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Le commerce international: Quelques théories et concepts de base

José María Caballero, Maria Grazia Quieti et Materne Maetz

Division de l’assistance aux politiques, FAO, ONU,

http://www.fao.org/3/X7352F/x7352f02.htm#TopOfPage

Objectif

Ce module introduit de manière simple quelques-uns des concepts théoriques et des arguments
généralement utilisés dans les discussions ayant trait aux politiques du commerce extérieur. Les
concepts et arguments qui y sont présentés concernent le commerce en général mais ils seront autant
que possible étayés par des exemples provenant du secteur agricole de façon à mettre en valeur leur
intérêt dans l’étude du commerce des produits agricoles.

Points clés

· La participation au commerce international est susceptible de procurer certains bénéfices car elle
permet à un pays de tirer parti de ses avantages comparatifs, d’exploiter des économies d’échelle et
de garantir le jeu de la concurrence, ce qui renforce la diversité des produits et, potentiellement, la
stabilité des marchés.

· Il est peu probable que les bénéfices résultants des échanges commerciaux se répartissent également
entre pays ou en leur sein; c’est ce qui explique l’opposition aux politiques de libre-échange.

· Les décisions de politique portent rarement sur l’acceptation ou le refus absolu de participer au
commerce international mais plutôt sur l’instauration de barrières commerciales. Les arguments en
faveur du protectionnisme reposent sur des fondements aussi bien économiques qu’extra
économiques, y compris sur la question de la sécurité alimentaire. En règle générale, les mesures
commerciales ne constituent ni les moyens les plus directs, ni les moyens les plus efficaces pour
atteindre ces objectifs.

· La libéralisation du commerce extérieur peut s’inscrire dans un cadre régional ou multilatéral. Les
dispositions commerciales régionales sont de plus en plus fréquentes même si la place qui y est
accordée à l’agriculture est souvent problématique.

· L’ordre du jour des négociations sur le commerce reflète de plus en plus souvent les nouvelles
préoccupations des groupes de consommateurs et d’ONG des pays de l’OCDE, et de moins en moins
les préoccupations classiques du déclin des termes de l’échange et de l’échange inégal exprimées par
les pays en développement.

2.1 Les bénéfices économiques résultant de la participation au commerce international

Pourquoi les pays s’engagent-ils dans les échanges commerciaux?

En quoi les échanges commerciaux sont-ils avantageux? Qu’est-ce qui pousse les individus et les
entreprises à s’y engager volontairement? Pourquoi les Etats le favorisent-ils? Et pour quelles raisons
les économistes le défendent-ils? Comme vu dans le module I.1 Les principales tendances du commerce
international et du commerce des produits agricoles, la tendance à long terme des flux commerciaux
internationaux de la plupart des produits n’a cessé de croître au cours des deux derniers siècles et a
fait l’objet d’une spectaculaire accélération depuis la Deuxième Guerre mondiale. Celle-ci ne résulte
cependant pas seulement de la formidable amélioration des divers moyens de transport et de
communication mais aussi de ce qu’on peut retirer des bénéfices des échanges commerciaux.

Les économistes ont avancé un grand nombre d’arguments en faveur du commerce international des
produits. Certains sont manifestes et relèvent du bon sens tandis que d’autres sont moins évidents à
saisir. Ces arguments peuvent être regroupés en trois grandes catégories en fonction des critères sur
lesquels ils reposent; à savoir: (i) l’augmentation induite par le commerce du montant total de biens
et de services disponibles pour la population du pays (thèse de l’accroissement de la consommation);
(ii) la diversité de biens et de services auxquels la population peut accéder grâce au commerce (thèse
de la diversification); et (iii) la stabilité de l’offre et des prix des biens et services qui résulte du
commerce (thèse de la stabilité). Ces diverses thèses vont être analysées ci-après.

2.1.1 Commerce et croissance - la thèse de l’accroissement de la consommation

La théorie des avantages comparatifs

Une des raisons qui fait que le commerce international peut augmenter le volume des biens et services
disponibles dans un pays donné et à un moment donné est que celui-ci permet d’acheter des biens et
services dans les lieux où leurs coûts de production sont comparativement moindre. Les ressources
locales qui, en l’absence de commerce, étaient employées à la production de certains biens sont dès
lors libérées ce qui permet que d’autres biens soient produits en une proportion plus importante. Si
les Etats-Unis sont capables de produire à la fois des puces électroniques et du sucre mais qu’ils sont
bien meilleurs dans la fabrication des puces électroniques que dans la production du sucre et que le
Brésil est capable de produire à la fois des puces électroniques et du sucre mais qu’il est bien meilleur
dans la production de sucre, chacun de ces pays aura alors intérêt à échanger ces deux produits. Le
montant total des ressources nécessaires pour produire la quantité totale de sucre et de puces
consommée par les Etats-Unis et le Brésil sera alors moindre dans chacun de ces pays si le Brésil se
spécialise dans la production de sucre et les Etats-Unis dans celle de puces et que les deux font
commerce de ces produits.

Les bénéfices tirés des échanges commerciaux

Ce bénéfice combiné sera partagé entre les Etats-Unis et le Brésil et la façon dont il sera effectivement
réparti dépendra du rapport entre le cours mondial des puces électroniques et celui du sucre - c’est ce
que les économistes appellent les termes de l’échange au niveau international. En l’absence de
commerce international, chaque pays a son propre rapport d’échange intérieur entre chacun de ces
produits. Ce rapport vaudra, par exemple, 50 kg de sucre aux Etats-Unis pour une puce électronique
standard et 100 kg de sucre au Brésil. On remarquera que ces deux rapports d’échange témoignent de
la meilleure efficacité relative qu’il y a à produire du sucre au Brésil et des puces aux Etats-Unis. Les
termes de l’échange se situeront dès lors dans l’intervalle compris entre le rapport d’échange des
Etats-Unis et celui du Brésil car si ce n’était pas le cas, l’un au moins des deux pays ne serait pas
intéressé aux échanges. En outre, le commerce favorisera d’autant plus un pays que les termes de
l’échange seront différents de son propre ratio intérieur1.

La théorie des avantages comparatifs et ses corollaires

1Dans notre exemple, une puce électronique s’échange contre 90 kg de sucre, le gain résultant de la participation au commerce international
va plutôt aux Etats-Unis qu’au Brésil. En vendant une puce électronique au Brésil, les Etats-Unis obtiennent 90 kg de sucre, c’est-à-dire 40 kg
de plus (80 pour cent de plus) que s’ils l’avaient produit eux-mêmes. En vendant 90 kg de sucre aux Etats-Unis, le Brésil obtient une puce
électronique, c’est-à-dire 0,1 puce de plus (11,1% de plus) 1que s’ils l’avaient produite chez eux.
L’exemple ci-dessus reprend le schéma classique de la théorie des coûts comparés du commerce
international; théorie également connue sous le nom de théorie des avantages comparatifs et
formulée par David Ricardo au début du XIXe siècle. Il est fort utile de la présenter en détail car elle
constitue l’explication la plus solide des économistes sur les bénéfices résultant de la participation au
commerce international. Plusieurs éléments méritent l’attention et seront donc soulignés dans ce qui
suit. Quelques restrictions à la théorie seront toutefois apportées dans l’encadré 2.

Le gain résultant de la participation au commerce international résulte des différences de coûts


d’opportunité

· Premièrement, le gain découle de l’existence de différents rapports d’échange intérieurs entre les
deux produits dans chacun des pays. Ces rapports résultent des différences dans les conditions de
production propres aux deux produits dans les deux pays. Dans cet exemple, comparativement à ce
qui leur est nécessaire pour fabriquer une puce électronique, les Etats-Unis utilisent ainsi
proportionnellement plus de ressources pour produire un kilo de sucre que ce qu’utilise le Brésil. Cette
proportion est deux fois plus élevée selon les hypothèses simplifiées qui ont été retenues. De façon
plus générale, si des ressources sont rares et qu’elles peuvent être utilisées indifféremment à la
fabrication de deux produits, A et B, la valeur de B à laquelle on renonce en utilisant une partie des
ressources pour produire une unité de A correspond à ce que les économistes appellent le coût
d’opportunité (de A exprimé en fonction de B). Dans notre exemple, le coût d’opportunité de la puce
électronique (en fonction du sucre) est ainsi plus élevé aux Etats-Unis qu’au Brésil car, toujours selon
les hypothèses retenues, il faut cesser de produire 100 kg de sucre au Brésil pour fabriquer une puce
électronique contre seulement 50 kg aux Etats-Unis. Le gain résultant de la participation au commerce
international provient donc de ce que les coûts d’opportunité du sucre et de la puce électronique sont
différents aux Etats-Unis et au Brésil.

Ce sont les avantages relatifs et non les avantages absolus qui constituent la clé du commerce
international

· Deuxièmement, le volume des ressources nécessaires à la production des deux biens pourra être plus
élevé dans l’un des pays, le commerce restera pourtant avantageux pour les deux parties. Ainsi, pour
continuer avec le même exemple, on peut supposer que les Etats-Unis dépenseront à la fois moins de
ressources que le Brésil pour fabriquer des puces électroniques (ce qui est probablement le cas) et
moins que le Brésil pour produire du sucre (ce qui est moins évident en pratique mais peut toutefois
être le cas). Le Brésil peut ainsi avoir besoin de quatre fois plus de ressources que les Etats-Unis pour
fabriquer des puces électroniques et de deux fois plus pour produire du sucre; ce qui revient à dire,
qu’en valeur absolue, il est nettement moins efficace dans chacun des deux secteurs.

Le point essentiel à retenir de la théorie des avantages comparatifs est que, même dans une telle
situation, les Etats-Unis auraient encore intérêt à commercialiser leurs puces contre du sucre du Brésil.
En exportant une puce au Brésil, les Etats-Unis obtiendraient en effet en contrepartie 100 kg de sucre
alors que pour se procurer 100 kg de sucre chez eux, il leur aurait fallu sacrifier la production de deux
puces. Des négociants devraient ainsi faire d’importants bénéfices en achetant des puces
électroniques aux Etats-Unis, puis en les envoyant au Brésil où ils les revendraient pour acheter du
sucre qu’ils ramèneraient aux Etats-Unis afin de l’y revendre encore et de racheter encore plus de
puces électroniques. Dans notre exemple, un négociant se retrouverait à la fin avec deux fois plus de
puces électroniques (indépendamment des frais de transport et de commercialisation). Il est évident
que si plusieurs négociants se mettaient à faire de même, entre ventes de puces électroniques et
achats de sucre, les transactions continues contribueraient, après un certain temps, à faire monter au
Brésil le prix du sucre et à faire baisser celui des puces modifiant ainsi le rapport des prix intérieurs. Et
on observerait le mouvement inverse aux Etats-Unis. Ces mouvements persisteraient jusqu’à ce qu’un
nouveau rapport entre les prix du sucre et des puces s’établisse au niveau international et équilibre
simultanément les marchés des deux pays. Les rapports des prix intérieurs des deux pays ne se
différencieraient plus alors qu’en fonction des coûts de transport et de commercialisation.

Encadré 2: Quelques restrictions à la théorie des avantages comparatifs

· La théorie pose comme hypothèse que les ressources sont totalement utilisées, c’est-à-dire qu’on
se trouve en situation de plein emploi. Dans le cas contraire, en effet, les rapports de prix ne
refléteraient pas les coûts d’opportunité des ressources employées. En outre, si les ressources étaient
abondantes, il n’y aurait aucune raison de réduire la production de sucre pour augmenter celle des
puces ou vice-versa.

· En théorie, on considère également que les facteurs de production peuvent être facilement réalloués
dans les secteurs d’activités pour lesquels un pays détient un avantage comparatif. Mais dans la
pratique, de multiples contraintes empêchent cette redistribution des ressources. Une réorientation
de la production pour passer, par exemple, de la production de sucre à celle du chocolat, entraînera
d’importants coûts de restructuration. Les moyens de production employés dans les usines sucrières
ne peuvent être utilisés à la production de chocolat et la main d’œuvre doit être formée pour
appliquer de nouvelles techniques.

· Dans le modèle classique, les capitaux ne sont pas mobiles au niveau international (seules les
marchandises le sont) et les décisions d’investissement se prennent à l’échelle nationale. Dans le
monde actuel, les capitaux sont, tout comme les technologies, extrêmement mobiles et se déplacent
largement au-delà des frontières nationales. En outre, le cadre des décisions d’investissement est
pour une part toujours croissante de ceux-ci, international et non plus national. Les grands fonds
d’investissement et les entreprises transnationales ne s’arrêtent plus aux frontières nationales; ils
cherchent les occasions de faire des profits n’importe où dans le monde ce qui, en soi, se rapproche
beaucoup plus du concept d’avantage comparatif absolu que de celui d’avantage comparatif relatif.
Les critères déterminants incitant à investir dans un lieu en vue d’établir des échanges commerciaux
sont alors le faible coût de la main d’œuvre locale, la facilité d’accès aux principaux marchés, sans
oublier les possibilités d’organiser des filières de commercialisation et de distribution rentables.

· La théorie des avantages comparatifs s’intéresse principalement à la manière dont les ressources
peuvent être utilisées avec efficacité pour produire des biens homogènes en une quantité limitée.
Aujourd’hui, la qualité et le volume qui peuvent être fournis par une entreprise donnée apparaissent
comme des facteurs souvent plus importants que le coût lui-même. D’une certaine manière, la
capacité de vendre une marchandise est en train de devenir plus importante que la capacité de la
produire.

Dans cet exemple, on dira que les faibles coûts (relatifs) de la production de sucre procurent au Brésil
un avantage (comparatif) relatif sur la production de sucre des Etats-Unis. Ce concept d’avantage
relatif doit être distingué de celui d’avantage (comparatif) absolu qui suppose que le pays en question
utilise moins de ressources en termes absolus dans la production d’un bien donné. Ainsi, dans notre
exemple, les Etats-Unis disposent d’un avantage comparatif absolu dans la production de puces
électroniques et de sucre et d’un avantage comparatif relatif dans la seule production de puces. La
théorie des avantages comparatifs pose dès lors comme principe fondamental que les bénéfices tirés
du commerce international proviennent de l’existence d’avantages comparatifs relatifs et non de
l’existence d’avantages comparatifs absolus.
Les avantages comparatifs doivent parfois être provoqués

· Troisièmement, cette théorie est statique car elle explique le commerce international et les gains
qu’on en tire à partir des avantages comparatifs à un moment donné. Il peut cependant arriver que les
avantages comparatifs entre les pays évoluent sous l’effet, entre autres, des politiques mises en
œuvre. Dans ce cas, détenir un avantage comparatif pour un produit donné ne signifie pas pour autant
qu’on doive se spécialiser dans la production de ce bien au détriment d’autres lignes de production.
En fait, de nouvelles industries (souvent appelées les industries naissantes) ne disposent pas
d’avantage comparatif au moment de leur démarrage et doivent donc, comme on le verra plus bas,
être protégées jusqu’à ce qu’elles aient atteint la taille requise pour pouvoir tirer profit d’économies
d’échelle. Dans l’exemple retenu, le Brésil pourrait fort bien ne pas se limiter à la seule production de
sucre, ni totalement renoncer à la production de puces électroniques si il sent qu’il a les moyens de
développer une industrie rentable de puces électroniques. En fait, ce genre de raisonnement pourrait
conduire le Brésil à imposer des barrières commerciales à l’importation de matériel informatique de
façon à profiter à long terme du développement de sa propre production d’ordinateurs. On notera en
conséquence que, lorsque d’autres politiques industrielles sont possibles et plus directes, la politique
du commerce extérieur n’est évidemment pas nécessairement le meilleur levier pour développer une
capacité de production nationale. Certains pays peuvent aussi perdre leurs avantages comparatifs du
fait de l’évolution internationale des technologies (c’est ce qu’on appelle le problème des industries
déclinantes ou obsolètes). Par ailleurs, les cours mondiaux se modifient en permanence ce qui a une
incidence certaine sur les avantages comparatifs d’un pays.

Le commerce extérieur a un impact important sur la répartition des richesses

· Quatrièmement, cette théorie montre bien que, globalement, les pays bénéficient du commerce
international mais elle ne fait aucune inférence sur la façon dont les divers groupes sociaux de chaque
pays profitent ou sont au contraire lésés par ce commerce extérieur. Or, comme on le verra aussi plus
loin, le commerce extérieur peut avoir des répercussions considérables sur la répartition des revenus,
ce qui introduit une dimension sociale à la question. Et c’est précisément à cause de cette incidence
potentiellement négative du commerce sur les revenus de certaines catégories sociales que les Etats-
Unis ont traditionnellement protégé leur industrie sucrière en limitant les importations par un système
de quotas.

Les économies d’échelle

Le commerce extérieur permet de réaliser des économies d’échelle

Une autre raison pour laquelle le commerce extérieur peut améliorer l’efficacité, c’est qu’il permet à
une industrie d’étendre son marché au-delà des limites de l’économie nationale. Grâce aux
exportations, une industrie peut produire plus et, s’il existe des économies d’échelle, le coût moyen
de ses produits tendra alors à diminuer.

Au niveau industriel, les économies d’échelle peuvent intervenir de deux façons qui vont en général
de paire. La première correspond au cas de certains moyens de production qui, au niveau de
l’entreprise et de par leurs caractéristiques technologiques, sont indivisibles. C’est le cas, par exemple,
des robots utilisés dans l’industrie automobile. Et cela concerne les techniques qui ne sont rentables
qu’à partir d’un certain seuil de production. Dans ce cas, on parle alors d’économies d’échelle internes
à l’entreprise dans le secteur concerné. La seconde correspond au cas où on économise sur des coûts
grâce à l’expansion de l’activité car celle-ci s’accompagne d’une amélioration des services fournis, que
ce soit par des tierces parties ou par le milieu industriel ou commercial environnant. C’est ce que les
économistes appellent les effets externes. Dans ce cas, les économies d’échelle sont dites externes à
l’entreprise mais internes au secteur d’activité. A titre d’exemple, on peut citer le renforcement des
qualifications de la main d’œuvre, la spécialisation des fournisseurs d’intrants, le caractère compétitif
du contexte environnant ou encore le partage du savoir-faire technique; tous ces facteurs ayant
tendance à réduire les coûts de production.

Une chose intéressante à propos des économies d’échelle est que lorsque celles-ci sont significatives,
des pays disposant de ressources ou de niveaux techniques comparables et présentant par conséquent
des coûts de production similaires, auront tout intérêt à se spécialiser dans des productions différentes
et à commercer entre eux. En se spécialisant, les deux pays tireront parti des économies d’échelle qui
concernent le bien qu’ils produisent et abaisseront ainsi leurs coûts de production. Combinés à la
dynamique de différenciation des produits (voir plus loin), les économies d’échelle permettent
d’expliquer la pratique du commerce interne à une même branche d’activité, c’est-à-dire les
situations où des pays font commerce entre eux de produits similaires mais néanmoins distincts,
comme c’est par exemple le cas avec des importations et exportations de différents types de voitures.

La concurrence dans le commerce

Participer aux échanges commerciaux permet de bénéficier des effets positifs de la concurrence

Une autre façon par le biais de laquelle le commerce extérieur contribue à améliorer l’efficacité de la
production est qu’il suscite la concurrence. En ouvrant leurs frontières aux transactions commerciales,
les pays forcent leurs entreprises à être concurrentielles avec les biens et services produits à l’étranger
et, donc, à rester compétitives en répercutant la baisse des coûts de production dans leurs prix de
vente au consommateur. Cet élément est particulièrement décisif lorsqu’il s’agit d’entreprises qui, de
par les caractéristiques de leurs procès de production (importance des coûts initiaux, substantielles
économies d’échelle, dépendance vis-à-vis d’un composant spécialisé dont l’offre est limitée), tendent
à occuper une position de monopole ou d’oligopole. Les industries de l’automobile et des
télécommunications en sont de bons exemples. La participation au commerce international peut alors
être un bon moyen de stimuler la concurrence et de renforcer l’efficacité de ces activités. Cet aspect
bénéfique du commerce extérieur ne s’applique pas directement à l’agriculture car, pour un même
produit agricole, la production des exploitations agricoles est extrêmement peu différenciée; en outre,
l’agriculture est une activité qui ne se prête guère à une véritable concentration. Par contre, les
agriculteurs peuvent tirer parti de l’amélioration de l’efficacité des industries productrices d’intrants
et des entreprises de transformation des produits agricoles, induite par le commerce extérieur.

2.1.2 Commerce et accès aux produits - la thèse de la diversification

Le commerce extérieur accroît la diversité de l’offre de produits

Une autre raison pour laquelle le commerce extérieur a un impact bénéfique est qu’il offre aux
consommateurs et aux producteurs nationaux un choix de biens et de services qui ne seraient pas
disponibles autrement. Dans la mesure où cela concerne aussi bien des produits de consommation
finale que des biens intermédiaires et des intrants, le commerce extérieur apparaît donc à la fois
comme favorable aux consommateurs et au développement de la capacité de production nationale.

La diversité renvoie à la disponibilité des biens qui ne peuvent être produits dans le pays ou qui ne
pourraient l’être qu’à des conditions très particulières et très onéreuses (par exemple, des mangues
en Scandinavie). Elle renvoie aussi aux divers types et marques de biens réellement produits dans un
pays (comme par exemple les différentes variétés de pommes, les types de pompes à moteur ou les
morceaux de viande) et aux biens qui ne sont pas produits dans le pays mais qui pourraient l’être à un
prix de revient encore convenable. Grâce à la différenciation de leurs produits, les pays peuvent donc
s’investir dans des créneaux d’activités (tels qu’un type donné de voitures) et engager ainsi avec des
partenaires commerciaux exerçant dans ce domaine d’activité des opérations commerciales propices
à chacune des deux parties. Ce type de commerce interne à la branche d’activité est assez fréquent
dans le cas des biens de consommation. Il est par contre moins courant dans le cas des produits
agricoles car la dotation en ressources naturelles joue alors un rôle important et est généralement
assez homogène pour une même spéculation.

2.1.3 Commerce et fluctuations - la thèse de la stabilité

Par rapport à l’autarcie, le commerce extérieur permet de stabiliser les marchés...

Le commerce extérieur peut aussi servir à lisser des excédents transitoires de l’offre ou de la demande
sur le marché intérieur et empêcher ainsi, ou réduire, les fluctuations des cours et les ruptures
d’approvisionnement. A cet égard, les produits agricoles peuvent particulièrement bénéficier du
commerce international car les marchés agricoles ont tendance à être relativement plus instables du
fait de la rigidité de l’offre (la production agricole a besoin d’un certain temps pour réagir aux
mouvements du marché), des facteurs exogènes qui influencent fortement la production (comme le
climat ou les maladies), et de la faible sensibilité de la demande alimentaire aux variations de prix (ce
qu’on appelle la faible élasticité). Dans les années d’abondance, un pays capable de subvenir
largement à ses besoins en produits agricoles et alimentaires devra faire face à des excédents agricoles
qui auront tendance à faire baisser fortement les prix au producteur. Le marché international pourra
alors servir à résorber ces excédents avec un minimum d’interférence sur les prix intérieurs et les
revenus. Et lors de mauvaises années, ce sera le contraire qui se produira.

... mais il peut lui-même être la source d’instabilité

Il faut toutefois souligner que le commerce peut aussi être une source d’instabilité pour les prix.
Lorsqu’un pays est ainsi fortement spécialisé dans la production de certains biens d’exportation et qu’il
dépend très largement des importations d’autres produits, il devient très sensible aux fluctuations des
prix internationaux. En outre, en l’absence de mesures destinées à isoler les prix nationaux des
variations des cours mondiaux, ces fluctuations affecteront également les biens d’exportation qui ne
sont que très marginalement exportés ou importés. Traditionnellement, et même si les effets ont été
variables, l’agriculture est le principal secteur où de telles mesures ont été appliquées. Cela n’est guère
surprenant si l’on considère l’instabilité caractéristique des cours internationaux des produits agricoles
et l’importance qu’attachent les gouvernements à stabiliser les prix des aliments et les revenus des
agriculteurs.

2.2 Commerce et équité

Les bénéfices résultant du commerce extérieur sont-ils répartis équitablement? Est-ce que chacun y
gagne ou tout du moins n’y a-t-il pas de perdants? On peut distinguer deux problématiques: l’une
concerne l’impact du commerce extérieur sur les divers groupes économiques et sociaux à l’intérieur
d’un pays et l’autre l’impact sur la répartition des bénéfices entre des pays partenaires sur le plan
commercial. Ces deux problématiques sont analysées séparément ci-dessous.

2.2.1 L’impact du commerce extérieur sur la répartition des revenus dans un pays

La participation au commerce extérieur implique des gagnants et des perdants

Il va de soi que les travailleurs, les entrepreneurs, les investisseurs et les détenteurs de ressources
naturelles (c’est-à-dire les détenteurs de facteurs de production) impliqués dans des activités
d’exportation ont toutes les chances de profiter d’un développement du commerce extérieur. A
l’inverse, les détenteurs de facteurs de production impliqués dans des activités en concurrence directe
avec des produits importés de l’étranger - ce qu’on appelle les activités de substitution à
l’importation - risquent fort d’être lésés par le développement du commerce extérieur. Entre
détenteurs de facteurs de production, la répartition des bénéfices et des pertes résultant du commerce
dépendra donc de la position respective de chacun vis-à-vis des différents marchés. On notera
cependant qu’en général, les détenteurs de facteurs de production qui sont utilisés intensément dans
une activité - comme la main d’œuvre dans l’industrie textile ou la terre dans le cas de l’agriculture
intensive - feront davantage de gains ou de pertes que les propriétaires de facteurs qui ne sont pas
soumis à un usage intensif. De la même façon, les détenteurs de moyens de production très spécifiques
à une activité et donc relativement peu mobiles - comme les ouvriers agricoles spécialisés dans une
activité telle que l’émondage ou encore les propriétaires de terres particulièrement aptes à la
production de certaines plantes - risqueront également de perdre ou de gagner plus que les détenteurs
de facteurs moins différenciés et donc plus mobiles.

Lorsque l’industrie nationale ne produit pas un des biens importés (ou ses produits de substitution),
alors les consommateurs (ou les producteurs qui l’utiliseraient comme intrant) profiteront de ces
échanges commerciaux sans que personne n’y perde. Vu qu’il se fonde sur l’échange de produits bien
différenciés d’une même industrie, le commerce interne à une branche d’activités aura en général une
incidence moindre sur le secteur national concurrencé par les importations que le commerce
international fondé sur des spécialisations sectorielles. Dans ce second cas, les secteurs concurrencés
par les importations risquent d’être totalement balayés.

Les paysans sont très sensibles aux évolutions du marché car ils n’ont guère d’alternative
économique

Puisqu’en comparaison avec les autres activités économiques, la mobilité des facteurs de production
agricoles et la différenciation des produits sont plutôt limitées, le secteur agricole apparaît comme
d’autant plus vulnérable aux évolutions du marché. Il est effectivement difficile de répondre à la
concurrence créée par les importations agricoles en transformant une terre agricole en zone urbaine
ou en parc récréatif et, dans le cas de la force de travail agricole, il est tout aussi difficile de lui trouver
un autre secteur d’emploi car cela requiert généralement une reconversion, voire une migration. Il est
certes possible que des paysans changent de cultures et de spécialisation de façon à s’adapter à la
concurrence internationale mais le climat, les conditions pédologiques, le savoir-faire technique et
d’autres facteurs encore risquent bien souvent de restreindre ou même de compromettre ces
éventuelles adaptations. La reconversion depuis la production végétale ou l’élevage, vers d’autres
domaines d’activité agricole sera alors particulièrement coûteuse et prendra beaucoup de temps. Ces
rigidités propres au secteur agricole sont l’une des raisons pour lesquelles les Etats ont en général eu
tendance à protéger leurs agriculteurs des effets de la concurrence internationale.

Pour les économistes théoriciens, la question centrale est de savoir si les gains de ceux qui profitent
de l’ouverture aux échanges internationaux sont suffisants pour compenser les pertes de ceux qui sont
lésés, de façon à vaincre leur réticence face au libre échange et à répartir équitablement les bénéfices
résultant de la participation aux échanges commerciaux. Cette compensation est en principe possible,
mais, en pratique, elle est extrêmement difficile à mettre en œuvre. Il est en effet très difficile de
s’accorder sur le montant exact des gains et pertes, d’identifier les groupes sociaux concernés et enfin
de mettre en place des mécanismes de transfert direct d’un groupe à un autre. Les Etats peuvent aussi
tenter de récupérer une partie des gains au moyen, par exemple, de taxes sur les exportations. Ils
peuvent chercher à aider les personnes lésées par le biais de subventions ou de transferts, mais ils le
feront la plupart du temps en utilisant l’argent du contribuable plutôt que celui des bénéficiaires de
l’exportation.
2.2.2 Comment différents pays bénéficient-ils du commerce extérieur?

Cette question est plus que problématique car elle donne lieu à de sérieuses controverses et à des
positions contrastées. Il n’est pas possible, ici, de les prendre toutes en considération mais on peut au
moins tenter de résumer les plus représentatives.

L’approche du courant dominant de la pensée économique

Les théories dominantes mettent l’accent sur le rôle de la demande pour expliquer la répartition
entre nations des bénéfices du commerce extérieur

La première approche est celle adoptée par le «courant dominant de la pensée économique», une
tradition théorique qui est au cœur de la pensée économique académique conventionnelle des pays
occidentaux sur les questions de commerce international. Même si ce “courant dominant” a beaucoup
à dire sur les bénéfices potentiels résultant du commerce extérieur ou sur l’impact des politiques
protectionnistes ou encore sur les accords économiques régionaux, il n’offre par contre guère d’intérêt
sur un sujet comme la répartition entre les diverses nations des bénéfices résultant de la participation
au commerce mondial.

Comme cela a déjà été mentionné, dans le cadre de la théorie des avantages comparatifs, la répartition
des bénéfices est d’autant plus forte que les termes de l’échange international sont proches du rapport
des prix domestiques. On rappellera toutefois que dans sa formulation initiale par David Ricardo, la
théorie n’expliquait pas à quel point les termes de l’échange international devraient être proches du
rapport des prix nationaux. Les économistes ultérieurs, comme John Stuart Mill, ont souligné le rôle
de la demande dans la détermination des termes de l’échange. Dans l’exemple antérieur, les
consommateurs américains sont ainsi beaucoup plus demandeurs de sucre que de puces électroniques
comparés aux consommateurs brésiliens. Les termes de l’échange seront par conséquent plus
favorables au Brésil2, qui en tirera les principaux avantages. Ceci représentait une avancée mais la
théorie n’était pas encore entièrement satisfaisante puisqu’aucune explication n’était fournie sur les
facteurs qui déterminent la demande en biens d’importation ou d’exportation.

Dans le cadre de formulations plus modernes de la théorie, les termes de l’échange continuent à
dépendre du poids relatif des demandes respectives, mais elles introduisent une approche dynamique.
Elles établissent qu’une croissance centrée sur les exportations - c’est-à-dire une croissance qui, dans
un pays donné, s’appuie sur les progrès technologiques des activités d’exportations - fera évoluer les
termes de l’échange de manière défavorable au pays et réduira sa part des bénéfices3. Et dans le cas
d’une croissance centrée sur les importations, c’est le contraire qui se produira. L’explication paraît
évidente: une croissance centrée sur les exportations entraîne une baisse relative des coûts de
production des biens exportés par rapport aux biens importés, ce qui se traduit par une baisse des
termes de l’échange. Le contraire s’applique à une croissance centrée sur les importations. Ainsi, selon
l’exemple retenu, si un progrès technologique a lieu dans l’industrie des semi-conducteurs et donc
dans la production de puces électroniques, mais pas dans la production de sucre, alors on peut estimer
que, dans des conditions de concurrence, on observera une tendance à la baisse des prix des puces
électroniques relativement à ceux du sucre. Ces effets ne se produiront cependant que si le pays

2
Par “plus demandeurs” il faut comprendre que, dans le contexte des Etats-Unis, les consommateurs sont
disposés à échanger plus de puces électroniques par tonne de sucre que ce que les consommateurs brésiliens
seraient prêts à faire.
3
Ceci ne signifie pas nécessairement que les gains totaux du pays baisseront car le volume des exportations
peut croître de telle sorte qu’il fasse plus que compenser la baisse des termes de l’échange.
concerné occupe, sur le marché mondial, une place suffisante pour que la réduction de ses coûts de
production nationaux ait une incidence sur les cours mondiaux du produit en question.

L’approche des structuralistes

Les structuralistes pensent que les pays de la périphérie sont désavantagés par rapport aux pays du
centre

Dans les années 50 et 60, la question de la répartition des bénéfices commerciaux entre les pays
développés (le “centre” de l’économie mondiale) et les pays en développement (la “périphérie”) devint
le sujet d’un débat passionné, sous l’influence non négligeable de Paul Prebisch, économiste argentin
qui fut pendant plusieurs années le responsable de la Commission économique pour l’Amérique latine
et les Caraïbes (CEPAL) et l’un des chefs de file du courant structuraliste latino-américain. Sa thèse
repose sur l’hypothèse d’une spécialisation des échanges commerciaux entre le centre et la périphérie,
le centre se spécialisant dans l’exportation de produits industriels manufacturés et la périphérie dans
l’exportation de matières premières. Après avoir observé (et mesuré) un déclin séculaire des termes
de l’échange des produits de base vis-à-vis des produits industrialisés, les structuralistes ont tenté d’en
expliquer les raisons.

D’après eux, cette baisse ne peut ainsi être considérée comme un phénomène transitoire dû à un
concours de circonstances passagères, mais plutôt comme une caractéristique intrinsèque aux
structures économiques du centre et de la périphérie et à la nature même du processus de
développement. En un mot, la tendance à la dégradation des termes de l’échange au détriment des
pays de la périphérie4 peut être expliquée par trois raisons.
4
Les termes de l’échange sont définis ici comme l’indice des prix d’exportation divisé par l’indice des
prix d’importation des marchandises échangées dans ces pays.

1. L’élasticité-revenu de la demande en biens importés est plus faible au centre qu’à la périphérie5.
Ceci résulte de la différence de nature des biens importés par chaque type de pays: matières premières
dans un cas, et biens industriels dans l’autre. De ce fait, la dynamique de croissance, et donc la hausse
des revenus, entraîne une augmentation des importations plus forte à la périphérie qu’au centre, ce
qui provoque à la périphérie une hausse des prix d’importation par rapport aux prix d’exportation et,
par conséquent, une baisse des termes de l’échange.
5
Pour un bien donné, l’élasticité-revenu de la demande indique la variation de la demande
relativement à un changement de revenu. Lorsque l’accroissement de la demande est plus fort que
l’accroissement des revenus, la demande est alors dite «élastique». Dans le cas contraire, on dit qu’elle
est «inélastique» ou «rigide».

2. L’impact du progrès technique sur les pays du centre et ceux de la périphérie est asymétrique. Au
centre, le progrès technique a tendance à faire baisser la demande en produits d’importation
provenant de la périphérie (la plupart des produits de base peuvent être remplacés par des produits
synthétiques et les procédés deviennent plus économes en matière première). Au contraire, à la
périphérie, le progrès technique a tendance à augmenter la demande en biens de capital et en intrants
produits par les pays du centre. Cela a également pour effet de diminuer les termes de l’échange.

3. Les marchés des produits et facteurs de production sont sensés être moins concurrentiels au centre
qu’à la périphérie, avec des prix (en particulier les salaires) accusant une rigidité plus forte à la baisse.
En conséquence, les économies réalisées grâce aux progrès techniques sont plus facilement retransmis
aux prix à l’exportation dans les pays de la périphérie que dans ceux du centre où une part non
négligeable des gains de productivité sert à améliorer les salaires. En outre, en cas de ralentissement
de l’activité, le prix des biens d’exportation a tendance à baisser proportionnellement plus dans les
pays de la périphérie que dans ceux du centre.

En conséquence logique de l’analyse structuraliste, l’industrialisation apparaît comme la voie menant


naturellement au développement car si le diagnostic de l’évolution à long terme des termes de
l’échange s’avère être correct, alors une économie reposant sur l’exportation de matières premières
n’a strictement aucune chance de permettre le développement. Les politiques de développement
mises en œuvre à partir de cette approche dans le contexte latino-américain des années 60, sont
généralement connues sous l’appellation de stratégies de substitution des importations. Le contenu
de ces stratégies est présenté synthétiquement dans l’encadré 3.

L’approche de l’échange inégal et de la dépendance

L’échange inégal est un concept normatif

Les théoriciens qui soutiennent la thèse de «l’échange inégal» soulignent également les inégalités de
répartition des bénéfices résultant du commerce international entre les pays du «centre» et ceux de
la «périphérie». Mais à différence avec les structuralistes qui insistent sur l’évolution à long terme
d’une variable mesurable (à savoir, les termes de l’échange), ils prônent une approche beaucoup plus
normative, centrée sur «l’injustice» du commerce entre les deux blocs de pays à toutes les époques.

La terminologie d’échange inégal fait référence aux conditions selon lesquelles divers produits sont
échangés entre le «centre» et la «périphérie». L’échange est alors dit inégal (au sens «d’injuste») parce
que les conditions de production des pays de la périphérie les poussent à exporter leurs produits à des
prix moindres que si ces mêmes biens avaient été produits dans les conditions des pays du centre.
Quelle que soit l’époque, les conditions de production des pays du centre ont favorisé des prix à
l’exportation élevés alors que celles des pays de la périphérie ont favorisé l’exportation à des prix
particulièrement bon marché.

Encadré 3: La stratégie de substitution des importations et son issue

L’idée directrice de la stratégie était de faire basculer le moteur du développement de la promotion


des exportations à la substitution des importations et depuis des investissements dans la production
de produits de base (tels les matières premières agricoles, les minéraux et le pétrole) vers des
investissements favorisant l’expansion du secteur industriel. Cette industrialisation requiert plusieurs
conditions:

i) protéger les industries naissantes de la concurrence internationale;

ii) soutenir financièrement et fiscalement ces industries;

iii) développer les infrastructures dans le secteur des transports, des communications et de l’énergie;

iv) développer le marché intérieur de façon à ce qu’il puisse absorber les produits industrialisés issus
de l’industrie en expansion, ce qui suppose des mesures appropriées en faveur de la répartition des
revenus telles que la réforme agraire, la sécurité sociale ou la hausse de salaires;

v) la contribution des investissements étrangers directs et indirects;

vi) un nouveau type de gouvernement, fort et rationnel (tourné vers la planification) qui représente
effectivement les aspirations des classes sociales industrielles qui émergent et qui s’opposent aux
classes plus traditionnelles de grands propriétaires fonciers et de la bourgeoisie commerçante.
Dans la plupart des pays d’Amérique latine, cet ensemble de politiques a remporté d’excellents
résultats notamment en matière de création d’un socle industriel et de soutien à la croissance et ce,
depuis les décennies qui ont suivi la seconde guerre mondiale jusqu’à la fin des années 70 et le début
des années 80. Ceci s’est toutefois produit dans un contexte macro-économique de cycles
économiques récurrents, de permissivité monétaire et fiscale, avec une inflation croissante et des
taux de change surévalués, qui ont abouti à l’émergence d’un déséquilibre fiscal et de la balance des
paiements absolument chronique. Aujourd’hui, il est couramment admis que ces déséquilibres ont
fini par anéantir le potentiel de ce modèle de développement, tout au moins sous sa forme
traditionnelle. En gros, cela s’est passé en deux phases.

Durant la première, au cours des années 70, les déséquilibres macro-économiques, qui étaient restés
jusqu’alors assez modérés ont été exacerbés par l’abandon de la convertibilité du dollar en or par les
Etats-Unis et, en conséquence, par la prolifération des régimes de change flexibles. Ceci a alors
entraîné un relâchement de la discipline du système monétaire international, accentué encore par les
chocs pétroliers, ce qui a provoqué une augmentation de l’inflation au niveau mondial. Ces
phénomènes ont toutefois été amortis par l’accumulation ininterrompue de la dette internationale
de la plupart des pays de la région. Cet endettement a été rendu d’autant plus aisé qu’un énorme
excédent de liquidités existait à l’époque sur les marchés de capitaux et qu’une grande partie de ces
excédents ont été transformés en prêts internationaux qui ont abouti en Amérique latine.

Durant la seconde phase, dans les années 80, les déséquilibres devenaient intenables du fait de la
combinaison de trois facteurs: (i) la résorption des capitaux disponibles, du fait des difficultés
croissantes de remboursement; (ii) la forte hausse mondiale des taux d’intérêt; et (iii) la persistance
d’une récession mondiale de longue durée qui a entraîné une sérieuse chute des prix des produits de
base latino-américains destinés à l’exportation. Ces facteurs ont précipité ce qu’on appelle la crise de
la dette (l’incapacité d’assurer le service de la dette) et qui a marqué la fin de la stratégie de
substitution des importations et l’ouverture de la période des ajustements structurels.

Quelles sont, dès lors, les différences dans les conditions de production du centre et de la périphérie
qui donnent lieu à l’échange inégal? Plusieurs explications peuvent être avancées à cette question mais
on n’en retiendra ici que deux.

Le commerce est considéré comme injuste lorsqu’un même travail est rémunéré à des niveaux
différents...

La première est celle d’Arghiri Emmanuel, «le» théoricien de l’échange inégal. Pour lui, la réponse est
le niveau de salaire. Il considère, qu’au centre, ce sont les facteurs institutionnels et les négociations
(particulièrement au travers des syndicats) qui fixent le niveau des salaires et que ceux-ci déterminent
les prix, et non l’inverse. Le capital est supposé être mobile; on a donc une certaine tendance à la
péréquation des taux de profit au centre et à la périphérie. Mais selon lui, les circonstances historiques
ont fait que les salaires du centre sont plus élevés que ceux de la périphérie et que le différentiel des
niveaux de salaires est plus important que le différentiel des productivités du travail. Les hauts niveaux
de salaires du centre, combinés à un taux de profit partout identique, contribuent à ce que les prix du
centre soient élevés et génèrent ainsi l’échange inégal. Dans ce cadre, si les pays du centre avaient à
fournir eux-mêmes les produits importés de la périphérie, ils les fabriqueraient avec des salaires
beaucoup plus élevés et, par conséquent, ils auraient à payer plus pour les obtenir. Ceci s’applique
même après ajustement des différences de productivité parce que le différentiel entre les taux de
salaires est de toute façon plus grand que celui des productivités du travail. On notera que, tout comme
les structuralistes, Emmanuel ne dit à aucun moment que les pays de la périphérie ne tirent pas profit
du commerce international mais plutôt que la répartition des gains est toujours favorable aux pays du
centre.

Dans une perspective de politique, aucune recommandation immédiate ne peut être tirée de la théorie
de l’échange inégal car les politiques ne peuvent pas faire grand chose pour combler l’écart salarial
entre les pays du centre et ceux de la périphérie. Il est par contre intéressant de noter que les syndicats
de travailleurs dans les pays riches ont souvent utilisé la thèse de l’écart salarial pour revendiquer des
mesures de protection économique, et ce, tout particulièrement aux Etats-Unis. Dans un tel cas, la
thèse est toutefois utilisée dans le sens d’une concurrence inégale et non dans celui d’un échange
inégal. Les travailleurs des pays du centre (par exemple, les travailleurs de l’industrie textile ou sucrière
nord-américaine) se plaignent ainsi de la concurrence «déloyale» créée par les importations de textiles
d’Asie du Sud ou de sucre provenant d’Amérique du Sud et qui, tous deux, sont produits par des
travailleurs payés à des salaires plusieurs fois inférieurs aux leurs.

... ou encore lorsqu’il semble reproduire le sous-développement

Les auteurs qui relèvent d’autres écoles de pensée comme l’école du sous-développement et de
l’école de la dépendance6 fournissent une réponse différente à la question précédente. Leur réponse
est que les conditions de production au centre et à la périphérie diffèrent sur bien des points mais ne
sont pas indépendantes les unes des autres: des conditions favorables au centre sont ainsi étroitement
associées à des conditions défavorables à la périphérie, et vice-versa. Les points de vue de ces auteurs
sont souvent différents mais ils s’accordent tous sur le rôle prédominant des facteurs historiques et
des racines de la domination extra-économique dans l’émergence des relations commerciales
internationales7. Les inégalités commerciales sont abordées en lien avec les inégalités de
développement. Celles-ci sont à leur tour considérées comme étant la conséquence directe des
modalités d’expansion du système capitaliste au cours de l’histoire et de la façon dont il est entré en
contact avec d’autres modes de production; les pays du centre subordonnant les pays de la périphérie
à leur avantage. L’économie mondiale dans son ensemble est donc considérée comme un système de
domination organisé au profit du centre et qui génère le sous-développement à la périphérie. Dès lors,
on ne peut plus dire que les pays de la périphérie gagnent proportionnellement moins des relations
commerciales internationales - en réalité, ils en souffrent. Le développement implique par conséquent
une rupture avec le système de dépendance par le biais de stratégies autocentrées. Alors que les
structuralistes soulignent les conséquences du fait que les pays de la périphérie sont essentiellement
des producteurs de matières premières et que Emmanuel met en avant leur caractère de producteurs
à bas salaires, les théoriciens du sous-développement quant à eux analysent la situation en termes de
pays placés tout en bas d’un système mondial de domination.
6
On peut, entre autres, inclure ici des auteurs comme Samir Amin, Paul Baran, Theotonio dos Santos,
André Gunder Franck, Osvaldo Sunkel et Immanuel Wallerstein.
7
Par domination extra-économique, il faut comprendre une forme de domination issue non pas d’une
meilleure compétitivité sur des marchés à peu près libres et ouverts, mais une forme de coercition
basée sur une supériorité politique, militaire ou institutionnelle.

Plus récemment, d’autres auteurs, comme Marcel Mazoyer, ont mis en lumière les effets d’une
globalisation croissante (voir l’encadré 4) sur les conditions inégales de la concurrence entre les unités
de production agricole modernes et les exploitations paysannes traditionnelles, forcées de s’affronter
selon des modalités très inégales sur le même marché global.

Du fait de la globalisation, les prix des produits agricoles sont grossièrement à peu près partout
identiques alors que les différences de productivités du travail restent, elles, considérables. Mazoyer
et Roudart (1997, page 457) étayent cette thèse en comparant les résultats d’un agriculteur européen
relativement bien loti en terre, outils de production et intrants, qui peut dès lors produire à lui seul
500 tonnes de céréales par an, à ceux d’un paysan d’Afrique sub-saharienne qui cultive ses petites
parcelles à la main et ne pourra finalement produire qu’une tonne par an. Dans ce cadre, l’énorme
différence de revenu qui résulte de ces différences de productivité constitue assurément un problème
essentiel. Mais tout aussi cruciale est la tendance lourde à la hausse de la productivité du travail des
exploitations les plus modernes car elle pousse à la baisse les prix des produits agricoles et se transmet
ainsi à travers le monde jusqu’aux exploitations paysannes. Dans le même temps, la faiblesse même
des revenus de ces paysans leur interdit tout accès aux nouveaux moyens de production.

Encadré 4: La globalisation

Au cours des dernières années, concrètement depuis la fin de la guerre froide, le terme de
globalisation est entré dans le vocabulaire quotidien et dans la «panoplie» des concepts usuels. En
fait, l’augmentation des flux commerciaux internationaux évoquée dans le module I.1, Les principales
tendances du commerce international et du commerce des produits agricoles, et la libéralisation du
commerce multilatéral dans le cadre du système GATT/OMC ne représentent qu’un aspect de la
globalisation. D’autres aspects économiques tels que la mobilité des facteurs de production et en
particulier du capital, ou l’internationalisation des décisions en matière de production et
d’investissements, sont tout aussi importants. Les marchés des capitaux forment ainsi aujourd’hui un
réseau totalement et étroitement connecté et qui, par l’unicité de sa couverture, permet de réagir
instantanément aux plus infimes événements économiques qui surviennent dans le monde. Petites
ou grandes, les entreprises transnationales prennent également leurs décisions de production ou
d’investissements au niveau mondial, en s’appuyant soit sur leurs réseaux d’usines distribués dans le
monde entier, soit sur les relations qu’elles ont contractualisées avec des partenaires au niveau
international.

Mais la globalisation n’est pas qu’un phénomène purement économique. Il englobe aussi d’autres
réalités tangibles telles que l’augmentation massive de la circulation de l’information liée à l’actuelle
révolution des nouvelles technologies de la communication, l’homogénéisation croissante des
standards et des réglementations entre pays dans les domaines économiques, culturels, scientifiques,
environnementaux et administratifs, ou encore l’internationalisation des modes de vie, des valeurs
humaines et esthétiques, des agendas politiques et des modes sociales et culturelles.

Le caractère multidimensionnel de la mondialisation est illustré par la métaphore du village


planétaire, signifiant par là que la globalisation apparente l’organisation économique et sociale au
niveau mondial à celle d’un village qui s’étendrait à l’ensemble du globe. Cette métaphore est utile
mais doit aussi être prise avec un minimum de sens critique car les tendances à la globalisation
s’accompagnent de phénomènes de segmentation entre pays, régions et groupes sociaux qui créent
de profondes divisions entre eux. Dès lors, la globalisation semble aussi avoir entraîné avec elle
l’émergence de mouvements nationalistes, culturels ou religieux et non leur disparition. Elle semble
aussi avoir profondément renforcé l’écart technologique et de revenu entre pays du Nord et du Sud.
En fait, le village planétaire apparaît plutôt comme un lieu d’inégalités et de fortes disparités.

Les économies les plus fragiles ont intérêt à un système des échanges réglementé

Face à ces critiques selon lesquelles les inégalités en matière de capacité de négociation, de
productivité du travail ou encore de niveau de vie rendent le commerce international nécessairement
injuste, les tenants du courant dominant de la pensée économique répondent que, selon la théorie
des avantages comparatifs, la situation initiale d’un pays n’a pas d’influence sur sa capacité à bénéficier
du commerce international. Lorsque les relations de pouvoir sont très asymétriques, les pays les plus
faibles ont toutefois un intérêt manifeste à ce que le système mondial des échanges commerciaux soit
réglementé et qu’il limite ainsi la possibilité des pays les plus puissants de profiter de leur situation aux
dépens des économies les plus faibles. C’est là une excellente raison pour montrer tout l’intérêt que
les pays en développement ont à prendre part et à élaborer un solide système de réglementation du
commerce international.

2.3 Protectionnisme contre libre-échange: Débats et arguments

Tout le monde est aujourd’hui d’accord pour dire qu’un pays pourrait difficilement survivre sans
commerce extérieur et que, même s’il pouvait se suffire à lui-même en vivant en autarcie, il en subirait
probablement de lourdes conséquences. De fait, la question de la participation au commerce
international n’est donc pas, en tant que telle, une question d’ordre politique. La question essentielle
est plutôt de savoir jusqu’où développer le commerce? Les responsables politiques doivent-ils
défendre le libre-échange envers et contre tout ou doivent-ils, dans une certaine mesure, envisager de
protéger leurs industries nationales? Dès lors, le débat décisif est de savoir s’il doit y avoir plus de
protection, moins de protection, ou pas de protection du tout. Ci-dessous, seront donc abordés les
principaux arguments mis en avant dans le débat pour ou contre le protectionnisme.

2.3.1 Pour le protectionnisme

Le protectionnisme peut être défendu de plusieurs manières: pour des raisons purement
économiques, ou pour d’autres motifs, comme par exemple des considérations d’équité, de sécurité
nationale, de défense de groupes vulnérables, pour éviter des risques jugés inacceptables, ou pour
défendre des intérêts à des fins politiques. Dans le cas du secteur agricole, le protectionnisme peut
aussi être justifié pour des raisons de sécurité alimentaire.

Les arguments économiques

Les arguments économiques mettent en avant le rôle de l’apprentissage industriel...

Parmi tous les arguments économiques en faveur du protectionnisme, le plus influent est celui qui
concerne les industries naissantes. Le protectionnisme se justifie alors comme mesure temporaire
donnant le temps à une industrie naissante de se développer jusqu’à ce qu’elle soit prête à affronter
la concurrence internationale. On peut énumérer plusieurs raisons pour étayer la nécessité de
protéger une industrie en phase de démarrage. Celles le plus fréquemment citées se rapportent aux
économies d’échelle, au processus d’apprentissage technologique et managérial, aux coûts de
démarrage (la recherche de débouchés, les ajustements technologiques, etc.), et aux économies
externes à l’entreprise mais internes au secteur d’activité dont l’amélioration implique des aides et du
temps mais qui, une fois développées, permettront à l’activité de vivre seule.

... celui des imperfections du marché...

Des mesures de protection sont également recommandées lorsque les marchés liés à une activité
donnée n’existent pas ou ne fonctionnent pas bien. Dans ce cas, le protectionnisme permet à cette
branche d’activité de fonctionner en dépit des imperfections du marché. Dans un pays, l’inexistence
ou l’inadaptation des marchés financiers peuvent ainsi empêcher de réunir les fonds nécessaires à la
modernisation d’une activité et, par conséquent, de résister à la concurrence internationale. Des
mesures de protection peuvent alors permettre au secteur concerné de faire des profits
supplémentaires nécessaires pour financer son expansion et sa modernisation technique ultérieure.
... celui des externalités...

Un argument lié mais néanmoins distinct des précédents est favorable au protectionnisme lorsque
celui-ci protège les activités qui ont des effets externes et des répercussions bénéfiques sur d’autres
secteurs ou groupes sociaux. C’est ce genre d’argument qui est utilisé pour défendre la poursuite des
mesures de protection des agriculteurs de l’Union européenne dans le cadre de la Politique agricole
commune (PAC). On affirme ainsi que l’agriculture est une activité dont le rôle ne se cantonne pas à la
production d’aliments mais englobe aussi la protection de l’environnement, la gestion des sols et la
préservation du paysage rural et d’un art de vivre paysan. En protégeant les agriculteurs européens de
la concurrence internationale, ce sont donc ces effets latéraux bénéfiques, pour lesquels les
consommateurs et les citoyens sont semble-t-il disposés à payer, que l’on cherche à préserver.

... et l’impact des termes de l’échange

Un autre argument économique est connu des économistes sous l’appellation de la théorie du droit
de douane optimal. Prenons le cas de pays importateurs ou exportateurs, suffisamment grands pour
influencer les cours mondiaux d’un produit donné. Un droit de douane à l’importation (ou une taxe à
l’exportation) peut alors favoriser les termes de l’échange de ce pays. En effet, en restreignant les
importations, ce droit de douane affaiblira la demande mondiale et, par conséquent, poussera à la
baisse le prix du produit importé. De façon similaire, en freinant les exportations, la taxe à l’exportation
contribuera à diminuer l’offre mondiale et poussera le prix du produit exporté à la hausse. Il va de soi
que les gains obtenus grâce à cette protection exercée par un pays se feront au détriment de ses
partenaires commerciaux.

Un type de protection souvent appliqué et connu sous le terme de mesure compensatoire, vise à
contrecarrer les pratiques commerciales «abusives», en particulier les subventions à l’exportation et
le dumping. Ces mesures de protection sont alors préconisées pour contrecarrer les distorsions
résultant de ce que les niveaux de prix auxquels un produit rentre dans le pays, sont faussés par les
pratiques des pays exportateurs et à un niveau auquel les entreprises locales ne peuvent guère
résister.

Les arguments non-économiques

Les raisons non-économiques concernent la sauvegarde du revenu de certains groupes défavorisés...

Les raisons politiques et sociales aux mesures de protection ont souvent beaucoup plus de poids que
les arguments purement économiques. Le système de protection cherche alors surtout à éviter
l’impact négatif de la concurrence des importations sur le revenu des détenteurs nationaux de facteurs
de production. C’est aussi un moyen d’exercer une discrimination positive destinée à privilégier
certains groupes considérés comme méritants par le système politique en place. C’est par exemple le
cas des agriculteurs de nombreux pays, en particulier en Europe, au Japon et aux Etats-Unis. On a là
affaire à des sociétés qui, pour des raisons historiques, politiques et sociales, ont décidé d’accorder un
traitement économique particulier à leur secteur agricole, aux dépens, éventuellement, d’une hausse
des prix au consommateur et d’une augmentation des taxes (et d’opportunités réduites pour les pays
partenaires). Il s’agit là d’un luxe que les pays en développement ne peuvent guère s’offrir.

... mais aussi souvent plus puissants

Des pressions politiques, exercées par de puissants groupes industriels ou syndicaux qui risquent de
perdre leurs acquis du fait de la libéralisation des échanges, sont aussi souvent à l’origine des mesures
protectionnistes.
Par ailleurs, grâce aux mesures protectionnistes, le maintien d’un éventail de produits plus diversifié
que ce qui subsisterait dans le cadre d’un système plus libéralisé contribue parfois à sauvegarder
certains avantages politiques et sociaux comme, par exemple, un renforcement de la capacité
de défense nationale. C’est un argument classique avancé en faveur de la protection des industries
d’armement et d’autres industries dites «stratégiques».

Les arguments liés à la sécurité alimentaire

Les mesures de protection peuvent également être préconisées pour des raisons de sécurité
alimentaire. Selon la FAO, la sécurité alimentaire consiste à garantir, à chaque être humain, un accès
économique et physique stable aux aliments de base dont il a besoin. Cela recouvre trois composantes:
la disponibilité, la stabilité et l’accès. Les Etats peuvent par conséquent tenter de garantir, par des
mesures de protection, un niveau minimum de production de produits alimentaires essentiels. Les
mesures de protection peuvent également servir à protéger les consommateurs des trop fortes
variations internationales et à sauvegarder le bénéfice social et politique lié à l’alimentation. Ces
relations entre commerce extérieur et sécurité alimentaire sont toutefois très complexes.

Le commerce extérieur peut contribuer à la sécurité alimentaire...

Le commerce extérieur peut contribuer à la sécurité alimentaire de différentes façons: en comblant


l’écart entre la production et les besoins de consommation; en atténuant les variations de l’offre; en
entretenant la croissance économique; en favorisant une utilisation plus efficace des ressources; ou
encore en contribuant à renforcer la production dans les régions les plus favorables. Mais à trop faire
confiance au commerce extérieur, on risque aussi d’accroître les incertitudes liées à
l’approvisionnement et à l’instabilité des prix des marchés mondiaux, et d’aggraver la pression sur
l’environnement si des politiques adaptées ne sont pas mises en œuvre.

En contribuant à développer une production plus efficiente, le commerce extérieur peut permettre
d’accroître les revenus du pays. Au niveau national, un supplément de revenus d’exportation peut
alors renforcer la capacité du pays à combler, par des importations, son éventuel déficit alimentaire.
Au niveau d’un foyer, ce revenu généré par la croissance peut permettre d’améliorer l’accès à
l’alimentation. Cette augmentation du revenu peut profiter aux secteurs les plus pauvres de la
population à condition, toutefois, qu’ils soient impliqués dans la production des biens exportés, ou
qu’ils bénéficient d’un mécanisme interne de redistribution et de diffusion des revenus générés.
Certaines contraintes peuvent empêcher les petits producteurs de tirer parti des conséquences de la
production d’exportation. Des mesures doivent alors être prises afin de leur permettre d’en profiter.
A défaut, leur production risque de subir les contrecoups d’un éventuel renchérissement des prix du
foncier (conséquence, lui-même, de l’augmentation des opportunités de revenu tiré du sol qui résulte
du développement du commerce extérieur).

... mais avec certains risques

Dans les pays en développement, les possibilités d’exportation sont généralement meilleures dans le
cas des cultures non-vivrières. L’amélioration des perspectives de commercialisation risque donc de
favoriser une substitution des cultures vivrières par des cultures commerciales non-vivrières. Cette
dynamique peut être profitable à la sécurité alimentaire des producteurs, à condition que ceux-ci
puissent acheter leurs aliments localement à un prix équitable. La sécurité alimentaire risque par
contre de se dégrader si le système de commercialisation des produits alimentaires est inefficace et
que cela se traduit par des prix de la nourriture plus élevés. Il y a aussi de très nombreux exemples
dans lesquels le développement des cultures commerciales d’exportation s’est accompagné d’une
hausse des productions vivrières grâce à l’amélioration des services et de l’approvisionnement en
intrants agricoles, et à l’effet de rémanence sur les cultures vivrières des engrais employés sur les
cultures commerciales. Il existe des cas où la valeur sociale et stratégique des aliments justifie la mise
en place de mécanismes de protection. Ce sera par exemple le cas des pays enclins à la sécheresse où
la production vivrière est extrêmement variable du fait même de la répétition des sécheresses et que
les rentrées de devises proviennent surtout des exportations de produits agricoles. Les résultats des
cultures d’exportation risquent en effet d’être les mêmes que ceux des cultures vivrières et le montant
des exportations risque, en conséquence, d’être aussi insuffisant pour importer des aliments dont la
production est déficitaire lors d’une «mauvaise année».

Le thème de la diversification de l’agriculture constitue une préoccupation majeure de nombreux


pays en développement. Un de ses aspects concerne la diversification des exportations agricoles. De
nombreux pays en développement tirent en effet leurs revenus des exportations d’un ou deux grands
produits agricoles. La diversification vise alors à réduire leur vulnérabilité aux fluctuations des cours
internationaux de ces produits et à créer les conditions d’une stabilisation des revenus.

Certains pays sont prêts à renoncer aux revenus d’exportation pour réduire les risques de dépendance
alimentaire par rapport au marché international. Ils sont prêts à instaurer des mécanismes pour
protéger leurs producteurs de produits vivriers, et à payer un prix élevé pour les encourager à produire
un certain volume de denrées alimentaires. Cela se justifie éventuellement lorsque
l’approvisionnement reste incertain (lorsque, par exemple, les infrastructures de transport sont
médiocres ou que l’accès aux ports est difficile). Il faut cependant noter, en particulier dans le cas des
petits pays, qu’une dépendance sur un autre produit peut alors fort se substituer à la dépendance
alimentaire (par exemple une dépendance par rapport aux importations d’engrais).

L’indépendance alimentaire est l’une des voies de la sécurité alimentaire

La dépendance alimentaire peut également être provoquée par des pratiques commerciales
inéquitables telles que le dumping ou la mise en place, par des partenaires commerciaux, de fortes
subventions aux exportations qui amènent sur le marché domestique des produits alimentaires à bas
prix que les producteurs nationaux ne peuvent concurrencer. La question de l’opposition entre
sécurité alimentaire et autosuffisance alimentaire est abordée dans l’encadré 5. Mais le concept qui
est de plus en plus souvent accepté est celui d’autonomie alimentaire. Il signifie la combinaison du
maintien d’un certain niveau de production alimentaire domestique et d’une capacité d’importation
permettant de couvrir le reste des besoins alimentaires de la population grâce aux exportations
d’autres produits. Ce concept sera plus complètement analysé dans le cadre du module II.10
Commerce et sécurité alimentaire: les options des pays en développement, et les questions de sécurité
alimentaire y seront abordées, replacées dans le contexte des négociations du Cycle du millénaire.

2.3.2 Contre le protectionnisme

De nombreux arguments contre le protectionnisme sont également utilisés en défense du commerce


extérieur en général, et ont donc déjà été présentés dans la section 2.2. Les principaux arguments en
faveur du libre-échange (par opposition au commerce extérieur, tout simplement) ou, ce qui revient
au même, les principaux arguments contre le protectionnisme sont au nombre de quatre. On dit ainsi
que le protectionnisme favorise les activités non-rentables, qu’il encourage les comportements de
type rentier, qu’il implique toujours un coût social net, et enfin que pour atteindre ses objectifs, il
existe généralement des mesures beaucoup plus directes et plus rentables que celles qui restreignent
le commerce extérieur.

Le protectionnisme protège les activités non rentables...


Le premier argument met l’accent sur le fait que, même en n’isolant que partiellement les producteurs
nationaux de la concurrence internationale, le protectionnisme permet à des industries inefficaces et
peu rentables de se perpétuer aux dépens des consommateurs et de la dynamique de croissance. De
plus, il fait échec à la dynamique d’accumulation de savoir-faire et d’innovation qui, normalement,
devrait être stimulée par la concurrence internationale. En limitant la concurrence et en augmentant
artificiellement les profits, les entreprises attirées par le secteur protégé et en mesure d’y survivre sont
finalement plus nombreuses que ce qui serait économiquement justifié. Les parts de marchés s’en
trouvent réduites d’autant, ce qui, du même coup, empêche les économies d’échelle.

... il détourne les efforts vers les comportements rentiers...

Un second argument avancé soutient que les mesures protectionnistes sont souvent décidées par des
dirigeants politiques en faveur des secteurs d’activité, de façon plutôt conjoncturelle et souvent
clientéliste, et qu’elles ne sont que rarement liées à des pertes clairement identifiables et
quantifiables. En général, ceci amène les entrepreneurs et propriétaires de moyens de production à
faire pression sur les pouvoirs publics afin d’obtenir certaines concessions administratives qui leurs
seront favorables et qui correspondent à des comportements de type rentier. Les tenants du libre-
échange argumentent dès lors que, comme dans la plupart des cas, les systèmes politiques rendent
ces comportements pratiquement inévitables, les pays ont tout intérêt à promouvoir le libre - échange
ou, tout au moins, à instaurer des droits de douane peu élevés, applicables uniformément et de façon
transparente à tous les secteurs.

Encadré 5: Sécurité alimentaire ou bien autosuffisance alimentaire?

Le concept d’autosuffisance alimentaire est généralement utilisé pour exprimer dans quelle mesure
un pays couvre ses besoins alimentaires à partir de sa propre production intérieure. Un pays semble
en effet avoir d’autant plus de contrôle sur son offre alimentaire qu’il est indépendant des marchés
internationaux, d’autant que ces derniers s’approvisionnent éventuellement en importations
alimentaires auprès de pays politiquement hostiles.

Les concepts d’autosuffisance et de sécurité alimentaire se distinguent par deux points essentiels:

· L’autosuffisance alimentaire considère que la production intérieure est la seule source de produits
vivriers tandis que la sécurité alimentaire prend en compte les importations commerciales et l’aide
alimentaire comme des sources possibles de l’offre alimentaire.

· L’autosuffisance alimentaire ne se réfère à la disponibilité en produits vivriers domestiques qu’au


niveau national alors que la sécurité alimentaire prend en considération les composantes de stabilité
de l’offre et d’accès aux aliments par la population.

En d’autres termes, l’autosuffisance alimentaire se place dans une perspective globale du


développement qui met l’accent sur la nécessité d’indépendance, une approche autocentrée, alors
que la sécurité alimentaire s’inscrit dans une logique de développement fondée sur les spécialisations
internationales et les avantages comparatifs.

Ceux qui croient que les pays doivent renforcer leurs spécialisations internationales aussi bien dans
le cadre du secteur agricole qu’entre les différents secteurs de l’économie avancent comme argument
que le fait qu’un pays ne s’appuie pas sur ses avantages comparatifs a pour conséquence qu’il ne tire
pas pleinement parti de son potentiel productif.

Ceux qui considèrent que l’autosuffisance est plus bénéfique ont comme argument que les avantages
comparatifs sur lesquels s’appuie un pays pour développer des cultures d’exportation telles que le
thé ou le caoutchouc ne résultent guère des conditions de milieu mais sont la conséquence des
placements historiquement réalisés dans certaines activités, le plus souvent par les pouvoirs
coloniaux qui cherchaient alors à s’approvisionner en matières premières pour leurs industries ou
leurs consommateurs. Selon ces partisans, certains pays se sont dès lors retrouvés condamnés à
produire des biens qui sont confrontés à une dégradation des termes de l’échange sur des marchés
internationaux par nature instables. Loin d’améliorer leur sécurité alimentaire, ces pays voient leurs
revenus d’exportation décliner et subir de fortes variations, ce qui crée des difficultés pour planifier
les importations et pour élaborer des programmes de développement sectoriels ou nationaux à
moyen terme.

Un argument qui est plus convainquant quant à l’importance de l’autosuffisance alimentaire concerne
les pays dont le principal produit vivrier de base ne fait pas l’objet d’échanges internationaux de
grande ampleur et se situe donc sur un marché étroit. C’est par exemple le cas du maïs blanc et parfois
aussi celui du riz. Lorsque cela se produit, une augmentation de la demande de la part de plusieurs
grands importateurs peut faire s’envoler les prix et créer des problèmes à tous les autres
importateurs.

Source: FAO. 1999. Les implications de la politique économique sur la sécurité alimentaire: un manuel
de formation, p.22-24. Document de formation pour la planification agricole n° 40. Rome.

... il coûte cher à la société ...

Un autre argument allant à l’encontre du protectionnisme prétend que ce dernier appauvrit


globalement la société dans son ensemble. Les raisons à ce coût social seront expliquées plus en détail
dans le module I.3 Les instruments de protection et leurs conséquences économiques. On peut toutefois
déjà avancer que même si les producteurs bénéficient de mesures de protection et que l’Etat s’assure
des revenus grâce au supplément de taxes, ces gains sont plus que compensés par les augmentations
des prix au consommateur des biens protégés. Et si le mécanisme de protection prend la forme d’une
subvention aux producteurs ou aux intrants, alors ce sont les contribuables qui seront perdants.

... et bien souvent des alternatives plus efficaces sont possibles

Il est évident que le coût que la société doit supporter doit être appréhendé au regard des bénéfices
qui sont recherchés par le biais des mesures protectionnistes. Mais il est aussi évident que, bien
souvent, d’autres mesures plus directes et plus efficaces que le protectionnisme permettent tout
autant de s’attaquer aux imperfections du marché. Il est ainsi préférable, lorsqu’on souhaite soutenir
une industrie naissante, de mettre en place une subvention ciblée plutôt que d’ériger des barrières
commerciales qui affecteront toutes les entreprises, nouvelles ou pas.

2.3.3 Le consensus dominant

Aujourd’hui, la préférence est clairement pour la libéralisation du commerce extérieur...

Du fait de ces différentes raisons, mais avec quelques nuances, il y a à l’heure actuelle un certain
consensus parmi les responsables du monde entier pour considérer que le commerce est avantageux
et qu’il faut favoriser l’accroissement des échanges commerciaux. Le chemin pour y parvenir passe par
une réduction progressive des niveaux de protection après négociations et concessions réciproques. Il
y a deux méthodes compatibles pour tendre vers cet objectif. L’une consiste à établir des accords
économiques régionaux visant à réduire ou à éliminer les obstacles au commerce entre un nombre
limité de pays, souvent mais pas toujours voisins. L’autre passe par des négociations commerciales
multilatérales (NCM) comme celles qui ont eu lieu depuis plusieurs décennies dans le cadre du GATT
et maintenant sous l’égide de l’OMC. Ces accords sont appelés multilatéraux parce que sont exclues
de leur cadre les mesures de traitement préférentiel qu’un pays peut instaurer vis-à-vis d’un ou
plusieurs autres pays, et parce qu’ils sont fondés sur l’application de la clause de la nation la plus
favorisée (NPF) envers chacun des pays participant à cet accord8.
8
L’application de la clause de la nation la plus favorisée (NPF) par un pays A à un pays B signifie que
toutes les importations de A provenant de B recevront le meilleur des traitements accordé par A à ses
autres partenaires.

... mais, politiquement, cela nécessite des concessions de la part des partenaires commerciaux

De façon générale, les décideurs n’accordent pas de concessions commerciales sans contreparties.
L’histoire de ces négociations commerciales internationales (et des guerres) est donc très longue. En
ce sens, les négociations du GATT/OMC constituent en quelques sorte une procédure moderne et
cohérente d’organisation de la discussion et des décisions relatives à ces contreparties. Il est
intéressant de souligner que, même si les tenants des théories économiques dominantes ont
systématiquement mis en avant les bénéfices résultant du commerce international et se sont fait les
avocats, explicites ou implicites, du démantèlement unilatéral des barrières commerciales, les
décideurs et les économistes praticiens ont par contre abordé la question en terme de concessions
réciproques9. Cela tient probablement tout autant à ce que les décideurs et les praticiens de
l’économie comprennent de mieux en mieux les imperfections du marché mais aussi à ce qu’en tant
qu’hommes politiques ils sont soumis aux pressions de leur électorat qui, le cas échéant, subit les effets
de la concurrence internationale.
9
Ce n’a pas été le cas durant les années 80, lorsque de nombreux pays en développement ont
démantelé leurs systèmes de protection sans la moindre négociation commerciale ou concession
réciproque de la part de leurs partenaires des pays développés. Ces pays ayant alors opté pour des
systèmes plus ouverts, on peut néanmoins s’interroger sur les raisons pour lesquelles ils l’ont fait
unilatéralement et sans saisir l’opportunité de négocier et de rechercher une réciprocité de la part de
leurs partenaires commerciaux? La réponse réside sans doute dans le fait, qu’à cette époque, les
conditions ne leur étaient absolument pas favorables. Du fait du poids de leur dette, de la chute des
investissements étrangers, de la montée des taux d’intérêts au niveau international et de
l’effondrement des prix des matières premières qui s’est produit dans les années 80, ils subissaient
alors de fortes pressions pour ajuster leurs économies.

2.4 Les blocs économiques régionaux

2.4.1 Les différents types de blocs et leurs effets

La libéralisation des échanges peut être mise en œuvre dans un cadre régional ou multilatéral

Les blocs économiques régionaux (BER) peuvent grossièrement être considérés comme une zone
géographique dans laquelle la signification économique des frontières politiques nationales a été
limitée. On peut distinguer différents types d’accords régionaux qui recouvrent différents
engagements de la part des pays participants. Dans les zones de libre-échange, les pays membres
réduisent ou éliminent les barrières commerciales qui existent entre eux mais conservent un régime
commercial spécifique avec les pays tiers. En procédant ainsi, les pays des zones de libre-échange
peuvent, s’ils le souhaitent, protéger certains secteurs de la concurrence des autres pays mais ils se
créent aussi certains problèmes en matière d’administration des douanes du fait de la nécessité de
contrôler les réexportations. En effet, si deux pays A et B sont membres d’une zone de libre-échange
dans laquelle les droits de douanes sur les importations sont nuls, et que A maintient un niveau élevé
de taxes sur les importations d’ordinateurs tandis que le niveau de taxes appliqué par B est faible, alors
les négociants internationaux vont tenter d’importer des ordinateurs dans le pays B pour ensuite les
réexporter vers le pays A. Ce type de problème n’existe pas dans le cas des unions douanières. Celles-
ci sont comparables aux zones de libre-échange sauf que les pays qui y participent se mettent d’accord
sur un régime commercial commun vis-à-vis des pays tiers; concrètement, cela signifie la mise en place
d’une structure extérieure commune de droits de douane. Les unions douanières n’ont pas besoin de
contrôler les réexportations. Par contre, elles laissent moins de place à chaque pays membre pour
protéger les activités qu’il souhaite car il lui faut alors négocier avec les autres membres le niveau des
droits de douanes applicables vers l’extérieur pour ces activités. Les unions économiques constituent
une forme d’engagement des BER encore plus forte. Les unions économiques sont des unions
douanières où non seulement les marchandises mais aussi les facteurs de production peuvent circuler
librement. En outre, les pays qui constituent une union économique peuvent harmoniser d’autres
éléments que leurs politiques économiques; ce sera par exemple le cas des systèmes financiers et
fiscaux ou encore des réglementations du travail.

Quels sont les avantages pour un pays de participer à un BER? Cela dépend essentiellement des
circonstances mais, en général, les avantages seront d’autant plus importants que les économies
concernées seront potentiellement complémentaires. Si, par exemple, deux pays ont poursuivi une
politique de substitution des importations de façon à diversifier leur base industrielle mais que leurs
avantages comparatifs favorisent des activités distinctes, alors ces pays auront un intérêt certain à
former un BER. Cela tient à ce que lorsque les économies sont complémentaires, il y a plus de
possibilité pour que chaque économie renforce sa spécialisation en fonction de ses avantages
comparatifs. Une intégration commerciale sur les produits agricoles sera par conséquent plus
avantageuse si l’un des pays est spécialisé dans les cultures tropicales et l’autre dans les cultures
tempérées plutôt que si les deux pays sont l’un et l’autre spécialisés dans les cultures tropicales ou les
cultures tempérées.

Lorsque des pays décident de créer un BER, la réduction ou l’élimination réciproque des tarifs
douaniers tend à favoriser l’augmentation, entre ces pays, des flux commerciaux des produits qu’ils
échangeaient auparavant. Cet effet correspond à ce qu’on appelle une création d’échanges
commerciaux et constitue l’une des conséquences positives de la formation de blocs économiques
régionaux. Ce type d’accord favorise en outre la substitution des biens habituellement proposés par
les pays non-membres par ceux des pays membres et ceci non pas parce que ces derniers offrent des
produits meilleur marché mais bien parce qu’ils bénéficient de tarifs préférentiels voire même
d’exonérations. Cet effet correspond à ce qu’on appelle le détournement des échanges
commerciaux et constitue l’une des conséquences éventuellement négatives sur la productivité. Les
pays participant au bloc économique régional peuvent en effet être ainsi amenés à importer des
produits des uns ou des autres alors que ceux-ci sont moins chers hors du bloc économique.

2.4.2 La multiplication des blocs économiques et des accords régionaux

Les traités économiques régionaux sont de plus en plus prisés

Depuis les années 50, parallèlement au déroulement de négociations commerciales multilatérales, on


a pu assister un peu partout dans le monde à la mise en place de BER aussi bien entre pays développés
qu’entre pays en développement. A ce jour, le bloc économique régional le plus significatif est
probablement celui de l’Union européenne (UE) vu qu’il a un impact considérable sur les cours
mondiaux des produits agricoles et qu’il constitue le point de référence pour toutes les analyses et
évaluations du contenu des autres accords.

Sur un total de 198 accords économiques régionaux notifiés à l’OMC (ou auparavant au GATT), 119
sont actuellement en vigueur10. En outre, au cours des dernières années, les gouvernements des pays
en développement ont clairement exprimé leur engagement pour ce type d’accords commerciaux
régionaux. L’encadré 6 présente quelques uns des principaux accords entre pays en développement.
10
http://www.wto.org/wto/develop/regional.htm [21 Février 2000].

Quoiqu’il en soit, la dynamique politique de signature d’accords commerciaux régionaux ne fait que
croître. Plusieurs facteurs contribuent à cela: des considérations purement politiques (comme dans le
cas de l’Union européenne); la recherche d’économies d’échelle, de façon à ce que les pays ne
craignent pas que leurs producteurs nationaux soient désavantagés face à leurs grands concurrents
dans le cas où ils ne s’aligneraient pas à échelle régionale; la volonté de s’appuyer sur des accords
régionaux de façon à «entériner» et à approfondir le processus multilatéral de libéralisation du Cycle
d’Uruguay; ou encore la crainte de voir échouer les négociations du Cycle d’Uruguay, ce qui a pu
conduire certains pays à consolider les blocs régionaux pour anticiper une éventuelle polarisation des
échanges (OMC, 1998).

Dans le cadre des blocs économiques régionaux, l’agriculture apparaît souvent comme un secteur
difficile compte tenu du niveau généralement élevé des interventions sur les marchés domestiques
des produits agricoles qui visent à préserver certains seuils de prix et de revenus. Lorsque les traités
des BER entraînent un démantèlement des barrières douanières aux produits agricoles mais que les
pays conservent des politiques de prix distinctes, il faut en effet s’attendre à de fortes distorsions
commerciales. Les produits agricoles vont ainsi circuler depuis les pays à bas prix vers les pays du bloc
où les cours sont les plus élevés, déductions faites des coûts de transport et de commercialisation.
Pour toutes ces raisons, le secteur agricole est souvent soit laissé en dehors des traités des BER (cf. le
cas de la zone européenne de libre-échange), soit soumis à une procédure de libéralisation spécifique,
avec ses propres niveaux de taxation (cf. le cas de la zone de libre-échange d’Europe centrale). Il n’est
pas certain que les accords régionaux d’intégration qui excluent l’agriculture soient toujours
conformes aux dispositions du GATT concernant les dérogations. L’une des alternatives consiste alors
à mettre en place une politique agricole commune applicable à l’ensemble de la région, comme l’a fait
la Communauté européenne. Mais si les pays du bloc concerné ont des niveaux d’autosuffisance très
inégaux pour leurs différents produits, ce type de politique commune entraînera alors une importante
redistribution des revenus comme la Communauté européenne en a fait l’expérience. Tant que les
pays qui veulent former un bloc économique ont des niveaux distincts de protection de leur
agriculture, il n’y a donc pas de solution simple à ces problèmes.

Encadré 6: Les principaux accords régionaux entre pays en développement

Région Organisation Pays Membres

Afrique Sub- Communauté économique Cameroun, Congo, Gabon, Guinée Équatoriale,


Saharienne et monétaire d’Afrique République Centrafricaine, Tchad.
Centrale (CEMAC)

Marché commun de Angola, Burundi, Comores, Djibouti, Éthiopie, Ile


l’Afrique orientale et Maurice, Kenya, Lesotho, Madagascar, Malawi,
australe (COMESA) Mozambique, Namibie, Rwanda, Somalie, Soudan,
Swaziland, Tanzanie, Uganda, Zambie, Zimbabwe.

Union économique et Bénin, Burkina, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali,


monétaire ouest-africaine Niger, Sénégal, Togo.
(UEMOA)
Communauté économique Bénin, Burkina, Cap Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana,
de l’Afrique de l’Ouest Guinée, Guinée Bissau, Libéria, Mali, Mauritanie, Niger,
(CEDEAO) Nigeria, Sénégal, Sierra Léone, Togo.

Union douanière de Botswana, Lesotho, Namibie, Afrique du Sud,


l’Afrique australe (SACU) Swaziland.

Communauté du Angola, Botswana, Lesotho, Malawi, Mozambique,


développement de Namibie, Afrique du Sud, Swaziland, Tanzanie, Zambie,
l’Afrique australe (SADC) Zimbabwe.

Asie Coopération économique Australie, Brunei, Canada, Chine, Etats-Unis, Hongkong,


Asie Pacifique (CEAP) Indonésie, Japon, Malaisie, Nouvelle Zélande,
Philippines, République de Corée, Singapour,
Thaïlande.

Association des nations de Birmanie, Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie,


l’Asie du Sud-Est (ANASE) Philippines, Singapour, Thaïlande, Vietnam.

Association sud-asiatique Bangladesh, Bhoutan, Inde, Maldives, Népal, Pakistan,


de coopération régionale Sri Lanka.
(ASACR)

Amérique latine Marché commun andin Bolivie, Colombie, Équateur, Pérou, Venezuela.
(MERCOAN)

Secrétariat de la Antigua et Barbuda, Bahamas, Barbade, Belize,


Communauté des Caraïbes Dominique, Grenade, Guyane, Jamaïque, Monteserrat,
(CARICOM) St Kitts-et-Nevis, Ste Lucie, St Vincent, Trinité-et-
Tobago.

Marché commun Costa Rica, Salvador, Guatemala, Honduras, Nicaragua.


centraméricain (MCCA)

Association latino- Argentine, Bolivie, Chili, Colombie, Équateur, Mexique,


américaine d’intégration Paraguay, Pérou, Uruguay, Venezuela.
(ALADI)

Marché commun austral Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay.


(MERCOSUR)

Moyen Orient Conseil de coopération du Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis, Koweït,
et Afrique du Golfe (CCG) Oman, Qatar.
Nord
Conseil de l’Unité Égypte, Émirats arabes unis, Iraq, Jordanie, Koweït,
économique arabe (CUEA) Libye, Mauritanie, Somalie, Soudan, Syrie, Yémen.

Organisation de Iran, Pakistan, Turquie.


coopération économique
(ECO)
2.5 Les inquiétudes récentes de l’opinion publique à propos du commerce international

Les débats sur la politique commerciale portent à présent plus sur les nouvelles préoccupations que
sur les polémiques traditionnelles

Au cours de ces dernières années, tandis que les approches structuralistes et de la théorie de la
dépendance ont perdu du terrain - et ce en dépit de la chute des prix des matière premières et de la
crise de la dette -, le débat public sur les sujets liés au commerce international s’est peu à peu ouvert
aux questions sociales, éthiques et d’environnement. Ce mouvement reflète les inquiétudes
croissantes de nombreux consommateurs. Celles-ci portent sur la nature plus ou moins acceptable des
produits proposés sur le marché qui résulte soit des caractéristiques propres à ces marchandises, soit
des rapports sociaux qui ont sous-tendu leur production. Ce mouvement est également lié au regain
des considérations «éthiques», en particulier dans les pays de l’OCDE et une kyrielle d’organisations
non-gouvernementales figure en première ligne des débats qui portent sur ces questions11.
11
Des organisations telles que Human Rights Watch ou le Secrétariat international d’Amnesty
International sont engagées dans la promotion auprès des entreprises de codes de bonne conduite
favorables aux droits de l’Homme. Certains produits agricoles d’exportation non-traditionnel, comme
les fleurs, sont indiqués comme devant faire l’objet d’une attention toute particulière dans les codes
de conduite et dans les accords portant sur les conditions de travail car de gros risques sanitaires sont
en jeu. La campagne connue en France sous le slogan «De l’éthique sur l’étiquette» vise à améliorer
les conditions de travail et les conditions de vie des travailleurs du secteur textile du monde entier.

Parmi les thèmes qui ont ainsi été mis sur le devant de la scène par l’opinion publique, on peut citer:

· la certification des produits issus de l’agriculture biologique;

· l’étiquetage des produits contenant des organismes génétiquement modifiés;

· la santé animale et végétale et la sécurité sanitaire pour les humains;

· les clauses sociales des accords commerciaux qui instaurent comme condition d’accès aux marchés
le fait que les pays exportateurs satisfassent un minimum reconnu de lois du travail;

· la promotion auprès des entreprises qui opèrent au niveau international de codes de bonne conduite
qui soient favorables aux droits de l’Homme; la promotion de circuits de «commerce équitable» (voir
encadré 7).

Encadré 7: Le commerce équitable

Les circuits de commerce équitable (aussi appelé commerce alternatif) sont soutenus par un nombre
croissant d’organisations. Ces réseaux s’appuient sur des relations directes entre les producteurs des
pays en développement et les consommateurs, généralement situés dans les pays industrialisés. La
plupart despetits producteurs impliqués dans ces circuits commerciaux directs sont des femmes
groupées en coopératives. Le commerce équitable repose sur le fait que les consommateurs sont, en
nombre croissant, disposés à payer des prix supérieurs et même à s’approvisionner dans des magasins
spécifiques pour être sûrs que ce qu’ils achètent a bien été produit dans certaines conditions et que
cela contribue à certains objectifs sociaux. Les critères utilisés pour déterminer si une relation
commerciale est «juste» ou «équitable» varient d’une organisation à l’autre mais quelques éléments
fondamentaux semblent pouvoir être précisés. Il s’agit:

· des liens commerciaux directs avec les producteurs des pays en développement;
· des prix minima garantis au producteur (spécifiques au pays);
· un prix au producteur supérieur au prix de marché;
· des possibilités de crédit et de paiement anticipé;
· des biens produits dans des conditions considérées comme «acceptables»; et,
· un partenariat à long terme.

Dans le cas des produits alimentaires, la pratique du commerce équitable a commencé vers le début
des années 70 avec des denrées telles que le sucre de canne et le café, vendues dans des magasins
alternatifs spécialisés. Avec la création en 1988 des labels de commerce équitable, les produits
alimentaires ont commencé à pouvoir être vendus dans les circuits de commercialisation
traditionnels. Cela a évidemment permis un formidable développement du marché des aliments
labellisés comme «équitables». Aujourd’hui, on peut entre autre citer le cas du café, du cacao, du thé,
de la banane et du miel.

Les partisans de ces questions aspirent à ce que ces sujets fassent partie intégrante des négociations
et des accords commerciaux internationaux, au même titre que ceux qui sont inclus dans le cadre de
l’OMC. Leurs détracteurs soutiennent que les négociations commerciales doivent porter
exclusivement sur les questions économiques sachant que les questions qui concernent la santé, la
société, la culture ou les droits de l’Homme, peuvent être abordées dans d’autres forums.

La perte des savoirs et des savoir-faire autochtones constitue un sujet d’inquiétude de plus

Un autre sujet d’inquiétude soulevé par la libéralisation des échanges des produits agricoles et
alimentaires a été exprimé par nombre d’universitaires, d’ONG et d’organisations paysannes. Selon
eux, la libéralisation conduirait tout bonnement à la disparition de l’agriculture paysanne et de ses
savoirs traditionnels accumulés. Ce type de préoccupations trouve un certain écho dans
l’appauvrissement culturel résultant, par exemple, de la disparition de l’artisanat et des savoirs
indigènes. Même si les échanges internationaux peuvent être considérés comme une source de
connaissance et de confiance, les arguments généralement avancés soutiennent alors que les
technologies sont imposées aux pays en développement et que leur population est ainsi amenée à
«consommer» des nouvelles techniques sans les adapter ni rien produire comme nouvelle technique
ou comme connaissance. Il est clair que la globalisation a donné un nouvel élan à ces inquiétudes.

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