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Situation no 4

Risque de burn-out
dans une organisation
matricielle

Écartelé entre votre supérieur hiérarchique et un chef de projet, vous êtes dans
un état d’épuisement avancé.

LA SITUATION : CONTEXTE ET ÉVÉNEMENTS


Vous êtes responsable informatique d’une agence régionale. À la tête d’une équipe de
quatre personnes, votre mission au quotidien comporte essentiellement la maintenance
informatique de l’agence.
Depuis bientôt six mois, le directeur informatique France a lancé un important projet
visant la sécurisation de l’ensemble du réseau. Vous avez rapidement été sollicité pour
faire partie de cette équipe « transversale ». Depuis, en accord avec votre supérieur (le
directeur d’établissement), vous partagez votre temps entre vos fonctions de responsable
informatique local et votre contribution d’expert à ce projet passionnant.
Sur le papier, ce défi semblait clair et excitant. Dans la réalité, ce double rattachement
a très vite ressemblé à un enfer ! Forte augmentation de la charge de travail et du nombre
d’heures, conflit de priorités, niveaux de responsabilité flous, nombreux déplacements,
rythme de travail effréné. Et, qui plus est, vos deux chefs ne s’entendent pas. Lors des
dernières réunions du comité exécutif, ils n’ont pas caché d’importantes différences de
points de vue.
Vous avez l’impression d’exercer deux métiers, de vous dépenser sans compter en
échange de très peu de signes de reconnaissance, et d’être pris en otage entre vos deux
managers.
La sensation d’épuisement physique et psychologique s’est accentuée depuis quel-
ques semaines. Deux ou trois collègues qui vous apprécient sont venus vous faire part de
leur inquiétude à vous voir ainsi toujours débordé et de plus en plus irritable.

LES ACTEURS : ENJEUX ET ÉTAT D’ESPRIT


. Pour vous. Vous avez été assez fier que l’on vienne vous chercher pour contribuer à

ce projet sur la sécurisation du réseau. Outre votre intérêt pour ce sujet, c’était aussi une

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opportunité pour être plus « visible » dans cette entreprise, de rencontrer d’autres
interlocuteurs et de travailler en lien direct avec le patron de la DSI avec lequel vous
aviez plutôt un bon contact. Vous avez vite déchanté ! Coincé entre votre souci d’assurer
le travail quotidien de l’agence (interventions informatiques et management de l’équipe)
et votre envie d’apporter toute votre expertise à ce projet, vous êtes proche du burn-out.
Une spirale infernale est en place dans laquelle se mêlent votre perfectionnisme, la
crainte d’un jugement négatif, votre difficulté à dire « non » et surtout un déni sur les
conséquences de la situation (fatigue physique, fort niveau de stress, sautes d’humeur et
difficultés de concentration, repli sur soi).
C’est votre entretien annuel de la semaine dernière qui va faire office de déclic
salutaire : votre responsable hiérarchique a été très critique sur votre travail depuis
quelques mois. Il vous a reproché la fréquence de vos absences et déplacements, le
manque de délégation, des pannes récurrentes, des délais d’intervention trop longs, votre
manque d’investissement auprès de l’équipe, l’échec d’un recrutement. Pour lui, votre
contribution au projet de sécurisation du réseau n’est pas une excuse et ne doit pas vous
prendre plus de 20 % de votre temps (« Vous ne savez pas vous organiser ! »).
Pour vous qui faites régulièrement des journées de 13 heures pour absorber une
charge de travail qui représente quasiment deux temps pleins, un fort sentiment d’in-
justice vient s’ajouter à une sensation d’épuisement que vous commencez à admettre.
. Pour votre manager hiérarchique (N+2 de votre équipe). Il n’a pas apprécié que

le patron de la DSI sollicite directement le responsable informatique (vous) pour l’intégrer


à l’équipe projet. Bien sûr, la direction générale a largement communiqué sur les enjeux du
projet « sécurisation du réseau » mais, localement, en tant que directeur d’établissement
régional, votre manager est aussi en charge d’importants projets. N’appréciant guère son
collègue du Comex, il s’accommode assez bien du manque de cadrage du projet : l’im-
précision concernant la disponibilité exacte demandée à son responsable informatique lui
permet de continuer à exiger un fonctionnement « normal » de ce service. Il a conscience
de votre état d’épuisement mais a néanmoins profité de votre entretien annuel pour
maintenir la pression et le niveau d’exigence sur les objectifs locaux.
. Pour votre manager « fonctionnel ». Ce projet comporte de gros enjeux ! Devant

prendre appui sur les ressources en interne, il est ravi d’avoir « recruté » l’un des meilleurs
informaticiens de l’entreprise (vous). Il n’a pas proposé de descriptif précis des tâches car il
compte bien essayer de vous faire contribuer le plus possible à la réussite de ce projet. Il est
dans une logique de « toujours plus » : il demande beaucoup, vous donnez beaucoup, tant
mieux ! Pourvu que cela dure et que votre chef accepte ce quasi-détachement à mi-temps...
. Pour l’équipe que vous managez. Vos collaborateurs voient bien que vous êtes

moins présent et disponible depuis quelques mois. Cela ne leur pose pas vraiment de
problèmes. Ils font passer en priorité les interventions qui les passionnent le plus et
assurent la maintenance informatique quotidienne comme ils l’ont toujours fait : dans
l’urgence. La situation est plus difficile pour votre adjoint. Vous lui déléguez de plus en
plus de missions, sans pouvoir anticiper ni l’accompagner. Autant dire qu’il partage votre
pression et votre stress.

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LES RISQUES (DES PIÈGES CLASSIQUES


DE L’ORGANISATION MATRICIELLE
AUX DÉGÂTS DU BURN-OUT)
La mise en place d’organisations matricielles répond à un vrai problème : casser les
« baronnies », territoriales ou techniques, pour donner la priorité à la complémentarité des
compétences, quel que soit le rattachement hiérarchique des membres d’une task force ou
d’une équipe projet. En cela, l’organisation matricielle s’oppose à une organisation tradi-
tionnelle provenant du taylorisme ou du fayolisme (basée sur l’unité de commandement).
L’un des principaux inconvénients de ce mode d’organisation est un conflit de loyauté
entre le manager hiérarchique et le chef de projet. Ce conflit porte sur l’allocation des
ressources matérielles mais surtout humaines : de fait, les membres d’une équipe projet
reçoivent souvent des messages contradictoires et doivent gérer des rapports de force
entre leurs chefs. Les frontières sont apparemment abolies mais chacun doit pourtant
atteindre ses propres objectifs. Un jeu de pressions directes et indirectes s’installe alors
entre les acteurs, favorisant dissimulations et manipulations. Il est très compliqué, entre
pairs, de se mettre d’accord sur les priorités à fixer et les ressources à partager, de négocier
la répartition du temps, de coordonner les messages, d’harmoniser les évaluations, etc. (1).
En ce qui vous concerne, les risques sont à la fois professionnels et personnels.
– au niveau de votre activité, la frontière entre le défi stimulant et l’exploit impos-
sible est particulièrement ténue. Dans la situation actuelle, le risque est double :
baisse de la performance de votre équipe et contribution personnelle jugée insa-
tisfaisante dans le projet. Cela ne serait évidemment pas sans conséquences sur
votre appréciation globale et sur votre image dans l’entreprise ;
– au niveau personnel : l’excès d’engagement professionnel peut conduire à un
épuisement physique et mental (surtout si les résultats escomptés ne sont pas au
rendez-vous !). Cette forme de stress prolongé est appelée « burn-out » (cf. plus loin).
Une des conséquences les plus dommageables de ce syndrome est une mauvaise conci-
liation entre la vie personnelle et la vie professionnelle.

LES OUTILS D’ANALYSE


Le burn-out
Ce syndrome d’épuisement physique et mental, consécutif à des situations de stress
professionnel prolongé (aussi appelé « stress cumulatif »), est caractérisé par trois
symptômes :
– un épuisement physique, mental et émotionnel ;

1) Selon un article de L’Usine Nouvelle du 10 juillet 2010, « La réforme du Fret SNCF sur les rails », le Fret SNCF avait abandonné
son organisation matricielle pour revenir à une chaîne de commandement allégée qui, selon Luc Nadal, son nouveau directeur,
permet « une plus grande réactivité dans les prises de décision et une meilleure productivité ». C’est une des toutes premières
fois qu’une grande entreprise reconnaît que l’organisation matricielle n’est pas la panacée.

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– un désinvestissement de la relation (attitudes et sentiments négatifs envers les


collègues, les collaborateurs, la hiérarchie, les clients) ;
– une diminution du sentiment d’accomplissement personnel au travail.
Il s’agit d’une forme d’hyperactivité stérile : la personne a conscience d’être dépassée
mais elle n’est pas en mesure de changer la situation.
Ce stress peut conduire à des manifestations psychosomatiques (maux de tête, dou-
leurs dorsales, symptômes gastro-intestinaux, anorexie ou boulimie), à un état dépressif
(troubles du sommeil, difficultés de concentration, dysfonctionnements sexuels) ou à un
état anxieux chronique (troubles de l’endormissement, ruminations, phobies).
La prise de conscience du burn-out est généralement difficile : la personne est dans le
déni ou la minimisation du problème. Le manager, les collègues ou les proches ont donc
un rôle très important d’alerte, de mise en garde, voire de confrontation.

Le déni
La même réalité n’est pas vécue par tout le monde de la même façon. Mais cette
subjectivité inévitable devient un mécanisme de défense quand l’inconscient l’amplifie et
l’utilise pour justifier certains comportements inefficaces et répétitifs.
L’analyse transactionnelle a développé le concept de « méconnaissances » (cf. Aaron et
Jacqui Schiff au début des années 1970). On parle ici de « méconnaissances argumentées ». Il
ne s’agit pas d’une simple perception tronquée de la réalité mais d’une construction person-
nelle de cette réalité à laquelle la personne tient et qu’elle est prête à justifier. C’est pourquoi
il est souvent si difficile de faire prendre conscience à quelqu’un qu’il est en plein déni.
Comme tout mécanisme de défense, le déni remplit une ou plusieurs fonctions : cela
nous permet de ne pas remettre en cause notre vision du monde, de ne pas toucher à nos
croyances, à notre cadre de référence, de ne pas admettre qu’on se trompe... C’est aussi
un excellent moyen pour ne pas voir ou ne pas résoudre un problème.
Cette « belle mécanique » comporte quatre niveaux de méconnaissance :
– 1er niveau : la personne nie les faits (« Non, je ne suis pas resté travailler très tard
hier soir... ») ;
– 2e niveau : la personne reconnaît les faits mais pas leurs conséquences ; elle nie
qu’ils posent problème (« Ok, il était peut-être 21 heures mais ça ne me gêne pas,
je n’avais rien de particulier à faire... ») ;
– 3e niveau : la personne reconnaît les faits et leurs conséquences mais nie l’existence
d’une solution possible (« Tout le monde était déjà parti et il fallait que ce soit prêt
pour aujourd’hui... ») ;
– 4e niveau : la personne reconnaît les faits, leurs conséquences et l’existence de
solutions possibles mais elle nie sa capacité personnelle à agir différemment et
donc à contribuer au changement (« Tant que mes deux chefs ne se mettront pas
d’accord, c’est moi qui continuerai à faire le pompier ! »).
Entraînée dans la spirale du burn-out, prisonnière d’un mécanisme de déni parfaite-
ment au point, la personne va avoir beaucoup de mal en s’en sortir toute seule. Il lui
faudra absolument de l’aide.

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CONSEILS POUR AGIR

Dans cette situation, évitez...


. de confondre ce qui peut être conjoncturel et ce qui est devenu chronique. On

peut tous encaisser ponctuellement une surcharge de travail, même sans recevoir
beaucoup de signes de reconnaissance en échange. Ce n’est pas de cela dont il
s’agit ici : vous êtes dans un engrenage qui dure et n’a aucune raison de s’arrêter à
court ou moyen terme.
. de chercher à « surcompenser ». À l’impression de ne pas y arriver s’ajoute un

sentiment de saturation. Il ne manquerait plus que votre envie de bien faire et votre
perfectionnisme vous amènent à penser que c’est vous qui n’êtes peut-être pas à la
hauteur. Le syndrome « un peu plus de la même chose » vous guette... C’est le
cercle vicieux par excellence : augmenter encore vos heures de travail, prendre
des substances psychoactives pour tenir le coup, etc. Ces comportements ne
feraient que renforcer le système, ne provoqueraient aucun changement chez
vos deux managers et surtout vous plongeraient un peu plus dans le burn-out.
. de vous replier sur vous en pensant que c’est de votre faute. Le sentiment d’injustice
qui a suivi votre entretien annuel va peut-être vous aider à sortir du déni : l’organisa-
tion matricielle dysfonctionne vraiment et vous fait souffrir. Attention cependant de
ne pas tomber dans une forme de culpabilité en prenant à votre charge l’entière
responsabilité de ce perpétuel inachèvement. Un double rattachement hiérarchique
et fonctionnel comporte, par essence, de nombreux risques de dérapages ; rejeter le
blâme sur vous (ou sur d’autres) n’aidera en aucune façon à sortir de cette situation.
. de vous rapprocher d’un des deux managers et de marquer ouvertement votre

préférence. Sentiment de ne pas y arriver, stress et épuisement, isolement : on peut


comprendre que vous cherchiez ailleurs le soutien que vous n’avez pas vraiment
de la part de votre N+1 et que vous vous rapprochiez fortement de votre manager
fonctionnel. La complicité « métier » favorise déjà naturellement une certaine
proximité. Si vous vous découvrez en plus de nombreux points communs, tout
est en place pour un « fonctionnement par affinités » qui ne passera pas inaperçu.
En outre, vous aurez tendance à accepter plus facilement les demandes de celui-ci
et de vous mettre ainsi en porte à faux avec votre supérieur hiérarchique... qui
restera votre supérieur à la fin du projet.
Dans cette situation, préférez...
. confier votre malaise et vous faire aider. Sortir du cercle vicieux du burn-out est

très compliqué. Plus on a été longtemps dans le déni, plus il est difficile de recon-
naître que l’on « fait partie du problème »... et donc de la solution. Vous n’y arriverez
pas tout seul. Acceptez d’en parler à ceux qui vous tendent la main, à un médecin
du travail ou dans le cadre d’une cellule d’écoute psychologique.
.réorganiser votre charge de travail. Elle est objectivement élevée et doit être
revue. Dans la foulée de votre entretien annuel, vous pouvez retourner voir votre
manager et lui dire clairement comment vous vivez les choses. Il sera ensuite
nécessaire d’organiser une réunion à trois (avec le chef de projet). Après avoir
décrit factuellement votre charge de travail, alertez-les sur les conséquences d’un
échec possible sur les deux tableaux. Balayez ensemble les zones de flou, les
conflits de priorités les plus fréquents, les télescopages d’emploi du temps, les
délégations envisageables, les arbitrages nécessaires, le reporting minimum, etc.
Avec leur accord, vous devrez absolument abandonner certaines tâches et orga-

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niser votre temps de travail autrement. Définissez ensemble votre feuille de route
et prenez rendez-vous pour des « points téléphoniques » réguliers à trois.
. optimiser les avantages à avoir deux patrons. Qui dit deux chefs dit deux person-

nalités et deux manières de travailler : quelle belle occasion de développer votre


flexibilité ! L’un est probablement plus dans le contrôle que l’autre : il attend donc un
reporting plus précis et fréquent. Vous devrez adapter votre communication. Leurs
différences sont également intéressantes quand il s’agit de vous évaluer : ils n’ap-
précient probablement pas les mêmes qualités chez vous. Voyez comment votre
chef de projet peut compléter l’évaluation de votre N+1.
. apprendre à dire non ! Savoir refuser et poser des limites, c’est prendre soin de soi

et retrouver le respect de soi-même. Il s’agit de refuser une demande, pas de dire


non à la personne. On se sent d’autant plus légitime pour dire un « non » que l’on a
clarifié au préalable ses vraies priorités. Distinguez donc l’essentiel de l’accessoire
pour redéfinir ce qui vous paraît prioritaire du point de vue de l’entreprise, et
négociez cette priorisation avec vos deux responsables.
. redonner plus de place à votre vie personnelle. Relativisez l’importance de votre

présence et de votre contribution professionnelle : quel risque objectif prenez-


vous à travailler moins ? Si cette situation de burn-out débouchait sur un arrêt de
travail de trois mois, quelles catastrophes en chaîne mettraient la société en péril
irréversible ? En répondant à ces questions, vous allez probablement remettre en
perspective le vrai coût de votre surinvestissement (sur votre vie de famille, votre
santé, etc.) et votre bénéfice professionnel réel. Si vous avez un enfant, dites-vous
que votre entreprise a « employé » (et emploiera encore) de nombreux informati-
ciens mais que votre fils ou votre fille n’aura qu’un seul papa ou une seule maman...

LES IDÉES CLÉS


Le mode d’organisation matricielle complexifie énormément le management
au quotidien. Il exige de la part des managers un haut niveau de maturité et une
vraie culture collaborative... qu’on ne rencontre pas toujours dans les entreprises.
Travailler avec deux responsables (hiérarchique et fonctionnel) ne présente
pas que des inconvénients mais l’absence d’un « contrat » formalisé, l’envie de
bien faire et une rivalité entre les managers sont les principaux ingrédients
d’une situation très stressante : conflit de priorités, surcharge de travail, senti
ment de s’épuiser en vain.
Le burn-out peut effectivement être l’aboutissement de ce stress cumulatif.
Il s’agit d’une spirale infernale dont il est d’autant plus difficile de sortir que le
mécanisme de défense qui y est le plus souvent associé est... le déni.
Il est très important de venir en aide aux personnes présentant les symp-
tômes du burn-out. La prise de conscience et l’expression de cette souffrance
sont les deux premiers pas vers la sortie de crise. Réduire sa charge de travail,
apprendre à dire non, poser un cadre tripartite clair, redonner plus de place à sa
vie personnelle sont les étapes du « retour à la normale ».

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