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L’ECONOMIE DE KEYNES

par
J. CARTELIER

Lorsque John-Maynard KEYNES, publie en 1936 la Théorie générale de l’emploi de l’intérêt et de la


monnaie, il bouleverse les principes économiques néoclassiques de l’époque, en proposant une
intervention étatique monétaire et budgétaire en remède à une situation d’équilibre général de sous-
emploi, avec chômage involontaire

John-Maynard KEYNES, né l’année de la mort de Karl MARX en 1883, d’un père professeur de logique
et d’économie à Cambridge, John-Neville, étudie d’abord les mathématiques. Il s’intéresse rapidement à
l’économie politique sous l’égide de maîtres tels que MARSHALL ou PIGOU il entre dans le service
public en 1906. Dès son premier livre, lndian Currency and Finance, publié en 1913, il acquiert une
certaine notoriété. Chargé des relations internationales au Trésor il exposa ses propositions de soutien
financier de l’Allemagne lors du Traité de Versailles dans l’ouvrage Conséquences économiques de la paix,
en 1919. En plus de ses activités d’universitaire et d’économiste, il se lança dans la spéculation en devises
et en matières premières. Après avoir dénoncé un éventuel retour de la livre à sa parité d’avant-guerre en
1925, il publie en 1930; le Traité sur la monnaie, qui marque une rupture avec les théories passées . Ce
n’est cependant qu’avec sa Théorie générale, qu’il devient le fondateur d’un nouveau courant de pensée .
Après avoir essayé lors de la Conférence de Bretton Woods en 1944, d’imposer le ‘Bancor’, il meurt en
1946.

Il est intéressant environ soixante ans après de s’interroger sur la portée du legs de cet auteur. Ainsi
conviendrait-il d’analyser les écrits de Keynes profondément axés sur la macro-économie et souvent en
rupture avec les classiques avant de relever les différentes influences de son œ uvre en économie politique.
Il apparaît cependant que les idées keynésiennes dans leur unité n’ont jamais été modélisées mais ont
plutôt été incorporées dans la théorie économique dominante. De plus, l’héritage keynésien semble avoir
été interprété de bien différentes façons comme en témoigne les qualificatifs des écoles “post-
keynésiennes”, “néo-keynésiennes”, ou “keynésiennes radicales” ... il n’en reste pas moins que l’économie
de Keynes constitue une alternative aux stratégies économiques dominantes malgré les tentatives de
récupération et d’absorption par l’économie néoclassique . La singularité de l’économie de Keynes repose
sur la divergence d’intérêts entre entrepreneurs et non-entrepreneurs, refusant ainsi la loi de Walras, mais
aussi sur une économie monétaire incertaine propice à une trappe à liquidités. L’intérêt dominant des
entrepreneurs associés à la limitation de l’accumulation du capital du fait de la préférence pour la liquidité
justifie la possibilité d’équilibre avec chômage involontaire. Il en reste néanmoins que la pensée
keynésienne a permis l’élargissement du champ théorique de l’économie académique tout en conservant
ses perspectives propres en matière d’analyse économique.

PARTIE I - ANALYSE DES TEXTES

Tout en centrant son analyse sur la détermination des prix monétaires, Keynes insiste tout
particulièrement sur le rôle du pouvoir d’achat de la monnaie

Chapitre I LE TRAITE SUR LA MONNAIE L’AFFIRMATION D’UNE APPROCHE NOUVELLE

- Le traité sur la monnaie. Une théorie des jeux monétaires:


La monnaie constitue avant tout pour Keynes le cadre central de l’activité économique. En outre, le
langage économique provient bien ici de “l’Etat” plutôt que la “nature”. La monnaie “proprement dite”
se définit par l’interaction entre deux agents non-bancaires et se distingue de la monnaie bancaire
représentant une dette et permettant la création de monnaie légale par la banque centrale et n’exigeant pas
de contrepartie par l’intermédiaire des banques secondaires.

- La monnaie est également plus ou moins administrée par l’Etat, “managed monev”, qui fixe les
règles de l’émission monétaire et joue ainsi sur sa valeur. L’émission des moyens de paiement est alors la
principale et unique tâche monétaire confiée aux autres agents économiques dont la banque centrale sans
contrepartie

- Keynes distingue enfin, les “dépôts de revenus” ou encaisses de transaction des “dépôts
d’épargnes” constitués des encaisses de précaution voire de spéculation, ces motifs étant déterminant
puisque relevant des décisions aléatoires de chaque agent

La valeur de la monnaie, les équations fondamentales:


La théorie monétaire néoclassique reposait jusqu’alors sur l’hypothèse d’une monnaie “neutre” dont le
seul rôle est d’être un intermédiaire dans les échanges. On suppose également que les quantités échangées
à l’équilibre ainsi que les prix relatifs sont déterminés. Au sein de cette économie “réelle”, les prix
nominaux sont déterminés par le biais de la Théorie Quantitative de la Monnaie (TQM) ou “équation des
échanges” : MV = PT

Selon cette dernière, un lien peut être établi entre la valeur d’un flux de paiement MV et la valeur PT des
transactions réalisées durant l’unité de temps. La valeur de la monnaie est alors inversement
proportionnelle à la quantité de monnaie employée, si V est constant et indépendant de M . On suppose
de plus que les prix relatifs et les quantités échangées sont indépendantes des variations de M , puisqu’ils
sont fixés par les conditions d’équilibre des marchés de biens et de facteurs à l’écart de tout phénomène
monétaire. Il y aurait alors dichotomie entre secteur réel et monétaire. A cela, Keynes oppose une vitesse
de circulation variant selon l’importance des dépôts d’épargne, l’intervention endogène des banques
secondaires sur la masse monétaire et l’indissociation entre prix monétaire et prix relatif. Revenons enfin
sur certaines définitions clefs

- Par revenu, Keynes entend le revenu monétaire social, “community’s monev income”, soit la
somme des revenus des facteurs dont les salaires, les intérêts, les loyers,.., le profit normal de
l’entrepreneur - le profit constituant la différence positive entre les recettes et le coût de production, ce
qui pourrait correspondre à la définition de l’épargne : différence entre revenu et dépenses de
consommation

- A nouveau dans le Traité, il propose de distinguer deux catégories de biens quantifiables


concernant deux secteurs de production : les biens de consommation et d’investissement Ainsi

(1> QQc~Q~

Q : volume de la production
Qc: volume des biens de consommation agrégats à prix constant
Q1 : volume des biens d’investissement

Soit PQc = E - S , la valeur de la consommation courante avec

P : l’indice des prix “Price”


E : le revenu “Earnin g”
S : l’épargne “.Save”

Comme Q = Q0 + Q1
Alors E (E/Q) (Qc + Qi)
Donc PQ0 = (E/O) (Oc + Qi) - 5

Soit 1’: le coût de production des biens d’investissement: I’ = (E/O) (Qi)


P(E/Q)Qc+ (E/O’) Q1S
(2) P(EIQ)+(l’-S)/Qc

Selon cette équation fondamentale, le prix monétaire des biens de consommation est déterminé par le
coût moyen de la production totale (E/O) et par la différence entre le coût de production des biens
d’investissements et l’épargne
De même, l’indice global des prix monétaires P est donné par l’équation fondamentale
P =(PQc + P’Q1) / Q
(3) P=[(E-S)+ Il/Q
(3) P=(E/Q)+(l-S)/Q
Le pouvoir d’achat général de la monnaie (hP) dépend du coût moyen en facteurs (E/O) et de
l’importance relative de la consommation
- 2 Remarques sur les équations fondamentales:
Ces identités comptables doivent servir selon Keynes à des fins d’analyse dynamique du niveau des prix
et de la transition d’une position d’équilibre à une autre, l’équilibre se caractérisant par la formule P =
E/Q , avec 1’ = S et I = S
Les profits des entrepreneurs seraient alors nuls. Si la dépense d’investissement est différente de la
dépense d’épargne alors les profits (I - S) au plan global ne seraient pas nuls et les prix monétaires seraient
en situation de déséquilibre.
Au plan global, les profits des entrepreneurs sont de plus donnés par la relation :1* + (E - S) - E = I - S
En absence de profit S, le pouvoir d’achat général de la monnaie I/P est alors défini par E/Q
Keynes diverge alors de la TOM par le rôle moteur des profits dans la dynamique monétaire. En outre, il
place la théorie monétaire au cœ ur des décisions entrepreneuriales et abandonne un paradigme
dichotomique

Le Traité sur la monnaie. Un premier état de l’économie de Keynes

Lignes directrices de l’économie de Keynes, ces équations fondamentales seront également largement
présentes dans la Théorie générale.

Nature et rôle des profits


A l’image de la parabole de la cruche de la veuve (“ widow’s cruse”) dont le niveau d’huile reste
constant quelque soit son utilisation. Une augmentation de la propension à consommer
n’altère pas les profits
Soit “e” les entrepreneurs et “w” les non - entrepreneurs (wage earners),
n = I + C~+ C~- E~Ew
(4) H=L(Se+Sw)
Une hausse des profits des entrepreneurs peut alors paradoxalement être obtenue par une hausse de leurs
dépenses de consommation. Cependant, lorsque les non-entrepreneurs augmentent leurs dépenses de
consommation c’est au profit des entrepreneurs, leur “jarre d’huile” se vidant naturellement. Il apparaît
également “que les dépenses d’investissement sont automatiquement autofinancées par les profits qu’elles
engendrent”, l’épargne constituant alors un résidu et non un déterminant des profits. Enfin, selon le
“principe de Kalecki”, sur le plan macro-économique les investissements doivent être considérés à la fois
comme une dépense et une recette, pouvant conduire à une augmentation des recettes (I + E - S) mais
non des coûts (E)

Evaluation des actifs, principe général


L’arbitrage entre détention des titres et dépôts bancaires repose sur la composition des agents, constitués
de “baissiers” et de “haussiers”. L’évaluation du capital ( au sens financier, capital = source durable de revenus
futurs plus ou moins certains) tient ici une place primordiale.

F0 = ~ a / (1 - i)
(5) F0 (a/j) ((1 — (I /(1 + i)t] Au bout d’une seule période soit t = 1, F0 a / i + i
S’il n’existe pas de terme à la rémunération, soit t —> x , F0 = a / i
En ce qui concerne les actifs financiers négociables sur un marché, le produit total à la période t1 dépend
de la somme du revenu, ou dividende, en t0 et de la plus-value ou de la moins-value escomptée.
L’anticipation est variable selon le comportement des agents, qu’ils soient “baissiers” ou “haussiers”.
Soit “i” le taux de l’intérêt et V1e le prix attendu à la période suivante, alors, V0 a + V1e - V0 Ce qui sous
entend :
(6) Vo=(a+Vie)(1 +i)
La valeur présente sur le marché des titres dépend donc de l’anticipation sur le prix futur ; si l’anticipation
est juste alors V0 = F0

L’arbitrage entre les titres et les dépôts:


Outre le revenu des titres, les plus ou moins values éventuelles sont déterminantes dans la constitution du
patrimoine. Ainsi, un “baissier” a une certaine préférence pour les dépôts d’épargne, moins volatils, alors
qu’un “haussier” attend une hausse inévitable du capital qu’il détient en titres. Par exemple, en vertu de
l’effet balançoire, plus le taux de l’intérêt bancaire est faible relativement à l’intérêt d’une obligation, plus
la population a tendance à anticiper une hausse des intérêts bancaires, au détriment des intérêts
obligataires. D’autre part, plus la proposition de baissier est élevée, plus le patrimoine global est liquide

Le taux d’intérêt:
L’attitude générale du système bancaire quant aux conditions de crédit et la politique menée par la Banque
centrale déterminent conjointement avec l’opinion du public sur les prix futurs des titres, la composition
des patrimoines financiers

L’investissement:
Ici le choix d’acquisition ne porte que sur les nouveaux biens d’investissement. Ces derniers étant la
contrepartie d’un certain coût. Le taux de rentabilité économique de l’investissement décroît avec
l’importance du prix de ce dernier. Ainsi, la demande P’(l) décroît avec le montant total de
l’investissement. Pour un coût de production (I/O) croissant, il existe un équilibre au coût 1* et au prix ~
au-delà duquel plus aucun entrepreneur n’est incité à le demander ou à le produire
£ .~v’-~
o Q~ Qmax
De plus, les entrepreneurs doivent prendre en compte le taux de rentabilité financière en vue d’un
éventuel investissement, ne serait - ce que pour vérifier que P~ soit supérieur ou égal au coût de
l’emprunt. Ainsi le prix des biens d’investissement P’ est déterminé bien différemment du prix P des biens
de consommation puisqu’il prend en compte des considérations patrimoniales, mais il ne tient pas compte
du montant du revenu ni de l’arbitrage entre épargne et consommation. Ainsi le prix des biens
d’investissement P’ est déterminé bien différemment du prix P des biens de consommation puisqu’il
prend en compte des considérations patrimoniales, mais il ne tient pas compte du montant du revenu ni
de l’arbitrage entre épargne et consommation

Vue synthétique de la macro-économie du Traité:


Contrairement à la loi de Walras, Keynes suppose que les recettes aussi bien du secteur des biens
d’investissement que de consommation diffèrent le plus souvent des coûts pour chaque secteur . Ainsi,
PQ0 + P’O, _ E et les profits susceptibles d’apparaître dans les deux secteurs sont bien indépendants l’un
de l’autre _____________________________
(7) Hc=(E-S)-(E/Q>Q~
(8) FI1 = I - (E/Q) Q1
De manière générale, la somme des profits est égale à I - S . En outre, lorsque H0 = FI = 0, (équilibre
général) les prix monétaires sont déterminés par le coût moyen de la production totale E/Q

Il-3~ Le pouvoir d’achat de la monnaie:


La théorie keynésienne des prix monétaires peut être résumée par les relations (7) et (8), sachant que les
quantités produites pour chacun des deux secteurs sont prédéterminées On considère une situation
d’équilibre dans laquelle l’épargne globale, résultant de la conjonction entre actions du système bancaire et
opinion des agents quant à l’anticipation financière, équivaut au montant de l’investissement, alors que les
prix expriment le coût moyen de la production. Sous ces conditions et uniquement sous celles-ci, prix
monétaire P et masse monétaire M peuvent être mis en relation
On suppose l’équilibre 1’ = I = S, et alors, P = P’ = (E/O) = P selon les équations (2) et (3)
Distinguons la masse Mi des dépôts de revenus, des dépôts M2, d’épargne il est alors possible d’expliciter
la vitesse de circulation de Mi
Vi QP/M1 Mi = QP/V1
Soit m* la part à l’équilibre de M2 dans M, telle que S = I et que les profits soient nuls dans les deux
secteurs M2 = mM
On peut déterminer la masse monétaire de la façon suivante
M=Mi+M2
M = (QPNî) + mM
(9) MVI (1 - m*) =
Il est impératif selon Keynes que la variable m* soit à l’équilibre Il présente alors une relation bien plus
exigeante que celle d’Irving Fischer. L’originalité de Keynes (même s’il s’inspire de Wicksell) tient à sa
prise en compte de la totalité de la vie économique et non plus de simples variables monétaires.

L’activité économique:
Ici, les mouvements du revenu, de la consommation et de l’investissement tiennent une place bien plus
déterminante que les prix monétaires pour une quantité fixée. Il considère comme élément le plus
fréquent et le plus important du processus causal des changements de la vie économique, la création
d’emplois de la part des entrepreneurs, “au taux courant de rémunération” en fonction des profits Keynes
propose ainsi la “parabole de l’économie bannière” : il suppose une économie ne produisant qu’un seul
bien de consommation, la banane, et de surcroît en équilibre. (I = S). La seule alternative à ce cercle
vicieux est un rétablissement de l’équilibre entre épargne et investissement pouvant provenir de trois
hypothèses:
- la production cesse et la population est éliminée par la famine,
- la pauvreté croissante atténue l’incitation à l’épargne,
- l’investissement est stimulé et parvient à rejoindre le niveau de l’épargne.

Il distingue quatre phases au sein du processus causal


a - L’attirance pour un taux d’intérêt réel positif peut conduire à restreindre la demande en biens
d’investissement et ainsi le niveau de production
b - La diminution corrélative de la quantité de biens d’investissement QI et de leur prix P’ brise l’équilibre
I = S . Il en va de même pour les biens de consommation
c - Le taux moyen des profits H0 et H1 ayant diminué, le volume de l’emploi décroît.
d - La variation des taux de rémunération accompagne celle des profits.
Il en découle une nomenclature d’analyse des causes du changement:
- les changements monétaires (M), opinions sur les titres
- les variations de l’investissement provenant de changements mo nétaires ou biens économiques
- intervention de facteurs industriels nouveaux.

Du Traité à la Théorie générale :Continuité et progression

Quelques fausses ruptures:


En ce qui concerne le lien à établir entre prix relatif d’un bien et coût de production (taux des salaires
réels), il admet dans la Théorie générale que le salaire réel correspond à la productivité marginale du
travail, selon “le premier postulat classique”. En outre, la thèse de l’indépendance du prix des biens
d’investissement a été largement controversée par Kahn, soutenant que cette théorie ne peut être validée
que si la totalité des profits est consacrée aux biens d’investissements. Avec H, le montant des profits
dépensés en biens de consommation, le profit dans ce secteur FI est alors
(10) Hc = kH + PQc - (E/Q)Qc
(10) H~kH+l-S

Dès lors l’indépendance du prix des biens d’investissement signifie k = 0, c’est à dire que les profits sont
intégralement dépensés en biens d’investissement et FI0. 1’ - S. A l’opposé si k = 1, et que les profits sont
intégralement dépensés en biens de consommation H1 = S.- 1’ . Cependant Keynes ne peut accepter la
thèse de Kahn puisqu’il se conformerait alors à la loi de Walras (la somme des valeurs des écarts entre
demandes et offres est toujours nulle quels que soient les prix). Lorsque l’on modélise la somme des
différences entre offre et demande sur chacun des trois marchés (deux de biens et un de titres), on
s’aperçoit que chez Keynes cette somme est égale à H sauf à l’équilibre où elle vaut zéro. La loi de Walras
s’applique néanmoins au modèle de Kahn qui n’envisage pas l’existence de dépenses autonomes non
issues d’un revenu et plus particulièrement l’autonomie des dépenses d’investissements. Kalecki abonde
également dans l’interprétation de Keynes en déclarant que “les capitalistes gagnent ce qu’ils dépensent
tandis que les salariés dépensent ce qu’ils gagnent”.

lll2Quelgues chaînons manquants:


En ce qui concerne la propension à épargner et donc aussi à consommer, en fonction du revenu, Keynes
offre un certain mutisme la position de l’équilibre I = S reste alors indéterminée.
C’est pourquoi Keynes en réponse à cette omission propose en 1931 d’illustrer le fait qu’à l’équilibre I S
correspond un état de production et de revenu maximal. La proportion de l’épargne dans le revenu ne
peut croître durablement vers (Emax, Qmax) que sous la condition de cet équilibre. Si la proportion en
revenu épargné augmentait plus que proportionnellement (S’) alors le revenu et la production
diminueraient pour atteindre un équilibre stable (E*,Q*) de sous emploi. Il en va de même pour
l’accroissement de l’investissement I. Keynes aborde une autre conception de revenu cette fois égale à la
somme des profits st des revenus des facteurs ce qui permet de considérer l’équilibre I = S comme
définitif.
Y=E+H
(i.e) Y=PQ0+l
(i.e) Y-PQ0=IetS=Y-PQ0

Cette notion d’équilibre et de point fixe sera largement exploitée dans la Théorie générale. En outre
Keynes adopte, en réponse à une autre omission, la théorie traditionnelle démontrant que les profits
”purs” des entrepreneurs sont nuls, mais que leur seul profit correspond juste à leur productivité
marginale, ce qui les conduit à obtenir la situation de l’équilibre pour laquelle l’activité est maximale. Celle-
ci nécessite des anticipations de la part des entrepreneurs. Les anticipations tiennent de plus une part
capitale de la Théorie générale dans les “paramètres de l’économie monétaire” outre la quantité de
monnaie: la préférence pour la liquidité.

Chapitre 2 LA THEORIE GENERALE / Les points de rupture avec la tradition néoclassique

Outre l’affirmation de l’existence d’équilibres avec chômage involontaire en dépit de la flexibilité des prix,
Keynes rentre en rupture avec l’économie néoclassique par l’asymétrie entre entrepreneurs et salariés,
mais aussi par le rôle qu’il confère au taux d’intérêt, simple arbitre entre les formes de détention des actifs
financiers (liquidités/titres...).

La Théorie générale / Les choix théoriques significatifs:


Trois choix théoriques majeurs sont à répertorier:

1- L’économie est d’emblée monétaire


Alors que pour les néoclassiques, l’ensemble des biens se répartit entre les individus hors de toute
organisation sociale présumée, Keynes préfère utiliser les quantités de valeur monétaire et les quantités
d’emploi (N quotient de a masse salariale totale sur le salaire moyen), pour définir l’activité économique .
Il reconnaît ainsi l’importance du contexte institutionnel et la forme monétaire de la richesse (expliquant
la tentation pour la liquidité). En outre, la partition économique est sociale et non matérielle
“l’investissement” symbolisant dès lors les dépenses effectuées entre les entrepreneurs, ”Les coûts de
facteur” dont les salaires - les dépenses des entrepreneurs auprès des non-entrepreneurs et la
consommation”, la dépense des revenus auprès des entrepreneurs.

2- L’asymétrie entre les entrepreneurs et les salariés


Lorsque Keynes reprend ce qu’il appelle le “premier postulat classique”, il admet que l’entrepreneur,
demandeur du facteur travail, maximise son profit en faisant correspondre le salaire réel et la productivité
marginale du travail. En revanche, il refuse la courbe d’offre du travail, les désirs des salariés potentiels
n’étant pas pris en compte par les entrepreneurs. Afin d’obtenir suffisamment d’unités d’emplois, les
entrepreneurs fixent unilatéralement le niveau de l’emploi entre O et N*. La vision néoclassique ne se
vérifie que pour N*. De manière générale, les entrepreneurs usent de leur prééminence pour fixer un
niveau d’emploi NA déterminant le salaire réel (WIp)1, ce qui entraîne un chômage involontaire (Ns - N1)
s’ajoutant à un éventuel chômage involontaire (Iy~ -Ns). De plus, un processus d’ajustement vers
l’équilibre ne peut avoir lieu, en l’absence d’un marché des facteurs. Le statut des différents acteurs
d’ailleurs non identique, la courbe d’offre du travail ayant une importance moindre. Reste à savoir
comment les entrepreneurs déterminent le volume de l’emploi (théorie de la demande effective)...

3- Anticipations et caractère conventionnel des comportements économiques


Keynes insiste tout particulièrement sur l’incertitude radicale de l’économie de marché, empêchant
d’élaborer tout calcul rationnel pour des projets à long terme. C’est néanmoins dans ce cadre que
s’organise un “marché pour le capital” évaluant sans cesse des actifs négociables. La convention avance
alors l’hypothèse selon laquelle les agents sont logiquement les plus rationnels possibles étant donnés
leurs acquits. Selon cette convention, le terme du placement doit être considéré par l’individu comme une
somme de courtes périodes à l’issue desquelles il peut réviser son choix. La convention s’appuie
néanmoins sur la formule de l’évaluation d’un actif négociable, selon laquelle le taux de l’intérêt est égal au
gain total (rendement net et plus-value) rapporté à la valeur présente de l’actif:
(a + V1e~ Vo) /V0 i

Le prix actuel d’un titre dépend ainsi de la précision de sa valeur à la période suivante, prévision
dépendant du sentiment “baissier” ou “haussier” en rapport avec le comportement de l’ensemble des
autres agents, ce qui sous-tend une certaine fragilité de l’économie liée à l’hétérogénéité de fait des agents.

L’économie de Keynes dans la syntaxe de l’équilibre général = essai de transpositions


Des caractères fondamentaux venant d’être énoncés, découlent la thèse de l’équilibre avec chômage
involontaire et celle de la fonction du taux de l’intérêt.

Le modèle macroéconomique néoclassique élémentaire: un rappel


En utilisant les notations Ns, la quantité du travail offerte, Cd la quantité du bien demandée et Bd la
quantité de titres demandée, pour le prix nominal du bien, P/L le pix du titre et w le salaire nominal, la
contrainte budgétaire

(1) Cd + (1/j) Bd _ (w/p) Ns

La production est fonction d’un capital K donné avec une quantité de travail N

(2) q=F(N.k)

La maximisation du profit qs - (W/p) Nd nécessite l’égalité du salaire réel et de la productivité marginale.


En ôtant id, la quantité d’un bien d’investissement demandée, la contrainte budgétaire de l’entreprise
s’écrit

(3) qs + Bs (1/i) = Id + (w/p) Nd

Selon la loi de Walras, la valeur des demandes totales est toujours identique à la valeur des offres totales

(4) Nd(.)-Ns(.> x(w/p)O


Cd(.)+ld(.)-qs(.)0 y(w/p;lIi)0
Bd(.)-Bs()0 z(w/p;1/i)0

avec (.) un prix quelconque.

La loi de Walras repose cependant sur l’hypothèse selon laquelle les agents règlent individuellement la
valeur de leur offre en fonction d’une variation éventuelle de la valeur de leur demande et vice versa.
Ainsi, lorsque l’équilibre est établi sur le marché des biens et des titres, il l’est forcément sur le marché du
travail, ce que rejette justement Keynes.

La rigidité du salaire nominal : un malentendu


Il faut rappeler avant toute chose que la rigidité du salaire nominal ne peut être prise en compte dans la
rigidité du modèle néoclassique, la valeur intrinsèque de la monnaie étant nulle. Dès lors, la rigidité du seul
salaire nominal est insignifiante. Si l’on pose que la demande de monnaie est égale à son offre, une
modification de la quantité de monnaie influerait sur la valeur du salaire nominal, chose impossible
puisque le salaire nominal est supposé rigide. Pour être incorporé dans l’économie néoclassique, cette
théorie doit, soit maintenir indifféremment l’hypothèse inoffensive de rigidité du salaire nominal, soit
conserver la condition contradictoire d’équilibre du marché de la monnaie.

L’asymétrie entre entrepreneurs et salariés


Keynes insiste sur l’hétérogénéité entre les individus vis-à-vis de leurs contraintes budgétaires, dont le
salarié n’est pas maître en toute circonstance. Subordonnés, ils ne peuvent tenir compte de la valeur de
leur offre de travail mais de celle de la demande de l’entrepreneur plus particulièrement lorsque l’offre est
excédentaire, soit, (w/p) > (w/p)*, sur le marché du travail.
La contrainte budgétaire s’écrit alors

(5) Cd + (1/i) Bd _ min [(w/p) Ns(.), (w/p) Nd(.)]


Bien que l’offre de travail des salariés soit nécessaire pour se présenter sur les autres marchés, ce n’est pas
elle qui règle la contrainte budgétaire. En effet, les entrepreneurs fixent indépendamment un niveau
d’emploi NA = Nd qui, s’il est inférieur à Ns, créé du chômage involontaire. En effectuant la somme des
contraintes budgétaires, on obtient cette fois, une loi de Walras restreinte (LWR), puisque le marché du
travail n’y est pas englobé.

[Cd(.) + ld(.) - qs(.)] + (1/i) [Bd(.> - Bs(.)] = O

Alors que Keynes admet simplement en situation la LWR de chômage involontaire, on est tenté
d’envisager un ajustement sur le marché du travail (la LWB correspondrait à la loi de Walras), ce que
récuse Keynes par la rigidité du salaire nominal. Cette rigidité est particulière puisque le déséquilibre sur le
marché du travail (non soumis à la LWR) n’est pas compensé par d’autres marchés. Pour Keynes, il ne
peut y avoir une égalité de statut des agents vis-à-vis de l’emploi contrairement au marché des biens et des
actifs. Le niveau de l’emploi est en fait issu de la réaction des entrepreneurs au déroulement économique
(taux de l’intérêt) facteur déterminant les salaires. Contrairement aux classiques, il ne croit pas à la
formation du salaire réel issu d’un consensus.

Le caractère monétaire de l’économie


La monnaie tient pour Keynes un rôle similaire à celui du “commissaire priseur” de Walras sur un marché
centralisé. En transposant dans le modèle néoclassique l’asymétrie entre entrepreneurs et salariés, il
constate que les premiers peuvent exécuter leurs décisions concernant le niveau d’emploi et le montant
d’investissement avant même que l’équilibre soit obtenu. Afin d’accomplir ces décisions, ils ont accès aux
moyens de paiement grâce au marché des titres, alors que les salariés sont dépendants des entrepreneurs
pour avoir accès au marché des biens et des titres. Cette première prise de contact des salariés avec la
monnaie se fait au travers du salaire nominal. Cette précision concernant le caractère du salaire n’est pas
anodine. D’une part, les salariés n’ont pas les moyens de fixer le salaire réel sur le marché du travail.
Enfin, c’est la masse salariale nominale (ainsi que l’investissement) qui détermine la dimension monétaire
de l’économie, ce qui s’exprime:

(6) Soit l’offre de travail


Ns = Ns(w)

(7) soit le salaire nominal, prédéterminé

A partir de cette relation, il est possible de déterminer le prix nominal pA ainsi que le revenu nominal
d’équilibre pAqA. Ainsi, le niveau nominal des prix est fixé à l’origine. Il est possible d’envisager de plus
un ajustement de NAà N~. en supposant la flexibilité du salaire nominal, agissant sur l’offre de travail et
sur la demande effective. Keynes raisonne à partir d’un marché de type séquentiel, du fait de l’absence
apparente de l’ajustement de marché. Néanmoins, le marché selon Keynes, peut répondre à une situation
de déséquilibre par un processus effectif d’ajustement se concluant par l’équilibre, ce qui était
inconcevable sur le marché des néoclassiques.

Chapitre 3- UNE MACRO-ECONOMIE ORIGINALE:

I Les éléments de base de la Théorie générale

Les décisions patrimoniales la détermination du taux d’intérêt:


En ce qui concerne la détention d’un patrimoine, l’arbitrage s’effectue entre les titres négociables
rapportant un intérêt (obligations perpétuelles par exemple) et avoirs liquides. L’évolution du cours des
titres dépend de l’état de l’opinion. Lorsque l’opinion particulière diffère de l’opinion générale, l’agent
exprime sa préférence pour la liquidité. L’état de l’opinion est formulé à partir de l’ensemble des
estimations personnelles, chacun appréciant le taux courant du marché par rapport au taux qu’il anticipe
et devient ainsi “haussier” ou “baissier”. Sur cette courbe, les individus sont rangés par ordre décroissant
de leur taux normal et leur importance en abscisse est proportionnelle à la valeur de leur patrimoine. La
courbe est alors appelée courbe de préférence pour la liquidité. La composition des patrimoines est
également déterminée par les actions et les intentions du système bancaire, soit de la Banque Centrale.
Le taux ce l’intérêt se fixe en i~ en réponse à l’action de la Banque Centrale, compte-tenu de l’état de
l’opinion. La structure des patrimoines s’établit en M*.
La détermination du taux de l’intérêt ne relève donc pas d’une logique stricte de marché.

Les décisions patrimoniales : le montant de l’investissement.


En vue d’un éventuel investissement nouveau, les entrepreneurs évaluent leur “incitation à investir” grâce
à la comparaison entre “l’efficacité marginale du capital et le taux de l’intérêt. Soit a, les bénéfices attendus
(notamment grâce à l’investissement envisagé) au cours de t périodes. La valeur de l’équipement pour
celui qui désire l’acquérir est

F0 = Zt [(a/I +j)t]

Soit e, l’efficacité marginale d’un capital ou taux de rendement interactif du projet et 1’ la valeur de
l’investissement envisagé

l’=Zt[(a/(l +e)t]

Si e> j, l’investissement est souhaitable.

Keynes suppose que l’état de prévision à long terme est donné.


Les rendements attendus de l’investissement croissent avec sa taille, mais de façon de moins en moins
forte. La pente i + e diminuant avec l’accroissement de l’investissement, l’efficacité marginale e du capital
est donc décroissante. L’investissement I s’effectue pour 1* (1+e) = (1+i). Tel se détermine le principe de
l’incitation à investir. Le financement de l’investissement pour l’entrepreneur s’effectue sans contrainte
budgétaire et en maintenant constante la valeur du patrimoine (émission de titre, diminution des
encaisses) ou en l’accroissant (emprunt nouveau).

La demande effective:
“Dans un état donné de la technique, des ressources et du coût de facteur
par unité d’emploi, le volume de l’emploi est gouverné par le montant des recettes que les entrepreneurs
espèrent tirer du volume de production qui lui correspond”(TG p.46)
Afi d’évaluer le montant de ces recettes, l’entrepreneur doit évaluer les dépenses de consommation grâce
à la relation entre revenu et consommation (courbe de la demande globale.
Soit N le niveau de l’emploi
D1 le niveau de l’investissement ~‘ en unités de salaire
D2 le niveau de la consommation j

Au niveau global, la courbe de la demande globale D, (Di +D2) est une fonction de l’emploi (D(N)) et D2
évolue en fonction de la “loi psychologique fondamentale” - la progression de la consommation se
ralentissant avec le revenu..

Le coût de l’emploi ou “prix de l’offre globale” Z = Z(N) croît proportionnellement au niveau de


l’emploi. Le volume de l’emploi est déterminé par le point d’intersection de la courbe de la demande
globale D(N) et de la courbe de l’offre globale Z(N), dont le montant maximal des recettes attendues (D)
est appelé demande effective. Cependant, il n’est pas question de l’interdépendance des marchés pour
deux raisons il n’y a pas de marché du travail et en vertu de la loi de Say, les courbes Z et D seraient
confondues, créant une infinité d’équilibres possibles si l’épargne et l’investissement sont toujours ajustés
(variables indépendantes pour Keynes). Il conteste à son tour la “loi des débouchés” en considérant la
théorie néoclassique comme aléatoire (NA = N* par hasard).

Esquisse du modèle macro-économique de la Théorie générale:


Deux traits majeurs sont ici à retenir la distinction opérée entre décisions patrimoniales et décisions
concernant les flux (relation entre encaisses et revenus, moins prises en compte, et l’asymétrie
fondamentale entre entrepreneurs et salariés entraînant une approche récursive des décisions. Mais
retenons surtout la détermination du prix monétaire d’équilibre pA, grâce à la détermination du taux de
l’intérêt (i = 1-2. (y), voir figure 2, puis de la demande effective NA permettant d’obtenir l’équilibre S = 1,
puis du montant du chômage involontaire U = N5 [~] - NA (avec w = ~y) et enfin du salaire réel (wlp).
L’approche séquentielle de Keynes à propos des marchés peut être résumée de la sorte
(1) - Négociation de w (entrepreneurs et salariés)
(2) - Détermination de i (entrepreneurs et salariés)
(3) - Fixation de D1 et de NA
(4) - Détermination de la consommation et de l’épargne (salariés seulement)
(5) - Bouclage financier

Contrairement à l’hypothèse néoclassique du “secrétariat de marché”, si la demande anticipée est


différente de la demande effective, pour N fixé, alors les ajustements ne peuvent se faire que de période à
période, puisque les décisions sont irréversibles. Ainsi, les calculs ex-ante des entrepreneurs concernant
la demande effective peuvent se révéler erronés ex-post. Cependant, toute action de la Banque
centrale est en mesure de modifier i et donc le niveau de la demande effective ainsi que le chômage
involontaire, dans une économie monétaire et sujette aux autorités monétaires. La performance spontanée
du marché peut également être améliorée par une politique budgétaire.

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