Vous êtes sur la page 1sur 57

CHAPITRE I

Les « principes généraux »


de l’organisation
administrative
« Il serait souhaitable que l’on ne perdît pas de vue, dans
les analyses, les travaux, les discussions juridiques, certains
principes assez élémentaires de la théorie générale
des définitions et des classifications ».
C. EISENMANN
Quelques problèmes de méthodologie des définitions
et des classifications en science juridique, in Écrits de théorie du droit,
de droit constitutionnel et d’idées politiques,
Textes réunis par C. LEBEN, éd. Panthéon-Assas, 2002, p. 305

« … il convient de ne pas sous-estimer les difficultés, théoriques


et pratiques, qui s’attachent au travail de clarification des
notions à l’œuvre aujourd’hui ».
CONSEIL D’ÉTAT
Rapport d’étude sur les établissements publics,
La Documentation française, 2009, p. 27
Traité de droit administratif

Dans l’étude que le présent Traité consacre aux « Institutions administratives »,


un chapitre préliminaire a été réservé à l’examen des principes généraux de l’or-
ganisation administrative. Accordons-nous d’emblée sur le statut de cet « objet ». Il
ne saurait être ici question — on s’en doutait peut-être un peu, mais mieux vaut
le préciser pour prévenir tout malentendu — de décrire un système, une organi-
sation. Cette tâche est d’ailleurs précisément distribuée entre les trois chapitres qui
vont suivre. De la présentation des principes généraux de l’organisation administra-
tive, on attend tout autre chose : l’esquisse d’une sorte de théorie générale. Il s’agit
bien d’esquisser plutôt que de faire une théorie générale de l’organisation adminis-
trative. Un tel programme dépasserait de toute évidence les limites de l’exercice
proposé, et de pareilles entreprises ont été accomplies ailleurs (v. C. Eisenmann,
Cours de droit administratif, tome I, LGDJ, Paris, 1982 ; G. Timsit, « Le modèle
occidental d’administration », RFAP 1982. 441-480 ; « La science administrative
d’hier à demain… et après-demain », RD publ. 1982. 929-1021). Le projet qui s’an-
nonce ici est bien plus modeste. Il consiste à revenir sur les moyens intellectuels
(notions, catégories et autres procédures de classement) qu’emploie la doctrine
des publicistes pour penser — ou ne pas le faire — la question de l’organisation
administrative. Comment des institutions aussi nombreuses que variées finissent-
elles par être considérées comme relevant d’une seule et même identité adminis-
trative ? La mise au point de modes de détermination proprement juridiques de
cette commune appartenance au monde de l’administration, voilà ce qui constitue
en premier lieu la tâche des juristes. Mais celle-ci ne s’arrête pas là ; elle consiste
encore à montrer comment s’agencent et s’articulent les différentes composantes
du système dont les contours ont été préalablement tracés.
L’affaire est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord. Certes
la littérature doctrinale — elle est, il faut le dire, très abondante, car, non seule-
ment les manuels de droit administratif contiennent généralement des dévelop-
pements substantiels sur l’organisation de l’administration (V. par ex., G. Braibant
et B. Stirn, Le droit administratif français, Presses de sciences po et Dalloz, coll.
« Amphi », Paris, 2005 ; R. Chapus, Droit administratif général, tome I, 15e éd.,
Montchrestien, Paris, 2001 ; G. Dupuis, M.-J. Guédon et P. Chrétien, Droit admi-
nistratif, Dalloz, Sirey Université, Paris, 2010 ; P.-L. Frier et J. Petit, Précis de droit
administratif, Montchrestien, Paris, 2008 ; M. Lombard et G. Dumont, Droit admi-
nistratif, Dalloz, coll. « Hypercours », Paris, 2011) mais il existe par ailleurs nombre
d’ouvrages spécialement consacrés à la description des institutions administra-
tives (notamment de J.-M. de Forges, Les institutions administratives françaises,
PUF, coll. « Droit fondamental », Paris, 1985 ; F. Dreyfus et F. D’Arcy, Les institu-
tions politiques et administratives de la France, Économica, Paris, 1997 ; O. Gohin,
Institutions administratives, LGDJ, coll. « Manuel », Paris, 2006 ; C. Guettier, Insti-
tutions administratives, Dalloz, Cours, Paris, 2005 ; H. Oberdorff, Les institutions
administratives, Sirey U, Paris, 2006) — ne cherche pas toujours à faire appa-
raître les raisonnements qui ont présidé au choix de telle ou telle présentation
de l’« espace » administratif. Reste que cette dernière procède fatalement d’une
réflexion, aussi implicite soit-elle, sur l’identité de ce que l’on désigne du nom

2
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

d’« administration(s) ». Les efforts doctrinaux accomplis pour neutraliser le sujet,


ou le naturaliser, ne parviennent pas à faire oublier cette nécessité méthodolo-
gique : décrire les institutions administratives n’est jamais une activité innocente ;
la représentation qu’on en donne est toujours le résultat d’un cadrage préalable,
si par ce terme on entend tout à la fois des découpages et des montages intel-
lectuels. Or, c’est très précisément à partir de ces opérations qui ont informé le
regard du juriste qu’il est envisageable de dégager des principes généraux de l’or-
ganisation administrative.
Problématique. La lecture des traités et des manuels est des plus édifiantes :
décrire l’organisation administrative n’est pas une tâche de tout repos. La seule
chose qui prend ici forme de certitude, c’est que les auteurs, ne voyant pas la
même administration, nous en donnent plusieurs à voir ! Cela, les travaux de
C. Eisenmann l’ont établi avec toute la force de leur logique. Il est essentiel de ne
pas sous-estimer ces dissensions : en les tenant pour négligeables et sans portée,
on se prive d’un accès direct aux modes de constitution de la doctrine juridique.
Obligation nous est donc faite de parler des « principes généraux de l’organisation
administrative » sur fond de divisions doctrinales : il n’y a tout simplement pas
de consensus sur cette question. L’organisation administrative n’est pas une chose
disponible qui pourrait faire l’objet d’une sorte de saisie automatique. Sa descrip-
tion n’est concevable qu’au prix d’un travail de reconstruction. Il en résultera des
représentations d’autant plus contrastées que les écarts sont parfois grands entre
les principes d’organisation que porte l’ordre juridique et les pratiques que la vie
politique rend visibles, surtout en période de réforme de l’État. Il devient alors
difficile pour les juristes de tout ignorer des thèses que la sociologie de l’action
publique fait entendre : la réalité de l’organisation administrative ne se découvre
pas dans les textes qui l’exposent, elle est indissociable de l’expérience des acteurs
et des tensions qu’à travers leurs jeux ils font subir aux institutions (P. Grémion,
Le pouvoir périphérique. Bureaucrates et notables dans le système politique français,
Seuil, Paris, 1976 ; F. Dupuy et J.-C. Thoenig, Sociologie de l’administration fran-
çaise, A. Colin, coll. « U », Paris, 1983 ; F. Dupuy et J.-C., Thoenig, L’administra-
tion en miettes, Fayard, coll. « L’espace du politique », Paris, 1985). Autant dire les
choses ainsi : il faut, pour appréhender les principes de l’organisation administra-
tive, réinscrire cette dernière dans la réalité de son fonctionnement (les limites
d’une analyse proprement juridique de l’organisation administrative apparaissent
clairement dans le débat qu’a publié l’AJDA, en 2010, sous le titre Questions sur
l’avenir de l’établissement public [O. Schrameck, « Questions sur l’avenir de l’éta-
blissement public. À propos du rapport du Conseil d’État », AJDA 2010. 1238 s.], à
la suite de la production par le Conseil d’État d’un Rapport d’étude sur les établis-
sements publics [Conseil d’État, Rapport d’étude sur les établissements publics, La
Documentation française, Paris, 2009]. V. en particulier les remarques d’O. Schra-
meck, op. cit., p. 1245. Il ne suffit pas que les textes instituent ici la déconcen-
tration, là la décentralisation, pour que ces formes d’administration territoriale
deviennent du même coup effectives !)

3
Traité de droit administratif

Ces observations appellent en priorité à préciser le sens que l’on prête, ici, à
la notion même de principe. Cette entreprise s’avère d’autant plus indispensable
que le mot est fortement sollicité par les usages juridiques. Mieux vaut l’affirmer
clairement tout de suite : les principes que retiennent les développements à venir
n’appartiennent pas en tant que tels à l’univers du droit. Sans lui être étrangers, ils
ne relèvent pas de ses catégories propres. Il serait certes parfaitement concevable
de décrire notre organisation administrative à partir des seuls principes juridiques
qui la régissent. Ces principes, il faudrait évidemment les chercher dans le droit
constitutionnel (comment ne pas alors penser, entre autres exemples, à l’affirma-
tion de la libre administration des collectivités territoriales, ou encore au mode de
répartition des compétences entre les pouvoirs législatif et réglementaire concer-
nant la création des établissements publics ?), mais aussi du côté du droit commu-
nautaire (la Charte européenne des libertés locales est dans cet ordre d’idées une
référence des plus édifiantes) ou encore dans le fonds historique du droit admi-
nistratif national (dans la mesure même où il met à la disposition de l’État tout
un lexique lui permettant de faire advenir du « local ». Les textes comme la juris-
prudence administrative n’ont-ils pas en effet multiplié les variations sur le thème
des « affaires locales » : circonstances locales, libertés locales, intérêt public local,
développement local, etc. ?).
Mais telle n’est pas la démarche qui commande aux développements du
présent chapitre. Un autre mode de lecture s’est ici imposé, qui prend appui sur
des éléments de pensée et de contexte qui agissent de l’extérieur sur le droit, pour
en éclairer le contenu aussi bien que les changements. Au lieu de « partir » directe-
ment du droit, on a fait le choix de valoriser les influences qu’il reçoit d’« ailleurs ».
Les règles de droit et autres principes juridiques trouvent en effet leur sens en
situation, c’est-à-dire sur un terrain administratif où agissent des principes d’or-
ganisation qui finissent par trouver leurs propres mises en forme juridique. C’est
ainsi qu’ont été privilégiés des tendances et mouvements qui travaillent en profon-
deur l’organisation administrative, au-delà d’ailleurs du seul cas français. Les prin-
cipes dont il est ici question concernent dans une large mesure ce que l’on a pu
appeler le « modèle occidental d’administration » (G. Timsit, op. cit.). Une propo-
sition qu’on se gardera bien de globaliser : aussi généraux soient-ils, ces principes
ne sauraient agir partout de la même manière. Ils sont tributaires des configu-
rations qui les portent et dans lesquelles ils opèrent : les singularités nationales
liées à l’histoire, aux cultures politiques comme aux traditions juridiques retrou-
vent alors toute leur force.
Plan du chapitre. Face aux difficultés méthodologiques inhérentes à l’objet
imposé, quels choix de traitement privilégier ? S’il n’est nullement question
de proposer pour lui-même un mode d’exposition des éléments constitutifs du
système administratif français, il est impossible d’en ignorer les principales compo-
santes (Section 1) : c’est à travers leurs agencements que se perçoit l’action de
principes généraux d’organisation administrative. Saisir la singularité de cette
dernière oblige à une interrogation préalable sur ce que l’on désigne du nom d’ad-
ministration : il faut pour en dire la structure se situer à l’intérieur d’une entité

4
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

dont le mode de détermination des contours constitue le premier principe d’orga-


nisation administrative Ce n’est qu’une fois rappelés les principes qui informent le
tracé des limites extérieures de l’administration (§ 1), que pourront être présentés
ceux qui régissent son organisation interne (§ 2).
Ce thème des « composantes » pourrait, dans une certaine mesure, se suffire à
lui-même. Sa seule prise en compte conduirait toutefois à donner de la structure
administrative une représentation par trop statique. Or, il n’est pas abusif d’af-
firmer que le mouvement, le changement ou encore les transformations consti-
tuent un principe à part entière de l’organisation administrative (Section 2). Tel est
le parti retenu pour le présent chapitre où deux approches se croisent : proposer
de l’administration une image au repos, fixe, ne saurait suffire, il faut encore
donner toute leur place aux mouvements qui en parcourent l’organisation pour
l’adapter aux exigences de la réforme. Identifier des principes généraux d’orga-
nisation administrative passe par cette problématique du changement qu’il est
simple de construire autour des facteurs qui le produisent (§ 1) et de sa portée
véritable (§ 2) : on espère ainsi se déprendre de ces clichés qui encombrent la
matière institutionnelle et laissent supposer une forte allergie à la réforme, là où
l’administration est en pleine transformation.

SECTION 1
LES COMPOSANTES DE L’ORGANISATION
ADMINISTRATIVE

La doctrine a ici tracé des voies dont il n’est guère facile de s’écarter. La démarche
qu’adoptent la plupart des auteurs de manuels procède d’une sorte de parcours
obligé. À de rares exceptions près — encore que les raisons de ces exceptions-là
ne sont d’ailleurs pas nécessairement de nature intellectuelle et qu’elles peuvent
parfaitement obéir à des considérations purement matérielles, d’ordre éditorial
notamment ! — on juge logiquement nécessaire de se demander tout d’abord ce
qu’il faut décrire : l’interrogation se porte alors sur ce que sont les frontières juri-
diques (mais rien n’empêche évidemment un sociologue par exemple de ne pas
reconnaître ces frontières-là et de les situer ailleurs et différemment) de l’admi-
nistration en tant que réalité institutionnelle (§ 1). Une fois ces limites extérieures
identifiées, le juriste peut faire le choix d’un mode spécifique de lecture de l’orga-
nisation administrative. Cette opération est, elle aussi, assez fortement contrainte.
Elle consiste, pour l’essentiel, à faire jouer deux variables dont les croisements
permettent de dessiner des figures types. Toute administration est réputée obéir
en effet à une double nécessité : celle de la division ou spécialisation fonction-
nelle des tâches ; celle de la distribution territoriale des organes en charge de ces

5
Traité de droit administratif

tâches. La forme d’une administration, son organisation, dépend de la façon dont


se combinent ces deux exigences, à un moment donné de son « histoire » (§ 2).

§ 1 L’identification des limites extérieures


de l’organisation administrative
Admettons qu’il soit possible d’utiliser le registre topographique pour décrire la
manière dont procède ici la pensée juridique. On dira qu’elle se livre à un double
travail de repérage pour situer et « fixer » son objet. Les juristes ne sont en mesure
de décrire l’organisation d’une administration qu’après en avoir tracé les fron-
tières extérieures. Qu’ils apparaissent en désaccord sur ce tracé — la littérature
doctrinale montre à quel point la matière est sensible — n’est pas un problème.
L’essentiel est ailleurs, dans la méthode proprement juridique de marquage du
« territoire » administratif (J. Caillosse, Les « mises en scène » juridiques de la décen-
tralisation. Sur la question du territoire en droit public français, LGDJ, coll. « Droit
et société », Paris, 2009). Elle suppose, pour le moins, une double opération de
partage : entre ce qui appartient au champ du politique et ce qui est constitutif
de l’administratif d’une part (A), entre ce qui relève du public et ce qui revient au
privé d’autre part (B).

A. Du partage politique/administratif
1. Position du problème
Essayons de prévenir d’emblée le malentendu plus ou moins inhérent à la ques-
tion même de cette frontière. Il ne peut ici s’agir de discuter de la validité du
partage entre ce qui serait proprement administratif et ce qui relève du politique.
Le juriste lui-même ne manque pas d’arguments pour dire la vulnérabilité de ce
grand partage des rôles : de même que l’analyse de la jurisprudence administra-
tive permet d’établir la fonction politique du juge administratif (D. Lochak, Le rôle
politique du juge administratif français, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit public »,
Paris, 1972), l’examen du droit administratif a permis d’y trouver l’exposé d’une
« science du pouvoir » (P. Legendre, Trésor historique de l’État en France. L’adminis-
tration classique, Fayard, Paris, 1992). Quant aux « sciences de l’État », voilà belle
lurette qu’elles nous entretiennent de l’interpénétration de ces deux mondes : l’ad-
ministratif et le politique. Non, notre problème n’est pas de cet ordre : ces inter-
férences ne changent strictement rien à la nécessité de concevoir juridiquement
les limites de l’administration, lorsqu’on se propose de décrire les principes géné-
raux de l’organisation administrative. Mieux, l’interdépendance avérée du poli-
tique et de l’administratif oblige à d’incessantes opérations de repérage d’une
frontière aussi floue que nécessaire. Quelles que soient les difficultés auxquelles
le droit est ici confronté, il lui faut « tenir » cette frontière, puisque les territoires
qu’elle traverse et partage ne relèvent pas du même traitement ou statut juridique.

6
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

Autrement dit, ce sont ses propres divisions internes que règle le droit à chaque
fois qu’il se prononce sur le tracé de la frontière ; le droit est lui-même traversé par
le politique dont il doit délimiter le champ. C’est pour cela d’ailleurs que parler de
la substance politique du droit n’est nullement paradoxal. Cette qualité est inhé-
rente à sa fonction : la distribution des grands rôles sociaux. Cette tâche majeure
qu’il lui revient de servir le rend indissociable du politique dont il lui faut définir
les contours.

2. Éléments de réponse du droit administratif


En tant que discipline savante, le droit administratif ne pense-t-il pas son objet
en le démarquant, et en le tenant à l’écart du politique ? C’est ainsi que l’admi-
nistration selon le droit — la remarque englobe bien entendu tout ce qui relève de
l’organisation administrative — devient un espace neutre. Mieux, de cette neutra-
lisation dépend la prise en charge juridique du fait administratif, sa transposition
dans l’ordre du droit. Par cette opération, les juristes peuvent décrire l’adminis-
tration comme une fonction spécifique de l’État, soumise à un régime juridique
original, portant autant que de besoin la marque d’une exorbitance contrôlée —
on pourrait presque dire gérée — par la juridiction administrative. Dans l’explici-
tation qu’il a donnée de sa « théorie des bases constitutionnelles du droit admi-
nistratif », en forme de Préface à l’édition 1980 de son manuel, G. Vedel ne laisse
rien ignorer de ce mode de construction de l’objet « administration » du droit
administratif. Que la validité de ce mode de représentation des choses de l’État
soit discutable — elle ne manque d’ailleurs pas d’être discutée, y compris par les
juristes (C. Eisenmann, « La théorie des bases constitutionnelles du droit adminis-
tratif », RD publ. 1972. 1346-1422) — importe finalement assez peu. L’essentiel se
joue ailleurs : dans la délimitation aussi conventionnelle que nécessaire de tracés
symboliques permettant d’ordonner le « jeu » des institutions.
N’ayons pas peur des mots : la division opérée entre le politique et l’adminis-
tratif constitue l’un des paradigmes de la pensée juridique, telle qu’elle est mise
en forme dans la doctrine de droit administratif. Quelles que soient les variations
auxquelles elle est alors soumise, elle fait entendre cette thèse : le droit adminis-
tratif rejette le politique hors de son champ. À travers le droit qu’ils exposent,
les auteurs ne découpent et ne retiennent qu’une réalité — elle est faite tout à la
fois de structures et de fonctions — seconde et dérivée, car toujours subordonnée
aux organes politiques. Ce que l’on a fort bien résumé ainsi : « les missions de
l’administration ne sont jamais initiales mais toujours secondes ; elles consis-
tent à exécuter les tâches que les organes fondamentaux de l’État lui confient.
L’administration apparaît donc toujours comme l’ensemble des moyens permet-
tant d’exécuter les décisions du pouvoir politique » (R. Drago, Science administra-
tive. Caractères généraux de la science administrative. Les structures administratives,
Les cours de droit, Paris, 1980). La force de ce postulat d’une administration neutre
parce que politiquement surdéterminée est d’autant plus grande qu’il est large-
ment partagé. Il y a là une convention admise bien au-delà de la doctrine de droit
public. Dans ses définitions les plus classiques, la science administrative apparaît

7
Traité de droit administratif

elle aussi construite sur ces mêmes bases : « La science administrative peut être
définie comme la branche des sciences sociales qui tend à décrire et à expliquer
la structure et les activités des organes qui, sous l’autorité du pouvoir politique,
constituent l’appareil de l’État et des collectivités publiques » (B. Gournay, Intro-
duction à la science administrative, A. Colin, Paris, 1970). L’attitude de la science
politique a été elle aussi longtemps commandée par cette même présupposition
qui l’a conduite à délaisser l’administration, servant ainsi le programme neutrali-
sant du droit administratif. Il faut attendre les années 1980 et le développement
spectaculaire de l’analyse des politiques publiques pour que les politistes « inves-
tissent » le terrain où les investigations des juristes étaient jusqu’alors dominantes
(J.-L., Quermonne, « Administration publique et science politique », in Mélanges R.
Chapus, Montchrestien, Paris, 1992, p. 559-570). L’arrivée sur ces terres juridiques
d’une science politique se donnant l’action publique pour objet n’a guère modifié
les répertoires intellectuels de la doctrine de droit administratif : la même volonté
y persiste de refouler le politique, aussi loin que possible de l’administration.
On se limitera, pour les besoins de la présente démonstration, à rappeler les
principaux moyens que le droit met en œuvre pour rendre visible, par et dans les
mots, la singularité de l’administration entendue comme un en deçà du politique.
Les procédures les plus usuelles sollicitent principalement deux registres. Le droit
intervient en premier lieu, on l’a dit, pour soutenir la neutralité constitutive de
l’administration. Il déploie à cette fin toutes les ressources que lui offre la théorie
du service public. Qu’importent les difficultés rencontrées pour élaborer le statut
de cette notion et lui donner sens. Le service public permet toujours d’appré-
hender dans cette fonction sociale organisée qu’est l’administration une réalité « à
part », transcendant les conflits où se fonde la politique. Le droit, du moins dans la
tradition française, reproduit ici l’image d’une société rassemblée et unifiée autour
du mythe de l’intérêt général. Cette même volonté de neutralisation se devine
derrière nombre de formes juridiques, par exemple dans le droit de la fonction
publique, à travers l’obligation de réserve du fonctionnaire ou le traitement du
droit de grève des agents publics. L’enquête pourrait d’ailleurs se poursuivre du
côté du contentieux électoral et de la manière dont se répartissent les fonctions
de contrôle entre la juridiction administrative et le Conseil constitutionnel : on y
trouve le même souci de tenir l’administration hors des divisions et conflits qui
sont la marque de l’identité politique.
Cette stratégie de neutralisation n’est pas seule présente derrière les montages
juridiques. Ils permettent encore à l’administration de procéder à sa propre natu-
ralisation. On ne peut ignorer que la jurisprudence recourt parfois à cet argu-
ment d’autorité qu’est la référence, intimidante, à on ne sait quelle « nature des
choses ». Il s’agit alors de conférer à des choix contingents, et par voie de consé-
quence à des qualifications juridiques conventionnelles, la force de la nécessité.
Ce fut jadis l’attitude qu’adopta le Tribunal des conflits pour faire échapper, autant
que de besoin, les services publics industriels et commerciaux à l’application du
droit public (T. confl. 22 janv. 1921, Sté commerciale de l’ouest africain, concl.
Matter, S. 1924. 3. 34). Il est un ordre dont la contestation est tout simplement

8
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

vaine parce qu’il exprime la nature des choses. C’était encore le principe de juge-
ment retenu par le juge pour décider du caractère administratif de certaines caté-
gories de contrats intéressant la route, cette affaire si « naturelle » de l’État (La
vieille « jurisprudence Peyrot » à laquelle il est ici fait allusion a été depuis plusieurs
fois confirmée. V. par ex., CE, sect., 3 mars 1989, Sté des autoroutes de la région
Rhône-Alpes, RFDA 1989. 679, note Pacteau) ! Il est vrai qu’en l’occurrence c’est
une autre ligne de partage qu’il revenait au juge de tracer, entre l’Administration
et l’Entreprise.

B. Du partage public/privé
Le choix de cet énoncé ne vise pas à susciter d’inutiles inquiétudes : il n’an-
nonce aucune dissertation sur la fameuse summa divisio de notre ordre juridique.
Mais on voit mal comment l’évocation des principes généraux de l’organisation
administrative pourrait faire l’économie d’un rappel sur la manière dont le partage
public/privé se réfléchit dans les institutions. Aucune présentation du droit admi-
nistratif n’échappe, on le sait, à la « contrainte » d’une réflexion préalable sur la
bipolarité juridique. Il en va de même pour l’analyse des modes de description de
la structure administrative : elle condamne son auteur à revenir sur le partage des
institutions entre le droit public et le droit privé. Si les limites extérieures de l’ad-
ministration ne sont certainement pas données — et sans doute le seront-elles de
moins en moins — par le tracé de cette frontière, elles ne lui restent pas non plus
complètement étrangères. C’est ainsi que, sans en constituer l’objet, cette ques-
tion — ou plus exactement, cet aspect de la question — des contours de l’admi-
nistration intervient dans le présent chapitre : l’appartenance des institutions à
l’univers du droit public ou à celui du droit privé ne décide pas mécaniquement de
leur « administrativité », elle oblige à regarder l’organisation administrative comme
un ensemble capable de structurer des identités juridiques contrastées. Mais cet
ensemble n’est guère stabilisé : aujourd’hui, c’est surtout le droit communau-
taire qui contribue à entretenir le doute sur ses limites. Mais il ne s’agit en vérité
que de la version contemporaine d’une interrogation récurrente. On en veut pour
preuve le commentaire fameux que M. Hauriou réserva à la décision rendue par le
Tribunal des conflits dans l’affaire dite du canal de Gignac (M. Hauriou, note sous
T. confl. 9 déc. 1899, Assoc. synd. du canal de Gignac, S. 1900. 3. 49). Il y a là ce
qu’on pourrait appeler un travail doctrinal de dévoilement des grandes lignes de
partage symbolique que le droit fait travailler, que ce soit en les pérennisant ou en
les déplaçant.
S’il faut absolument faire ici retour sur le commentaire d’Hauriou, ce n’est pas
seulement parce qu’il met parfaitement à jour la fonction performative du droit,
l’aptitude du discours juridique à faire advenir la réalité qu’il nomme ; on découvre
encore derrière son propos ce qui continue de séparer les représentations que
donnent actuellement des limites extérieures de l’administration les droits français
et communautaire. Il n’est pas déraisonnable d’affirmer que la jurisprudence de
la Cour de Luxembourg fait entendre, comme en écho, quelque chose du discours

9
Traité de droit administratif

d’Hauriou marquant dans un même mouvement la séparation entre l’administra-


tion publique et l’entreprise privée et le partage entre le politique et l’économique.
Mais revenons à l’affaire elle-même qui offre au juge l’occasion de faire entrer une
association syndicale de propriétaires dans la catégorie de l’établissement public.
Ce qui pour Hauriou est inadmissible, « c’est d’incorporer à l’administration de
l’État des entreprises qui ne sont pas d’intérêt public, mais seulement d’intérêt
collectif, parce que la confusion du public et du collectif est proprement le fond
de la doctrine collectiviste, de telle sorte qu’on peut dire des associations syndi-
cales transformées en établissements publics qu’elles sont la première institution
collectiviste ». Hauriou n’hésite pas à déclarer, ces mots-là sont restés, « que c’est
grave, parce qu’on nous change notre État ». De fait, avec la décision rendue le
7 décembre 1899, le Tribunal des conflits modifiait, en l’enrichissant potentielle-
ment, le périmètre, c’est-à-dire la substance de l’État. Ce jour-là, le juge rectifiait,
au bénéfice de la première, le tracé de la frontière où l’administration publique
et l’entreprise se séparent. Dans l’argumentation que développe l’auteur pour
déconstruire cette nouvelle topographie toute une représentation du monde est
mise en place qui, bien plus tard, trouvera dans le droit communautaire une sorte
de réactivation. D’où ces problèmes récurrents d’adaptation de l’administration
selon le droit administratif français aux modèles normatifs européens ! Hauriou
nous donne les moyens de comprendre mieux ce qui se joue dans la technicité
même des doctrines qui se sont affrontées et s’affrontent encore, même si elles
ne le font plus avec la même vigueur (v. Conseil d’État, « Rapport public 1995,
Service public, services publics : déclin ou renouveau », EDCE, n° 46, La Documen-
tation française, Paris, 1995 ; Conseil d’État, Rapport d’étude sur les établissements
publics, La Documentation française, Paris, 2009). Cela s’éclaire par exemple à la
lecture d’une affirmation comme celle-ci, qui dit le changement de rationalité par
lequel le juge fait passer le droit de l’État : « Et jusqu’à présent, toute l’organisa-
tion de l’État a été ainsi politique, non point économique ». Pour intégrer les asso-
ciations syndicales de propriétaires dans l’appareil administratif de l’État, le juge
a dû déplacer le sens de l’intérêt général. Une opération lourde de conséquences
puisqu’elle revient en l’occurrence à confondre les intérêts collectifs propres à un
groupe particulier — celui des propriétaires regroupés dans une association —
avec l’intérêt public tout entier. Or, « les intérêts publics d’une collectivité sont
d’ordre politique, tandis que les intérêts purement collectifs sont d’ordre écono-
mique ; voilà la différence ». C’est bien là ce qui pour Hauriou ne « passe » pas : ce
mélange des genres qui aboutit à ce qu’une institution privée seulement vouée à
des opérations économiques devienne une composante à part entière du corps poli-
tique de l’État. Avec les réagencements institutionnels auxquels il a fallu procéder
ces dernières années — ce dont rendent compte les débats emblématiques autour
du mythe du service public « à la française » (J. Caillosse, « Le service public à
la française : déconstruction d’un mythe ? », in J.-J. Pardini et C. Deves [dir.], La
réforme de l’État, Bruylant, Bruxelles, 2005, p. 177-198) — pour satisfaire aux
exigences du droit communautaire, on pense notamment ici à la construction par
la Cour de justice de la notion de pouvoir adjudicateur (M. Karpenschif, « Définition

10
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

du pouvoir adjudicateur par la Cour de justice des Communautés européennes »,


AJDA 2004. 526-533), une autre conception du partage public/privé et des limites
extérieures de l’administration a pris forme en droit positif. Elle n’est pas sans
rappeler celle qu’Hauriou défend en 1899 contre un élargissement qu’il juge dérai-
sonnable des frontières de l’administration publique.

§ 2 Les agencements internes de l’organisation


administrative
Les difficultés du sujet présenté ici ne tiennent pas seulement aux incertitudes
de ses contours et aux disputes théoriques qu’entretient en doctrine la définition
de ces derniers (G. Vedel, « Préface à la septième édition », in Droit administratif,
PUF, coll. « Thémis », Paris, 1980, p. 19-38). Une fois arrêtées les discussions
auxquelles ne cesse de donner lieu en doctrine la question de la spécificité de
l’identité administrative, reste à décrire l’organisation interne de cet objet auquel
les juristes réservent le nom d’« administration ». Il faut s’y faire : cette description
pose, elle aussi, de redoutables problèmes théoriques. D’abord parce qu’elle n’est
qu’une manière de classer parmi d’autres, une méthode singulière de représenta-
tion de l’appareil de l’État, qui procède à partir des institutions (Encore convient-il
de rappeler que les institutions du juriste n’ont pas grand-chose à voir avec celles
de l’anthropologue notamment. V. M. Douglas, Comment pensent les institutions,
éd. La découverte, coll. « Recherches », 1999). Rien n’interdit de regarder diffé-
remment cette « administration », par exemple à partir des acteurs qui la compo-
sent et des systèmes d’action qu’ils construisent. Ensuite parce que cette lecture
institutionnelle n’emprunte pas toujours les mêmes voies. La doctrine se montre,
ici encore, profondément divisée. Pareille situation oblige à des choix. En l’occur-
rence, la méthode de description proposée dans les développements qui suivent
emprunte largement aux enseignements de C. Eisenmann sur les problèmes de
l’organisation administrative. Ce choix paraîtra peut-être risqué : ne renvoie-t-il pas
à la description d’une administration qui, matériellement et juridiquement, n’est
plus la nôtre ? Le risque est mineur, dès lors qu’il ne s’agit pas tant de faire voir
une administration particulière que de faire état d’un mode d’observation. Certes
les réalités qu’appréhende C. Eisenmann sont aujourd’hui transformées, mais la
manière propre à l’auteur d’observer les institutions n’est pas devenue caduque
pour autant.
Saisie comme un agencement de structures qui ont été conçues et organisées
en vue d’accomplir les fonctions administratives de l’État, l’administration qui
se construit dans le regard du juriste obéit à des principes de montage dont la
doctrine contemporaine impose l’usage, en même temps qu’ils s’imposent à elle,
à la manière d’un mode d’emploi. Dans tous les ouvrages de droit administratif
— l’observation vaut à coup sûr pour les manuels et traités les plus usuels —
se retrouve la même thèse, même si elle reçoit des expressions différentes d’un

11
Traité de droit administratif

auteur à l’autre : toute administration est constituée de structures fonctionnelles et


de structures territoriales. Il est donc globalement admis que pour dire ce qu’est
une administration, il faut faire « jouer » entre elles deux variables principales : la
première renvoie au rapport qu’entretient l’administration avec la division sociale
du travail (A) ; la seconde concerne la distribution territoriale des tâches adminis-
tratives (B).

A. La division fonctionnelle des tâches administratives


Regardée du point de vue de la division fonctionnelle des tâches, c’est-à-dire
depuis les « secteurs » d’intervention et non les territoires où l’action publique est
conduite, la structure d’ensemble de l’appareil administratif apparaît principale-
ment composée par deux grands types d’organes. On les distinguera en fonction
de leur mode de direction ou de commandement. C’est dire que le droit invite
à considérer deux modèles principaux d’administrations spécialisées ou secto-
rielles, selon que leurs autorités dirigeantes appartiennent à l’exécutif ou n’en font
pas partie. On est donc conduit à présenter, très succinctement, la problématique
générale des administrations ministérielles avant celle des administrations non
ministérielles.

1. Problématique générale des administrations ministérielles


Ramenées à leur expression la plus simple, les questions qu’adresse l’organi-
sation ministérielle à la théorie juridique — comme d’ailleurs à la science admi-
nistrative dont elle n’est ici guère dissociable — sont surtout de deux ordres. Le
juriste — mais il n’est pas seul dans cette position — doit d’abord faire face à
la question de l’unité de/dans l’organisation ministérielle. Encore aura-t-il à s’in-
terroger sur la rationalité du dispositif (v. J. Fournier, Le travail gouvernemental,
Presses de la Fondation nationale des sciences politiques et Dalloz, coll. « Amphi »,
Paris, 1987 ; Conseil d’État, Structures gouvernementales et organisation adminis-
trative, La Documentation française, Paris, 1986 ; École nationale d’administra-
tion, promotion René Char, Le travail gouvernemental, La Documentation française,
Paris, 1996).
a. À la question de l’unité, deux éléments de réponse sont envisageables, qui,
à défaut de régler le problème, aident à en « fixer » les limites et les enjeux.
Il y a en premier lieu les leçons que livre l’expérience de l’administration fran-
çaise sous la Ve République. Il existe ainsi, dans l’ordre du droit comme sur le
terrain des pratiques, des mécanismes régulateurs grâce auxquels il est permis
d’affirmer que l’administration obéit à un principe d’unité. L’institution du fameux
« bicéphalisme » administratif n’exclut nullement une direction unitaire. Aucun
modèle pluriel d’administration ne s’est même imposé au cours des phases de
cohabitation pendant lesquelles le chef de l’État et le Premier ministre ne parta-
geaient pas la même conception de l’action publique. Notre droit politique fait
des autorités ministérielles les composantes d’une organisation unique, apparte-
nant au même appareil d’État. Chaque ministre s’est vu reconnaître depuis long-

12
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

temps par la jurisprudence un pouvoir hiérarchique sur l’ensemble de ses services


(CE 7 févr. 1936, Jamart, Lebon 172). Loin d’être par là entièrement libre des
choix fondamentaux engageant la vie de son ministère, il est « contraint » par
la logique unitaire à laquelle le fait participer la Constitution. Cette dernière, on
le sait, organise la double suprématie du président de la République et de son
Premier ministre sur chacun des membres du gouvernement pris individuelle-
ment. C’est ainsi qu’ils ne disposent pas en principe du pouvoir réglementaire
dont sont investies les deux autorités supérieures. Le texte fondamental fait par
ailleurs du Conseil des ministres une instance juridiquement décisive où se pren-
nent parmi les décisions les plus importantes, en forme de décrets signés par le
chef de l’État. Mais au-delà du droit, l’unicité de l’organisation ministérielle trouve
à se construire dans la tradition institutionnelle française. On pense en priorité
au secrétariat général du gouvernement dont on peut dire qu’il est une sorte de
mémoire gouvernementale. On pense encore à la fonction « unificatrice » qui peut
être celle du ministre de l’économie et des finances, en raison de sa possible
influence sur les arbitrages rendus par le Premier ministre. Ce rôle est comme
contenu en creux dans l’article 22 de la Constitution : « Les actes du Premier
ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécu-
tion ». Cette situation n’est d’ailleurs pas sans faire elle-même problème. L’histoire
récente montre une volonté récurrente de distribuer entre plusieurs ministères
les services économiques et financiers des gouvernements de la Ve République
(J. Chirac, « La réforme du ministère des finances », Le Monde, 12 mai 1977).
Quant à l’autre élément de réponse annoncé plus haut, il s’impose en correction
du précédent. L’unification par le haut de l’organisation ministérielle dont il vient
d’être question ne vaut évidemment pas garantie d’une exécution toujours unitaire
de la fonction administrative. Les récits les plus ordinaires de la vie politique font
entendre ou donnent à voir les effets pervers d’une spécialisation fonctionnelle
des tâches qui « tourne » parfois à la division. C’est le cas lorsque le gouverne-
ment n’est plus en état d’occulter ses propres dissensions. Pareille situation ne
saurait surprendre dès lors que les valeurs et les intérêts dont sont en charge les
administrations ministérielles entrent en conflit. Une théorie générale de l’orga-
nisation administrative tirerait, on s’en doute, grand profit de l’analyse systéma-
tique de ces divisions. Là se réfléchissent, à des titres divers selon les ministères
concernés, les rapports singuliers qu’entretient chaque administration sectorielle
avec les milieux dont elle a la « tutelle ». Les appareils publics sont en effet plus ou
moins sensibles et perméables aux valeurs et aux intérêts des groupes sociopro-
fessionnels (agriculteurs, commerçants, enseignants, entrepreneurs, etc.) qu’ils ont
pour interlocuteurs. Pour cette raison, l’appareil administratif de l’État ne peut pas
être cet instrument unitaire que supposent ses représentations juridiques. C’est
qu’il lui faut composer avec des réalités sociales qui sont en situation de concur-
rence, sinon de conflit. Et ces logiques corporatives rivales demeurent rarement
sans effet sur un système administratif qui répercute, non sans médiations, jusque
dans son organisation interne, ces divisions propres au corps social.

13
Traité de droit administratif

b. On retrouvera sans mal derrière ces quelques remarques ce que les variations
sans rigueur sur le standard de la « bonne gouvernance » cherchent aujourd’hui à
désigner : comment adapter les appareils publics aux exigences toujours renou-
velées de plus grande rationalité ? Cette interrogation qui porte au fond sur la
composition idéale du gouvernement n’est évidemment pas de nature juridique.
Si cet « objet » est par excellence politique, les formes dans lesquelles l’adminis-
tration gouvernementale s’organise ne sont pas étrangères à l’état du droit. Un
raisonnement en deux temps aidera à saisir le rôle qui revient au juridique dans
cette affaire.
Le mouvement d’élargissement des fonctions prises en charge par les adminis-
trations de l’État dans le cours des XIXe et XXe siècles (v. P. Rosanvallon, L’État en
France de 1789 à nos jours, Seuil, coll. « L’univers historique », Paris, 1990) constitue
un fait premier. L’augmentation, longtemps incessante, du nombre des ministères,
à partir des six départements officialisés pendant la Révolution, les réajustements
permanents d’une structure gouvernementale à géométrie variable, tout cela éclaire
en effet nombre de dysfonctionnements sur lesquels la science administrative a
fini par construire une part de son identité intellectuelle (v. Conseil d’État, Struc-
tures gouvernementales et organisation administrative, La Documentation française,
Paris, 1986). Le travail de recomposition de la structure gouvernementale entrepris
en France dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP)
depuis les années 2007-2008 met aussi en pleine lumière les difficultés auxquelles
peut se heurter le pouvoir politique pour adapter les organes centraux de l’État aux
transformations voulues de la fonction administrative (v. E. Woerth, RGPP, 2e rapport
d’étape au président de la République, Paris, mai 2009). Le mouvement observé ici
ne concerne d’ailleurs pas seulement le nombre des ministères, il s’entend encore
de la multiplication des subdivisions administratives au sein de chaque département
ministériel. Certes le ministre ne dispose pas d’une entière liberté pour organiser ses
propres services : pareille opération reste conditionnée par le contenu matériel de
ses attributions, lesquelles sont fixées par décret en Conseil des ministres, pris après
avis du Conseil d’État ; et l’organisation des services centraux relève elle-même d’un
décret en Conseil d’État. Mais le pouvoir ministériel s’exerce au-delà de ce condi-
tionnement juridique et les changements d’orientation politique ne manquent pas
de se traduire par des réaménagements structurels. Ce remue-ménage institutionnel
se pratique d’autant plus aisément que les directeurs d’administrations centrales
appartiennent à la catégorie des fonctionnaires à la décision du gouvernement dont la
gestion relève du pouvoir discrétionnaire de l’autorité politique.
Sans doute peut-on avancer que la structure du gouvernement n’est jamais tota-
lement étrangère au traitement que lui réserve le droit politique. C’est probable-
ment plus évident là où la Constitution par exemple détermine le nombre comme
les attributions sectorielles des ministères. Ailleurs, même si la forme donnée au
gouvernement ne porte pas la marque de ce « modèle » constitutionnel, elle a
trouvé ses conditions de possibilité juridiquement définies. Raisonnant sur le cas
français, on y trouve la règle suivante : la Constitution laisse le pouvoir exécutif
libre de définir lui-même sa propre organisation. Dans cet espace ouvert par le

14
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

droit, la structure gouvernementale ne peut qu’être promise au jeu des variations.


S’il est parfaitement possible de trouver des explications à ces mouvements-là,
elles ne relèvent certainement plus du savoir du juriste : facteurs historiques, consi-
dérations techniques, et autres préférences politiques se mêlent ici pour donner
figure aux institutions.

2. Problématique générale des administrations d’État non ministérielles


Les tâches matérielles et juridiques qu’implique la fonction administrative de
l’État ne relèvent pas toutes, loin s’en faut, de la structure ministérielle. Elles sont
tout au contraire partagées entre une multitude d’organismes dont les autorités
directrices n’appartiennent pas au Gouvernement. En les regroupant ici sous une
même rubrique, on ne suppose pas qu’elles constituent une catégorie juridique,
au sens où l’appartenance à celle-ci conditionne l’application d’un régime juri-
dique commun. Depuis une trentaine d’années, la tendance à une fragmentation
accrue de l’appareil d’État fournit un objet commun de recherche à la science
administrative et à la doctrine de droit administratif (J. Chevallier, L’État postmo-
derne, LGDJ, coll. « Droit et société », Paris, 2008). Les formes dans lesquelles se
réalise à présent la fonction administrative ne cessent de se diversifier, mettant à
mal d’anciennes lignes de partage, tant entre structures relevant du droit public
ou du droit privé qu’entre personnes morales de droit public. Ce brouillage institu-
tionnel est même l’une des marques que l’on retient pour caractériser l’avènement
d’une « postmodernité juridique ». Outre la création intarissable d’établissements
publics, le développement des autorités administratives indépendantes, le paysage
administratif s’est chargé d’entités nouvelles, qu’il s’agisse notamment des grou-
pements d’intérêt public, des autorités publiques indépendantes, ou encore de ces
objets juridiques plus difficilement identifiables que l’on dénomme des « agences »
(V. plus précisément sur ce thème, infra, Section 2, § 2, C.). À travers ces formes
juridiques plus ou moins hybrides l’État invente les moyens de sa propre démul-
tiplication. S’ils sont confrontés à de redoutables problèmes de qualification
(v. Conseil d’État, op. cit., 2009 ; J. Chevallier, « Le statut des autorités administra-
tives indépendantes : harmonisation ou diversification ? », RFDA 2010. 896-900),
les juristes savent qu’ils continuent d’évoluer dans un espace juridique qui relève
de l’État, où l’État se donne à voir sous d’autres identités. Sans du tout prétendre
constituer cette nébuleuse en catégorie juridique inédite, relevons qu’au-delà d’une
impressionnante hétérogénéité, ces organismes obéissent malgré tout, à des titres
divers, à deux grands principes : l’autonomie et la spécialité.
a. Remarques sur le principe de spécialité. S’il est tout particulièrement la
marque de l’établissement public — à condition toutefois de ne considérer que
le seul appareil d’État, car dans le champ de l’administration décentralisée s’est
imposé un modèle franchement généraliste d’établissements publics territo-
riaux dont les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) sont
aujourd’hui la plus édifiante expression — ce principe de spécialité est une autre
qualité commune à ces formes administratives que l’on soumet ici à un même
traitement didactique. Toutes ces structures qui ont une compétence nationale

15
Traité de droit administratif

voient par principe leurs activités déterminées par leur spécialité. Leur champ
d’action est donc limité, « circonscrit par le périmètre de ses missions » écrit,
p. 11, le Conseil d’État dans son « Rapport d’étude sur les établissements publics »
de 2009. On a donc affaire à une logique d’administration verticale conduite par
des unités opérationnelles autonomes, par opposition aux modes d’action horizon-
tale que suppose l’interministérialité. Ce constat n’est pas tout à fait innocent : on
peut imaginer sans mal les risques de conflit que porte, en situation, la rencontre
possible entre ces deux rationalités ! Toujours est-il qu’avec ce principe, même
s’il est aujourd’hui quelque peu malmené du fait des politiques de modernisa-
tion, les juristes disposent d’un instrument de lecture de l’organisation administra-
tive. Il leur rend au moins possible une distinction entre deux types d’institutions
administratives, celles qui sont délibérément constituées pour n’exercer, sous le
contrôle du juge, qu’une tâche ou un groupe de tâches déterminées — tel est le
cas des entités dont il est maintenant question —, et celles qui, au contraire, ne
connaissent aucune limitation de principe à leur compétence, en dehors du terri-
toire qui leur est assigné.
b. Remarques sur le principe d’autonomie. La réalisation institutionnelle de
cette autonomie passe, c’est certain, par de sérieuses variations. Mais si l’auto-
nomie n’est pas une dans ses modalités d’exercice, elle est une dans son principe.
C’est bien parce que leur création répond à la volonté étatique d’une réalisation
autonome, ou plus autonome, de l’action publique, qu’agences, autorités adminis-
tratives indépendantes, autorités publiques indépendantes, établissements publics,
et autres groupements d’intérêt public ne peuvent être désormais saisis qu’en-
semble par l’analyse juridique, à travers la confrontation méthodique de leurs
traits communs et/ou de leurs différences les plus marquantes. On a longtemps
considéré la personnalité morale comme la technique juridique la mieux adaptée
à l’exigence de l’autonomie : l’organisme public qui, au sein même de l’adminis-
tration d’État, s’en trouve bénéficiaire, dispose ainsi d’une autonomie de gestion
d’autant plus affirmée qu’elle est portée par une institution juridiquement identi-
fiée. Le succès que continue de rencontrer la formule de l’établissement public —
par-delà un état de crise sur lequel la doctrine ne manque pourtant pas de multi-
plier les alertes — montre tout l’intérêt pratique de cette technologie dont les
usages se sont étendus au cas des agences (encore qu’elles ne soient pas toutes
dotées de la personnalité morale), à celui des autorités publiques indépendantes
que l’on a pris l’habitude de présenter comme des autorités administratives indé-
pendantes auxquelles on aurait reconnu la personnalité morale, ainsi qu’aux grou-
pements d’intérêt public dont la qualité de personnes morales de droit public a fini
par être admise après quelques tergiversations (T. confl. 14 févr. 2000, GIP Habitat
et interventions sociales c/ Mme Verdier, AJDA 2000. 465). Cette forme personna-
lisée de l’autonomie qui est tout à la fois juridique et financière, est placée sous
la protection jurisprudentielle du Conseil d’État. Le juge ne manque pas de sanc-
tionner les décisions de l’État qui empiètent sur le champ des compétences, par
exemple réglementaires, qui sont constitutives de l’autonomie (V. pour illustration,
CE, 4 juin 1993, ass., Assoc. des anciens élèves de l’ENA, Lebon 168). La reconnais-

16
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

sance pleine et entière de cette autonomie conduit de la même manière le juge


à considérer que les agissements de l’organisme personnalisé sont susceptibles
d’engager sa seule responsabilité et qu’ils ne sauraient être imputables à l’État
(O. Schrameck, op. cit., p. 1239, fait remonter ce raisonnement à une décision
du Conseil d’État en date du 1er avr. 1938 : CE 1er avr. 1938, Sté de l’hôtel d’Albe,
Lebon 341).
Non seulement l’autonomie ainsi instituée n’exclut pas le contrôle juridic-
tionnel, mais elle définit une forme subtile d’équilibre entre le sujet de droit qui
en bénéficie et l’État dont il relève et qu’en même temps il « incarne ». Bref l’au-
tonomie de gestion dont il est ici question n’a rien d’incompatible avec l’existence
de certaines contraintes imposées par l’État, dans le cadre de son pouvoir de
tutelle. On sait que les organisations publiques spécialisées, aussi personnalisées
soient-elles, ne connaissent pas l’équivalent de la libre administration des collec-
tivités territoriales (v. infra B). Certes, cette tutelle est a priori exclusive de toute
manifestation de pouvoir hiérarchique. Contrairement à ce dernier elle ne peut
d’ailleurs s’exercer sans texte, ni en dehors des limites que les textes lui assignent.
Même ainsi contenue, l’autorité de tutelle reste investie de pouvoirs — annulation,
approbation, autorisation, voire substitution — dont la manœuvre peut fort bien
compromettre le statut d’autonomie. Au-delà des difficultés théoriques auxquelles
se heurte la définition juridique de cette dernière, parce qu’elle connaît, jusque
dans les textes qui en déterminent l’économie, d’importantes variations, il y a l’ex-
trême diversité des pratiques. Les rapports de tutelle se vivent sur des modes très
contrastés : ils permettent ici d’échapper aux pressions qui entameraient la liberté
de choisir et de décider, là au contraire ils se font tellement pesants qu’ils compro-
mettent toute gestion autonome de l’action publique. C’est bien pourquoi l’émer-
gence récente de la notion d’autorités publiques indépendantes fait débat en
doctrine. Conçues à la manière d’autorités administratives indépendantes dotées
de la personnalité morale, elles se voient soumises à un corps de règles fortement
informé par celui des établissements publics. Reste à savoir jusqu’où ce modèle
institutionnel auquel appartient la tutelle est capable d’accueillir tout ce que
réclame la réalisation d’une forme administrative d’indépendance — dont on ne
manque évidemment pas de parler en termes d’« oxymore juridique » (P. Gélard,
« Rapport sur les autorités administratives indépendantes », présenté au nom de
l’Office parlementaire d’évaluation de la législation, Ass. nat., n° 3166 et Sénat
n° 404, Paris, 2006). Prenons au sérieux cette revendication d’indépendance.
Retenons pour lui donner sens l’esquisse de définition suivante (P. Rosanvallon,
La légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité, Seuil, coll. « Les livres
du nouveau monde », Paris, 2008) : « Être indépendant définit un statut : c’est se
trouver dans une position où l’on peut résister aux pressions, lorsqu’on en subit,
où l’on peut se déterminer de façon autonome parce qu’on n’est pas inscrit dans
une chaîne hiérarchique, soumis à une autre autorité (…) Être indépendant, c’est
être libre d’effectuer un choix ou de prendre une décision ». On le voit, en choisis-
sant de ne pas faire entrer certains organismes publics dans l’ensemble formé par
les autorités administratives indépendantes (AAI) pour les créer en forme d’autorités

17
Traité de droit administratif

publiques indépendantes (API), le législateur prend le risque d’aggraver le brouillage


juridique, alimentant le doute sur l’indépendance que le droit conçoit.
Si la personnalité morale est une technologie juridique destinée à créer de l’au-
tonomie institutionnelle, l’État n’y maintient pas moins des liens de tutelle dont
on comprend bien que l’usage peut difficilement servir l’exigence d’indépendance.
Celle-ci trouve-t-elle un cadre plus propice à son déploiement dans l’expérience
des AAI (J. Chevallier, « Réflexion sur l’institution des autorités administratives
indépendantes », JCP 1986. 3254 ; « Le statut des autorités administratives indé-
pendantes : harmonisation ou diversification ? », RFDA 2010. 896-900) ? Avec ces
organismes dont on sait la fortune depuis une quarantaine d’années, nous voilà
en présence d’administrations singulières : considérées comme administratives
puisqu’elles n’appartiennent ni à la sphère parlementaire (elles sont créées par
le Parlement qui dispose du pouvoir de les faire disparaître) ni à l’univers juridic-
tionnel (leur activité est placée sous le contrôle du juge, judiciaire ou administratif
selon les cas), elles ne perturbent pas moins les repères que pose le droit pour
marquer le partage entre le politique, l’administratif et le juridictionnel. Avec les
AAI, une rupture s’accomplit bel et bien avec l‘ordonnancement juridique tradi-
tionnel des pouvoirs. Ne s’agit-il pas de rendre indépendants des organismes que
l’on continue de vouloir administratifs, alors même qu’il est dit par l’article 20 de
la Constitution que « le Gouvernement dispose de l’“administration” » ? Force est
donc d’admettre l’existence d’administrations dont le Gouvernement ne dispose
pas ; d’institutions qui, sans constituer une alternative à l’administration tradition-
nelle à laquelle elles ne cessent d’appartenir, en ignorent la dépendance hiérar-
chique comme la subordination à une quelconque autorité de tutelle ; de struc-
tures dont l’indépendance n’exclut pas la dépendance, puisque, dépourvues de la
personnalité morale, leur « état » juridique oblige à y voir des « segments de l’exé-
cutif » (J.-B. Auby, « Remarques terminales », RFDA 2010. 931-935). Ce que le droit
désigne comme indépendant ne se laisse donc pas saisir aisément. Ce « statut » ne
saurait exclure de la subordination, à condition qu’elle ne soit pas de nature poli-
tique : une autorité administrative ne peut être dite indépendante que si son acti-
vité juridique se développe librement, c’est-à-dire hors instruction politique. Si l’ex-
périence montre une banalisation certaine des AAI liée à leur « intégration institu-
tionnelle » (J.-L. Autin, « Le devenir des autorités administratives indépendantes »,
RFDA 2010. 875-883), le phénomène juridique dont elles sont la manifestation
garde malgré tout sa singularité. Cette dernière est tout à la fois organique — leur
insertion dans l’appareil d’État ne se réalise pas sur le mode usuel de la hiérarchie
mais obéit, on le verra, à une tout autre logique, celle du réseau — et fonctionnelle :
les modes d’intervention des AAI ne sont pas limités par les formes classiques de
l’administration traditionnelle ; avec elles la décision se fait régulation (G. Timsit,
« La régulation : naissance d’une notion », in G. Timsit, Archipel de la norme, PUF,
coll. « Les voies du droit », Paris, 1997, p. 161-231). Des dispositifs réticulaires
pour des actions régulatrices, ces figures appartiennent à une rhétorique des plus
codées : celle qu’empruntent désormais les descriptions du changement adminis-
tratif (c’est là l’objet de la Section 2).

18
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

B. La distribution territoriale des tâches administratives


On évitera ici encore de se croire en territoire connu, sous prétexte que les
juristes l’auraient conquis, y imprimant leurs marques depuis longtemps. Ces
derniers l’ont certes parcouru dans tous les sens et exploré dans ses moindres
recoins. De toute cette activité il résulte une abondante « cartographie » juridique.
Le problème est que les « cartes » ainsi produites ne donnent pas toujours pas à lire
la même organisation administrative de l’espace. C’est que la représentation de
cet objet suppose des techniques de lecture bien particulières. Ce n’est sans doute
pas ici le lieu de confronter les approches de la question territoriale que prati-
quent les sciences sociales (J. Caillosse, op. cit., 2009). Les divisions de la doctrine
juridique disent à elles seules les difficultés qu’éprouvent les juristes à vivre sur le
même territoire ! Ces troubles juridiques de la vue sont — comment en douter ?
— une affaire des plus sérieuses : ils conduisent les juristes à emprunter des voies
fort divergentes et à ne pas décrire les mêmes paysages administratifs. Or ce qui
est alors en jeu, c’est la forme même de l’État, ou, pour parler comme Hauriou, sa
manière d’être (F. Fournié, Recherches sur la décentralisation dans l’œuvre de Maurice
Hauriou, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit public », Paris, 2005).
On sait comment agit la doctrine en cette matière : elle analyse le droit positif
à partir des catégories qu’il met lui-même en place et elle dispose ainsi d’un maté-
riel de qualification lui permettant, entre autres choses, de distinguer l’État unitaire
de l’État fédéral, la décentralisation de la déconcentration, les collectivités terri-
toriales des établissements publics. Mais ce n’est pas parce que les juristes font
travailler les mêmes catégories qu’ils s’accordent sur une présentation des struc-
tures territoriales de l’administration. Il faut dire que les politiques de décentrali-
sation et de déconcentration qui ne quittent guère les agendas gouvernementaux
depuis le milieu des années 1970 contribuent grandement à mettre sous tension
la mécanique binaire du droit, le fonctionnement par couples des qualifications
juridiques traditionnelles. Une fois exposée l’économie du système que compose
la distinction décentralisation/déconcentration, on s’interrogera sur la portée et la
valeur de cette distinction.

1. Décentralisation/déconcentration : raisons d’être d’une distinction


Voici au moins une proposition sur laquelle l’accord doctrinal semble s’être fait :
c’est dans la mise en opposition des notions de décentralisation et de déconcen-
tration que se trouvent les bases d’une théorie juridique de l’organisation territo-
riale de l’administration. Ces deux modèles types ne permettent certainement pas
d’en décrire toute la réalité. Mais sans eux aucune description des agencements
institutionnels n’est même concevable. C’est bien pourquoi les ouvrages de droit
administratif reprennent tous ce montage intellectuel dont ils proposent un mode
d’emploi. L’opération consiste à déployer une double opposition structurelle, entre
des administrations centralisées et décentralisées d’une part, entre des administra-
tions concentrées et déconcentrées d’autre part.

19
Traité de droit administratif

a. Formes centralisées et décentralisées d’administration. L’étude de cette


question montre qu’il existe une distribution territoriale de l’action publique,
laquelle est permise par le double maillage du territoire que réalisent administra-
tions d’État et administrations de collectivités territoriales. L’identité juridique de
ces entités doit être construite, comme doivent être élucidés les rapports qu’elles
entretiennent : la théorie du pouvoir hiérarchique est au cœur de cette entreprise
intellectuelle.
La distinction qu’établissent les juristes entre administrations d’État et adminis-
trations de collectivités territoriales ne fait guère problème. Elle dépend de la situa-
tion de l’organe dirigeant : les premières ont à leur tête une autorité centrale de
l’État, dont la compétence ne connaît pas de limitation territoriale ; les secondes
sont dirigées par des organes territoriaux dont les compétences ne peuvent en
principe être mises en œuvre que dans les seules limites de leurs collectivités
respectives (communes, départements, régions). Le choix d’une terminologie
rigoureuse s’impose, qui permettra de prévenir tout malentendu. Parler ici d’ad-
ministration locale par exemple est de nature à introduire les pires confusions :
cette notion désigne en effet indistinctement deux types d’institutions qui appar-
tiennent à deux catégories juridiques différentes : l’administration locale n’est
pas le propre des collectivités décentralisées ; l’État possède aussi ses propres
administrations locales, les services déconcentrés. Mais, à la différence des entités
décentralisées, ces derniers relèvent de l’appareil d’État dont ils ne sont que des
segments locaux. Les organes locaux de l’État sont partie intégrante de sa struc-
ture, intégrés dans sa hiérarchie institutionnelle. Les administrations de collecti-
vités locales ou territoriales ont leur propre structuration. C’est en suivant cette
ligne de partage que l’on peut définir juridiquement la décentralisation. À chaque
fois que des organes locaux sont placés sous la dépendance hiérarchique d’un
organe central, ils relèvent de l’administration centralisée. Si tel n’est pas le cas, on
a affaire à une administration décentralisée. L’absence d’une dépendance de type
hiérarchique ne signifie évidemment pas qu’il n’existe aucun contrôle des organes
locaux par l’autorité centrale : le droit d’un État qui demeure unitaire, — l’indivisi-
bilité de la République — ne saurait s’accommoder d’un pareil « relâchement » du
lien juridique. Même dans le cas de la décentralisation la plus avancée, ce contrôle
ne peut pas ne pas être institué. Mais il ne pourrait se faire hiérarchique sans
compromettre le projet même de la décentralisation. C’est à ce contrôle qu’était
réservé le nom de tutelle avant les grandes réformes de 1982. Quant à la suppres-
sion de cette institution par la loi de mars 1982, elle n’a pu se concevoir que dans
les limites permises par la Constitution : il a bien fallu réinventer le contrôle de
l’activité juridique des nouvelles collectivités décentralisées. On le voit, le partage
entre les formes décentralisées et centralisées de l’administration se fait, pour l’es-
sentiel, en fonction du rapport qu’elles entretiennent avec le pouvoir hiérarchique.
Quelle est, pour la théorie juridique, la singularité d’un tel pouvoir ? Selon
C. Eisenmann, il confère à son détenteur une aptitude à faire prévaloir sa volonté
personnelle. L’auteur se plaît à parler de libre arbitre sur celle de des subordonnés,
et cela sans la médiation d’un texte, alors que la tutelle — ou les formes de contrôle

20
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

conçues depuis sa suppression de principe — ne peut, ainsi qu’on l’a dit, s’exercer
sans texte. Partout où un pareil pouvoir existe dans l’administration, il a vocation à
régir tout à la fois l’action — ou l’inaction — juridique des agents subordonnés et
leur personne. Pour atteindre ces objectifs, le supérieur hiérarchique pourra inter-
venir aussi bien en délivrant des habilitations qu’en opposant des interdictions,
qu’elles passent par la voie de l’annulation ou celle de la réformation. Mais l’es-
sentiel tient ici aux conditions d’exercice de ces interventions : ce que les juristes
appellent l’opportunité. De celle-ci dépend en effet toute l’intensité du pouvoir
hiérarchique. L’autorité qui agit en opportunité est dispensée de devoir argumenter
depuis des considérations d’ordre juridique ; elle peut valablement se déterminer
à partir de motifs de pur fait, qu’ils soient de nature technique, financière, poli-
tique, philosophique, etc. Rien n’empêche, dans un tel contexte, que puisse être
annulée par l’autorité étatique compétente la décision, même légale, d’une collec-
tivité locale, dès lors qu’elle serait considérée comme inopportune. Voilà pourquoi
on peut dire du pouvoir hiérarchique qu’il investit ses bénéficiaires du droit de
faire prévaloir leur volonté propre.
Ainsi présenté, le pouvoir hiérarchique sert pleinement une représentation
homogène et unifiée de l’appareil d’État. Il participe de son efficacité et condi-
tionne sa rationalité. Les juristes retrouvent ici, par des voies qui leur sont propres,
l’idéal-type wébérien de la bureaucratie moderne. On ne s’en étonnera pas puisque
la construction juridique est elle-même modélisée : elle n’est qu’un procédé de
lecture d’une réalité institutionnelle parfois fort éloignée de sa représentation. Les
travaux les plus classiques de la sociologie des organisations (v. M. Crozier, Le
phénomène bureaucratique, Seuil, coll. « Points », Paris, 1963 ; F. Dupuy et J.-C.
Thoenig, op. cit.) ont établi, par exemple, que l’exercice du pouvoir décisionnel
dans l’administration française est loin de suivre toujours les lignes supposées
du pouvoir hiérarchique. Les enquêtes montrent que des « hiérarchies parallèles »
se constituent parfois, qui redoublent et neutralisent la répartition juridique des
fonctions. Les juristes sont d’ailleurs eux-mêmes contraints de repenser leurs
propres modèles d’analyse. Il leur faut ainsi revoir à la baisse le rôle explicatif de la
hiérarchie dans l’organisation administrative, au regard des développements spec-
taculaires de l’action publique contractuelle (J.-P. Gaudin, Gouverner par contrat.
L’action publique en question, Presses de sciences po, Paris, 1999).

b. Formes concentrées et déconcentrées d’administration. Si la saisie juri-


dique de cette frontière obéit à des règles simples, l’expérience laborieuse des poli-
tiques de déconcentration, depuis le milieu des années 1960 jusqu’aux dernières
réformes en cours de réalisation (v. infra, Section 2, § 2, C) montre la résistance
qu’opposent les faits aux partages tracés par le droit. En l’occurrence ceux-ci
opèrent au sein même de l’administration centralisée, là où les rapports entre
organes centraux et non centraux sont institués en mode hiérarchique. C’est dire
qu’à la question de savoir qui exerce alors le pouvoir de décision, le droit avance
deux réponses types. La première désigne un organe central — il s’agira en réalité
la plupart du temps d’un ministre — qui exerce sur les autorités locales de l’État

21
Traité de droit administratif

un pouvoir hiérarchique. Ces dernières sont en charge de l’exécution des déci-


sions centrales. Telle est l’hypothèse de la concentration. Il est une autre réponse
possible selon laquelle le pouvoir décisionnel est distribué entre différentes auto-
rités locales. Appartenant toutes à la même administration d’un État centralisé,
elles ne peuvent évidemment en compromettre l’unité d’action nécessaire. Mais le
respect de cette exigence n’exclut pas la reconnaissance d’un pouvoir autonome
d’initiative. Telle est l’hypothèse de la déconcentration. On voit bien que le raison-
nement juridique n’a pas grand mal à lui faire toute la place nécessaire. Autre
chose est d’en trouver la traduction pratique, dans les agencements institutionnels.
Toutes les difficultés que l’on pressent ici se réfléchissent jusque dans la jurispru-
dence du Conseil d’État, lorsqu’il en vient à qualifier le préfet d’« organe de l’auto-
rité centrale » (v. en ce sens, CE 16 nov. 1994, Fédération CGT des services publics,
RFDA 1995. 226).
Reconnaissons qu’à la question ici posée : qui décide ?, la réponse ne peut
être exclusivement juridique. Pareille affaire n’a aucune chance de se régler vrai-
ment dans les textes. La solution dépend encore de la confiance que les autorités
centrales accordent, en situation, aux organes déconcentrés. Il faut bien dire par
ailleurs que les limites de la déconcentration sont assez rapidement atteintes. On
imagine mal le préfet par exemple, qui tire toute sa légitimité de sa qualité de
« représentant de chacun des membres du Gouvernement », (art. 72, al. 5 de la
Constitution), poursuivre dans le cadre de son département ou de sa région une
stratégie propre. L’autonomie de gestion que lui ouvre la déconcentration n’a de
sens que dans le cadre des objectifs globaux du Centre. Au-delà de ce seuil, le
problème change même de nature et l’on voit mal comment ne pas alors envi-
sager une redistribution plus large de la fonction administrative, au bénéfice des…
collectivités territoriales elles-mêmes ! Il y a dans la « nature » de la déconcentra-
tion quelque chose de paradoxal : elle peut en développant sa propre dynamique
montrer toute la nécessité d’un plus grand décentrement de l’action publique.

2. Décentralisation/déconcentration : portée et valeur d’une distinction

a. L’« impensé » de la doctrine. Comme cela l’a été affirmé plus haut, il
n’est pas même imaginable de faire ici retour sur l’énorme corpus doctrinal
qu’ont constitué les juristes en cette matière. Le choix a donc été fait d’en
rendre compte à travers un prisme de lecture, celui que nous tendent les
travaux précités de C. Eisenmann, même s’ils sont bien antérieurs aux poli-
tiques modernes de décentralisation. S’il faut motiver ce choix, en voici parmi
d’autres deux raisons décisives. Commençons par ce constat : l’auteur fait
partie de ces rares « publicistes » pour lesquels la description de l’organisa-
tion administrative pose de véritables problèmes de théorie juridique. Ses ensei-
gnements disent que l’analyse des agencements institutionnels constitutifs de
l’administration passe par une relecture critique de certaines des catégories le
plus usuelles de la pensée juridique dominante. Aux yeux de C. Eisenmann,
celle-ci a tort de laisser croire que l’on peut innocemment et sans risque traiter

22
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

de l’organisation administrative comme d’un objet déjà là, qui s’offrirait à des
opérations de pure représentation. Réfutant la pertinence des typologies les
plus courantes, il découvre toute une part occultée, mais ô combien édifiante,
de la facture territoriale de l’administration française. L’autre raison est d’une
tout autre nature : sans cesser d’être un juriste affichant un positivisme hérité
de Kelsen (Encore que C. Eisenmann sache prendre ses distances avec Kelsen.
V. en ce sens, « Science du droit et sociologie dans la pensée de Kelsen » et « Sur
la théorie kelsénienne du domaine de validité des normes juridiques », in Écrits
de théorie du droit, de droit constitutionnel et d’idées politiques, textes réunis par
C. Leben, éd. Panthéon Assas, Paris, 2002, p. 395-436), il élabore une théorie
générale de l’organisation administrative qu’il est possible, dans une certaine
mesure, de rapprocher de la modélisation de l’action publique locale à laquelle
aboutit, sous le nom de « régulation croisée », la sociologie des organisations
(P. Grémion, Le pouvoir périphérique. Bureaucrates et notables dans le système
politique français, Seuil, Paris, 1976).
Cette rencontre du juriste et du sociologue — aussi fortuite soit-elle — là où
se nouent les rapports de l’administration et du territoire (La lecture strictement
juridique de la décision locale à laquelle se livre C. Eisenmann « rejoint » en effet
les analyses qu’en propose la sociologie des organisations à travers l’image d’une
« régulation croisée » entre les acteurs, administratifs et politiques, de l’action
publique. La thèse selon laquelle les décisions locales sont le produit obligé de trac-
tations, entre ceux que P. Grémion appelle les « bureaucrates » et les « notables »,
pourrait bien être recodée dans les termes juridiques de la semi-décentralisation),
justifie, à elle seule, le détour par la pensée eisenmannienne !
Ce que montre cette dernière, appliquée aux problèmes que pose l’organisation
territoriale d’une administration, présuppose déconstruction de la doctrine tradi-
tionnelle. L’auteur propose en effet de déplacer le regard que porte généralement
le juriste sur la structuration territoriale de la fonction administrative. Ce regard en
effet n’est pas assez attentif à toutes les singularités de la micro-administration,
c’est-à-dire à la façon dont se prennent vraiment les décisions dans les institutions
concernées. De ce déficit de vigilance théorique résulte la représentation juridique
très grossière que la littérature juridique donne des montages très complexes par
lesquels cheminent les politiques publiques territoriales. Tel est le sens de l’oppo-
sition binaire entre centralisation et décentralisation, à ce point intériorisée par
la doctrine qu’elle finit par la croire naturelle. Pour peu que l’on veuille regarder
comment se fabrique la décision, on est vite conduit à reconnaître l’existence de
trois et non plus deux modèles décisionnels. Bien sûr l’observateur va pouvoir
continuer de compter avec le fait de la centralisation comme avec celui de la
décentralisation. Mais il ne va pas manquer de constater que l’usage de ces deux
modèles types ne lui permet pas d’appréhender toute la substance de la fonction
administrative à l’œuvre dans les territoires. Bref, le voici face à un reste qu’il est
impuissant à nommer. Ce reste, C. Eisenmann va s’employer à lui donner une
identité juridique en lui donnant un nom : la semi-décentralisation.

23
Traité de droit administratif

b. Ébauche d’une théorie de la semi-décentralisation. Le recours à cette


notion s’impose chaque fois que l’analyse des rapports entre administrations
centrales et administrations locales met face à des agencements institutionnels
qui, sans entrer dans la logique de la centralisation proprement dite — car ils n’im-
pliquent l’exercice d’aucun pouvoir hiérarchique de la part d’un organe central,
alors susceptible d’imposer librement sa volonté aux organes locaux — n’appar-
tiennent pas pour autant à la décentralisation : les organes locaux n’y apparaissent
pas en effet capables de faire prévaloir leur volonté propre, sans porter atteinte
à l’ordre juridique. C’est à la désignation de cette situation hybride que l’auteur
voue son concept de semi-décentralisation. La réalité institutionnelle qu’il met
ainsi au jour n’a pourtant rien de marginal ou d’accessoire. Elle est faite de toutes
ces hypothèses où l’autorité centrale ou centralisée de l’État se voit attribuer un
pouvoir discrétionnaire (c’est-à-dire un pouvoir décisionnel libre, dans les limites
du droit) d’autoriser, d’approuver ou d’annuler, opposable aux décisions projetées
ou déjà prises par des organes locaux juridiquement indépendants. Observons
que notre auteur prend bien soin d’exclure de cet espace de la semi-décentralisa-
tion la compétence discrétionnaire de substitution, car lorsque son détenteur — le
préfet tout particulièrement — le met en œuvre, il exerce un authentique pouvoir
hiérarchique, de telle manière que se retrouve alors l’hypothèse classique de la
centralisation.
C’est ainsi que prend corps un troisième type de règlement des relations
entre administrations d’État et administrations de collectivités territoriales. Entre
le modèle du pouvoir hiérarchique qui est la marque même de la centralisation,
et le modèle du contrôle — celui-là recevait le nom de tutelle jusqu’à la loi de
mars 1982 —, parfaitement respectueux, mieux constitutif de la décentralisation,
il y a toute la place d’une troisième structure, la semi-décentralisation, qui obéit
à un autre principe : le consentement. Pour le dire vite, dans ce système, l’admi-
nistration des collectivités territoriales est confiée à un organe mixte, une sorte
d’« hybride », constitué d’une autorité propre à chacune des entités décentralisées
et d’une autorité d’État : le maire et le préfet par exemple. Cette formule, en asso-
ciant à parité les deux autorités à l’exercice du pouvoir de décision, combine les
principes de la centralisation et de la décentralisation, sans se réduire à ceux de
l’une ou de l’autre. Si l’organe décentralisé dépend à coup sûr de l’organe de l’État,
sans lequel le processus de création juridique qu’il entend initier n’aurait aucune
chance d’aboutir, le problème se pose en termes analogues pour l’État dont l’apti-
tude à décider resterait vaine sans une volonté concordante de l’autorité locale. Si
pareil système fait sortir de la centralisation, il ne fait pas entrer en décentralisa-
tion pour autant, car l’organe de la collectivité décentralisée ne peut faire prévaloir,
dans le cadre du droit, sa volonté propre.
Les politiques de décentralisation entreprises entre 1982 et 2011 rendent-elles
inutiles la systématisation de pareilles analyses ? On va le voir, le changement
de donne institutionnelle est réel. Mais l’élargissement du champ promis à la
décentralisation est loin de se faire partout et nécessairement au détriment de la
semi-décentralisation !

24
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

SECTION 2
LES TRANSFORMATIONS DE L’ORGANISATION
ADMINISTRATIVE

Avec les développements regroupés dans la précédente section on a entendu


fournir un premier type de réponse à la question des principes généraux de l’or-
ganisation administrative. En l’occurrence, l’accent a été porté sur les modes
de raisonnement et autres montages intellectuels grâce auxquels les juristes de
doctrine donnent leur(s) représentation(s) de l’administration, font apparaître,
tant bien que mal, à partir des moyens spécifiques que leur livrent les matériaux
juridiques, une identité administrative. Sans doute pourrait-on s’en tenir là. Rien
n’empêche en effet d’admettre qu’analyser les principes généraux de l’organisa-
tion administrative, cela consiste à décrire des mécanismes de pensée : ceux que
sollicitent et règlent les juristes pour donner une forme à l’ensemble indéterminé
et aléatoire des institutions que l’on rassemble, dans le discours juridique, sous le
nom d’administration. Les principes dont il a été question permettent tout à la
fois de délimiter les contours de cette entité institutionnelle, d’en sélectionner les
éléments constitutifs et de les classer en fonction des différents genres de relations
qu’ils entretiennent. Ainsi parvient-on à proposer de l’administration une sorte
d’image-type : celle que, parmi d’autres, le droit rend possible.
C’est cette représentation de l’administration qu’il s’agit maintenant de suivre,
à travers les mouvements, c’est-à-dire les brouillages, auxquels, par la force des
choses, la soumettent les politiques de réforme. L’enquête conduite à cette fin
sera nécessairement mesurée. Ce n’est évidemment pas un travail d’historien
qu’on présentera ici, mais, beaucoup plus modestement, un examen des grandes
mutations en cours du modèle français d’organisation administrative. En quoi et
comment la logique de modernisation, dans les formes qu’elle emprunte depuis
ces années 1980 dont on a dit le rôle déterminant dans l’évolution des répertoires
politiques (P. Rosanvallon, 2008, op. cit.), fait-elle « jouer » les principes généraux
de l’organisation administrative ? À dire vrai, c’est l’idée même de transformation
qui doit être désormais considérée comme l’un de ces principes. Telle est en tout
cas l’hypothèse qui sous-tend le contenu de cette section. Ses développements
sont ordonnés autour d’une double interrogation : sur les principaux facteurs de
reconfiguration de l’administration d’une part (§ 1), sur la portée même des méta-
morphoses de l’administration d’autre part (§ 2).

25
Traité de droit administratif

§ 1 Sur les facteurs de changement de l’organisation


administrative
Aucune théorie particulière du changement administratif n’inspire les lignes qui
suivent. Elles servent une cause moins ambitieuse : suivre le tracé des grandes
voies dessinées par les politiques de modernisation de l’État. Parmi les mouve-
ments qui agissent sur la structure de l’administration et obligent cette dernière à
d’incessants réajustements institutionnels, il en est deux qui méritent plus spécia-
lement d’être valorisés. Parce que c’est avec eux surtout que l’administration
cherche à réinventer sa propre histoire, et qu’ils l’obligent à revisiter ses principes
d’organisation. Il sera donc successivement question de l’européanisation de l’ac-
tion publique et de ses incidences sur l’administration (A), puis de la réorganisation
managériale de l’administration (B).
Avant d’entreprendre l’examen succinct de ces phénomènes, deux observa-
tions préalables s’imposent. Notons pour commencer que l’évolution des prin-
cipes de l’organisation administrative n’est évidemment pas imputable aux deux
seuls mouvements choisis ici. Le sens qu’ils donnent à la réforme était perceptible
avant leur propre ascension. Mais c’est bien avec eux que le changement trouve
son terrain. Ils constituent les lieux où opère la ré-institution de l’administration.
Il y a par ailleurs la présentation faite ici, séparément, de ces deux mouvements,
alors même qu’ils ne sont pas franchement séparables. C’est ensemble qu’ils font
jouer les formes administratives. Leurs interactions ébranlent la légitimité et, de ce
fait, la stabilité de la pyramide bureaucratique. Dans l’espace de turbulence ainsi
ouvert, s’esquissent les perspectives d’une réorganisation de l’action publique en
réseau.

A. De l’européanisation de l’action publique et de ses incidences


administratives
1. « Européanisation », mode d’emploi
Le sujet a donné lieu à de très nombreuses et importantes recherches. Elles sont
tout particulièrement l’œuvre de juristes et de sociologues de l’action publique.
Même si ces deux communautés intellectuelles sont loin d’être les seules à s’être
mobilisées, elles ont beaucoup contribué à faire connaître les incidences de la
construction européenne sur les institutions publiques nationales comme sur la
conduite des politiques publiques. La place manquerait ici pour une présentation
de cette littérature, même limitée à la part qu’y prennent les sciences de l’ad-
ministration et du politique. On ne saurait pourtant s’en déprendre, si l’on veut
mesurer — ne serait-ce que grossièrement et à partir de la seule expérience fran-
çaise — l’influence qu’exerce la construction européenne sur l’évolution des prin-
cipes de l’organisation administrative, du moins au sens que cette notion reçoit
dans le présent travail.

26
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

En croisant les approches de la question qu’ont pu proposer juristes et sociolo-


gues, il devient au moins possible d’établir une double certitude. D’abord, les effets
des montages européens sur la fonction administrative française sont avérés : des
institutions qui portent cette fonction, jusqu’aux politiques publiques qui en sont
la traduction matérielle, tout le marquage communautaire est identifié. Il n’est
pas vain de l’affirmer sur ce mode catégorique, car la réalité du phénomène a été
parfois discutée. Une part de la doctrine juridique l’a mise en doute, en insistant
notamment sur une forte invariance du droit administratif (G. Marcou, Les muta-
tions de l’administration en Europe. Pluralisme et convergences, L’Harmattan, coll.
« Logiques juridiques », Paris, 1995). Il faut dire que la notion d’influence euro-
péenne est chargée d’ambiguïté. On tient ici une autre certitude : cette influence
n’est pas nécessairement recherchée par les institutions de l’Union ! Le discours
relatif à l’européanisation de l’administration et des politiques publiques prend
appui sur des réalités fort contrastées : il ne désigne pas seulement les orienta-
tions communautaires qui impriment le système administratif des États membres,
mais encore les choix que ces derniers prétendent devoir faire sous contrainte
communautaire, alors même qu’ils sont dictés par de pures raisons nationales. La
rhétorique de la modernisation administrative se cherche aussi une légitimation
du côté d’une Europe largement fantasmée. L’influence européenne dont il est ici
question est donc, c’est selon, l’expression locale, territoriale, d’une volonté poli-
tique supranationale ou, le produit de récits nationaux qui « investissent » l’Europe
et participent à la construction d’un nouveau mythe modernisateur.

2. Bref examen du cas français en général


Vue comme un processus, désormais incessant, d’adaptation institutionnelle à
la construction communautaire, l’européanisation implique tendanciellement tous
les segments de l’organisation administrative, qu’il s’agisse de l’État stricto sensu,
de ses services centraux et déconcentrés, ou des structures décentralisées. C’est
que l’Union européenne suppose et génère un ordre juridique propre qui condi-
tionne celui de chacun des États membres. Dans cette configuration, les adminis-
trations nationales ne peuvent être pensées qu’en fonction de l’Union à laquelle
elles appartiennent et dont elles relèvent, de même que les affaires communau-
taires ne peuvent plus être pensées comme une composante des affaires étran-
gères. L’Europe fait partout entendre des exigences qui n’épargnent pas les formes
d’organisation de l’action publique.
De cette logique-là, les conséquences institutionnelles sont largement connues
(J. De Clausade, « L’administration française et l’Europe », Rapport au ministre de
la fonction publique et des réformes administratives et au ministre des affaires euro-
péennes, La Documentation française, Paris, 1991 ; Conseil d’État, « Rapport public
2007, L’administration française et l’Union européenne. Quelles influences ? Quelles
stratégies ? », EDCE, n° 58, La Documentation française, Paris, 2007). Dans les
administrations centrales, certains services ont été spécialisés dans le traitement
de la matière européenne et l’appareil d’État s’est enrichi de structures nouvelles
tournées vers l’Europe. Et ces restructurations impliquent tout à la fois ministères

27
Traité de droit administratif

et montages interministériels. On s’en doute, la capacité de l’administration natio-


nale à se faire entendre des instances décisionnelles de la Communauté dépend
largement de la qualité de ces montages. C’est dans ce but que sont notamment
apparus, depuis 1981, un ministère ou secrétariat d’État aux affaires européennes,
à partir de 2005, un Secrétariat général pour les affaires européennes (SGAE),
lequel en vérité prenait la suite d’un organisme apparu dès la fin de la Seconde
Guerre mondiale, le Service général du comité interministériel pour les ques-
tions de coopération économique européenne (SGCI). Placée auprès du Premier
ministre, cette administration de mission assure, comme on le dit couramment,
l’interface entre les administrations françaises et l’administration communautaire.
Une même dynamique se retrouve à l’échelon des services déconcentrés, comme
le montre en particulier l’exemple des préfectures. « Le préfet, a-t-on pu écrire
(H. Oberdorff, « Des incidences de l’Union européenne et des Communautés euro-
péennes sur le système administratif français », RD publ. 1995. 25-47), représen-
tant à la fois de l’État nation et de l’État membre est, par le fait même, le représen-
tant des instances de la communauté européenne ». Enfin, sans même avoir à agir
sur les formes d’organisation territoriale des administrations nationales, l’Union
ne manque pas d’influencer la distribution des pouvoirs locaux : en valorisant le
principe de subsidiarité, elle ouvre l’horizon de la décentralisation. Les collectivités
territoriales — du moins les plus importantes d’entre elles — ne s’y sont pas trom-
pées, et ont su exploiter ces opportunités nouvelles, s’organisant en conséquence,
pour se faire mieux entendre dans l’espace communautaire.
Reste qu’on aurait grand tort de réduire la question de l’européanisation des
appareils administratifs à la création de ces dispositifs qui leur facilitent l’accès aux
ressources communautaires, en même temps qu’ils leur assurent une meilleure
maîtrise des contraintes. Avec l’Europe qui se construit, une autre culture admi-
nistrative s’affirme. Et cette entreprise justifie tout un travail de déconstruction du
modèle français d’administration publique dont elle bouscule l’identité, en acti-
vant la contestation de ses frontières internes et extérieures. Pareil travail ne s’ac-
complit jamais de manière exclusive ou unilatérale. Le modèle en cause résiste.
Il arrive même à ses promoteurs de se montrer suffisamment convaincants pour
gagner à leur cause — du moins à certains de ses aspects — les acteurs qui la
contestent. Mais ces télescopages — la dynamique des débats relatifs au fameux
mythe du « service public à la française » en a été l’éloquente démonstration
(J. Caillosse, « Service public et concurrence. Le service public entre deux mytholo-
gies », Dr. ouvrier, avr. 2008. 199-208 et J. Caillosse, op. cit., 2009) — ne peuvent
faire oublier l’existence d’un mouvement dominant : pour que s’accomplisse l’ins-
titutionnalisation européenne, il a bien fallu repenser les principes généraux de
l’organisation administrative française.
Rien de bien original dira-t-on : nous voilà pris, une fois encore, dans cette
problématique fatale de la fin de l’« exception française » ! En l’occurrence, l’hy-
pothèse est des plus simples : l’Europe ne peut s’imposer qu’à la condition d’une
certaine réduction des différences institutionnelles, par une œuvre générale de
normalisation juridique. Certes, ni le droit, ni les politiques communautaires n’im-

28
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

posent aux États membres un quelconque mode d’organisation administrative,


mais ils agissent autrement, en visant « le composé juridique du modèle fran-
çais d’administration » (P. Legendre, op. cit.), c’est-à-dire l’une de ses marques de
fabrique. Pour bien comprendre ce qui se joue dans cette affaire, il faut garder à
l’esprit ce qu’a été — et ce qu’il demeure pour une part encore importante —
le droit administratif dans l’histoire de la construction et la « facture » (le mot
appartient au même auteur) de l’État. La mise en valeur de ce rôle, si décisif, du
droit administratif dans la fabrication et la reproduction d’un authentique style
français d’administration, fut jadis l’une des préoccupations majeures de l’auteur
ici convoqué. Il en parle dans la catégorie d’un « patriotisme » qui sous-tend et
informe la totalité de l’édifice étatique français : « Le patriotisme signifie, nous le
savons, l’amour de l’unité, la loi simple d’une rationnelle uniformité, l’intérêt du
grand tout national, car selon les propres mots de Thouret : “rien de ce qui tien-
drait aux systèmes, aux préjugés, aux habitudes, aux prétentions locales ne peut
entrer dans la balance”. Précisément, la nouvelle rationalité définie par la Consti-
tuante et sur laquelle furent greffées les élaborations ultérieures du droit admi-
nistratif, trouve son explication, non dans les propagandes d’occasion, philoso-
phiques, anglomanes, etc., mais dans la progression des pratiques d’uniformité.
La séparation des pouvoirs était alors fondamentalement dirigée contre le système
féodal et l’ensemble des mécanismes faisant encore obstacles aux prérogatives de
l’État pratiquant l’administration directe et dirigeant la justice ; ce n’était nullement
par elle-même, une machine antimonarchique. D’un tel point de vue, en considé-
rant le style français d’égalité et la fonction historique du centralisme dans ce pays
où l’État trouve sa puissance dans la lutte contre les différences, la manière dont
fut enrayée la féodalité intéresse au plus haut point l’historien du droit adminis-
tratif » (P. Legendre, op. cit.). C’est avec les héritages institutionnels de ce centra-
lisme-là, c’est-à-dire la reproduction persistante, au-delà des politiques de décen-
tralisation, d’un territoire unitaire et uniforme, que doit composer la construction
européenne ! Les discours relatifs à l’« exception française » trouvent ici tout leur
sens : les principes de l’organisation administrative trouvent dans le droit politique
de l’État — ce que fut longtemps notre droit administratif, jusqu’à ce que s’im-
pose, par voie de jurisprudences, le droit constitutionnel — une expression qu’il
va bien falloir banaliser et édulcorer pour que puissent s’accomplir les promesses
européennes.

3. La question des territoires d’action publique en particulier


Ce n’est sûrement pas ici le lieu de faire retour sur ce « recalibrage » qui affecte
pratiquement toutes les catégories porteuses du droit administratif et tout particu-
lièrement le partage public/privé qui est l’une des marques les plus profondes de
l’identité politico-juridique française (J. Caillosse, « Droit public-droit privé : sens et
portée d’un partage académique », AJDA 1996. 955-964). Tournons-nous du côté
du principe d’organisation territoriale de l’administration. Voilà un bel exemple
d’évolution, sous influence communautaire ! Au vu des réflexions précédentes, la
remarque n’étonnera pas. Et pourtant, la référence à l’Europe n’a guère marqué

29
Traité de droit administratif

— c’est le moins qu’on en puisse dire — l’élaboration des grandes lois de décen-
tralisation du début des années 1980 ! Rien de franchement paradoxal là-dedans :
nous vivons la fin du territoire jacobin, c’est-à-dire d’une topographie administra-
tive largement façonnée par le droit administratif ; et les recompositions territo-
riales en cours sont informées par des représentations du Territoire promues par
le discours et les pratiques communautaires.
a. Quelle part le juridique prend-il dans la reproduction d’une certaine topogra-
phie administrative ? Cette interrogation nous fait retrouver le droit public fran-
çais en tant que vecteur d’un système de croyances et de pensée, bref d’une idéo-
logie que l’on qualifie, pour faire vite, de « jacobine ». Cette idéologie a toutes les
caractéristiques de ce que P. Legendre appelle, pour sa part, la « pensée natio-
naliste ». Celle-ci célèbre certaines valeurs et vertus que le droit a littéralement
prises en charge, pour en faire des données juridiquement sanctionnées. C’est
en cela que le droit peut être assimilé à un conservatoire de principes où l’État
trouve des réserves de légitimité. Ces principes, quels sont-ils ? Ils composent
une double thématique. D’un côté, l’indivisibilité de la République et l’intégrité de
son territoire, et, l’unité de la structure administrative des collectivités territoriales
perçue comme condition de leur égalité juridique. D’où le choix, très tôt réalisé,
du département comme instrument privilégié de quadrillage du territoire par le
Centre. De l’autre côté, la dévalorisation du « local » : il est longtemps resté —
jusqu’aux dernières politiques de décentralisation — une catégorie organisée sur
le mode mineur par un droit qui a toujours pensé le Centre comme seul produc-
teur et garant de l’intérêt général (v. infra, les analyses présentées sous le titre :
« métamorphoses »). Derrière cette double thématique s’exprime la hantise tenace
du fédéralisme et d’un démembrement de la nation, que pourrait encourager la
consécration d’une trop grande diversité des territoires. Certes, avec la décentra-
lisation, le moment est venu d’une révision des vieux dogmes juridiques. Mais
quelle que soit l’importance des réajustements en cours, le droit demeure, pour un
temps et dans une certaine mesure, porteur d’anciennes croyances qui servent,
le cas échéant, à retenir le cours de la réforme. On évitera de voir derrière cette
proposition une quelconque intention de nier la réalité des changements inter-
venus dans l’articulation des rapports centre/périphérie. Il s’agit bien au contraire
de questionner les procédés et les procédures de changement et d’élucider le rôle
tenu par le droit dans la reproduction d’une certaine identité nationale. On pour-
rait en ce sens examiner les usages auxquels le Conseil constitutionnel soumet
la notion de libre administration des collectivités territoriales ; relire le rapport
que consacre le Conseil d’État à la décentralisation et aux tensions qu’elle fait
subir à l’ordre juridique ; s’interroger sur le sens et la fonction des nombreux
rapports critiques que la Cour des comptes a réservés ces dernières années aux
politiques du Territoire. Ce sont autant de discours où le « local » continue d’appa-
raître comme cet espace mineur qu’il faut rappeler à l’ordre central de la raison
comme à celui de la vertu.
b. Comment l’Europe influence-t-elle la recomposition des territoires adminis-
tratifs ? À cette question, une double réponse s’impose. On parlera tout d’abord

30
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

d’influence diffuse pour évoquer l’usage communautaire d’images, de récits, de


standards qui sont autant de moyens pour promouvoir une topographie adminis-
trative plus efficace et rentable et une gestion plus rationnelle des territoires décen-
tralisés. Ainsi la critique du modèle communal français si pénalisant pour l’émer-
gence de villes capables d’affronter la concurrence urbaine, trouve un argumen-
taire de poids dans la représentation communautaire d’un espace organisé autour
de grands pôles urbains. L’Europe offre encore de solides points d’appui aux parti-
sans d’une réforme managériale de la gestion locale, à la faveur de laquelle le
modèle fonctionnel de l’entreprise se substituerait au vieux modèle communau-
taire et territorial (v. S. Regourd et J.-A. Mazères, « Du modèle communautaire et
territorial au modèle fonctionnel de l’entreprise », in M. Bourjol [dir.], La commune,
l’État, le droit, LGDJ, Paris, 1990, p. 292 s.). Pour les acteurs de cette réorientation,
le droit communautaire ne peut qu’être une aubaine : ne trouvent-ils pas dans le
libéralisme qui le sous-tend les valeurs qui les inspirent ? Peut-être pourrait-on,
pour illustrer ce phénomène de l’influence diffuse, évoquer la fameuse question de
l’« optimum dimensionnel », appliquée au cas des communes françaises (La ques-
tion ne vise pas seulement le morcellement communal. Après bien d’autres exer-
cices du même genre, les travaux du « Comité Balladur » l’ont également portée
sur le terrain régional). Bien entendu le problème de l’adaptation des périmètres
institutionnels aux impératifs de l’action publique n’a pas attendu l’Europe pour
s’imposer. Mais il y a les exigences propres de la construction communautaire qui
entrent désormais dans les modes de lecture critiques de la carte communale.
Celle-ci est à présent passée au crible du calcul économique : les échafaudages
européens n’ont pas manqué de soutiens du côté de groupes socioprofessionnels
dont la représentation du monde associe calcul économique et modernité.
L’influence communautaire n’est pas simplement diffuse. Elle se fait parfois
beaucoup plus directe. C’est notamment le cas avec la politique des fonds structu-
rels. Il a été ainsi montré en sociologie de l’action publique comment ces interven-
tions communautaires incitent l’État à réorganiser ses propres services territoriaux
(A. Smith, L’Europe politique au miroir du local, L’Harmattan, Paris, 1995). Plus
largement, les juristes ont de bonnes raisons d’affirmer que les formes juridiques
qu’a prises l’administration territoriale de la République ne sont certainement
pas étrangères aux modèles institutionnels que le droit communautaire a fini, par
construire (M. Bourjol, « La réforme de l’administration territoriale. Commentaire
de la loi d’orientation du 6 février 1992 », AJDA 1992, n° spécial Décentralisa-
tion, bilan et perspectives. 140-152). Constatons par ailleurs que certaines mesures
participent d’un projet global de recomposition des territoires dont l’économie se
retrouve dans la « doctrine » européenne. Il en va ainsi pour la systématisation
de l’intercommunalité : la restructuration de la carte communale est bien envi-
sagée dans la perspective d’une concurrence obligée entre les principales entités
urbaines de l’Union. L’ascension institutionnelle de la région — réserve faite des
implications encore incertaines de la dernière réforme des collectivités territo-
riales — n’est pas indifférente aux préférences affichées par les instances commu-
nautaires pour la forme régionale de conduite des politiques publiques, ce qu’en

31
Traité de droit administratif

science politique on dénomme volontiers le « méso gouvernement » territorial.


Beaucoup plus profondément encore, à travers la logique d’européanisation de
l’action publique, c’est au déploiement de tout un processus de revalorisation des
territoires et du local que l’on assiste (Il est question plus loin 1 § 2, C, [I] de ce
processus).

B. D’une réorganisation managériale de l’administration


1. Les fondements managériaux de la modernisation administrative
Ce sujet a-t-il ici sa place ? Parler d’administration ou d’État managérial(e),
n’est-ce pas désigner le fonctionnement des institutions publiques plus que leur
organisation ? C’est dans l’expérience même de la réforme en cours de l’État
qu’est donnée la réponse à cette question. Dans son expression institutionnelle
la plus avancée, la rationalité managériale a désormais pour vecteurs princi-
paux la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et la RGPP ; et ces
dispositifs, par-delà les techniques qui permettent de les spécifier, ne sont pas
réductibles à une manière nouvelle de piloter l’action publique. Elles font partie
d’un projet plus global, visant à faire advenir un État managérial. Il faut y voir
un nouvel art de gouverner, une nouvelle « gouvernementalité », pour reprendre
le mot de M. Foucault. Telle est bien la signification profonde du discours que
fait entendre, en même temps qu’il le fonde, ce double événement politico-
juridique : la LOLF et la RGPP agissent comme si les administrations publiques
devaient répondre aux mêmes exigences que des entreprises opérant sur des
marchés concurrentiels. On reconnaîtra d’ailleurs en cela une représentation du
monde à laquelle s’attache le droit communautaire : l’administration publique
tend à n’y apparaître qu’à titre d’exception au marché. Et, cette exception, il
convient de l’entendre sur le mode restrictif. La reconfiguration de la sphère
publique engagée en France depuis les années 1980 n’est évidemment pas
étrangère à cette redistribution juridique des grandes fonctions sociales. Main-
tenant que le travail de réduction du secteur public est, du moins tendancielle-
ment, en cours d’achèvement, la réforme de l’État peut se poursuivre ailleurs,
et sous d’autres formes : on ne fait pas fortuitement retour sur la structure terri-
toriale d’une administration dont l’économie est repensée sous un régime de
performance.
Avec « la quantification de l’action publique » (A. Ogien et S. Laugier, Pourquoi
désobéir en démocratie ?, La découverte, coll. « Textes à l’appui », Paris, 2010) ou
« la gouvernance par les nombres » (A. Supiot, L’esprit de Philadelphie. La justice
sociale face au marché total, Seuil, Paris, 2010), avec cet art nouveau de gouverner
au résultat que supposent désormais la LOLF et la RGPP, nous voilà entrés dans
une phase inédite de la modernisation étatique. On peut faire remonter au début
des années 1970 l’idée de soumettre l’action publique à des exigences de résul-
tats. Dans les discours construits alors pour légitimer les tentatives d’instituer la
rationnalisation des choix budgétaires (RCB), se retrouvent en effet bien des argu-
ments que mobilise aujourd’hui la politique de réforme de l’État : ceux-là mêmes

32
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

que l’on rassemble désormais sous la bannière du new public management. Reste
que le contexte a singulièrement changé : la conversion à ce que l’on appelle
les nécessités de l’économie de concurrence va désormais de pair avec la célé-
bration des mérites prêtés au new public management, alors que dans le cours
des années 1970, d’aucuns pouvaient encore croire aux vertus d’une planification
démocratique mise au service de l’État social. Le chiffre et le calcul appartiennent
à une manière nouvelle de concevoir l’exercice du pouvoir et servent de levier à
la réforme de l’État. La LOLF et la RGPP disent cette part déterminante des opéra-
tions de quantification dans les jugements portés sur l’organisation administrative.
La volonté de « remise à plat » systématique des politiques publiques concerne
aussi la structure institutionnelle dont elles dépendent. Cette dernière doit aussi
répondre à l’impératif du plus grand rendement au moindre coût. La satisfaction
de cette double exigence passe par une politique de rationalisation de l’appa-
reil administratif dans toutes ses composantes, impliquant aussi bien les services
centraux et déconcentrés de l’État que les administrations décentralisées. Il n’est
dorénavant aucune bonne raison qui justifierait de soustraire ces entités publiques
au régime de la performance. La gouvernance par les chiffres vaut aussi pour les
institutions publiques qui doivent la mettre en œuvre. Informée par l’imaginaire
managérial, la modernisation de l’État change de trajectoire : l’action publique
cesse de pouvoir être pensée à partir des institutions existantes ; il importe désor-
mais de concevoir l’organisation administrative en fonction de l’action publique
redéfinie et redessinée par la RGPP.

2. L’injonction managériale dans la réforme de l’organisation administrative


a. L’État n’hésite plus à mettre ses propres services au régime de la perfor-
mance. Artisan de la consécration politique du management, il peut produire et
reproduire le discours de légitimation nécessaire aux mises en cause répétées de
ses propres enflures institutionnelles. On en a pour preuves récentes les procédures
de regroupement et de fusion appliquées aux services centraux de l’État, comme
à ses services déconcentrés. Le souci, spectaculairement affiché par la RGPP, d’un
État allégé s’est traduit par la recomposition d’une structure gouvernementale
dont la démesure est périodiquement dénoncée. En l’occurrence ce programme
de rationalisation bureaucratique s’est traduit tout à la fois par certains regroupe-
ments ministériels et par une réduction significative du nombre des directions.
Tout cela a pu être ainsi résumé (J. Chevallier, op. cit., 2008) : « La réforme de l’État
s’est donc attaquée à un appareil central qui était resté pendant longtemps assez
largement préservé de l’activisme des réformateurs : le recentrage des missions
de l’État conduit à repenser son organisation en vue d’atteindre une meilleure effi-
cacité ; on voit ainsi de dessiner un nouveau visage de l’État qui, s’il perd certaines
de ses attributions traditionnelles, est investi d’une capacité d’action stratégique ».
C’est sans aucun doute sur la structuration des services déconcentrés que la RGPP
produit ses effets les plus sensibles. Issue de la longue histoire du centralisme
français, l’inscription territoriale des administrations de l’État n’était plus guère
adaptée à la réalité créée par les politiques de décentralisation. Ces dernières ont

33
Traité de droit administratif

aggravé les difficultés propres à la déconcentration, ne serait-ce qu’en imposant


une nouvelle topographie administrative polarisée par les régions et les intercom-
munalités. Le thème est bien connu : le choix de la décentralisation rendait plus
que jamais nécessaire l’émergence d’un nouvel État territorial. De 1982 à 2010, les
textes n’ont pas manqué, empruntant la forme de la loi ou du décret, par lesquels
l’État s’est employé à la reconfiguration territoriale de ses propres administrations.
La déconcentration est devenue à son tour objet d’une politique publique dont
l’ambivalence nécessaire éclaire les difficultés de réalisation : ne lui faut-il pas tout
à la fois répondre aux exigences croissantes de la décentralisation, celles dont les
élus se font porteurs, et servir, dans des territoires en recomposition, la cause de
l’État ? C’est à une telle problématique que donne forme juridique la loi ATR du
6 février 1992 et son décret d’application du 1er juillet 1992, portant charte de la
déconcentration. On se souvient que ces textes instituent cette déconcentration
comme mode d’organisation de droit commun des administrations de l’État. Dans
son rapport thématique d’octobre 2009 sur « La conduite par l’État de la décentra-
lisation », la Cour des comptes a dit à quel point la réforme alors envisagée était
restée « hésitante ». De 1992 à 2007-2008, plutôt que de procéder à la restruc-
turation des services déconcentrés, l’État préfère mettre en place des coopéra-
tions fonctionnelles, privilégiant un travail de concertation interne mené sous la
conduite des préfets. Cette longue phase de réflexion qui suscite force réserves de
la part de la Cour, ne fut pas vaine pour autant : elle aura créé les conditions de
possibilité d’un travail conjoint entre les services déconcentrés, favorisé la défini-
tion de quelques grandes orientations par objectifs et permis d’identifier des indi-
cateurs de performance. Disons pour faire bref qu’il a fallu au Centre beaucoup
de temps — plus d’une quinzaine d’années — pour faire accepter la réorganisa-
tion des échelons et des structures de la déconcentration. La RGPP a fini par avoir
raison des dernières résistances institutionnelles.
Du nouveau maillage territorial de l’État (P. Combeau, « Les nouveaux visages
territoriaux de la déconcentration », RFDA 2010. 1011-1020 ; F. Chauvin, « La
nouvelle administration régionale de l’État », AJDA 2010. 825-830), on retiendra
surtout ces deux principes qui lui ont donné sens. Celui de la régionalisation des
services tout d’abord. La territorialisation des politiques publiques s’accomplit au
bénéfice des régions. C’est à ces dernières que reviennent les activités de pilotage,
quand les départements sont en charge des opérations de mise en œuvre. Un
décret du 16 février 2010 règle pour ce faire — du moins dans l’ordre du droit —
une question longtemps débattue, en instituant une hiérarchie fonctionnelle entre
préfets de région et de département. Les premiers ont autorité sur les seconds,
du moins en règle générale, et sont par ailleurs investis d’un pouvoir d’évoca-
tion. Avec le deuxième principe, on retrouve, localement, la problématique des
regroupements administratifs déjà évoquée. En l’occurrence, le processus qu’avait
engagé le décret du 29 avril 2004 donnant naissance à des « pôles régionaux de
l’État » connaît avec la RGPP une sérieuse radicalisation : de la coordination des
services caractéristique de l’ancienne manière de réformer, on passe à la fusion
des directions ramenées à 8. Ce travail de redécoupage institutionnel n’épargne

34
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

pas l’échelon départemental (C. Guettier, « L’administration départementale de


l’État », AJDA 2010. 831-836) repensé lui aussi en fonction des mêmes préoccupa-
tions de plus grand rendement : un décret du 3 décembre 2009 crée de nouvelles
« directions départementales interministérielles ». Le périmètre de ces nouvelles
entités déconcentrées n’est plus indexé sur celui des ministères. Il a été pensé,
dit-on, en fonction des besoins de la population regroupée sur le territoire dépar-
temental. Organisées autour de deux directions-types (une direction « territoire »
et une direction de la cohésion sociale et de la protection des populations) ces
nouvelles formes de la déconcentration relèvent désormais du Premier ministre et
sont placées sous l’autorité de préfets.
b. Les politiques de décentralisation offrent une autre scène où sont donnés à
voir les ressorts managériaux de la réforme de l’État. Le management est suscep-
tible d’y être à l’œuvre de plusieurs manières. Il peut tout d’abord être un objet
de revendication pour les promoteurs de la réforme qui l’utilisent comme une
rhétorique de légitimation. Prévaut alors le discours, devenu classique, de l’effica-
cité au moindre coût de l’action publique. Le management peut encore apparaître
comme un fondement implicite de la décentralisation : l’État opère des transferts
de charges en direction de collectivités territoriales, dans le but d’alléger le coût
de ses propres obligations de service public. Ce choix ne peut que contraindre les
pouvoirs locaux dont les responsabilités nouvelles sont plus ou moins bien compen-
sées. C’est globalement en ces termes que la communauté des élus locaux, toutes
appartenances politiques confondues, a reçu l’institution en 2002 de l’allocation
personnalisée d’autonomie en faveur des personnes âgées qui pèse si lourd sur
les finances départementales. Appliquée à la décentralisation, la problématique du
management peut encore connaître un développement a contrario : la réforme se
fait révélatrice du déficit managérial de l’État lui-même. Le rapport public produit
en octobre 2009 par la Cour des comptes sur « La conduite par l’État de la décen-
tralisation » est de ce point de vue un modèle du genre. Le problème est très clai-
rement posé dès l’introduction du texte où la Cour reproduit la mise en récit de
la décentralisation auquel procède l’État lui-même : « Elle (la décentralisation) est
donc censée être promesse d’une gestion collective non seulement plus proche et
plus adaptée, mais également moins coûteuse et mieux maîtrisée par des auto-
rités responsabilisées par la prise en compte direct de l’intérêt public local. Elle a
pour défi à la fois d’alléger l’appareil d’État lourd et centralisé et de rationaliser la
gestion locale. In fine la charge publique, à périmètre constant, devrait être ainsi
contenue ».
Avec la dernière réforme des collectivités territoriales telle qu’elle est voulue
par la loi du 16 décembre 2010 le droit de la décentralisation s’affirme d’em-
blée comme consécration d’un projet managérial (A. Lambert, Les relations entre
l’État et les collectivités territoriales, RGPP, Paris, nov. 2007). L’accent mis ainsi
sur la représentation juridique devrait permettre de prévenir tout malentendu
sur la nature du raisonnement poursuivi ici. Ce n’est pas d’hier que les transfor-
mations institutionnelles dont le « local » est le théâtre sont conduites par réfé-
rence aux modèles du Management. Les pratiques qui naissent de ces réformes

35
Traité de droit administratif

ne produisent pas toujours les résultats escomptés : la réalité de l’organisation


administrative du territoire n’est pas nécessairement celle que donne à voir la
traduction juridique du discours managérial ! L’élaboration des textes constitu-
tifs de ce que l’on continue de dénommer « l’Acte 2 » de la décentralisation
n’a pas manqué de solliciter la rhétorique managériale. Mais il a été fort bien
montré que l’économie de cette réforme doit beaucoup plus aux calculs poli-
tiques entre l’État et les élus locaux qu’à une logique de management portée
par des gestionnaires soucieux d’efficacité et de rendement (P. Le Lidec, « La
relance de la décentralisation en France. De la rhétorique managériale aux
réalités de l’Acte 2 », Politiques et management public, 2005, n° 3, p. 101-125).
C’est sous cette importante réserve que les politiques territoriales de l’État sont
loin de toujours tenir leurs promesses managériales, qu’il est possible de lire
aujourd’hui la loi du 16 décembre 2010. Certes, le texte finalement promulgué
est déjà loin des préoccupations de plus grand rendement qu’exprime le rapport
du Comité Balladur pour soutenir ses propositions de réagencement institu-
tionnel de la décentralisation. Mais le législateur cherche malgré tout à mieux
concilier contraintes juridiques et exigences managériales. Tel est le sens de ces
deux innovations majeures que sont : la création du futur conseiller territorial en
charge de la délibération à l’échelon du département et de la région, et l’achève-
ment, après révision des périmètres, de la carte de l’intercommunalité. Ajoutons
à ces mesures l’encouragement affiché à la simplification des structures comme
à une prochaine clarification des compétences, et l’on voit bien que c’est autour
des principaux standards du discours managérial que la loi nouvelle structure
son propre discours.
c. S’il ne fait guère de doute qu’à travers les usages du new public management
qu’elle réalise, la RGPP légitime un processus de rétraction de l’appareil adminis-
tratif, l’institution de l’État managérial suppose des mouvements beaucoup plus
complexes. Allégement, rationalisation, lisibilité accrue pour un meilleur rende-
ment de la machine administrative, la fortune de ce vocabulaire n’est évidem-
ment pas dépourvue de signification. Mais la reconnaissance de ce phénomène
ne doit surtout pas servir à en occulter d’autres : c’est aussi pour satisfaire des
exigences de management public que sont apparues des institutions publiques
d’un nouveau genre, qui contribuent à sérieusement brouiller le paysage adminis-
tratif. L’exemple des « agences » dont il est question ci-dessous (v. § 2, C, 2) en
est une illustration parmi d’autres. On sait par ailleurs que la rationalité mana-
gériale pousse, quand elle ne la rend pas juridiquement obligatoire, à la sépara-
tion de fonctions administratives (par exemple celles qui relèvent de la stratégie
et celles qui sont de nature opérationnelle) jusqu’alors regroupées au sein d’une
même entité. Forts de cette forme de légitimité de plus en plus intimidante que
construit maintenant le management, des organismes nouveaux prolifèrent, qui
défient les catégories juridiques et finissent par brouiller et même perturber le
cours de l’action publique.

36
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

§ 2 Sur la portée du changement de l’organisation


administrative1
Telle est au fond la question à laquelle ont préparé tous les développements de
ce chapitre : peut-on parler, au regard des changements institutionnels en cours
depuis une trentaine d’années, d’une mutation du modèle français d’administra-
tion publique (A. Cole et J.-M. Eymeri-Douzans, « Les réformes et les regroupements
administratifs en Europe. Questions de recherche et défis empiriques », RISA 2010. 3.
423-434) ? À certains, pareille interrogation paraîtra, peut-être, fort convenue. Est-il
sérieusement envisageable de l’écarter pour cette seule raison ? Voilà une problé-
matique qu’on ne peut vraiment prendre ici à la légère : que réfléchissent finale-
ment les principes généraux d’une organisation administrative, sinon l’existence
même d’un « modèle » ? Leurs agencements ne donnent-ils pas à voir comme une
forme stylisée de l’administration ? Reste qu’en faisant le choix de ce thème pour
clore le chapitre, on prend, délibérément, un certain risque : celui de l’incertitude.
La question du changement est, en tant que telle, redoutable (F. Jullien, Les trans-
formations silencieuses, Grasset, Paris, 2009). Elle ne l’est pas moins appliquée au
cas particulier des institutions !
Soyons clair : parler de la mutation, ou de l’invariance, d’un éventuel modèle
français d’administration, ne peut se faire sans une prise de parti concomi-
tante sur la question de l’identité et du statut de l’État aujourd’hui. Cet objet-là
relève d’un chapitre spécifique. Mais rien n’empêche de relever les difficultés
auxquelles se heurtent les tentatives contemporaines — on sait à quel point
elles sont nombreuses — de qualification de l’État. Même si l’on s’en tient à
un seul prisme de lecture, celui qu’offre le territoire, on ne sort pas, depuis les
années 1980, d’un espace entièrement polarisé par deux thèses contradictoires :
dans le même temps où, avec chaque réforme de la décentralisation, certains
disent leurs craintes récurrentes d’un retour de l’État, d’une recentralisation ou
d’une ré-étatisation, d’autres déplorent le désengagement de l’État, la « reféo-
dalisation » de la société (P. Legendre, « Remarques sur la reféodalisation de la
France », in Études en l’honneur de G. Dupuis, LGDJ, Paris, 1997, p. 201-211) ou
font même le constat de la fin ces territoires (B. Badie, Un monde sans souverai-
neté. Les États entre ruse et responsabilité, Fayard, coll. « L’espace du politique »,
Paris, 1999). De façon plus générale, l’État semble se jouer de toutes les catégo-
ries que les théoriciens lui appliquent pour mieux le « fixer » : tour à tour anima-
teur, stratège, propulsif, modeste, creux (hollow State), ou simplement allégé (lean
State), l’État sollicite encore les ressources de la néomodernité (C.-A. Morand, Le
droit néomoderne des politiques publiques, LGDJ, coll. « Droit et société », Paris,
1999), de la postmodernité (J. Chevallier, op. cit.), quand ce n’est pas celles de
l’ultra-modernité (P. Legendre, Sur la question dogmatique en Occident, Fayard,

1. Les développements qui composent ce § ont été esquissés dans un rapport présenté le 13 décembre
2010 au Conseil d’État, en introduction au colloque de l’IFSA : « Quel modèle d’administration territo-
riale pour demain ? », à paraître.

37
Traité de droit administratif

Paris, 1999). La mise en mots du changement institutionnel n’est pas, décidé-


ment, une entreprise commode ! Peut-être même que le problème est à repenser
radicalement. À la manière dont M. Foucault a pu le faire dans ses cours du
Collège de France, là où il explore la notion de « gouvernementalité » (M. Foucault,
Sécurité, territoire, population, cours au Collège de France, 1977-1978, Gallimard-
Seuil, coll. « Hautes études », Paris, 2004 ; Naissance de la biopolitique, cours au
Collège de France, 1978-1979, Gallimard-Seuil, coll. « Hautes études », Paris, 2004).
Or l’organisation administrative n’est certainement pas étrangère à cet objet
dans lequel l’auteur fait entrer les technologies propres au Gouvernement ou à la
« guidance » d’une société à un moment de son développement historique. Avec
l’évolution de la structure de l’administration, se découvrent aussi des instru-
ments, des technologies, des « dispositifs » (G. Agamben, Qu’est-ce qu’un dispo-
sitif ?, éd. Payot et Rivages, Paris, 2007) par l’usage desquels s’accomplit l’exercice
du pouvoir. Aussi allusives soient-elles, ces remarques disent les enjeux que remue
une réflexion sur la reconfiguration en cours de notre modèle d’administration. Il
s’agit là d’un processus d’une grande complexité : pour réelles qu’elles soient les
transformations institutionnelles (C) ne parviennent pas à faire oublier la résilience
du modèle, l’aptitude de l’organisation administrative à demeurer elle-même, par-
delà les réformes qui l’affectent (B). Mais avant toute tentative de description de
ces mouvements, il faut faire retour sur la question de savoir ce que « changer »
veut dire (A).

A. Ce que « changer » veut dire ?


Mieux vaut partir d’un exemple simple : celui que fournissent les apprécia-
tions, pour le moins contrastées, de la doctrine des juristes sur les incidences de
la politique de décentralisation. Entendons-nous, il ne s’agit pas en l’occurrence
de jugements portés sur le bien-fondé de cette réforme, mais de la mesure juri-
dique, c’est-à-dire par les moyens du droit, des effets provoqués par cette dernière
sur l’organisation administrative. Dans la troisième édition de son cours d’« Insti-
tutions administratives » (Institutions administratives, Dalloz, coll. « cours », Paris,
2005), C. Guettier observe, p. 349, que « demeurent de fortes résistances des
espaces institués aux projets visant à les redécouper. Une certaine « invariance »
du cadre institutionnel et des principes qui s’organisent fait obstacle à des muta-
tions radicales ». C’est une tout autre perception du changement qui informe
l’analyse de P. Delvolvé, en conclusion d’un colloque organisée par l’Université
de Paris 2 sur « La République décentralisée » (Y. Gaudemet et O. Gohin [dir.], La
République décentralisée, éd. Panthéon-Assas, colloques, Paris, 2004). L’auteur doit
se rassurer en prenant appui sur le rôle de contrôleur de la légalité auquel est ici
voué le Conseil d’État. « On peut lui faire confiance, écrit-il, pour pallier les risques
que peut faire courir la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 à l’unité du
droit administratif et, au-delà, à l’unité de la République ». On ne peut mieux dire
à quel point la pratique des catégories juridiques ne suffit pas à l’élaboration d’un
discours crédible sur ce qu’il en est du changement institutionnel !

38
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

À dire vrai, l’embarras que l’on peut éprouver face à l’existence de points de
vue aussi contrastés ne trouve pas son explication dans les limites inhérentes à
la doctrine des juristes. Le problème vient de beaucoup plus loin. Les analyses de
l’action publique (v. J.-P. Gaudin, L’action publique. Sociologie et politique, Presses
de science po et Dalloz, coll. « Amphi », Paris, 2004 ; P. Hassenteufel, Sociologie
politique : l’action publique, A. Colin, coll. « U », Paris, 2008 ; P. Lascoumes et P. Le
Galès, Gouverner par les instruments, Presses de sciences po, coll. « gouvernances »,
Paris, 2004 ; G. Massardier, Politiques et action publiques, A. Colin, coll. « U », Paris,
2003 ; P. Muller P. et Y. Surel, Analyse des politiques publiques, Montchrestien, coll.
« Clefs », 1998) montrent à quelles difficultés se heurtent les programmes tendant
à penser le changement. C’est que les institutions ne se laissent pas facilement
manœuvrer. Il faut ici compter avec des formes multiples de résistance aux chan-
gements : phénomènes auxquels on s’emploie à donner une signification parlante,
en les désignant par la métaphore de la « dépendance au sentier » (path depen-
dency). C’est que les institutions sont chargées de mémoire (P. Legendre, « Une
mémoire fonctionnelle », RFAP 2002. 223-228) et que, plus que d’autres, les insti-
tutions administratives portent les traces d’héritages avec lesquels les politiques
de réforme sont toujours condamnées à plus ou moins composer. Cette « leçon »
ne date d’ailleurs pas d’hier : ne venait-elle pas déjà au soutien des thèses expo-
sées par Tocqueville dans « L’Ancien Régime et la Révolution », tout particulière-
ment lorsqu’il se demande (dans le chapitre 5 de son livre 2, De la démocratie en
Amérique, paru en 1840). « Comment la centralisation avait pu s’introduire ainsi au
milieu des anciens pouvoirs et les supporter sans les détruire » ?
Mais au-delà de ces questions qui appartiennent aux répertoires les plus courants
de l’analyse des politiques publiques (dont on sait, notamment à travers les appli-
cations la RGPP, qu’elles se donnent volontiers les institutions pour objet, sinon
pour cible), il y a toutes les incertitudes que porte la notion même de changement.
Le travail qu’a consacré F. Jullien à ce que la philosophie chinoise classique saisit
des « transformations silencieuses » permet, s’il en est besoin de s’en persuader.
Sont ainsi désignées des formes de changement aussi discrètes que réelles, dont
l’intensité ne nous apparaît qu’après coup. Laissons l’auteur désigner ici aux occi-
dentaux les limites de leur pensée : « Car il ne faudrait pas se tromper sur la
difficulté qu’on rencontre à penser la transformation qui, par principe, je crois,
est toujours “silencieuse”. Il ne s’agit pas là seulement, en effet, d’une différence
d’échelle et de grandeur : parce que nous ne pourrions saisir qu’en gros et, de
ce fait, après coup et brutalement ce qui ne se passe, en fait, que graduellement
et dans l’infiniment petit ; parce que nous n’aurions pas la vue assez perçante,
en somme, ou l’ouïe assez fine, pour distinguer ce microscopique. La difficulté
à penser la transformation est à prendre beaucoup plus en amont et nous fait
mettre effectivement le doigt, je crois, au point précis où c’est notre façon (euro-
péenne) de penser qui se trouve en défaut. Cette difficulté est celle de penser
son être même qu’est en son cœur la transition, celle-ci disant explicitement, si
je range un terme sous l’autre, le “passage” permettant d’aller d’une forme à la
suivante — dans l’entre-forme si je puis dire — et développant ainsi de son mieux

39
Traité de droit administratif

le trans de la “transformation”. Or précisément, comme elle n’est pas de l’“être”,


la transition échappe à notre pensée. En ce point précis, notre pensée s’arrête,
elle n’a plus rien à dire, se tait, et c’est aussi pourquoi la transformation nécessai-
rement est tenue “silencieuse”. La transition fait littéralement trou dans la pensée
européenne, la réduisant au silence ». La lecture de ce texte fait d’emblée s’inter-
roger sur la tendance contemporaine à faire du « changement » un objet spectacu-
laire, offert à des opérations bruyantes de mise en scène. Forme intimidante d’in-
jonction, s’appropriant sans réserve les ressources de la modernité, le discours du
changement fait partie intégrante des difficultés que rencontre la science de l’ad-
ministration pour penser son objet. Indissociable des rhétoriques de légitimation
de l’action publique, la réforme de l’organisation administrative devient pour la
recherche juridique un problème à part entière.
C’est à l’exposé de ce problème qu’il s’agit maintenant de se consacrer. En quoi
consiste au juste le changement du modèle français d’administration ? Implique-t-
il un type, mieux, un style national d’administration façonné dans la longue durée
de l’histoire (P. Legendre, op. cit.) ? Bref, en quoi concerne-t-il « les principes géné-
raux de l’organisation administrative » ? Les éléments de réponse qui suivent sont
au soutien d’une thèse d’une grande simplicité. On peut même la résumer en une
formule : l’examen des transformations du cadre juridique de l’administration ne
permet pas de conclure à un changement de modèle, mais à un changement du
modèle traditionnel. Pareil constat n’a, en l’occurrence, rien de dévalorisant. Il ne
vaut par ailleurs ni approbation, ni désapprobation des transformations en cours.
Il autorise à rendre compte d’un ensemble de mouvements institutionnels qui font
sentir tous leurs effets à l’intérieur d’un mode d’organisation dont les grands prin-
cipes traditionnels demeurent actifs. Tout semble se passer comme s’il fallait les
faire « bouger » pour mieux les pérenniser. La capacité des acteurs à faire entendre
la rhétorique du changement ne suffit pas à faire oublier ce qui lui résiste, jusque
dans le droit. L’effectivité des mutations en cours n’est guère contestable. La réalité
des invariances ne l’est pas moins.

B. Invariances
1. La notion d’invariance
Il n’y a dans le fait de parler ici d’invariances aucune volonté de manier le para-
doxe. C’est très précisément notre perception du « changement » qui se trouve
ainsi interrogée. Le processus de réforme ou de modernisation de l’administration
— qu’il concerne la répartition fonctionnelle des tâches ou leur distribution territo-
riale — peut difficilement prétendre à la globalité. Les innovations institutionnelles
ne sont guère susceptibles de toucher, dans le même temps et avec la même inten-
sité, la totalité des secteurs de l’action publique et des structures territoriales. Les
transformations dessinent une géographie contrastée ; leur carte ne peut qu’être
incomplète et imparfaite. L’œuvre modernisatrice ne se fait pas partout sentir, et
là où elle le fait, sa force n’est pas partout la même. Cette lecture du changement
administratif ne nous est-elle pas imposée par la généalogie même de l’État ?

40
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

Celle-ci ne nous apprend-elle pas, par exemple, à regarder les territoires d’action
publique comme autant de palimpsestes où les marques de l’histoire ancienne
restent bien présentes sous les apports successifs des périodes plus récentes ?
Il est une autre raison qui impose le choix de l’invariance. Elle ne se découvre
pas seulement dans la logique sédimentaire de l’institutionnalisation administra-
tive. Elle est encore un fait qui ressort assez nettement des analyses compara-
tives de la réforme de l’État (RISA, op. cit., 2010). Le discours du changement ne
s’entend plus tout à fait de la même manière lorsque l’on confronte l’expérience
française de la RGPP avec certaines réformes que l’on peut également conduire
ailleurs à des fins de plus grand rendement de l’action publique. On pense en
particulier aux opérations de réagencement institutionnel qui ont pu avoir lieu au
Canada, en Nouvelle-Zélande ou au Royaume-Uni. Ces autres expériences permet-
tent de mieux situer le programme français de modernisation. Elles donnent tout
leur sens à la thèse retenue ici selon laquelle la réforme consiste à surtout promou-
voir le changement dans la continuité.
Si ces deux arguments suffisent à justifier la place que l’on fait à la probléma-
tique de l’invariance, ils ne disent rien sur la façon dont l’organisation adminis-
trative française parvient à se reproduire, par-delà les mutations qui par ailleurs
affectent son identité juridique. Mais avant toute tentative de description de ce
qui demeure structurellement de la « longue durée » de l’administration, revenons
d’un mot sur le problème de méthode que pose cette démarche : les politiques
de réforme composent, on l’a dit, jusque dans leur expression juridique, avec
des héritages institutionnels qui ne viennent pas seulement d’une autre histoire,
mais procèdent encore d’une autre rationalité. « Composer avec », cela ne saurait
vouloir dire : entretenir des rapports de neutralité. Ce n’est donc pas une simple
logique de juxtaposition qui opère à l’intérieur d’un système, mais bien plutôt des
interactions, des télescopages, des hybridations. Il ne peut bien sûr qu’en résulter
nombre d’incertitudes sur la manière dont s’établissent les nouveaux équilibres,
pour ne rien dire des difficultés auxquelles se heurte le juriste soucieux de les
saisir juridiquement !

2. Les lieux de l’invariance


Ainsi circonscrite, la problématique de l’invariance peut être déclinée à partir
de cinq thèmes principaux. Ils n’ont certainement rien d’exhaustif, mais on y voit
s’y réfléchir des principes traditionnels, comme autant de propriétés anciennes et
toujours constitutives du modèle français d’organisation administrative.
a. Ouvrons cette séquence avec les politiques de décentralisation. Telles qu’elles
sont conduites, depuis le début des années 1980, elles se veulent toutes porteuses
d’une même volonté de transformation des manières françaises d’administrer le
territoire, à condition bien sûr d’entendre par là les rapports sociaux dont ce terri-
toire est le support matériel. Cette volonté ne s’est pas seulement affirmée dans la
loi, elle s’est inscrite jusque dans la Constitution, solennellement, théâtralement,
par la révision de mars 2003 du texte fondamental. On ne s’en étonnera surtout
pas : les promoteurs de ces réformes voyant en elles autant de moyens d’agir

41
Traité de droit administratif

sur la forme de l’État lui-même. La décentralisation n’en finit guère d’être pensée
comme une réforme de l’État et pour l’État. Cette thèse définit en quelque sorte
l’horizon intellectuel de notre décentralisation : c’est elle que développait déjà
le fameux rapport « Vivre ensemble » conçu au milieu des années 1970, sous la
direction d’O. Guichard, c’est elle que l’on retrouve dans la formule de N. Sarkozy,
alors ministre de l’intérieur, et appelant dans la revue « Pouvoirs locaux » à
plus de décentralisation : « la réforme de l’État passe par la décentralisation »
(v. N. Sarkozy, « Pour une différenciation régionale », Pouvoirs locaux, n° 51, 2001,
p. 91-93). En affirmant jadis qu’il fallait voir dans cette dernière « un mode d’être
de l’État », Hauriou n’avait-il pas, incontestablement, déjà dit l’essentiel ? Une
chose est sûre : des lois Defferre à la récente loi du 16 décembre 2010 sur la
réforme des collectivités territoriales, les choix effectués au nom d’une décentrali-
sation qui se veut toujours plus effective et authentique, ont toujours été faits par
référence à un même principe intangible : celui de l’unité et de l’indivisibilité de
l’État. La France ne cesse pas d’être un État unitaire dans lequel les collectivités
décentralisées reçoivent leurs compétences de l’État lui-même. Comme l’observe
le Conseil d’État dans son rapport public de 1993 « Décentralisation et ordre juri-
dique » : « Il ne peut, dans un tel pays, exister de présomption de compétences
en faveur de collectivités territoriales ». Voilà qui dit clairement les choses et vaut
intervention dans le débat sur la question de la clause générale de compétence
qu’ont relancée en doctrine les débats ayant préparé la loi du 16 décembre 2010 :
loin d’apparaître ici comme constitutive d’une notion constitutionnelle de collec-
tivité territoriale, cette fameuse clause ne serait qu’une figure contingente de la
volonté du seul législateur. C’est de surcroît à cette surdétermination du « local »
par l’État qu’il faut rattacher l’absence de tout pouvoir réglementaire initial des
entités décentralisées comme l’encadrement juridique très strict dans lequel se
trouve enfermée l’action extérieure des collectivités territoriales.
b. Une semblable réaffirmation de la continuité institutionnelle sous les change-
ments les plus visibles caractérise encore les politiques de réorganisation adminis-
trative et de regroupements bureaucratiques qui affectent l’appareil d’État propre-
ment dit, en France comme dans la plupart des États européens (RISA, op. cit.,
2010). Ce mouvement auquel la RGPP donne plus d’étendue et de profondeur et
où l’on retrouve l’usage systématique du répertoire du new public management
ne saurait être tenu pour dérisoire. D’autant qu’il va de pair avec une tendance
lourde et générale à l’expérimentation de nouvelles façons de gouverner ou, pour
le dire à la manière de Foucault, de nouvelles technologies de pouvoir, tout ce que
la science administrative retient de son côté sous l’abominable terme d’« agen-
cification » (RISA, op. cit., 2010). Il y a là tout un programme de reconfiguration
administrative dont on aurait tort de sous-estimer les effets. Ceux-ci n’intéressent
pas seulement la forme de l’État, ils concernent également les conditions de mise
en œuvre de l’action publique et la situation des agents publics. Mais pour réelles
que soient toutes ces métamorphoses, elles ne suffisent pas à faire oublier ce qui
vaut encore marque identitaire de l’architecture publique : la départementalisa-
tion ministérielle. Soumis à des travaux récurrents de redécoupage, les ministères

42
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

sectoriels issus du processus de spécialisation fonctionnelle auquel M. Weber fut


si attentif, résistent. Ils le font à peu près partout, certes avec ses succès inégaux,
où des opérations d’ingénierie institutionnelle visent les appareils d’État en tant
que tels, à des fins de rentabilisation de l’action publique. Cette constatation n’est
pas tout à fait innocente : elle désigne la résistance de modes de représentation
verticale de la fonction administrative que les territoires d’action publique repro-
duisent : « Rien d’étonnant à ce que la tradition de départementalisation reste une
caractéristique importante de l’architecture du secteur public partout en Europe.
Du point de vue de l’institutionnalisme historique, le processus considéré par
Weber comme une différenciation/spécialisation des tâches de l’État a laissé une
empreinte génétique marquée (…) Les réformes administratives mises en œuvre
ces dernières décennies, même si elles sont parfois conçues pour des instruments
ou des agencements alternatifs à ce que l’on perçoit comme les hiérarchies et les
limites trop rigides de l’État wébérien sectorisé, n’ont nulle part entraîné la dispa-
rition des ministères sectoriels, qui restent une caractéristique solide de tout appa-
reil d’État dans l’Europe d’aujourd’hui » (A. Cole et J.-M. Eymeri-Douzans, op. cit.).
c. Les administrations de la décentralisation ont beau s’être imposées à travers
le redéploiement de l’action publique, la longue histoire du vieil État centraliste
et unitaire continue de se réfléchir aussi bien dans le droit positif, que dans les
actuels montages territoriaux. Une affaire jugée conformément aux conclusions
du commissaire du gouvernement R. Schwartz (v. AJDA 2004. 672-677. V. sur la
même décision, la chronique de F. Donnat et D. Casas, AJDA 2004. 653-656), par
le Conseil d’État, le 27 février 2004, à la requête de Mme Popin, montre de façon
très éloquente cette capacité du droit à reproduire son propre discours. Confronté
à la question de savoir si l’exercice de la fonction juridictionnelle incombe toujours
à l’État, même lorsque la loi a conféré à d’autres personnes morales que l’État
(en l’occurrence l’Université) la compétence de certains litiges, le juge adminis-
tratif inscrit sa réponse dans la longue durée de la pensée juridique, qu’il fait
remonter, pour le moins, à la théorisation par Jean Bodin de la notion de souve-
raineté étatique. Rappelant que « notre histoire politique et juridique a fait de la
justice, quel que soit l’organe chargé de la rendre, l’expression de la volonté du
peuple, dans le cadre de la souveraineté nationale, par nature indivisible. L’État est
le vecteur de cette souveraineté », R. Schwartz a ces mots : « La République est
unitaire, organisée dans un État expression unique de la souveraineté nationale
dont la justice est une facette. La République française ne connaît qu’un peuple,
qu’une souveraineté, qu’un État et qu’une justice, chacun étant consubstantiel à
l’autre » (Conclusions précitées, p. 677). Derrière les agencements territoriaux de
l’administration, cette même pensée juridico-politique est au travail. C’est ainsi que
perdure le double maillage administratif du territoire : les formes nouvelles de la
décentralisation se dessinent en surimpression sur un espace marqué et discipliné
par les figures renouvelées de la déconcentration. Ce redoublement institutionnel
a trouvé comme une consécration avec la loi du 6 février 1992 et sa notion d’ad-
ministration territoriale de la République que le ministre de l’Intérieur de l’époque,
P. Joxe, définissait ainsi : « un ensemble indivisible comprenant tout à la fois les

43
Traité de droit administratif

services déconcentrés de l’État et l’ensemble des collectivités locales ». Ce système


d’organisation que le droit donne à voir ne relève pas seulement de l’image ou
de la représentation, il conditionne les pratiques administratives à travers des
processus décisionnels fortement contraints. Ainsi que l’écrivent F. Dreyfus et F.
d’Arcy dans l’édition 1997 de leur manuel (F. Dreyfus et F. D’Arcy, Les institutions
politiques et administratives de la France, Économica, Paris, 1997), « il n’est guère
d’action publique menée au niveau local qui n’implique plusieurs collectivités et
autorités déconcentrées. Il en résulte un processus décisionnel complexe fondé sur
la négociation généralisée entre les différents acteurs ».
d. Résumons-nous : après une trentaine d’années de politique de réforme des
institutions, c’est assurément un paysage administratif transformé qui s’offre à
l’observation. Il n’est pourtant pas méconnaissable, car certains des traits les plus
saillants de son organisation traditionnelle continuent de le structurer. Et il en
est ainsi du rapport global que l’État entretient avec le Territoire, et que l’on se
gardera de confondre avec l’agencement administratif des territoires. L’expérience
même de la décentralisation n’est concevable qu’en faisant « jouer » ces derniers.
Mais les marges de manœuvre ainsi ouvertes par le « centre » ne sont concédées
au « local » décentralisé que dans les limites permises par le Grand Récit de l’in-
térêt général dont l’État continue d’assurer le réglage. Sans doute y a-t-il quelques
bonnes raisons de penser que sur cette question aussi quelques nouveaux
éléments de réponse sont donnés par le droit. D’aucune parlent même d’intérêt
général local (F. Rangeon, Peut-on parler d’un intérêt général local ?, in C. Le Bart
et R. Lefebvre [dir.], La proximité en politique. Usages, rhétorique, pratique, PUR,
Rennes, 2005, p. 45-65). Après tout la notion d’administration territoriale de la
République ne crée-t-elle pas les conditions de possibilité d’une sorte de copro-
duction ordinaire de l’intérêt général, puisque l’État ne peut plus procéder seul au
« réglage » du Grand Récit évoqué plus haut ? Admettons-le, tout en sachant que
cette affirmation est, en tout cas dans la tradition de notre droit, juridiquement
vulnérable. On ne peut s’empêcher de penser qu’en pareille situation, l’État n’a
rien d’un acteur parmi d’autres et comme les autres. Si l’on admet qu’aujourd’hui
les bases doctrinales de notre Grand Récit sont à chercher quelque part du côté de
la RGPP, on découvrira sans peine le pouvoir d’entraînement qui revient à l’État
dans les opérations de définition de l’intérêt général.
e. Enfin, dès lors que les principes généraux de l’organisation administrative
se lisent dans la topographie de l’État, on ne peut qu’être frappé par cette autre
expression de l’invariance institutionnelle : l’incroyable capacité des territoires
traditionnels de la décentralisation à se réaffirmer, en absorbant les chocs que
génère le mouvement, périodiquement réactivé, de la redistribution des compé-
tences entre échelons communaux, départementaux et régionaux. La notion de
« résilience » évoquée ailleurs qualifie fort bien l’aptitude de la communauté des
élus communaux et départementaux à légitimer la pérennisation de leurs terri-
toires respectifs, malgré la forte promotion des intercommunalités et des régions.
On l’a vu, une fois encore, lors du dernier avatar de la réforme des collectivités
territoriales. Entre la recomposition des territoires dessinée dans le rapport « Il est

44
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

temps de décider », et celle esquissée par le projet de loi soumis à la discussion


parlementaire, le décalage était déjà saisissant. Il l’est davantage encore entre ce
dernier et le texte promulgué par le président de la République. À ces écarts entre
la volonté de changement initialement affichée et la réforme finalement portée
par la loi du 16 décembre 2010, il est une explication principale : la résistance
qu’une majorité d’élus communaux et départementaux s’exprimant surtout au
Sénat a su opposer à ces risques majeurs que sont pour eux : la remise en cause
de la vieille carte communale, et la dévalorisation du fait départemental liée à une
trop grande attention portée à la région. Les transformations subies par le statut
des « métropoles » sont tout à fait emblématiques du repli auquel le Gouverne-
ment a dû se résoudre pour ne pas perdre le soutien de ce que l’on a pu appeler
le « parti des élus » (J. Caillosse, « La métropole impossible », Pouvoirs locaux,
n° 86, 2010, p. 41-50). Peut-être fera-t-on valoir que ces phénomènes-là sont
étrangers au champ de la juridicité. L’objection ne serait que faiblement fondée.
Car cette dynamique de la reproduction institutionnelle sollicite fortement les
ressources du droit. On pense ici notamment, au-delà de la protection consti-
tutionnelle dont bénéficient normalement les catégories de collectivités territo-
riales, aux effets pratiques du principe, lui aussi constitutionnalisé, d’interdiction
de toute tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre. Ce principe, même
tempéré par la problématique d’éventuelles collectivités-chefs de file contribue,
à sa manière, à conforter la cartographie traditionnelle de la décentralisation à
la française.

C. Métamorphoses
Le traitement réservé à la question de l’invariance ne vaut surtout pas déni
des changements que les politiques de réforme de l’État impriment, par ailleurs,
dans les modes d’organisation administrative. Entre les images que donnaient de
ces derniers les manuels de droit administratif conçus au début des années 1980
et celles que proposent les ouvrages les plus récemment écrits, la différence est,
parfois, saisissante : la doctrine des juristes accompagne les métamorphoses de
l’administration. La tâche consistant à les décrire n’en reste pas moins délicate :
une part significative de la réforme de l’État — celle qui concerne son expression
territoriale ou déconcentrée — étant en cours de réalisation au moment où doit
s’écrire le présent chapitre, l’information pertinente reste très largement tributaire
du travail de mise en récits qu’accomplit l’État pour mieux légitimer sa propre
réforme. Formalisés dans les textes officiels, ces récits sont surtout portés par
les « commentaires autorisés » qui ont servi à leur préparation ou célèbrent leur
production. En l’absence d’enquêtes et de travaux empiriques sur l’expérience
concrète de cette reconfiguration territoriale de l’État, force est d’en passer par
ces récits indexés sur des modèles conceptuels. Sous cette réserve — c’est vrai
qu’elle est de taille — il est permis d’affirmer que, depuis les années 1980, nous
sommes entrés dans une phase de « réinvention de l’État » (G. Timsit, « La réin-
vention de l’État », RISA 2008. 181-192). Installé dans la durée, ce processus se

45
Traité de droit administratif

poursuit, produisant des effets inégaux. C’est bien pourquoi il a pu être question
ci-dessus d’invariance. Les mouvements en cours laissent voir bien des marques
de l’histoire ancienne : telle est la logique du palimpseste antérieurement évoquée.
Reste que tout au long des trente dernières années, un projet est à l’œuvre, large-
ment partagé par les élites politiques et administratives, bien au-delà du seul cas
français, et qui consiste à remodeler l’État, au sens littéral que G. Timsit donne à
cette expression : répartir autrement sur le territoire la matérialité de l’État.
Ainsi — mais la mise en relation de ces deux phénomènes dépasse les limites
du présent chapitre — c’est au moment où sa propre centralité dans le système
des relations internationales est mise en question, que l’État territorial entreprend
son auto-décentrement. Là réside la caractéristique majeure du changement. Plus
précisément, il s’impose dans le paysage institutionnel de trois manières.
Nous y voyons s’inscrire, tout d’abord, les effets matériels et symboliques d’une
revalorisation généralisée du « local », comme l’indique la promotion soudaine du
terme de « territoire » dans les langages savants aussi bien que dans la communi-
cation courante. Là où les représentations et autres croyances dominantes depuis
la fin du XVIIIe siècle ont largement contribué à l’élaboration, notamment juridique,
d’une sorte de grammaire commune de l’Unité, sinon de l’Uniformité, un tel
déplacement du système des valeurs fait figure de véritable événement.
Il y a ensuite l’émergence, puis la banalisation, de nouvelles figures institution-
nelles qui participent, d’une autre manière, des progrès du polycentrisme adminis-
tratif (J. Chevallier, « Régulation et polycentrisme dans l’administration française »,
Rev. adm., 1998, n° 301, p. 43-53) : on aura reconnu ici, par-delà la tendance
lourde à la création d’agences, ce phénomène plus général et déjà rencontré que
l’on s’accorde à désigner du nom d’« agencification ».
Enfin, la logique même du travail de description implique de faire retour sur l’un
des thèmes d’ouverture du présent chapitre : le rapport public-privé. La circularité
du propos ne manquera sans doute pas d’intriguer : n’est-elle pas le signe d’une
réflexion impuissante, tournant sur elle-même parce qu’incapable d’aboutir ? L’ob-
jection ne serait décisive que s’il s’agissait de présenter ici, par une projection dans
l’avenir, les principes d’organisation d’une nouvelle architecture administrative. Tel
n’est pas l’objet d’un chapitre qui vise, beaucoup plus modestement, à en décrire
l’économie, dans ses composantes et son mouvement. Si pareil programme ne
peut guère échapper à la figure du cercle, c’est que le questionnement doctrinal
sur les critères juridiques de l’identité administrative est sans fin. L’interrogation
laisse toujours un reste justifiant sa réactivation. Or la reconsidération du rapport
public-privé qui est au principe même de la réforme de l’État ouvre de nouvelles
zones d’incertitude
Pour en venir à ces trois figures de la nouvelle architecture administrative, il
a bien fallu faire un choix : accepter par avance de ne pas décrire dans toutes
ses formes la reconfiguration de l’État, pour n’en suivre que les lignes les plus
emblématiques.

46
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

1. D’une revalorisation du « local » et des territoires


Sur ce thème-là, qu’on l’observe du côté du droit public, de la science admi-
nistrative ou de celui de la sociologie de l’action publique, l’accord semble n’avoir
guère de mal à se faire. Le temps n’est plus où l’on se demandait si le territoire
allait se constituer en « idée neuve pour la science administrative » (P. Bernard,
« Le territoire, une idée neuve pour la science administrative », in J.-J. Gleizal [dir.],
Le retour des préfets ?, PUG, Grenoble, 1995, p. 231-244). Prévaut désormais cette
thèse, largement partagée, du territoire comme laboratoire de la réforme de l’État
(F. Séners, « Le territoire, laboratoire de la réforme de l’État », AJDA 2010. 809).
Sous cette métaphore sont saisis des réagencements de l’organisation adminis-
trative dont la diversité relève d’un même projet. Il s’agit de créer les conditions
juridiques d’un nouvel État territorial dont le processus d’institutionnalisation va
de pair avec une territorialisation grandissante de l’action publique. Ce sont ces
« grandes manœuvres » que les juristes décrivent à l’aide de leurs catégories de
décentralisation et de déconcentration, qui ont contribué à un certain renouvelle-
ment du débat juridique, en y faisant entrer des notions que le droit ne reçoit pas
spontanément : qu’il s’agisse par exemple, de la subsidiarité, de la proximité, ou
plus récemment, de la « modularité ». Cette dernière propriété que l’on reconnaît
notamment aux nouvelles directions départementales interministérielles, s’entend
de l’adaptation des structures territoriales de l’État à la spécificité (géographique,
démographique, sociologique, etc.) des territoires. Le « montage » de cet État terri-
torial ne peut s’accomplir qu’au prix d’un sérieux remue-ménage institutionnel. Il
requiert en effet la mise en œuvre de deux politiques publiques — la décentrali-
sation et la déconcentration — qui, pour être conduites séparément, participent
d’une même logique globale de décentrement de l’État. Ce mouvement oblige à
plus ou moins repenser les échafaudages administratifs depuis les territoires, sans
occulter systématiquement leur diversité.
L’importance de cette métamorphose se découvre aussi dans les questions
qu’elle adresse tant à la science administrative qu’à la théorie du droit. Relève de la
première, l’incertitude que génère la dernière loi de réforme des collectivités terri-
toriales : dans cette configuration où l’on voit l’État repenser son propre ancrage
territorial à l’échelon de la région, qu’en sera-t-il exactement de la redistribution
des rôles entre départements et régions, une fois institués les futurs conseillers
territoriaux ? Jusqu’où pourrait-on concevoir, du point de vue même des buts qu’af-
fiche la RGPP en matière de rationalité administrative et de plus grand rendement
de l’action publique, le « découplage » des territoires de la décentralisation et de
la déconcentration ? De leur côté, les juristes ne peuvent pas ignorer les implica-
tions de ces « manœuvres » institutionnelles sur l’économie de notre droit public.
C’est qu’au travail de juridicisation du territoire qui s’accomplit depuis une trentaine
d’années répond une territorialisation certaine de notre droit (J.-B. Auby, « Réflexions
sur la territorialisation du droit », in Mélanges J.-C. Douence, Dalloz, Paris, 2006,
p. 1-15 ; J. Caillosse, Les « mises en scène » juridiques de la décentralisation. Sur la
question du territoire en droit public français, LGDJ, coll. « Droit et société », Paris,
2009 ; Y. Madiot, « Vers une territorialisation du droit ? », RFDA 1995. 947-960 ;

47
Traité de droit administratif

J. Moreau, « Esquisse d’une théorie juridique de la territorialisation », RDSS 2009.


16-27, n° hors série ; J.-M. Pontier, « Territorialisation et déterritorialisation de l’ac-
tion publique », AJDA 1997. 723-730). Ce phénomène qui oblige en particulier à
reconsidérer l’interprétation des principes d’unité et d’égalité, entraîne par ailleurs
de nouvelles tensions dans le jeu des catégories juridiques. Il en est ainsi pour la
fameuse opposition de la centralisation et de la déconcentration, comme le montre
aujourd’hui la diversité des réponses doctrinales à la question de la nature juridique
des Agences régionales de santé (P. Combeau, op. cit.). Il n’y a dans la référence
à ces débats dont il faut dire qu’ils sont récurrents, aucune intention de mettre en
doute la pertinence de la distinction entre deux modes d’organisation territoriale
de l’administration. Ils sont une occasion de plus de faire retour, à la manière de C.
Eisenmann, sur le statut que la pensée juridique classique reconnaît à cette distinc-
tion : c’est l’aptitude de ce modèle binaire à décrire de façon crédible les formes,
y compris les plus inattendues, de l’organisation administrative que la territorialisa-
tion rend de plus en plus aléatoire.

2. Des « agences » et de leur banalisation


Ce n’est pas sans hésitation qu’a été ici retenu le terme d’« agencification ».
Quelques mots d’explication seront sans doute utiles pour éclairer ce choix.
Cette notion permet — et les travaux comparatifs de la science administrative
donnent de bonnes raisons à son usage (RISA, op. cit., 2010) — d’intégrer le cas
des agences stricto sensu (encore qu’en cette matière une telle réserve ne soit
pas toujours facile à justifier) dans un processus beaucoup plus vaste de transfor-
mation du paysage administratif français. Les agences sont indissociables d’un
phénomène de mutation institutionnelle auquel elles appartiennent au même titre,
par exemple, que les établissements publics, les autorités administratives et autre
autorités publiques indépendantes. Les travaux portant sur chacune de ces caté-
gories n’échappent d’ailleurs pas à la nécessité de les penser ensemble. On le
voit dans le dernier « Rapport d’étude sur les établissements publics » du Conseil
d’État. On le voit dans la littérature universitaire : qu’elle porte sur les agences,
les autorités administratives ou publiques indépendantes, les établissements
publics, etc. il lui faut solliciter cette même « matière » institutionnelle dont il n’est
jamais simple de dégager les éléments constitutifs, parce qu’ils partagent nombre
de traits marquants. C’est que tous, chacun à sa manière, participent d’une même
tendance à la fragmentation, voire à la « dissipation » de la structure administrative.
Tous font signe vers un État qui cherche à organiser sa propre mise à distance des
terrains d’intervention publique (R. Epstein, « Gouverner à distance. Quand l’État
se retire des territoires », Esprit, nov. 2005, p. 96-111). Il ne s’agit évidemment pas
de les confondre : entre les différents types d’entités évoquées ici, les différences
statutaires sont bien réelles. Mais il y a l’inspiration commune dont procèdent
tous ces organismes : l’abandon des composantes classiques de l’administration,
lorsque l’action publique touche des intérêts privés, sectoriels ou collectifs particu-
lièrement sensibles et qu’il lui faut répondre à des exigences redoublées d’effica-
cité et d’impartialité.

48
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

Une fois de plus on se gardera de croire à la nouveauté radicale du mouvement


que désigne le mot d’« agencification ». Les modes d’agencement administratif
auxquels celle-ci renvoie ne datent pas tout à fait d’hier. On a pu en faire l’ex-
périence, sous d’autres noms : centres nationaux ou offices, notamment. Souve-
nons-nous aussi du succès qu’ont rencontré un temps les administrations dites de
« mission ». L’État ne répondait-il pas, avec cette formule, à des exigences d’organi-
sation de l’action publique qui n’ont nullement cessé d’être les siennes, lorsqu’en
toute connaissance de cause il décide d’adopter aujourd’hui la forme, juridique-
ment indéterminée, de l’agence ? Mais la prudence à laquelle invite le traitement
du changement ne saurait justifier l’ignorance ou la sous-estimation de ce que
représente la multiplication, jusqu’à leur banalisation, de figures administratives
longtemps confinées dans les marges d’un système d’organisation qu’elles contri-
buent à présent à rendre parfois méconnaissable ! À travers le phénomène, large-
ment entendu, des « agences », on assiste au dépassement, au débordement de ce
que l’on avait pris l’habitude d’appeler l’administration wébérienne, parce qu’on
y trouvait de façon toujours significative les traits les plus édifiants du modèle
bureaucratique, celui-là même que l’on se plaisait à décrire dans la métaphore de
la pyramide hiérarchisée, rappelons-le avec force : le modèle wébérien n’est en
aucune façon la réalité de l’administration. Ainsi que l’écrit P. Duran (« Légitimité,
droit et action publique », L’Année sociologique, vol. 59, 2009, n° 2, p. 326), « Weber
n’a jamais pensé que la bureaucratie pouvait fonctionner d’elle-même sans heurts
ou sans quelques dérives, bien au contraire il envisage lui-même la probabilité de
mécanismes informels ou de bricolage qui sont plus en rapport avec sa conception
de l’acteur social. Comme il le dit lui-même, la règle se gère. ». Les agences font
découvrir une tout autre logique d’organisation, celle du réseau (F. Ost, « De la pyra-
mide au réseau : un nouveau paradigme pour la science du droit ? », in A. Supiot
[dir.], Tisser le lien social, éd. de la MSH, Paris, 2004, p. 175-196 ; J.-L. Autin, « Le
devenir des autorités administratives indépendantes », RFDA 2010. 875-883). Véri-
table changement de répertoire auquel la pensée juridique a donné l’expression
suivante : avec « la banalisation de la dénomination d’agences, on assiste à un
phénomène de rétractation de l’appareil administratif pyramidal hiérarchisé clas-
sique et, à l’inverse, à la prolifération de formes d’administration plus ou moins
autonomes. » (O. Schrameck, « Questions sur l’avenir de l’établissement public.
À propos du rapport du Conseil d’État », AJDA 2010. 1238 s.)
Comment ce processus d’« agencification » n’interpellerait-il pas une doctrine
juridique dont il dérange jusqu’au mode de représentation de l’État lui-même ? Il
y a là des enjeux théoriques considérables que F. Ost, dans son étude précitée,
résume ainsi : « Le glissement de la pyramide au réseau est une évolution qui
s’accompagne de deux autres transformations majeures de l’univers juridico-poli-
tique : le passage de la réglementation à la régulation et la montée en puissance
du thème de la gouvernance en lieu et place de celui du gouvernement ». Formes
renouvelées quoiqu’incertaines de la mise en œuvre des politiques publiques,
sortie plus ou moins réussie des structures traditionnelles, publiques et hiérarchi-
sées, de l’administration des rapports sociaux, émergence de formes de pilotage

49
Traité de droit administratif

hybrides de l’action publique : la grande fortune de la problématique de la gouver-


nance dans les sciences de l’administration n’a rien de fortuit (J. Caillosse, « Ques-
tions sur l’identité juridique de la “gouvernance” », in R. Pasquier, V. Simoulin et
J. Weisbein, La gouvernance territoriale, pratiques, discours et théorie, LGDJ, coll.
« Droit et société », Paris, 2007, p. 35-64) ; elle doit tout à ce changement de
registre institutionnel qu’a provoqué une prolifération d’organismes (AAI, API,
agences et autres établissements publics) qui portent l’indépendance et l’impar-
tialité dans un système hiérarchique qui n’avait sûrement pas été construit pour
rendre ces valeurs nécessaires. Mais il a bien fallu repenser et bricoler, autant que
de besoin, une nouvelle ingénierie institutionnelle. Sans elle, l’action publique
répondrait-elle aux exigences d’un monde européanisé et globalisé ? Ces innova-
tions structurelles n’ont pas entraîné pour autant la disparition des administra-
tions classiques. Elles ont eu lieu là où ces dernières étaient impuissantes à inter-
venir efficacement et légitimement. Autant dire qu’elles révèlent un espace insti-
tutionnel inoccupé, tout simplement parce qu’il n’était guère concevable avant
leur propre avènement.
Le phénomène que l’on désigne ici du mot d’« agencification » participe bien
entendu de la fonction administrative. Mais il ne peut le faire qu’en bousculant
sérieusement les cadres convenus de la pensée juridique. Il en va ainsi pour les
cloisonnements voulus par le droit public entre le politique et l’administratif, l’ad-
ministratif et le juridictionnel, comme pour le vieux partage entre l’intérêt général
et les intérêts privés. Les manières nouvelles qu’emprunte l’État — ces outils
désormais banalisés d’une nouvelle « gouvernementalité » — pour prouver inlassa-
blement la légitimité de ses fonctions d’administration, perturbent jusqu’à l’ordon-
nancement traditionnel des pouvoirs. C’est bien pourquoi ces « transformations
silencieuses » sont rarement reçues sans d’importantes réserves. Cette défiance
prend aujourd’hui des formes très policées, comme le montrent les réflexions du
Conseil d’État sur les établissements publics ; elle n’en demeure pas moins. Si la
légitimité de ces nouveaux dispositifs n’est pas, en tant que telle, remise en cause,
les brouillages juridiques qu’entretient leur institutionnalisation ne manquent pas
d’intriguer. D’autant que la capture, révélée par l’actualité, de certaines de ces
autorités indépendantes par les intérêts privés qui s’y installent au titre de l’Exper-
tise, montre que la formule génère ses propres effets pervers.

3. D’une reconsidération générale du rapport public-privé


Les changements organisationnels imputables à ce processus viennent de loin.
Ils illustrent, à leur manière, ces « transformations silencieuses » dont il a été plus
haut question. Dans cette immense affaire qui implique tout le grand partage,
dans sa dimension symbolique autant que matérielle, entre activités administra-
tives et marchandes, services publics et entreprises, intérêt général et profit, etc.,
le droit n’agit que comme un facteur parmi d’autres. Il n’y tient pas moins son
rôle. Et plus particulièrement le droit de l’Union européenne qui, petit à petit,
impose ses mots, grilles et autres codes de lecture de la « réalité ». Prévalent alors
de nouveaux découpages et des modes de classement des activités sociales qui

50
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

finissent par informer les contours mais aussi l’organisation interne de l’« admi-
nistration ». Ainsi de cette représentation généreuse de l’entreprise qui vient du
droit communautaire, et qui change bel et bien la donne institutionnelle. Tout en
permettant de considérer qu’il existe des activités de service public qui demeurent
insensibles aux exigences du marché — le Conseil d’État en a reconnu le principe
dans son importante décision « Ordre des avocats au barreau de Paris » (v. CE, ass.,
31 mai 2006, Ordre des avocats au barreau de Paris, Lebon 272, AJDA 2006. 592,
chron. C. Landais et F. Lénica) — elle conduit, au total, à une forte révision à la
baisse de ce que l’on appelait traditionnellement, depuis le droit, la fonction admi-
nistrative. Soyons plus précis ; regardons par exemple « travailler » le droit commu-
nautaire de la commande publique et ses expressions nationales. Ils apparaissent,
à tort ou à raison, comme autant d’incitations à choisir des formes d’organisation
de l’action publique qui s’écartent, autant que de besoin, du droit public. Certes,
on ne manque jamais l’occasion de rappeler en pareil cas que le droit de l’Union
ne préjuge en rien le régime juridique de la propriété dans les États-membres.
C’est formellement incontestable : on voit même la CJUE faire valoir dans une
décision « Commission contre Allemagne » du 9 juin 2009 (V. CJCE 9 juin 2009,
Commission des communautés européennes c/ République fédérale d’Allemagne, AJDA
2009. 1715, note J.-D. Dreyfus et S. Rodrigues), où il est notamment question de
la mutualisation, que : « le doit communautaire n’impose nullement aux autorités
publiques, pour assurer en commun leurs missions de service public, de recourir
à une forme juridique particulière ». Mais il y a les pratiques dont il est permis
de tirer un double enseignement. Le premier concerne l’attitude des instances
communautaires elles-mêmes. Ne voient-elles pas, notamment dans l’expérience
française de l’établissement public, comme une volonté politique de protection
de l’entité publique qui serait, par elle-même, de nature à fausser l’exercice de
la concurrence ? Le dernier Rapport du Conseil d’État sur la question de l’établis-
sement public se lit d’ailleurs comme une tentative de déconstruire ce discours
communautaire du soupçon ! Par-delà ce cas, c’est un même « déplacement »
fondamental qui est globalement à l’œuvre : les structures de droit public sont
délaissées au profit de formes de droit privé jugées beaucoup plus accueillantes.
L’histoire administrative française de ces vingt-cinq dernières années en offre une
très édifiante démonstration, où les établissements publics administratifs se font
de plus en plus industriels et commerciaux, avant de devenir sociétés de capitaux.
Cette dynamique institutionnelle possède, il est vrai, en France une force particu-
lière, en raison de la grande prospérité qu’a connue un droit administratif pensé
dès l’origine comme le droit exorbitant dont l’État estime avoir besoin pour se
construire et se légitimer. Là, sans doute plus qu’ailleurs, il s’agissait, par l’usage
du droit public d’affirmer et d’afficher des différences au bénéfice de la sphère
publique, c’est-à-dire de l’intérêt général. Que le type d’organisation administrative
qu’appelait cette représentation de l’État soit en porte à faux avec le modèle euro-
péen d’administration qui prend plus ou moins forme dans le discours juridique
des instances communautaires, voilà qui ne saurait étonner !

51
Traité de droit administratif

Le juriste aurait tort toutefois de s’en tenir à ces constats. Le mouvement de


sortie du droit public que révèle une première lecture du paysage administratif
est une chose. La manœuvre du droit public par les organismes, même privés,
en charge des politiques publiques en est une autre. On en veut notamment pour
preuves le statut juridique des personnels comme celui des biens de ces orga-
nismes. En aucune façon la privatisation d’une entreprise publique, par exemple,
ne se traduit par l’abandon mécanique des anciennes règles propres aux rela-
tions du travail. Le cas de France-Télécom est bien connu : cette société de droit
commercial continue d’agir avec des personnels dont bon nombre relèvent encore
du statut de la fonction publique (F. Melleray, « Fonction publique et service public.
Le cas de France Télécom », AJDA 2003. 2078-2082). Serait-il pour autant fondé
de regarder ici la réforme de l’État à la manière d’une stratégie qui serait mise
en œuvre pour que rien ne change ? On se gardera de sous-estimer l’évolution
des principes de l’organisation administrative dont sont porteuses les politiques
de modernisation. Ne serait-ce que pour cette raison majeure : en l’état actuel des
choses, l’évolution en cours contribue à rendre plus incertaine la délimitation des
contours de l’action publique et, de façon concomitante, les marques de l’identité
administrative. Les raisons de ce flou institutionnel, le Conseil d’État a su fort bien
les exprimer, lorsqu’à la suite d’un bilan coûts-avantages de la formule de l’éta-
blissement public, effectué au regard des exigences du droit communautaire, il a
affirmé : « Au total ce n’est pas tant la formule de l’établissement public qui se voit
remise en question par les évolutions du droit en matière économique, que, plus
largement, la légitimité de l’opérateur public, quelle que soit sa forme juridique ».
Écrite en lettres grasses dans le texte d’un Rapport public, cette formule désigne le
prisme dans lequel il revient désormais au juriste de lire les révisions que connais-
sent aujourd’hui les principes de l’organisation administrative française.

BIBLIOGRAPHIE 1

OUVRAGES
– G. Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, éd. Payot et Rivages, Paris, 2007.
– B. Badie, Un monde sans souveraineté. Les États entre ruse et responsabilité, Fayard, coll.
« L’espace du politique », Paris, 1999.
– G. Braibant et Stirn, Le droit administratif français, Presses de sciences po et Dalloz, coll.
« Amphi », Paris, 2005.
– J. Caillosse, Les « mises en scène » juridiques de la décentralisation. Sur la question du territoire
en droit public français, LGDJ, coll. « Droit et société », Paris, 2009.

1. Ne figurent dans cette bibliographie que les références présentées dans le texte entre parenthèses.

52
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

– J. Chevallier, L’État postmoderne, LGDJ, coll. « Droit et société », Paris, 2008.


– R. Chapus, Droit administratif général, tome 1, Montchrestien, Paris, 2001.
– M. Crozier, Le phénomène bureaucratique, Seuil, coll. « Points », Paris, 1963.
– J.-M. De Forges, Les institutions administratives françaises, PUF, coll. « Droit fondamental »,
Paris, 1985.
– R. Drago, Science administrative. Caractères généraux de la science administrative. Les struc-
tures administratives, Les cours de droit, Paris, 1980.
– F. Dreyfus et F. D’Arcy, Les institutions politiques et administratives de la France, Economica,
Paris, 1997.
– G. Dupuis, M.-J. Guédon et P. Chrétien, Droit administratif, Sirey, coll. « Université », Paris,
2010.
– F. Dupuy et J.-C. Thoenig, L’administration en miettes, Fayard, coll « L’espace du politique »,
Paris, 1985.
– F. Dupuy et J.-C. Thoenig, Sociologie de l’administration française, A. Colin, coll. « U », Paris,
1983.
– C. Eisenmann, Cours de droit administratif, tome I, LGDJ, Paris, 1982 ; Écrits de théorie
du droit, de droit constitutionnel et d’idées politiques, textes réunis par C. Leben, éd. Panthéon
Assas, Paris, 2002.
– M. Foucault, Naissance de la biopolitique, cours au Collège de France, 1978-1979, Galli-
mard-Seuil, coll. « Hautes études », Paris, 2004.
– M. Foucault, Sécurité, territoire, population, cours au Collège de France, 1977-1978, Galli-
mard-Seuil, coll. « Hautes études », Paris, 2004.
– F. Fournié, Recherches sur la décentralisation dans l’œuvre de Maurice Hauriou, LGDJ, coll.
« Bibliothèque de droit public », Paris, 2005.
– J. Fournier, Le travail gouvernemental, Presses de la Fondation nationale des sciences poli-
tiques et Dalloz, coll. « Amphi », Paris, 1987.
– P.-L. Frier et J. Petit, Précis de droit administratif, Montchrestien, Paris, 2008.
– Y. Gaudemet et O. Gohin (dir.), La République décentralisée, éd. Panthéon Assas, colloques,
Paris, 2004.
– J.-P. Gaudin, Gouverner par contrat. L’action publique en question, Presses de sciences po,
Paris, 1999.
– J.-P. Gaudin, L’action publique. Sociologie et politique, Presses de sciences po et Dalloz, coll.
« Amphi », Paris, 2004.
– J.-P. Gaudin, Pourquoi la gouvernance ?, Presses de sciences po, Paris, 2002.
– O. Gohin, Institutions administratives, LGDJ, coll. « Manuel », Paris, 2006.
– B. Gournay, Introduction à la science administrative, A. Colin, Paris, 1970.
– P. Grémion, Le pouvoir périphérique. Bureaucrates et notables dans le système politique fran-
çais, Seuil, Paris, 1976.
– C. Guettier, Institutions administratives, Dalloz, coll. « Cours », Paris, 2005.
– P. Hassenteufel, Sociologie politique : l’action publique, A. Colin, coll. « U », Paris, 2008.
– F. Jullien, Les transformations silencieuses, Grasset, Paris, 2007.

53
Traité de droit administratif

– P. Lascoumes et P. Le Galès, Gouverner par les instruments, Presses de sciences po, coll.
« Gouvernances », Paris, 2004.
– P. Legendre, Sur la question dogmatique en Occident, Fayard, Paris, 1999.
– P. Legendre, Trésor historique de l’État en France. L’administration classique, Fayard, Paris,
1992.
– D. Lochak, Le rôle politique du juge administratif français, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit
public », Paris, 1972.
– M. Lombard et G. Dumont, Droit administratif, Dalloz, coll. « Hypercours », Paris, 2011.
– G. Marcou, Les mutations de l’administration en Europe. Pluralisme et convergences, L’Har-
mattan, coll. « Logiques juridiques », Paris, 1995.
– G. Massardier, Politiques et action publiques, A. Colin, coll. « U », Paris, 2003.
– C.-A., Morand, Le droit néomoderne des politiques publiques, LGDJ, coll. « Droit et société »,
Paris, 1999.
– P. Muller et Y. Surel, Analyse des politiques publiques, Montchrestien, coll. « Clefs », 1998.
– H. Oberdorff, Les institutions administratives, Sirey, coll. « Université », Paris, 2006.
– A. Ogien et S. Laugier, Pourquoi désobéir en démocratie ?, La découverte, coll. « Textes à
l’appui », Paris, 2010.
– P. Rosanvallon, L’ État en France de 1789 à nos jours, Seuil, coll. « L’univers historique »,
Paris, 1990.
– P. Rosanvallon, La légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité, Seuil, coll. « Les
livres du nouveau monde », Paris, 2008.
– A. Smith, L’Europe politique au miroir du local, L’Harmattan, Paris, 1995.
– A. Supiot, L’esprit de Philadelphie. La justice sociale. La justice sociale face au marché total,
Seuil, Paris, 2010.

ARTICLES
– J.-B. Auby, « Réflexions sur la territorialisation du droit », in Mélanges J.-C. Douence, Dalloz,
Paris, 2006, p. 1-15.
– J.-B Auby, « Remarques terminales », RFDA 2010. 931-935.
– J.-L. Autin, « Le devenir des autorités administratives indépendantes », RFDA 2010. 875-883.
– P. Bernard, « Le territoire, une idée neuve pour la science administrative », in J.-J. Gleizal
(dir.), Le retour des préfets ?, PUG, Grenoble, 1995, p. 231-244.
– M. Bourjol, « La réforme de l’administration territoriale. Commentaire de la loi d’orientation
du 6 février 1992 », AJDA 1992. n° spécial Décentralisation, bilan et perspectives, 140-152.
– J. Caillosse, « Sous le droit administratif, quelle(s) administration(s) ? Réflexions sur l’en-
seignement actuel du droit administratif », in Mélanges G. Peiser, PUG, Grenoble, 1995,
p. 63-92.
– J. Caillosse, « Droit public-droit privé : sens et portée d’un partage académique », AJDA
1996. 955-964.

54
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

– J. Caillosse, « Le service public à la française : déconstruction d’un mythe ? », in J.-J. Pardini


et C. Deves (dir.), La réforme de l’État, Bruylant, Bruxelles, 2005, p. 177-198.
– J. Caillosse, « Service public et concurrence. Le service public entre deux mythologies », Dr.
ouvrier, avr. 2008, p. 199-208 ; « Intercommunalité et réforme(s) des collectivités territo-
riales », Rev. pol. parl., n° 105, 2009, p. 73-80.
– J. Caillosse, « Questions sur l’identité juridique de la “gouvernance” », in R. Pasquier,
V. Simoulin et J. Weisbein, La gouvernance territoriale, pratiques, discours et théorie, LGDJ,
coll. « Droit et société », Paris, 2007, p. 35-64.
– J. Caillosse, « La métropole impossible », Pouvoirs locaux, n° 86, 2010, p. 41-50.
– F. Chauvin, « La nouvelle administration régionale de l’État », AJDA 2010. 825-830.
– J. Chevallier, « La gouvernance, un nouveau paradigme étatique », RFAP 2003, n° 105-106,
p. 203-218.
– J. Chevallier, « L’État central : quelles évolutions, quels enjeux ? », Les cahiers français,
n° 346, 2008, p. 40-44.
– J. Chevallier, « Le statut des autorités administratives indépendantes : harmonisation ou
diversification ? », RFDA 2010. 896-900.
– J. Chevallier, « Régulation et polycentrisme dans l’administration française », Rev. adm. 1998,
n° 301, p. 43-53.
– J. Chevallier, « Réflexion sur l’institution des autorités administratives indépendantes », JCP
1986. 3254.
– J. Chirac, « La réforme du ministère des finances », Le Monde, 12 mai 1977.
– A. Cole et J.-M. Eymeri-Douzans, « Les réformes et les regroupements administra-
tifs en Europe. Questions de recherche et défis empiriques », RISA, vol. 73, n° 3, 2010,
p. 423-434.
– P. Combeau, « Les nouveaux visages territoriaux de la déconcentration », RFDA 2010.
1011-1020.
– C. Eisenmann, « La théorie des bases constitutionnelles du droit administratif », RD publ.
1972. 1346-1422.
– R. Epstein, « Gouverner à distance. Quand l’État se retire des territoires », Esprit, nov.
2005, p. 96-111.
– C. Guettier, « L’administration départementale de l’État », AJDA 2010. 831-836.
– M. Karpenschif, « Définition du pouvoir adjudicateur par la Cour de justice des Commu-
nautés européennes », AJDA 2004. 526-533.
– P. Legendre, « La facture historique des systèmes. Notations pour une histoire comparative
du droit administratif français », in Trésor historique de l’État en France, Fayard, Paris, 1992,
p. 509-546.
– P. Legendre, « Remarques sur la reféodalisation de la France », in Études en l’honneur de
G. Dupuis, LGDJ, Paris, 1997, p. 201-211.
– P. Legendre, « Une mémoire fonctionnelle », RFAP, n° 102, 2002, p. 223-228.
– P. Le Lidec, « La relance de la décentralisation en France. De la rhétorique managériale aux
réalités de l’Acte 2 », Politiques et management public, n° 3, 2005, p. 101-125.

55
Traité de droit administratif

– P. Le Lidec, « Le jeu du compromis : l’État et les collectivités territoriales dans la décentrali-


sation en France », RFAP 2007. 111-130.
– Y. Madiot, « Vers une territorialisation du droit ? », RFDA 1995. 947-960.
– F. Melleray, « Fonction publique et service public. Le cas de France Télécom », AJDA 2003.
2078-2082.
– J. Moreau, « Esquisse d’une théorie juridique de la territorialisation », RDSS 2009 n° hors
série. 16-27.
– H. Oberdorff, « Des incidences de l’Union européenne et des Communautés européennes
sur le système administratif français », RD publ. 1995. 25-47.
– F. Ost, « De la pyramide au réseau : un nouveau paradigme pour la science du droit ? », in
A. Supiot (dir.), Tisser le lien social, éd. de la MSH, Paris, 2004, p. 175-196.
– J.-M. Pontier, « Territorialisation et déterritorialisation de l’action publique », AJDA 1997.
723-730.
– J.-L. Quermonne, « Administration publique et science politique », in Mélanges R. Chapus,
Montchrestien, Paris, 1992, p. 559-570.
– F. Rangeon, « Peut-on parler d’un intérêt général local ? », in C. Le Bart et R. Lefebvre
(dir.), La proximité en politique. Usages, rhétorique, pratiques, PUR, Rennes, 2005, p. 45-65.
– S. Regourd et J.-A. Mazères, « Du modèle communautaire et territorial au modèle fonctionnel
de l’entreprise », in M. Bourjol (dir.), La commune, l’État, le droit, LGDJ, Paris, 1990, p. 292 s.
– O. Schrameck, « Questions sur l’avenir de l’établissement public. À propos du rapport du
Conseil d’État », AJDA 2010. 1238 s.
– F. Séners, « Le territoire, laboratoire de la réforme de l’État », AJDA 2010. 809.
– G. Timsit, « Le modèle occidental d’administration », RFAP 1982. 441-480.
– G. Timsit, « La science administrative d’hier à demain… et après-demain », RD publ. 1982.
929-1021.
– G. Timsit, « La régulation : naissance d’une notion », in G. Timsit (dir.), Archipel de la norme,
PUF, coll. « Les voies du droit, Paris », 1997, p. 161-231.
– G. Timsit, « La réinvention de l’État », RISA, juin 2008. 181-192.
– G. Vedel, « Préface à la septième édition », Dr. adm., PUF, coll. « Thémis », Paris, 1980,
p. 19-38.

DIVERS
– Conseil d’État, Structures gouvernementales et organisation administrative, La Documentation
française, Paris, 1986.
– Conseil d’État, « Rapport public 1995, Service public, services publics : déclin ou renou-
veau », EDCE, n° 46, La Documentation française, Paris, 1995.
– Conseil d’État, « Rapport public 2007, L’administration française et l’Union européenne.
Quelles influences ? Quelles stratégies ? », EDCE n° 58, La Documentation française, Paris,
2007.

56
Les « principes généraux » de l’organisation administrative

– Conseil d’État, Rapport d’étude sur les établissements publics, La Documentation française,
Paris, 2009.
– J. De Clausade, L’administration française et l’Europe, Rapport au ministre de la fonction
publique et des réformes administratives et au ministre des affaires européennes, La Docu-
mentation française, Paris, 1991.
– École nationale d’administration, promotion René Char, Le travail gouvernemental, 2 tomes,
La Documentation française, Paris, 1996.
– P. Gélard, « Rapport sur les autorités administratives indépendantes », présenté au nom de
l’Office parlementaire d’évaluation de la législation, Ass. nat. n° 3166, Sénat n° 404, Paris,
2006.
– A. Lambert, Les relations entre l’État et les collectivités territoriales, RGPP, Paris,
novembre 2007
– Revue Internationale des sciences administratives, Restructuration de l’État et réforme des
exécutifs en Europe, vol. 76, n° 3, 2010.
– E. Woerth, 2e rapport d’étape au président de la République, RGPP, Paris, mai 2009.

57

Vous aimerez peut-être aussi