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Chapitre 2 Les Théories du Commerce International

Sommaire
I. Le commerce international expliqué par des différences de coûts entre les pays
1) De Smith à Ricardo
a) L’avantage absolu chez Smith
b) Les avantages comparatifs chez Ricardo
2) La théorie HOS
a) Une spécialisation déterminée par les dotations factorielles
b) Les effets de l’ouverture sur la rémunération des facteurs de production
c) Evolutions des dotations factorielles et modification de la spécialisation
3) Les tests empiriques de la théorie des avantages comparatifs : le paradoxe de Leontief et
ses suites
II. Le commerce international expliqué par les imperfections de la concurrence
Introduction : Pourquoi des « nouvelles » théories ? (« now quite often referred to as ‘the old
new trade theory’ » (Krugman (2009)))
1) Les économies d’échelle externes à la firme
a) La notion de rendements d’échelle (rappels)
b) L’influence de l’histoire sur les spécialisations
c) Les dynamiques d’agglomération (l’économie géographique)
2) Les économies d’échelle internes à la firme
a) Préliminaires : les différents types de marchés en concurrence imparfaite
b) Oligopole de Cournot avec dumping réciproque
c) Le monopole contestable
3) La différenciation
a) La différenciation horizontale
b) la différenciation verticale

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Bibliographie

Krugman P., M. Obstfeld et M. Melitz, Economie internationale, 9ième édition, Pearson,


2012.

Lemoine M., P. Madiès et T. Madiès, Les grandes questions d’économie de et finance


internationales, 2ième édition, de Boeck, 2012

El Mouhoub M., Mondialisation et délocalisation des entreprises, Repères, La Découverte,


3ième édition, 2011.

Mucchielli J.-L., Relations économiques internationales, Hachette, 2005, 4ième édition

I. Le commerce international expliqué par des différences de coûts entre les pays

1) De Smith à Ricardo

a) L’avantage absolu chez Smith


L’essentiel. Dans Essai sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), Adam Smith présente, en
rupture avec l’analyse mercantiliste, le commerce international comme un jeu à somme positive.
Pour chaque produit, il est préférable de l’importer s’il peut être produit plus efficacement à
l’étranger. Un pays se spécialise donc dans la production des biens pour lesquels il a un avantage
absolu, c’est-à-dire qu’il est capable de produit à un coût plus faible que les pays étrangers.
L’ouverture commerciale et la spécialisation qui en découle, donc la division internationale du
travail, sont une source d’enrichissement pour chaque nation. Comme ce sera le cas chez les
classiques et les néo-classiques en général, le gain à l’échange ‘passe’ par les importations – non
par les exportations – car c’est grâce à elles que le pays peut se spécialiser dans les productions
pour lesquelles il est le plus efficace.

Approfondir. Le rôle de la taille des marché, donc des rendements d’échelle croissants : que l’on se situe au
niveau d’une industrie ou au niveau des nations, l’accroissement de la taille des marchés permet,
selon Adam Smith, d’approfondir la division du travail ; il s’agit, aux côtés de la spécialisation,
d’une source supplémentaire d’efficacité (donc de gain) tirée de l’ouverture sur l’extérieur (le
rôle des rendements d’échelle croissants sera central dans les ‘nouvelles’ théories du commerce
international).

b) Les avantages comparatifs chez Ricardo

L’essentiel. Dans la théorie des avantages absolus de Smith, un pays n’ayant d’avantage absolu pour aucun
bien ne parvient pas à commercer avec l’extérieur et, un pays ayant un avantage absolu dans la
production de tous les biens n’a pas intérêt à échanger. Dans le chapitre VII des Principes de
l’économie politique et de l’impôt (1817), David Ricardo va plus loin en donnant naissance à la
théorie de l’avantage comparatif, c’est-à-dire le principe selon lequel chaque pays a intérêt à se
spécialiser dans le produit pour lequel il est le plus avantagé ou le moins désavantagé
relativement aux autres produits. Tout pays a un avantage comparatif, même s’il n’a aucun
avantage absolu, et a donc intérêt à s’ouvrir au commerce extérieur. Ricardo développe sa
démonstration à partir de l’exemple du drap et du vin. Dans cet exemple, la Grande-Bretagne n’a
aucun avantage absolu mais un désavantage comparatif minimal dans le drap, alors que le
Portugal a un avantage absolu dans les deux biens mais un seul avantage comparatif, dans le vin.
La Grande-Bretagne va alors se spécialiser dans le drap et le Portugal dans le vin. Les gains à
l’échange sont liés au coût d’opportunité qui, en autarcie, est supporté par le pays mobilisant des
ressources pour produire un bien alors que ces ressources pourraient être utilisées plus
efficacement dans la production d’un autre bien ; c’est également le coût d’opportunité qui
justifie la spécialisation même dans le cas où un pays un avantage absolu dans la production de
tous les biens. La division internationale du travail (la spécialisation) s’explique ici par des
différences de productivité du travail associées à des techniques de production différentes selon
les pays et considérées comme des données.

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Approfondir. Le modèle de Ricardo est un modèle à un seul facteur de production, le travail, mobile au
sein des nations, immobile au niveau international. Les coûts de transport sont supposés
négligeables. Une conséquence du modèle est que la spécialisation des pays est totale : chaque
pays ne produit qu’un seul bien. Les coûts relatifs des biens dans les pays déterminent une
fourchette de prix relatifs de ces biens à l’intérieur de laquelle les échanges commerciaux sont
mutuellement avantageux ; c’est John Stuart Mill, dans ses Principes d’économie politique (1848)
qui complétera le modèle en introduisant la demande pour chacun des biens dans les deux pays,
ce qui détermine le prix (relatif) d’équilibre au niveau international, selon le principe de l’offre et
de la demande.

2) La théorie HOS

a) Une spécialisation déterminée par les dotations factorielles


L’essentiel. Le modèle considéré comme l’aboutissement de la théorie des avantages comparatifs est celui
développé par les économistes suédois Eli Heckscher (1919) et Bertil Ohlin (1933) puis par Paul
Samuelson (1948), appelé modèle HOS. Fondamentalement, le modèle justifie l’ouverture
commerciale sur l’extérieur, donc le libre-échange, de la même façon que Ricardo : le commerce
avec l’extérieur accroit l’efficacité économique en permettant à chaque pays de se spécialiser
dans les productions pour lesquelles il dispose d’un avantage comparatif et la structure du
commerce international s’explique par des différences de coûts d’opportunité selon les pays. La
différence avec le modèle de Ricardo se trouve dans la source des avantages comparatifs. Elle ne
réside plus dans des différences dans les techniques de production mais dans des différences de
dotations factorielles (travail, capital…) : un pays a un avantage comparatif dans la production
qui est intensive dans le facteur relativement abondant (théorème d’Ohlin ou d’Heckscher-
Ohlin). Le principe de l’offre et de la demande conduit à un prix (relatif) d’équilibre (unique)
pour tous les biens au niveau international. Il est important de bien comprendre que, comme
chez Ricardo, ce sont les mécanismes de marché (la concurrence), et eux seuls, qui sont à l’œuvre
dans ce modèle (néo-classique) : ils déterminent la spécialisation des pays et les prix d’équilibre.

Approfondir. Comme chez Ricardo, le modèle HOS suppose que les facteurs de production sont mobiles à
l’intérieur des pays mais immobiles internationalement, que les coûts de transport sont
négligeables. En revanche, le modèle HOS prend en compte deux facteurs de production, le
capital et le travail (donc pas seulement le travail comme chez Ricardo) et suppose des
technologies (donc des fonctions de production) identiques pour tous les pays. La spécialisation
des pays n’est pas totale.

b) Les effets de l’ouverture sur la rémunération des facteurs de production

L’essentiel. Au-delà d’être un modèle décrivant les gains d’efficacité dont tous les pays bénéficient du fait
de l’ouverture, le modèle HOS permet également d’étudier les conséquences de la spécialisation
sur la rémunération des facteurs de production, à l’intérieur des pays et au niveau international.
Dans leur article publié en 1941, Wolfgang Stolper et Paul Samuelson montrent qu’une hausse du
prix d’un produit a pour effet d’augmenter la rémunération réelle du facteur de production dont
l’emploi est le plus intensif dans la production de ce produit (théorème de Stolper-Samuelson).
Dit autrement, l’ouverture commerciale d’un pays, qui implique sa spécialisation dans la
production (relativement) intensive en facteur (relativement) abondant, sera plus profitable aux
détenteurs de ce facteur abondant. Au niveau international, dans le cadre du modèle HOS, on
observe une égalisation des prix des facteurs de production. Ce résultat s’explique par le fait que
les échanges de biens entre les pays, qui se font aux prix (relatifs) d’équilibre au niveau
international, peuvent s’interpréter comme des échanges implicites de facteurs : un pays qui
importe un bien intensif en facteur travail bénéficie, via l’importation de ce bien, de l’abondance
de facteur travail dans le pays exportateur de ce bien. Ainsi, malgré l’absence de marchés
mondiaux des facteurs de production (du fait de l’hypothèse d’immobilité internationale de ces
facteurs), le prix du travail est identique dans tous les pays, de même pour le prix du capital.

c) Evolutions des dotations factorielles et modification de la spécialisation

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Approfondir 1. Dans son article de 1955, l’économiste polonais Tadeusz Rybczynski démontre que
l’évolution des dotations factorielles dans un pays modifie sa spécialisation de la manière
suivante : « Pour un prix relatif donné, une augmentation de la dotation en un facteur de
production augmente la production du bien qui est intensif dans ce facteur et diminue la
production de l'autre bien. » (théorème de Rybczynski (1955)). Ainsi, des pays connaissant un
processus de croissance économique (et d’accumulation du capital) rapide peuvent glisser d’une
spécialisation dans des biens intensifs en travail vers une spécialisation dans des biens intensifs
en capital. Un autre scénario est évidemment possible : celui dans lequel c’est le pays abondant
en capital qui a un rythme d’accumulation du capital élevé et le pays abondant en travail qui a
une croissance démographique élevée, les spécialisations initiales ayant alors tendance à se
renforcer. Le modèle HOS n’a en effet pas pour vocation d’expliquer ni l’accumulation du capital
(c’est le rôle des modèles de croissance) ni la croissance démographique (souvent considérée
comme exogène dans les modèles économiques).

Approfondir 2. David Ricardo envisageait lui aussi l’évolution des avantages comparatifs, donc de la
spécialisation. Dans ses Principes, il poursuivait l’exemple du drap et du vin ainsi : « Supposons
maintenant que l’on découvre en Angleterre, pour faire du vin, un procédé tellement avantageux
qu’il fût plus profitable à ce pays de le faire avec son propre raisin que de l’importer ; dans ce cas,
une partie du capital de l’Angleterre serait détournée du commerce étranger pour être appliquée
au commerce intérieur. (...) Si le nouveau procédé pour faire du vin offrait de très grands
avantages, il pourrait convenir aux deux pays de changer d’industrie : à l’Angleterre de faire tout
le vin, et au Portugal de fabriquer tout le drap pour la consommation de ces deux pays ». Dans le
cas du modèle de Ricardo, c’est donc l’évolution de la technologie (supposée différente selon les
pays) qui explique l’évolution de la spécialisation des pays, alors que l’explication se trouve dans
l’évolution des dotations factorielles (accumulation du capital, croissance démographique) dans
le modèle HOS.

3) Les tests empiriques de la théorie des avantages comparatifs : le paradoxe de Leontief


et ses suites

 Leontief W. (1954), « Factor Proportions and the Structure of American


Trade : Further Theoretical and Empirical Analysis », in Review of
Economics and Statistics
L’essentiel. Si le modèle de Ricardo s’est révélé difficile à tester empiriquement, en revanche le modèle
HOS a été l’objet de plusieurs travaux sur le contenu en services de facteurs des exportations et
importations de différents pays. L’étude de Wassily Leontief menée dans les années 1950 porte
sur 200 industries en 1947 aux Etats-Unis. Il s’agit incontestablement de l’économie la plus
industrialisée du monde à cette époque, autrement dit d’un pays (relativement) abondant en
capital : on s’attendait donc à ce que les Etats-Unis importent des biens (relativement) intensifs
en travail et exportent des biens (relativement) intensifs en capital. Or, le travail de Leontief
révèle que les industries des produits importés aux E-U utilisent 30% de + de capital par
travailleur que celles des produits exportés. Ce résultat a alors été appelé « paradoxe de
Leontief ».

 Les travaux empiriques postérieurs à celui de Wassily Leontief


L’essentiel. Le paradoxe de Leontief a initié de nombreux travaux empiriques dont les résultats
apparaissent moins défavorables pour la théorie des avantages comparatifs. Par exemple,
certains montrent que la pertinence empirique du modèle HOS peut se rétablir en décomposant
géographiquement les exportations selon qu’elles concernent des pays développés ou des pays
en développement ou en prenant en compte l’abondance relative en capital humain, à côté de
celles en capital physique et en travail non qualifié. D’autres encore montrent que la prise en
compte à la fois des différences de dotations factorielles (modèle HOS) et les différences de
productivité selon les pays (modèle ricardien) permet assez bien d’expliquer la structure des
exportations. De manière assez générale, les différences de dotations factorielles expliquent
relativement bien les échanges internationaux dans le cas où les dotations factorielles des pays
sont très éloignées (échanges Nord-Sud) et où les différences techniques interviennent peu
(produits banalisés).

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Rappel. Le capital humain se définit comme l’ensemble des aptitudes, des expériences, des connaissances
et des qualifications accumulées par un individu (ou un groupe d’individus) qui détermine ses
capacités productives.

Aller plus loin. Tatemoto et Ichimura (1959) montrent qu’au Japon, le paradoxe de Leontief disparaît
quand on procède à une décomposition géographique (PVD/PD) des exportations. Stern et
Maskus (1981) révèlent que le paradoxe se vérifie aux E-U en 1958 mais a disparu en 1972. Kim
(1983) montre qu’en Corée, l’évolution de la structure des échanges par produit entre 1960 et
1980 s’explique correctement par l’évolution des dotations factorielles. Baldwin (1971) étudie le
contenu en facteurs des exportations américaines pour 1962 et montre que, relativement aux
travailleurs (étrangers) des industries des biens importés, les travailleurs (américains) des
industries des biens exportés : 1) ont un niveau d’éducation plus élevé, 2) sont plus
fréquemment des ingénieurs et des scientifiques. Selon Trefler (1995), les importations
européennes de biens intensifs en travail devraient être gigantesques en volume si la faible
dotation en facteur travail était l’explication (c’est le « mystère du commerce manquant ») mais
souligne cependant que le « mystère » disparaît en partie lorsque l’on prend en compte les
différences internationales de productivité.

II. Le commerce international expliqué par les imperfections de la concurrence

Introduction : Pourquoi des « nouvelles » théories ? (« now quite often referred to as ‘the
old new trade theory’ » (Krugman (2009)))

L’essentiel. L’insuffisance des ‘anciennes’ théories réside principalement dans leurs difficultés à rendre
compte de l’importance empirique du commerce entre pays développés et du commerce intra-
branche (2 formes de commerce résumées par l’expression : « échange similaires-similaires »)
ainsi que des stratégies des firmes multinationales. L’auteur central est Paul Krugman, prix
Nobel d’économie 2008, et l’article majeur est Krugman (1979), "Increasing returns,
monopolistic competition, and international trade," Journal of International Economics.

Approfondir 1. La prise en compte des stratégies des firmes multinationales consiste d’abord à analyser le
comportement de firmes « price-maker » (cadre de concurrence imparfaite). Elle consiste aussi,
pour certains modèles des « nouvelles » théories, à analyser les stratégies d’internationalisation
des firmes (investissements directs à l’étranger), donc à sortir d’un cadre où les facteurs de
production (capital) sont immobiles internationalement.

Approfondir 2. Selon Krugman (2009), “The Increasing Returns Revolution in Trade and Geography” (in
The American Economic Review) : « The new models of trade […] didn’t supplant traditional trade
theory so much as supplement it [… and] helped build a bridge between the analysis of trade
between countries and the location of production within countries. ».

Approfondir 3. Avant que n’émergent les « nouvelles » théories, les travaux de Vernon (1966) (théorie du
cycle de vie des produits) et d’Akamatsu (1937,1962) (vol d’oies sauvages), entre autres,
décrivaient déjà un commerce international (et une internationalisation des firmes) dans un
cadre de concurrence imparfaite. Ces travaux prenaient cependant une forme totalement
différente de celle des « nouvelles » théories, lesquelles développent des modèles
mathématiques reposant sur une levée partielle des hypothèses du modèle néo-classique.

1) Les économies d’échelle externes à la firme

a) La notion de rendements d’échelle (rappels)


L’essentiel 1. Il faut bien distinguer la notion de rendement d’échelle, qui mesure l’effet d’une
augmentation proportionnelle et simultanée de tous les facteurs de production sur la quantité
produite, de celle rendement de facteur, qui mesure l’effet de l’augmentation d’un seul facteur de
production sur la quantité produite. La notion de rendement d’échelle est distincte de celle
d’économie d’échelle, cette dernière traduisant le fait que le coût unitaire de production décroit
avec la quantité produite ; cependant l’existence de rendements d’échelle croissants implique la
présence d’économies d’échelle, et réciproquement.

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L’essentiel 2. Les rendements d’échelle (donc les économies d’échelle) peuvent se manifester lorsque
l’échelle de la production se modifie au sein de tel ou tel ‘espace’ de production. En conséquence,
on dira que les rendements (économies) d’échelle sont internes à une entreprise (ou un
établissement) lorsqu’ils se manifestent lors d’un changement d’échelle de la production de
l’entreprise elle-même, et on dira que ces rendements (économies) d’échelle sont externes
lorsqu’ils se manifestent lors d’un changement d’échelle de la production au niveau du secteur,
de la région, etc., auquel appartient l’entreprise. La distinction entre rendements d’échelle (ou
économies d’échelle) internes et externes a une grande importance quant aux types de marchés
qui s’établissent au niveau international : dans le cas des rendements d’échelle externes,
l’atomicité peut être préservée alors les structures de marché sont oligopolistiques voire
monopolistiques en cas de rendements d’échelle internes.

Approfondir. Soit une production résultant de l’utilisation conjointe de machines et de bâtiments (du
capital noté K) et de travailleurs (du travail noté L), la relation entre L et K, d’une part, et Y,
d’autre part, étant donnée par une fonction de production (f) ; on dit que les rendements
d’échelle sont croissants (respectivement, constants, décroissants) lorsque f (λ.K, λL) est
supérieur (respectivement, égal, inférieur) à f (K, L), λ étant un entier supérieur à 1. L’origine de
la notion de rendement d’échelle externe remonte aux travaux de l’économiste Alfred Marshall à
la fin du XIXe siècle : dans le cadre de sa réflexion sur les « districts industriels », il remarque que
la concentration géographique d’entreprises dans une même zone bénéficiait à chaque firme ;
des externalités positives expliquent ici les rendements d’échelle externes observés.

b) L’influence de l’histoire sur les spécialisations

L’essentiel. Les avantages comparatifs n’expliquent généralement pas les échanges dans le cas d’industries
bénéficiant de rendements d’échelle. Dans ce cas, la taille du pays et les ‘accidents historiques’
peuvent expliquer la spécialisation. Un pays de grande taille bénéficie d’économies d’échelle
importante sur son marché intérieur, ce qui lui permet de vendre à un prix relativement faible
sur le marché mondial, même s’il ne dispose pas d’avantage comparatif dans la production du
bien (les courbes de coût moyen de certains petits pays peuvent se situer ‘en dessous’ de celle du
grand pays). Les ‘accidents historiques’, quant à eux, font que la production débute dans un
endroit plutôt que dans un autre, et, par conséquent, par le jeu des économies d’échelle, le coût
de production du bien est la plus faible à cet endroit, donc également le prix de vente des
entreprises se situant à cet endroit (avantage de ‘first mover’) si la concurrence est préservée
(économies d’échelle externes) ; un exemple souvent cité par Paul Krugman est celui de la
production de boutons à Qiaotou (60% de la production mondiale de boutons, 80% de la
production mondiale de fermetures Eclair). Cette spécialisation liée aux rendements d’échelle
croissants peut être stable même lorsque les avantages comparatifs évoluent. Un cas particulier
est celui des rendements d’échelle croissants dynamiques (qui peuvent être lié à un processus
d’apprentissage) qui impliquent que les coûts unitaires de production décroissent avec la
production cumulée au cours du temps.

c) Les dynamiques d’agglomération (l’économie géographique) : rendements croissants


et coûts de transport

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L’essentiel 1. Au début des années 1990, Paul Krugman va renouveler la géographie économique en
mobilisant les concepts de l’analyse économique. Dans Krugman (1991), « Increasing Returns
and Economic Geography », l’économie géographique est définie de manière générale comme
l’étude de « la répartition spatiale des facteurs de production ». Proposant une analyse (parmi
d’autres) de la localisation des firmes, cette (nouvelle) économie géographique apporte en
conséquence, dans le même temps, une explication de la spécialisation des pays et des régions.
Est mise au jour, dans les secteurs à rendements d’échelle croissants, l’influence de la taille de la
région ou du pays ainsi que des coûts de transports (plus largement, toutes les ‘frictions’
existantes dans la circulation des biens, intermédiaires ou finis) dans les dynamiques
d’agglomération. L’agglomération des unités de production, c’est-à-dire leur concentration
géographique, s’explique par l’économie de coûts de transport (plus largement de coûts de
transaction) et les économies d’échelle qu’elle permet. Est alors susceptible d’apparaître la
causalité circulaire suivante : localisation de la demande ⇒ localisation de la production ⇒
localisation de la demande (et des travailleurs) : « la production industrielle tend à se concentrer
là où le marché est grand, mais le marché est grand là où la production industrielle est
concentrée » (Krugman (1991)). Les forces centripètes à l’œuvre peuvent conduire, au niveau
régional voire au niveau international, à l’opposition entre un « centre » (industriel) et une
« périphérie » (agricole) : « lorsqu’un certain indicateur, prenant en compte les coûts de
transport, les économies d’échelle et la part des dépenses consacrées aux produits non agricoles,
dépasse un seuil critique, la population va commencer à se concentrer et les régions à diverger ;
et une fois déclenché, le processus est auto-entretenu. » (Krugman (1991)).

L’essentiel 2. Cependant, des forces centrifuges existent également, notamment l’intensification de la


concurrence entre les firmes, qui s’accroît avec l’agglomération et pèse négativement sur les
marges des firmes au sein de la zone. De plus, l’influence des avantages comparatifs (donc des
coûts de production dans les différentes régions ou pays) peut également être à l’œuvre. Ainsi, si
les dynamiques d’agglomération peuvent contribuer à expliquer la formation de la
« manufacturing belt » dans les années 1960, d’autres facteurs et mécanismes doivent être
mobilisés pour comprendre sa transformation en une « rust belt » dans la période récente.

2) Les économies d’échelle internes à la firme

a) Préliminaires : les différents types de marchés en concurrence imparfaite


L’essentiel. Les nouvelles théories du commerce international s’appuient largement sur les modèles
microéconomiques de marchés en concurrence imparfaite. Plusieurs structures de marché
peuvent être distinguées entre le cas type de la concurrence parfaite (où la quantité optimale
pour le producteur est telle que le prix est égal au coût marginal) et le cas type de concurrence
imparfaite qu’est le monopole (où la quantité optimale pour le producteur est telle que la recette
marginale est égale au coût marginal). Les modèles microéconomiques de concurrence
imparfaite peuvent être classés en plusieurs catégories, selon que les produits sont homogènes
ou différenciés et selon que la concurrence se fait en quantité ou en prix. Dans le cas de produits
homogènes, les modèles les plus connus sont l’oligopole de Cournot et l’oligopole de Stackelberg
lorsque la concurrence se fait en quantité et, l’oligopole (duopole) de Bertrand lorsque la
concurrence se fait en prix. Pour ces différentes formes d’interaction stratégique entre les firmes,
une question soulevée est celle de la possibilité d’une collusion (tacite). Dans le cas de produits
différenciés, le type de marché qui s’établit est appelé marché de concurrence monopolistique.

Approfondir. Les structures de marché qui s’écartent de la concurrence parfaite se caractérisent, sauf
exception, par l’existence d’un pouvoir de marché (cela vaut tant pour les offreurs dans les cas de
monopole ou d’oligopole que pour les demandeurs dans les cas d’oligopsone ou de monopsone).
Par définition, un pouvoir de marché est un pouvoir de « faire le prix » (price-maker). Dans le cas
des producteurs, une mesure du pouvoir de marché est donnée par l’indice de Lerner, défini par
l’écart relatif du prix au coût marginal. En concurrence parfaite, l’indice de Lerner d’une firme est
nul et on montre 1) qu’il est égal à l’inverse de l’élasticité-prix de la demande en situation de
monopole, 2) est égal au rapport entre la part de marché de la firme et l’élasticité-prix de la
demande dans le cas d’un oligopole de Cournot et 3) est nul dans le cas d’un oligopole de
Bertrand.

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Aller plus loin. Sachant que l’oligopole de Cournot conduit à un prix supérieur au coût marginal et que
l’oligopole de Bertrand conduit à un prix égal au coût marginal (donc à un profit nul), alors même
que les positions des firmes sont symétriques dans les deux cas, il paraît intéressant d’étudier les
situations dans lesquelles la concurrence se fait en quantité ou, au contraire, en prix. Une
réponse est donnée par Kreps et Scheinkman (1983). Reprenant une intuition d’Edgeworth
(1897), les deux auteurs montrent, dans le cadre d’un jeu à deux étapes et sous certaines
hypothèses, que si les firmes d’abord choisissent (1ère étape) leurs capacités de production
(autrement dit, elles décident des volumes d'investissement) puis (2e étape) se livrent une
concurrence en prix (sous contrainte de capacité), alors l'équilibre d'un tel jeu correspond, en
termes de prix et de quantités (et de profits), à celui d’un marché 'à la Cournot'.

b) Oligopole de Cournot avec dumping réciproque


L’essentiel. Brander et Krugman (1983), « A reciprocal Dumping Model of international trade » apporte
une illustration parfaite d’échanges similaires-similaires. Dans ce modèle, les économies
d’échelle internes expliquent en effet le commerce de biens homogènes (échange intrabranche)
et la spécialisation des pays, compte tenu des coûts de transport, alors que les avantages
comparatifs de ces pays sont exactement les mêmes. Le modèle présente deux firmes qui, en
autarcie, sont en situation de monopole dans leurs pays respectifs. L’ouverture commerciale crée
un marché ‘à la Cournot’ que se partagent les firmes. Les coûts de transport ayant pour
conséquence que les marges des firmes sont plus faibles sur la production vendue à l’étranger
que sur le marché domestique, les auteurs parlent d’un « dumping réciproque ».

Approfondir. Dans ce modèle, les effets de l’ouverture sur le surplus collectif sont indéterminés. D’un côté,
les consommateurs bénéficient d’une baisse des prix (car le prix d’équilibre d’un marché ‘à la
Cournot’ est plus faible que celui d’un monopole). Cependant, les coûts de transport associés aux
biens exportés constituent un gaspillage de ressources qui n’existe pas en autarcie.

c) Le monopole contestable

 La théorie des marchés contestables (rappels)


L’essentiel. Le message principal délivré par la théorie des marchés contestables, développée dans Baumol
W.J., Panzar J.C. et R. D. Willig (1982), Contestable Markets and the Theory of Industry Structure,
est qu’un marché de concurrence imparfaite (en particulier un monopole) peut se comporter
comme un marché de concurrence parfaite dès lors qu’une concurrence potentielle est présente.
Les conditions pour qu’un marché soit contestable est l’absence de coûts fixes irrécupérables,
absence de barrières (principalement légales) à l’entrée sur le marché, auxquelles on ajoute
souvent la possibilité d’entrer sans délai sur le marché (impliquant l’impossibilité, pour la (ou
les) firme(s) en place, de mettre en place une stratégie de dissuasion de l’entrée). Sur un marché
(parfaitement) contestable (par exemple, un monopole contestable), le prix d’équilibre est égal
au coût marginal (donc les profits sont nuls), comme en concurrence parfaite : la pression de la
concurrence potentielle produit les mêmes effets que celle de la concurrence effective.

 Marché contestable et commerce international


L’essentiel. Dans leur ouvrage Helpman et Krugman (1985), Market structure and Foreign Trade donnent
l’exemple d’un modèle dans lequel les économies d’échelle internes créent la possibilité d’un
monopole mondial contestable dans le cas où les firmes des différents pays ont des coûts de
production différents. La spécialisation est alors totale (une seule firme, donc un seul pays,
produit le bien homogène) et le surplus collectif est supérieur à celui obtenu en autarcie (les
consommateurs bénéficient pleinement de l’extension des économies d’échelle au niveau
mondial).

3) La différenciation

a) La différenciation horizontale

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L’essentiel. Il existe différents modèles microéconomiques traitant de la concurrence monopolistique ;
celui sur lequel repose l’application au commerce international proposée par Paul Krugman est
Dixit A.K. et J.E. Stiglitz (1977), “Monopolistic competition and optimun product diversity”
(American Economic Review), ses origines remontent aux travaux de Chamberlin E.H. (1933), The
Theory of Monopolistic Competition: A Re-orientation of the Theory of Value. Le modèle de
Krugman P. (1979), “Increasing returns, monopolistic competition, and international trade”,
décrit des échanges intrabranche (les produits échangés sont différentes variétés d’une même
catégorie de biens et chaque variété n’est produite que dans un seul pays, par la firme qui en a le
monopole) entre des pays similaires et une ouverture sur l’extérieur qui augmente le bien-être
des consommateurs via l’accroissement de la variété (dans les termes de Krugman (1980) : « Les
gains de l’échange surviennent car l’économie mondiale produit une plus grande diversité de
variétés que n’aurait pu en produire un pays isolé, offrant à chaque individu un plus large
éventail de choix »).

Approfondir. Dans le modèle de Krugman (1979), les firmes bénéficient d’économies d’échelle qui
s’expliquent par le coût fixe associé à la mise au point d’une nouvelle variété. Chaque firme a
alors le monopole de la production d’une variété mais la concurrence s’exerce par la possibilité
d’entrée de firmes dans la branche, produisant une nouvelle variété. L’équilibre du marché se
caractérise par un profit nul pour chacune des firmes. Krugman (2009) : « There was one more
significant insight from the application of Dixit-Stiglitz-based models to trade: Burenstam Linder
was right! ».

b) la différenciation verticale

Approfondir. Un des modèles proposant une analyse de l’échange international reposant sur la
différenciation verticale est celui de Gabszewicz, Shaked, Sutton et Thisse (1981). Le modèle
décrit des échanges intrabranches (les produits se distinguent par la qualité) entre pays aux
niveaux de vie proches mais différents (la distribution des revenus explique que les
consommateurs se tournent vers des produits de qualité haute ou, au contraire, basse). Les gains
à l’échange pour les consommateurs proviennent de l’augmentation du nombre de variétés
disponibles au niveau de chaque pays et de l’augmentation de la qualité moyenne des variétés.

4) Commerce international et investissement à l’étranger : substituabilité ou


complémentarité ?

a) Retour sur les « anciennes » théories


L’essentiel. Dans la théorie des avantages comparatifs, les facteurs de production sont supposés
immobiles. Dans ses Principes, Ricardo justifie une telle hypothèse en mobilisant des facteurs
socio-culturels (l’attachement à sa patrie notamment) et l’incertitude sur le respect du droit de
propriété à l’étranger. La théorie HOS, quant à elle, permet d’interpréter le commerce
international de biens comme un échange implicite de facteurs de production, suggérant une
substituabilité entre commerce international et investissement à l’étranger. Enfin, en inversant
les hypothèses du modèle HOS, le modèle de Mundell (1957) (immobilité des biens, mobilité des
capitaux) affirme clairement cette substituabilité.

b) Les imperfections de marché comme cadre pouvant justifier la complémentarité

L’essentiel 1. Les économies d’échelle, hypothèse centrale des « nouvelles » théories, constituent un
facteur explicatif de l’arbitrage proximité-concentration (IDE horizontaux) : les avantages de la
proximité (éviter les barrières douanières, limiter les coûts de transport…) sont à comparer aux
avantages de la concentration de la production (économies d’échelle), tout en prenant en
compte, dans le choix de localisation de la production, les différences éventuelles de dotations
factorielles, de tailles et de technologies entre les pays.

L’essentiel 2. Dans le modèle de Melitz (2003), c’est l’hétérogénéité des firmes en termes de productivité
qui explique que certaines firmes investissent à l’étranger (elles peuvent surmonter les coûts
fixes d’entrée sur le marché étranger) alors que d’autres se contentent d’exporter et que les
moins productives servent uniquement le marché domestique.

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L’essentiel 3. La complémentarité l’emporte clairement sur la substituabilité avec la prise en compte des
IDE verticaux, lesquels impliquent à la fois des investissements à l’étranger et des exportations
de biens intermédiaires. Les facteurs qui déterminent les IDE verticaux sont les prix des facteurs
de production, les dotations en ressources naturelles, etc. (Helpman et Krugman (1985), ainsi
que les coûts de transaction.

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