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Apraxies & dyspraxies Dossier

Troubles de l’acquisition de la coordination :


perspectives actuelles des dyspraxies de développement
Developmental coordination disorders :
comtemporary perspectives on developmental dyspraxia

Jean Michel ALBARET*


Psychomotricien

RÉSUMÉ SUMMARY

Afin de préciser l’hétérogénéité de la dyspraxie de développe- In order to specify the heterogeneity of developmental
ment nous avons examinés 82 sujets (60 garçons et 22 filles), âgés dyspraxia, we examined 82 subjects (60 boys and 22 girls) aged
en moyenne de 11 ans 3 mois (min. = 6 ans ; max. = 20 ans 7 mois), in average 11 years and three months (min = 6 years; max = 20
répondant aux critères du DSM IV et de la CIM 10. Dans tous les years and 7 months) that met the criteria for DSM-IV and ICD
groupes on retrouve un déficit prononcé du facteur contrôle 10 diagnosis of developmental coordination disorder. In all
précision du Lincoln-Oseretsky (F1). Le groupe 1 se caractérise groups, a pronounced deficit of the precision-control factor of
par des difficultés dans les mouvements alternatifs (facteur F3) the LOMDS (F1) was found. Group 1 characterizes itself by
et ainsi que la présence d’une apraxie visuoconstructive. Dans le bifficulties in alternative movements (F3) as well as the presence
groupe 2, les troubles du tonus sont systématiques et les apraxies of visual constructive apraxia. In group 2, tone disorders are
visuoconstructive et idéomotrice très fréquentes. Le groupe 3 se systematic and visual constructive and ideomotor apraxia are
singularise par la dysgraphie et l’apraxie visuoconstructive. Dans very frequent. Group 3 Stands out by dysgraphia and visual
le groupe 4, le déficit de l’activité alternative des membres (F3) constructive apraxia. In group 4, the deficit of alternative
et les troubles du tonus sont systématiques, accompagnée de la activity of the limbs (F3) and the tone disorders are systematic,
lenteur. followed up by slowness.

MOTS CLÉS : troubles psychomteurs, classification, KEY WORDS : psychomotor disorders, classification,
maladresse, évaluation clumsiness, assessment

e trouble de l’acquisition de la coor- un certain nombre d’ambiguïtés

C
dination (DSM IV, APA, 1994) cons- (Missiuna et Polatajko, 1995).
titue un ensemble disparate de trou- C’est ainsi que l’on rencontre
bles psycho-perceptivo-moteurs qui les termes de “maladresse anormale”
fait l’objet, depuis quelques années, (Orton, 1937), “maladresse congéni-
d’études destinées à en préciser l’hé- tale” (Ford, 1960), “enfant maladroit”
térogénéité (Dewey et Kaplan, 1994 ; (Gordon et Mc Kinlay, 1981 ;
Hoare, 1994 ; Albaret et coll., 1995). Henderson, 1987 ; Illingworth, 1963 ;
Décrits depuis fort longtemps sous Lord et Hulme, 1987 ; van Dellen et
des terminologies diverses regrou- Geuze, 1988), “dyspraxie de dévelop-
pant des réalités cliniques variables, pement” (Brain, 1961 ; Corraze, 1981,
*Institut de Formation en Psychomotricité,
ces difficultés motrices de l’enfant 1999), “apraxie de développement”
Faculté de médecine, 133, route de dans des situations aussi diverses (Walton et coll., 1962), “maladresse
Narbonne, 31062 Toulouse cedex 4 que l’utilisation d’une brosse à dent de développement” (Reuben et
Service médico-psychologique de ou de couverts, le lancer d’une balle, Bakwin, 1968), “apractogonosie”
l’enfant et de l’adolescent,
CHU, Toulouse.
le boutonnage ou le laçage des la- (Miller, 1986), “dysfonctionnement
Laboratoire de Recherches en Activités cets, la copie d’un carré ou d’un trian- moteur” (Snow et coll., 1991), les ta-
Physiques et Sportives gle ou encore le maintien d’un équili- bleaux d’agnosie et apraxie du déve-
Université Paul Sabatier, Toulouse bre unipodal, laissent subsister loppement (Gubbay, 1975), de

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“dyspraxies-dysgnosies de dévelop- critères suivants du trouble d’acqui- Les classifications
pement” (Lesny, 1980) ou encore “le sition de la coordination :
trouble spécifique du développement A. La réalisation des activités de la Plusieurs classifications ont
moteur” (CIM 10, O.M.S. 1992). vie de tous les jours nécessitant une tenté de rendre compte de l’hétéro-
coordination motrice est généité des dyspraxies.
significativement inférieure à ce que Stambak et coll. (1964) étudient
Définition l’on pourrait attendre compte tenu de 28 enfants (25 garçons et 3 filles) qui
l’âge chronologique du sujet et de ont de 6 à 16 ans. Les critères de
Ayres (1979) définit la dyspraxie ses capacités intellectuelles. Cela sélection sont la présence de trou-
de développement comme un déficit peut se manifester par des retards bles des praxies constructives et une
dans la planification motrice consé- importants dans les étapes du déve- discordance de 20 points entre le
cutif à un dysfonctionnement de l’in- loppement psychomoteur (marcher, Q.I.Verbal et le Q.I.Performance au
tégration des informations senso- ramper, s’asseoir), par le fait de lais- WISC avec un QIV d’au moins 80.
rielles (vestibulaires, propriocepti- ser tomber des objets, par une “mala- Deux groupes sont différenciés. Le
ves et tactiles essentiellement) qui dresse”, par de mauvais résultats premier groupe composé de 9 en-
prend la forme de coordinations pau- sportifs, ou une mauvaise écriture. fants est appelé “dyspraxies avec
vres. Schellekens et coll. (1983) in- B. La perturbation décrite sous A troubles moteurs prévalents”. Les
sistent sur le défaut de planification gêne de façon significative les résul- difficultés d’organisation spatiale à
et de contrôle des mouvements de la tats scolaires ou les tâches de la vie l’épreuve de Bender-Santucci et à
main en précisant que la partie ini- quotidienne. une épreuve de construction à l’aide
tiale du mouvement est très courte C. Non dû à une affection somatique de bâtonnets sont liées aux troubles
(phase en boucle ouverte, donc gé- connue, comme une infirmité motrice moteurs. Ceux-ci peuvent revêtir la
nérée par un programme moteur), ce cérébrale, une hémiplégie ou une forme de mouvements athétosiques,
qui laisse supposer que la phase de dystrophie musculaire, ne répond pas de tremblements, de troubles du to-
préprogrammation est moins efficace aux critères d’un trouble envahissant nus de fond ou d’action, d’un mau-
et nécessite, en fin de mouvement, du développement. vais contrôle tonico-moteur. Le
plus de corrections ce qui se traduit D S’il existe un retard mental, les dif- deuxième groupe de 7 enfants est
par un allongement du temps moteur ficultés motrices dépassent celles appelé “dyspraxies avec troubles
total. habituellement associées à celui-ci. graves de la personnalité” de type
Les troubles dyspraxiques, chez Le tableau de dyspraxie de dé- psychotique. Le déficit moteur est
l’enfant ou l’adolescent, peuvent être veloppement associe incoordina- plus léger que dans le groupe précé-
proches de ceux rencontrés dans les tions motrices, lenteur de réalisation, dent. Le dessin du bonhomme est
apraxies de l’adulte, être ou non asso- troubles des praxies gestuelles, pauvre, les résultats au test d’imita-
ciés à des difficultés perceptivo- visuoconstructives et de l’habillage, tion de gestes de Bergès-Lézine sont
motrices (Bairstow et Laszlo, 1989), troubles du tonus. très déficients.
recouvrir des formes d’incoordina- Au WISC ou au WISC-R, l’écart La population de Gubbay et
tions motrices ou de “maladresses” entre les QIV et QIP, en faveur du coll. (1965) comprend 21 sujets, 13
fort diverses. premier est constitutif, pour de nom- garçons et 8 filles qui ont entre 9 ans
Henderson (1987), souligne, les breux auteurs, de la dyspraxie de dé- 5 mois et 17 ans 4 mois (moy. = 12;6),
différents niveaux de disparité obser- veloppement (Walton et coll., 1962 ; dont le Q.I.Verbal est supérieur à 80
vables : 1) l’étendue des difficultés Stambak et coll.,1964 ; Gubbay et coll., et qui présentent des apraxies
de coordination, de l’incapacité de 1965 ; Reuben et Bawkin, 1968 ; Lord (idéatoire, idéomotrice, motrice ou
réaliser une quelconque action mo- et Hulme, 1987 ; Barnett et Henderson, mélokinétique, bucco-faciale, cons-
trice à un simple déficit dans certai- 1992 ; Mæland et Søvik, 1993). Mais tructive et de l’habillage) et des agno-
nes activités quotidiennes ou sur le cet écart n’est retrouvé que chez 40% sies (digitale, simultanée, tactile,
seul plan manuel ; 2) le degré de gra- des 51 sujets dans l’étude de Gérard d’objets, des couleurs). Ils sont ré-
vité du problème, de la simple lenteur et Dugas (1991) et n’apparaît pas dans partis en deux groupes qui diffèrent,
dans les activités à l’incapacité totale celle de Roussounis et coll. (1987) qui pour le second, par la présence de
d’apprendre certains gestes ou de constatent cependant une baisse signes neurologiques pyramidaux,
réaliser certains apprentissages ; 3) sensible dans les deux échelles par cérébelleux ou un passé de souffran-
l’âge de début des troubles ; 4) la rapport aux contrôles. Une différence ces cérébrales. Dans le groupe I, il y
présence ou non de comorbidité. de 10 points en sens inverse est même a prédominance de l’agraphie, des
Le DSM IV (1994) retient les retrouvée par Losse et coll. (1991). apraxies constructive et de l’ha-

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billage, d’une confusion droite-gau- sont administrées aux enfants : Présentation de l’étude
che et d’agnosie digitale. Le groupe • gestes usuels à reproduire sur com-
II comporte une majorité d’agraphie, mande et sur imitation (se brosser L’étude porte sur des sujets
d’agnosie digitale et d’apraxies les dents, manger avec une petite consultant en service hospitalier ou
constructives et de l’habillage. Une cuillère, par exemple) ; en C.M.P.P. pour des troubles des
majorité de sujets des deux grou- • séquences de mouvements à ef- apprentissages scolaires, des trou-
pes, 18 au total, présente un fectuer sur imitation et sur commande bles graphomoteurs ou des troubles
Q.I.Verbal supérieur au Q.I.Perfor- (pousser, tourner, ...) ; du comportement.
mance au WISC. • épreuves d’équilibre et de coordi- Tous les dossiers répondant aux
Gérard et Dugas (1991), à partir nation provenant du test de critères du DSM IV (trouble d’acqui-
des critères du DSM III-R du trouble Bruininks-Oseretsky ; sition des coordinations - 315-4) et de
d’acquisition des coordinations, étu- • mouvements répétitifs ou alternés ; la CIM 10 (trouble spécifique du dé-
dient 51 sujets âgés de 3 ans 10 mois • tests portant sur les performances veloppement moteur - F82) ont été
à 15 ans (moy. = 8). Trois types de scolaires, le langage et la visu- retenus. Les sujets possèdent un
dyspraxies sont isolées en référence oconstruction. Q.I.T. supérieur à 70.
au modèle piagétien du développe- Une analyse en clusters permet La population est composée de
ment. Le type I (36 % des cas) asso- d’identifier quatre groupes : le pre- 82 sujets (60 garçons et 22 filles),
cie des troubles praxiques et des mier présente une atteinte de l’en- âgés en moyenne de 11 ans 3 mois
difficultés d’expression verbale. L’at- semble des habiletés motrices ; le (min. = 6 ans ; max. = 20 ans 7 mois).
teinte résulterait d’une difficulté second se caractérise par un déficit Les sujets ne présentent aucun trou-
d’installation des coordinations in- des coordinations motrices, de ble neurologique, ni de trouble défi-
ternes au stade sensori-moteur. l’équilibre et dans la réalisation des cit de l’attention/hyperactivité, ni
Dans le type II (36 %), certains gestes usuels ; le troisième a de de trouble envahissant du dévelop-
aspects moteurs comme la marche mauvais résultats dans les séquen- pement. Ils ne prennent pas de trai-
ou les acquisitions posturales ne ces de mouvements, le quatrième ne tement médicamenteux d’aucune
sont pas touchées contrairement aux présente aucun trouble et regroupe sorte.
actes moteurs impliquant une pro- la presque totalité du groupe con-
jection dans l’espace avec des diffi- trôle.
cultés dans les actes de la vie quoti- Hoare (1994) étudie une popu- Les variables étudiées
dienne (s’habiller, utiliser des cou- lation de 80 enfants de 6 à 9 ans
verts) ou les activités sportives. Les présentant le trouble d’acquisition Les habiletés psychomotrices sont
praxies constructives sont pertur- des coordinations. Une analyse en évaluées à l’aide de l’échelle de Lin-
bées, des éléments spatiaux de la cluster est réalisée sur six variables coln-Oseretsky (LOMDS, Sloan,
dysgraphie sont retrouvés. Dans ce (discrimination kinesthésique, per- 1955 et Rogé, 1984). Cette échelle
cas le passage du référentiel égo- ception visuelle, visuoconstruction, comporte 36 items répartis en 6 fac-
centrique au référentiel allocentrique habileté manuelle au Purdue teurs (cf. tableau 1) : F1 - contrôle-
serait incriminé. Pegboard, équilibre statique, précision au niveau manuel, F2 - coor-
Le type III (23 % des enfants) course). Les cinq groupes isolés sont dinations globales, F3 - activité al-
associe trouble de l’attention et im- caractérisés de la façon suivante. ternative des deux membres, F4 -
pulsivité. Un défaut d’organisation Dans le premier groupe (n = 22), dis- vitesse doigt-poignet, F5 - équilibre
de l’espace extracorporel est ren- crimination kinesthésique et course et F8 - coordinations manuelles. Un
contré. La transition entre le stade sont déficitaires. Le deuxième (n = item est considéré comme réussi
sensori-moteur et les représentations 20), se singularise uniquement par quand la note obtenue, convertie en
symboliques serait responsable des un léger trouble de l’équilibre. Le pourcentage, est égale ou supérieure
troubles. troisième (n = 15) est déficitaire sur au pourcentage moyen attendu à cet
L’hétérogénéité du trouble d’ac- toutes les variables, bien que la âge. Lorsque le pourcentage d’items
quisition des coordinations est éga- course soit proche de la moyenne. réussis au sein d’un facteur est infé-
lement étudiée à l’aide de méthodes Le quatrième groupe (n = 14) ne pré- rieur à 50 %, le facteur est considéré
statistiques par Dewey et Kaplan sente qu’une difficulté au niveau de comme déficitaire et signe une in-
(1994) et Hoare (1994). Les premiers la perception visuelle. Dans le cin- coordination motrice ou un trouble
évaluent 102 enfants de 6 ans à 10 ans quième groupe (n = 8), le déficit porte de l’équilibre.
11 mois, dont la moitié sert de groupe sur l’exécution de tâches motrices Chaque facteur constitue une
contrôle. Les épreuves suivantes (variables 3 à 6). variable.

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La différence entre QIV et QIP (v>p) nométrées, aussi bien au cours de la ples expriment 81,25 % de l’inertie (F1
au test d’intelligence (WISC-R ou passation des épreuves psychomo- = 30,03 ; F2 = 18,92 ; F3 = 16 ; F4 = 9,03
WAIS-R) est retenue lorsqu’elle est trices que de l’évaluation des capaci- ; F5 = 7,26).
égale ou supérieure à 15 points en tés intellectuelles. Sont prises en La typologie permet d’indivi-
faveur du Q.I.Verbal. compte les informations données par dualiser quatre groupes comportant
la famille ou l’enfant. Les épreuves respectivement 14, 22, 20 et 26 sujets.
L’apraxie constructive (avc),définie graphomotrices permettent égale- Des analyses de variance à un facteur
par Kleist (in Benton, 1989) comme ment cette mise en évidence. sont réalisées sur les variables dé-
une perturbation dans des activités pendantes suivantes : âge, Q.I.Global
telles que assembler, construire et La dysgraphie (dyg) est définie comme et niveau de développement psycho-
dessiner, est mise en évidence, ici, à une atteinte de la qualité de l’écriture moteur à l’échelle de Lincoln-
partir de la figure de Rey et/ou du et concerne les données spatiales, la Oseretsky exprimé en écart-type par
subtest des cubes de Kohs de direction et l’organisation des traits rapport à la moyenne de la classe
l’échelle de Wechsler. Il y a trouble ainsi que leur taille. L’évaluation en d’âge. Aucun effet significatif n’est
des praxies constructives lorsque le est faite à partir de l’échelle dysgra- retrouvé, indiquant que les groupes
score obtenu est inférieur d’au moins phie de de Ajuriaguerra et coll. (1964) ne se différencient pas selon l’âge, le
un écart-type à la moyenne de la tran- et la réalisation de guirlandes, cycloï- Q.I. ou le niveau psychomoteur. Par
che d’âge considérée. des ou épicycloïdes en sens lévogyre contre la répartition selon les sexes
ou dextrogyre. L’enfant est mis de- varie considérablement. D’un côté,
L’apraxie idéomotrice (aim) est mi- vant plusieurs situations (écriture les groupes 1 et 2 se distribuent pra-
ses en évidence par le test d’imitation spontanée, copie d’écriture cursive, tiquement de façon égale entre filles
de gestes de Bergès et Lézine (1972) copie d’un texte imprimé en écriture et garçons : 6 filles et 8 garçons pour
qui est alors utilisé comme épreuve cursive, dictée de mots et de phrases G1 et 10 filles et 12 garçons pour G2.
clinique et non comme mesure d’un simples) pour situer le ou les niveaux De l’autre, la proportion de garçons
développement. Il y a trouble des de dysfonctionnement. est très forte dans les groupes 3 et 4 :
praxies idéomotrices quand le score 3 filles et 17 garçons pour G3 ; 3 filles
obtenu au test d’imitations de gestes Les différentes variables (F1, F2, et 23 garçons pour G4.
est inférieur à 19 points pour les ges- F3, F4, F5, F8, v>p, avc, aim, ah, ton,
tes simples et/ou à 14 points pour les lnt, dyg) sont ensuite soumises à une
gestes complexes. Si le sujet a entre 6 analyse factorielle des correspondan- Les quatre groupes
et 8 ans, nous nous référons aux nor- ces multiples à l’aide du logiciel
mes fournies par les auteurs (résultat StatBox™ pour Microsoft® Excel 5. Un profil des quatre groupes
inférieur au quartile inférieur). L’analyse des correspondances mul- est réalisé à partir du pourcentage de
tiples permet, en utilisant la métrique sujets présentant un déficit pour cha-
L’apraxie de l’habillage (ah) est une du Khi2, de réduire un tableau de que variable (graphique 1 sur trans-
difficulté à agencer, à orienter ou à variables qualitatives à un nombre parent). Cela nous permet d’appré-
disposer correctement ses vêtements limité de facteurs indépendants et de cier les différences notables au sein
ou encore à trouver l’adéquation en- projeter dans le même espace facto- de groupes qui ont, par ailleurs des
tre son corps et ses vêtements. La riel les lignes et les colonnes du ta- niveaux intellectuels et psychomo-
dyspraxie de l’habillage, chez l’en- bleau initial. L’interprétation du gra- teurs comparables.
fant, est surtout manifeste dans les phe factoriel se fait ensuite en terme Le groupe 1 se caractérise par des
activités de boutonnage et de laçage. de proximité entre les lignes d’une difficultés dans les mouvements al-
part, les colonnes d’autre part et les ternatifs (F3) et les items faisant inter-
Les troubles du tonus (ton) sont cons- lignes et les colonnes entre elles. venir le contrôle et la précision (F1),
titués par la présence de syncinésies Une fois que les différents fac- ainsi que la présence d’une apraxie
toniques ou tonico-cinétiques, à teurs ont été extraits, les coordon- visuoconstructive pour 71 % des
l’épreuve des diadococinésies nées factorielles de chaque individu sujets. La lenteur est le fait de 64 %
(Stambak, 1972), d’une intensité anor- servent de base à une typologie d’entre eux. Par ailleurs, aucune at-
male compte tenu de l’âge, ainsi que (StatBox) qui regroupe les individus teinte des coordinations générales
de paratonies à l’épreuve du ballant. les plus proches selon leur distance (F2) n’est présente et les troubles du
dans l’espace factoriel. tonus ne sont retrouvés que chez 14
La lenteur (lnt) est appréciée dans la Les cinq facteurs extraits par % des sujets. Le profil des trois pre-
réalisation des diverses tâches chro- analyse des correspondances multi- miers facteurs du Lincoln-Oseretsky

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est similaire à celui du groupe 4, la ciation de la dysgraphie et de la “ma- ceptives (Smyth, 1993). Les troubles
différence entre les deux groupes ré- ladresse” est notée par plusieurs du tonus vont également dans le sens
sultant essentiellement de la présence auteurs (Cratty, 1994 ; Illingworth, d’une mauvaise régulation des infor-
constante de troubles du tonus dans 1963 ; Nash-Wortham, 1987 ; Søvik et mations proprioceptives et kinesthé-
le groupe 4. On retrouve la dissocia- Mæland, 1986). siques. Henderson et coll. (1991) si-
tion entre coordinations motrices glo- Dans le groupe 4, le déficit de l’acti- gnalent que la durée du mouvement
bales et coordinations motrices fi- vité alternative des membres (F3) et est un indicateur très sensible des
nes, ainsi qu’entre différents degrés les troubles du tonus sont systéma- difficultés de coordination quand la
de complexité. Ces données vont dans tiques. Déficit en contrôle-précision précision est requise.
le sens d’une difficulté accrue de l’en- des gestes (F1) et lenteur sont retrou-
fant présentant un trouble d’acquisi- vés respectivement chez 85 % et 69 %
tion de la coordination lorsqu’il se des sujets. Il n’y a, par contre, aucune Discussion et conclusion
trouve face à une tâche complexe et/ atteinte des coordinations générales
ou inhabituelle. ni présence d’apraxie de l’habillage. Plusieurs éléments sont à noter.
Dans le groupe 2, les troubles du Un parallèle pourrait être fait avec le Les groupes se différencient, d’un
tonus sont systématiques et les défi- tableau, fort discutable, autrefois côté, par la présence de certains dé-
cits en contrôle-précision très fré- appelé “débilité motrice” décrit par ficits systématiques ou très fréquents
quents (82 % d’atteinte de F1). Les Dupré (1925) qui associait “mala- et, à l’opposé par l’absence d’atteinte
apraxies visuoconstructive et dresse”, troubles du tonus et anoma- à certains niveaux. Pour les premiers,
idéomotrice sont retrouvées respec- lies des réflexes. On notera également on trouve : activité alternative des
tivement chez 68 % et 64 % des sujets. que l’association des déficits moteurs membres (F3) pour les groupes 1 et 4,
C’est également dans ce groupe que (F1 et F3) de troubles du tonus et de troubles du tonus pour 2 et 4, ainsi
l’écart entre QIV et QIP est le plus la lenteur d’exécution va dans le sens qu’une atteinte nette du facteur con-
fréquent (55 %). Le tableau est assez des travaux de Missiuna (1994). Elle trôle-précision au LOMDS dans les
proche de celui du premier groupe de compare 24 enfants de 6 ans et demi groupes 1, 2 et 4. Pour les seconds,
Stambak et coll. (1964) appelé à 8 ans et demi présentant un trouble l’absence totale de déficits au niveau
“dyspraxie avec troubles moteurs de l’acquisition de la coordination à des coordinations générales (F2 du
prévalents”. Dans ce groupe, prati- 24 sujets contrôles appariés dans une LOMDS) se retrouve pour les grou-
quement tous les sujets présentent tâche de pointage sur un écran d’or- pes 1 et 4, et l’absence d’apraxie de
au moins une apraxie visuoc- dinateur à l’aide d’une souris. Le l’habillage pour les groupes 2 et 4.
onstructive ou idéomotrice (91 %) et temps de réaction et le temps de mou- Les différences de performance
41 % les deux. Par contre, aucune vement sont significativement plus observées entre les groupes vont
apraxie de l’habillage n’apparaît, dis- longs chez les premiers aussi bien dans le sens de la variabilité des com-
sociation que l’on retrouve aussi dans dans la phase d’acquisition que dans pétences motrices mentionnée par de
le groupe 4. la phase de transfert. Ils ont égale- nombreux auteurs, sans qu’une expli-
Le groupe 3 se singularise par le dé- ment plus de tension musculaire et de cation convaincante en soit donnée
ficit en contrôle-précision et la dys- rigidité du bras et de la main. L’asso- (Cermak, 1985 ; Denckla, 1984 ; Geuze
graphie (65 % des sujets dans les ciation lenteur d’exécution, défaut de et Kalverboer, 1987 ; Missiuna, 1994).
deux variables) et, à un degré moin- contrôle dans une tâche précise et On observe, ici, que certaines varia-
dre, par l’apraxie visuoconstructive troubles du tonus rend compte de bles peuvent être pathologiques pour
(60 % des sujets). La dyspraxie est l’adoption d’une stratégie particu- la totalité des membres d’un groupe
donc, dans ce groupe, centrée sur les lière de contrôle moteur chez l’enfant alors que, dans un autre, moins de la
coordinations manuelles avec dys- dyspraxique qui pourrait consister à moitié des sujets ont un déficit à ce
graphie associée ce qui va dans le réduire le nombre de degrés de liberté niveau (F3, tonus). Ceci implique l’uti-
sens des travaux de la neuropsycho- articulaires face à une tâche nouvelle. lisation de moyens d’évaluation va-
logie cognitive sur la dysgraphie. La lenteur semble bien être le riés pour répondre à la diversité des
Certains auteurs font, en effet, de la résultat d’un compromis destiné à tableaux cliniques. De plus, l’impor-
dysgraphie une forme particulière et diminuer les effets de l’incoordina- tance des troubles du tonus
focalisée de dyspraxie. La dysgra- tion motrice par l’utilisation d’un (syncinésies et paratonies) dans trois
phie serait alors la conséquence d’une rythme d’exécution permettant le con- groupes sur 4 doit inciter à évaluer
mauvaise planification de l’action trôle de l’activité en cours par des cette dimension qui est la plupart du
motrice nécessaire à l’écriture rétroactions visuelles notamment, en temps absente des différentes études
(Denckla et Roeltgen, 1992). L’asso- négligeant les rétroactions proprio- portant sur ces sujets.

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Les différences de répartition breuses et variées (Kephart, 1971 ; visuoconstructives ou bien avec des
selon les sexes et selon les groupes Gordon et Mc Kinlay, 1981 ; Miller, troubles du tonus. Il y a encore beau-
est enfin un élément notable qui rend 1986 ; Cratty, 1994). Elles insistent coup à faire pour systématiser les
peut-être compte des avis partagés sur l’importance de l’entraînement prises en charge psychomotrices de
de la littérature. Pour certains kinesthésique (Bairstow et Laszlo, ce type de trouble dont les répercus-
auteurs, la prépondérance des gar- 1981), la prise en compte des rétroac- sions sur l’individu peuvent être dé-
çons est nette (Gubbay et coll., 1965 tions proprioceptives et la spécifi- sastreuses (Smyth, 1992). Il est donc
; Gordon et McKinlay, 1981, Søvik et cité de l’approche thérapeutique qui nécessaire d’évaluer avec soin les
Mæland, 1986 ; Stambak et coll., s’appuiera, ici, sur les problèmes différents secteurs qui peuvent être
1964), alors que pour d’autres la ré- graphomoteurs, là, sur la prépara- déficitaires, compte tenu de l’hété-
partition est similaire comme pour tion posturale au mouvement, là en- rogénéité du trouble, sans oublier de
Brenner et Gillman (1966) dans une core sur le déliement digital, ou l’aug- faire de même pour les thérapies mi-
étude en milieu scolaire normal. Se- mentation de la vitesse d’exécution ses en place. A cette condition impé-
lon les caractéristiques retenues du mouvement. Selon l’importance rative, la rééducation psychomotrice
pour intégrer les sujets au sein d’une des troubles visuo-constructifs ou pourra continuer d’occuper le rang
étude, on peut ainsi se retrouver en des troubles du tonus par exemple, qui est le sien au sein des multiples
présence d’individus appartenant à les mises en situation seront diffé- thérapeutiques médicales et para-
des groupes différents. rentes. Les troubles graphiques sont médicales. Dans le cas contraire, il
Les modalités de prise en à examiner de près pour essayer de ne restera aux psychomotriciens qu’à
charge des enfants et adolescents déterminer leur lien éventuel avec un se reconvertir dans des domaines où
présentant un trouble de l’acquisi- déficit praxique plus large éventuel- l’approximation et la subjectivité
tion de la coordination sont nom- lement associé à des difficultés sont encore de mise. !

FACTEURS Groupe I Groupe II Groupe III Groupe IV


(n = 14) (n = 22) (n = 20) (n = 26)
Sexe 6F;8G 10 F ; 12 G 3 F ; 17 G 3 F ; 23 G
Age (ans )
Retard psychomoteur Pas de différences significatives entre les groupes
Q.I.T
Q.I.P.<Q.I.V. 36 % 55 % 50 % 46 %
F1(% d’anormaux) 90 82 65 85
F2 0 36 50 0
F3 100 32 25 100
F4 50 55 45 50
F5 57 59 40 46
F8 29 27 50 23
Apraxie idéomotrice 50 64 55 50
Apraxie habillage 36 0 50 0
Apraxie constructive 71 68 60 58
Dysgraphie 57 41 65 46
Tonus 14 100 45 100
Lenteur 64 50 69 69

Caractéristiques des quatre groupes de dyspraxiques

128 évolutions psychomotrices – Vol. 11 – n° 45 – 1999


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