Vous êtes sur la page 1sur 4

Situation no 10

Effondrement moral
de l’équipe à l’arrêt
d’un projet

Un projet majeur sur lequel votre équipe s’était beaucoup investie vient d’être
subitement abandonné. Vous devez gérer une profonde déception.

LA SITUATION : CONTEXTE ET ÉVÉNEMENTS


Après des semaines ou des mois d’engagement, un projet que tout le monde prenait à
cœur, est abandonné. La direction ou son représentant pourront dire tout ce qu’ils
veulent, la déception est forte, elle peut même se transformer en colère.
C’est ce qui s’est passé dans cette entreprise qui fabriquait des armoires électroniques
de stockage de données informatiques. Le marché devenant très concurrentiel, l’activité
ne suffisait plus pour pérenniser l’entreprise. Le directeur de l’usine a finalement obtenu
l’accord de la direction générale pour diversifier les activités.
Fort d’un savoir-faire dans le domaine de l’électronique de haut niveau, la proposition
défendue par le directeur d’usine consistait à investir une grande partie des ressources et
des compétences dans des domaines en devenir tels que le livre électronique et l’infor-
matique embarquée dans les automobiles.
Pendant plus de deux ans, les équipes fortement impliquées se sont formées pour
développer et mettre au point des prototypes qui devaient être commercialisés par des
donneurs d’ordre internationaux.
Suite au départ du directeur d’usine, et faute d’avoir fait un retour sur investissement
suffisamment tôt, l’actionnaire majoritaire a abandonné ces projets et a restructuré
l’usine autour des activités historiques, avec un plan de sauvegarde de l’emploi. Le ciel
est tombé sur la tête des 120 salariés.

MANAGER DES SITUATIONS DE CRISE 75


Situation no 10

LES ACTEURS : ENJEUX ET ÉTAT D’ESPRIT


. Pour les collaborateurs. Ils ressentent, selon leur niveau d’engagement profes-

sionnel, une grande ou une très grande déception. L’ampleur du traumatisme est pro-
portionnelle aux peurs de chacun de ne pas être capable de surmonter cet événement. Les
conséquences peuvent être un déficit narcissique et une remise en cause individuelle et
collective plus ou moins facile à supporter.
. Pour le manager. Cette remise en cause est probablement une double déception.

Vous vous êtes vous aussi beaucoup investi. Mais vous avez surtout mobilisé une équipe
dans ce projet sans imaginer une issue si frustrante. Comment allez-vous accompagner
cette déception tout en gérant la vôtre ?

LES RISQUES
L’une des raisons pour lesquelles la plupart des salariés s’investissent dans leur travail
est qu’ils ont le sentiment de contribuer à quelque chose d’important. Plus que l’im-
pression d’être utile, il s’agit de la perception que sa présence, ses compétences, ses
qualités sont essentielles aux résultats obtenus par l’entreprise.
Le jour où l’objet de cette contribution est remis en question tout s’effondre ! Que ce
soient l’abandon d’un prototype, la remise en cause du lancement d’un nouveau système
de gestion, ou la perte d’un important contrat, l’arrêt brutal remet directement en
question l’idée que la personne se fait de l’importance de son travail.
Ce sont la confiance et la motivation qui vont être atteintes. L’enjeu va donc
consister à faire repartir l’énergie d’un groupe dont les convictions, les espoirs, la
confiance ont été mis à mal.

LES OUTILS D’ANALYSE


Entre le moment de l’annonce de la mauvaise nouvelle et celui d’un début de
reconstruction, on observe la succession des trois états suivants :
– le déni : les personnes directement touchées n’arrivent pas à croire à la nouvelle, ne
veulent pas y croire et ressentent un sentiment d’impuissance ;
– la colère, justifiée par l’impression de s’être beaucoup investi pour rien et d’avoir
donc beaucoup perdu dans cette histoire ;
– le désengagement, voire l’apathie : même si certains seront en mesure de reprendre
le dessus, il faut s’attendre à en voir d’autres s’enfoncer plus ou moins profondé-
ment dans une désillusion persistante.
Il est normal que chacun traverse ces différentes étapes à son propre rythme. La
difficulté pour le manager consiste à gérer l’ensemble de ces rythmes. Le risque est lié au

76 MANAGER DES SITUATIONS DE CRISE


Situation no 10

fait que quelques-uns, voire tout le collectif, restent trop longtemps dans une des phases
sans pouvoir la surmonter.
Quelles sont les caractéristiques d’une équipe capable d’affronter l’échec et de le
surmonter ?
Ces caractéristiques sont les suivantes :
– la confiance en soi. Cette confiance se construit autour des succès passés qu’il faut
savoir valoriser et capitaliser ;
– la qualité des liens qui unissent les membres de l’équipe, au-delà de la seule
coopération professionnelle ;
– la capacité à relativiser l’enjeu. Admettre qu’il y a des choses plus importantes dans
la vie permet de réduire l’impression de perte ou d’échec ;
– la capacité à rebondir (faculté de résilience) que l’équipe a su développer. Il faut
savoir fêter les succès mais aussi tirer parti de ses échecs.
Il revient au manager de réunir les conditions, mais aussi celles d’une meilleure
acceptation de l’échec.

CONSEILS POUR AGIR

Dans cette situation, évitez...


. de transmettre votre propre déception aux membres de votre équipe. Vous avez

évidemment le droit d’être déçu. Qui ne le serait pas ? Si vous avez été le promo-
teur du projet ou le leader de son développement aux yeux de votre équipe, votre
sentiment de culpabilité est à son comble. Malgré cette déception légitime vous
allez devoir prendre sur vous pour devenir le leader du rebond. Pour cela, vous
devez réussir à tirer parti de cette mésaventure.
. de précipiter la « remobilisation de vos troupes ». Vous avez peut-être déjà

tourné la page ou vous pensez qu’il faut surmonter ce passage délicat le plus
vite possible. C’est une bonne chose d’être prêt à réagir, cependant il y a un
temps « d’émotions et de ressentis » à respecter.
N’allez pas trop vite dans l’explication, le rationnel. Tant que vos collaborateurs
ressentent de la déception, de l’amertume ou de la colère, l’empathie sera plus
adaptée.
Ne remplacez pas de manière instantanée un projet par un autre, ce serait nier le
temps nécessaire au « deuil » du premier.
Dans cette situation, préférez...
. aider à évacuer le sentiment de perte. En consacrant du temps à chacun pour

parler de sa déception, vous aiderez ainsi à purger le sentiment de perte ; étape


déterminante dans la remobilisation.
. donner les moyens à chacun de « rebondir ». Donnez des éléments d’information

sur la décision de renoncer au projet et surtout sur ce qui va se passer maintenant.


Vous pouvez aussi faire un bilan positif de la participation à ce projet : apprentis-
sages individuels et collectifs sur le plan technique et humain.
. organiser l’expression collective pour faire face à cette déception. Il sera néces-

saire d’évoquer le passé et le futur. De manière formelle ou informelle, vous devez

MANAGER DES SITUATIONS DE CRISE 77


Situation no 10

organiser l’expression collective pour recueillir le ressenti des collaborateurs. Ce


temps de parole collective permettra de partager les vécus, de favoriser la solidarité.
. travailler avec l’équipe sur ce qui lui donne de la valeur. À défaut de pouvoir

reconstruire de l’engagement autour d’un autre projet (ce qui n’est d’ailleurs pas
toujours souhaitable immédiatement après une remise en cause aussi importante),
il peut être bon de faire un bilan approfondi des forces et des faiblesses de l’équipe
et de repréciser les valeurs que l’on partage. Mettre davantage l’accent sur le
« processus » que sur le résultat est une excellente façon de se réconforter sur ce
qui fait la force de l’équipe indépendamment de la remise en cause du projet. Le
moment venu, pour favoriser l’implication de vos collaborateurs dans de futurs
projets, associez-les autant que possible à leur conception afin qu’ils se réappro-
prient leur situation de travail.

LES IDÉES CLÉS


La vie des entreprises est souvent chaotique. Tous les projets, y compris les
plus importants, peuvent à tout moment être remis en cause pour des raisons
qui nous échappent. La déception et la colère qui en résultent sont légitimes, il
faut savoir les entendre et les reconnaître.
Le manager doit faire un effort supplémentaire pour accompagner dans les
meilleures conditions le rebond individuel et collectif après cette déception.
Pour surmonter cette remise en cause, il faut saisir l’opportunité de faire un
bilan des forces et des finalités partagées. C’est l’occasion de bien montrer que
c’est le projet qui a été remis en question et non pas la valeur professionnelle de
l’équipe et de ses membres.

78 MANAGER DES SITUATIONS DE CRISE

Vous aimerez peut-être aussi