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Carolin Patzelt

11 Les analytismes
Abstract : La contribution prétend décrire les fonctions des analytismes dans les
   

textes de spécialité. Les analytismes sont entendus comme la dissociation analytique


d’une constituante verbale (ou nominale) en deux unités : un élément fonctionnel et

un élément référentiel. Proposant d’abord une définition des structures linguistiques


appartenant au groupe des analytismes, l’article esquisse ensuite les fonctions tex-
tuelles remplies par les constructions en question. On se focalise avant tout sur les
différences fonctionnelles entre les analytismes et d’autres constructions verbales.
Concernant la possibilité d’exprimer des aspects verbaux, les analytismes sont
comparés aux périphrases verbales. Ensuite, les possibilités textuelles de la partie
nominale des analytismes sont examinées, tout en accentuant les possibilités spécifi-
ques qui transforment l’analytisme en élément caractéristique des textes de spécia-
lité.

Keywords : analytisme, aspect verbal, constructions à verbe support, expressions


   

figées, périphrases verbales, réduction de polysémie

1 Introduction
Un analytisme (AN) est la dissociation analytique d’une constituante (verbale ou
nominale) en deux unités, une unité fonctionnelle et une unité référentielle :  

prouver → constituer une preuve de1


Vx → Vf + N°x

Dans les analytismes verbaux, les termes prédicatifs (ici : preuve) sont des dérivés

morphologiques d’un verbe de base (prouver). On obtient donc un élément nominal


(N°) reproduisant le sens du verbe de base (Vx) ainsi qu’un élément verbal presque
dépourvu de sens : le verbe fonctionnel (Vf).2 En conséquence, le sens lexical des

analytismes est fourni par le deuxième élément de la construction. Du point de vue


syntaxique, par contre, ce deuxième élément dépend du premier, lequel a perdu son
sens lexical original et ne fait que porter les marques de personne et de nombre (cf.

1 Les exemples discutés dans cette contribution sont donnés en français, mais représentent les
structures des langues romanes en général. Si les mécanismes et / ou les fonctions d’autres langues
   

romanes diffèrent de ceux du français, on donnera des exemples additionnels pour ces langues.
2 Aussi connu comme « verbe support ». Dans cette contribution, on préfère le terme « verbe fonction-
     

nel » pour indiquer qu’il s’agit d’un élément qui remplit des fonctions textuelles importantes.

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Les analytismes 247

Vivès 1993, 10) ainsi que l’indication de temps et d’aspect, respectivement l’aktions-
art3 du verbe :  

(1) Jean aborde une étude du projet. Jean commence à étudier le projet.
(2) Jean mène une étude du projet. Jean est en train d’étudier le projet.

Les verbes fonctionnels des phrases (1) et (2) pourraient être remplacés par des
équivalents capables de changer la valeur aspectuelle de la construction. En effet,
selon Maurice Gross, la sélection de verbes fonctionnels acceptables dans un analy-
tisme reste illimitée tant et si bien que la relation entre le sujet et la nominalisation
reste invariable (cf. Gross 1981, 33). Or, comme le démontrent les exemples suivants,
ce ne sont pas seulement des verbes, mais aussi des substantifs qui peuvent subir une
dissociation analytique en deux unités :  

planifier qc → faire la planification de qc AN verbal


production → activité de production AN nominal

Dans les deux cas, c’est le deuxième élément qui contient la signification lexicale,
mais, du point de vue syntaxique, cet élément constitue alors celui qui dépend du
premier élément. L’analogie entre les deux AN est évidente : le AN nominal consiste  

en une division d’un nom de base Nx en deux unités :    

– en un élément nominal portant peu de propre signification, un ‘nom fonctionnel’


(Nf)
– et en un élément nominal identique à Nx, rattaché par un génitif :  

Nx → Nf + de Nx

D’habitude, ce génitif « de Nx » se transforme en adjectif si la langue dispose d’un


   

adjectif synonyme, par ex. : activité de production → activité productive.4 Les nomina-

3 L’aspect verbal se discute dans la littérature scientifique sous des dénominations divergentes :  

Hamplová (1968), par ex., utilise le terme « aktionsart », tandis que Coseriu (1976) parle de « catégories
     

aspectuelles ». Chez Fernández de Castro (1999), on trouve le terme de « sens aspectuel ». Pollak (1960,
     

39) résume une distinction devenue généralement acceptée : « Les aktionsarten modifient le sens
   

lexical du verbe, tandis que l’aspect représente une catégorie nettement syntaxique ». Ainsi, « aktion-    

sart » constitue une catégorie lexico-semantique désignant la manière dont se déroule l’action. Les

sous-catégories d’aktionsart englobent typiquement la phase, la direction, le résultat, la répétition ou


l’emphase d’une action. Le terme « aspect », par contre, est attribué à la morphologie. Il remonte à un
   

terme de la slavistique où il désigne la possibilité de marquer par des structures morphologiques


« chaque verbe dans chaque temps grammatical par des formes morphologiques distinctes » (Klein
   

1974, 77).
4 Pour un corpus d’analytismes nominaux authentiques, cf. Forner (1998, 106).

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lisations peuvent donc subir la transformation analytique et, en outre, une adjectiva-
tion : 

produire → production → activité de production → activité productive.

Les AN verbaux peuvent subir la nominalisation ; on rencontre deux types : dans la


   

plupart des cas, les verbes fonctionnels sont simplement supprimés, générant une
forme identique à la nominalisation du verbe de base : effectuer des corrections → les

corrections ; faire irruption → l’irruption etc. (Forner 1998, 89). Seuls les verbes

fonctionnels prendre et mettre sont eux-mêmes nominalisables : décider → prendre


une décision → prise de décision. Ce résultat, étant nominal, est susceptible, à son
tour, de subir une transformation analytique nominale : prise de décision → processus

de prise de décision. Cette chaîne transformationnelle peut encore être élargie par une
adjectivisation (de Nx → Adj) ; l’adjectivation provoque normalement, si elle est

précédée de plusieurs noms (ici : processus + de prise …), une suppression du nom

intermédiaire (ici : de prise) (cf. Forner 1998, 90).5 – Une longue chaîne de transfor-

mations régulières qui risque d’en camoufler l’origine : décider → prendre une déci-

sion → prise de décision → processus de prise de décision → processus décisionnel. La


partie nominale du AN verbal peut, à son tour, subir une dissociation analytique :  

corriger → effectuer des corrections → prendre des mesures correctives. Il en va de


même pour les verbes relateurs : favoriser → être favorable à → constituer un milieu

favorable à. De telles combinaisons de processus transformatifs sont assez fréquentes


en langue de spécialité (LSP) et font preuve de la productivité des mécanismes
linguistiques décrits. Ces mécanismes seront discutés plus en détail dans les sections
suivantes.

2 Délimitation des analytismes


Le terme analytisme indique donc la dissociation analytique d’une constituante
verbale ou nominale en deux unités. Pourtant, il n’est pas équivalent au terme
allemand Funktionsverbgefüge (‘construction à verbe support’),6 bien qu’il y ait de

5 Pour la fonction des adjectifs relationnels et les problèmes de leur traduction, cf. Frevel (2002).
6 Ci-après abrégé par FVG. Schwall (1991) définit les FVG comme des syntagmes composés d’un
élément verbal et un élément nominal (éventuellement avec un complément prépositionnel). Ces
syntagmes représentent une unité sémantique, remplissant des fonctions prédicatives, par ex. unter
Beobachtung stehen (‘ȇtre placé sous surveillance’, cf. Schwall 1991, 173). Or, la définition des FVG
ressemble beaucoup à celle des analytismes ; FVG et AN ne sont cependant pas identiques, comme on

le verra par la suite. – Pour une définition et description des FVG, surtout discutés dans le cadre de la
philologie allemande, cf. par ex. von Polenz (1963) ; Heringer (1968) ; Schwall (1991) ; Detges (1996).
     

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fortes similarités entre les deux types de construction verbale. Le terme de Funktions-
verbgefüge, FVG, fait l’objet de définitions différentes. Ainsi, par ex., Seifert (2004, 57)
le définit comme prototype des constructions verbales ayant une capacité prononcée
de produire « des séries de commutation avec toutes les composantes ».7 Au-delà de
   

telles « relations libres », Seifert étend ses analyses aux dits phraséolexèmes8 ainsi
   

qu’aux « constructions à verbe support en processus d’idiomatisation »,9 bien qu’il les
   

délimite nettement des constructions considérées comme prototypiques, les FVG


« productifs ».
   

Cependant, beaucoup de chercheurs définissent la catégorie des constructions à


verbe support d’une manière plus restreinte, et, très souvent, en excluant précisément
la catégorie des FVG plus productifs, considérée comme prototypique chez des
auteurs comme Seifert. Büttner (1997, 33ss.), par ex., se prononce en faveur d’une
exclusion des Streckformen (‘constructions rallongées’) de la définition des construc-
tions à verbe support. Ces constructions rallongées désignent des combinaisons d’un
verbe avec une signification très ramifiée avec un nom. Il s’agit souvent d’un nom
dérivé d’un verbe qui peut être rattaché comme un objet direct (par ex. entrer en
relation, entrer en contact, …). Büttner critique, parmi d’autres points, le fait que les
composantes verbales des constructions rallongées portent une signification très géné-

rale, permettant la commutation avec des verbes portant des significations plus
spécifiques, par ex. :  

donner ü
effectuer ý des explications ….
…. þ

Ce sont cependant précisément ces constructions rallongées qui sont capables d’ap-

porter au texte des fonctions discursives centrales, par ex. la distinction d’aktionsart :  

elles dérivent systématiquement d’un verbe de base et leur verbe fonctionnel peut être
généralement substitué par d’autres Vf. En plus, Köhler (1984, 123ss.) réussit à prou-

Pour des approches françaises, notamment celles du « lexique-grammaire », cf. Vivès (1984) ; Giry-
     

Schneider (1987) ; Gross (1989).


7 Ces constructions peuvent apparaître comme des combinaisons [verbe+objet prépositionnel] du


type in Betrieb setzen (‘mettre qc en service’) etc., des combinaisons [verbe+complément d’objet direct]
(Berücksichtigung finden ‘être pris en compte’) ou bien des combinaisons [verbe+sujet] (eine Durchsu-
chung erfolgt ‘une fouille est effectuée’).
8 Les phraséolexèmes se caractérisent par l’impossibilité de produire des séries de Vf. Un changement
du verbe fonctionnel produit un changement de sens de la construction : in Frage kommen ‘entrer en

ligne de compte’ (= berücksichtigt werden ‘prendre qc en considération’), contre in Frage stellen ‘mettre

en doute’ (= bezweifeln ‘douter’).


9 Par ex., Maßnahmen treffen (‘prendre des mesures’) qui n’est pas dérivé d’un verbe de base
*maßnehmen, etc.

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ver que ce sont les constructions rallongées10 qui représentent un trait caractéristique
des textes LSP.11
Un analytisme provient en général d’un verbe de base simple, ce qui exclut les
« constructions à verbe support en processus d’idiomatisation », discutées par Sei-
   

fert.12 Les unités nominalisées (N°) des analytismes sont susceptibles d’admettre les
déterminants courants (article, pronoms démonstratifs, …) ou d’être amplifiées par
des adjectifs ou des compléments circonstanciels : réaliser une étude / des études / une

étude spécifique de.13


Il faut, pourtant, exclure les expressions figées ou unités phraséologiques qui
constituent un phénomène lexical et non grammatical (cf. Forner 1998, 121). Les
expressions figées ne peuvent pas être amplifiées ni provenir d’un verbe de base :  

prendre conscience de / *prendre une conscience de / *conscienter. Et, naturellement, il


ne faut pas confondre les AN avec les « enchâssements nominaux » qui obéissent à un
   

mécanisme syntaxique totalement divergent, cf. Patzelt (2007, 30s.) ; ↗10 Les verbes    

relateurs et l’enchâssement nominal.

3 L’expression de l’aktionsart
Les sections suivantes abordent les fonctions textuelles des AN susceptibles d’expli-
quer leur haute fréquence dans les textes de spécialité. Cette troisième section traitera

10 Comme Büttner, Köhler utilise le terme construction à verbe support comme désignant uniquement
des constructions idiomatiques, bien que celles-ci ne constituent pas nécessairement un trait caracté-
ristique de la langue de spécialité, comme le démontrent des exemples comme faire dodo au lieu de
dormir, etc. Bien au contraire : Köhler montre que le caractère nominal des textes de spécialité repose

avant tout sur les constructions verbo-nominales libres et non pas sur les constructions dénotées
communément comme constructions à verbe support. Selon Köhler, le rapport entre les FVG et des
constructions verbo-nominales libres dans des textes de spécialité est de 1:8 ; ↗13 La fréquence des
   

marques de spécialité.
11 Textes LSP = textes en langue de spécialité. Il faut distinguer entre des « textes spécialisés » et des
     

« textes (en langue) de spécialité ». Dans les textes LSP, un ensemble de règles syntactiques, dont les
   

analytismes font partie, constitue un microsystème particulier qui produit un style fonctionnel,
attribué généralement aux textes spécialisés. Or, la différence entre le style neutre et le style LSP ne
réside pas dans le contenu des textes, mais dans les opérations syntaxiques qui produisent l’impression
d’un texte spécialisé (cf. Patzelt 2007, 50ss.). Au contraire du style LSP, lequel souligne le contenu
scientifique d’un texte ou qui produit, au moins, l’illusion d’un contenu scientifique chez le lecteur, le
style neutre se définit par l’absence d’une impression stylistique spéciale (cf. Forner 1998, 17).
12 Chez Seifert, il est question de constructions telles que Maßnahmen treffen (‘prendre des mesures’)
en allemand dont il n’existe pas de verbe de base synonyme*maßnehmen (‘mesurer’). Par contre, des
constructions comme in Betrieb setzen / nehmen (‘mettre en service’) proviennent d’un verbe de base
correspondant, ici betreiben (‘pratiquer, soutenir’).
13 Or, la possibilité d’amplification des N° n’est pas une condition nécessaire à la définition des
analytismes ; exemple : contacter → être en contact (avec); * être en contacts / être en un contact (avec).
   

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Les analytismes 251

d’abord le potentiel du premier constituant, du verbe fonctionnel ; en effet, le Vf  

marque l’aktionsart de la construction verbale. C’est par ce trait que les analytismes
s’apparentent aux périphrases verbales.14 On verra que celles-ci expriment également
l’aktionsart,15 sans cependant se rattacher à un style spécifique. La quatrième section
examinera les possibilités et particularités du deuxième constituant des AN (verbaux
et nominaux).

3.1 Amélioration du flux d’information

Les analytismes verbaux16 sont considérés comme un élément caractéristique et


particulièrement productif des textes LSP, où ils remplissent une multitude de fonc-
tions différentes (cf. Forner 1994 ; Unverricht 1996). Une de ces fonctions est l’expres-

sion de l’aktionsart du verbe, telle que [début, résultat, …] – fonction que les AN
partagent avec les périphrases verbales. Ainsi, le [début] d’une activité peut s’expri-
mer par les deux constructions :

(3) Jean se met à étudier le sujet. (= périphrase verbale)


(4) Jean procède à l’étude du sujet. (= analytisme)

Il est vrai que ces exemples expriment tous les deux un aspect verbal ingressif. En
plus, les deux constructions représentent une structure analytique très semblable :  

Vf + verbe-en-état-transformé.

Cependant, la structure interne des deux types de construction manifeste aussi des
différences fondamentales qui offrent des indications importantes sur leur distribu-
tion dans les différents genres textuels. Cela concerne d’une part l’expression de la
dimension actionnelle, c’est-à-dire la distinction entre [dynamique] et [statique], ou
bien [+/- dynamique]. Cette opposition repose sur Vx dans la périphrase verbale (5–
6), tandis que dans les analytismes (7–10), elle est dictée par le verbe fonctionnel :  

(5) Il est en train de travailler. [dyn.]


(6) Il est en train de dormir. [stat.]
(7) Il suffit au sous-traitant d’apporter la preuve de sa commande (…). [dyn.]
(8) Cela constitue la preuve de sa commande (…). [stat.]

14 Pour une définition et discussion plus approfondie des périphrases verbales, cf. Dietrich (1997). La
terminologie utilisée ici est celle de Coseriu (1976).
15 Ce qui vaut pour toutes les langues romanes, bien que le système des périphrases verbales soit plus
complexe dans les langues ibéroromanes qu’en français ou en italien (cf. Patzelt 2007).
16 La technique des AN nominaux ne se discutera pas ici. Elle fera l’objet du §4. Pour plus de détails
concernant la technique et l’application du AN nominal, cf. Forner (1994 ; 1998).

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(9) Nous avons établi le contact avec nos clients. [dyn.]


(10) Nous sommes en contact avec nos clients. [stat.]

Cette différence entre les AN et les périphrases verbales entraîne d’autres différences
(discutées en détail dans Patzelt 2007), alors que les phases de l’action verbale17
(commencement/durée/résultat/répétition) s’expriment le plus souvent – et de ma-
nière plus détaillée – par des périphrases verbales.
La raison de cette différence semble résider dans la répartition des fonctions
entre le verbe fonctionnel et le verbe de base (entre Vf et Vx). Les périphrases
verbales n’ont guère de restrictions quant à la différenciation des phases aspectuelles
d’un verbe de base. Évidemment, cette grande flexibilité quant aux possibilités de
combinaison est due au fait que les périphrases verbales disposent d’une distinction
simple mais stricte entre les fonctions remplies par le Vf et celles remplies par le Vx.
Ainsi, le contenu lexico-sémantique de Vx donne la dimension actionnelle de la
construction verbale, tandis que le cadre structurel [Vf + infinitif/ gérondif/ participe]
détermine la dimension du déroulement (= phase aspectuelle). Or, une construction
comme commencer à / se mettre à / procéder à écrire admet des Vf divers, procurant
même des variations dans une seule phase aspectuelle, (ici : le commencement de

l’action), mais il est toujours question du commencement d’une action (= écrire) ; la  

dimension actionnelle ([+ dyn]) est déterminée par le sens lexical du verbe de base
(écrire). La variation du verbe fonctionnel n’apporte donc que des distinctions, même
fines, concernant la phase aspectuelle de l’action. Par contre, elle n’affecte pas la
dimension actionnelle de la construction verbale complète. La séparation stricte
entre la dimension actionnelle, donnée par Vx, et les phases aspectuelles, exprimées
par Vf, permet donc des combinaisons libres entre Vf et Vx. Cela ne vaut pas pour les
analytismes où le Vf ne sert pas seulement à exprimer ou à nuancer une phase
aspectuelle, mais est, à la fois, aussi porteur de la dimension actionnelle de la
construction.
Ce fait conduit automatiquement à des restrictions de combinaison. Entrer en, par
ex., exprime toujours une action ingressive. Par conséquent, ce Vf ne peut être
combiné qu’avec des verbes remplissant le critère d’action [-ponctuel]. Un Vf comme
effectuer, à son tour, exclut d’avance la combinaison avec un nom d’état ([+stat]).
Ainsi, l’expression des phases aspectuelles subit plus de restrictions à l’intérieur des
analytismes que des périphrases verbales. La classe des constructions d’état [-dyn],
par contre, est beaucoup plus différenciée dans les analytismes que dans les périphra-
ses verbales (cf. Patzelt 2007). Les périphrases verbales n’englobent que des construc-
tions reflétant le verbe de base être, tandis que les analytismes sont aussi capables

17 C’est-à-dire les catégories des dimensions de déroulement par contraste aux dimensions actionnel-
les.

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Les analytismes 253

d’exprimer la signification des verbes de base être présent et avoir (avoir, présenter +
N° etc., cf. Patzelt 2007, 122s.). Les périphrases verbales sont donc capables d’accen-
tuer de manière détaillée une partie déterminée de l’action (« dimension de déroule-

ment »). Les analytismes, par contre, disposent d’autres fonctions qui semblent

primer et qui relèvent surtout de la distinction de la dimension actionnelle [+/-dyn].


Par la suite, on examinera ces fonctions plus en détail.

3.1.1 Réduction de la polysémie

Parmi les verbes qui peuvent, selon le contexte, exprimer tant une action qu’un état,
les analytismes offrent la possibilité d’indiquer de toute évidence l’une des deux
significations. Ainsi, apporter une preuve indique une action dans l’exemple (7), c’est-
à-dire qu’il s’agit d’une construction dynamique [+dyn], tandis que constituer une
preuve dans (8) indique un état [-dyn]. Il est évident que c’est le Vf qui est responsable
d’une telle distinction. Or, les analytismes explicitent une distinction que les verbes
de base ne peuvent indiquer que par le contexte :  

Tableau 1 : différenciation action vs. état (Forner 1998, 105)

action état
prouver
apporter une preuve
constituer une preuve

Les analytismes apportent donc – par la variation du verbe fonctionnel – plus de


clarté au texte.
Il faut indiquer que la possibilité de distinction entre action et état ne vaut pas
seulement pour les verbes fonctionnels (AN verbal), mais aussi pour les noms fonction-
nels (AN nominal). Le terme de montage [+dyn], par ex., peut se transformer tant en
opération de montage [+dyn] qu’en phase de montage [-dyn], au gré du contexte qui
peut requérir ou la signification de la réalisation d’un montage ou la place du
montage dans l’arrangement du projet global (cf. Forner 1998, 105).
La différenciation entre action/état/processus constitue la fonction la plus fré-
quente des AN. Il faut cependant mentionner d’autres fonctions. A côté de la différen-
ciation selon le critère [+/-dyn], les analytismes sont capables de différencier des
phases aspectuelles. Le verbe étudier, par ex., exprime toute la gamme possible de
phases aspectuelles, dont la différenciation ne peut être effectuée que par AN (Forner
1998,109) : 

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Tableau 2 : différenciation des phases aspectuelles

verbe → AN verbal fonction


procéder à commencement
étudier → mener {une/des/l’/les} étude(-s) durée
réaliser résultat

Comme le démontre le tableau 2, la signification au départ non différenciée du verbe


de base – tant concernant la dimension actionnelle que la phase aspectuelle – peut
être précisée par des analytismes. Cette fonction semble avoir une importance ma-
jeure dans le style LSP, car beaucoup de verbes simples qui constituent la base des
analytismes sont polysémiques dans le sens précisé.

3.1.2 Les constructions passives et factitives

On lit que les constructions passives, fréquentes dans les textes de spécialité, en
représentent un trait caractéristique. Or, ce qui est représentatif du style LSP, ce sont
les verbes fonctionnels passivisants du type connaître, subir, faire l’objet de + N°, qui
sont d’une fréquence frappante.18
Par analogie avec les constructions de voix active déjà discutées, les analytismes
passifs sont aussi capables de résoudre la polysémie des verbes de base. Ce fait est
important, parce qu’il y a des langues comme le français, dans lesquelles il n’existe
qu’une seule voix passive (être + participe passif).19 Cette voix passive peut signaler
tant des actions que des états, ainsi que « la porte est fermée » peut signifier « qn
     

ferme la porte » ou bien « qn l’a fermée ».20 Les analytismes passifs, par contre,
     

permettent la différenciation entre action et état. La relation entre deux variantes peut
se représenter tant comme action ou processus (= [+dyn]) que comme état (= [-dyn]) :  

(11) L’augmentation des ventes s’est réalisée (…). = action


(12) Les ventes ont connu une croissance (…). = processus21

18 Dans les textes LSP, les analytismes en voix passive ne remplacent pas simplement des formes en
voix passive neutres, mais ils semblent assumer des fonctions propres (cf. Patzelt 2007, 252).
19 Cela ne vaut pas pour l’espagnol, où on fait bien la différence entre ser + part. (action) et estar +
part. (état), ni pour l’italien qui différencie entre venire + part. et essere + part.
20 Une différenciation entre action et état n’est possible que par le contexte, par ex. à travers le choix
du temps grammatical ou le complément d’agent, ou aussi par le passif pronominal.
21 Phrases exemplaires citées d’après Forner (1998, 138). Sauf si indiqué autrement, les exemples de
ce paragraphe sont originaires des textes authentiques constituant le corpus de Forner (1998).

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Les analytismes 255

Les deux dimensions actionnelles disposent de Vf spécialisés. Les [actions] s’expri-


ment alors par des analytismes passifs et/ou pronominaux, selon s’il convient de
mentionner le complément d’agent ou non :  

(13) La modification (du projet…) sera effectuée (par…) = AN passif


(13’) La modification (du projet…) s’effectuera. = AN pronominal

Au-delà de ces constructions, il existe aussi des constructions comme faire l’objet de +
N° pour l’expression de l’action. Les processus, par contre, s’expriment par d’autres
constructions comme subir + N°, connaître + N°, etc. :  

(14) Le projet de loi subira des modifications (regrettables).


(15) Les ventes ont connu une hausse/une baisse.

Dans les textes LSP, l’analytisme pronominal représente le moyen de passivation le


plus fréquent, probablement à cause d’un avantage stratégique par comparaison aux
constructions concurrentes (voix active, voix passive, forme pronominale) : l’analy-  

tisme pronominal permet l’élimination des deux agents nominaux, amenant une
concentration sur l’action, et il transpose la différenciation des phases de l’action, en
analogie avec la voix active :  

(16) L’étude de faisabilité s’aborde / se mène / se réalise en examinant […].

La structure AN se prête également à la transformation factitive, cette diathèse inverse


pour ainsi dire : les Vf mettre en/à, placer qn dans servent à transformer des bases

(verbales ou même prépositionnelles) comportant être ; tandis que les bases formées

avec y avoir ou avoir, relèvent de la compétence des Vf apporter, donner (ou leurs
synonymes) (Forner 1998, 129ss.) :  

(17) être évident, être en place → mettre en évidence, mettre en place


il y a des changements, avoir des informations → amener des changements, fournir des
informations

Grâce à la transformation factitive, ces verbes disposent de toutes les qualifications


pour servir de verbes relateurs ; ou pour transposer – en guise de preuve – le même

énoncé en style LSP : → « Cette transformation met à leur disposition le trait [+causatif]
   

qui est indispensable pour exprimer la relation Cause~Effet » (pour les présupposés

sémantiques des verbes relateurs, voir ↗10 Les verbes relateurs et l’enchâssement
nominal).

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3.1.3 L’extension de l’espace sémantique

Les analytismes ne peuvent pas seulement limiter l’espace sémantique d’un verbe de
base, mais ils sont aussi capables de l’enrichir, une capacité qui concerne les verbes
de changement d’état :  

entrer en [action] ü
contacter (action) → établir (un) [processus] ý contact (cf. Patzelt 2007, 203)
être en [état] þ

Comme le démontre l’exemple du verbe contacter, les verbes de base qui sont limités
à une seule configuration de signification (dans le cas de contacter : [action +  

commencement]), peuvent produire des analytismes capables de différencier systé-


matiquement tant les dimensions actionnelles qu’aspectuelles. Or, les analytismes
ouvrent ici22 un vaste champ sémantique, comme le démontrent aussi les exemples
(9/10) : établir/entretenir un contact (avec) indique une action [+dyn], être en contact

(avec) cependant exprime un état [-dyn]. Par conséquent, les analytismes servent à
amplifier systématiquement les possibilités d’expression de l’aktionsart de l’action
verbale. C’est grâce au verbe fonctionnel et au contraire du verbe de base que les
analytismes sont capables de préciser si la construction verbale indique un processus
ou un état, ou dans quelle phase du processus se trouve l’action verbale, et, en plus,
la diathèse passive ou factitive. Or, les analytismes sont capables de rendre explicite
toutes les constellations de sens possibles. Cela vaut, comme démontré, tant pour la
précision de champs sémantiques non différenciés par le verbe de base (limitation),
que pour l’ouverture de nouveaux champs pas inclus dans le sémantisme de base.
Dans le premier cas, celui d’une limitation de l’espace sémantique,23 les analytismes
réduisent le caractère polysémique de leur verbe de base à une des dimensions
possibles (action ou état).

3.2 Représentation de la perspective extérieure vs. intérieure

Les analytismes – on l’a vu – ont la puissance de combiner la différenciation des


phases d’une action avec d’autres fonctions textuelles. Or, un analytisme comme
réaliser une étude de (cf. tableau 2) précise que c’est la dimension dynamique de
l’espace sémantique englobé par le verbe polysémique étudier qui est rehaussée. En
même temps, on accentue une phase spécifique de l’action entière. Cette distinction
de phases, cependant, diffère de manière fondamentale de la distinction de phases
offerte par les périphrases verbales, comme il sera démontré par la suite.

22 Fonction de « Sésame-ouvre-toi », selon Forner (1994, 76).


   

23 L’espace sémantique rempli par les analytismes est discuté par ex. par Forner (1998, 108ss.).

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Les analytismes 257

À la différence des périphrases verbales, les analytismes englobent de nombreu-


ses constructions qui n’expriment pas une phase déterminée dans le déroulement de
l’action, représentant plutôt une perspective globale, extérieure sur l’action en ques-
tion. Cela devient évident dans des exemples comme (18) :  

(18) L’équipe est en train de réaliser la construction du pont.

Ni le point de départ ni le point final de l’action exprimée par les analytismes


respectifs est indiqué. Il est donc impossible de déterminer une phase spécifique de
l’action. Ce n’est qu’à partir d’informations additionnelles, comme le choix du temps
grammatical ou le contexte, qu’on peut éclairer si l’action est contemplée avant ou
après sa réalisation :  

(19) L’équipe réalisa la construction du pont. construction terminée, point de vue rétrospectif
(20) L’équipe réalisera la construction du pont. construction envisagée, point de vue prospectif

Comme les analytismes dans ces exemples n’expriment ni le commencement ni la fin


d’une action, on pourrait supposer qu’ils expriment une perspective intérieure sur le
déroulement de l’action, comparable à la périphrase verbale durative être en train de
+ INF. Les stratégies d’expansion dans (21) démontrent cependant que ce n’est pas le
cas : 

(21) Les ingénieurs étaient en train de construire le pont pendant / *en 2 ans.
réalisèrent la construction du pont ?pendant / en 2 ans.24

Évidemment, les deux phrases contiennent un aspect verbal duratif, parce que
sinon des combinaisons avec pendant / en ne seraient pas possibles. Cependant, les
verbes téliques (ici : construire qc) perdent leur propriété télique dans la périphrase

verbale être en train de + INF. Par conséquent, un complément circonstanciel par


en, indiquant la télicité de l’action, n’est pas possible ici. L’analytisme formé avec le
Vf réaliser, par contre, permet toujours un complément circonstanciel comme en
2 ans. Un analytisme comme réaliser + N° ne peut donc pas représenter une

perspective intérieure sur l’action et son déroulement. Au lieu de cela, le déroule-


ment de l’action est plutôt considéré d’une perspective globale, extérieure, vu dans
son ensemble.
De tels analytismes, qui ne rehaussent pas de phase spécifique d’une action
verbale, représentent la catégorie ø (« zéro »), indiquant que le Vf n’exprime pas une
   

24 Pour une discussion plus détaillée de l’exemple ainsi que d’autres phrases exemplaires, cf. Patzelt
(2007, 103ss.).

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258 Carolin Patzelt

phase spécifique de l’action. Une telle différenciation de phase peut cependant avoir
lieu dans un deuxième temps :  

(22) Les ingénieurs se mirent à réaliser la construction du pont.


Les ingénieurs furent en train de réaliser la construction du pont.
Les ingénieurs finirent de réaliser la construction du pont.

C’est précisément cette combinaison de fonctions – la combinaison d’une dimension


actionnelle avec des phases aspectuelles – qui fait des analytismes un instrument très
diversifié pour l’expression de l’aktionsart.

Tableau 3 : Système de l’aktionsart (exemple : ‘réaliser un changement’)


action processus état


commencement
‘zéro’
résultat

Partant des exemples de la catégorie aspectuelle ø, (23) et (23’/23’’), on peut construire


un alignement complet de phases (cf. Patzelt 2007, 189) :  

(23) L’entreprise décide d’aborder une étude du marché.


L’entreprise effectuera cette étude de manière (…).
L’entreprise réalisera l’étude quand (…).

Les phrases exemplaires en (23) représentent une succession de phases de l’action


exprimée par le verbe étudier, passant de l’aspect ingressif (aborder + N°) par une
construction ø jusqu’à l’aspect résultatif. Or, cette succession n’est pas identique à
celle exprimée par les périphrases verbales (ingressif-duratif-résultatif). Cela devient
évident par le fait que les analytismes de l’exemple (23) ne peuvent pas être remplacés
par des périphrases verbales :  

(23’) L’entreprise décide de *commencer à étudier le marché.


*être en train de l’étudier (…).
?
finir de l’étudier (…).

Un contexte qui permettrait cependant la succession [commencer à + INF] – [être en


train de + INF] – [finir de + INF] de périphrases verbales serait le suivant :  

(23’’) L’entreprise commencera à étudier le marché demain.


Demain à cette heure on sera déjà en train de l’étudier.
Quand (…), on finira de l’étudier.

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Les analytismes 259

Contrairement au contexte des exemples (23)/(23’), il est ici question d’une action
contemplée dans son déroulement temporel et progressif (= perspective intérieure). Il
n’est pas question d’un projet envisagé (= perspective extérieure).
En somme, dans les analytismes, le groupe des verbes d’action téliques est
capable de former une succession complète de phases (commencement – ø – résul-
tat), mais cette succession n’est pas comparable à celle formée par les périphrases
verbales, parce que la différenciation affecte la perspective extérieure sur les actions
décrites.25

4 D’autres fonctions textuelles


4.1 La fonction de bouche-trou

La définition des analytismes verbaux (Vx = Vf+Nx) évoque la supposition que les
noms (Nx) soient toujours des dérivés d’un verbe de base (Vx) et que chaque Vx puisse
se transformer en Nx. Ceci n’est pas toujours le cas. Il y a des verbes Vx dont il n’existe
pas de nom Nx correspondant, et ce déséquilibre est encore plus fréquent en sens
inverse. La technique du AN verbal est souvent empêchée par des lacunes lexicales ;  

surtout les termes techniques présentent normalement la forme nominale sans équi-
valent verbal. Cette tendance nominale est encore plus accusée dans les langues
romanes qu’en allemand ou en anglais. Ainsi, par ex., le verbe manager, dérivé du
nom management, est peu commun en français. Et s’il existe un verbe correspondant,
comme le verbe projeter du nom projet, sa signification va plus loin que la description
technique du déroulement d’un procès.26 Par conséquent, si on veut placer en posi-
tion de prédicat le processus d’un management ou projet, on est condamné à se servir
d’un analytisme. On voit que le AN verbal assume une fonction textuelle importante,
comme dans (24) :  

(24) M. Dubois a assumé / assure le management du projet.

4.2 Les fonctions épithètes

La dualité de l’AN verbal (verbe + nom) réunit les avantages stylistiques des deux
classes de mots. L’élément nominal facilite l’attribution et permet des distinctions
propres aux noms :  

25 Pour une discussion plus détaillée concernant l’adoption d’une perspective extérieure par les
analytismes, cf. Patzelt (2007, 190ss.).
26 Projeter peut exprimer n’importe quel procès de planification, etc.

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260 Carolin Patzelt

– L’attribution (par un adjectif, aussi par un nom, par une proposition relative)
(25) ;  

– La possibilité de différencier le nombre (singulier/pluriel) et la détermination


(article défini/indéfini) (26) :  

(25) Il a travaillé d’une manière remarquable ~ Il a accompli un travail remarquable


( ?Il a travaillé remarquablement.)

(26) apporter une solution à/apporter des solutions à/apporter la solution à

La productivité syntaxique du AN verbal dépend aussi de l’élément verbal Vf :  

– La différenciation entre les temps grammaticaux : le Vf rend (27’’) le potentiel qui


est perdu par la nominalisation (27’) :  

– La syntaxe verbale différencie entre complément et sujet (ou entre patient et


agent) – différenciation exclue en cas de nominalisation ; c’est le verbe fonction-

nel (27’’ ; 28’’) qui sauve la situation :


   

(27) M. Dupont critique ce que Jacques choisit/a choisi/choisira.


(27’) M. Dupont critique le choix de Jacques.
(27’’) M. Dupont critique le choix que Jacques effectue/a effectué/effectuera.
(28) Jacques choisit Jacqueline (pour amie). C’est déplorable.
(28’) Le choix de Jacques = Le choix de Jacqueline (… est déplorable).
(28’’) Le choix effectué par Jacques (… est déplorable).

Le Bon usage évite de rattacher des compléments prépositionnels directement au nom


et il conseille d’insérer un verbe support ; celui-ci est identique au Vf respectif :
   

(29) Jacques a choisi Jacqueline à Paris.


(29’) N° incorrecte : *Le choix à Paris ; *Le choix par Jacques
   

(29’’) N° correcte : Le choix effectué par Jacques à Paris.


4.3 Les fonctions connectives

Le style LSP se caractérise par certaines transformations (parmi lesquelles on note les
AN), dont le plus important est l’expression des relations circonstancielles par des
connecteurs verbaux, les verbes relateurs (↗10 Les verbes relateurs et l’enchâssement
nominal). La plupart du temps, il s’agit de verbes de consécution ; et nous savons déjà

que les verbes relateurs sont transformables en AN (§1), ou qu’ils peuvent être obtenus
par les Vf factitifs (§3.1.2). À côté de la consécution, il y a aussi la deixis temporelle qui
peut s’exprimer par des verbes relateurs. La preuve est l’exemple LSP du tableau 4
(extrait du corpus Forner 1998) : le verbe démarrer signifie l’antériorité (forme équiva-

lente : au départ), le verbe être suivi de marque la postériorité (tout comme : ensuite).
   

Or, le verbe démarrer du tableau 4 a subi la transformation analytique (démarrer →


connaître un démarrage), avec des conséquences stylistiques qui seront exposées par
la suite.

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Les analytismes 261

Tableau 4 : expression de relations circonstancielles par AN

style LSP style neutre


Au départ,
Les ventes ont connu un excellent démarrage, on a très bien vendu,
suivi d’un écroulement total. ensuite,
?
[le chiffre de ventes] s’est totalement écroulé.

C’est bien le mérite des deux verbes relateurs (démarrer, être suivi de) que les deux
verbes du style neutre (vendre, s’écrouler) ont pu subir l’enchâssement nominal.
Ensuite, c’est le mérite de la transformation analytique, avec la forme nominale
démarrage, que la postériorité a pu être exprimée par le verbe relateur être suivi de,
entraînant à son tour l’option de nominaliser le verbe s’écrouler. C’est cette option qui
autorise la chute du sujet, qu’il a fallu, cependant, inventer (avec un air de mauvaise
conscience) pour formuler une équivalence en style neutre. En plus, la qualité
« excellente » du commencement n’aurait pas pu s’exprimer par un adjectif (cf. §4.2).
   

Finalement, c’est notre grammaire LSP qui permet de juxtaposer les deux indications
de temps et d’en souligner ainsi le contraste.

4.4 Quelques fonctions des AN nominaux

Le AN nominal n’est pas aussi fréquent que le AN verbal. D’une part, le nom
fonctionnel (Nf) sert de point d’orientation pour le lecteur. Or, Nf remplit avant tout
une fonction explicative. D’autre part, Nf peut avoir une valeur syntaxique impor-
tante : des expressions génériques comme « toute opération de » peuvent épargner des
     

énumérations fastidieuses de plusieurs processus individuels. Elles s’utilisent fré-


quemment dans les textes de spécialité. Ainsi, dans une locution comme « […] à  

l’exclusion de toute opération de fourniture ou de construction […] », le nom fonction- 

nel opération évite une énumération incommode de processus divers (par ex., « […] à  

l’exclusion de toute fourniture de matériel, de tout octroi de licence, de toute cession de


processus de fabrication », cf. Forner 1998, 97).

À l’inverse, Nf peut également souligner la multitude des opérations individuelles


d’une action. Ainsi, la typologie du déroulement d’un processus de production peut
se présenter comme comprenant les activités de conception : […], les activités de  

réalisation : […], les activités de maintenance : […], les activités discrétionnaires : […],
     

etc. (cf. Forner 1998, 97). Dans ce cas-là, la fonction « renseignante » du nom fonction-
   

nel activités devient particulièrement évidente, puisque ce dernier constitue le titre du


paragraphe. « Activity » est un terme technique fondamental des théories modernes de
   

gestion.

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262 Carolin Patzelt

5 Résumé
Plusieurs études ont démontré la fréquence des analytismes verbaux dans les textes
LSP (cf. Köhler 1984 ; Wilde 1994 ; Patzelt 2007). L’analyse de leurs fonctions
   

textuelles vient de révéler pourquoi il en est ainsi. On a vu que l’expression de


l’aspect verbal est assurée par deux structures apparentées, par les analytismes et
par les périphrases verbales. Or, ces deux structures ne se trouvent pas dans un
rapport de concurrence, mais de complémentarité. En effet, les AN adoptent une
perspective globale, extérieure envers les actions décrites. Une telle perspective
globale est souvent exigée dans des textes spécialisés, puisqu’il y est souvent
question de décrire des développements ou planifications complexes. Une deuxième
tâche assurée par les analytismes – toujours en contraste avec les périphrases
verbales – est la différenciation systématique des dimensions actionnelles. Ces
différenciations, qui ne peuvent guère être opérées par les verbes de base, remplis-
sent des fonctions textuelles importantes dans les textes LSP : d’une part, les verbes

de base polysémiques peuvent assumer, métamorphosés en analytismes, une di-


mension actionnelle explicite. Inversement, un verbe de base limité à l’expression
d’un seul aspect verbal, peut, par le même biais, amplifier ses dimensions aspec-
tuelles. Il est vrai que les verbes de base se situent dans le mȇme espace sémantique
que les analytismes, mais l’espace qu’ils englobent est relativement limité ou peu
précis : d’une part, ils peuvent manquer de précision en exprimant des dimensions

entières soit de phases aspectuelles possibles (par ex. étudier), soit de l’opposition
action/état (par ex. prouver). D’autre part, leur signification peut être limitée à une
seule constellation sémantique (contacter : action + commencement). Les analytis-

mes sont susceptibles de remédier à ces états de déficience ; ils maîtrisent même la

diathèse (voix active/passive, transformation factitive). Ils permettent ainsi d’axer


l’attention sur n’importe quel « aspect » de l’espace sémantique verbal ; et, en plus,
     

de focaliser – au même titre que les voix verbales – l’un ou l’autre des actants de la
proposition de base.

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