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Réflexions

préalables sur les


politiques
culturelles

Unesco
Politiques culturelles : études et documents
1
Publié en septembre 1969
par V Organisation des Nations Unies pour l'éducation,
la science et la culture, place de Fontenoy, 75 Paris-7e
Réimpression : novembre 1969
Imprimerie Blanchard, Paris

© Unesco 1969 SHC.69/XIX.lo/F


Préface

Cette publication inaugure la collection « Politiques culturelles : études et documents »,


publiée conformément au programme adopté par la Conférence générale de l'Unesco à sa
quinzième session pour l'étude des politiques culturelles.
Dans ce contexte, l'expression « politiques culturelles » est employée pour désigner un
ensemble de principes opérationnels, de pratiques et de procédés de gestion administrative ou
budgétaire devant servir de base à l'action culturelle de l'État. Il est évident qu'il ne saurait
y avoir une politique culturelle valable pour tous les pays ; il appartient à chaque État membre
de déterminer sa propre politique culturelle en fonction des valeurs culturelles, d'objectifs
et d'options qu'il se fixe lui-même.
Il est généralement reconnu que des échanges d'informations et d'expériences entre pays,
ainsi que des études internationales sur des thèmes précis, des recherches sur les notions de
base et les méthodes, etc., répondraient à un besoin.
La collection a donc pour objet de diffuser des informations en présentant les conclusions
de telles études et recherches, ainsi que diverses monographies nationales faisant apparaître
les problèmes rencontrés, les expériences tentées et les résultats obtenus dans des pays
représentatifs de systèmes socio-économiques, de régions culturelles et de niveaux de dévelop-
pement différents.
Ce texte résulte des travaux d'une table ronde organisée par l'Unesco, à Monaco, du 18 au
22 décembre 1967. Elle groupait trente-deux participants de vingt-quatre pays, qui avaient
été invités à titre personnel : responsables de l'action culturelle sur le plan national, spécia-
listes des sciences sociales et humaines, artistes créateurs, représentants des organisations non
gouvernementales intéressées. Les conclusions et les recommandations de la réunion ont
servi de base au programme de l'Unesco dans le domaine considéré.
Table des matières

7
Introduction
8
La notion de politique culturelle
10
Évaluation des besoins culturels
et élaboration des programmes à long terme
14
La création artistique
et la formation des agents culturels
L'art et la vie
Aide à la création artistique
La formation
24
Les supports de l'action culturelle
35
Les structures administratives et financières
48
Conclusions
51
Liste des participants
Introduction

La transformation rapide des modes de vie et des techniques de communication conduit les
peuples à une prise de conscience de plus en plus claire de leurs besoins dans le domaine
de la culture. Dans une civilisation dominée par la technique, l'action culturelle doit jouer
un rôle croissant : elle doit compléter l'action éducative et l'apport scientifique afin de leur
assigner une finalité. Il lui appartient de faire en sorte que le développement soit au service
de l'esprit. Il ne suffit plus de prendre quelques mesures individuelles qui favoriseraient les
échanges entre les élites, ni d'apprécier mutuellement, entre spécialistes, les richesses et
les mérites de civilisations voisines. C'est l'ensemble de la population qui doit pouvoir
accéder à la vie culturelle et y participer activement. Il importe que le développement culturel
rattrape et accompagne le progrès technique et scientifique et qu'il prenne peu à peu une
place comparable à celle du développement de l'éducation et de l'activité scientifique dans
les politiques générales de développement.
La notion de
politique culturelle

Les participants à la Table ronde sur les politiques culturelles ont unanimement décidé
de ne pas s'engager dans la recherche d'une définition de la culture; le représentant du Direc-
teur général avait tenu à rappeler qu'il n'appartient pas à l'Unesco de se substituer aux
États pour définir leur politique culturelle.
Il a été jugé préférable : à) d'entendre par « politique culturelle » un ensemble de pratiques
sociales, conscientes et délibérées, d'interventions ou de non-interventions ayant pour objet
de satisfaire certains besoins culturels par l'emploi optimal de toutes les ressources maté-
rielles et humaines dont une société donnée dispose au moment considéré; b) de préciser
certains critères du développement culturel et de lier la culture à l'épanouissement de la
personnalité et au développement économique et social.
Il a été reconnu qu'il doit y avoir simultanéité entre le développement économique et social
et le développement culturel; la culture a une influence bienfaisante sur les moyens de pro-
duction dont dispose l'homme et sur l'homme lui-même; inversement, tout progrès du
bien-être matériel contribue à promouvoir la culture en libérant l'homme des servitudes
matérielles et en le rendant disponible pour les activités de l'esprit. D'une façon générale, le
dynamisme économique se reflète sur le plan culturel et l'activité culturelle favorise la
vie économique.
La nécessité d'intégrer la science dans la culture et d'étudier la transformation de la
culture sous l'influence de la science et de la technologie a été soulignée.
On a également fait ressortir que les programmes d'alphabétisation et de développement
culturel forment un tout indissociable : c'est la promotion culturelle de l'ensemble du pays
qui donne sa force au processus d'alphabétisation.
Depuis vingt ans environ, et plus particulièrement depuis 1960, des gouvernements de plus
en plus nombreux confient les affaires culturelles à une administration distincte de celle de
l'éducation. Cette évolution reflète d'une part un phénomène nouveau qui est lié aux progrès
de la scolarisation, des moyens de communication, de l'urbanisation et des niveaux de vie,
et qu'on a pu appeler le développement culturel. Elle exprime d'autre part la volonté des
gouvernements de mener une action délibérée, à l'échelon national, pour répondre à cette
demande nouvelle. Plusieurs États ont inscrit dans leurs lois fondamentales le souci de
rendre les grandes œuvres de la culture accessibles à la population la plus large. Or cet
accès, s'il est général, ne peut relever seulement de l'initiative individuelle, qui est entravée
par trop de barrières économiques et psychologiques. Il doit être favorisé par les pouvoirs
publics, qui disposent des moyens nécessaires à une aussi vaste tâche.
La notion de politique culturelle

La conception générale de l'action qu'il incombe aux pouvoirs publics d'exercer dans le
domaine culturel, sa justification et ses objectifs varient d'un pays à l'autre. D'une manière
générale, quatre tendances se sont dégagées :
1. La politique culturelle s'intègre dans la planification générale.
2. L'État considère qu'il a, en matière culturelle, une responsabilité découlant du rôle qu'il
a assumé envers la nation, et estime de son devoir de se substituer à l'initiative privée,
celle-ci n'étant pas toujours à même de mener à bien cette tâche.
3. On se méfie de la centralisation et d'un rôle prépondérant de l'État dans la gestion directe
des institutions culturelles par crainte d'une neutralisation de l'élément de contestation
que peuvent apporter les arts et d'une uniformisation de l'action culturelle; les représen-
tants de cette tendance préfèrent limiter l'intervention de l'État à une aide financière
qui ne serait assortie d'aucune condition.
4. Enfin, dans certaines sociétés en voie de développement, on considère que le développe-
ment culturel est indispensable pour renforcer la conscience nationale et permettre ainsi
l'élaboration d'une culture originale répondant à la fois aux aspirations profondes de la
population et aux nécessités du monde moderne; l'intervention de l'État est indispensable,
car l'action privée est encore nettement insuffisante.
Dans tous les cas, l'intervention de l'État ne doit pas s'exercer au détriment de la liberté
créatrice, et il importe d'éviter à tout prix la formation d'attitudes passives dans le public.
Évaluation des besoins culturels
et élaboration de
programmes à long terme

Utilité d'une description générale


de l'activité culturelle

Pour élaborer une politique culturelle, il importe de connaître ce qui existe et d'évaluer les
besoins. Or, les deux sont très mal connus dans la plupart des pays : on ignore même les
méthodes qui permettraient de saisir la réalité de l'activité culturelle et les besoins de la
population. Qui, dans la population, est réellement touché? Quelles offres sont faites?Par
quel type d'institutions? Par quels équipements? Avec quel personnel? A quel coût ? Quelles
sont pour chacun des secteurs (création, diffusion, formation, conservation) les activités et
les dépenses de l'État, des collectivités locales, des associations privées, des particuliers ?
Répondre à ces questions, c'est arriver à une approche objective des problèmes culturels.
Il ne suffit pas d'avoir une philosophie de la culture pour agir : encore faut-il connaître
exactement les données qu'on essaie de modifier. Ce sont ces données qui permettraient de,
savoir quels sont précisément les bénéficiaires de l'action (bien souvent l'action culturelle ne
cultive que les cultivés), quelle est l'importance du « non-public », quels effets divers ont
les différents instruments de l'action. On s'aperçoit alors que les pratiques anciennes ne sont
plus à l'échelle des problèmes nouveaux. On mesure mieux à quel point une politique cul-
turelle ne saurait se borner à un mécénat, même élargi. On comprend à quel point elle doit
être liée à une politique d'éducation permanente, d'une part, de décentralisation et d'équi-
pement régional d'autre part. On la situe dans le développement social et économique de
la nation.

Méthodes de description

Dans certains pays, on utilise un modèle économique, qui consiste à reprendre pour l'activité
culturelle les catégories de l'analyse économique. De fait, l'application des notions d'offre
et de demande au secteur culturel pourrait être riche de conséquences utiles : elle permettrait
de mieux prendre conscience du public, de sa diversité, de ses exigences, et d'analyser de
façon plus rigoureuse les structures existantes. Il en est de même de l'application des caté-
gories production, distribution, consommation; elle marque mieux les points sur lesquels
l'effort de la puissance publique peut porter avec le rendement optimal. En outre, elle permet
l'intégration des données du développement culturel à celles du développement économique,
social, éducatif. Il importe toutefois de ne pas négliger la notion de libre choix et les exigences
propres à l'esprit.

10
Évaluation des besoins culturels et élaboration de programmes à long terme

Les besoins latents

La table ronde a souligné qu'il convient de faire la distinction entre la demande culturelle
et le besoin culturel, qui peut rester à l'état latent et ne pas s'exprimer sous forme de demande.
Le besoin culturel n'est pas un fait, il est dégagé, par la recherche sociologique, à partir de
certaines données (la différence entre les modèles culturels de deux sociétés, de deux groupes,
etc.), et en fonction des objectifs souhaitables et possibles. Une population ne peut désirer
que ce qu'elle connaît. Pour comprendre ses besoins culturels, il faut mettre la population
en présence de faits culturels, reconnus comme tels ou novateurs, Jui offrir un choix et l'ame-
ner à indiquer ses préférences. Si on lui donne la possibilité d'entrer en contact avec des
formes culturelles différentes ou nouvelles, elle les comprendra mieux et s'y intéressera
davantage. Ceci est particulièrement important dans le cas de la jeunesse.
Un exemple d'action de ce genre a été cité : au Japon, lors de la création d'un théâtre
d'art pour la jeunesse, qui devait faire des tournées dans les régions rurales, une enquête
avait été organisée sur le choix des pièces à présenter. Les résultats avaient été unanimes :
tous les responsables consultés s'étaient prononcés en faveur d'œuvres modernes — œuvres
dramatiques ou opéras dans la majorité des cas — estimant que les œuvres traditionnelles,
nô et bunraku, de rythme trop lent, ne seraient pas comprises des jeunes. Toutefois, il a été
décidé, à titre d'essai, de monter des œuvres traditionnelles dans certaines localités : le succès
a été considérable, et une demande est apparue.
Les méthodes d'évaluation des besoins ne sont pas encore systématisées, faute de dispo-
sitif approprié. En dehors même des problèmes conceptuels qui se posent à propos de la
notion de besoin culturel, les méthodes d'investigation sont peu pratiquées et mal connues.
Les diverses approches des besoins peuvent se regrouper selon les niveaux suivants :
1. L'étude des comportements d'abord, par l'analyse des budgets-temps, par le comptage
de la fréquentation des institutions (notion d'usager-heure), et par la comptabilité des
dépenses, permet de mieux situer les niveaux d'activité et surtout les zones d'inactivité,
les « déserts culturels ». Par des comparaisons dans le temps, ou par des comparaisons
inter-régions, on arrive à une certaine évaluation des besoins.
Un participant a insisté sur l'utilité que présentent les statistiques pour une recherche
prévisionnelle. Des tableaux indiquant le nombre et la fréquentation des salles de théâtre
et de cinéma, des clubs, des installations sportives, le nombre des postes récepteurs de
radio et de télévision, par exemple, peuvent aider à prévoir l'orientation probable de la
vie culturelle. Un autre participant a fait observer qu'il ne suffit pas d'extrapoler, mais
qu'il faut étudier les modifications des tendances, les causes auxquelles elles peuvent être
dues, et les moyens dont on dispose pour les provoquer.
2. Les études de comportement doivent être menées avec les outils de la statistique et de la
sociologie par des instituts spécialisés. Le sondage d'opinion ne permet pas de connaître
sérieusement les desiderata, car le public sondé ne parle que de ce qu'il connaît et selon
les clichés reçus : le sondage permet, par contre, d'évaluer la réaction à une offre donnée
et, par là, d'en déduire les besoins.
3. Une troisième source peut être fournie par les animateurs et les responsables de l'action
culturelle sur le terrain; les «inspecteurs» de l'action recueillent leurs besoins et les
transmettent à l'administration centrale. Une quatrième source est constituée par les
élus locaux ou parlementaires, dont c'est la fonction de représenter des intérêts régionaux
ou sectoriels.
Dans plusieurs pays s'est fait jour la nécessité d'organismes de synthèse pour l'évaluation
des besoins. Des bureaux d'étude dans l'administration sont créés, en général proches du
ministre : leur rôle n'est pas de faire eux-mêmes les études, mais de les commander aux orga-
nismes spécialisés. Les bureaux d'étude définissent les programmes de recherches, suivent

11
Évaluation des besoins culturels et élaboration de programmes à long terme

leur exécution, assurent leur exploitation par les services, accumulent la documentation et
rediffusent l'information. En Tchécoslovaquie, un conseil scientifique du développement
culturel réunit auprès du ministre des personnalités du monde des arts et des chercheurs
scientifiques. Dans d'autres pays, des commissions d'enquête sont réunies pendant une période
déterminée pour étudier les besoins et proposer des solutions. En Suède, une commission
d'enquête sur la décentralisation musicale a provoqué à la fois une vaste étude sociologique
sur la vie musicale et des expériences concrètes contrôlées : en combinant les résultats des
deux approches, la commission peut proposer une réforme de l'organisation musicale.

Élaboration de programmes à long terme

La majorité des participants ont signalé les difficultés que présente actuellement l'élaboration
de programmes à long terme. Les besoins culturels se transforment à un rythme accéléré,
des besoins nouveaux apparaissent, et les goûts du public varient : par exemple, lorsque la
télévision atteint un taux d'implantation important, la fréquentation cinématographique
régresse de 50 à 70 % sur une période de dix à quinze ans. Il faut donc éviter de s'enfermer
dans un cadre qui risque de devenir trop étroit, et veiller à ce que reste possible une adapta-
tion souple des ressources aux exigences d'une vie culturelle en évolution rapide. Certains
pays ont préféré se limiter à des plans à court terme (cinq ans ou quatre ans), ce qui permet
de procéder à des évaluations périodiques et de tirer les leçons de l'expérience. Il est extrê-
mement difficile de procéder à une étude méthodologique dans ce domaine, faute d'éléments
d'information suffisants.
Dans certains pays, des commissions d'orientation ont pour objet d'établir des programmes
à long terme. Composées d'experts qui n'appartiennent pas seulement à l'administration et
au monde de la culture, mais aussi à celui de l'économie, ces commissions étudient des
projections établies à long terme relativement à l'évolution de la nation (projections démo-
graphiques, économiques, scolaires, technologiques) et cherchent à situer par rapport à
elles l'évolution probable du développement culturel.
En URSS, un plan pour la politique culturelle des vingt années à venir prévoit un large
développement des moyens de diffusion de la culture, la croissance et le perfectionnement
de ses bases matérielles et techniques, ainsi que des mesures sociales ayant pour objet de
faciliter la participation de la population à la vie culturelle.
Au cours des cinq dernières années, on a entrepris en Pologne des efforts en vue de l'éla-
boration d'une politique culturelle à long terme. Du point de vue institutionnel, ces efforts
sont déployés dans le cadre des activités de l'organisation principale du pays — l'Académie
polonaise des sciences. Le département des sciences sociales de cette académie a créé une
section de recherches sur la culture contemporaine, appelée à élaborer les bases scientifiques
de la planification dans le domaine de la culture et de son développement. Il existe auprès du
Ministère de la culture et des arts un conseil de la culture qui réunit les représentants émi-
nents des domaines artistiques, de la science et de la diffusion de la culture. L'une des tâches
de ce conseil est d'aider le ministère dans l'élaboration des plans à long terme. La convic-
tion selon laquelle toute politique, et en particulier la politique culturelle, peut facile-
ment prendre un caractère autoritaire et risque de s'engager dans des utopies détermine
l'importance croissante que l'on donne aux analyses scientifiques comme condition néces-
saire de l'efficacité des activités.
Le plan de développement économique à long terme et les projections démographiques
sont le point de départ essentiel des prévisions à long terme en matière culturelle. Parmi les
problèmes culturels posés par les prévisions démographiques, il faut en citer deux : le pro-

12
Évaluation des besoins culturels et élaboration de programmes à long terme

blême capital des relations culturelles entre les diverses générations qui vivront côte à côte
plus longtemps qu'auparavant (différant non seulement par l'âge, le caractère de l'expérience
historique, mais aussi, du fait des progrès de l'éducation, par le niveau moyen d'instruc-
tion); et le problème de la vie culturelle des personnes âgées, dans un milieu où la plupart
des thèmes largement diffusés sont destinés aux jeunes. Les efforts des savants et des planifi-
cateurs polonais dans le domaine de la culture sont à présent dirigés vers l'élaboration des
modèles de la culture de l'avenir. Ces modèles seront l'instrument de l'analyse intellectuelle
et, en même temps, ils rempliront des fonctions normatives, donc détermineront le choix
d'une politique permettant la réalisation des objectifs fixés. Ces modèles sont construits sur
la base de trois hypothèses :
Extrapolation des séries statistiques caractéristiques pour les besoins culturels de la société;
Analogie avec le développement culturel d'autres pays, compte tenu des différences dues
aux systèmes socio-politiques;
Stabilisation relative de certaines structures existantes et de certains facteurs de la vie
nationale.
Les responsables de cette opération reconnaissent toutefois, eux aussi, qu'elle est extrême-
ment difficile et signalent que l'institutionalisation de l'effort culturel présente certains
inconvénients.

13
La création artistique
et la formation des agents culturels

L'art et la vie
Les cultures traditionnelles

Dans les sociétés préindustrielles, l'art était étroitement lié à la vie. Un participant a même
fait remarquer qu'en Afrique le terme « art » n'a pas de sens : les objets qualifiés aujourd'hui
d'artistiques répondaient à des nécessités de la vie quotidienne; les danses, les chants n'étaient
pas dictés par des préoccupations esthétiques. Il n'y avait pas une culture des riches et une
culture des pauvres : la culture était une, elle était le bien commun de la tribu. La civilisation
occidentale a d'ailleurs connu des époques où la situation n'était pas très différente : les
grands bâtisseurs de cathédrales du moyen âge étaient des anonymes dont l'œuvre avait
une fonction sociale.
La notion de « l'art pour l'élite » est dépassée. La culture émane du peuple, parce qu'elle
se nourrit aux sources profondes de la conscience populaire. Un débat s'est engagé sur la
question de savoir dans quelle mesure le travail, dans la société moderne, favorise ou, au
contraire, entrave la formation culturelle de l'homme.
Il importe de chercher, dans chaque culture, les secrets de sa vie, de sa croissance, de son
développement ultérieur. Les « arts traditionnels » ne doivent pas être considérés comme
des parents pauvres, des arts mineurs, dont les produits sont exposés dans des musées-
cimetières ou commercialisés à l'usage des touristes. Les pays en voie de développement
soulignent qu'il importe pour eux « d'une part, de retrouver et de diffuser les valeurs de la
culture nationale et, d'autre part, de s'approprier le patrimoine culturel de l'humanité,
afin de s'insérer dans le monde contemporain et d'être capables, à leur tour, d'enrichir le
patrimoine universel par des créations nouvelles qui soient, artistiquement, à la hauteur
de l'époque ».
Un participant a fait observer qu'au Japon culture nationale et culture occidentale
coexistent depuis un siècle et se sont étroitement interpénétrées, de telle sorte qu'à l'heure
actuelle il est souvent difficile de déterminer ce que l'on entend par formes d'art « tradi-
tionnelles » et formes d'art « modernes », et que la distinction entre l'art de la classe diri-
geante et la culture populaire, de même qu'entre créateurs et public, est pratiquement
inexistante.
Divers exemples de la vitalité des arts « traditionnels », des efforts déployés pour les
ressusciter et leur insuffler une vie nouvelle, et des résultats obtenus ont été cités.

14
La création artistique et la formation des agents culturels

En Tunisie, l'un des objectifs principaux des maisons de la culture et des comités culturels
est d'abord de contribuer au renouveau de la culture nationale : dans tous les gouvernorats,
les responsables culturels sont invités à participer à la renaissance du folklore local, à
s'intéresser à l'archéologie, à la poésie populaire, à la musique traditionnelle... Les recher-
ches effectuées dans le domaine de la musique tunisienne traditionnelle (le Malouf) appa-
raissent d'autant plus utiles que les anciennes mélodies ne sont pas écrites. Il est urgent de
les recueillir avant que disparaissent ceux qui en assurent encore la transmission orale.
Les comités culturels locaux ont pour tâche de rechercher les connaisseurs du Malouf,
d'enregistrer les mélodies des différentes régions, d'y intéresser les jeunes Tunisiens et
Tunisiennes.
En Colombie, en Equateur et surtout au Mexique et dans certaines régions du Brésil, les
manifestations de caractère folklorique sont nombreuses et vivantes. Les fêtes sont réelle-
ment populaires et des talents authentiques s'y exercent dans l'art de l'habillement, de la
danse et de la musique. Mais certaines prennent déjà un caractère moderne par leur signifi-
cation dans l'affirmation d'une conscience nationale. Les fêtes s'élargissent souvent en
festivals organisés par les pouvoirs publics pour des célébrations civiques ou politiques.
En Guinée, l'ensemble instrumental et choral de la radiodiffusion nationale, utilisant
exclusivement des instruments traditionnels du pays, constitue une création particulière
originale qui se consacre à l'harmonisation, à l'orchestration et à la remise en honneur des
vieilles chansons et des épopées qui chantent les gloires et le destin des héros nationaux. Le
développement de la musique nationale est concrétisé par trois orchestres, dont les créations
musicales enregistrées sur disques connaissent une large diffusion qui n'est pas limitée à
l'Afrique.

Nouvelles formes d'art

Les techniques modernes de grande diffusion peuvent utilement contribuer à faire revivre
les arts traditionnels. Mais elles ne doivent pas être envisagées uniquement comme des
instruments de diffusion : elles portent en elles le germe de formes d'art nouvelles. Les
authentiques chefs-d'œuvre que le cinéma a déjà produits en un demi-siècle, et qui l'ont
élevé au rang d'un art, ainsi que les résultats des essais et des recherches tentés en matière
de radio et de télévision, sont riches de promesses et exercent déjà, sur les autres domaines
de la création artistique, une influence qui ne fera que se renforcer. La radio et la télévision,
en particulier, permettront peut-être le passage direct d'une culture orale traditionnelle à
une nouvelle culture orale. Il s'agit de dégager la forme d'expression qui leur est propre.
C'est ainsi seulement qu'on pourra « désinfecter ces moyens, qui menacent actuellement de
corrompre la civilisation », selon l'expression employée par un participant.

L'esthétique de la vie quotidienne

Dans de nombreux pays, on commence à se préoccuper d'améliorer le cadre dans lequel


l'homme passe son existence, d'élever le niveau de la culture quotidiennement vécue. C'est
tout le problème de l'esthétique de la vie quotidienne qui se trouve posé — problème où
interviennent à la fois l'architecture, l'urbanisme, l'esthétique industrielle. Le décor, les
objets de la vie quotidienne ne doivent pas se contenter d'être fonctionnels, il faudrait que la
beauté de la forme fasse corps avec l'utilité de l'objet.
Les techniques modernes et les nouveaux matériaux de construction ainsi que les nouvelles
formes de décoration permettent d'innover en matière architecturale. La sensibilisation du
public, son information, sa formation et même celles des maîtres d'ouvrage sont peu prati-

15
La création artistique et la formation des agents culturels

quées et mal connues. Dans quelques pays, des expositions de maquettes et des réunions
d'information sont organisées. De nombreux pays s'intéressent à la question et étudient
diverses solutions. En URSS, par exemple, des conseils artistiques composés de béné-
voles règlent diverses questions relatives à l'urbanisme, à la modernisation de l'aspect
des rues, des places, des vitrines de magasins et s'efforcent ainsi de contribuer à l'éducation
artistique de la population. La place de ces préoccupations dans la politique culturelle doit
encore s'affirmer.

Aide à la création artistique

Historiquement, ce fut toujours le rôle des princes, pour glorifier leur règne ou pour leur
agrément, de passer commande aux artistes. Dans les démocraties modernes, le sentiment
apparaît peu à peu que la grandeur d'une société aux yeux du monde et de l'histoire de
l'humanité doit beaucoup à la forme et à la qualité de ses créations artistiques.
La diffusion de l'immense patrimoine du passé ne suffit pas : c'est la source même qu'il
faut encourager, la création, car c'est elle qui fournit à la société nouvelle des images symbo-
liques de son existence originale et riche de valeurs. La création est le principe de vie de
l'activité culturelle. Socialement, les artistes ont toujours été, et sont souvent encore, même
dans les « welfare societies », l'une des catégories les plus défavorisées de la population.
Leurs revenus sont faibles et intermittents. Ils ne sont pas protégés par l'appartenance à de
grandes organisations de la société moderne. Aussi, la nécessité d'une intervention de la
puissance politique est-elle d'ores et déjà admise. L'aide apportée actuellement à la création
artistique s'adresse plus souvent aux moyens collectifs (cinéma, théâtre) qu'aux créateurs
individuels.
Quelles sont les modalités les plus efficaces de l'aide à la création artistique ? Ces moda-
lités devraient répondre à l'exigence majeure de la création artistique : la liberté. Le pro-
blème de fond que chacune des mesures possibles devra résoudre est donc : comment assurer
à la fois la liberté du créateur et son insertion dans la vie économique et sociale.
Toute action en faveur de l'aide à la création artistique devrait être fondée sur des faits
irrécusables. Quelques études ont déjà été entreprises, mais il reste beaucoup à faire. A titre
d'exemple, on pourrait citer l'enquête qui a été menée en 1957 par l'Association inter-
nationale des arts plastiques sur la situation professionnelle et sociale des artistes; au
Royaume-Uni : Short survey of the situation of the artist in England : visitai arts (1960),
publié par le Congress for Cultural Freedom et The book writers - who are they (1966),
rédigé par Richard Findlater à la suite d'une enquête effectuée par Research Services Ltd. ;
en France : Enquête sur les débouchés de l'enseignement artistique (1967); la République
arabe unie a créé un conseil national spécialement chargé de l'étude des conditions de la
création artistique dans le pays et des mesures à prendre pour l'encourager; la Suède a, de
son côté, lancé en 1967 une enquête systématique sur les créateurs, leur nombre, leurs revenus
comparés à ceux d'autres catégories de citoyens. En URSS, on a procédé, par l'intermédiaire
d'une revue culturelle, à une enquête socio-psychologique sur la création artistique.

Aide juridique

II semble que les gouvernements s'en préoccupent, ainsi que les syndicats d'artistes des
différents pays. Mais la nature des mesures prises ou à prendre est évidemment fonction des
lois et règlements en vigueur dans chaque pays, qui peuvent varier énormément. Il serait

16
La création artistique et la formation des agents culturels

également intéressant de connaître les remaniements apportés au droit d'auteur par certains
pays. On trouve ainsi un droit de suite de l'artiste sur ses œuvres. Mais, en général, les études
nationales ne mentionnent pas d'action dans ce domaine.

Aide sociale
II est bon d'isoler l'aide sociale de l'aide aux artistes. En effet, l'histoire montre que, souvent,
les commandes passées par les pouvoirs publics à des artistes nécessiteux répondaient plus
à'un souci d'ordre social qu'à des considérations esthétiques. Que de tableaux et de sculptures
encombrent les caves des ministères, qui n'étaient pas montrables lors de leur réception !
Cette politique conduisait à un émiettement des crédits avec des critères d'attribution très
discutables, sans aucune signification culturelle.
Mieux vaudrait clairement définir et appliquer des mesures d'aide sociale valables pour
tous les artistes répondant à certains critères professionnels. Il est souhaitable que cette
action sociale fasse l'objet d'une administration distincte, que ceux qui sont chargés de
l'action culturelle et des commandes de l'État ne soient pas paralysés par des considérations
sociales. Dans un certain nombre de pays, par exemple, les « fonds culturels » accordent
des allocations aux artistes et à leur famille en cas de besoin. Dans un autre pays, un système
récent ménage une assurance-maladie, maternité, décès pour les artistes peintres, sculpteurs
et graveurs.

Aide fiscale
Beaucoup de pays font bénéficier de l'aide fiscale non pas les artistes, mais les distributeurs
de différents secteurs. Le problème d'une politique de détaxation partielle ou même complète
des artistes eux-mêmes est soulevé par de nombreux syndicats d'artistes, sociétés d'auteurs
et autres. Au Royaume-Uni, par exemple, le droit d'auteur est toujours considéré comme un
revenu et, en tant que tel, imposé. Cependant, des aménagements ont été apportés : la possi-
bilité d'étaler sur deux ans les impôts à verser sur les droits d'auteurs et autres sommes
perçues. D'une manière générale, là encore, les artistes bénéficient indirectement de mesures
fiscales favorisant les fondations et associations. Des réductions de taxes, ainsi que des
facilités de crédit, sont parfois accordées par des lois généralement récentes aux distributeurs
dans les secteurs du cinéma et du théâtre. Des mesures d'aide directe sont prises dans certains
pays : au Mexique, par exemple, les artistes peuvent être autorisés à s'acquitter de leurs
impôts en remettant des œuvres d'art à l'État.

Prix, commandes et autres formes d'aide de l'État

Longtemps faite au hasard des relations des gouvernants, l'attribution des prix et des
commandes de l'État doit, elle aussi, être insérée dans la politique d'action culturelle et faire
l'objet d'une politique, c'est-à-dire de principes d'action et de gestion. Pour rétablir le
contact entre le souverain — qui est devenu le peuple — et l'artiste, pour que celui-ci sente
une demande qui vient de la société, la première règle est d'insérer la commande dans les
circuits de diffusion.

Bâtiments publics
Qu'il s'agisse de création architecturale ou de concours artistique à la construction, les
bâtiments publics sont la destination la plus simple des commandes de l'État. Aux États-

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La création artistique et la formation des agents culturels

Unis, 0,5 % du coût du bâtiment public peut être consacré à l'embellissement par des artistes.
En France, 1 % du coût des constructions scolaires peut être utilisé aux mêmes fins. En
Tunisie, les sommes affectées à la décoration des bâtiments publics peuvent atteindre 1 %
de la valeur des travaux de construction. En Suède, un crédit de 2 millions de couronnes
a été inscrit au budget de 1967-1968 pour l'achat d'œuvres d'art destinées à orner des bâti-
ments publics.
Le problème est : a) d'amener les architectes à faire usage de ces possibilités (en France,
4 % du 1 % sont attribués à l'architecte pour ses frais); b) d'aider l'architecte à faire un
choix, surtout lorsqu'il vit loin des capitales de la création artistique, et à assurer une inté-
gration harmonieuse des différentes formes d'expression. Des centres de documentation
sont actuellement en cours d'installation à cette fin. La tendance la plus récente est d'associer
les artistes à l'élaboration des plans dès le début, afin que les œuvres ne soient pas rajoutées
après coup, plaquées comme un ornement, mais fassent partie intégrante et vivante de la
composition architecturale.

Expositions
Les commandes de l'État ne devraient pas aller stagner dans des « réserves », ni même orner
seulement les bâtiments des administrations publiques : elles devraient être exposées devant
le grand public. Des expositions temporaires pourraient être organisées, qui parcourraient
le circuit des centres culturels et des musées.

Exécution d'œuvres musicales


11 est utile pour un compositeur, mais il n'est d'aucun profit pour l'action culturelle, qu'une
œuvre soit commandée si elle n'est pas exécutée. Des systèmes de commandes groupées avec
l'exécution sont actuellement mis au point : ou bien l'État commande directement, avec la
garantie que l'œuvre sera jouée, ou plutôt ce sont les orchestres eux-mêmes qui sont appelés
à commander des œuvres musicales aux compositeurs de leur choix, et ils reçoivent pour cela
une subvention de la puissance politique. Dans certains pays, ce sont les frais de copie des
partitions qui sont subventionnés.

Location-vente d'œuvres
Des maisons de la culture ont mis au point un système qui permet de louer à des particuliers
des œuvres contemporaines choisies par la maison de la culture pour une somme très faible
qui équivaut pratiquement au coût de l'assurance. Lorsqu'une œuvre plaît à l'emprunteur,
il peut l'acheter.

Expérimentation
La production d'un artiste peut ne pas s'insérer immédiatement dans la vie sociale. L'histoire
des avant-gardes abonde en exemples d'œuvres restées incomprises pendant de longues
années. Or la recherche, l'expérimentation sont plus nécessaires encore dans le domaine
artistique que dans tout autre domaine. Cet art expérimental doit être aidé par la puissance
publique : les commandes d'État peuvent donc ne pas relever toutes des circuits de diffusion;
elles peuvent aussi constituer une aide à la recherche plastique pure. Certains pays lui consa-
crent des fonds dans le même esprit — et parfois selon les mêmes structures — que lorsqu'il
s'agit de recherche scientifique fondamentale.

18
La création artistique et la formation des agents culturels

Bourses et pensions
Presque tous les pays offrent des bourses et des pensions aux artistes de diverses disciplines.
En dehors de la question financière, le problème est de savoir: à quel moment de la carrière
et pour combien de temps. Ou bien ces récompenses vont à des talents confirmés ou, au
contraire, elles visent à stimuler les débutants. Autrefois l'aide allait aux anciens, qui deve-
naient poètes ou peintres officiels. La tendance moderne semble être d'encourager un nombre
plus élevé de jeunes artistes de talent en leur accordant une aide limitée dans le temps (au
moins deux ans, mais moins de cinq ans), au lieu d'institutionaliser quelques carrières déjà
affirmées.
Ateliers d'expérimentation
(rencontre des créateurs entre eux et avec le public)
La table ronde a estimé indispensable et urgente la création de lieux de recherche, d'ateliers
d'expérimentation artistique (théâtre, cinéma, peinture, etc.) analogues aux laboratoires où
savants et équipes de savants, souvent de disciplines différentes, exercent leur liberté créatrice.
Ces ateliers de rencontre et d'expérimentation artistique, nationaux, régionaux ou inter-
nationaux, ménageraient certaines conditions considérées comme propices à la création dans
le monde moderne.
Les trois modes d'action suivants ont paru les plus efficaces:
Rencontre entre artistes et artisans des formes d'expression traditionnelles: poètes, roman-
ciers, écrivains, peintres, sculpteurs, architectes, auteurs et interprètes dramatiques,
musiciens ou chorégraphes;
Rencontre et confrontation de ceux-ci avec des spécialistes des techniques modernes
d'expression ou de diffusion : cinéma, télévision, radio, enregistrement sonore ou
photographique ;
Rencontre de ces artistes et artisans, travaillant seuls ou en équipe, avec la collectivité,
c'est-à-dire avec des publics aussi divers que possible, allant d'un public présumé réceptif
à des formes nouvelles aux publics auxquels ce type d'expérience est entièrement inconnu.
On n'oubliera pas les expériences de création collective associant, d'une part, les artistes
entre eux et, d'autre part, les artistes et le public.
L'architecture est appelée à jouer dans cette action un rôle majeur. On s'interrogera en effet
sur les formes à donner à ces lieux d'expérimentation, ensembles de noyaux ou de cellules
ouvertes les unes sur les autres et permettant des interactions et des influences réciproques
entre les différentes formes d'art.
Dans le domaine de la littérature, la rencontre entre écrivains, poètes et romanciers sera
favorisée par l'organisation de réunions nationales, régionales ou internationales, qui seront
élargies jusqu'au dialogue avec le public avec l'aide des techniques de diffusion moderne —
radio et surtout télévision.

Structures de gestion

Choisir les œuvres commandées, sélectionner les bénéficiaires des bourses posent les pro-
blèmes les plus délicats de la politique culturelle, car ils touchent directement au goût: qui
choisit ? selon quels critères ?
Le choix par des fonctionnaires de l'État peut être facilement critiqué comme obéissant
à des préoccupations étrangères à l'art, ou comme restant trop subjectif. Le souci d'objectivité
et les garanties qu'exige le fonctionnement de la puissance publique aboutissent généralement
à l'existence de commissions qui ont des défauts innés ; leurs membres, même artistes, ne
peuvent être nommés que sur titres reconnus: ce sont donc les notables; de plus, les décisions

19
La création artistiaue et la formation des agents culturels

se prennent à la majorité : ce sont donc toujours des choix « moyens ». Or la création artis-
tique est en général extrême et conteste les notables. Enfin si, dans un souci d'indépendance,
la commission se renouvelle par cooptation, elle finira par perpétuer ses propres tendances
et méconnaître l'art qui la met en question; autrement dit, elle tombera dans l'académisme.
Dans tous les cas, l'art novateur sera méconnu. Pour parer à ce danger, on peut limiter le
choix à celui des hommes responsables, laisser ceux-ci libres de leurs décisions en les rendant
largement autonomes par rapport à l'administration, et les renouveler souvent.

Mécénat des entreprises


Pour assurer la liberté d'innovation et la diversité esthétique, il est bon que les sources
d'aide à la création soient variées. Le mécénat privé peut prendre des risques qui sont interdits
à la puissance publique. D'autre part, dans une nation moderne, le principal pouvoir financier
(en dehors de l'État et de la masse infinie des consommateurs) est détenu par les entreprises.
Aussi, dans certains pays, s'est-on tourné vers elles pour aider la création. Les modalités de
cette aide sont soit la commande d'oeuvres pour orner le siège de l'usine, soit l'organisation
d'expositions dans le cadre de l'entreprise. Dans quelques pays, l'entreprise a, outre sa
fonction économique, une fonction culturelle : la législation polonaise, par exemple, rend
cette dernière obligatoire.

Mécénat des syndicats


Qu'il ait un caractère obligatoire ou que de libres essais soient tentés avec quelques syndicats,
le but visé est de rapprocher créateurs et travailleurs. A cet effet on a imaginé, par exemple,
de ménager aux artistes des ateliers dans l'enceinte même de l'usine. Dans certains pays,
les syndicats accordent des bourses à un nombre non négligeable de créateurs. Mais il semble
que cette forme de mécénat soit encore peu courante dans la plupart des pays à économie
libérale, où les essais sont freinés par certaines réserves de la part des syndicats.

Les fondations
Dans les pays où des fortunes privées peuvent s'accumuler, les fondations sont apparues
comme un outil précieux du mécénat. Aux États-Unis, par exemple, de nombreux aspects
du développement national ont toujours été largement financés par des fonds privés. Une
réglementation du droit de succession, puis de l'impôt, exonérant partiellement les sommes
qui seraient consacrées à des institutions « charitables », a abouti à la création de vastes
fondations. Aujourd'hui, les fondations américaines consacrent environ 3 à 4 % de leurs
ressources aux arts et cette somme correspond à 80 % de l'aide publique aux arts. Les
fondations se manifestent moins par des actions permanentes que par des interventions
précises ou pour amorcer une action qui sera reprise ensuite par la puissance publique. Elles
entreprennent ce que l'État ne peut pas encore faire et sont un facteur d'innovation. Mais
leurs limites sont inhérentes aux avantages qu'elles présentent : dispersion des initiatives,
absence de programme à long terme, manque de compétence spécifique. Pour être un outil
efficace d'action culturelle, elles doivent être associées, elles aussi, à une politique culturelle
générale.

20
La création artistique et la formation des agents culturels

La formation
Formation professionnelle des artistes
L'enseignement artistique est de tradition ancienne, ce qui précisément pose des problèmes
d'adaptation. Dans de nombreux pays on note une croissance rapide des effectifs des institu-
tions spécialisées (académies d'art, de musique); d'où, pour les responsables de la politique
culturelle, de sérieux problèmes d'emploi. Il s'agit d'adapter l'offre à la demande. Comment
éviter une pléthore d'artistes dans certains secteurs offrant relativement peu de débouchés,
comme les arts plastiques par exemple? Une solution essayée par la Pologne consiste à
faciliter le développement des instituts d'arts appliqués, pour lesquels la demande industrielle
ne cesse de croître. Le même problème se retrouve dans le domaine musical : une refonte des
structures de formation, distinguant mieux entre la formation des amateurs et celle des
professionnels, peut apporter à moyen terme un début de solution satisfaisant. Certains
pays accordent une attention particulière à la création d'instituts ayant pour objet de former
des spécialistes des arts du spectacle (théâtre, cinéma, radio, télévision).
Le développement des moyens techniques (matériel de photographie, de prise de vues,
de projection, d'enregistrement sonore, etc.) et leur production industrielle, qui les met à
la portée d'une large fraction de la population, permettent d'éveiller des vocations et de
faire apparaître des talents de plus en plus nombreux. Ainsi la distinction entre professionnels
et amateurs s'atténue progressivement, et le recrutement des spécialistes s'élargit continuel-
lement.

Formation des administrateurs des affaires culturelles


(« arts administrators »)
La modification de la fonction des moyens traditionnels de diffusion ainsi que l'apparition
de nouveaux instruments — moyens de grande diffusion, éducation populaire, équipements
socio-culturels — posent à tous les pays un problème d'hommes, qu'il s'agisse des adminis-
trateurs des affaires culturelles, des animateurs d'éducation populaire ou, plus particulière-
ment, des animateurs de centre culturel. Une action culturelle continue et organisée de la
part des gouvernements et des collectivités locales est chose toute récente : elle requiert,
comme les autres secteurs, des administrateurs compétents. De même, dans les grandes
institutions privées (orchestres symphoniques, théâtres, etc.), la complication des tâches
administratives interdit l'amateurisme qui sévissait jusqu'à maintenant. La plupart des pays
sont pour le moment en plein empirisme, tout en poursuivant la recherche de solutions. Le
choix est entre former aux affaires culturelles des jeunes sortis des écoles d'administration,
et faire suivre des stages administratifs à des artistes, écrivains, etc.
Les participants ont estimé que, trop souvent et dans la plupart des pays, des postes de
haute responsabilité dans le domaine des affaires culturelles sont occupés soit par des artistes
n'ayant aucune compétence, et même aucune vocation, en matière administrative, soit, à
l'inverse, par des fonctionnaires ignorant tout des problèmes particuliers qui se posent aux
artistes et aux organisateurs de manifestations culturelles. La formation de ces responsables
constitue donc un problème très important, que l'on pourrait peut-être résoudre de deux
façons :
1. En établissant des centres de formation à l'intention de groupes de pays présentant cer-
taines affinités quant à la civilisation et aux structures gouvernementales;
2. En créant des séminaires dans des institutions existantes, par exemple des universités, des
instituts d'enseignement supérieur spécialisé, des écoles de sciences sociales ou de sciences
humaines.

21
La création artistique et la formation des agents culturels

Sous certaines conditions, ces centres ou ces séminaires pourraient également servir à la
formation des animateurs culturels ou même de certains techniciens (producteurs ou réalisa-
teurs de radio ou de télévision par exemple).

Formation des animateurs culturels


L'animateur est un éducateur qui se propose, à titre professionnel ou bénévole, dTentraîner
une population à participer volontairement à des activités qui ne sont pas familières au
milieu auquel elle appartient. Il sert d'intermédiaire entre les créateurs et le public, entre les
œuvres et les hommes. Le profil professionnel de ces animateurs fait l'objet d'analyses
(Tchécoslovaquie, Pologne, France) qui permettront de déterminer de façon précise quels
doivent être le niveau du recrutement, la nature de la formation, le type de carrière et de
statut.
Plusieurs pays cependant estiment qu'il revient à Yuniversité de former ces pédagogues
polyvalents. D'autres pays sont en faveur A'institutions de formation spécialisées, adaptées
au caractère novateur, spécifique, de l'animation culturelle. Certaines de ces institutions ont
été établies au niveau national (Royaume-Uni, France, Tunisie), par souci de cohésion,
d'efficacité, d'utilisation plus universelle. Ou, au contraire, le soin de la formation peut être
laissé aux institutions locales ou sectorielles (musées, bibliothèques, maisons de la culture),
ce qui assure une décentralisation qui, là encore, répond mieux aux besoins régionaux ou
sectoriels, et permet d'utiliser les compétences sur place. La tendance est actuellement de
combiner les deux formules, en associant un tronc commun d'études théoriques à des stages
de spécialisation sur le terrain pour chaque secteur.
Le contenu de cette formation — objet de recherches récentes en Italie, au Royaume-Uni,
en France, aux États-Unis, et de pratiques plus anciennes dans les pays de l'Europe de
l'Est — est partout mis en question. Quelles études théoriques (sociologie, psychologie,
pédagogie, culture artistique) ? Quels stages, de quelle durée, quand, où ? Un participant
a signalé que le Groupe de travail des organisations non gouvernementales sur le rôle de
la culture dans les loisirs a effectué, auprès de ses membres, une enquête exploratoire sur
la formation de ce personnel.

Formation des techniciens audio-visuels


Plusieurs pays en voie de développement soulignent la nécessité de former des spécialistes
des techniques audio-visuelles, qui sont particulièrement importantes dans des populations
en cours d'alphabétisation et dépourvues d'équipements culturels traditionnels.

Formation des techniciens de la protection des sites et des monuments


Les richesses archéologiques de nombreux pays ne trouvent pas encore sur place assez de
« conservateurs » qualifiés. La coopération internationale, déjà très efficace, ne remplace
pas une surveillance constante et locale, que ne peuvent assurer des experts internationaux.
Jusqu'à présent, les techniciens nationaux se formaient en grande partie auprès de ces
derniers, mais l'insuffisance de cette méthode et l'importance des besoins exigent d'autres
mesures.

Formation des muséographes


Une politique d'action culturelle exige des musées qu'ils n'assurent plus seulement une
fonction de conservation, mais aussi une fonction de diffusion. Dès lors, le rôle dû « conser-

22
La création artistique et la formation des agents culturels

vateur » de musée évolue: c'est un érudit, qui constitue les collections, les classe, les conserve,
mais aussi un présentateur, un animateur ; la muséographie se transforme, fait intervenir
les équipements audio-visuels, organise l'accueil du public. Ces fonctions exigent une forma-
tion spécifique — par des cours et par des stages — que des échanges internationaux permet-
traient de mieux définir. L'Unesco a déjà entrepris une action dans ce domaine avec l'aide
du Conseil international des musées.

Formation des bibliothécaires


De même, le bibliothécaire n'est plus seulement le conservateur qui accroît et classe ses
collections : il organise désormais la rencontre entre les grandes œuvres imprimées (sous
forme de livres, de disques ou de bandes magnétiques) et le public le plus large. De ses
qualités d'animateur dépend le succès de la lecture publique : une ville a vu quadrupler le
nombre des volumes prêtés par an en donnant à la bibliothèque un style d'animation. Dès
lors la bibliothéconomie n'est plus la seule technique à laquelle le futur bibliothécaire doive
être préparé : les méthodes d'animation, de connaissance du public, d'action culturelle
doivent lui être familières. Pour la formation du bibliothécaire, certains pays font suivre
des stages d'animation à des bibliothécaires; d'autres tendent au contraire à donner d'abord
une formation générale d'animateur, qu'ils font suivre d'une année de spécialisation en
bibliothéconomie.

23
Les supports de l'action culturelle

Des données nouvelles

Le renouvellement technique des moyens de communiquer la culture, d'une part, l'élargis-


sement du public et la transformation de ses modes de vie, d'autre part, conduisent à un
renouvellement profond des institutions de diffusion culturelle. Outre le rôle qu'ils peuvent
et doivent jouer dans la création de nouvelles formes d'art, les moyens de grande diffusion
constituent une voie d'accès à la culture quantitativement beaucoup plus importante que les
institutions traditionnelles : théâtre, musée, bibliothèque. En France, par exemple, il y a
cent fois plus d'entrées au cinéma qu'au théâtre, et cent fois plus d'heures passées devant
la télévision que d'heures passées au cinéma. Les possibilités de rencontre entre les hommes
et la culture se sont multipliées, depuis cinquante ans, plusieurs milliers de fois.
Partout dès lors, se dessine une nouvelle répartition des tâches entre les institutions cultu-
relles : quels sont les rôles respectifs de la télévision, de l'école, des centres culturels ? Que
devient le cinéma quand les spectacles récréatifs pénètrent dans tous les foyers? Quelles
sont les tâches nouvelles du musée et du théâtre quand le public s'élargit ? L'établissement
d'une politique culturelle consistera à répartir les rôles, en fonction de la vocation propre
de chaque institution, avant de répartir les crédits.

L'école
II apparaît dans de nombreux pays que l'école peut et doit jouer le rôle essentiel par l'étendue
de son pouvoir d'action : elle touche ou touchera la majorité des hommes, jusque dans les
villages, et cela à l'âge d'or de la sensibilité. On estime qu'il lui appartient, parallèlement
à la formation intellectuelle qu'elle dispense, d'éveiller la sensibilité des jeunes par une
initiation artistique. En effet, c'est à l'école que se forment des habitudes durables de lecture,
de fréquentation du théâtre, d'appréciation des œuvres d'art. D'où la nécessité de renforcer
le rôle de formation de l'école, non seulement dans le domaine de l'intelligence, mais aussi
dans celui de la sensibilité et de la créativité. Seule l'intégration obligatoire de la formation
artistique dans l'enseignement général, dès le niveau primaire, peut créer les habitudes et
les besoins qui élèveront le niveau culturel de la population. A ce titre, l'enseignement
artistique scolaire est l'un des chaînons les plus importants d'une politique culturelle.

24
Les supports de l'action culturelle

La science

La science est, comme les arts et la littérature, une création de l'esprit humain. Ses démarches,
ses structures, ses divers langages, en principe universels comme la raison, ont varié au
cours des siècles; ils reflètent et expriment des besoins, des aspirations, des conceptions de
l'homme et de sa place dans l'univers profondément liés au contexte culturel. D'autre part,
elle est, par elle-même ou à travers la technologie, le facteur décisif qui transforme aujourd'hui
le destin des individus, des sociétés, de la planète tout entière. Quiconque reste complètement
fermé à l'esprit scientifique se trouve par là étranger à l'univers où il vit et à une vraie culture
contemporaine. Il existe aussi de ce fait un risque pour la culture dans son ensemble: faute
de s'assimiler l'esprit scientifique, elle risque de se déployer hors du réel, loin de son véritable
présent.
Enfin, les cultures diverses, si elles veulent survivre et préserver leur diversité, ne le peuvent
qu'en intégrant chacune à sa manière cette science et cette technologie qui sont devenues
leur sort à toutes, en tant qu'oeuvre universelle de la commune raison. Du point de vue des
droits de l'homme, une certaine familiarité de tous avec l'esprit scientifique, sa manière
d'interroger, de chercher, d'imaginer, de confronter, de se soumettre aux évidences et de
vouloir le vrai, est indispensable si l'on veut éviter le règne, sur des masses passives, d'une
minorité d'initiés, démesurément puissants, prisonniers de leur solitude. Les participants
ont estimé que l'enseignement scientifique doit être plus étroitement intégré aux programmes
scolaires dès l'école primaire. D'autre part, ils ont appelé l'attention sur les dangers d'une
spécialisation prématurée, qui ne permettrait pas l'acquisition, à l'école, d'une culture
générale suffisante — rejoignant en cela les recommandations d'autres conférences1.

Formation artistique extrascolaire

L'initiation à l'art et aux sciences en dehors de l'enseignement général est l'un des secteurs
de l'activité culturelle qui prennent de plus en plus d'importance, et l'un des objets de
l'action culturelle. Ce problème est lié à l'utilisation des temps de loisir. Dans certains
pays, considérant qu'il est du devoir de l'État de s'intéresser aussi à ce domaine, les autorités
publiques prévoient des équipements, des méthodes pédagogiques pour donner entre autres
une initiation aux arts et aux sciences; il a été suggéré que des laboratoires scientifiques
soient créés dans les centres culturels. Là où l'éducation populaire est active, la formation
artistique ou scientifique vient en bonne place dans les activités proposées, par le moyen
de conférences, de clubs, de groupes de travail.
Dans la plupart des pays, c'est l'un des buts des centres culturels de favoriser la formation
artistique extrascolaire. La présence de tels lieux de formation est souvent demandée lors de
la création de quartiers urbains neufs. Des méthodes pédagogiques nouvelles y sont inventées,
qui peuvent être utilisées ensuite dans l'enseignement général. Enfin, la formation artistique
extrascolaire contribue à élever le niveau des besoins culturels en élargissant le public et en
le rendant plus réceptif et plus exigeant. Elle est donc l'une des préoccupations majeures
d'une politique culturelle. A Cuba, des « ateliers libres d'arts plastiques » accueillent, sans
les astreindre à un horaire fixe, des participants désireux de pratiquer le dessin, la peinture,
la sculpture sous la conduite de moniteurs qualifiés. Des artistes confirmés suivent avec
intérêt cette expérience.

1. Voir notamment la recommandation A adoptée par la Conférence des ministres de l'éducation des
États européens (Vienne. 20-25 novembre 1967).

25
Les supports de l'action culturelle

Le livre
Les participants ont unanimement reconnu que le livre reste un instrument irremplaçable
de formation culturelle, en dépit de l'importance croissante que prennent tous les autres
moyens d'expression. Les progrès techniques qui ont permis de généraliser les éditions à
bon marché et d'en améliorer la qualité ont considérablement accru la diffusion du livre.
Mais diverses enquêtes semblent indiquer que les lecteurs se recrutent toujours dans les
mêmes catégories de public. Le pourcentage de la population qui ne lit jamais un livre reste
élevé, même dans les pays industrialisés. La radio et la télévision devraient être utilisées
davantage encore pour une propagande en faveur de la lecture. Les centres culturels pour-
raient exercer une influence du même genre.
D'autre part, les éditions à bon marché ne sont rentables que si le chiffre des ventes est
élevé, et les éditeurs hésitent trop souvent à publier les œuvres de jeunes auteurs. Une étude
internationale de cette question fournirait sans doute d'utiles indications. Un rôle non
négligeable à cet égard pourrait revenir aux éditions d'État, qui, dans certains pays, consti-
tuent un moyen de subvention de la production littéraire.
Étant donné le nombre et la complexité des questions à traiter, les participants ont renoncé,
faute de temps, à approfondir l'ensemble de ce problème, mais sans en sous-estimer pour
autant l'importance, et en tenant compte du fait qu'il occupe déjà une grande place dans le
programme de l'Unesco.

La télévision

Son influence sur le développement culturel


L'importance quantitative de la télévision est considérable, car, dans plusieurs pays, le
nombre de téléviseurs progresse à un rythme extrêmement rapide. A titre d'exemple, la
télévision touche jusqu'à 80 % des foyers au Japon, 63 % environ en Italie, 33 % en Pologne.
Par l'importance du public qu'elle atteint dans ces pays, la télévision constitue, quelle que
soit la qualité des programmes, le phénomène majeur du développement culturel extra-
scolaire. Son importance dépasse, quantitativement, celle des moyens de diffusion tradition-
nels : musées, théâtres, bibliothèques. Elle contribue à changer les modes mêmes de perception
de toute une population. En modifiant la fréquentation d'autres institutions culturelles
(cinéma, théâtre), elle les oblige à se transformer.
Dans certains pays, le pouvoir d'achat de la population étant très limité, la télévision
représente de gros sacrifices pour l'État comme pour les citoyens. De nombreux pays voient
en elle un instrument de formation irremplaçable. Elle permet l'harmonisation des modèles
de comportement et peut contribuer à réduire les disparités excessives entre les représentations
des citadins et celles des ruraux. Elle est un instrument efficace de changement culturel.
Aussi plusieurs pays consentent-ils en sa faveur un effortfinancierparticulier, et ils parviennent
à une diffusion collective en dotant de postes de télévision des centres communautaires et
diverses institutions collectives.

La question des programmes


Les trois fonctions reconnues à la télévision dans presque tous les pays sont informer,
instruire et divertir. C'est la troisième de ces fonctions plus particulièrement qui pose des
problèmes aux responsables des politiques culturelles. Si la télévision est un instrument
privilégié de développement culturel, comment concilier les exigences de la qualité et celle
de l'élargissement du public ? Faut-il encourager la coexistence d'émissions de haute qualité

26
Les supports de l'action culturelle

et de programmes qui paraîtront plus démagogiques que pédagogiques ? Ou faut-il accepter


un nivellement de la qualité autour de la moyenne afin d'éviter des clivages durables dans
le public? Il s'agit là d'un des problèmes les plus graves du développement culturel; il a
d'ailleurs retenu l'attention de la Conférence de Prague sur l'éducation des adultes et les
loisirs dans l'Europe contemporaine (29 mars - 6 avril 1965), qui en a recommandé l'étude
et a notamment demandé que l'on évalue « l'incidence de la télévision sur l'épanouissement
culturel des adultes ».
La table ronde a estimé souhaitable que les autorités culturelles de chaque pays puissent
intervenir officiellement et d'une manière efficace dans l'élaboration des programmes de la
radiodiffusion et de la télévision, et elle a recommandé que soient organisés des échanges
de programmes culturels.

La radio

L'apparition de la télévision oblige la radio à reconsidérer son rôle, à s'adapter à une demande
modifiée et à s'orienter dans une voie correspondant d'une manière plus précise à ses possi-
bilités techniques. Le « transistor », plus personnel, facilement transportable, utilisable là
où il n'y a pas d'électricité, a redonné à la radio un certain avantage sur la télévision par une
possibilité de diffusion plus grande dans le temps et dans l'espace : ceci est particulièrement
vrai pour les pays en voie de développement, mais dans un certain nombre de pays indus-
trialisés aussi les sondages révèlent qu'on écoute plus la radio qu'on ne regarde son téléviseur.
Les problèmes de programmation sont de même nature que ceux que pose la télévision.
La radio et la télévision ajoutent leur propre pouvoir de propagation à distance à des
moyens de pénétration déjà considérablement étendus par la multiplication des « tirages »,
des enregistrements et des reproductions. Il y a moins rupture et mutation que changement
de proportions et de dimensions entre les différents moyens de communication intellectuelle,
avec toutefois une prédominance évidente de la culture en mouvement sur la culture statique,
du message sensoriel et concret sur le message abstrait.

Le cinéma

Dans plusieurs pays, le cinéma, forme de récréation qui s'adresse surtout à une fraction
jeune du public, est laissé à l'initiative privée et échappe au contrôle des autorités culturelles.
Cependant son influence culturelle est de plus en plus reconnue, et la crise que lui fait subir
la télévision est bénéfique à deux égards: a) elle a amené une prise de conscience de l'impor-
tance du rôle que le cinéma pourrait jouer dans le développement culturel; b) à cause des
caractéristiques techniques respectives de ces deux moyens, elle a entraîné une différenciation
de plus en plus marquée de leurs formes d'expression particulières.
Aussi, dans de nombreux pays, le cinéma est-il l'une des préoccupations premières de la
politique culturelle. La formation des techniciens, des metteurs en scène, des acteurs, conduit
à la création d'écoles spécialisées ou communes avec celles qui forment le personnel des
théâtres, des centres culturels et de la télévision. Au niveau de la production, on trouve des
mesures d'aide aux productions de qualité (subventions ou avances) dans lesquelles entre
souvent l'organisation de festivals internationaux.
Au niveau de la diffusion, les pouvoirs publics peuvent aider à une diffusion de qualité
en créant d'une part des cinémathèques de conservation et de prêt, d'autre part des ciné-
clubs (scolaires, d'entreprise, de centre culturel, etc.) ou des salles « d'art et d'essai »
gérées dans des conditions fiscales particulières. Dans ce domaine, la politique culturelle
aura surtout pour objet d'améliorer l'équipement et l'animation et de définir les moyens

27
Les supports de l'action culturelle

d'une coopération efficace entre le secteur public et le secteur privé. Tous ces moyens sont
en évolution rapide et continuelle du fait de l'apparition de nouvelles formes de loisir, par
exemple le tourisme, l'automobile, les festivals, etc.
Les participants ont souligné la nécessité de veiller à ce que ces moyens tout-puissants
et qui rendent possible une large diffusion de la culture ne soient ni un « état de barbarie
plébéienne », ainsi que le craignent certains intellectuels, ni, selon l'expression du socio-
logue Adorno, une « tromperie de masse, destinée à empêcher la formation d'individus
autonomes, indépendants, capables déjuger et de décider consciemment». En effet, ils consti-
tuent une arme à double tranchant; car, étant dans de nombreux cas entre les mains d'entre-
prises commerciales guidées par la recherche du profit, ils risquent, en visant à toucher le
plus grand nombre, de provoquer un nivellement par le bas et une uniformisation déperson-
nalisante, et d'encourager une passivité de plus en plus grande du public. Il importe donc
d'étudier une technique d'utilisation de ces moyens extraordinairement puissants propre à
les mettre au service de la culture.
Les pays en voie de développement étant incomparablement moins bien équipés en moyens
de grande diffusion que les pays hautement industrialisés, il conviendrait d'étudier des
mesures permettant d'éviter que l'apport des cultures étrangères ne se fasse au détriment
des cultures nationales.

La presse

Certes, le rôle de la presse est avant tout d'informer. Mais de nombreux quotidiens, et surtout
des hebdomadaires, publient régulièrement des chroniques spécialisées qui contribuent ou
peuvent contribuer au développement de la connaissance et à la diffusion culturelle. La
presse en images (reportages photographiques, bandes dessinées) possède une force de
pénétration étonnante; les bandes dessinées, si elles étaient conçues par des artistes authen-
tiques, pourraient devenir un mode nouveau de littérature d'expression graphique.
La presse souffre cruellement de la concurrence de la radio et, surtout, de la télévision.
Pour remédier à cet état de choses, le gouvernement suédois a pris, en 1966, une mesure qui,
sous forme de subvention aux partis politiques, représente en réalité une aide financière
aux journaux. La même année, il a décidé d'accorder une aide régulière aux revues culturelles.

Le théâtre

Dans le monde occidental, le théâtre s'est progressivement éloigné de son origine populaire
pour devenir une forme d'expression de l'élite ; il est surtout orienté par les goûts académiques
de la bourgeoisie ou par la sensibilité des artistes d'avant-garde, ou encore par une volonté
intellectuelle de contestation sociale. Ces deux dernières préoccupations peuvent se rejoindre,
mais tous ces théâtres gardent forcément une audience limitée. Le caractère de classe qu'a
pris l'art dramatique au cours de son évolution se reflète même dans la conception architec-
turale du bâtiment et l'agencement de la salle. Depuis une cinquantaine d'années est apparue
la notion de théâtre populaire, et un effort a été tenté pour attirer au théâtre un public
plus large, en montant des spectacles mieux adaptés à ses goûts et à ses besoins et en installant
des salles dans les quartiers populaires, en utilisant des locaux improvisés, ou en multipliant
les manifestations de plein air. Aux États-Unis, on s'est aperçu qu'il existe un public pour
le théâtre dans les classes populaires lorsque ce théâtre exprime des préoccupations sociales.

28
Les supports de l'action culturelle

La décentralisation théâtrale

Certains pays conçoivent maintenant le théâtre comme un véritable service public et


s'efforcent de lui amener un public géographiquement et socialement divers. Des mesures
encouragèrent d'abord les troupes itinérantes, et, à plus long terme, l'implantation d'équipe-
ments. Le gouvernement tunisien, par exemple, prend à sa charge les frais de déplacement
des troupes dans le pays. Souvent la décentralisation théâtrale a été le premier pas d'une
politique générale de décentralisation sectorielle et même d'une action culturelle (Suède,
Cuba).
Dans plusieurs pays, le théâtre est considéré comme un élément d'entraînement de l'action
culturelle. Cela tient à la nature même de cet art, représentation sociale de rapports sociaux,
lieu de rencontre de la personne et de la communauté devant les grandes œuvres de l'huma-
nité. Une troupe théâtrale, une salle ont été d'ailleurs, dans certains pays, le point de départ
de centres culturels (Japon, Tunisie, France).

Le financement du déficit théâtral

Dans tous les pays, le théâtre est de plus en plus déficitaire, car c'est un domaine où les
coûts s'élèvent sans cesse, du fait de l'accroissement des frais techniques et de l'augmentation
du nombre des professionnels, sans que la productivité puisse augmenter. Or, si l'État
souhaite en faire un service public et pratiquer des tarifs très bas, le seuil de rentabilité ne
peut pas être atteint et ne pourra sans doute jamais l'être. De plus, traiter des œuvres de
qualité coûte très cher, de même qu'assurer un certain nombre de créations contemporaines.
Il se peut que les responsables de l'action théâtrale à différents niveaux n'acceptent pas
encore d'assumer toujours cette charge.
Le théâtre lyrique pose partout de sérieux problèmes d'équilibre: son coût est, en effet,
exorbitant et grève lourdement le secteur théâtre tout entier, bien qu'il y soit quantitativement
minoritaire. Or il convient d'assurer un équilibre entre les moyens d'accès à la culture. Des
études sont en cours dans plusieurs pays sur la réinsertion du théâtre lyrique dans la vie
sociale moderne.

Les festivals

Ils ont connu dans certains pays un très grand développement. En Europe, ils sont nés
sous l'impulsion de personnalités du monde artistique, ou sous celle des municipalités. Au
Japon, l'organisation de festivals a été l'œuvre du Ministère de l'éducation.

Festivals internationaux. Ils se situent au plus haut niveau, tendent à devenir périodiques,
et peuvent se classer dans trois catégories :
1. Ceux qui favorisent un enrichissement du public en lui présentant des œuvres de divers
pays et de formes variées (Théâtre des nations, festivals d'art cinématographique d'Aca-
pulco, de Cannes, de Moscou, de New York, de Sydney, de Venise) ;
2. Ceux qui, permettant la confrontation des différentes tendances de la création artistique
et des expériences novatrices dans un domaine déterminé, font avancer la recherche
(festivals de musique de Royan, de Zagreb, de Salzbourg, Biennale de peinture de Venise,
de Sào Paulo, etc., Mostra internazionale del nuovo cinéma de Pesaro, Festival du film
expérimental de Knokke, Festival du film d'animation d'Annecy, Biennale de chant
de Varna) ;

29
Les supports de l'action culturelle

3. Les festivals polyvalents, qui contribuent à effacer la démarcation traditionnelle entre


les formes d'art et à faire apparaître des combinaisons nouvelles, alliant des formes
d'expression consacrées à d'autres considérées jusqu'alors comme mineures (Festival
d'Avignon, Biennale de Paris, Festival de Carthage, de Balbeck, de Shiraz).

Festivals régionaux ou locaux, le plus souvent organisés par les étudiants d'une université,
qui trouvent ainsi l'occasion de faire l'expérience de l'action culturelle, ou par des muni-
cipalités, désireuses de donner à leur ville un certain rayonnement et à la population locale
un moyen d'expression, un stimulant (États-Unis, France, Bulgarie, Yougoslavie).

Festivals de compétition. Organisés dans de nombreux pays et généralement dotés de prix,


ces festivals ont pour objet principal d'encourager les ensembles amateurs et de dépister les
talents nouveaux. En Tunisie, à l'issue du festival du théâtre d'amateurs, on prime le meilleur
acteur, la meilleure actrice, la meilleure mise en scène, la meilleure adaptation, etc. Les
troupes qui y participent sont sélectionnées par une commission spéciale de sorte qu'elles
sont incitées à améliorer leur production pendant toute l'année et à procéder à des créations
originales dans l'espoir d'être retenues par les commissions de sélection. A Cuba, les meil-
leurs acteurs sont pris en charge par le gouvernement, qui assure leur formation. Au Japon,
les festivals regroupent une dizaine de formes d'expression artistique; les réalisateurs des
meilleurs spectacles ont la possibilité de faire une tournée provinciale aux frais du gouverne-
ment.

Les centres culturels, les maisons de la culture

A action nouvelle, moyens nouveaux. Un peu partout sont apparus des centres culturels
— ou maisons de la culture dans certains pays : Equateur, France, Pologne, Tunisie,
URSS, etc. — considérés comme l'incarnation de la politique culturelle nouvelle, essayant
de concilier qualité et large participation. Ce sont des institutions publiques polyvalentes
qui répondent à plusieurs besoins culturels par l'organisation d'activités dans plusieurs
domaines culturels (théâtre, musique, arts plastiques, bibliothèques et, selon les cas, loisirs
des jeunes, éducation populaire). Certains pays ont une conception très haute du rôle de ces
centres : ils sont appelés à constituer le noyau spirituel de la communauté par la qualité de
leurs manifestations et la participation active d'un large public. D'autres pays — en parti-
culier les pays en voie de développement — font porter l'accent sur l'aspect social et éducatif
des centres culturels et ils y dispensent une formation souvent pratique. Le centre culturel
est alors au premier chef un instrument d'éducation populaire.
La multiplicité des activités est à la base de la conception d'un centre culturel. Mais il
n'est pas toujours aisé de respecter ce principe. Parfois une dominante est fournie par la
personnalité des animateurs ou les vœux du public (théâtre, arts plastiques, culture scienti-
fique). D'une manière générale, le contenu des activités reflète les grandes options de la
politique culturelle : diffusion des grandes œuvres ou éducation populaire. Dans le pre-
mier cas, les manifestations seront d'ordre artistique essentiellement et d'une grande qualité,
c'est-à-dire toujours professionnelles. Elles auront alors un caractère exemplaire, et consti-
tueront un stimulant tant pour les publics que pour les créateurs locaux. Dans le second cas,
les activités seront beaucoup plus diversifiées, voire pratiques (bricolage, enseignement
ménager); le principe est alors l'animation de la vie sociale par l'organisation des loisirs, à
quoi s'ajoute souvent une fonction de formation, d'éducation populaire, fonction qui devient
dominante dans les pays en voie de développement.

30
Les supports de l'action culturelle

A l'heure actuelle, le centre culturel est en fait, par sa nouveauté, un instrument d'expé-
rimentation, et les méthodes appliquées sont plutôt empiriques. Les participants ont demandé
que des échanges internationaux d'expériences soient favorisés à leur sujet. Une innovation
intéressante dans cet ordre d'idées a été signalée : en Pologne, des « clubs-cafés » se sont
développés d'une façon extrêmement rapide jusque dans les villages; les habitants se réunis-
sent dans un local qui est à la fois un point de vente de journaux et de livres, un télé-club,
un radio-club et un café; il est équipé en outre d'un tourne-disques et de jeux de société.
Il y a là une insertion de la fonction culturelle dans la fonction sociale et commerciale qui
est très féconde. Ces clubs contribuent d'une façon concrète à réduire l'écart culturel entre
la ville et la campagne, à faire adopter, surtout dans la jeunesse, des modèles de la culture
urbaine, des mœurs et des comportements nouveaux et ils favorisent l'intégration sociale
en rassemblant les représentants de différentes générations et de différents groupes.

Les bibliothèques
L'Unesco étudie ailleurs les problèmes de bibliothéconomie. Les bibliothèques ne sont
donc saisies ici que sous l'angle de la politique culturelle. Elles en constituent en effet l'un des
principaux chaînons pour la raison que, seules parmi les moyens d'accès aux grandes œuvres
de l'humanité et aux grands courants de la culture, elles permettent à la fois la qualité la plus
haute, un prix bas, la plus grande liberté de choix et une attitude très active du public. Le
théâtre, par exemple, ou le concert doivent atteindre un seuil de coût très élevé pour pré-
senter un niveau de qualité satisfaisant. Ils n'offrent pas la même diversité de choix et ne
requièrent pas une attitude aussi active du public. Pour ces raisons, beaucoup de pays, dans
leur développement, choisissent de mettre l'accent sur les bibliothèques.

Les centres de lecture publique


Les bibliothèques sont, à l'origine, des lieux de science où l'on collectionne, classe et conserve
des « fonds » de livres. Cette fonction savante et patrimoniale de la bibliothèque est main-
tenant doublée d'une fonction de diffusion. Si des bibliothèques d'archives et des biblio-
thèques universitaires sont nécessaires, le développement culturel appelle la multiplication
des centres de lecture publique. Ceux-ci diffèrent beaucoup de la bibliothèque traditionnelle :
les magasins sont réduits, l'accent est mis sur la présentation des œuvres, l'accueil du public
et son information, l'usage des moyens audio-visuels. Le « conservateur » devient « ani-
mateur » (cf. p. 23, « Formation des bibliothécaires »). Étant donné la souplesse que pré-
sente le support imprimé (livre, disque, film), le centre de lecture publique peut être, avec une
qualité égale, de petites dimensions et convenir à de petites localités. Les bibliothèques
réservées aux enfants, spécialement équipées et aménagées, se multiplient. Dans un pays,
elles sont obligatoirement dirigées par des bibliothécaires femmes, plus aptes à comprendre
l'âme enfantine.
Pour apporter le livre au lecteur, on crée des services de bibliobus, qui vont jusque dans
des villages isolés. Les outils de lecture publique sont relativement simples à manier et donc
à gérer. Dans presque tous les pays, les bibliothèques sont l'affaire des collectivités décen-
tralisées : communes, syndicats, associations, entreprises. Dans un pays, une loi ancienne
oblige les collectivités à dépenser un certain pourcentage pour la lecture publique : c'est
un des pays où la lecture publique est le plus développée. Les autorités centrales n'inter-
viennent que pour susciter les initiatives là où elles manquent, fournir des normes, sub-
ventionner les équipements et former le personnel. Pour ces tâches, il y a tout intérêt à ce
que les bibliothèques de lecture publique constituent un secteur étroitement intégré à l'action
culturelle.

31
Les supports de l'action culturelle

Fonctions nouvelles des musées


Les musées, traditionnellement tournés vers leur tâche de conservation, accèdent à une
nouvelle dimension : la diffusion des œuvres dans le public. Ils sont aussi l'un des outils
de la politique d'action culturelle. Cette ouverture modifie les tâches, les méthodes et peut-
être les qualifications du personnel, l'architecture et les activités. Nouveaux équipements
d'accueil, équipements complémentaires (salle de projections, bibliothèque spécialisée),
méthodes plus pédagogiques de présentation accueillent et retiennent le public qu'attirent
plus souvent des expositions temporaires. De statique, le musée devient dynamique et acquiert
une vocation de centre culturel. On le trouve lié à une maison de la culture, ou assurant des
services commerciaux pour la vente de livres d'art, de reproductions, d'objets artisanaux,
ou enfin assurant une fonction de formation (cours du soir sur les beaux-arts, la musique,
l'urbanisme, etc.). D'autre part, les thèmes d'intérêt de la vie moderne suscitent la création
d'institutions nouvelles, comme le musée de l'automobile en Italie, celui du pétrole au Vene-
zuela et, d'une manière générale, les musées de la science et de la technique.
Le problème est, comme dans d'autres secteurs de l'action culturelle, de surmonter l'anti-
nomie entre les exigences de la coordination et celles de la décentralisation. Dès lors qu'il
a une fonction de diffusion importante, le musée n'est plus l'affaire d'une ville particulière
qui conserve pieusement l'héritage d'un illustre citoyen collectionneur : il fait partie d'un
réseau, doit pouvoir accueillir ou nourrir des expositions temporaires, s'acquitter de ses
responsabilités vis-à-vis du public le plus large. Il doit donc s'intégrer à une politique natio-
nale. Mais, en même temps, il doit garder ses particularités, ses traditions, sa vie propre,
et ne pas devenir un service extérieur d'une bureaucratie nationale. Des solutions sont cher-
chées dans tous les pays qui tendent à une certaine concentration, mais pas nécessairement
au sein de l'administration centrale. La Suède en particulier mène actuellement une vaste
enquête accompagnée d'essais pratiques.
Les participants ont souligné que le musée est appelé à jouer un rôle particulièrement
important en matière de formation culturelle, surtout dans les pays où se posent des pro-
blèmes linguistiques ou dans ceux qui comprennent une forte proportion d'analphabètes.

Sites et monuments
Dans tous les pays, l'action en faveur des monuments anciens et des sites ne vise plus seule-
ment leur conservation, mais également leur mise en valeur, leur réintégration dans la vie
économique et sociale. Ils ne sont plus seulement des lieux de recherche pour les archéolo-
gues et les historiens de l'art, mais des instruments d'action culturelle, d'éveil, de sensibi-
lisation de la population à la culture nationale et au patrimoine culturel de l'humanité.
L'importance des richesses archéologiques de certains pays a entraîné l'aménagement des
fouilles, considérées comme des musées de plein air, lieux d'attraction touristique en même
temps que témoignage formateur du passé. Quant aux monuments, ils ne peuvent plus être
considérés, à l'époque de l'urbanisation accélérée, en dehors de leur contexte. Cette idée
a abouti à définir un périmètre autour du monument et à placer l'ensemble sous la protection
de la loi (France). On a estimé également que certains sites naturels justifient une protection
légale. Réanimés par le tourisme, ils sont aussi menacés par lui. L'ensemble des sites et des
monuments devient, lui aussi, un des chaînons de l'action culturelle.

32
Les supports de l'action culturelle

Autres moyens de diffusion

Les conférences
A côté de la conférence « ex cathedra », qui ne touche plus guère aujourd'hui qu'une minorité
d'intellectuels et de cadres spécialisés, apparaissent d'autres formes de conférences, plus
attrayantes : conférence-débat (à laquelle le public participe activement), conférence-spectacle
(avec scènes lues ou jouées par des acteurs), conférence illustrée (avec projection de diaposi-
tives ou de courts métrages).

Les expositions
Elles peuvent jouer un rôle important à condition de toucher un public plus vaste et plus
varié grâce à l'amélioration des techniques d'information et de présentation. Un pays men-
tionne les mesures suivantes, qui ont donné des résultats satisfaisants :
Information : une documentation aussi parlante que possible est adressée aux directeurs
d'entreprise, aux directeurs d'établissement scolaire, en vue d'une large diffusion.
Cette mesure a permis de toucher un public neuf, bien souvent sous la forme de groupes
accompagnés ;
Présentation : organisation des expositions dans des halls attenant à des salles de spectacle,
en vue de toucher non seulement le public habituel des expositions, mais aussi celui des
séances cinématographiques, des concerts, etc. ;
Utilisation de commentaires enregistrés sur magnétophone, car il s'agit de s'adresser à
la totalité du public et non à des milieux intellectuels pour lesquels l'œuvre se suffit à
elle-même;
Diffusion d'un fond musical sonore adapté au genre et au thème de l'exposition présentée;
Projection de courts métrages et de diapositives se rapportant au sujet.
Par ailleurs, des expositions itinérantes peuvent être de la plus grande efficacité. On a signalé
un projet d'exposition organisée dans un train spécialement aménagé, et on a suggéré la
création d'« exposibus » types, destinés aux expositions itinérantes.
Les expositions internationales organisées avec la coopération de plusieurs pays et grou-
pant, sur des thèmes déterminés, des œuvres provenant de différents musées, méritent d'être
encouragées.

Les excursions culturelles


Organisées par des associations ou des centres culturels et préparées par des exposés ou des
projections, ces excursions, qui peuvent avoir pour but aussi bien des sites historiques que
des réalisations industrielles, rencontrent un grand succès, surtout auprès des jeunes.
La table ronde a estimé souhaitable que l'Unesco crée, dans chaque grande région,
avec la collaboration des commissions nationales, un ou plusieurs centres de documentation
artistique et musicale. A l'heure actuelle, en effet, il est très difficile, voire impossible, aux
chercheurs, aux conférenciers et aux professeurs de se procurer la documentation — films,
diapositives ou enregistrements sonores notamment — que requiert une étude, une confé-
rence ou un cours sur l'art ou la musique d'un pays relativement éloigné.
De même, la table ronde souhaiterait que l'Unesco recommande à chaque État membre
de prendre des mesures pour que tous ses chefs-d'œuvre artistiques soient reproduits sous
forme de diapositives ou de photographies de qualité — cette diffusion artistique, support
indispensable d'une véritable diffusion de la culture, devant évidemment échapper à toute
préoccupation d'ordre commercial.

33
Les supports de l'action culturelle

Le problème linguistique
La question des langues de diffusion a fait l'objet d'un échange de vues au cours duquel il
est apparu que la situation se présente d'une manière toute différente dans les pays où
sont parlées plusieurs langues et dans ceux où une langue de grande diffusion est employée
parallèlement à la langue nationale.
« Une langue correspond toujours et nécessairement à une vision du monde et à une forme
de vie sociale qui finissent par imposer une certaine structure mentale à ceux qui la pratiquent.
L'avenir et les possibilités d'épanouissement et de rayonnement des richesses culturelles de
nos peuples sont directement conditionnées par la transformation de nos langues vernacu-
laires en langues écritesl. » Plusieurs participants ont insisté pour que soient ressuscitées,
transcrites, enseignées et largement utilisées les langues nationales.
Un participant a fait observer que la culture est un message qu'il s'agit avant tout de
transmettre, et que, pendant que se développent les langues nationales (en particulier dans
les pays où elles sont nombreuses), il convient de garder et de développer l'usage des langues
étrangères. Mais il faut veiller à ce qu'une telle mesure demeure transitoire et ne serve pas de
prétexte pour négliger de promouvoir l'utilisation des langues du pays. Il a été souligné que
le Japon est parvenu à assimiler les éléments d'autres cultures tout en conservant sa langue.
On a fait observer que les langues de grande diffusion jouent un rôle très important pour le
développement de la technique et de la culture sur le plan international.
Il a été reconnu nécessaire de transcrire les langues nationales, de les enseigner, d'en géné-
raliser l'utilisation, de favoriser la compétition littéraire et de les rendre aptes, progressive-
ment, à traduire la complexité de la pensée scientifique et technique. En Malaisie, où une
langue commune a été adoptée, un bureau spécialisé est chargé d'enrichir la langue par la
création de vocables nouveaux.

1. Sekou TOURÉ, « L'Afriaue et la révolution ».

34
Les structures administratives
et financières

Répartition des fonctions culturelles entre les diverses catégories d'agents


A partir du moment où une action concertée est envisagée, il importe de répartir et de
préciser les rôles. Depuis la disparition des princes mécènes, l'héritage de leurs biens et de
leurs fonctions culturelles a été tant bien que mal assuré, tantôt par l'État, tantôt par les
autorités locales, tantôt par des associations privées. Mais la répartition des responsabilités
culturelles ne résultait pas d'un examen logique des fonctions à remplir, et celles-ci étaient
assurées sans grande force, ni continuité. A partir du moment où ces responsabilités devien-
nent assez importantes pour devoir être intégrées dans des politiques délibérées, leur répar-
tition optimale entre les divers agents de l'action culturelle devient nécessaire.
Quels sont les rôles respectifs de l'État, des villes, des entreprises, des associations et des
particuliers ? Voilà une question qui ne peut pas manquer de se poser lors de l'élaboration
d'une politique culturelle. Certes, les structures administratives des affaires culturelles
d'un pays reflètent nécessairement les structures générales et la mentalité de l'administration
de ce pays : les études nationales le montrent bien. Il est cependant intéressant d'analyser
les structures auquelles des pays de régime divers ont été peu à peu conduits après plusieurs
années d'expérience. S'agissant d'un domaine où l'administration est encore neuve et
inexperte, chacun, même vivant dans un contexte différent, pourra trouver dans telle ou
telle formule utilisée ici ou là une confirmation ou une inspiration.

Les autorités centrales

Utilité d'une certaine concentration


Pendant longtemps, la vie culturelle fut considérée comme une affaire individuelle et privée.
On y voyait avant tout l'ornement social d'une carrière individuelle, un luxe et non un
besoin. L'action culturelle publique, dans la mesure où elle existait, était extrêmement
limitée. La prise en charge graduelle par l'État ne s'est pas toujours faite de la manière la
plus rationnelle. C'est ainsi qu'on trouve encore aujourd'hui, dans certains pays, les monu-
ments historiques au Ministère des travaux publics, les spectacles au Ministère du tourisme,
le théâtre populaire au Ministère du travail, le livre au Ministère de l'industrie, ou l'aide
à la création plastique au Ministère desfinances!
Cependant, de nombreux États ont pris ou sont en train de prendre conscience de la
nécessité de regrouper les services culturels sous l'autorité d'un seul département. Les
avantages reconnus à ce regroupement sont les suivants :

35
Les structures administratives et financières

Possibilité de coordonner au niveau national des actions qui sont considérées, au niveau
local, comme formant un tout : la réanimation d'un vieux quartier, l'aide aux créateurs
locaux, l'organisation d'un centre culturel constituent dans une ville un seul ensemble
de problèmes, traité par un même élu municipal. La structure nationale, pour être bien
comprise et utilisée, doit correspondre à la structure locale;
Possibilité d'élaborer une conception générale de l'action culturelle qui permet d'assurer
cohérence et continuité à des actions autrefois disparates et intermittentes, et donc d'arriver
à un meilleur emploi des fonds publics;
Possibilité d'établir des priorités, compte tenu des objectifs de démocratisation, notamment
en vue de décentraliser les activités culturelles. Une phase de centralisation est nécessaire
pour pousser une décentralisation vraie ;
Possibilité de donner aux affaires culturelles une autorité morale et politique suffisante au
niveau du gouvernement.

Les différents types de regroupement sectoriel

Le nombre et l'importance des secteurs regroupés dans les départements des affaires cultu-
relles varient selon les pays. Voici, dans l'ordre de leur fréquence, les secteurs que l'on
trouve réunis dans les pays examinés : la formule la plus étroite rassemble les secteurs
traditionnels (lettres, arts et musique) pour les fonctions de création, de diffusion et de conser-
vation (théâtre, concert, musée, bibliothèque).
En s'élargissant progressivement, la compétence du Ministère des affaires culturelles
recouvre successivement :
1. La formation artistique (scolaire, extrascolaire, professionnelle);
2. La conservation du patrimoine (monuments anciens, sites, archives écrites ou sonores) ;
3. Le cinéma, le livre;
4. La radio et la télévision;
5. L'éducation populaire;
6. L'organisation des loisirs et le tourisme culturel;
7. L'esthétique urbaine et la création architecturale;
8. L'esthétique industrielle;
9. L'initiation à la science;
10. Le sport.
On constate également que les secteurs le plus souvent réunis en un ministère sont ceux qui
touchent le public le plus restreint, alors que les secteurs qui touchent la quasi-totalité de
la population (radio-télévision, esthétique urbaine, loisirs, par exemple) sont rarement pris
en charge par les pouvoirs publics. Il y a là une situation héritée de l'histoire qui ne corres-
pond pas entièrement à la vie moderne, et qui pourrait utilement faire l'objet d'une étude
internationale.
Le lien avec le Ministère de l'éducation

Le problème du lien entre le Ministère de la culture ou des affaires culturelles et le Ministère


de l'éducation se retrouve partout : déjà parce que les affaires culturelles ne sont souvent
qu'un département du Ministère de l'éducation. Ceci tient peut-être au fait que la distinction
entre savoir'et culture, entre accès aux connaissances et accès aux valeurs n'est pas toujours
clairement établie. En outre, la fonction de formation relevant traditionnellement du Minis-
tère de l'éducation, la formation artistique en relève également. Enfin, l'accès aux arts et
l'ouverture au monde se font principalement à l'âge scolaire. La tendance semble être cepen-

36
Les structures administratives et financières

dant d'amener au sein du Ministère des affaires culturelles les formations artistiques spécia-
lisées et extrascolaires, tout en maintenant une coopération avec le Ministère de l'éducation
pour la formation artistique scolaire. Ceci tient au fait que les exigences de l'art, de la
créativité, ne sont pas facilement assimilées par les pédagogues, qui sont naturellement
tendus vers ce qui est transmissible.
A l'intérieur même du Ministère des affaires culturelles, on peut soit faire une division
administrative des enseignements artistiques commune à toutes les disciplines, soit rattacher
chaque enseignement à la division sectorielle qui s'occupe déjà de la création et de la diffu-
sion, en lui ajoutant la fonction de formation. La tendance est de choisir la première formule
au niveau de l'enseignement secondaire (« lycée artistique », « collège technique artisti-
que », etc.) et la seconde au niveau de l'enseignement supérieur (conservatoire supérieur de
musique rattaché à la direction de la musique, etc.).

Conservation : défense du patrimoine culturel


La conservation du patrimoine culturel, qu'il s'agisse des pierres, des monuments, des
paysages et des sites, ou des archives écrites et orales, est couramment perçue comme faisant
partie des affaires culturelles. Mais au lieu d'être seulement poursuivie pour elle-même,
par des érudits passionnés du passé, la conservation est aujourd'hui conçue comme une
défense contre une culture technologique anonyme, comme le moyen de sauvegarder des
valeurs traditionnelles et populaires. Elle est intégrée au développement social et au déve-
loppement culturel.

Les secteurs cinéma et livre : rôle de l'Etat


Le cinéma et le livre sont des moyens d'action culturelle qui ont un support industriel et
commercial et qui, pour cette raison, relèvent du secteur privé. Mais ils touchent un si fort
pourcentage de la population que les pays où l'action de l'État est volontairement étendue
considèrent que l'État ne saurait se désintéresser de leur développement. En général cepen-
dant, l'État ne s'occupe que de l'orientation générale et délègue ses pouvoirs à des offices
autonomes, placés sous sa tutelle, mais disposant de moyens non administratifs qui leur
permettent d'être compétitifs sur le plan international.

Le statut de la radio-télévision
La radio et la télévision sont nées comme des moyens d'information et leur importance
culturelle, comme leur fonction éducative, n'a été perçue que plus tard. Leur puissance est
telle qu'on a souvent cherché à garantir leur autonomie par rapport au gouvernement.
Pour ces raisons, la radio et la télévision, quand elles sont des organismes publics, sont en
général des offices autonomes. Leur rattachement au gouvernement se fait encore plus sou-
vent par l'intermédiaire du Ministère de l'information que par celui du Ministère des affaires
culturelles. Mais cette situation est en pleine évolution, et partout l'incidence très forte de
la télévision sur l'action culturelle pose le problème de son rattachement administratif.

V éducation populaire et l'organisation des loisirs


Pour beaucoup de pays, l'éducation populaire fonctionne comme un des principaux relais
de base de l'action culturelle, et elle en fait partie '. D'autres pays estiment au contraire que

1. Dans un des pays étudiés, l'éducation populaire représente 40 % du budget culturel.

37
Les structures administratives et financières

l'éducation populaire vise plus l'acquisition des connaissances et la mobilité sociale que la
sensibilisation à la culture; l'éducation populaire est alors rattachée au Ministère de l'édu-
cation.
L'organisation des loisirs est parfois rattachée aux affaires culturelles pour la raison que
c'est dans les temps de loisir quotidiens, hebdomadaires ou annuels qu'ont lieu les activités
culturelles, et que l'État peut chercher à utiliser les loisirs pour le développement individuel
ou social. Dans certains pays, au contraire, on craint que l'accent mis sur l'organisation
des loisirs ne « rabaisse » la culture à n'être qu'une distraction parmi d'autres, et on refuse
le rattachement.

Le sport

Le sport enfin est souvent considéré comme faisant partie de la culture d'un individu et
d'une nation. Tradition plus ancienne qu'Olympie elle-même, l'intégration du sport à la
culture répond au besoin qu'a l'homme, non seulement de s'épanouir personnellement,
mais aussi de cultiver sa nature jusqu'à l'ordre et la beauté. A ce double titre, le sport, dans
certains pays, est rattaché à l'action culturelle. D'autres pays considèrent qu'il s'agit d'un
domaine à part, requérant des équipements et des personnels spécifiques, et ils en font soit
une administration à part entière, soit un département rattaché à l'éducation.

Décentralisation géographique
Tous les pays examinés considèrent que la décentralisation de l'action culturelle est un de
ses principes les plus importants. Certains pays considèrent que c'est la priorité absolue.
C'est que la décentralisation est un corollaire de la démocratisation de la culture. Une
action culturelle qui ne se borne plus à atteindre les classes cultivées de la capitale, mais veut
toucher la population la plus large, doit être proche physiquement et intellectuellement
de la population locale. Les équipements, comme les programmes d'activité, doivent être
conçus localement, compte tenu à la fois des besoins étudiés systématiquement et de l'expé-
rience des autorités centrales.
Les programmes d'activité et les équipements doivent être conçus en fonction des besoins
locaux et des forces locales existantes. Les besoins varient en effet selon la répartition pro-
fessionnelle de la population. En outre, il se peut que la vie culturelle soit déjà active dans
certains secteurs, et il faut s'appuyer sur l'existence de ces forces. Enfin, pour être puissante,
l'action culturelle doit se tenir en liaison étroite avec ces interprètes institutionnels de la
population que sont les élus politiques. Cependant, la décentralisation comporte des degrés
et des formes diverses; en voici six types qui se dégagent des études entreprises :
a) La North Eastern Association for the Arts (Royaume-Uni) a pour but de regrouper
l'action culturelle menée par les divers agents d'une région. Elle est composée de repré-
sentants des collectivités locales, des sociétés industrielles et commerciales, des industries
nationales, des syndicats, des chambres de commerce, des universités et des associations
culturelles, et de personnalités. Son comité exécutif, de trente-cinq membres, est conseillé
par cinq commissions spécialisées pour la musique, le théâtre, les arts plastiques, la littérature
parlée et écrite et le cinéma. L'association conseille et aide les collectivités locales et organise
des opérations communes. Ses ressources proviennent pour trois septièmes des collectivités
locales, trois septièmes des autorités nationales (Arts Council) et un septième du secteur
privé. Il est envisagé de créer en Grande-Bretagne autant d'associations de ce genre qu'il
y a de régions économiques. Leurs problèmes sont les suivants : quelle est la taille optimale

38
Les structures administratives et financières

d'une association? Doit-elle avoir son propre équipement ou utiliser des équipements
mobiles ? Peut-elle recevoir des autorités centrales, non pas des directives, mais des conseils
pratiques, de l'information?
b) Les State Arts Councils (États-Unis) : aux États-Unis, depuis juin 1967, chacun des
États possède un Arts Council. Au titre de la loi de 1965 instituant une action fédérale pour
les arts, 50 000 dollars sont attribués à chaque État qui en fournit autant. Par ce stimulant,
la décentralisation a gagné tous les États en deux ans. Aujourd'hui, les Arts Councils se sont
regroupés en une association indépendante de l'administration qui joue le rôle de conseil
et de coordonnateur.
L'autorité fédérale ne coordonne pas, ne propose pas de politique culturelle. Laissant
les problèmes de diffusion et d'équipement aux États et aux villes, elle n'intervient — et ceci
depuis 1965 seulement — que dans les domaines de la création, de l'expérimentation, delà
recherche, et pour quelques actions isolées, dans des secteurs où l'initiative privée est insuffi-
sante. C'est que le gouvernement fédéral a pour principe d'aider — et non de diriger. Depuis
1964, un montant de 30 % du revenu des particuliers ou des firmes peut être exempté d'im-
pôts s'il est affecté à une organisation culturelle. On évalue à 35 millions de dollars le montant
total des sommes allouées aux arts. On considère ainsi que 80 % de l'aide aux arts est d'ori-
gine privée.
c) Un Ministère de la culture par État et un Ministère fédéral (Union des républiques socia-
listes soviétiques) : en URSS, le principe de la décentralisation vise à faire participer les
citoyens à la gestion des organisations culturelles par l'intermédiaire de leurs représentants
(syndicats, unions d'artistes, mouvements de jeunes, etc.). Chaque république possède un
Ministère de la culture qui administre l'action culturelle. Le Ministère fédéral n'a que trois
compétences : l'orientation générale et la planification, les équipements, la formation du
personnel.
d) Le Comité régional des affaires culturelles (France) : en France, un comité régional
des affaires culturelles remplit, pour chaque région économique, deux fonctions complé-
mentaires : l'inventaire des besoins et la préparation du plan, d'une part, et le relais de l'action
culturelle nationale, de l'autre. Ce comité est composé d'un représentant de chaque secteur :
architecture, musées, archives, maisons de la culture, enseignement artistique, cinéma. Son
activité est coordonnée par un « correspondant permanent » relevant du cabinet du ministre.
Il est l'interlocuteur normal du préfet de région pour tout ce qui touche les affaires cultu-
relles. En outre, un « conseiller artistique » (exerçant par ailleurs une activité culturelle)
est chargé d'animer l'effort de création artistique dans la région, notamment en facilitant
le concours des artistes à la décoration des constructions publiques. En somme, les structures
de décentralisation de l'État français sont des structures de programmation, de coordina-
tion, mais non de gestion, tâche qui est laissée aux communes, aux institutions et aux
sept mille associations.
e) Un réseau hiérarchisé de comités culturels (Tunisie) : en Tunisie, un réseau de comités
culturels relevant du Secrétaire d'État aux affaires culturelles et à l'information a été
mis en place en 1962 :
Le Comité culturel national, établi à Tunis, élabore le programme annuel d'activités cultu-
relles et artistiques pour l'ensemble du pays, coordonne l'activité des comités culturels
centraux, régionaux et locaux et s'attache à renforcer les relations culturelles avec les
pays étrangers. Les membres de ce comité sont désignés par le président de la république
sur proposition du secrétaire d'État aux affaires culturelles et à l'information.
Les comités culturels centraux, au nombre de treize, à raison d'un par gouvernorat, ont
pour mission notamment de coordonner les activités culturelles dans le gouvernorat et
d'arrêter le programme annuel des activités des maisons du peuple.

39
Les structures administratives et financières

Les comités culturels régionaux créés au siège de chaque délégation ont pour mission
d'assurer l'exécution des programmes culturels fixés en collaboration avec le comité
central de leur gouvernorat.
Les comités culturels locaux, au niveau des petites communes, constituent l'ultime ramifi-
cation d'une organisation très structurée qui, partant de la capitale, s'étend aux régions
les plus éloignées.
Pour le législateur, il s'agissait avant tout de s'intéresser aux villes, aux villages, aux cam-
pagnes de l'intérieur et d'atténuer, sur le plan culturel, le déséquilibre entre la capitale et
le reste du pays. Ce mouvement de décentralisation a donné des résultats satisfaisants et
s'est concrétisé en des réalisations tangibles : dans les villes de l'intérieur, ciné-clubs, biblio-
thèques, troupes théâtrales et musicales se multiplient. Les différents comités culturels
rivalisent d'ardeur pour doter leur région de maisons de la culture et de maisons du peuple.
Le secrétaire général de chaque comité culturel central est un animateur permanent salarié
à plein temps. Il représente le Secrétariat d'État aux affaires culturelles et à l'information
dans chaque gouvernorat. 11 participe à la conception, à l'élaboration et à l'exécution de
l'action culturelle dans la région.
/ ) Une décentralisation culturelle intégrée à la décentralisation administrative (Tchécoslo-
vaquie) : en Tchécoslovaquie, l'action culturelle n'a pas de structures propres de décentra-
lisation, mais elle est présente à chacun des niveaux administratifs ; des sections culturelles
existent dans les comités administratifs de région, de district, de ville et de commune. Ces
sections culturelles ont à la fois un rôle de planification — en étroite liaison avec le reste
de la planification sociale et économique — un rôle d'initiative et de gestion, avec une large
autonomie financière, et un rôle d'animation des organes inférieurs ou parallèles. Le minis-
tère ne garde que les fonctions suivantes : la planification générale, le budget (et le contrôle
financier), la fixation des salaires des professionnels, la réglementation. Il remplit également
une fonction de conseil et d'information pour les comités des divers niveaux.
Une politique culturelle a deux exigences apparemment contradictoires : centralisation
et décentralisation. C'est que la centralisation et la décentralisation n'interviennent pas au
même moment, ni pour le même objet. Une centralisation est nécessaire au début de l'action
culturelle. Même dans les pays à structure fédérale, une concentration est jugée nécessaire;
elle permet une prise de conscience des problèmes culturels dans leur dimension nationale,
elle stimule les autorités locales en leur fournissant des subventions, des formules juridiques
et des principes de gestion, elle n'intervient directement que là où il y a pénurie d'initiative
et là où seul l'échelon national permet l'action (formation des cadres, par exemple, ou expé-
rimentation). C'est seulement quand ces fonctions ont pu être remplies à l'échelon central
qu'une décentralisation peut être valablement instaurée.
Il découle de ces observations que le rôle propre des autorités nationales par rapport aux
autres agents de l'action culturelle est moins un rôle de gestion qu'un rôle de réflexion et
d'étude, d'orientation, d'incitation, d'information et enfin de coordination. Les autorités
centrales doivent se débarrasser au maximum de toutes les tâches de gestion directe. Il y a
là un point sur lequel tous les pays, quels que soient leur régime et leur définition de la
culture, semblent s'accorder.

Collectivités locales

L'action culturelle est plus l'affaire des collectivités locales que celle du gouvernement.
On retrouve ici les arguments en faveur de la décentralisation : démocratisation, liberté
d'initiative, proximité des besoins exprimés ou latents de la population. La vie culturelle

40
Les structures administratives et financières

locale est un élément important de la vie d'une collectivité. Elle lui donne le sentiment de son
existence originale. La collectivité locale, cependant, dispose encore moins de méthodes
d'action et de savoir-faire que le gouvernement, chez qui ces notions sont déjà très neuves.
Elle a souvent besoin d'être informée et conseillée. Les principales questions qui se posent
à elle sont les suivantes : Quelles sommes doit-elle consacrer aux affaires culturelles ? Quels
modes de gestion doit-elle adopter (gestion directe ou à travers des institutions ou associa-
tions) ? Quels rapports peut-elle entretenir avec ses voisines et avec l'autorité centrale ?

Les grandes options de la politique culturelle locale


La collectivité locale a besoin, tout comme l'État, d'avoir une politique culturelle, c'est-
à-dire d'opérer consciemment les grandes répartitions entre secteurs, fonctions et modes
d'intervention. Bien souvent, elle se contente de reporter d'une année sur l'autre les crédits
accordés, au gré des circonstances, sans qu'il y ait cohérence d'ensemble ni programme à
long terme. C'est pourquoi on trouve d'importantes inégalités entre secteurs : dans telle ville,
le théâtre lyrique absorbera 80 % des dépenses culturelles; dans telle autre, les actions
anciennes ne laissent aucune ressource aux actions nouvelles, et la vie culturelle se sclérose.
Enfin, l'ensemble du secteur culturel n'est pas toujours évalué en fonction des secteurs
voisins tels que « sports et plein air », « éducation », « action sociale ». Dans l'esprit des élus
locaux, des distinctions et des réévaluations sont souvent à faire. Parmi les quatre fonctions
de l'action culturelle, si les villes sont généralement conscientes de leur rôle de diffusion —
encore qu'elles doivent distinguer entre les « fêtes » et la diffusion culturelle — elles le sont
généralement moins en ce qui concerne la création (en particulier architecturale) ou la conser-
vation (les quartiers anciens). Enfin, la répartition entre les modes d'intervention fait l'objet
de choix fondamentaux : on rencontre plusieurs types de gestion : la gestion directe par la
municipalité, mais qui comporte le double risque de la bureaucratisation et des ingérences
extérieures à la culture; la gestion indirecte par l'intermédiaire d'associations entièrement
privées, que la ville subventionne, mais le risque est alors de dispersion et de discontinuité
de l'action; enfin la gestion par l'intermédiaire d'institutions publiques mais autonomes,
gérées par des comités composés de membres de trois catégories : représentants de la puis-
sance publique, représentants du public et représentants des spécialistes de l'animation cul-
turelle. Cette formule semble réunir à la fois cohérence, continuité et participation du public.
La compétence de ces corps intermédiaires peut aller de la gestion d'une institution particu-
lière (par exemple, le théâtre) à la coordination de toutes les activités culturelles locales
(« office culturel communal »).

Le budget culturel local


Les dépenses culturelles d'une ville reflètent bien ses grandes options. Encore faut-il qu'elles
soient comptabilisées de façon analytique, ce qui suppose l'existence de notions précises en
matière d'action culturelle. Les principales catégories d'analyse auxquelles les villes sont
associées sont les suivantes :
1. Pourcentage du budget culturel par rapport au budget total et par rapport aux autres
budgets de la ville (sports, éducation, action sociale);
2. Proportion des investissements (endettement) par rapport au fonctionnement. Les chiffres
montrent que le sport coûte plus cher à l'investissement qu'au fonctionnement, alors que
l'action culturelle est très coûteuse dans son fonctionnement;
3. Proportion des subventions par rapport aux dépenses directes;
4. Dépenses par « unité de fonctionnement » (par exemple, coût d'un concert, coût d'une
manifestation théâtrale, coût d'une journée de fonctionnement de la bibliothèque);

41
Les structures administratives et financières

5. Dépenses par habitant et par secteur. Dans un pays, on estime, par exemple, que les
dépenses de théâtre par habitant varient de 3 F à 30 F suivant que la ville a moins de
20 000 habitants ou plus de 100 000 habitants;
6. Coût par utilisateur : à combien revient le fauteuil de théâtre, l'élève du conservatoire,
le livre prêté ?... Dans une ville, il est apparu qu'un livre prêté coûte autant à la ville qu'un
livre de poche donné... L'établissement de tels comptes donne aux élus locaux une cons-
cience claire de leurs responsabilités et de leurs possibilités en matière culturelle : en
effet le danger est double, de voir ou trop petit ou trop grand. Certaines actions (le
théâtre par exemple) ne sont pas à la portée de villes petites qui n'ont ni assez de res-
sources, ni assez de public pour les mener à un niveau de qualité suffisant.

La coopération inter-villes et avec VÉtat


Dès lors que l'action culturelle n'est plus seulement faite d'opérations de prestige local,
mais s'insère dans une politique visant à faire participer aussi largement que possible la
population à la vie culturelle, les villes ne se suffisent plus à elles-mêmes. Elles doivent coopé-
rer pour mettre en commun leurs ressources et les faire circuler : il n'est pas rentable d'orga-
niser une exposition temporaire dans une seule ville, de créer une pièce de théâtre une seule
fois. Des circuits régionaux de diffusion sont constitués avec partage des frais communs entre
plusieurs villes. Pour lancer une telle coordination, il arrive souvent que l'État intervienne,
puis cherche le relais de groupements de villes. La solution de facilité est de compter entière-
ment sur l'État. Mais dès que le développement culturel prend de l'ampleur, il devient
évident, pour des raisons à la fois pratiques et politiques, que l'État ne peut pas tout faire.
Il doit se borner à aider au démarrage, puis à la coordination. Dans plusieurs pays, l'État
aide les collectivités locales au départ, dans leur effort d'équipement, puis se retire peu à peu.

Le secteur privé commercial

On a souvent tendance, lorsque l'on parle de politique culturelle, à ne penser qu'à l'État
et aux autorités locales et à négliger le secteur privé commercial. Or celui-ci joue très souvent
un rôle primordial, parfois plus important que celui de la puissance publique : une étude
des comptes culturels de la nation, analysés par catégorie d'agent, permettrait de mesurer
cette importance. Elle varie selon les régimes économiques. Par le public touché, par la
qualité des produits distribués, elle intéresse au premier chef les politiques culturelles. A
ce secteur se rattachent en général le livre, le disque, le film et le marché des œuvres d'art.
Ce sont là quelques-uns des principaux moyens de rencontre avec les grandes œuvres de
l'humanité. Les conditions de leur « consommation », de leur distribution et de leur « pro-
duction » intéressent les pouvoirs publics.
En matière de création et de diffusion culturelle, l'État peut souhaiter aider directement
ou indirectement le public, les producteurs ou les vendeurs. L'effort de démocratisation
conduit donc à abaisser artificiellement le prix des places dans les théâtres publics, dans les
centres culturels ou même dans certains cinémas. Des formules sont pareillement cherchées
pour abaisser le prix des services culturels du secteur privé.
Dans un certain nombre de pays, les industries et les commerces culturels bénéficient
de détaxations partielles ou complètes. Selon les pays, le théâtre est surtaxé comme commerce
de luxe ou complètement détaxé comme activité culturelle; il en est de même pour tous les
secteurs. Il a même été proposé que les librairies, qui ont un rôle d'orientation de la « consom-
mation », jouissent de régimes fiscaux particuliers. De telles détaxations ne privent pas le
Trésor public de ressources importantes, et elles peuvent jouer un rôle d'incitation considé-

42
Les structures administratives et financières

rable. Dans un pays, le cinéma d'art et d'essai a été ainsi partiellement détaxé. En trois ans,
le nombre des salles d'art et d'essai est passé de 10 à 400. En même temps, ces salles ont
accueilli une clientèle accrue. Le bilan culturel est positif et le bilan financier l'est devenu.

Les entreprises

Les entreprises constituent de grands agents économiques, disposant d'un large pouvoir
financier et réunissant un nombreux public pendant de nombreuses heures; aussi s'est-on
souvent tourné vers elles pour les amener à jouer un rôle dans l'action culturelle. Des
exemples de mécénat industriel se rencontrent dans la conservation des monuments histo-
riques, dans la création de musées, dans l'organisation d'activités culturelles pour le person-
nel. Mais l'attitude du personnel semble réservée. Il accepte volontiers les services offerts
quand ils ne demandent pas une longue participation : les bibliothèques et discothèques
de prêt, la vente de billets pour spectacles ont du succès. L'accueil fait aux manifestations
organisées dans l'entreprise ou par elle en dehors des heures de travail varie selon les pays.
Dans le cas de la Pologne, par exemple, toute entreprise appartenant à l'État a une activité
culturelle. Les entreprises de plus de 100 travailleurs ont une salle; celles de plus de 1 000 tra-
vailleurs un club, et celles de plus de 2 000 travailleurs une maison de la culture; ces locaux
sont situés en dehors du terrain de l'entreprise. Les entreprises doivent rémunérer des ani-
mateurs professionnels (de 1 à 5 selon l'importance de l'entreprise). Ces centres sont gérés
par les conseils d'entreprise et financés à la fois par les cotisations des membres, par l'en-
treprise sur son profit, par les syndicats et par le budget national. Les problèmes se posent
surtout au niveau des petites entreprises, où la coordination est difficile. L'efficacité de ce
système fait actuellement l'objet d'une évaluation de la part des chercheurs polonais.

Les associations privées, les groupements d'amateurs

Très nombreuses dans la plupart des pays, dans tous les secteurs, au niveau local comme au
niveau national, les associations ont été les principaux agents du développement culturel.
Elles ont précédé les autorités publiques, les ont stimulées, et aujourd'hui elles sont souvent
institutionalisées. Leur intérêt tient d'abord à ce qu'elles sont enthousiastes : elles sont le
moteur et l'âme de l'activité culturelle. Leur second intérêt est de permettre l'innovation
quand la puissance publique est sclérosée, car elles sont libres. Leurs limitations découlent
parfois soit de leur manque de continuité dans l'action, soit de leur manque de contact avec
la population.
Les groupements d'amateurs sont encouragés dans de très nombreux pays à une double
fin de découverte de nouveaux talents et de participation active du public à des formes
d'expression diverses. Cette participation contribue au développement individuel et remplit
en même temps une fonction sociale. C'est pour cette raison que le théâtre demeure privi-
légié, particulièrement chez les jeunes — dès l'école — mais aussi dans nombre de centres
culturels. Dans les pays en voie de développement, on voit la nécessité d'encadrer ou simple-
ment de guider et conseiller les amateurs, afin de parer au danger de la médiocrité, puisque
par ailleurs les manifestations exemplaires n'y ont pas encore une diffusion suffisante. Dans
ces pays, cependant, le problème d'une large participation d'amateurs renvoie directement au
problème de la formation générale. Toute politique culturelle devrait prendre des options
claires en ce qui concerne les amateurs et leurs liaisons avec les professionnels, au niveau
de la formation, de la création, de la diffusion et même de la conservation (chantiers archéo-
logiques de jeunes, par exemple).

43
Les structures administratives et financières

Budgets culturels
On appellera budget culturel la part des dépenses de l'État qui est consacrée à l'action cul-
turelle. Il y a lieu d'insister sur cette notion parce que dans la plupart des pays, du fait de
la dispersion des structures administratives de l'action culturelle, ces dépenses sont rarement
rassemblées. L'intérêt de ce regroupement est grand, car les dépenses constituent un des indi-
cateurs qui permettent d'évaluer l'effort consenti par la collectivité publique pour la culture
par rapport aux autres secteurs.
Cet indicateur n'a pas de valeur absolue, il ne reflète nullement, certes, la qualité spéci-
fique de l'action culturelle, qui ne se mesure pas en chiffres, mais il évite une rhétorique
abondante et vaine qu'appellent souvent les choses de la culture. Il est indispensable à tous
ceux qui veulent comprendre la place de la politique culturelle dans la vie de la nation. Une
première étude consiste donc souvent à regrouper les dépenses qui figurent dans de nombreux
chapitres du budget ou dans le budget d'offices parapublics autonomes.
Une fois ce premier regroupement opéré, il est utile de situer le budget culturel par rapport
aux grandes données de la vie nationale. On peut ainsi comparer le budget de la culture aux
autres grands budgets de la nation. La comparaison des budgets culturels dans des pays
différents n'est pas toujours facile, car les bases de leur calcul sont actuellement si variées
qu'une telle comparaison ne serait pas très probante. Par exemple, lorsque l'on dit que la
Suède et la Pologne consacrent 1 % du budget national aux affaires culturelles, la France
0,43 %, on est doublement trompé : d'une part, au numérateur, le contenu du budget
culturel n'est pas le même (par exemple, les archives y figurent en France, non en Pologne,
les industries culturelles apparaissent en Pologne, non en Suède, etc.) ; d'autre part, au déno-
minateur, les budgets nationaux de la Suède, de la Pologne et de la France ne comprennent
pas les mêmes rubriques.
Si on remplace au dénominateur « budget national » par « revenu national », on diminue
sans doute un peu l'erreur, et on obtient un chiffre plus significatif : 1 % pour la France, par
exemple, 2 °/oo pour la République arabe unie. De même, il n'est pas indifférent d'apprendre
que les affaires culturelles représentent en Suède 6,07 % du budget de l'éducation. Il serait
utile d'étudier, sur le plan international, la liste des rubriques qui doivent figurer au nu-
mérateur de cette fraction.
Quelques exemples permettront de se faire une idée du problème.

Tableau 1 Suède. Budget culturel dans le budget national de 1951-1952 à 1967-1968.


1951-1952 1960-1961 1967-1968
Budget culturel (en millions de couronnes
suédoises) 29 164 99 792 294 181
Budget culturel, en pourcentage du budget du
Ministère de l'éducation et des affaires
culturelles 5,07 5,41 6,07
Budget culturel, en pourcentage du total des
dépenses nationales 0,654 0,712 0,968

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Les structures administratives et financières

Tableau 2 Suède. Évolution du budget culturel par rapport à l'ensemble du budget et au budget
du Ministère de l'éducation et des affaires culturelles.

Budget culturel Par rapp. au bud- Par rapp. au


get du ministère budget total
1951-1956 + 72% + 39% + 59%
1956-1961 + 33 % + 55% + 52%
1961-1967 + 106% + 87% + 57%

Répartition par secteurs


Les exemples ci-après montrent l'intérêt que présentent les chiffres en tant qu'indicateurs,
bien qu'ils doivent faire chaque fois l'objet d'interprétations attentives avant d'être exploités.
L'accent mis sur les maisons de la culture en Pologne, sur l'éducation populaire en Suède
ne saurait mieux être marqué que par ces chiffres. Les monuments historiques absorbent
une part beaucoup plus grande en France et en République arabe unie qu'en Pologne et
en Suède.

Tableau 3 République arabe unie (1964-1965).

Direction générale Antiquités Bibliothèque nationale Théâtre


36% 29% % 24%

Tableau 4 Pologne (1965). Part de certaines catégories de dépenses dans l'ensemble du budget
culturel (pourcentages approximatifs).

Maisons de la culture 6
Salles de réunion 3
Bibliothèques urbaines 10,8
Bibliothèques rurales 3,6
Musées 7
Protection des monuments 5
Radio-télévision 26
Industries culturelles subventionnées 9,8

Tableau 5 France (1967).

Arts et lettres (théâtre, musique, musées) 56,5


Architecture et monuments 31,2
Archives 4,5
Administration générale 7,8

45
Les structures administratives et financières

Tableau 6 Suède (1967-1968).

Théâtre 19,41
Musique 3,99
Musées et expositions 16,25
Monuments 2,03
Éducation populaire 16,65
Jeunesse 6,21
Universités populaires 16,66

Répartition par fonctions


Les quatre fonctions de l'action culturelle sont : la conservation, la création, la diffusion
et la formation. L'un des buts d'une politique culturelle est d'équilibrer convenablement
ces fonctions, de façon par exemple à ne pas trop avantager la diffusion par rapport à la
création, ou le passé (conservation) par rapport à l'avenir (formation). C'est ainsi que la
France, en passant du IVe Plan (1962-1965) au Ve Plan (1966-1970) a procédé àcertains rajus-
tements :
Conservation Création Diffusion Formation
o/ 0/ o/ o/
/o /o /o /o
e
IV Plan 55 2 25 18
V e Plan 52 4 33 11

Une étude internationale, le jour où les données de base existeront dans les pays, montrerait
sans doute, par exemple, à quel point la création est partout parente pauvre de l'action cultu-
relle. Une telle prise de conscience permettrait des rajustements de politique générale.

Répartition fonctionnement!équipement
Cette répartition, très utile à connaître au niveau des institutions et des collectivités locales,
l'est aussi au niveau national, surtout si on admet qu'une politique culturelle est plus une
affaire d'hommes (fonctionnement) que de locaux (équipement). Dans l'un des pays consi-
dérés, sur un budget de 100 millions de dollars, 54 vont au fonctionnement, 46 à l'équipement.

Les comptes culturels


Les répartitions ci-dessus n'ont pleinement leur sens que si elles comprennent la totalité
des agents culturels. On se trouve alors devant un tableau qui rappelle celui des comptes
économiques de la nation, avec ses divers agents. De tels tableaux sont utiles pour définir
une politique globale de l'action culturelle, avec une division rationnelle du travail. Sont-ils
possibles ? Ils posent d'importants problèmes conceptuels du fait que beaucoup des services
fournis sont gratuits et qu'il faudrait peut-être introduire des unités non monétaires. L'éta-
blissement de comptes culturels nationaux est à l'étude en France et en Tchécoslovaquie.

Introduction du chiffre dans le domaine culturel


La culture ne peut se réduire à des chiffres. Les chiffres cités ne concernent pas la vie cultu-
relle, mais les moyens matériels qui la favorisent. Certes, aucune action culturelle ne se

46
Les structures administratives et financières

mesurera jamais avec les chiffres qu'il s'agit d'établir. Car, d'un pays à l'autre, les réalités
mesurées avec les mêmes chiffres ne sont pas les mêmes. Le chiffre ne permet pas de comparai-
sons qualitatives, mais il donne des indices aux administrateurs, aux élus qui veulent favoriser
la culture.
Dans la plupart des pays, le besoin est ressenti de définitions, de normes, de grilles d'analyse
qui soient comme un tableau de bord pour les responsables des politiques culturelles. Dans
ces cadres, chaque pays mettra ce qu'il voudra, mais — par ce moyen — il saura exactement
où il en est, ce qu'il fait, comment il se situe par rapport aux objectifs qu'il s'est fixés. Le
chiffre n'a pas de valeur par lui-même, mais il est devenu un des outils de l'action culturelle.
Après un large échange de vues, la table ronde a constaté que chaque pays ignore à peu
près complètement les réalisations ou les projets des autres pays dans le domaine de l'action
culturelle. Elle a estimé très souhaitable que l'on puisse disposer, dans ce domaine, d'une
documentation comparative (annuaires, guides, brochures) semblable à celle qui existe
dans les domaines de l'éducation et de la recherche scientifique. Il a été admis qu'il serait
toutefois trop difficile, dans l'état actuel des choses, d'éditer un ouvrage identique à L'éduca-
tion dans le monde, qui d'ailleurs risquerait fort d'être dépassé aussitôt paru. Mais il a été
recommandé que l'Unesco entreprenne à bref délai des enquêtes portant sur un certain
nombre de pays groupés en fonction de considérations d'ordre géographique, historique
et culturel, entre lesquels seraient ménagées certaines possibilités de contact (conférences
périodiques, par exemple). Les résultats de ces enquêtes devraient être rapidement publiés
sous forme de brochures aisément comparables.
Pour assurer la comparabilité des données, il conviendrait, d'une part de définir au préa-
lable les critères qui seraient à la base des enquêtes, d'autre part de prévoir, pour chaque
brochure, une introduction et un commentaire descriptif utilisant une terminologie norma-
lisée et faisant apparaître les tendances fondamentales et les idées maîtresses qui se déga-
geraient des résultats de ces enquêtes. La définition des critères devrait être confiée à un
comité d'experts; celui-ci accorderait une attention particulière à certains facteurs qui,
ayant un caractère plus qualitatif que quantitatif, sont difficilement codifiables.
Outre ces enquêtes, il serait utile de procéder à des études, effectuées par pays ou par
groupes de pays, selon les méthodes et avec les moyens ci-dessus, mais qui auraient pour
objet certains thèmes généraux, notamment : a) économie et culture; b) l'extension du pro-
cessus culturel aux masses dans les sociétés préindustrielles, industrielles et postindus-
trielles; c) les conditions socio-économiques les plus favorables au travail de l'agent culturel
dans ces trois types de société.
La table ronde a émis le vœu que soit créé un centre de documentation international sur
les institutions, la politique et les besoins culturels des différents États membres. Toujours
pour faciliter les échanges d'informations et d'expériences, la table ronde a recommandé
que l'Unesco organise des réunions internationales ou régionales de responsables natio-
naux de l'action culturelle à différents niveaux, et en particulier qu'elle envisage de réunir
une conférence de ministres de la culture.
Enfin la table ronde a estimé souhaitable que soit créé, dans les États où il n'en existe pas
encore, un service administratif ou un organisme autonome qui coordonnerait l'action cultu-
relle sur le plan national et assurerait la liaison avec l'Unesco dans ce domaine.

47
Conclusions

Pour la première fois, des administrateurs, des spécialistes des sciences sociales et humaines
et des artistes créateurs se sont trouvés réunis autour d'une même table, sur l'invitation d'une
organisation internationale, pour discuter de problèmes culturels. Les participants diffé-
raient par leur origine culturelle, la structure socio-économique de leur pays, leurs préoc-
cupations professionnelles et leur conception du rôle des pouvoirs publics dans le développe-
ment culturel. Malgré cela et peut-être à cause de cela, il s'est dégagé des travaux de la table
ronde un accord général sur les points suivants :
La culture du monde moderne est en pleine évolution; elle passe actuellement par des
transformations profondes, dont il est indispensable de tenir compte dès que l'on aborde
un problème de politique culturelle quel qu'il soit; la politique culturelle doit s'inscrire dans
une perspective dynamique. La démocratisation de la culture ne doit pas être une vulgari-
sation; il ne s'agit pas non plus de dispenser aux masses une « haute culture » qui leur serait
étrangère, mais de permettre à chacun, homme ou femme, quelle que soit son origine sociale
ou sa condition économique, d'épanouir sa personnalité et de participer pleinement à la vie
culturelle conformément à ses goûts et à ses besoins. Dans de nombreux cas, des groupes
importants de la population ne sont pas encore en mesure de le faire, faute de temps, faute
de moyens ou parce qu'ils n'ont pas le niveau d'instruction nécessaire.
Faire participer la population à la vie culturelle, ce n'est pas l'inviter à assister passive-
ment à une manifestation culturelle, c'est l'associer de plus en plus à l'action culturelle et
s'efforcer de stimuler son pouvoir créateur. S'il a été reconnu que le développement culturel
et le développement économique sont étroitement liés, il a été souligné que les ressources
matérielles ne suffisent pas et que les équipements sont inefficaces sans les hommes et les
méthodes qui permettent de les animer.
Divers problèmes propres aux pays en voie de développement ont été mis en lumière;
la civilisation des pays hautement industrialisés, puissamment outillés en moyens de grande
diffusion, a une force de pénétration considérable et risque d'étouffer les cultures nationales
des pays en voie de développement en faussant ou en altérant l'interprétation des valeurs
culturelles propres à ces pays.
Certains de ces problèmes concernent plus particulièrement l'Afrique, et il a été jugé
que leur importance justifierait l'organisation d'une réunion de représentants des cultures
du continent africain.
Il est apparu que la création, dans les pays où il n'en existe pas encore, d'un organisme
chargé des affaires culturelles sur le plan national serait souhaitable.

48
Conclusions

La table ronde a souligné l'importance du rôle que les organisations non gouvernementales
jouent dans le développement culturel.
La culture n'occupe pas encore, dans la vie nationale, la place de premier plan que les
conditions de vie et le développement scientifique et technique de notre époque devraient
lui valoir : la table ronde a émis le vœu que l'Unesco demande aux commissions nationales
d'entreprendre une vaste campagne pour mobiliser l'opinion publique à ce sujet.
Sans que se soit jamais altérée l'atmosphère de compréhension mutuelle et de coopération
dans laquelle se sont déroulés les travaux, un certain nombre de divergences se sont mani-
festées. Il a été généralement reconnu qu'elles concernaient, pour la plupart, des problèmes
dont les données sont encore trop mal connues pour qu'un jugement fondé puisse être
porté à leur sujet. C'est pourquoi la table ronde a recommandé qu'il soit procédé à diverses
études.

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Liste des participants
à la Table ronde sur les politiques
culturelles
(Monaco, 18-22 décembre 1967)

Nigel ABERCROMBIE Abdel Moneim EL SAWI


Secretaiy-General, Sous-secrétaire d'Etat pour les antiquités
Arts Council of Great Britain, au Ministère de la culture, Le Caire.
Londres.
Albert HOBA
Mulk RAJ ANAND Chargé des affaires culturelles
Président, Lalit Kala Akademi, au Ministère de l'éducation nationale, Abidjan.
New Delhi.
Yacine KATEB
Antoine BATTAINI Auteur dramatique, Alger.
Chef du Service des affaires culturelles
au Ministère d'Etat Carl-Johan KLEBERG
de la Principauté de Monaco. Administrateur au Ministère de l'éducation
et des affaires culturelles, Stockholm.
Ivan BOLDIZSAR
Ecrivain, Budapest. Yoichi MAEDA
Professeur de littérature française
Pierre BOURDIEU
à l'Université de Tokyo,
Directeur d'études à l'Ecole pratique président du Comité des affaires culturelles
des hautes études, de la Commission nationale japonaise
chargé du cours de sociologie de la culture, pour l'Unesco.
Paris.
Alejo CARPENTIER Charles C. MARK
Conseiller culturel à l'Ambassade Director, States and Community Opérations,
de Cuba à Paris. National Foundation on the Arts and the
Humanities, Washington D.C.
Carlos CHAGAS
Ambassadeur du Brésil, Roberto MATTA
délégué permanent du Brésil Peintre
auprès de l'Unesco.
Pierre MOINOT
Arthur CROVETTO Directeur général des arts et lettres
Ministre plénipotentiaire, au Ministère d'Etat chargé des
président de la Commission nationale affaires culturelles, Paris.
monégasque pour l'Unesco.
Sam Joseph NTIRO
Joffre DUMAZEDIER Commissioner for Culture,
Maître de recherches au Ministry of Local Government and
Conseil national de la recherche scientifique, Rural Development,
Paris. Dar es-Salaam (Tanzanie).

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Enrico PAULUCCI Jean VILAR
Président du Comité italien de Institut international du théâtre.
l'Association internationale des arts plastiques,
Silvio ZAVALA 1
Turin.
Président du Conseil international de la
Raymond RAVAR philosophie et des sciences humaines.
Directeur de l'Institut national supérieur
des arts du spectacle et techniques de diffusion
(INSAS), Bruxelles. Secrétariat de PUnesco
Mahdi ELMANDJRA
Rafik SAID
Directeur de l'animation culturelle en Tunisie. Sous-directeur général pour
les sciences sociales, les sciences humaines
Ousmane SEMBENE et la culture.
Réalisateur de cinéma,
Roger CAILLOIS
Dakar.
Directeur de la Divisfon du
Roger STEVENS développement culturel.
Executive Office of the Président,
Enrico FULCHIGNONI
Washington D.C.
Chef de la Section de la création
Stefan ZOLKIEWSKI artistique et littéraire.
Professeur à la Section des sciences sociales
Augustin GIRARD
de l'Académie des sciences de Pologne.
Consultant.
Anatoli A. ZVORYKINE
Professeur de sociologie Jacques GUÉRIF
à l'Institut de philosophie de l'Académie Chef de la Division de la presse.
des sciences de Moscou. Milan BABIC
Office des statistiques.
Organisations internationales
non gouvernementales Adella KAY
Section de la création
Jack BORNOFF artistique et littéraire.
Secrétaire exécutif du Conseil international
de la musique.
Observateurs
Maurice GASTAUD
Yves BRUNSVICK
Président du Groupe de travail des
organisations non gouvernementales sur le Commission de la République française
rôle de la culture dans les loisirs. pour l'éducation, la science et la culture,
Paris.
Hans Erling LANGKILDE
Richard HOGGART
Union internationale des architectes.
Director, Centre for Contemporary Cultural
A.F.E. VAN SCHENDEL Studies de l'Université de Birmingham
Président du Conseil international des musées. (Royaume-Uni).

1. Remplacé à partir du 20 décembre par Jean CJ'ORMESSON, Conseil international de la philosophie et


des sciences humaines.

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