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« Lʼinstabilité financière des marchés boursiers reste un souci majeur » 19/09/2018 08(19

« L’instabilité financière des marchés boursiers


reste un souci majeur »
Dix ans après la faillite de Lehman Brothers, le couplage des réseaux sociaux et du trading haute
fréquence forme un nouveau cocktail explosif, constatent les économistes Gunther Capelle-
Blancard et Thomas Renault dans une tribune au « Monde ».

LE MONDE | 13.09.2018 à 14h00 | Par Gunther Capelle-Blancard (Professeur d’économie à l’université Paris-I-
Panthéon-Sorbonne (Laboratoire d’excellence-Régulation financière [LaBex ReF...

Tribune. La faillite de Lehman Brothers restera sans conteste le point d’orgue de la crise financière.
Personne n’imaginait vraiment que ce fleuron de Wall Street puisse disparaître si soudainement.
L’illustre banque d’affaires avait, certes, annoncé de lourdes pertes et faisait l’objet d’attaques
spéculatives. Mais cette faillite a stupéfait les marchés – tout comme l’escroquerie de Madoff ou
l’affaire Kerviel - Société générale, pour ne citer que les exemples les plus marquants. Mais
l’affolement des Bourses mondiales s’est mué, sous l’effet de la crise des subprimes, en krach
boursier dès l’automne 2008, puis en en récession.

Depuis la crise, si quelques réformes ont été engagées, l’instabilité


LES MARCHÉS financière reste un souci majeur. Les marchés boursiers sont sans cesse
BOURSIERS SONT soumis aux surprises, à la panique, aux rumeurs et aux manipulations. Cela
SANS CESSE a toujours été le cas, certes, mais plus encore aujourd’hui qu’il y a dix ans.
SOUMIS Car la révolution technologique, qui a profondément impacté le monde de la
AUX SURPRISES, finance, a eu un double effet : sur la nature même des marchés, d’abord, et
À LA PANIQUE, sur la nature des informations qui y sont transmises ensuite.
AUX RUMEURS ET
AUX MANIPULATIONS Les marchés boursiers ont connu, ces dernières décennies, une véritable
mutation. Anciennement monopole public, les Bourses sont devenues à
partir des années 2000 des entreprises soumises à une vive concurrence.
Et cela avec l’appui du législateur, qui y voyait une source de progrès et
d’innovations. Résultat, les marchés sont désormais plus fragmentés, et beaucoup plus opaques.
Parallèlement, leur activité a crû de manière considérable. Sur le marché américain, le nombre total
d’ordres passés à la Bourse était en moyenne d’environ un millier par minute au début des années
1990, de cent mille début 2000, de plus d’un million depuis 2010.

Système à deux vitesses


La grande majorité de ces ordres sont passés par des algorithmes informatiques qui spéculent sur
des laps de temps extrêmement courts, de l’ordre de la nanoseconde (soit un milliardième de
seconde). Même si l’essentiel des ordres de ce trading haute fréquence sont par la suite annulés –
ce qui pose d’ailleurs la question de leur bien-fondé –, les transactions boursières dans le monde se
chiffrent aujourd’hui en centaines de milliers de milliards de dollars (soit quatorze zéros…).

On est loin du temps où les titres s’échangeaient au vu et au su de tous.


LA MOINDRE Désormais, le système fonctionne à deux vitesses, avec d’une part
RUMEUR PEUT quelques sociétés de trading haute fréquence autorisées à localiser leur
DÉCLENCHER serveur informatique à proximité de ceux des Bourses, et les autres, qui
UNE VAGUE n’ont accès ni aux mêmes technologies, ni à la même information.
DE PANIQUE
SE TRADUISANT Dans ces conditions, la moindre rumeur, la moindre défaillance technique
PAR peuvent déclencher une vague de panique se traduisant par des milliards
DES MILLIARDS de pertes. Le marché a expérimenté un premier « krach éclair », en
DE PERTES mai 2010, avec une perte en une demi-heure de 1 000 milliards de dollars
pour le Dow Jones, sans qu’aujourd’hui encore on sache vraiment
pourquoi.

https://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/09/13/l-instabilite-f…iere-des-marches-boursiers-reste-un-souci-majeur_5354550_3232.html Page 1 sur 2


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Cocktail explosif
Couplé à l’apparition des réseaux sociaux et des nouvelles formes de communication, le trading
haute fréquence forme un cocktail explosif. Par exemple, en avril 2013, à la suite d’un piratage, un
faux Tweet annonçant une explosion à la Maison Blanche a été publié sur le compte de l’agence
Associated Press. L’annonce sera retweetée quatre mille fois en quelques minutes. Plus qu’il n’en
faut pour que les algorithmes des tradeurs se mettent en branle. Les marchés américains
s’effondrent : la perte, quoique temporaire, s’élève à près de 140 milliards de dollars.

Des « fake news » à plusieurs centaines de millions de dollars sont


LES « BOTS » désormais monnaie courante sur les marchés boursiers. En facilitant la
PROGRAMMÉS dissémination de fausses informations de manière anonyme, les réseaux
POUR ENVOYER sociaux sont devenus un nouveau canal de communication très prisé des
AUTOMATIQUEMENT manipulateurs.
DE FAUSSES
INFORMATIONS Les « bots » programmés pour envoyer automatiquement de fausses
FINANCIÈRES informations financières sont très nombreux sur Twitter ; le gendarme de la
SONT TRÈS Bourse américaine a lui-même déjà alerté à de nombreuses reprises sur
NOMBREUX SUR ces risques, mais reste relativement impuissant face à ces nouvelles
TWITTER formes de manipulation.

La qualité d’un marché financier est souvent appréhendée par sa capacité à


réagir aux nouvelles informations. Mais que dire d’un marché nerveux,
fébrile, soumis à d’incessantes variations, qui surréagit à la moindre rumeur et s’expose aux
manipulations ? Il suffit de penser aux soubresauts provoqués par les Tweet d’Elon Musk cet été,
sans parler de ceux du président Trump, qui exacerbent la volatilité du marché américain.

Iniquité et instabilité
On pensait que le progrès technique, que ce soit pour accélérer la transmission des ordres ou pour
favoriser une meilleure dissémination de l’information, améliorerait le fonctionnement des marchés
financiers et le processus de découverte de prix. Mais, sans une régulation adéquate, il a surtout
favorisé l’iniquité et l’instabilité.

Une mesure phare pour lutter, au moins en partie, contre certaines dérives aurait été de mettre en
place un dispositif ambitieux de taxation des transactions financières, de type « taxe Tobin ». C’était
l’objectif de l’Union européenne dès 2010, mais son application est sans cesse repoussée. La
France a introduit dès 2012 une taxe, mais celle-ci est limitée aux grandes entreprises françaises et
ne porte que sur les opérations journalières, excluant de fait les opérations les plus spéculatives.

A vouloir aller toujours plus vite, les marchés financiers sont en passe de perdre leur raison d’être :
offrir aux investisseurs et aux entreprises une plate-forme d’échange de titres. Rien d’étonnant à ce
que la défiance à leur égard ne cesse de croître.

https://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/09/13/l-instabilite-f…iere-des-marches-boursiers-reste-un-souci-majeur_5354550_3232.html Page 2 sur 2

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