMENT
ce pouvoir fiscal local.127 Bien plus, la ENCADRE
disposition d‟un budget propre supposant
son adoption et son exécution par la Le pouvoir réglementaire local ne peut
collectivité constituent le complément prétendre être un pouvoir illimité dans un
inexorable à l‟autonomie financière. Etat unitaire. Il s‟agit simplement d‟une
prérogative qui est reconnue aux
Dans ce domaine, les législateurs collectivités locales d‟édicter des actes
nationaux ont clairement procédé à la administratifs généraux et impersonnels
répartition des compétences en matière qui ne peuvent régir des situations
fiscale entre la fiscalité locale et la nationales et couvrir un domaine
fiscalité étatique. La ligne « maginot » suffisamment large. Pour protéger l‟être de
établie indique une précision claire de l‟Etat unitaire, et éviter toute concurrence
l‟action des collectivités territoriales. avec le pouvoir central, les constituants ont
L‟article 4 de la loi portant fiscalité locale prescrit un encadrement de ce pouvoir, non
du Cameroun128 précise que « les seulement en le subordonnant au pouvoir
collectivités territoriales assurent réglementaire central (A), mais aussi en le
l’administration des impôts et taxes qui soumettant à un contrôle (B).
leur sont dévolus, sous réserve de ceux
gérés par l’administration fiscale ». A- Un pouvoir subordonné
Autrement dit, la fiscalité locale est
totalement distincte de la fiscalité étatique. Le pouvoir réglementaire local est
considéré comme un pouvoir subordonné.
Dans les pays d‟Afrique noire La problématique relative à cette
francophone objet de l‟étude, on peut subordination pose le problème de la
constater une réalité du pouvoir liberté normative des collectivités locales.
réglementaire local. Il est exercé par des Elle induit la lancinante question des
autorités locales par le biais des rapports entre les règlements locaux et les
règlements nationaux129. Selon le Doyen
126 FAVOREU, la liberté normative reconnue
L. PHILIPP, « L‟autonomie financière des
aux collectivités territoriales serait
collectivités territoriales », Les cahiers du conseil
constitutionnel, n°12/2000, p96.
subordonnée parce que contraire non
127
T. HOLO, « La décentralisation au BENIN :
seulement au principe d‟unité de la
mythe ou réalité ? », Revue béninoise des sciences République, mais aussi et surtout à
juridiques et administratives, n°7, déc, 1987, p.1 l‟exercice du pouvoir réglementaire par les
128
La loi n°2009/11 du 10 Juillet du 10 Juillet 2009
129
portant régime financier des collectivités F. FAURE, « Règlements locaux et règlements
territoriales décentralisées au Cameroun. nationaux » op. cit.,

- 98 -
détenteurs de droit commun initiaux. Le principe fondamental du droit des
pouvoir réglementaire local ne saurait être collectivités locales.
initial c'est-à-dire autonome dès lors que
le constituant attribue la prérogative de La subsidiarité « serait un principe
détermination des modalités d’organisation administrative de l’Etat
d‟administration des collectivités locales unitaire décentralisé tendant, d’une part à
au législateur. Il s‟agit d‟une habilitation garantir à la collectivité territoriale de
législative. base tous les pouvoirs et compétences
qu’elle est en mesure d’exercer
Dans les pays d‟Afrique noire efficacement et, d’autre part, à contraindre
francophone, les constituants de ces Etats la collectivité supérieure de suppléer aux
ont clairement indiqué que le pouvoir carences éventuelles de la collectivité
réglementaire local est subordonné, les inférieure ».133
autorités centrales ayant une faculté
d‟intervenir dans le domaine local par les Elle permet de déterminer le champ de
mécanismes juridique de la subsidiarité (1) compétence des entités locales et de
et de la substitution d‟office (2). partager les compétences entre Etat et
collectivités locales. De ce fait, elle
1- La subsidiarité comme apparaît comme « une règle d’or dans la
instrument de subordination. dialectique de l’autorité et de la
liberté ».134 Le principe de subsidiarité
La subsidiarité apparaît a priori dans le implique le partage de la faculté de
droit des collectivités locales comme un statuer135 entre les organes centraux et les
principe gouvernant les transferts de organes non centraux. En principe, il vise
compétences entre l‟Etat et les collectivités non seulement à corriger la défaillance de
locales.130 Elle est même considérée à l‟entité inférieure qui sera suppléée par
certains égards comme la condition sans l‟autorité supérieure, mais en plus à faire
laquelle toute décentralisation serait adhérer les interventions des collectivités
illusoire. Pourtant ce concept qui « trouve locales en rapport avec leurs capacités
ses fondements à la fois dans l’esprit grec, réciproques. Il devrait constituer le vecteur
dans la philosophie chrétienne médiévale de l‟équilibre entre les collectivités
et dans la vision germanique de la territoriales et l‟Etat, puisqu‟il induit un
société »131 n‟est pas exclusif au droit
constitutionnel des Etats unitaires. Il
inonde des domaines aussi variés tels que faut noter Fréderic BAUDIN-CULLIERE abonde
le droit constitutionnel fédéral, le droit dans le même sens en affirmant que « la
communautaire et le droit administratif. subsidiarité n’est pas une norme juridique, c’est un
Autrefois appartenant « plus à l’histoire état d’esprit, une orientation » F. BAUDIN-
des idées qu’à nos références CULLIERE, Principe de subsidiarité et
administration locale, LGDJ., 1995, p.35.
juridiques »132, elle est devenue un 133
G-C. MBONGO OTANGO OTANDO,
« L‟applicabilité du principe de subsidiarité en droit
130
C. NACH MBACK, Démocratisation et africain de la décentralisation (cas du Gabon, du
décentralisation, Genèse et dynamiques comparées Cameroun et du Burkina –Faso) », RTSJ., n°0000,
des processus de décentralisation en Afrique Janvier/Juin 2011, p316.
134
subsaharienne, Paris, Karthala-PDM, 2003, p400 Y. GAUDEMET, « Libre propos sur la
131
C. MILLION-DELSON, L’Etat subsidiaire, subsidiarité spécialement en Europe », in Mélanges
Paris, PUF, coll, « Léviathan », 1992, p13 AMSELEK, Ed, Bruylant, 2005, p.316.
132 135
A. DELCAMP, « Principe de subsidiarité et MONTESQUIEU, De l‟esprit des lois, GF
décentralisation », in RFDC., n°23, 1995, p609. Il Flammarion, Tome 1, 1979, 506p.

- 99 -
possible secours de l‟Etat au profit des recentralisation138 oriente vers une
entités locales lorsqu‟elles sont en reconsidération du principe de subsidiarité.
difficulté. 136 Il ne peut être interprété que comme une
matérialisation du retour en force de
Les législateurs Camerounais et l‟autorité dans le champ des compétences
gabonais ont ainsi expressément consacré des collectivités locales. C‟est sans doute
ce principe. L‟article 9 alinéa 2 de la loi un instrument de subordination du pouvoir
Camerounaise n°2004/017 du 22 juillet réglementaire local en ce sens que les
2004 portant orientation de la autorités locales n‟ont plus la plénitude de
décentralisation dispose que « le transfert compétences sur un quelconque domaine,
et la répartition des compétences (…) les autorités réglementaires centrales
obéissent au principe de subsidiarité pouvant intervenir sans une nécessaire
(…) ». Si le principe camerounais de la autorisation de celle –ci. La subsidiarité
subsidiarité est limité au fonctionnement démontre ainsi les « flux et reflux de la
des collectivités locales, le législateur décentralisation »139 en Afrique noire.
gabonais a posé un principe plus large. Dans ces pays, les interventions au titre de
L‟article 228 de loi organique n°15/96 du la subsidiarité sont fonction des spécificités
06 Juin 1996 relative à la décentralisation de chacun.
dispose clairement que « la création,
l’organisation et le fonctionnement et les Au Gabon, le législateur prescrit la
compétences des collectivités locales sont subsidiarité pour la création, l‟organisation
soumis au respect des principe (…) de et le fonctionnement des collectivités
subsidiarité ». locales. Si on peut comprendre l‟objectif
de la subsidiarité dans l‟organisation et le
Mais la réalité du principe de la fonctionnement des collectivités locales,
subsidiarité dans le droit des collectivités lesdites prérogatives relevant expressément
locales des Etats d‟Afrique noire selon la loi, de la compétence des entités
francophone137 est largement en déphasage locales140, il n‟en va pas de même de leur
avec les objectifs ainsi attribués au création. En effet, l‟application de la
principe. Le contexte de centralisation subsidiarité à la création de la collectivité
jacobine dans ces Etats, marqué par une
138
La recentralisation est une technique visant à
renforcer le pouvoir de l‟Etat central au détriment
des collectivités locales. Sur cette question, on lira
utilement M.HOUSER, « Recherches sur le
concept de recentralisation », RRJ., n°2, 2011,
pp751-775 ; C. MONEMBOU, « Les paradoxes de
la décentralisation camerounaise : de la
décentralisation à la recentralisation », RADSP, n°1
vol 1, pp161-180.
139
M-L. TREGUIER, « Flux et reflux de la
décentralisation », RFDA., Juillet-Aout 1994,
136
Selon Jean-Marie PONTIER, la subsidiarité pp704-710.
« fournit une réponse à la question abstraite de 140
L‟article 21 de la loi organique n°15/96 du 06
savoir qui dans une organisation complexe doit juin 1996 Relative à la décentralisation au Gabon
disposer des compétences et des pouvoirs », J-M. dispose expressément que « L’organisation d’une
PONTIER, « La subsidiarité en droit collectivité locale repose, sauf exception prévue par
administratif », RDP., 1986, p.1533. la loi, sur deux organes :
137
Il faut dire que seuls la Cameroun et le Gabon - Un organe délibérant, le conseil
ont expressément consacré ce principe. - Un organe exécutif, le bureau du conseil »

- 100 -
locale est contradictoire à certaines de substitution leur permettant d‟agir en
dispositions contenues dans la même loi. leur lieu et place. Mais en quoi consiste
L‟article 11 de la loi organique gabonaise cette substitution ?
de 1996 dispose expressément que : «(…)
les collectivités locales sont crées par la La substitution est définie par Le
loi ». Comment comprendre la soumission dictionnaire de la langue française comme
par la même loi de leur création à un tel une action de remplacer quelqu‟un qui
principe ? Vis-à-vis de qu‟elle autorité devrait en principe faire une chose.141 A
s‟exerce-t-elle ? En réalité ce paradoxe vrai dire, cette définition ne nous aide pas
juridique masquerait peut être la volonté véritablement à saisir le contenu de cette
des autorités étatiques de garder la main notion pourtant d‟origine littéraire, d‟où la
mise sur tout le processus de nécessité d‟envisager une définition
décentralisation gabonais. juridique. Le Vocabulaire Juridique de
l‟association Henri Capitant appréhende la
S‟agissant du Cameroun, l‟analyse et substitution comme un pouvoir et comme
l‟interprétation de la loi permettent de une tutelle. Relativement au premier, la
conclure que la subsidiarité est actionnée substitution est considérée comme « le
pour déterminer non seulement les pouvoir des autorité de tutelle qui leur
compétences entre les collectivités locales permet dans certaines conditions définies
et l‟Etat en cas de chevauchement de restrictivement de se substituer aux
celles-ci, mais aussi pour clarifier les autorités sous tutelle et d’agir en leur lieu
compétences entre collectivités territoriales et place ».142 En fait cette définition
dans l‟hypothèse d‟une création de renvoie davantage à l‟idée de suppléance
nouvelles entités locales. dans laquelle l‟autorité supérieure viendrait
pallier les carences de l‟autorité inférieure.
En indiquant que l‟Etat peut intervenir Cette définition n‟est pas très éloignée de
subsidiairement dans le domaine des celle proposée par le dictionnaire de droit
compétences des entités locales, le public considérant « le pouvoir de
législateur a ouvert la porte à leur possible substitution comme le pouvoir de l’autorité
instrumentalisation et incidemment à leur de tutelle d’agir, en cas de carence de
subsidiarisation c'est-à-dire dans un l’autorité décentralisée, aux lieu et place
processus de réduction de l‟autonomie de cette dernière »143 Cette prérogative de
locale. Les autorités réglementaires puissance publique qui est selon le
centrales peuvent intervenir dans les Professeur Benoît PLESSIX méconnue par
domaines des compétences locales non le droit144 est considérée comme une arme
seulement par les interventions au titre de redoutable entre les mains des autorités
la subsidiarité, mais aussi à travers leurs réglementaires centrales.
incursions au titre de la substitution
d‟office.
141
Le Petit Robert, Dictionnaire alphabétique et
2- La substitution d’office comme
analogique de la langue française, Paris, 1990,
instrument de subordination.
p1876.
142
G.CORNU, Vocabulaire juridique, PUF., 3é éd,
Les autorités réglementaires centrales 1992, p786.
exercent une tutelle sur les autorités 143
P. FOILLARD, Dictionnaire de droit public,
réglementaires locales. Elle se met en Centre de Publications Universitaires, p .348.
œuvre par un pouvoir de substitution qui 144
PLESSIX Benoît, « Une prérogative de
leur est reconnu. En effet, les législateurs puissance publique méconnue : le pouvoir de
des trois Etats ont aménagé un mécanisme substitution d‟action », op. cit., pp579-630.

- 101 -
En rapport avec la tutelle, la relative à la décentralisation du Gabon
substitution est « la forme de tutelle dans semble consacrer de façon implicite cette
laquelle l’autorité chargée de celle-ci peut substitution.148 Mais quelle que soit la
se substituer à l’autorité décentralisée, forme de consécration, il y a lieu de retenir
préalablement mise en demeure, pour que des conditions sont posées pour éviter
prendre à la place de cette dernière une des substitutions arbitraires. Il s‟agit d‟une
décision qu’elle s’est refusée à prendre part de la violation des lois et règlements
alors, qu’elle y était légalement tenue ».145 ou du délit de négligence imputable à
l‟autorité locale. Celle-ci ne peut s‟écarter
Il s‟agit de la définition qui illustre le de la loi d‟habilitation qui gouverne son
mieux l‟action des autorités réglementaires
étatiques sur les autorités locales.146

Dans les pays d‟Afrique noire


francophone, la subordination du pouvoir
réglementaire local au pouvoir national en
législation et la réglementation en vigueur, le
rapport avec la substitution d‟office, se fait
Ministre chargé des collectivités territoriales, saisi
de façon directe. Il faut relever qu‟elle est
par le représentant de l’Etat, après mise en
explicitement consacrée au Cameroun et au
demeure, peut y faire procéder d’office. Lorsqu’il
Sénégal, alors qu‟elle découle plutôt d‟une s’agit d’une mesure présentant un intérêt
interprétation des textes gabonais. L‟article intercommunal, le Ministre chargé des collectivités
54 du code des collectivités locales du territoriales, saisi par le représentant de l’Etat,
Sénégal dispose clairement que : « Dans le peut se substituer, dans les mêmes conditions, aux
cas où le président du conseil régional maires des communes intéressées. ». L‟article 82 al
refuse ou néglige d’accomplir un des actes 1 et 3 dispose également que : « Dans le cas où le
qui lui sont prescrits par la loi ou les président du conseil régional refuse ou néglige
règlements ou qui s’imposent absolument d’accomplir un des actes qui lui sont prescrits par
dans l’intérêt de la région, le Ministre des la législation ou la réglementation en vigueur ou
collectivités, après l’en avoir mis en qui s’imposent absolument dans l’intérêt de la
demeure, peut y faire procéder d’office région, le Ministre chargé des collectivités
(…) Lorsqu’il s’agit d’une mesure territoriales, après mise en demeure, peut y faire
présentant un intérêt régional, le Ministre procéder d’office, conformément à la loi
chargé des collectivités locales peut se d’orientation de la décentralisation. (…) Lorsqu’il
substituer, dans les mêmes conditions, aux s’agit d’une mesure présentant un intérêt
présidents des conseils régionaux interrégional, le Ministre chargé des collectivités
intéressés ». Le législateur camerounais territoriales peut se substituer, dans les mêmes
reprend mots pour mots les dispositions du conditions, aux présidents des conseils régionaux
code sénégalais.147 La loi organique intéressé ».
148
L‟article 20 de cette loi organique dispose
expressément que : « Lorsqu’une collectivité locale
145
Ibid., p786. ne remplit plus les critères de son existence,
146
On lira utilement PLESSIX Benoît, « Le pouvoir l’autorité de tutelle constate sa disparition et
de substitution d‟action »,in P. COMBEAU, Les propose sa suppression ». La question qu‟on peut
contrôles de l’Etat sur les collectivités territoriales se poser est celle de savoir comment sont gérées les
aujourd’hui, Paris, L‟harmattan, coll, Logiques, affaires courantes, la collectivité ayant été
2007 p.67et s. supprimée. Le texte gabonais est silencieux sur
147
L‟article 96 alinéa 1et 2 de la loi n° 2004/018 cette question mais ont peut tout de moins imaginer
fixant les règles applicables aux communes que : que l‟autorité réglementaire compétente va se
« Dans le cas où le maire refuse ou s’abstient de substituer à la collectivité locale pour assurer la
poser des actes qui lui sont prescrits par la continuité du service public local.

- 102 -
action.149 L‟hypothèse des pouvoirs substitution d‟office bénéficie d‟un
implicites150 est ainsi difficilement admise domaine de compétence très étendu. En
dans le contexte africain du fait des effet, il est généralement prévu pour
nécessités de préservation de l‟Etat. indiquer la catégorie d‟actes pouvant
actionner une substitution d‟office la
Il s‟agit ensuite de l‟intérêt de la phrase « les actes prévus par la
collectivité locale c'est-à-dire un intérêt réglementation en vigueur ». En réalité, les
local devant impulser son développement collectivités territoriales sont habilitées à
économique.151 Il faut qu‟il y ait eu une édicter des actes dans des domaines aussi
mise en demeure valant sommation variés que financiers et non financier.154 Il
d‟exécuter pour l‟autorité locale, la libre s‟agit à l‟analyse de tous les domaines de
administration n‟étant pas synonyme de compétences des collectivités locales. Une
libre réglementation152, et enfin un intérêt telle situation suffit à conclure que la
consécutif à la coopération décentralisée au substitution d‟office au lieu d‟être une
plan national. Jean Bénoit peut donc à juste mesure d‟exception induit une véritable
titre affirmer relativement à la substitution administration prête à intervenir en lieu et
d‟office directe qu‟elle permet d‟assurer place de la collectivité locale. Elle remet
« la pleine compétence pour prendre la ainsi en cause l‟essence de la
mesure qu’impose la loi. Si, après rappel décentralisation c'est-à-dire une autonomie
de son obligation d’agir, la collectivité reconnue aux entités locales.
locale refuse de prendre les mesures
nécessaires, c’est elle-même qui ne La volonté des autorités réglementaires
respecte pas sa compétence, et se met en étatiques de préserver les principes
situation illégale »153. fondamentaux de l‟Etat et de s‟assurer que
la décentralisation est au service des
En outre, la lecture combinée des lois populations locales et en toute logique de
des trois pays permet d‟affirmer que la l‟Etat justifie un domaine d‟action aussi
consistant. L‟octroi d‟un pouvoir presque
149
CARRE DE MALBERG affirme à juste titre que illimité, du fait du domaine d‟action non
« si le règlement ne peut rien faire sans une limité de la substitution d‟office aux
habilitation législative, il peut tout faire moyennant autorités réglementaires étatiques
cette habilitation ». R. CARRE DE MALBERG, nonobstant l‟existence de certaines
Contribution à la théorie générale de l’Etat, Sirey, conditions, apparaît comme une
Paris, 1962, Tome 1, p585. manifestation d‟une subordination
150
B. FAURE, « La crise du pouvoir renforcée des collectivités locales.
réglementaire : entre ordre juridique et pluralisme
institutionnel », AJDA., 1998, p.549. L‟auteur Pa ailleurs, la question de la nature des
affirme clairement que : « le pouvoir actes édictés dans le cadre de la
réglementaire se passe donc d’habilitation parce substitution d‟office demeure. S‟agit-il
qu’il est spontané inhérent à l’organisation
d‟un acte national parce que édicté par les
administrative et sociale »
151 autorités nationales ou plutôt d‟un acte
M. LONG, « Développement économique et
local édicté par les autorités réglementaires
développement local », in Mélanges en l’honneur
nationales dans le domaine de compétence
de Jean-Claude DOUENCE : Les profondeurs du
droit local, Dalloz, 2006, pp.315-327.
des autorités locales ?
152
L. FAVOREU, Libre administration et principes
constitutionnels, op cit p73. La réponse à cette question peut
153
J. BENOIT, Théorie juridique de la sembler difficile dans la mesure où la
décentralisation administrative en France, Thèse
154
pour le Doctorat, Université Paris 2, 1990, p593. Voir Supra p15. et s.

- 103 -
qualification d‟un acte peut être liée à son engagée que si les conditions de forme et
auteur. Dans cette logique, les actes édictés de fond sont réunies. A cette logique de
dans le cadre d‟une substitution d‟office subordination des collectivités locales
deviendraient des actes nationaux.155 Par s‟ajoutent des mécanismes de contrôle.
contre, si la question est abordée sous
l‟angle téléologique, c'est-à-dire de la B- Un pouvoir contrôlé.
finalité, on comprendra que le règlement
édicté vise à satisfaire un besoin local du L‟encadrement des collectivités locales
fait du domaine d‟action qui est lui-même se matérialise également par le contrôle
local. En tout état de cause, l‟acte exercé sur les collectivités locales. Il s‟agit
administratif bien qu‟édicté par les d‟éviter que les autorités décentralisées
autorités réglementaires nationales n‟édictent des actes préjudiciables à l‟unité
demeurera local parce que intervenant dans socle de tout Etat décentralisé. D‟ailleurs
un domaine local pour d‟ailleurs corriger la le Professeur Pascal COMBEAU indique
défaillance des autorités locales qui en clairement que « La notion même de
refusant d‟agir ont commis une illégalité. décentralisation ne peut se concevoir sans
un contrôle des collectivités territoriales
En outre, on peut s‟interroger sur par l‟Etat ».156Le contrôle institué par les
l‟autorité responsable des préjudices trois pays est dual puisqu‟il est exercé par
causés par des actes consécutifs à une les autorités réglementaires étatiques (1), et
substitution d‟action. En effet, il peut par le juge administratif (2).
arriver qu‟à la suite d‟une substitution
d‟office, des préjudices énormes soient 1- Le contrôle des collectivités
causés aux administrés par les actes locales par les autorités
édictés. Dans une telle hypothèse les règles réglementaires étatiques.
régissant le contentieux administratif
apparaissent comme une source de Il constitue « une arme donnée au
solution, l‟auteur de l‟acte étant une pouvoir central à l’encontre des autorités
personne morale de droit public. Dans une décentralisées ».157 L‟intervention des
telle situation, la détermination des autorités réglementaires supérieures a pour
responsabilités tient d‟abord compte de objectif de protéger la collectivité contre-
l‟auteur de l‟acte. Il s‟agit de l‟autorité elle-même, contre ses dirigeants et contre
ayant édictée l‟acte administratif unilatéral les tiers avec qui elle entre en rapport.158
ayant causé un préjudice à un administré. Les autorités réglementaires agissant de
Bien qu‟ayant agi pour le compte de la façon pyramidale, le contrôle se fera aussi
collectivité locale dans le cadre d‟une bien au niveau central qu‟au niveau local.
substitution d‟action, l‟autorité
réglementaire centrale demeurera Selon EISENMANN, « le contrôle
responsable des conséquences desdits actes (étant) essentiellement une vérification de
à charge pour elle de se retourner contre la conformité d’objet à un modèle, à un type,
collectivité territoriale décentralisée. Le
critère mis en avant ici est organique parce 156
P. COMBEAU, Le contrôle de l’Etat sur les
qu‟il permet de rattacher l‟acte querellé à collectivités territoriales aujourd’hui, op. cit., p.1
une autorité. Il est logique d‟affirmer que 157
R. MASPETIOL, P. LAROQUE, La tutelle
la responsabilité de l‟Etat ne pourra être administrative, Sirey, 1930, cité par G. DUPUIS ,
M.J. GUEDON, Droit administratif, Armand Colin,
155
B.FAURE, « « Règlements locaux et règlements Paris, 1992, p206.
158
nationaux », Nouveaux cahiers du Conseil G. MELLERAY, La tutelle de l’Etat sur les
constitutionnel, N°42, Janvier, 2014, p43 communes, Sirey, 1982, p.44.

- 104 -
à une norme »159, il permet de vérifier que portant orientation de la décentralisation au
l‟action d‟une entité, d‟un organe ou le Cameroun désigne deux autorités
contenu d‟une norme ne sont pas contraires réglementaires ayant pouvoir sur les actes
à une norme, un organe voire à une entité locaux ; le Président de la République et le
supérieure. Pour s‟assurer que les principes Ministre des collectivités territoriales
fondamentaux de l‟Etat unitaire160 ne sont décentralisées. Le Gabon164 et le
pas remis en cause, les constituants des Sénégal165 font du Ministre des
Etas unitaires décentralisés ont consacré un collectivités locales l‟autorité
contrôle de légalité des actes des administrative chargée d‟accompagner ces
collectivités locales. Le contrôle de entités infra-étatiques.
légalité des actes apparaît comme un
complément indispensable au principe de L‟implication des hautes autorités dans
libre administration des collectivités le processus de décentralisation démontre à
locales. Il vise ainsi à assurer que les suffisance la volonté des Etats d‟Afrique
entités dotées de l‟autonomie ne l‟exercent noire francophone de maîtriser cette
pas en contrariété avec l‟ordre juridique politique publique et éviter tout exercice
national. Il doit maintenir une cohésion, anarchique des compétences transférées.
une synchronie dans les actions mises en Les hautes autorités étatiques se doivent
œuvre avec la politique générale de l‟Etat ainsi de s‟assurer que les actions menées
pour qu‟il n‟y ait pas des divergences par lesdites collectivités sont en cohérence
fondamentales parce que comme le disait avec les politiques publiques étatiques,
HAURIOU, « la décentralisation est une les compétences dans les matières
manière d’être de l’Etat »161. économiques, sociales, sanitaires,
éducatives et sportives leur étant
Les législateurs des trois Etats ont ainsi transférées. Les autorités réglementaires
renforcé les marges de manœuvre du centrales sont ainsi dans une posture de
pouvoir réglementaire national sur le surveillance des actes posés par les
pouvoir réglementaire local, au point de organes délibérants et exécutifs des
faire dire à certains auteurs que la collectivités locales.
décentralisation était inachevée162 et qu‟on
naviguait dès lors entre décentralisation et Ainsi, en cas d‟accomplissement d‟actes
centralisation163. L‟article 66 al 2 de la loi contraires à la Constitution, d‟atteinte à la
sécurité de l‟Etat, à l‟ordre public166, ou
d‟impossibilité de fonctionnement
159
C. EISENMANN, Centralisation et normal167, le conseil municipal ou le
décentralisation, Paris, LGDJ., 1948, p167. conseil régional peut être suspendu par
160
Infra arrêté du Ministre chargé des collectivités
161
M. HAURIOU, «Etude sur la décentralisation », territoriales ou dissout par décret du
in Répertoire de droit administratif, Paris ed
Dupont cité par B. FAURE, Le pouvoir
réglementaire des collectivités locales, op. cit., p14
162 164
V. GARANDEAU, La décentralisation au Article 244 de la loi organique n°15/96 du 6 juin
Gabon : une réforme inachevée, l‟harmattan, 2010, 1996 relative à la décentralisation
165
245p. Articles 53 et 54 de la loi n°96-06 du 22 mars
163
H. KOUOMEGNE NOUBISSI, Décentralisation 1996
166
et centralisation au Cameroun. La répartition des Cas du droit Camerounais, lois de 2004 fixant
compétences entre l’Etat et les collectivités locales, les règles relatives aux communes et aux régions
167
Paris, L‟Harmattan, 2013, 495p ; I. DIALLO, Le C‟est le seul motif donné par le code sénégalais.
droit des collectivités locales au Sénégal, Paris, Ce motif est également présent dans la législation
L‟Harmattan, 2007, 378p. camerounaise.

- 105 -
Président de la République168. Dans une A ce niveau, il est opéré par le
telle situation, une délégation spéciale est représentant de l‟Etat172 ou par le
instituée chargée d‟assurer une gestion gouverneur et le préfet désignés autorités
durable de la commune169, et d‟expédier de tutelle. Pierre angulaire dans la
les affaires courantes lorsqu‟il s‟agit d‟une surveillance des collectivités locales, le
région170. En droit Gabonais, l‟hypothèse Représentant de l‟Etat exerce un double
d‟une suppression de la collectivité locale contrôle puisqu‟il est à la fois a priori et a
par l‟autorité administrative est posteriori.
171
évoquée , sans précision claire des motifs
de ladite suppression encore moins des S‟agissant tout d‟abord du contrôle a
conséquences d‟une telle situation. Mais il priori, il faut relever qu‟il est exercé avant
ressort de l‟interprétation large des textes l‟entrée en vigueur de l‟acte administratif
qu‟une collectivité locale peut être amenée local. Les législateurs des trois Etats ont
à ne plus fonctionner normalement si entre ainsi maintenu le principe de l‟approbation
autres choses, elle édicte des actes préalable qui permet à l‟autorité
contraires à la Constitution, qui la réglementaire nationale d‟autoriser
détournent de la mission qui lui été l‟entrée en vigueur des actes des autorités
assignée, contraignant ainsi les autorités de locales. L‟article 70 al 1 de la loi
tutelle à proposer sa suppression. Les d‟orientation de la décentralisation du
textes particuliers attendus depuis près de Cameroun dispose clairement que «(…)
deux décennies permettront certainement demeurent soumis à l’approbation
de mieux clarifier cette situation. préalable du représentant de l’Etat (…)
les budgets initiaux, annexes, les comptes
In fine, il faut relever que les autorités hors budget et les autorisations spéciales
réglementaires centrales n‟exercent qu‟une de dépenses, les emprunts et garanties
infime part du contrôle des actes locaux, la d’emprunts, les conventions de
partie importante étant confiée aux entités coopération internationale ; les affaires
réglementaires inférieures. domaniales ;les garanties et prises de
participation, les conventions relatives à
l’exécution ou au contrôle des marchés
publics, les délégations de services publics,
168
Il s‟agit des articles 46 et 47 de la loi n°2004/018 les recrutements de certains
du 22 Juillet 2004 fixant les règles applicables aux personnels (…) ». Le législateur sénégalais
Communes et des articles 48 et 50 de la loi abonde dans le même sens173. En regardant
n°2004/018 du 22 Juillet 2004 fixant les règles la liste des matières concernées, on peut se
applicables aux régions.
169
rendre compte qu‟il s‟agit de la raison
C‟est le décret présidentiel qui suspend la d‟être d‟une collectivité locale. Le Pr
commune qui forme également la délégation MADIOR FALL, fait justement remarquer
spéciale. Elle est composée de trois ou huit
s‟agissant du code des collectivités locales
membres en fonction du nombre d‟habitant.
de son pays que cette persistance du
Article56 et 57 de la loi relative à la Commune
170 contrôle a priori concernant « les actes
Articles 50, 51 et 52 de la loi relative à la
Région au Cameroun. Il faut préciser qu‟au
172
Sénégal, la dissolution ne peut être prononcée par Les législateurs Camerounais et Sénégalais ont
décret qu‟après avis du Conseil d‟Etat. expressément consacré le Représentant de l‟Etat
171
L‟article 20 de la loi de 1996 relative à la comme autorité chargé du contrôle au niveau local,
décentralisation dispose expressément que alors que les textes gabonais désignent le
« Lorsqu’une collectivité locale ne remplit plus les gouverneur et le préfet comme autorité de tutelle.
173
critères de son existence, l’autorité de tutelle Article 336 du code des collectivités locales du
constate sa disparition et propose sa suppression ». Sénégal

- 106 -
essentiels pour ne pas dire vitaux »174 d‟annulation dès lors que le refus de
« doit amener à nuancer l’étendue de la l‟approbation est synonyme d‟une
liberté octroyée aux collectivités annulation masquée de l‟acte, celui-ci ne
locales »175. Il s‟agit d‟un véritable pouvoir pouvant entrer en vigueur sans « ce quitus
de veto176. La loi portant décentralisation de légalité ». ce d‟autant plus qu‟il est
au Gabon fait de l‟approbation préalable la accompagné d‟un contrôle a posteriori.
condition sine qua non de toute
coopération décentralisée avec l‟extérieur Le contrôle a posteriori permet au
du Pays. 177 représentant de l‟Etat de vérifier la légalité
de l‟acte après son entrée en vigueur. Il est
Il apparaît normal d‟affirmer à le pendant « du principe de l’exécution de
l‟analyse des corpus législatifs que ledit plein de droit des actes des autorités
contrôle porte à la fois sur la forme et sur locales ». Il peut se faire par le biais d‟une
le fond, les actes en question étant des obligation de transmission des actes au
actes administratifs bien que locaux. représentant de l‟Etat. Elle est consacrée
L‟objectif du contrôle est finalement par tous les législateurs. L‟article 68 al 1
d‟identifier « les vices susceptibles de la loi camerounaise d‟orientation
d’affecter la légalité des actes précise que les actes pris par les
administratifs »178. Le représentant de collectivités territoriales sont transmis au
l‟Etat apparaît comme « une sorte de représentant de l‟Etat auprès de la
premier filtre de la légalité », avant collectivité locale concernée, lequel en
l‟action éventuelle du juge administratif, délivre aussitôt accusé de réception. Le
dès lors qu‟il est appelé à rechercher tous texte régissant la décentralisation au Gabon
les éléments notamment l‟intérêt pour agir n‟en dit pas moins181, rejoignant ainsi le
179
incompétence, le détournement de code des collectivités locales du
pouvoir, la violation des lois et règlements, Sénégal.182 Le refus de toute transmission
le vice de forme et de procédure, peut conduire à la suspension de l‟acte,
susceptibles d‟engager la nullité d‟un acte qu‟il s‟agisse des délibérations des
180
administratif devant le juge assemblées locales ou des arrêtés des
administratif. Le contrôle a priori de exécutifs locaux.
légalité des actes apparaît comme une épée
de Damoclès sur les collectivités Bien plus, les actes transmis au
territoriales susceptible de paralyser dans représentant de l‟Etat peuvent faire l‟objet
une certaine mesure leur fonctionnement. en cas de vice d‟illégalité constaté d‟un
Il peut même s‟apparenter à un pouvoir déféré d‟office183 devant le juge
administratif184. Le déféré est une
174
I. MADIOR FALL, « Le contrôle de légalité des
181
actes des collectivités locales au Sénégal », Afrilex, Il s‟agit des articles 90, 103 et 245
182
n°5, Juin 2OO6, p86. Article 334
175 183
Ibid. p86. Sur le déféré préfectoral en France, on lira A.
176
I. DIALLO, Le droit des collectivités locales, MARCEA, M. VERPEAUX, « Le contrôle des
op. cit., p.145. actes des collectivités territoriales : la mission
177
Article 218 de la loi organique constitutionnelle du représentant de l‟Etat (à propos
178
R. CHAPUS, Droit administratif général, 15 éd, de l‟arrêt du conseil d‟Etat du 28 février 1997,
tome 1, Montchrestien, 2001, p.1019. Commune du Port). Recueil Dalloz, 1998, pp409-
179
Article 74 loi d‟orientation de la décentralisation 416.
184
au Cameroun Le déféré d‟office en droit sénégalais se fait
180
M. KAMTO, Droit administratif processuel du devant le conseil d‟Etat. Il est régi par l‟article 337
Cameroun, PUC., 1990, 256p. du code des collectivités locales. Au Gabon les

- 107 -
technique juridique permettant au communication des irrégularités de l‟acte
Représentant administratif de déférer à la transmis, participe du rôle pédagogique de
juridiction administrative compétente les l‟autorité chargée du contrôle qui informe
actes à lui transmis et entachés d‟illégalité l‟autorité locale des défaillances de l‟acte,
dans un délai d‟un mois à compter de leur à charge pour elle de les intégrer. C‟est
date de réception185. Il faut dire que les d‟ailleurs dans cette logique qu‟intervient
législateurs Sénégalais et camerounais la possibilité de demande d‟une seconde
laissent la possibilité à l‟autorité en charge lecture. La demande de seconde lecture
du contrôle de communiquer les différentes peut aussi être implicitement considérée
irrégularités de l‟acte aux autorités locales. comme un pouvoir de réformation reconnu
Loin de devenir une technique explicite du au Représentant de l‟Etat. En effet, elle
contrôle a priori 186, l‟exigence légale de la vise à amener les autorités locales à revoir
certains éléments de l‟acte pour pouvoir à
termes bénéficier d‟ « un certificat de
juridictions administratives sont compétentes au conformité » déclencheur de l‟entrée en
sens de l‟article 243 pour connaître de ce type
vigueur de l‟acte. En réalité, l‟autorité
d‟action. Tel est également le cas du Cameroun au
administrative en charge du contrôle a le
dire de l‟article 70 al 2 de la loi d‟orientation.
185 choix entre demander une seconde lecture
En droit sénégalais, l‟article 334 du code
pour obtenir des autorités locales une
énumère les actes pouvant faire l‟objet d‟un déféré
parce que devant être obligatoirement transmis au
« réformation » de l‟acte ou alors engager
Représentant de l‟Etant : les délibérations des
une action devant le juge administratif par
conseils ou les décisions prises par délégation des le biais du déféré d‟office. Même si
conseils, les actes à caractère réglementaire pris par « dans la pratique, le déféré n’entraine pas
les collectivités locales dans tous les domaines qui systématiquement l’annulation de l’acte
relèvent de leur compétence en application de la loi, incriminé, le juge étant naturellement
les convention relatives aux marchés ainsi que les souverain en la matière »187, il faut relever
conventions de concession ou d‟affermage de que « la simple menace d’un déféré suffit
services publics locaux à caractère industriel ou souvent à conduire à son retrait par la
commercial ;les décisions individuelles relatives à collectivité »188.
la nomination, à l‟avancement de grade ou
d‟échelon d‟agents des collectivités locales ;les Pourtant, au Cameroun, on peut noter
décisions individuelles relatives aux sanctions que le Représentant de l‟Etat dispose
soumises à l‟avis du conseil de discipline et au encore d‟un véritable pouvoir explicite
licenciement d‟agents des collectivités locales. Le d‟annulation des actes des collectivités
législateur camerounais procède par élimination. territoriales. Il s‟agit d‟une survivance du
Pour luis hormis les actes soumis à l‟approbation pouvoir d‟annulation des actes des
préalable, tous les autres doivent faire l‟objet d‟une collectivités locales jadis admis sous
transmission et peuvent faire l‟objet d‟un déféré
d‟office. L‟article 242 de la loi gabonaise est
silencieuse sur la question. Il se limite à que la observations faites devaient être intégrée avant
tutelle de l‟Etat sur les collectivités locales se l‟entrée en vigueur dudit acte. H. KOUOMEGNE
traduit essentiellement par un contrôle exercé sur NOUBISSI, Décentralisation et centralisation au
les actes, sans indiqué le type de contrôle et la Cameroun, op cit p.311.
187
catégorie d‟actes soumis au contrôle. J-B. AUBY, J-B. AUBY, R. NOGUELLOU,
186
C‟est le point de vue de Hilaire KOUOMEGNE Droit des collectivités locales, P.U.F., Paris, 4éd,
NOUBISSI qui affirme que l‟exigence légale de 2008, p324.
188
communication des irrégularités prévues par J. KANKEU, « L‟autonomie des collectivités
l‟article 71 al 1 de la loi d‟orientation au Cameroun territoriales décentralisées : quelle autonomie »,
peut être assimilée à une approbation préalable de Juridis périodique, n°85, Janvier-Février-Mars
l‟acte, le législateur ne précisant pas si les 2011, p.93

- 108 -
l‟égide de la loi sénégalaise de 1966 La libre administration des collectivités
portant code de l‟administration locales induisant un pouvoir réglementaire
189
communale et de la loi camerounaise de s‟appliquant à un territoire bien délimité
1974.190 L‟article 71 al 4 de la loi doit également tenir compte du respect du
d‟orientation de la décentralisation principe de l‟égalité des citoyens devant la
camerounaise dispose expressément que loi et des libertés publiques. En réalité, il
« (…) le représentant de l‟Etat peut annuler se pose également le problème des limites
les actes des collectivités territoriales du pouvoir réglementaire local. En effet, ce
manifestement illégaux, notamment en cas pouvoir qui a des limites géographiques
d‟emprise ou de voie de fait, (…) ». Les biens déterminées doit dans sa mise en
sanctions sus-indiquées constituent une œuvre éviter de créer des discriminations
dérogation aux principes de l‟approbation graves entre les citoyens d‟un même Etat
préalable et de la transmission. L‟autorité soumis eux mêmes au principe de l‟égalité
administrative chargée du contrôle jouit devant la loi. Les autorités réglementaires
ainsi des pleins pouvoirs pour assurer la locales doivent ainsi dans l‟exercice de
protection des libertés publiques et leur pouvoir respecter les libertés
neutraliser ainsi toute tentative de voie de publiques garanties par le législateur et
fait et d‟emprise. Le pouvoir d‟annulation aussi le sacro-saint principe d‟égalité des
ainsi reconnu à l‟autorité en charge du citoyens devant la loi. La libre
contrôle n‟est pas incompatible avec la administration n‟induit pas la capacité pour
possibilité accordée aux collectivités les collectivités locales d‟édicter des actes
locales d‟engager une action contre les sans limites.
actes querellés devant le juge administratif.
Le code des collectivités locales du
Le pouvoir réglementaire local est Sénégal en son article 337 prévoit
inexorablement un pouvoir encadré l‟exercice du déféré d‟office au profit du
puisqu‟il est contrôle par le pouvoir représentant de l‟Etat. La loi d‟orientation
réglementaire national. Ce contrôle de la décentralisation du Cameroun en son
administratif peut parfois s‟avéré article 71 al 2 dispose expressément que
inefficace d‟où l‟instauration d‟un contrôle « le représentant de l’Etat défère à la
juridictionnel des actes des autorités juridiction administrative compétente les
locales. actes prévus (…) qu’il estime entachés
d’illégalité, dans un délai maximal d’un
2- Le contrôle par le juge mois à compter de la date de leur
administratif réception ».191 Il s‟agit des actes qui ne
peuvent pas être annulés par le
Pour s‟assurer du respect de ces Représentant de l‟Etat.
principes socle de l‟Etat unitaire, les
législateurs des différents Etats ont laissé Le juge administratif apparaît
la possibilité au représentant de l‟Etat dans finalement comme un ultime arbitre dans
la collectivité locale de soumettre les actes un conflit qui opposerait les collectivités
qui porteraient atteinte à l‟indivisibilité de locales et le Représentant de l‟Etat. Il « se
l‟Etat, à l‟unité de la souveraineté et à trouve (…) investi de l’honneur d’être le
l‟intégrité du territoire au contrôle du juge
administratif. 191
La loi organique n°15/96 du 6 juin 1996 relative
à la décentralisation au Gabon prévoit en son article
189
Loi n°66-64 du 30 juin 1996 portant code de 243 attribue l‟exclusivité de la compétence pour
l‟administration communale connaître des actes des collectivités locales aux
190
Loi de 1974 portant organisation communale juridictions administratives et de comptes.

- 109 -
seul gardien de la légalité »192. Le contrôle catégorie d‟acte193. M. Ibrahima Diallo
du juge va consister à vérifier la légalité parlant du Sénégal peut donc conclure qu‟
externe et interne desdits actes afin de « il existe (…) une filiation naturelle
s‟assurer qu‟ils ne remettent pas en cause horizontale entre recours pour excès de
les principes sacrés d‟un Etat unitaire. Le pouvoir et défère du représentant de
juge est ainsi saisi par l‟autorité l’Etat ».194
administrative non pas sur la base d‟un
recours pour excès de pouvoir ordinaire Pourtant, sur le plan substantiel, il faut
c'est-à-dire l‟hypothèse d‟un acte bien relever qu‟il s‟agit bien de deux voies
administratif contesté par un administré, de recours différentes. Cette différence est
mais sur la base d‟un défère administratif. assise sur trois éléments fondamentaux. Il
Il donne la possibilité à une autorité de s‟agit d‟abord de la non application au
tutelle de soumettre les actes d‟une autorité requérant des conditions de recevabilité du
sous tutelle au juge administratif lors recours pour excès de pouvoir dans une
qu‟elle suspecte ceux-ci d‟être frappée procédure de déféré. En effet, l‟initiateur
d‟illégalité. Le contrôle du juge de la requête étant le représentant de l‟Etat,
administratif peut déboucher soit sur il va de soit qu‟il sera exonéré de certaines
l‟annulation de l‟acte, à charge pour la conditions de recevabilité de la requête
collectivité locale d‟en tirer toutes les notamment le recours gracieux préalable,
conséquences, soit alors sur la validation la qualité et l‟intérêt pour agir.
de l‟acte et l‟obligation pour le
représentant de l‟Etat d‟en délivrer Il s‟agit ensuite du « sursis à exécution
l‟accusé de réception condition sine qua automatique »195 c'est-à-dire de
non de son inscription dans le commerce l‟obligation pour le juge administratif
juridique. d‟accorder le sursis à exécution à la
demande du représentant de l‟Etat.
En outre, la question relative à la nature L‟article 338 du code des collectivités
juridique du déféré du représentant de locales du Sénégal dispose expressément
l‟Etat peut être posée. Peut –on assimiler le que « le représentant de l’Etat peut
déféré à un recours en annulation ou de assortir son recours d’une demande de
pleine juridiction ? La réponse à cette sursis à exécution. Il est fait droit à cette
question mérite une analyse méthodique et demande si l’un des moyens invoqués dans
nuancée. En effet, il est évident de la requête paraît, en l’état de l’instruction,
constater que formellement au Cameroun sérieux et de nature à justifier l’annulation
et au Sénégal, le déféré s‟apparente à un de l’acte attaqué ».Cette disposition est
recours en annulation. Cette assimilation reprise intégralement par le législateur
est la conséquence de l‟identité des délais camerounais précisément dans l‟article 72
de recours entre le recours pour excès de al 1 de la loi d‟orientation. L‟obligation qui
pouvoir et le déféré, mais aussi et surtout pèse ainsi sur le juge administratif
par la nature des actes pouvant être portés
devant le juge administratif. Les 193
Sur une autre catégorie d‟actes exclue, on lira
législateurs sénégalais et camerounais
utilement J-M PONTIER, « L‟infra- réglementaire,
parlent expressément des actes puissance méconnue », AJDA, 2014, pp1251-1256.
administratifs locaux et des contrats 194
I.DIALLO, Le droit des collectivités locales au
administratifs, ce qui exclut toute autre Sénégal, op.cit., p175
195
S.MARTIN, Le Contrôle a posteriori de la
légalité des actes des collectivités locales, Berger-
192
D. CHABANOL, « Décentralisation et juge Levrault, 1990, coll. « Administration locale »
administratif », AJDA, fév. 1983, p73 ; p.216.

- 110 -
d‟accorder le sursis à exécution permet autonomie administrative et financière. Ce
ainsi de différencier le déféré du pouvoir a pour objectif de doter lesdites
contentieux de l‟annulation dès lors qu‟elle entités de la capacité d‟édicter des normes
« remet en cause partiellement les générales et impersonnelles de nature à
principes classiques du sursis en réduisant faciliter l‟exercice des compétences à elles
(…) la marge d’appréciation du juge pour transférées. Mais pour éviter qu‟il n y ait
le sursis »196. Il s‟agit enfin de la limitation des dérives dans son exercice, le pouvoir
temporelle de l‟action du juge. L‟article 71 réglementaire local est soumis à un
al 3 de la loi d‟orientation de la encadrement juridique rigoureux. Il se
décentralisation au Cameroun permet à la manifeste par sa subordination et son
juridiction administrative saisie par le contrôle. Les multiples limitations ainsi
représentant de l‟Etat de rendre sa décision observées démontrent simplement la
dans un délai maximal d‟un mois. Le volonté du législateur de maintenir les
législateur Sénégalais abonde dans le collectivités locales dans le statut d‟entité
même sens197. La dérogation du déféré par infra-étatique et non concurrente. Cet
rapport au droit commun du contentieux encadrement presque généralisé du pouvoir
administratif est davantage perceptible en réglementaire local par le pouvoir central
matière de liberté fondamentale. En fait, et le juge administratif est suffisant pour
les lois camerounaise198 et sénégalaise199 conclure que les politiques de
prescrivent à la juridiction administrative, décentralisation en Afrique noire
précisément son président ou un de ses francophone sont engagés dans un
membres délégué de prononcer un sursis à processus de maturation qui a encore du
exécution dans un délai maximal de 48h le chemin. Ainsi, dans l‟exercice de leur
sursis à exécution. pouvoir, les collectivités locales doivent
s‟abstenir de porter atteinte à
Au total, il faut se rendre à l‟évidence l‟indivisibilité de la République, une
que le déféré du représentant de l‟Etat est question plus expressive dans les pays
un recours « sui generis ». Il emprunte aux sous la menace des sécessionnismes
règles régissant le contentieux de comme le Cameroun et le Sénégal200. La
l‟annulation, tout en gardant ses limitation des collectivités locales à ce
spécificités qui permettent de le principe apparaît comme des garde-fous
différencier des autres et d‟établir son pour protéger l‟Etat. Il faut in fine relever
originalité. que la décentralisation par le biais du
pouvoir réglementaire local, tout en
Les Etats d‟Afrique noire francophone respectant les principes fondamentaux
notamment le Cameroun, le Gabon et le parviendra ainsi à construire des Etats de
Sénégal ont consacré le pouvoir droit dans lesquels des solutions sont
réglementaire local. Il est la conséquence trouvées aux problèmes de sous
logique de l‟affirmation constitutionnelle développement des populations locales.
du principe de libre administration des
collectivités locales induisant une

196 200
I. MADIOR FALL, « Le contrôle de légalité des GUIMDO DOGMO (B-R), « La
actes des collectivités locales au Sénégal », op. cit., constitutionnalisation de la décentralisation au
p.101. Cameroun. L‟apport du constituant du 18 Janvier
197
Article 72 al 2 du code des collectivités locales 1996 dans la construction d‟un droit constitutionnel
198
Article 338 de la loi d‟orientation de la des collectivités territoriales décentralisées », Revue
décentralisation générale de droit Québec, 1998, Tome29, pp.79-
199
Article 338 al 2 du code des collectivités 100.

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