Vous êtes sur la page 1sur 8

Histoire de la pensée économique

Pr Majidi

Thème IV : Le courant keynésien

John Maynard Keynes (1883-1946) est l’un des grands économistes du XXe siècle. C’est
probablement l’économiste qui a mené la critique la plus virulente adressée aux écoles
classique et néoclassique (qu’il appelle toutes les deux classiques). D’ailleurs, la pensée
de Keynes a constitué une révolution dans la mesure où il a transformé totalement la
manière d’analyser l’économie. Il faut signaler à ce titre que Keynes a eu ses
enseignements économiques à la prestigieuse université de Cambridge en ayant
comme professeur l’un des plus grands économistes néoclassiques Alfred Marshall.
Toutefois, cela ne l’a pas empêché d’élaborer une pensée radicalement opposée à celle
de son maître, sauf sur un seul point qui est celui de la monnaie qui pourrait être voulue
pour elle-même. D’un autre côté, il faut dire que la critique de Keynes est une critique
menée de l’intérieur de l’économie de marché et du capitalisme dont l’objectif était de
le réformer. A l’opposé, la critique de Marx était externe à l’économie de marché et au
capitalisme et avait pour objectif de l’éradiquer.
Keynes a élaboré sa pensée dans un contexte historique particulier entre les deux
guerres mondiales du XXe siècle. D’ailleurs, ces premiers écrits économiques avaient
pour objectif de déplorer les conséquences désastreuses et dangereuses qu’allaient
avoir le traité de Versailles sur l’économie allemande, la paix et la stabilité dans le
monde.
Cependant, l’évènement historique le plus important qui va inspirer la pensée de Keynes
est la crise économique mondiale de 1929. Cette grande dépression qui a eu des
conséquences économiques désastreuses sur l’économie d’abord aux Etats-Unis puis
dans le reste du monde va permettre à Keynes de mener des observations profondes
sur l’économie de marché. Ces observations vont l’inciter d’abord à conclure que la
vision classique de l’économie ne pourrait pas constituer un bon cadre d’analyse de la
crise économique de 1929, ensuite à proposer une bonne lecture de la situation
économique et des solutions pertinentes pour la sortie de crise.
Ces solutions qui vont rendre la pensée économique de Keynes très célèbre à travers
le monde. Dans ce cadre, le président américain Roosevelt va être élu en 1933 sur la
base d’un programme électorale inspirée des idées de Keynes (principalement la
politique des grands travaux).
Quant à l’œuvre de Keynes, elle est représentée par deux ouvrages majeurs. Le premier
est « Traité de la monnaie » publié en 1930. Alors que le deuxième est l’un des livres les
plus importants de l’histoire de la pensée économique. C’est ; « La théorie générale de
l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie » publié en 1936.

A Les points de divergence entre la pensée de Keynes est celle des économistes
classiques et néoclassiques

La pensée de Keynes a constitué une révolution par rapport à la pensée classique et


néoclassique. A ce titre, il y a plusieurs points de divergences entre la pensée de Keynes
et celles des classiques et néoclassiques.
A ce titre, nous allons essayer d’énumérer les plus importants d’entre eux.
1 L’analyse économique de Keynes s’inscrit dans une analyse de court terme alors que
celle des économistes classiques et néoclassiques s’inscrit dans une logique de long
terme. Dans ce cadre, les politiques économiques proposées par Keynes sont des
politiques conjoncturelles de court terme telles que les politiques de relance
budgétaires ou monétaires dont le but est de réguler l’activité économique afin
d’atteindre des objectifs immédiats alors que les politiques économiques d’inspiration
libérale sont généralement des politiques structurelles de long terme qui visent à
modifier en profondeur les structures d’une économie.

2 Dans la vision économique de Keynes, la demande joue un rôle central. C’est la


variable économique la plus importante. Selon Keynes, la crise de 1929 ne peut
s’expliquer que par une insuffisance de la demande et la sortie de crise doit passer de
ce fait par des politiques qui visent à stimuler la demande. Quant à la pensée des
classiques et des néoclassiques, c’est l’offre qui est la variable la plus importante. C’est
l’offre qui tire l’économie selon la loi des débouchés de Say : « l’offre qui créé sa propre
demande ». C’est pour cette raison que les politiques économiques d’inspiration
libérale encouragent l’offre et les offreurs.

3 La vision de Keynes peut être considérée globalement comme une vision pessimiste
dans la mesure où Keynes donne une place importante à des notions telles que la peur
de l’avenir, l’incertitude. De même qu’il défend l’idée que l’économie ne pourrait être
tout le temps en équilibre et qu’elle peut connaître des situations de déséquilibre ou
d’équilibre de sous-emploi. Alors que la pensée des classiques et des néoclassiques
peut être considérée dans l’ensemble comme une pensée optimiste (à l’exception de
Ricardo et de Malthus), comme le montrent les notions de la main invisible d’Adam
Smith ou la loi des débouchés de Say. A ce titre, la pensée classique et néoclassique
considère que l’économie serait toujours en équilibre et par conséquent tout
déséquilibre ne pourrait être que provisoire et momentané et qu’un ajustement par les
prix suffirait pour faire revenir l’économie en équilibre.

4 Keynes refuse l’idée de l’existence d’un chômage volontaire. Alors que les classiques
et les néoclassiques défendent cette idée. Selon eux en régime de concurrence, le
marché de travail serait toujours en équilibre entre l’offre de travail par les travailleurs
et la demande de travail par les entreprises. Et qu’en ce sens tout déséquilibre ne peut
émaner que d’un chômage frictionnel qui n’est que transitoire avant le retour à
l’équilibre. Dans ce cas, tout chômage qui persiste après le retour à l’équilibre ne peut
être que volontaire (c’est-à-dire des travailleurs qui n’acceptent pas de travailler au prix
du marché). Quant à Keynes, il considère que le chômage ne peut être qu’involontaire.
Dans ce cas, l’idée des libéraux de continuer de baisser les salaires pour absorber tous
les travailleurs en chômage peut s’avérer très dangereuse. Ainsi, une baisse des salaires
par les entreprises va avoir pour résultat une baisse de la demande. Dans ce cas, les
producteurs vont s’adapter à la nouvelle demande et vont baisser la production. En
baissant la production, les entreprises vont être obligées de licencier. Le résultat est
que la demande va continuer de baisser et l’économie va persister dans un cercle vicieux
qui va l’installer dans une crise durable.
5 Pour Keynes, la monnaie est totalement intégrée dans l’économie et qu’en ce sens
elle est active positivement par rapport à la production, la croissance, l’emploi etc. Alors
que les classiques et les néoclassiques défendent l’idée de la dichotomie entre la sphère
monétaire et la sphère réelle et d’une monnaie totalement neutre.

B Keynes : une analyse monétaire novatrice

La monnaie occupe une place centrale dans la pensée de Keynes, notamment dans ces
deux ouvrages : « Traité de la monnaie » et « La théorie générale de l’emploi, de l’intérêt
et de la monnaie ». Ainsi, Keynes va révolutionner catégoriquement l’analyse monétaire
des classiques et des néoclassiques (la théorie quantitative de la monnaie). Dans ce
cadre, il va défendre l’idée d’une monnaie totalement intégrée dans la sphère réelle de
l’économie et refuse ainsi totalement l’approche dichotomique qui sépare la sphère
monétaire et la sphère réelle. Par conséquent, Keynes refuse l’idée d’une monnaie
insignifiante comme dans la vision classique, et prône une monnaie occupant une place
centrale dans l’économie. Dans cette optique, il va proposer une nouvelle expression
qui englobe la sphère monétaire et la sphère réelle : « l’économie monétaire de
production ». D’un autre côté, la vision monétaire keynésienne prône une monnaie
active positivement par rapport à la sphère réelle de l’économie. Ainsi, si les classiques
pensent qu’une action sur la monnaie ne pourrait avoir aucun impact sur la sphère réelle
de l’économie (production, emploi, investissement etc), Keynes défend l’idée qu’une
action sur la monnaie pourrait avoir des effets positifs sur la sphère réelle de l’économie.
A ce titre, une augmentation de la quantité de monnaie en circulation aurait pour
impact une baisse du taux d’intérêt et comme résultat une augmentation de
l’investissement. En ce sens, le taux d’intérêt est la variable qui permet d’intégrer la
sphère monétaire et la sphère réelle. Toutefois, l’idée novatrice de la vision monétaire
de Keynes est celle de la préférence pour la liquidité. Dans cette optique et selon Keynes,
au moment des crises et lorsque les agents économiques seraient dominés par un
sentiment d’incertitude face à l’avenir, ils vont se réfugier dans la détention de la
monnaie. Par conséquent, si pour les classiques la monnaie ne peut être demandée que
pour le motif de transaction, pour Keynes et en plus du motif de transaction, la monnaie
pourrait être demandée pour deux autre motifs de précaution et de spéculation.

C La critique de la loi de Say

C’est à l’occasion de l’observation de la crise de 1929 que Keynes va développer


l’essentiel de ses idées économiques. Keynes va conclure que la vision des classiques
notamment Jean Baptiste Say ne permet pas de présenter une explication de la crise
de 1929, encore moins de lui proposer des solutions. Pour Say et les classiques, une
économie de marché ne peut jamais rentrer dans une crise économique durable, elle
ne peut connaître que des déséquilibres momentanés qui finiront par disparaître et
l’économie reviendra à l’équilibre. Partant de là l’économie selon Say, ne peut jamais
connaître une crise de surproduction. La loi des débouchés de Say stipule que l’offre
crée sa propre demande. En effet, toute production (offre) va donner lieu à une
distribution de revenus qui va se partager entre consommation et épargne. L’épargne
va se transformer, en passant par les institutions financières, en un investissement. De
ce fait, la consommation et l’investissement vont former la demande. Cette demande
va constituer des débouchés pour une nouvelle production. Et le cycle peut continuer
ainsi jusqu’à l’infini. C’est-à-dire produire sans se soucier de la demande, puisque à
chaque fois l’offre va créer sa propre demande.

Or, Keynes va critiquer totalement cette vision. Selon lui, l’offre va donner lieu certes à
une distribution de revenus. Mais rien ne garantit que tous les revenus vont être
dépensés et constituer une nouvelle demande égale à la production initiale. En effet,
selon Keynes dans les moments de crise, les revenus distribués vont être partagés entre
consommation, épargne et thésaurisation. Cette thésaurisation constitue une monnaie
qui sort du circuit économique. Le résultat est que la demande finale va être inférieure
à la production initiale. Chose qui va obliger les producteurs à baisser leur production
pour s’adapter à la nouvelle demande. Et en raison de la thésaurisation, la demande va
de nouveau se réduire et l’économie va rentrer dans un cycle vicieux très dangereux qui
va l’installer dans une crise économique durable.

D La primauté de la demande

C’est à l’occasion de la crise de 1929 que Keynes va mettre en avant le rôle primordial
que joue la demande dans l’activité économique. Ainsi, la crise n’est pas une crise de
l’offre c’est une crise de la demande. Certes, il y avait eu une surproduction, mais cette
surproduction n’était pas due à une augmentation de l’offre, mais à une baisse de la
demande. La crise de 1929 avait donc pour cause une insuffisance de la demande
accentuée par le phénomène de la thésaurisation. Par conséquent, l’argent thésaurisé
va sortir du circuit et provoquer ainsi une baisse de la demande et installer l’économie
durablement dans une crise.
Or, si la cause de la crise était l’insuffisance de la demande, la solution ne peut venir
que d’une stimulation de la demande.
C’est pour cette raison que l’analyse keynésienne est axée davantage sur la demande,
à travers la notion de la demande effective (ou anticipée). Ainsi et contrairement aux
affirmations de Say, ce n’est pas l’offre qui crée sa propre demande, c’est la demande
qui détermine l’offre. Car, les producteurs vont anticiper le niveau de la demande qu’ils
vont essayer de satisfaire. De ce fait, tout encouragement de la demande ne pourrait
être que bénéfique pour l’économie dans la mesure où elle va inciter les producteurs à
produire davantage.

E L’intervention de l’Etat dans l’économie

Keynes est connu pour avoir défendu l’intervention de l’Etat dans l’économie
contrairement aux classiques et aux néoclassiques qui sont pour un « Etat gendarme ».
Selon lui, le libre jeu du marché ne suffirait pas à lui seul de remettre l’économie en
équilibre comme le pensent les classiques et les néoclassiques. Il faut donc une
intervention externe au marché, celle de l’Etat, pour sortir l’économie de la crise et la
remettre en équilibre.
A ce titre, Keynes va contester les solutions des classiques concernant le chômage. Pour
eux, le chômage s’explique simplement par un excès de l’offre du travail sur la demande
de travail. Pour le régler, il suffit de baisser le prix du travail (le salaire) et le marché va
ainsi absorber tous les travailleurs en chômage. Or pour Keynes, cette solution va
aggraver le problème au lieu de le résoudre. En effet, la baisse des salaires va baisser la
consommation et la demande adressée aux biens. La baisse de la demande va pousser
les producteurs à baisser la production. Et l’économie va s’installer donc dans une crise
économique durable.
Dans ces conditions, seule une intervention de l’Etat peut faire sortir durablement
l’économie de la crise.
L’intervention de l’Etat a pour objectif de stimuler la demande par le biais des politiques
monétaire et budgétaire. Ainsi, la politique monétaire va stimuler l’investissement en
augmentant la quantité de monnaie en circulation et en baissant le taux d’intérêt. Et la
politique budgétaire va stimuler la consommation en augmentant le volume des
dépenses publiques et en distribuant de nouveaux revenus.
En somme, l’intervention de l’Etat va créer une nouvelle dynamique économique qui va
rendre confiance aux agents économiques dans l’avenir. De ce fait, ils vont préférer
épargner au lieu de thésauriser. Nous pouvons dire enfin que les solutions proposées
par Keynes vont permettre aux pays développés de sortir de la crise de 1929 et de vivre
des années de prospérité économique cotre 1945 et 1975.

Toutefois, les économies développées vont rentrer dans une nouvelle crise structurelle
durant les années 70. Une crise caractérisée par des taux de chômage élevés et des taux
d’inflation élevés. C’est la situation décrite par les économistes par l’expression
« stagflation ». Durant cette crise, les politiques de relance keynésiennes vont perdre de
leur efficacité. Et c’est de nouveau la pensée libérale qui va revenir au-devant de la
scène par le biais des courants monétaristes de Milton Friedman et celui des nouveaux
classiques de Robert Lucas qui vont adresser des critiques virulentes à la pensée de
Keynes.

Vous aimerez peut-être aussi