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Face aux crises qui ont secoué récemment les marchés


émergents, le Fonds monétaire international s’est retrouvé
en première ligne. Les plans de sauvetage qu’il a pilotés,
soutenus par des engagements massifs de fonds publics et
conditionnés par des programmes d’ajustement rigoureux,
ont été fortement controversés. Ils ont suscité d’intenses
discussions sur l’avenir du système monétaire et financier
international et sur son institution emblématique.
Pour mettre ces débats en perspective, cet ouvrage
inscrit une étude du fonctionnement et des politiques du
FMI dans une approche historique. Conçu pour être le
gardien d’un ordre monétaire, le FMI a du affronter les
désordres financiers qui ont mis en péril l’économie
mondiale depuis trois décennies. La montée du risque
systémique associée à la globalisation financière appelle
une refonte du dispositif international de gestion des
crises. L’avenir du FMI dépend de la place qu’il trouvera
dans cette nouvelle architecture financière.
 
Michel AGLIETTA
Sandra MOATTI

LE FMI DE L’ORDRE
MONÉTAIRE AUX
DÉSORDRES
FINANCIERS

ECONOMICA
49, rue Héricart, 75015 Paris
 
Sommaire

Couverture
Présentation

Page de titre

Introduction
Chapitre I - La concertation monétaire : le volontarisme
de Bretton Woods mis en échec par les marchés

I. La création du FMI : un compromis inégal

I.1. La préparation précoce du nouvel ordre


monétaire international
I.2. Deux conceptions rivales de l’ordre monétaire

I.2.1. Le Plan Keynes : propositions pour une


union de paiements
I.2.2. Le Plan White : propositions pour un
fonds de stabilisation des changes

I.3. La recherche du compromis


I.3.1. Les négociations bilatérales
I.3.2. Du communiqué sur les principes aux
accords de Bretton Woods

I.4. Le FMI, institution centrale du nouvel ordre


monétaire

II. Le FMI sous Bretton Woods : garant des règles,

modeste dans l’action

II.1. La période de pré-convertibilité (1947-1958)

II.1.1. La mise à l’écart du Fonds au profit


d’autres dispositifs
II. 1.2. Une faible autorité sur les États
membres

II.2. Du rétablissement de la convertibilité à


l’effondrement du système de Bretton Woods
(1958-1971)

II.2.1. Un système de parités plus rigides


II.2.2. La convertibilité en or du dollar remise
en cause
II.2.3. Le FMI impuissant sur la question de
l’ajustement...
II.2.4....mais très actif sur celle de la liquidité
II.3. La tentative de réforme du système monétaire
international (1971-1976)

II.3.1. Les travaux inaboutis du Comité des


Vingt
II.3.2. L’accord de la Jamaïque

Les termes du compromis

III. Les nouveaux rôles du FMI face à la globalisation

financière

III.1. Un système monétaire international


désormais mû par les marchés
III.2. Surveillance des politiques de change et
prévention des crises

III.2.1. Les nouveaux fondements de la


surveillance
III.2.2. La surveillance et l’impossible
stabilisation du système monétaire
international

III.3. Gestion des crises et conditionnalité

Chapitre II - La mise en œuvre des ajustements : un


pouvoir élargi de crise en crise
I. Le cadre institutionnel

I.1. Les lacunes de l’exécutif


I.2. La montée en puissance des services
I.3. L’élaboration des décisions

II. L’évolution du modèle d’ajustement

II.1. La base de la conditionnalité : l’approche


monétaire de la balance des paiements
II.2. L’échec de l’approche monétaire de la balance
des paiements face à la crise de la dette

II.2.1. La stratégie préconisée au début des


années 80
II.2.2. De la révision de la stratégie de la dette
au renouvellement du modèle d’ajustement

II.3. L’ajustement structurel

III. Le consensus de Washington à l’épreuve

III.1. L’épreuve de la transition


III.2. L’épreuve de la globalisation financière pour
les pays émergents

III.2.1. Une libéralisation financière


désordonnée
III.2.2. Des risques aggravés par la stratégie
d’ancrage nominal

IV. Prévention et gestion des crises de la globalisation

financière

IV.1. Le FMI muet face à la montée des risques

IV.1.1. Première alerte : la crise mexicaine de


1994-1995
IV.1.2. Gestation de la crise asiatique
IV.1.3. Une nouvelle génération de crises

IV.2. La gestion de la crise asiatique

IV.2.1. Le rétablissement de la confiance


IV.2.2. Les mesures macroéconomiques
IV.2.3. Les réformes structurelles

IV.3. L’échec en Russie et la remise en cause du


modèle de soutien financier aux États

Chapitre III - La régulation de la liquidité : du fonds

d’assistance mutuelle au prêteur en dernier ressort

I. Le modèle de base : un fonds d’assistance mutuelle

I.1. « Coopérative de crédit » et « bureau de


change »
I.1.1. Le système des quotes-parts
I.1.2. Le mécanisme des tirages

I.2. Limites des ressources du Fonds

I.2.1. L’impact des opérations du Fonds sur la


liquidité internationale
I.2.2. La lourde procédure d’augmentation des
quotes-parts
I.2.3. Le problème de la liquidité des ressources
du Fonds

II. Les DTS et le modèle de l’agence d’émission

II.1. Un actif singulier


II.2. Les compromis du premier amendement et la
première allocation
II.3. Les ambitions du deuxième amendement : le
DTS « principal actif de réserve »

II.3.1. Un usage élargi


II.3.2. Un actif plus attrayant
II.3.3. Le rôle du DTS comme unité de compte
II.3.4. Le rôle du DTS comme actif de réserve :
la deuxième allocation

II.4. L’avenir du DTS


III. Le modèle d’agence de développement

III.1. Des ressources supplémentaires

III.1.1. La hausse temporaire des ressources


empruntées
III.1.2. Les comptes administrés et le rôle
fiduciaire du FMI

III.2. L’utilisation des ressources : adaptation des


financements aux besoins des PVD

III.2.1. Différenciation des déséquilibres


III.2.2. Allongement des engagements et
relèvement des limites d’accès

IV. Vers un modèle de prêteur en dernier ressort ?

IV. 1. Évolution du profil des engagements du FMI


IV.2. Des emprunts de précaution
IV.3. L’adaptation des dispositifs de crédit :
déplafonnement et discrétion

Chapitre IV - L’avenir du Fonds monétaire international

dans la globalisation financière

I. L’architecture prudentielle du système monétaire

international
I.1. Régimes de change : des compromis
raisonnables
I.2. L’endiguement du risque de système

I.2.1. Coordination par les règles et discipline


de marché
I.2.2. Ambiguïté constructive et gestion des
crises : le rôle des banques centrales

II. La place du FMI dans le futur système monétaire

et financier international

II.1. Les transformations futures de la finance


mondiale
II.2. Le changement des forces politiques et le
rééquilibrage institutionnel du FMI

Annexes

Annexe 1 - Détermination des quotes-parts


Annexe 2 - La répartion actuelle des droits de vote au
sein du Conseil d’administration (au 2 août 1999)

Annexe 3 - Les Accords d’emprunt en vigueur


aujourd’hui

Annexe 4 - Facilités de crédit


Annexe 5 - Structure financière du FMI
Bibliographie
Index

À propos de l’auteur
Notes

Copyright d’origine
Achevé de numériser
 
« The displacement of commodity money by fiduciary
money and commodity reserves by fiduciary reserves
reflects the effort of man to control, instead of being
controlled by, his environnement in the monetary field as
well as in others.
The displacement of national fiduciary reserves by
international fiduciary reserves should similarly be viewed
as one aspect of the adjustment of the former tribal, feudal,
and national institutions through which this control could
previously be asserted, to the ever-changing realities of a
more and more interdependent world.
Both phenomena should be viewed in a vaster historical
perspective : the long march of mankind toward its unity
and a better control of its own fate. »
Robert Triffin, Our International Monetary System :
Yesterday, Today and Tomorrow, pp. 178-179.
 
Introduction

Durant les cinq dernières années, les marchés émergents


ont été secoués par des crises récurrentes, d’une violence
et d’une vitesse de propagation inconnues jusqu’alors. Au
Mexique en 1994-95, plus encore en Asie en 1997, puis en
Russie et au Brésil l’année suivante, le Fonds monétaire
international a assumé un rôle central dans les plans de
sauvetage mis en œuvre par la communauté internationale.
Les engagements massifs de fonds publics, venant à l’appui
d’ajustements macroéconomiques rigoureux et de réformes
structurelles, n’ont pas réussi à étouffer la panique des
agents privés. Au contraire, l’intervention du FMI semble
avoir été à plusieurs reprises un facteur d’incertitude
supplémentaire. Les crises coréenne et russe ont
particulièrement mis en lumière la confusion suscitée chez
les opérateurs par les modes d’action de l’institution
monétaire internationale. Ainsi, en décembre 1997 en
Corée, l’annonce d’un accord avec le Fonds n’enraya ni
l’effondrement du change ni l’hémorragie de capitaux.
Pourtant, le programme préconisé était adossé à des
moyens financiers sans précédent. Le défaut de paiement
coréen ne fut finalement évité que grâce à l’intervention
des autorités monétaires américaines, qui obtinrent la
coopération des banques créditrices. En juillet 1998, en
Russie, alors que les pressions sur le rouble s’intensifiaient,
l’assistance financière internationale massive fournie à
l’appui d’un programme supervisé par le FMI, précéda de
moins d’un mois le moratoire russe sur les dettes publiques
et bancaires. Ce moratoire perturba gravement, non
seulement les marchés émergents, mais aussi, cette fois,
les grandes places financières occidentales, provoquant
notamment le naufrage du hedge fund américain LTCM. De
nouveau, c’est l’intervention de la banque centrale des
États-Unis qui éloigna le péril en orchestrant la formation
d’un consortium bancaire et en calmant l’inquiétude des
marchés par des baisses de taux d’intérêt. À la fin de
l’année 1998, l’intervention préventive au Brésil n’a pas
empêché la dévaluation du réal et a confirmé une nouvelle
fois les limites des actions du Fonds.

Les auteurs adressent des remerciements particuliers


à Nicolas Blancher et Bertrand Couillault pour leurs
critiques averties d’une version préliminaire de cet
ouvrage.

La gestion difficile des crises récentes a soumis le FMI au


feu de critiques parfois virulentes. Aux États-Unis
notamment, des voix s’élèvent jusque dans les milieux
officiels en faveur d’une réduction drastique du rôle de
l’institution, voire de sa suppression pure et simple. Mais
suffit-il d’éliminer le médecin pour éradiquer la maladie ?
Au contraire, ces crises démontrent la défaillance des
ajustements de marché dans les situations de doute sur la
liquidité. Sans une action publique d’urgence, la fuite
généralisée des agents privés peut conduire à un
effondrement complet du marché. Le moratoire russe a
suffisamment montré les conséquences en chaîne de
paniques qui ne peuvent désormais plus être circonscrites,
ni à l’intérieur des nations, ni même aux seuls marchés
émergents. Ces turbulences financières requièrent de
nouveaux modes de guidage des marchés par les autorités
monétaires. Elles traduisent avant tout une avancée de la
globalisation qui appelle un renforcement plutôt qu’un repli
de l’approche multilatérale. Avec la crise asiatique, la
communauté internationale a brutalement pris conscience
des sources de déstabilisation qui menacent le système
financier globalisé. L’idée d’une nouvelle architecture
financière internationale anime à la fois les discussions des
groupes officiels et les travaux des milieux universitaires.
Elle a réouvert une période de débats sur l’avenir du FMI
et, plus largement, sur le système monétaire et financier
international, telle que le monde n’en avait pas connue
depuis la disparition des changes fixes, au début des
années 70.
Il n’est guère d’aspect de l’action du FMI qui ne soit
impliqué dans ces discussions. Sa fonction de surveillance,
traditionnellement vouée à la supervision des politiques
macroéconomiques et des politiques de change, doit
désormais être mise au service d’un objectif de prévention
des crises financières dont les déterminants sont de plus en
plus microéconomiques et financiers. La gestion de ces
crises requiert, quant à elle, une adaptation de sa fonction
financière : initialement destinée à compléter des déficits
temporaires de la balance courante, elle doit faire face à de
brusques déficits de la balance des capitaux. Son aide
financière, quelle que soit la rigueur des programmes qui la
conditionnent, ne suffit plus à rétablir la confiance des
marchés et à assurer la catalyse des financements privés.
Pire, elle peut encourager l’aléa moral quand elle se traduit
par une nationalisation des dettes et autorise le
désengagement des investisseurs internationaux. La
doctrine de l’ajustement structurel, qui inspirait les
préconisations de politique économique du FMI, ne pourra
plus inciter à l’ouverture financière des pays en
développement sans se préoccuper des conséquences de
cette libéralisation sur la stabilité monétaire et financière
internationale. Cette exigence implique une révision de la
doctrine du Fonds en matière de politique de change et de
libéralisation des mouvements de capitaux. Jusque dans
son organisation, qui est pourtant un élément de
permanence dans les transformations qu’il a connues
depuis sa création, le FMI est sommé de s’adapter, afin de
renforcer, non seulement la transparence de son
fonctionnement, mais aussi la légitimité politique de ses
décisions.
Il faut, pour comprendre la portée des transformations
envisagées, les resituer dans leur profondeur historique.
Les crises récentes rappellent que les solutions apportées
au problème de la compatibilité des politiques nationales
doivent évoluer avec le degré et la nature des
interdépendances. Elles montrent aussi que les règles et
les institutions qui structurent le système monétaire
international et garantissent son bon fonctionnement sont
des constructions historiques complexes dont l’adaptation,
dans les moments critiques, n’est ni simple, ni spontanée.
Analyser ainsi les transformations du contexte
d’intervention du FMI permettra de prendre la mesure des
métamorphoses de son rôle dans des directions parfois très
éloignées des intentions de ses fondateurs. De même, c’est
en tenant compte des éléments d’inertie attachés à ses
structures, ses procédures et ses instruments, que l’on
pourra projeter ses futurs possibles. Le projet de cet
ouvrage est donc d’inscrire une étude détaillée du FMI, de
ses modes opératoires et décisionnels, dans une approche
historique des transformations du système monétaire
international.
Le premier chapitre revient sur les grandes ruptures
institutionnelles qui ont marqué l’évolution du système
monétaire international. Les deux principales sont
évidemment la création du FMI, qui portait les espoirs
d’une maîtrise collective des problèmes monétaires, et la
renégociation de ses statuts dans les années 70, après la
disparition des règles instaurées à Bretton Woods. Entre
ces épisodes politiques majeurs, on est frappé des écarts
entre le rôle effectivement joué par le Fonds et celui qui lui
était assigné par ses statuts. C’est que, même pendant la
période de Bretton Woods, les deux grands facteurs de
changement – la modification de l’équilibre des puissances
économiques et les progrès de l’intégration financière –
étaient déjà à l’œuvre. L’action du FMI ne put empêcher le
basculement d’un système régi par les gouvernements à un
système mû par les marchés.
Le mode de régulation monétaire internationale s’en est
trouvé radicalement modifié. Alors que le crédit privé est
devenu la source principale des liquidités internationales,
c’est aussi le jugement des marchés, à travers le
financement des balances des paiements et les variations
du change, qui préside aux ajustements. Les grands pays
développés ont ainsi trouvé un mode de régulation de leurs
relations monétaires plus souple que les règles collectives
qui régissaient l’ordre de Bretton Woods. En revanche,
l’intégration des pays en voie de développement dans les
marchés de capitaux mondialisés n’est pas allée sans
heurts. La crise de la dette souveraine, au début des
années 80, a été la première manifestation spectaculaire de
l’incapacité des marchés à réguler les flux de financement
associés à cette intégration et à susciter les ajustements
opportuns.
Le deuxième chapitre envisage l’action du FMI dans le
suivi des ajustements, après cette métamorphose du
système monétaire international. Ayant perdu sa
responsabilité formelle à l’égard du système de parité, le
Fonds s’est retrouvé au cœur des tensions créées par les
dysfonctionnements des marchés, entre des pays en
développement soumis aux mouvements erratiques des flux
de financement privés, les grandes institutions financières
occidentales fragilisées par les risques pesant sur leurs
positions extérieures, et les pays développés pourvoyeurs
de financement multilatéral public. Ces derniers, qui
restent les principaux actionnaires du Fonds tout en s’étant
émancipés de sa tutelle, lui ont conféré un mandat implicite
de préservation du système financier, en l’imposant dans le
rôle de gestionnaire de crise et de garant de la discipline
des États endettés. Compte tenu de sa structure
d’institution intergouvernementale, de ses procédures de
décision et de ses moyens financiers, ce nouveau rôle
prenait appui sur un levier traditionnel : l’assistance
financière conditionnelle aux États en difficulté.
Cette transformation des missions du FMI ne s’est
toutefois guère traduite dans l’adaptation de ses structures
institutionnelles. En revanche, l’échec des programmes mis
en œuvre au début de la crise de la dette souveraine et
l’évolution de la stratégie adoptée par la communauté
internationale au cours de la décennie 80, l’ont conduit à
faire évoluer sa doctrine de l’ajustement. En encourageant
des réformes structurelles propices à la libéralisation et à
l’ouverture financière des économies en développement, il
fut partie prenante du développement des marchés
émergents dans les années 90. Mais cette avancée de la
globalisation, qu’il avait lui-même fortement favorisée,
devait aussi remettre en cause ses méthodes. Les crises
financières récentes ont placé le Fonds devant des
dynamiques de marché qui résultent du développement des
interdépendances entre agents privés, et suscitent des
processus différents de ceux liés aux crises de dette
souveraine. Les limites de l’action du Fonds dans la
prévention et la gestion de ces crises soulignent le besoin
d’un renouveau de ses modes d’intervention.
Après le suivi des ajustements, le troisième chapitre se
concentre sur le rôle du Fonds dans la régulation de la
liquidité internationale. La complexité de son organisation
financière ne peut se comprendre que comme le résultat
d’une stratification progressive : l’empilement des
dispositifs découle des transformations de son rôle au sein
d’un système monétaire international en constante
évolution. On peut ainsi distinguer quatre grands modèles
institutionnels, qui correspondent chacun à une phase de
l’évolution du FMI et à une fonction toujours actuelle de
l’institution. Ces modèles sont mobilisés ici au service
d’une description raisonnée des moyens et des instruments
financiers à la disposition du Fonds. Cet effort de
clarification intéressera surtout les lecteurs soucieux de
comprendre les rouages de ses interventions.
Les quatre modèles identifiés ont aussi une portée plus
générale. Ils mettent en évidence une cohérence entre les
caractéristiques d’un système monétaire (régime de l’offre
de liquidité, mouvements de capitaux, régime de change),
le mode de gouvernance de ce système, les ajustements
requis de la part des pays membres et les dispositifs
d’assistance financière internationale. Ainsi, le modèle de
base du FMI – le premier en date – , celui du fonds
d’assistance mutuelle, a été conçu pour un système
monétaire caractérisé par une offre de liquidité exogène,
des mouvements de capitaux limités et des parités stables
et ajustables. Il était associé à une concertation
intergouvernementale, sur la base de règles communément
acceptées, et à une fonction d’aide financière en cas de
déficit courant temporaire. Mais, dès la fin de la période de
Bretton Woods, on a assisté, avec la création des droits de
tirages spéciaux, à l’ébauche d’un autre modèle, celui
d’agence d’émission d’un actif international, avec
l’ambition d’en faire le principal actif de réserve. Une
nouvelle cohérence s’est ensuite instaurée autour de la
difficile intégration des pays en développement dans un
système où l’offre de liquidité devient endogène, mais où
les flux de financement sont erratiques. L’équilibre des
pouvoirs au sein du Fonds – les pays décisionnaires se sont
émancipés de son tutorat – a entériné la distinction entre le
centre du système financier et sa périphérie. Le FMI a donc
évolué vers un modèle d’agence de développement, en
adaptant la durée et les modalités de ses financements aux
problèmes structurels des pays en développement. Enfin,
face à un système caractérisé par des effets de contagion
virulents, liés à l’ampleur et à la volatilité des flux de
capitaux, on voit actuellement les prémices de ce qui
pourrait devenir un nouveau modèle, celui de prêteur
international en dernier ressort. C’est ce qu’indique la mise
en place récente de facilités de financement à court terme
déplafonnées, destinées à faire face aux crises de liquidité
de marché.
Au-delà des réponses d’urgence suscitées par la crise
asiatique, une des questions centrales du débat actuel est
celle de la cohérence de la future « architecture financière
internationale ». Contrairement à la concertation menée au
début des années 70 pour remplacer les règles de Bretton
Woods, le débat actuel ne se place pas sur le plan
monétaire, mais sur le plan prudentiel. Il ne s’agit pas de
reconstruire un système de changes impliquant des
engagements internationaux de la part des États membres,
mais de mettre sur pied un système de régulation publique
de la globalisation financière, dont le Fonds pourrait être
l’institution centrale. Le quatrième chapitre cherche à
énoncer, dans une démarche prospective, les fondements
de ce nouveau rôle du FMI.
La régulation prudentielle a un pilier préventif
(réglementation et supervision) et un pilier curatif
(dispositif de gestion des crises). Selon la capacité
d’autodiscipline que l’on accorde aux marchés, l’un ou
l’autre pilier jouera le rôle prépondérant. Deux modèles
d’organisation de l’architecture financière internationale
ont été définis sur cette distinction. Le premier postule que
la discipline de marché peut être renforcée par
l’instauration de règles prudentielles universelles et
exigeantes : le FMI deviendrait alors le garant de
l’application de ces règles, et aurait le pouvoir d’exclure les
pays qui ne les respecteraient pas. Comme les crises de
liquidité résultant de chocs imprévisibles ne peuvent être
écartées, il aurait aussi le statut de prêteur en dernier
ressort international, bien qu’il ne soit pas une banque
centrale. Le second modèle reflète une appréciation plus
sceptique sur l’autodiscipline des marchés. Niant que les
crises de solvabilité et de liquidité puissent être séparées, il
recherche les dispositifs de gestion de crise pouvant faire
l’objet d’une action internationale et capables de contenir
l’aléa moral. Dans ce cadre, l’autorité des banques
centrales sur les agents financiers est incontournable.
Corrélativement, le prêteur en dernier ressort international
ne peut pas être centralisé. Il prend la forme d’un réseau
de coopération contingente entre les banques centrales. Au
sein de ce réseau, le FMI jouerait un rôle de coordination.
Les tendances prévisibles de l’économie mondiale font
envisager la montée de la puissance économique et
financière de grands pays émergents, et le déclin relatif des
pays occidentaux. Un système financier international
multipolaire et potentiellement instable va marquer cette
nouvelle phase de la globalisation financière. La possibilité
de crises globales étant loin de reculer, la fonction de
coordination du FMI aura besoin d’une légitimation
politique. Dans ce contexte stratégique, une réforme
institutionnelle révisant sensiblement les quotes-parts et
dotant le Fonds d’un exécutif politique est envisageable.
Ainsi émergerait un véritable pôle de gouvernance
internationale.
 
Chapitre I

La concertation monétaire : le
volontarisme de Bretton Woods mis en
échec par les marchés

Les crises financières répétées de la dernière décennie


du vingtième siècle montrent à quel point la paix des
échanges entre les nations est difficile à établir. La réforme
– ou l’évolution – du système monétaire international (SMI)
est une fois de plus à l’ordre du jour, et le rôle du Fonds
monétaire international est controversé. Pour éclairer les
lignes de force des futurs possibles, il est utile de se
pencher sur les origines du système dont les principes
fondamentaux de libre échange et de convertibilité des
monnaies sont encore les nôtres, bien que ses règles de
fonctionnement aient changé substantiellement.
L’organisation des relations monétaires internationales
mise en place à la fin de la Seconde Guerre mondiale était
inspirée avant tout par le souci commun aux puissances de
l’Alliance atlantique de promouvoir des sociétés ouvertes
aux échanges internationaux. Mais le monde avait
profondément changé par rapport à l’âge du capitalisme
libéral, avec l’avènement des politiques sociales et
l’affirmation de la responsabilité des gouvernements dans
le plein emploi. Ces nouveaux impératifs politiques
impliquaient que la monnaie fût mise au service des
priorités nationales. Le rétablissement de la convertibilité-
or en Europe après la Première Guerre mondiale n’avait
pas été étranger à l’effondrement des échanges
internationaux dans les années 30. On ne pouvait donc
faire revivre le libre échange sans innover dans le domaine
monétaire. La gestion décentralisée des ajustements, à
travers les mécanismes automatiques imposés par la règle
de la convertibilité-or, ne convenait plus. La nouveauté
consistait à y substituer un forum de concertation et des
principes d’action collective pour guider les ajustements
des pays adhérant au système. À la conférence de Bretton
Woods, en 1944, le Fonds monétaire international fut créé
comme une filiale commune des gouvernements, avec trois
types de responsabilités : être dépositaire des règles
mutuellement acceptées par les États membres, aider
financièrement leurs ajustements macroéconomiques et
nourrir les débats sur les questions monétaires.
L’analyse de la négociation historique qui déboucha sur
les accords de Bretton Woods, en 1944, nous intéresse à
plusieurs titres dans la perspective des problèmes
contemporains. Le compromis entre les plans d’Union de
compensation de l’Anglais Keynes et de Fonds monétaire de
l’Américain White n’a pas seulement un intérêt du point de
vue de la théorie monétaire. Il montre aussi le lien intime
entre les questions théoriques et les enjeux politiques dans
le domaine de la monnaie et la manière dont le FMI est
associé, depuis l’origine, au leadership américain.
Ce retour sur la création de l’institution qui portait les
espoirs d’une maîtrise collective de la monnaie
internationale éclaire sur les désillusions ultérieures. Le
système multilatéral des paiements a pris son essor, mais le
FMI n’a pas été, dans la résolution des conflits monétaires
internationaux, l’instance centrale de médiation et de
coopération que ses fondateurs espéraient avoir bâtie à la
conclusion de la conférence de Bretton Woods. À peine les
conditions normales de fonctionnement du système étaient-
elles rétablies que ses contradictions ont commencé à se
manifester. L’action du FMI dans les deux modes de
régulation du SMI que sont l’ajustement et la liquidité n’a
pas permis d’éviter la disparition des règles de change
adoptées à Bretton Woods.
Le basculement d’un système régi par les gouvernements
grâce à des règles communément acceptées à un système
mû par les marchés a radicalement transformé les
fonctions de liquidité et d’ajustement. L’endettement
extérieur sur les marchés de capitaux privés d’une part, les
changes flexibles d’autre part, ont changé la nature de la
contrainte de balance des paiements. Dans ce nouveau
système, les pays riches se sont affranchis de l’aide du FMI.
En revanche, le Fonds a conquis un rôle charnière entre les
pays en développement et les marchés internationaux de
capitaux, qui se révèle particulièrement incontournable
dans les périodes de crises.

I. La création du FMI : un compromis inégal

Le système de Bretton Woods est né de la confrontation


de deux visions du futur, celle de Lord Keynes du côté
britannique et celle de Harry White du côté américain. Tous
deux partageaient une conviction fondamentale : c’est par
la monnaie que l’on pouvait espérer résoudre les
distorsions économiques dramatiques qui allaient résulter
de la guerre. Pour eux, loin d’être neutre ou subalterne, la
monnaie est au cœur des relations économiques ; c’est le
principe central de régulation des échanges internationaux.
Il fallait organiser la monnaie pour libérer le commerce.
Cette idée s’opposait du tout au tout à celle que
l’Allemagne nazie avait appliquée dans sa zone d’influence
sous l’inspiration du docteur Schacht : organiser le
commerce pour se passer de la monnaie. Une seconde
conviction commune des deux protagonistes de Bretton
Woods résultait de l’expérience vécue des désordres
monétaires de l’entre-deux-guerres : sans règles
monétaires internationales communément acceptées, les
conflits d’intérêts s’exacerbent et nul ajustement ne sort du
laisser-faire.
Ces deux convictions ont rendu possible la démarche qui
a abouti à la création du Fonds monétaire international.
Cependant, comme nous le montrerons d’abord, le souci de
construire l’ordre monétaire international de l’après-guerre
a été le fruit de conceptions différentes de la régulation
monétaire, guidées par les intérêts contradictoires des
deux puissances négociatrices. Nous présenterons ensuite
la logique de ces deux conceptions rivales au regard de la
théorie monétaire internationale. Enfin, nous indiquerons
comment le compromis de Bretton Woods a été trouvé.

I.1. La préparation précoce du nouvel ordre


monétaire international
Au printemps 1941, Lord Keynes se rendit à Washington
pour le compte du Trésor britannique. Il s’agissait de
négocier les conditions du crédit bail (Lend lease) consenti
par les Américains pour les achats britanniques de
fournitures de guerre. En effet, les achats de guerre
entraînaient la disparition rapide des réserves de change et
la liquidation des investissements internationaux passés du
Royaume-Uni. Les Américains exigeaient le paiement des
dettes, alors que les Britanniques insistaient sur le besoin
de conserver des réserves d’or et de dollars pour faire face
à des événements imprévisibles.
Le financement immédiat de l’effort de guerre ne pouvait
se passer d’une négociation sur la politique de l’après-
guerre. Il était certain, en effet, qu’avec la poursuite des
hostilités en Europe les positions créditrices des États-Unis
et les positions débitrices du Royaume-Uni allaient
s’accroître sans possibilité de correction spontanée. Cela
laissait présager un grave conflit commercial marqué par le
retour aux barrières et aux discriminations commerciales
des années 30 avec, en conséquence, la dépression du
commerce international et de l’activité économique. Aussi
le président Roosevelt ordonna-t-il en mai 1941 au
Département d’État d’amorcer des négociations avec le
gouvernement britannique. Mais les positions de départ
étaient très opposées.
L’après-guerre allait commencer dans un état de
déséquilibre extrême. Les États-Unis allaient avoir des
capacités d’exportation très supérieures à celles du reste
du monde. En résulteraient des problèmes insurmontables
de paiements. Pourtant, les Américains demeuraient fidèles
à deux principes fondamentaux : la non-discrimination des
échanges et la convertibilité des monnaies. Ces principes
étaient des constantes de leur politique, les piliers de leur
conception de la concurrence et du libre marché. Dans les
années 30, ils n’avaient cessé de dénoncer la préférence
impériale établie par le Royaume-Uni après la coupure du
lien de la livre sterling avec l’or en septembre 1931.
Keynes objectait que, dans les conditions de l’après-
guerre, le Royaume-Uni n’aurait pas d’autre moyen de
payer ses importations que par ses exportations. Il allait
donc falloir recourir à une politique de balance
commerciale équilibrée. Or les exportations britanniques
devraient couvrir d’abord les importations incompressibles
de matières premières et de produits alimentaires. Si grand
que fût par ailleurs le besoin de produits américains, il
devrait être rationné d’une manière drastique par des
accords commerciaux bilatéraux. Il serait donc inévitable
d’établir des discriminations à l’encontre des marchandises
américaines. Bien entendu, cela impliquait un contrôle des
changes rigoureux.
En rentrant de Washington, Keynes était convaincu que
ce dilemme n’était soluble que s’il était posé en termes
entièrement nouveaux. La solution des problèmes
commerciaux était monétaire. Au cours de l’été 1941, il se
mit à rédiger le mémorandum que lui avait demandé le
Trésor britannique sur les réformes à apporter aux
relations monétaires internationales après la guerre. En
décembre 1941, et de manière indépendante, sans
connaître les travaux britanniques, le Secrétaire d’État
américain au Trésor Morgenthau demanda à Harry White
de réfléchir à un plan pour reconstruire le système
monétaire international. Il s’agissait notamment d’éviter le
retour aux fluctuations sauvages des changes et aux
pénuries d’or qui avaient détruit l’étalon-or entre les deux
guerres1.
Les deux auteurs étaient devant une tâche redoutable. À
l’âge du capitalisme libéral, la convertibilité en or avait été
la règle commune acceptée comme une valeur suprême.
Cette règle résolvait de manière décentralisée le «
problème du énième pays » que tout système monétaire à
changes fixes doit surmonter2.
Il n’était évidemment pas question de rétablir ce système
après la guerre, alors que les trois quarts du stock d’or
monétaire mondial étaient enfouis dans les caves de Fort-
Knox. Mais, justement pour cette même raison, les États-
Unis ne voulaient pas chasser l’or du système monétaire
international. Le métal jaune renforçait la primauté du
dollar. De son côté, si le Royaume-Uni consentait les pires
sacrifices pour conduire la guerre, c’était pour rester
maître de son destin. Ce n’était pas pour aliéner sa
souveraineté monétaire à une « relique barbare », selon
l’expression de Keynes.
L’abandon de l’étalon-or signifiait le rejet d’un ordre
monétaire international entièrement défini par des règles
qui déterminaient des ajustements symétriques et
automatiques. Pour construire un nouvel ordre, il fallait
concevoir un système capable de satisfaire deux conditions
: d’une part, définir le partage entre les pays des
obligations d’ajuster leurs politiques économiques aux
contraintes de leurs échanges mutuels, de façon que ce
partage soit acceptable par tous ; d’autre part, concevoir
un principe d’action collective qui prenne en charge le «
énième degré de liberté », si l’on voulait préserver des
changes fixes.
La compatibilité de ces deux conditions n’allait pas de
soi. Le partage de l’obligation d’ajuster dépendait du degré
de symétrie entre les pays. Si un pays est hégémonique, il
peut mener sa politique économique en fonction de ses
seuls objectifs nationaux. Ce sont les autres qui doivent
affecter leurs moyens au respect des contraintes
extérieures. L’hégémonie différencie donc clairement les
responsabilités vis-à-vis de la règle des changes fixes. Mais
les pays subordonnés risquent de perdre les marges de
manœuvre qui leur sont nécessaires pour atteindre des
objectifs internes qu’ils jugent primordiaux, ce qui peut les
conduire à dénoncer l’hégémonie ou à faire défection.
Cette issue est d’autant plus probable que le pays
hégémonique abuse de sa position et produit des effets
néfastes pour ses partenaires. Il faut donc que le pays
dominant accepte lui-même d’inscrire dans le système
international un principe d’auto-limitation de son pouvoir
pour que sa propre politique soit la source d’une stabilité
globale. Or, sur la prise en compte de ces problèmes, les
plans de Keynes et de White divergeaient nettement.

I.2. Deux conceptions rivales de l’ordre monétaire


Les deux visions de l’ordre monétaire d’après-guerre ont
été certes inspirées par les situations opposées des deux
principaux pays concernés. Mais elles ont aussi exprimé
des philosophies différentes sur les ajustements de marché,
le bon dosage entre contraintes externes de politique
économique et coopération entre les gouvernements, enfin
l’ambition d’institutionnaliser une monnaie internationale.

I.2.1. Le Plan Keynes : propositions pour une union de


paiements
Keynes a articulé ses propositions selon trois idées
majeures3. La première est le multilatéralisme des
paiements. La cause des restrictions commerciales et de la
multiplication des accords bilatéraux qui disloquent les
échanges internationaux se trouve dans le manque de
moyens de paiements. C’est en organisant le système des
paiements que l’on peut libérer les échanges
internationaux. Cette idée fut reprise et appliquée avec
succès en 1950, lorsque fut créée l’Union européenne des
paiements. La seconde est la symétrie dans l’ajustement
entre pays déficitaires et pays excédentaires, pour prévenir
la tendance déflationniste qui avait été désastreuse après
la Première Guerre mondiale. La France et les États-Unis
avaient accumulé des réserves en or et les avaient
stérilisées au lieu de pratiquer des politiques expansives :
d’où un biais déflationniste dont le Royaume-Uni, qui avait
fait l’erreur de rétablir la parité-or de 1913, avait
particulièrement souffert. La troisième idée de Keynes est
la logique de la monnaie bancaire. Au sein des nations, le
système bancaire est hiérarchisé. Les règlements
interbancaires sont effectués quotidiennement en monnaie
centrale après compensation multilatérale des positions
nettes des banques. Keynes pensait que cette logique,
provenant de l’évolution des systèmes monétaires
nationaux, pouvait être transposée au niveau international.
Il proposait d’ajouter un troisième étage au système
bancaire hiérarchisé.
Ces propositions avaient une forte cohérence. Mais elles
étaient révolutionnaires, car il s’agissait d’instituer une
monnaie mondiale sous le couvert d’une Union
internationale de compensation et de règlement («
International Clearing Union »)4. En effet, le système
monétaire proposé par Keynes abolissait les marchés de
change. Les règlements des soldes extérieurs nets étaient
effectués entre les banques centrales par cession d’un actif
de réserve émis par une banque internationale de
compensation, sur les livres de laquelle les banques
centrales avaient leurs comptes. Le système était
strictement hiérarchisé, en ce sens que cette monnaie de
réserve ne pouvait pas être détenue par des agents privés.
Toutes les opérations de change étaient donc concentrées
dans les banques centrales. Leurs créances et dettes
mutuelles, résultant des opérations internationales des
agents privés, étaient exprimées dans une unité de compte
internationale, que Keynes proposait d’appeler bancor. Les
banques centrales créancières cédaient à la banque
internationale de compensation les créances qu’elles
détenaient sur les banques centrales débitrices. La position
nette avait pour contrepartie une créance de même
montant en unité de compte internationale, qui était une
création de monnaie internationale émise par la banque
internationale. Symétriquement, celle-ci devenait
créancière des banques centrales débitrices, ces créances
s’inscrivant à son actif.
Le mécanisme monétaire imaginé par Keynes introduisait
donc une symétrie fonctionnelle entre pays excédentaires
et pays déficitaires. Pour que cette symétrie fût aussi
opérationnelle, il fallait poser des règles d’ajustement qui
imposaient les mêmes obligations aux deux catégories de
pays. Cette symétrie d’obligations était censée établir une
solidarité entre créditeurs et débiteurs. Pour être
acceptable, elle devait être assortie d’avantages partagés.
Du côté des débiteurs, c’était la possibilité d’emprunter
pour amortir la rigueur des ajustements restrictifs. Du côté
des créanciers, que Keynes jugeait responsables de tous les
maux passés des relations internationales, les avantages
d’un tel système étaient essentiellement des garanties de
limitation des dettes accumulées par les banques centrales
débitrices. Ces garanties étaient d’autant plus importantes
que la banque de clearing internationale allait créer ex
nihilo de la monnaie internationale en contrepartie des
dettes des pays déficitaires.
Keynes prévoyait en effet un système de quotes-parts et
d’indicateurs d’alerte pour limiter les dettes. Lorsque le
montant des emprunts d’un pays dépassait le quart de sa
quote-part, le gouvernement devait prendre des
dispositions. Il avait la faculté de dévaluer jusqu’à 5 % par
an la valeur en bancor de la monnaie nationale. Si le débit
dépassait la moitié de la quote-part, la dévaluation pouvait
être imposée par l’institution internationale. D’autres
actions, comme des cessions d’or ou la prohibition des
exportations de capitaux, étaient possibles.
Symétriquement, des ajustements pouvaient être imposés
aux créanciers. Un pays excessivement créancier par
rapport à sa quote-part était passible d’avoir à réévaluer sa
monnaie ou à prêter aux banques centrales des pays
déficitaires – ce qui exprimait la solidarité des créditeurs
avec les débiteurs. C’était là l’objectif primordial de Keynes
: éviter le retour des forces déflationnistes de l’entre-deux-
guerres, en concevant des règles d’ajustement qui
empêchaient l’accumulation de balances créditrices et
débitrices sans mécanismes de régulation. Ces ajustements
devaient être facilités par une création maîtrisée de
monnaie internationale. Dans ces conditions, une tendance
expansionniste devait se substituer à une tendance
déflationniste dans le commerce international.
Pour exorciser les démons du passé, Keynes voulait
évacuer l’or du système monétaire international. Mais il
savait bien que sa proposition ne pouvait rencontrer le
soutien officiel qu’il recherchait s’il s’y attaquait
frontalement. D’où le terme de « bancor » pour l’unité de
compte internationale, qu’il envisageait de lier à l’or par un
rapport fixe, les monnaies nationales étant définies par des
parités fixes mais ajustables en bancor. Mais il voulait que
la convertibilité entre le bancor et l’or soit unilatérale. Les
pays pouvaient obtenir des crédits de la banque
internationale en livrant de l’or, mais nul ne pouvait
demander de l’or en contrepartie de crédits en bancor.

I.2.2. Le Plan White : propositions pour un fonds de


stabilisation des changes
Les préoccupations de White étaient fort éloignées. Il ne
s’agissait pas de construire un système monétaire
entièrement nouveau, mais de corriger les défauts des
déséquilibres monétaires de l’entre-deux-guerres et de tirer
parti de la prépondérance du dollar, qui allait être
écrasante lorsque le commerce international reprendrait.
Néanmoins, White se recommandait lui aussi de principes
fondamentaux. Le premier était commun avec les
conceptions britanniques : il fallait rétablir le
multilatéralisme des échanges. Mais pour White, cela
voulait dire prohiber les discriminations contre les
exportations américaines. Il fallait pour cela rétablir la
convertibilité des monnaies et instaurer des changes fixes
mais ajustables après concertation collective, pour éviter
les dévaluations compétitives. De plus, White ne voulait pas
seulement éliminer les arrangements commerciaux
bilatéraux. Il était crucial pour la communauté financière
américaine que les exportations de capitaux ne soient pas
entravées. Le Trésor en était bien conscient. Il fallait donc
proposer une réduction progressive des contrôles des
changes – ce dont les Britanniques ne voulaient pas
entendre parler. Dans une première étape, White prévoyait
la convertibilité sur les opérations courantes. Mais il serait
nécessaire de l’étendre ensuite aux mouvements de
capitaux non spéculatifs. Seule la « hot money » – les
capitaux les plus volatils – devait rester contrôlée en
permanence.
Pour respecter ces principes et atteindre ces objectifs,
White proposait de créer deux institutions internationales.
Un Fonds de stabilisation interallié serait chargé de
stabiliser les changes. Une banque interalliée devrait
fournir le capital nécessaire à la reconstruction et le crédit
nécessaire à l’accroissement du commerce international,
lorsque les sources de financement privées seraient
défaillantes. On reconnaît l’ébauche du Fonds monétaire
international (FMI) et de la Banque internationale de
reconstruction et de développement (BIRD), plus connue
sous le nom de Banque mondiale. La proposition de créer
deux institutions était née logiquement du refus
catégorique des Américains de créer une banque centrale
mondiale, qui était en fait ce que Keynes dissimulait
derrière le nom d’institution internationale de clearing. Il
n’était pas question, pour White, qu’un organisme
échappant à la souveraineté monétaire des États pût créer
de la monnaie. Mais, dans ces conditions, l’ordre monétaire
dépendait du bon fonctionnement du mécanisme de
change, dont on avait pu abondamment constater que les
marchés étaient incapables de l’assurer. Il fallait donc créer
un Fonds international de stabilisation, qui unifierait et
généraliserait l’expérience de coopération entre les Fonds
nationaux de stabilisation, entreprise entre les États-Unis,
la France et le Royaume-Uni de 1936 à 1938. Par ailleurs,
des besoins de capitaux allaient se manifester, à une
échelle qui risquait de dépasser les possibilités des
intermédiaires financiers privés. Une agence internationale
devrait donc diriger et impulser les apports de l’épargne
américaine pour la reconstruction des pays dévastés par la
guerre.
L’innovation monétaire principale était donc le Fonds de
stabilisation. Dans l’esprit de White, ce Fonds devait traiter
seulement avec des institutions officielles. Son capital
devait être constitué d’or, de devises convertibles, de titres
publics des pays participants. Son contrôle devait être
exercé conjointement par les représentants des
gouvernements, avec un droit de veto pour les États-Unis.
La position spéciale des États-Unis était renforcée par la
place réservée aux autres devises : les pays membres
pourraient offrir leur monnaie contre toute autre monnaie,
sauf le dollar. Pour obtenir des dollars, il fallait
l’autorisation du Fonds, donc du gouvernement des États-
Unis, qui déterminait le montant vendu pour effectuer les
règlements entre les pays membres. Cette disposition
élevait le dollar au rang de monnaie internationale des
règlements officiels. C’est pourquoi White ne voyait nul
besoin de créer une unité de compte internationale pour
libeller les obligations des États5. Dans l’esprit de White, le
dollar ne pourrait pas être acheté au Fonds pour
augmenter les réserves de change des pays, mais
uniquement pour effectuer les règlements internationaux.
White énonçait aussi les conditions à respecter par un
pays pour devenir membre du Fonds. Les taux de change
ne pourraient être modifiés qu’avec le consentement du
Fonds. Les contrôles de change devraient être levés, sauf
pour les mouvements de capitaux courts. Les accords
bilatéraux devraient être répudiés et les droits de douane
progressivement réduits. Les politiques inflationnistes
devraient être prohibées et les défauts sur les obligations
officielles ne pourraient pas être déclarés sans l’accord du
Fonds.

I.3. La recherche du compromis


Après une discussion restreinte au sein du Trésor
britannique et des révisions multiples, qui n’en changèrent
ni la logique ni les principes fondateurs, le plan soumis par
Keynes devint celui du Trésor britannique. Il fut
officiellement soumis au gouvernement le 11 février 1942.
De son côté, White soumit sa proposition à Morgenthau le 8
mai 1942.
Les positions étaient fort éloignées, tant sur le fond que
sur la procédure. Les Britanniques ne voyaient aucun
besoin de conférence internationale. Les États-Unis et le
Royaume-Uni pourraient établir une charte commune et
lancer conjointement le système. Les autres pays y
adhéreraient au fur et à mesure qu’ils y verraient un
intérêt et qu’ils pourraient en assumer les obligations. Le
Trésor américain, au contraire, savait que pour faire passer
un accord monétaire international au Congrès, il fallait que
la primauté du dollar fût affirmée solennellement devant le
monde entier, et apparût comme le pivot d’un ordre
nouveau.
Il y avait donc bien du chemin à faire, d’abord pour
aplanir les divergences et présenter aux Parlements et aux
opinions publiques des deux pays un texte commun, ensuite
pour monter une conférence mondiale, voulue par les
Américains comme le premier acte de la future coopération
internationale de l’après-guerre.

I.3.1. Les négociations bilatérales


Le Trésor britannique communiqua sa proposition pour
une union internationale de paiements le 4 août 1942. De
son côté, Keynes prit connaissance des propositions
américaines en octobre. Alors commença un va-et-vient lent
et fastidieux. Il fallait démêler les différences de principe,
les exigences politiques minimales de chaque partenaire,
les questions techniques et juridiques qui n’avaient pas été
abordées dans les schémas de discussion et qui devaient
donner lieu à négociation, et enfin relever les points
d’accord et de désaccord subsistant avant la future
conférence6.
En février 1943, Keynes mit en évidence les différences
majeures entre les deux propositions qu’étaient l’union de
paiements et le fonds de stabilisation. Ces différences
portaient sur la nature des quotes-parts initiales (qui
dépendait du statut de la future institution internationale),
sur le rôle du marché des changes et sur l’étendue des
contrôles de capitaux, enfin sur la symétrie ou l’asymétrie
dans les obligations d’ajuster.
Dans l’esprit de Keynes, en effet, l’institution nouvelle à
créer est une banque centrale internationale. Il s’ensuit
que les quotes-parts sont des droits de tirage sur un
compte de crédit international ouvert au bénéfice de
chaque banque centrale nationale dans les livres de la
banque internationale de clearing. Ces droits sont
initialement fournis par ouverture d’un crédit portant
création ex nihilo de monnaie internationale. Au contraire,
dans la conception du fonds de stabilisation, les quotes-
parts initiales sont déterminées par une souscription des
pays membres au capital du fonds. Elles représentent donc
des droits à acquérir les dépôts d’autres membres.
Compte tenu des déséquilibres prévisibles des paiements
dans la période d’après-guerre, et des balances sterling qui
s’accumulaient du fait du paiement des achats aux
dominions pendant la guerre, le Trésor britannique ne
voulait pas entendre parler de convertibilité de la livre. En
concevant l’union de paiements selon le principe d’un
système bancaire hiérarchisé, Keynes pouvait envisager
que les transactions de change entre pays demeurent
centralisées de manière permanente. C’est le principe du
règlement par cession d’actifs de réserve entre institutions
officielles, par opposition à l’acquisition et à la cession de
moyens de paiements sur les marchés de change. Ce
système permettait aussi de supprimer les marges de
fluctuation entre les monnaies. Comme tout risque de
change disparaissait, les agents privés payaient et
recevaient des paiements dans leur monnaie. La conversion
entre les monnaies passait par les banques centrales et la
banque internationale de clearing. Keynes considérait que
ce système était bien supérieur aux marchés de change.
C’était, dans son esprit, une phase plus avancée de
l’évolution historique de la monnaie. De plus, l’expérience
désastreuse des années 30 avait enseigné que les taux de
change flottants n’étaient pas toujours capables de trouver
des positions d’équilibre économiquement satisfaisantes.
Sur cette base, Keynes se prononçait pour un contrôle
permanent de toutes les transactions en capital.
White était sur des positions complètement différentes.
La stabilisation des changes était au cœur de sa
proposition pour un Fonds de stabilisation. Mais le
fonctionnement décentralisé des marchés de change
demeurait le mécanisme élémentaire des paiements
internationaux. C’est pourquoi les parités devaient être
assorties de marges de fluctuation. Dans cette conception,
comme les flux de capitaux peuvent aider à la stabilisation
des changes, le régime de liberté est le plus satisfaisant.
Cependant, compte tenu de l’expérience désastreuse des
capitaux volatils, le contrôle des mouvements courts était
souhaitable.
Enfin, les deux auteurs divergeaient sur les principes de
l’ajustement. C’était une question de philosophie de la
coopération internationale, largement influencée par les
situations présumées des pays après la guerre. Keynes
craignait le biais déflationniste d’un mécanisme qui ferait
porter toute la charge de l’ajustement sur les pays
débiteurs. Il avait donc cherché à rendre symétriques entre
pays créanciers et pays débiteurs les obligations d’ajuster.
Outre la taxation des soldes créditeurs de bancors, aussi
bien que débiteurs, il prévoyait l’instauration d’indices de
déséquilibres et la mise en demeure de modifier les
politiques économiques en cas de divergence. De surcroît,
l’ajustement pourrait prendre la forme de variations des
taux de change, y compris l’appréciation des monnaies des
pays en excédent7. White, au contraire, s’inscrivait dans la
perspective d’un système asymétrique, dans lequel les
États-Unis allaient avoir une hégémonie reconnue. Comme
ce pays était le seul créancier important envisagé et que le
dollar allait être la seule monnaie convertible lors de la
mise en œuvre du système et pour une durée difficile à
estimer, il n’était pas question pour les États-Unis
d’accepter une quelconque contrainte internationale. Les
sanctions éventuelles ne devaient s’appliquer qu’aux
membres débiteurs.
Keynes savait bien que le schéma de l’union
internationale de paiements était une idée trop nouvelle
pour être acceptée par ses partenaires américains, sans
doute aussi par la communauté financière et même par la
Banque d’Angleterre et de nombreux politiciens de son
propre pays. Mais ce schéma exposait dans un modèle
théorique des idées sur la contribution de la monnaie à la
réanimation des relations internationales, à partir
desquelles il voulait aborder la négociation avec White et
Morgenthau, sachant que ce dernier voulait convoquer au
plus vite une conférence mondiale.
Le 18 août 1943, White réitéra les conditions auxquelles
le Congrès des États-Unis pourrait donner son aval à un
accord monétaire international. Ces conditions n’étaient
pas contournables : les efforts de coopération des années
30, notamment la conférence de Londres de 1933, avaient
échoué du fait de l’opposition du Congrès à la nouvelle
administration américaine. Elles étaient strictes : le capital
du Fonds de stabilisation devait provenir de contributions
nationales, et en aucun cas d’un principe bancaire. Ces
contributions devaient comprendre une composante or. La
contribution des États-Unis ne devait pas dépasser 3
milliards de dollars. Des limites devaient être assignées aux
crédits accordés au Fonds et aux prêts de celui-ci aux
débiteurs. La valeur or du dollar ne pourrait pas être
changée sans l’accord du Congrès. Les taux de change
initiaux devaient être déterminés avant l’établissement du
Fonds. Le taux de change directeur serait quatre dollars
pour une livre.
Keynes était conscient des points sur lesquels les
Américains refuseraient de transiger, et notamment de leur
rejet du principe bancaire de l’avance à découvert. Son
schéma allait cependant guider sa tactique de négociateur,
de manière à faire accepter, au sein du dispositif proposé
par White, des exigences minimales jugées vitales à
Londres. Les Britanniques insistaient pour que soit définie
une monnaie internationale et reprenaient le terme
d’Unitas, qui figurait dans certaines versions du plan White
au début de 1943. Dans l’esprit de White, l’Unitas devait
être une unité de compte pour les transactions en or et en
devises, qui ne changeait pas radicalement le
fonctionnement du Fonds. Il était donc tout à fait différent
du bancor, qui devait permettre de faire des prêts aux pays
débiteurs par une simple écriture comptable. D’autre part,
sachant qu’il serait impossible d’évacuer l’or, Keynes avait
persuadé son gouvernement de demander une faible
souscription en or dans les apports des pays au capital du
Fonds (12,5 % des quotes-parts au maximum). Surtout, une
préoccupation prioritaire était la taille du capital du Fonds,
dont dépendrait sa capacité à prêter. Sur ce point, les
Britanniques révisèrent considérablement les ambitions
affichées par le plan Keynes, qui prévoyait un montant
global des quotes-parts supérieur à 30 milliards de dollars,
et proposèrent un capital total de 10 milliards de dollars,
contre 5 milliards envisagés par les Américains.
Les négociations commencèrent par les conversations de
Washington, à partir de septembre 1943, sur la base de ce
relevé des convergences et des divergences. White fit
quelques concessions sur le contenu. Ainsi, le capital du
Fonds pourrait être élevé à 10 milliards de dollars, pourvu
que la contribution des États-Unis ne dépasse pas 3
milliards. De même, une majorité simple suffirait pour faire
approuver une modification de taux de change. Keynes
voulait aller plus loin et introduire un critère dont la
réalisation empêcherait toute opposition à une dévaluation.
Ce fut la notion de « déséquilibre fondamental » de la
balance courante, qui fut acceptée par la partie américaine
sans avoir été définie d’une manière opérationnelle.
Le 8 octobre, un accord de procédure fut atteint.
L’objectif était de parvenir à rédiger un accord sur les
principes. Ce texte commun anglo-américain devait servir
de base à une conférence internationale qui serait la
première conférence des Nations-Unies. Ces propositions
seraient publiées, afin qu’elles soient connues et discutées
au-delà des milieux officiels. Les points d’accord ne
seraient pas renégociés.
Les négociateurs de Washington avaient le sentiment du
devoir accompli. Ils ne se doutaient pas des embûches qui
allaient surgir avant de pouvoir publier l’accord sur les
principes, obstacles suffisamment importants pour retarder
de plusieurs mois la date de la conférence – que Roosevelt
voulait voir se dérouler en mars 1944 pour éviter toute
interférence avec la campagne de l’élection présidentielle.
Du côté américain, outre les échéances électorales, il
fallait compter avec l’hostilité de la presse économique, des
banquiers et du Congrès. Celui-ci redoutait que le projet de
conférence monétaire ne fût une conspiration britannique
pour mettre la main sur l’or de Fort Knox ! Morgenthau
pensait qu’il fallait prendre l’opposition de vitesse et ne pas
laisser aux rumeurs le temps de se développer, en publiant
immédiatement un communiqué commun. Les points de
désaccord subsistant entre les deux gouvernements étaient
un moindre mal : ils pouvaient être laissés en suspens pour
être réglés lors de la conférence. White, de son côté, était
opposé à la publication prématurée des quotes-parts et
voulait laisser à la conférence le soin de les déterminer.
Face aux pressions américaines en faveur d’une
publication rapide, les officiels britanniques ne voyaient ni
possibilité ni raison de se presser, car des intérêts
financiers vitaux étaient en jeu pour le Royaume-Uni et les
dominions. Fondamentalement, la crainte des élites
politiques et financières anglaises était qu’un engrenage
institutionnel ne fût mis en route, qui fît perdre à la livre
sterling son statut de devise-clé. Churchill lui-même se
prononça sur deux points fondamentaux : pas d’étalon-or ;
pas de renoncement à la préférence impériale. De son côté,
la Banque d’Angleterre était avant tout attachée à
préserver la zone sterling. Elle interprétait la création à
Washington d’un Fonds habilité à gérer des échanges de
devises comme un instrument de destruction de cette zone.
Quant à la droite nationaliste, elle voyait tout simplement le
Fonds comme un agent américain pour désintégrer
l’Empire !
Au-delà du déchaînement des intérêts nationaux de part
et d’autre de l’Atlantique, les désaccords substantiels
s’aggravaient entre les négociateurs. Keynes pensait
désormais que les pouvoirs discrétionnaires de la nouvelle
institution monétaire devaient être strictement limités. Au
contraire, les Américains voulaient un Fonds doté d’une
forte autorité : ils savaient pouvoir dominer l’institution
grâce à leur droit de veto, ce qui leur permettrait d’utiliser
ses financements pour influer sur les pays débiteurs avec
une légitimité internationale. Le principe et la nature de
l’unité internationale de règlement étaient aussi en débat.
Keynes voulait que les comptes des banques centrales
auprès du Fonds fussent libellés en une unité
internationale. Pour lui, les ressources du Fonds ne
devaient pas être composées d’un « ensemble hétéroclite
de devises ». White objectait désormais que le Congrès
n’accepterait pas de monnaie internationale à laquelle le
dollar serait lié. Cependant, sans s’engager pour son
gouvernement, Keynes inclinait à ne pas faire de cette
question une condition d’acceptation du plan.
Finalement, le chancelier de l’Échiquier demanda au
Cabinet britannique de se prononcer en faveur du projet,
mais en posant des conditions qui compliquèrent encore la
négociation. Le Royaume-Uni entendait faire du traitement
spécifique des problèmes de reconstruction et de transition
de l’après-guerre – qui allaient demander des financements
importants – une condition d’acceptation du Fonds
monétaire. Il voulait que celui-ci n’entre en opération que
progressivement, en s’occupant d’abord de superviser les
ajustements de change. White réagit très négativement à
ces conditions, qui compliquaient encore la négociation. Le
Cabinet britannique accepta de les retirer, mais se
prononça pour une publication conjointe sans s’engager sur
le contenu du communiqué. Le temps pressant, le
communiqué fut enfin publié le 22 avril 19448.

I.3.2. Du communiqué sur les principes aux accords de


Bretton Woods
En dépit des tensions provoquées par les pressions
politiques et les interférences intempestives de divers
milieux tenus à l’écart des débats, le communiqué sur les
principes résolut un nombre impressionnant de questions
laissées en suspens lors des conversations de Washington.
Le montant d’or que chaque pays membre devrait apporter
au Fonds fut fixé de manière optionnelle à 25 % de sa
quote-part ou 10 % de ses avoirs officiels nets en or et en
devises convertibles en or. Comme le dollar était la seule
devise convertible d’importance, sa suprématie était
officialisée sans que l’or fût rejeté en dehors du système
monétaire international. Les pays devraient faire leurs
déclarations de parité en accord avec le Fonds et les
exprimer en or. L’Unitas était donc définitivement écartée.
Les changements de parité seraient proposés seulement
pour corriger des déséquilibres fondamentaux. Les
variations ne devraient pas dépasser 10 % par rapport à la
parité initiale sans l’approbation du Fonds. Pour donner
satisfaction à l’insistance de Keynes sur la symétrie des
obligations, une clause, dite de la monnaie rare, fut
inventée : une devise pouvait être déclarée rare lorsque les
avoirs du Fonds dans cette devise seraient menacés
d’épuisement. Il serait alors légitime de restreindre les
opérations de change dans cette devise.
En plus de ces dispositions portant sur les règles
constitutives du système, le communiqué commun déclinait
les droits et devoirs des pays membres de la nouvelle
institution monétaire. Tous les membres du Fonds
participeraient au Conseil des gouverneurs, son instance
suprême. Un Comité exécutif serait créé, qui pourrait être
composé de neuf membres au moins, dont les cinq pays aux
quotes-parts les plus élevées. Les gouvernements des pays
membres seraient conviés à s’accorder sur les obligations
suivantes : ne pas acheter ni vendre de l’or à un prix
différent de sa parité ; ne pas échanger des devises entre
institutions officielles à des taux de change extérieurs aux
marges centrées sur les parités ; ne pas recourir à des taux
de change multiples sans l’aval du Fonds ; ne pas imposer
de restrictions sur les transactions courantes. Enfin, une
période transitoire de trois ans était prévue pendant
laquelle ces obligations étaient suspendues.
La conférence fut convoquée pour le 1er juillet 1944 à
Bretton Woods. La délégation britannique réétudia le
communiqué commun pendant le voyage. Keynes souleva
des problèmes fondamentaux : désaccord sur la notion de
convertibilité en or ; volonté que soit affirmée clairement
l’autorité des pays membres sur la valeur externe de leur
monnaie ; insistance sur l’établissement d’une banque pour
la reconstruction et le financement à long terme9. Keynes
assumerait d’ailleurs la présidence de la commission
Banque à la conférence, tandis que White présiderait les
travaux consacrés au Fonds. Les Américains avaient décidé
d’encadrer complètement la conférence, au point de
rédiger à l’avance un texte complet pour leurs délégués.
White voulait aussi que soient préparés et discutés dans le
détail les amendements que le Trésor américain prévoyait
d’introduire. Une préparation de deux semaines eut lieu
entre Britanniques et Américains à partir du 15 juin. Les
Américains se montrèrent conciliants, désireux qu’ils
étaient que les deux délégations s’accordent à l’avance sur
le plus de sujets possibles. C’est pourquoi les points de
tension qui subsistèrent portaient sur des éléments
fondamentaux du fonctionnement du système.
L’objectif premier de Morgenthau, celui qui avait motivé
toute l’entreprise de refondation des relations monétaires
internationales, était de déplacer le centre financier du
monde des milieux bancaires de Londres et de New York
vers le Trésor américain. Le Fonds monétaire international,
puisque c’est le nom qui fut donné, dès sa première
esquisse, au fonds de stabilisation voulu par White, a porté
dès l’origine la marque de ce biais, qui en faisait un
instrument de la politique extérieure du Trésor américain.
Aussi, fort logiquement, White voulait-il liquider la Banque
des règlements internationaux (BRI), qui devenait une
institution monétaire superflue parce qu’échappant au
pouvoir direct du Trésor. Il fit présenter une proposition en
ce sens à la conférence par les délégations des Pays-Bas et
de la Norvège. Il fallut toute l’opiniâtreté de Keynes pour
s’y opposer avec succès. De même, la localisation du Fonds
fut un sujet d’âpres discussions. White proposa la rédaction
suivante : « Le Fonds doit être situé dans le pays membre
dont la quote-part est la plus grande ». Keynes voulait que
cette décision fût laissée aux gouverneurs du Fonds lors de
leur première réunion. Mais la position britannique était
intenable devant l’intransigeance américaine. Aussi la
proposition de White fut-elle adoptée avec l’aide des
nombreux alliés des États-Unis, qui espéraient en retour un
soutien américain dans les revendications sur leurs quotes-
parts, et avec l’accord tacite des Soviétiques.
Le deuxième grand objectif de Morgenthau était de
mettre le dollar au centre du système monétaire
international. Cet objectif était partagé par la communauté
financière américaine. De son côté, Keynes était
farouchement opposé à un statut spécial du dollar. C’est
pourquoi il avait longtemps plaidé pour introduire une
monnaie internationale. La mise à l’écart de cette option
amenait au premier plan la question de la définition de la
convertibilité, point de désaccord d’une très grande portée.
Cependant, devant le grand nombre de problèmes
techniques que les commissions de la conférence devaient
trancher, et dans l’ignorance où se trouvaient la plupart
des délégations des véritables enjeux dissimulés derrière
ces problèmes techniques, la rédaction américaine fut
approuvée sans discussion, d’autant que Keynes était
absorbé par la création de la Banque de financement des
investissements d’après-guerre (la future Banque
mondiale). Le texte préparé par les experts américains
stipulait que chaque pays devait déclarer sa parité en or ou
en une devise convertible en or au poids et titre en vigueur
au 1er juillet 194410.
On peut dire que les problèmes qui allaient hanter le
système de Bretton Woods dès l’amorce d’un déclin du
leadership américain tiennent dans cette formule : « .... ou
en une devise convertible en or ». Elle faisait de facto du
dollar l’unité de compte internationale. Dépourvus d’or, les
autres pays allaient déclarer leurs parités en dollars. Le
dollar étant placé au centre du système, la gestion des
ajustements ne pouvait plus s’effectuer de manière
décentralisée, comme dans un système de rattachement à
une monnaie externe. Détenteurs des trois quarts du stock
d’or monétaire mondial, les États-Unis allaient se déclarer
prêts à acheter ou à vendre de l’or aux institutions
officielles étrangères au prix de 35 $ l’once d’or fin. Le
système était donc bien hiérarchique. Il revenait aux États-
Unis d’alimenter le reste du monde en liquidités
internationales, ce qui ne pouvait passer que par un déficit
cumulé du solde monétaire de la balance des paiements,
sans qu’il y ait de principe d’ajustement pour adapter
l’offre de dollars, c’est-à-dire ce déficit, à la demande de
dollars émanant du développement futur des échanges
internationaux.
Mais ce défaut congénital du système de Bretton Woods,
qui allait plus tard être connu sous le nom de « dilemme de
Triffin », ne pouvait être anticipé à l’époque. L’adoption des
articles concernant la convertibilité déclencha, aussitôt
après la fin de la conférence, un regain de controverse
anglo-américaine sur les obligations attachées à la
convertibilité pour les transactions courantes. Les
Britanniques voulaient conserver une liberté de manœuvre
sur deux points essentiels : le droit de modifier
unilatéralement la parité, même contre l’avis du Fonds,
étant entendu que cette modification leur interdirait
d’utiliser les ressources du Fonds ; et le pouvoir
discrétionnaire de restreindre la convertibilité en cas de
difficultés de change. Cela conduisait Keynes à interpréter
la convertibilité du traité de manière restreinte, comme
portant exclusivement sur les créances officielles11. Selon
lui, les articles du traité ne créaient aucun droit des agents
privés non-résidents sur les pays membres. Car il pensait
que la centralisation des transactions de change, qui
conduisait au règlement des soldes de balances de
paiements par cession d’actifs de réserve entre institutions
officielles, devait être un trait permanent du système
monétaire international. Au contraire, les Américains ne
voulaient surtout pas centraliser les transactions de
change. Ils se prononçaient pour une interprétation large
de la convertibilité : celle qui obligeait les pays membres à
défendre leurs parités par des interventions sur les
marchés de change. La centralisation des transactions est
donc une restriction au traité, qui ne peut être acceptée
qu’à titre temporaire. On sait que les pays ont de fait
évolué vers la libéralisation du marché des changes. Mais
ce mouvement s’est fait lentement (ce n’est qu’en
décembre 1958 que dix pays européens ont déclaré la
convertibilité totale de leurs monnaies pour les
transactions courantes). Les banques commerciales
reçurent la liberté d’échanger des devises. Des marges de
fluctuation de 1 % autour de la parité centrale des
monnaies contre le dollar, donc de 2 % entre les paires
quelconques de monnaies convertibles, furent adoptées par
le FMI.
Parmi les points d’achoppement, à côté de
l’établissement du Fonds monétaire à Washington et de
l’instauration officielle du dollar au cœur du système
monétaire international, la détermination des quotes-parts
ne fut pas le moindre sujet de conflit parmi les nombreuses
délégations. Les Soviétiques voulaient une quote-part
supérieure à celle des Britanniques, qui ne voulaient pas en
entendre parler. Les Américains exigeaient que le poids de
leur vote soit supérieur à celui du Commonwealth. La
Chine demandait le quatrième rang. Les États-Unis
soutenaient l’augmentation du poids des pays latino-
américains, le Royaume-Uni celui de l’Inde et de l’Australie.
Une multitude de rencontres bilatérales furent nécessaires
entre délégations. Pour rendre les arbitrages finaux, White
nomma un Comité des quotes-parts. Ce dernier put rendre
des arbitrages définitifs le 14 juillet. Le total des quotes-
parts s’élevait à 8 800 millions de dollars. La route était
ouverte pour la rédaction formelle des articles de l’accord
international, qui aboutit une semaine plus tard.
La conférence mondiale de Bretton Woods est unique en
son genre, en ce qu’elle a produit un résultat. Toutes celles
qui l’ont précédée ont échoué : Paris en 1865, Gênes en
1922, Londres en 1933. La tentative ultérieure de réformer
le système monétaire international, qui s’est tenue entre
1972 et 1974, a échoué sans même être parvenue jusqu’au
stade d’une conférence. On a tenté ici d’expliquer les
raisons de ce succès. Deux pays, différents quant à leurs
intérêts économiques et financiers immédiats, avaient
néanmoins une philosophie commune sur des principes
fondamentaux : le rôle primordial de la monnaie pour
promouvoir des échanges internationaux bénéfiques à tous
les pays, le besoin d’une action collective dirigée par une
institution internationale pour la stabilité des changes, un
principe d’universalité fondé sur le crédit mutuel entre ses
membres. Ces pays étaient en position de reconstruire
entièrement le système monétaire et de proposer un
compromis élaboré dans une longue négociation bilatérale
qu’aucun autre pays n’était en mesure de bloquer.

I.4. Le FMI, institution centrale du nouvel ordre


monétaire
Les buts assignés au Fonds dans l’article 1 de ses statuts
expriment les convictions communes qui ont rendu possible
le compromis de Bretton Woods (Encadré 1). De ces buts
découlaient quatre fonctions principales.

Encadré 1

ARTICLE 1 DES STATUTS DU FMI


Les buts du Fonds monétaire international sont les
suivants :
i) Promouvoir la coopération monétaire
internationale au moyen d’une institution
permanente fournissant un mécanisme de
consultation et de collaboration en ce qui
concerne les problèmes monétaires
internationaux.
ii) Faciliter l’expansion et l’accroissement
harmonieux du commerce international et
contribuer ainsi à l’instauration et au maintien
de niveaux élevés d’emploi et de revenu réel et
au développement des ressources productives
de tous les États membres, objectifs premiers
de la politique économique.
iii) Promouvoir la stabilité des changes, maintenir
entre les États membres des régimes de
change ordonnés et éviter les dépréciations
concurrentielles des changes.
iv) Aider à établir un système multilatéral de
règlement des transactions courantes entre les
États membres et à éliminer les restrictions de
change qui entravent le développement du
commerce mondial.
v) Donner confiance aux États membres en
mettant les ressources générales du Fonds
temporairement à leur disposition moyennant
des garanties adéquates, leur fournissant ainsi
la possibilité de corriger les déséquilibres de
leur balance des paiements sans recourir à des
mesures préjudiciables à la prospérité
nationale ou internationale.
vi) Conformément à ce qui précède, abréger la
durée et réduire l’ampleur des déséquilibres
des balances des paiements des États
membres.
Dans toutes ses politiques et décisions, le Fonds
s’inspire des buts énoncés dans le présent article.

Source : Statuts du FMI.

D’une part, le FMI était le gardien d’un ensemble de


règles, à commencer par celles relatives aux
changements de parités. Bretton Woods instaurait en
effet un système de parités fixes et ajustables, dans lequel
la modification des taux de change, au-delà d’une certaine
ampleur, était considérée comme une décision d’intérêt
collectif. À ce titre, elle supposait une autorisation du FMI.
En principe, un ajustement de parité ne pouvait intervenir
que pour corriger un déséquilibre « fondamental » de la
balance des paiements. Des concessions réciproques entre
les États-Unis d’un côté, qui souhaitaient au départ que
toute modification de parité donne lieu à un vote à la
majorité qualifiée de 80 %, et les Britanniques de l’autre,
qui voulaient laisser aux membres plus d’autonomie,
aboutirent à la solution suivante : les pays membres avaient
l’initiative des modifications de parité, mais devaient en
soumettre la proposition au Fonds pour consultation. Si
l’ajustement envisagé modifiait de plus de 10 % la parité
initiale, compte tenu du cumul des ajustements antérieurs,
l’accord du FMI était requis. Une ambiguïté demeurait
cependant sur les sanctions encourues par un pays qui
modifierait sa parité sans avoir obtenu cette autorisation.
Une telle modification n’était en effet pas explicitement
présentée comme une violation des obligations du pays
membre. Bien que le Fonds pût le priver de l’accès à ses
ressources et éventuellement le forcer à se retirer, ces
sanctions n’avaient rien d’automatique. De même, les
négociateurs s’abstinrent de préciser la notion de
déséquilibre fondamental, dont il aurait été difficile de
formuler une définition satisfaisante, pour des raisons
politiques aussi bien que techniques12. Les pays membres
furent invités à déclarer au plus vite une parité. Celle-ci
devait être unique et pouvait être exprimée soit en or, soit
en dollars. La première solution ne fut choisie que par les
États-Unis, qui s’engagèrent à acheter et à vendre
librement de l’or au prix de 35 dollars l’once. Le dollar,
considéré comme « as good as gold », devenait ainsi le
pivot du système.
Cette hiérarchie créait une asymétrie fondamentale, les
États-Unis étant dispensés de défendre leur parité sur le
marché des changes. Pour les autres pays, l’exigence de
convertibilité leur faisait obligation d’intervenir pour
maintenir leur parité par rapport au dollar dans des marges
de plus ou moins 1 %.
Ensuite, le FMI était garant d’un code de conduite
concernant l’abolition du contrôle des changes et des
pratiques de change discriminatoires, qui devait permettre
le retour à un système de paiements multilatéral fondé sur
la libre convertibilité des monnaies. Le débat sur la libre
convertibilité avait été tranché grâce à une distinction
fondamentale entre les transactions courantes et les
mouvements de capitaux. L’obligation de convertibilité était
limitée aux seules transactions courantes (article VIII). En
revanche, le contrôle des capitaux était admis et
explicitement consacré par l’article VI13. Celui-ci stipule
ainsi : « Les États membres peuvent prendre les mesures
de contrôle nécessaires pour réglementer les mouvements
internationaux de capitaux, mais aucun État membre ne
peut appliquer lesdites mesures de contrôle d’une manière
qui aurait pour effet de restreindre les paiements au titre
des transactions courantes ou de retarder indûment les
transferts de fonds effectués pour le règlement
d’engagements pris, sauf dans les conditions prévues à la
section 3.b de l’article VII [clause de la monnaie rare] et à
la section 2 de l’article XIV [dispositions transitoires] ». En
effet, le contrôle des changes sur les opérations courantes
pouvait être admis dans deux cas. D’une part, une période
de transition était concédée aux États membres avant le
retour à la convertibilité en compte courant, sous la
surveillance régulière du Fonds (article XIV). D’autre part,
le Fonds pouvait déclarer la rareté d’une monnaie, ce qui
donnerait aux autres membres le droit d’imposer des
contrôles de change sur les transactions courantes portant
sur cette monnaie14.
En troisième lieu, le FMI était chargé d’assurer
l’approvisionnement en liquidité internationale grâce
aux ressources constituées par les souscriptions de chaque
État membre. L’expérience de l’entre-deux-guerres avait
montré les dangers d’un volume inadéquat de réserves
internationales. C’est pourquoi les négociateurs de Bretton
Woods ont voulu mettre en place un système d’assistance
mutuelle en cas de déficit temporaire de la balance
courante, afin de faciliter les interventions stabilisatrices
des banques centrales.
À son adhésion, chaque État membre se vit attribuer une
quote-part déterminant à la fois sa contribution financière
aux ressources du Fonds, les tirages qu’il pouvait effectuer
sur les ressources ainsi constituées, et enfin les droits de
vote dont il disposait dans les décisions. Une fois réglés les
différends portant sur le montant total, la composition en
or et en devises et enfin la répartition des quotes-parts, les
conditions de l’accès aux ressources du Fonds restaient à
préciser. White était favorable à ce que le Fonds contrôlât
le droit d’accès des membres à ses ressources, tandis que
Keynes aurait préféré un droit de tirage automatique dans
la limite de la quote-part, considérant que celle-ci faisait
partie des réserves propres du pays. Au total, les modalités
et les montants autorisés de tirage furent laissés dans le
vague lors de la conférence. Le texte des statuts ménageait
l’ambiguïté en affirmant le « droit » d’un État d’acheter au
Fonds sa propre monnaie contre la monnaie d’un autre
membre, tout en l’obligeant à justifier la nécessité de cet
achat pour des besoins temporaires de balance des
paiements. Mais la question de savoir si le Fonds pourrait
apprécier cette nécessité et subordonner l’utilisation de ses
ressources à certaines conditions fut laissée en suspens.
Dans les années qui suivirent, le Fonds s’efforça de dissiper
l’ambiguïté. Une décision du Conseil d’administration de
1952 fixa les grands principes qui ont encore cours
aujourd’hui. Les tirages dans la « tranche-or », c’est à dire
la fraction de la quote-part versée en or, furent déclarés
inconditionnels. Au-delà, ils étaient – et sont toujours –
soumis à condition et éventuellement encadrés par un «
accord de confirmation »15. Par un accord de confirmation,
le Fonds s’engage à mettre un certain montant de
ressources à disposition de l’État membre au cours de la
période couverte par l’accord. Cet accord équivaut donc à
une promesse de crédits : il garantit au pays bénéficiaire
que, moyennant le respect des conditions posées par le
Fonds, il pourra recevoir les devises dont il a besoin. En
contrepartie, il prend dans une « lettre d’intention »
certains engagements concernant sa politique économique,
afin de rétablir l’équilibre de sa balance des paiements. Le
respect de « critères de réalisation », précisés par l’accord,
conditionne la poursuite des tirages. Ils assurent le Fonds
de ce que les rachats pourront être effectués et que ses
ressources ne serviront pas à renflouer des déficits
systématiques.
Enfin et surtout, le FMI devait assumer une fonction de
concertation en incarnant le principe d’une responsabilité
collective pour la gestion de l’ordre monétaire
international. Le mode de concertation à l’intérieur du
Fonds portait la marque du consensus issu des Accords de
Bretton Woods. Ses structures de décision étaient donc
conçues pour veiller à l’application des règles
mutuellement acceptées par les gouvernements, plutôt que
pour servir de forum de négociation.
L’actualisation du consensus était facilitée par le poids
prédominant des deux puissances négociatrices dans les
décisions. Le pouvoir de chaque pays au sein du Fonds
dépend en effet de son poids économique puisque le
montant des quotes-parts est lié à des critères tels que le
revenu national, les échanges extérieurs, les réserves16. Il
est déterminé par l’importance de sa contribution
financière, avec une modeste concession au principe
d’égalité des États. En 1947, ce système assurait 31,46 %
des voix aux Américains et 15,02 % aux Britanniques. Avec
l’augmentation du nombre de pays membres, ces
proportions ont évidemment diminué. Cependant,
aujourd’hui encore, les États-Unis, avec 17,4 % des voix,
dominent largement tous les autres pays (le second, le
Japon, en détient seulement 6,24 %). Le vote pondéré,
couplé à un système de majorité qualifiée, leur a permis de
conserver jusqu’à aujourd’hui un droit de veto sur certaines
décisions fondamentales. Ainsi, le système de vote pondéré
a largement neutralisé l’effet de l’arrivée de nouveaux
États sur la répartition des pouvoirs au sein de
l’organisation. Du fait de la prépondérance des pays
industrialisés occidentaux, le Fonds a toujours exprimé un
certain consensus sur le diagnostic et les prescriptions
économiques, tout en devenant une institution quasi
universelle17.
Tous les pouvoirs sont en principe détenus par le Conseil
des gouverneurs, l’organe suprême du Fonds. En son sein,
chaque État membre est représenté par un gouverneur et
un suppléant. Il s’agit le plus souvent du ministre des
finances et du gouverneur de la banque centrale nationale.
Ainsi, le secrétaire d’État au Trésor des États-Unis est
gouverneur, et le Président de la Réserve fédérale,
suppléant. De la même façon, le gouverneur français est le
ministre des Finances. Bien que certains pays comme
l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Suède, aient fait le choix
inverse et désigné le gouverneur de la banque centrale
comme gouverneur du Fonds, celui-ci est avant tout une
organisation intergouvernementale. Le Conseil des
gouverneurs ne se réunit normalement qu’une fois par an,
au début de l’automne, en assemblée générale,
conjointement avec la Banque mondiale. Le Conseil
délègue la plupart des décisions, hormis celles qui lui sont
explicitement confiées par les statuts, au Conseil
d’administration. Ce dernier est donc l’organe de décision
permanent du FMI. Les administrateurs – douze à l’origine
– se réunissent plusieurs fois par semaine sous la
présidence du directeur général. Les décisions du Conseil
sont préparées par les services du Fonds. Chaque
administrateur dispose des droits de vote liés à la quote-
part du pays ou du groupe de pays qu’il représente18, le
directeur ne votant qu’en cas de partage des voix.
Le statut des administrateurs fit l’objet d’un débat à la
création du FMI. Deux solutions, défendues tour à tour par
les Britanniques, furent écartées. Au début des
négociations de Bretton Woods, ceux-ci plaidaient pour un
conseil de direction indépendant des pays membres,
composé d’experts libres de tout contrôle politique. Devant
l’opposition américaine, ils défendirent ensuite l’idée de
directeurs à temps partiel, hauts responsables dans leur
banque centrale ou leur gouvernement, capables de fixer la
politique générale du Fonds et de défendre leurs intérêts
nationaux respectifs sans intervenir dans le travail
quotidien de l’organisation. Il s’agissait de faire du Conseil
un véritable forum de négociation. Ces deux possibilités
furent écartées au profit de la solution recommandée par
les Américains. Conformément à leur conception du rôle de
la nouvelle organisation et à leur statut de puissance
hégémonique, ceux-ci étaient favorables à des
administrateurs à temps plein siégeant en session
permanente, capables de veiller sur l’engagement des
ressources du Fonds et sur les modifications de taux de
change, en un mot de faire respecter les règles du système
monétaire international. Cependant, entre un Conseil des
gouverneurs trop nombreux et qui se réunit trop rarement
pour gérer efficacement les affaires monétaires
internationales, et un Conseil d’administration qui manque
d’autorité et de légitimité politique, l’appareil de décision
du Fonds a toujours souffert d’une lacune. Cette faiblesse
se manifesta dans toutes les périodes de contestation ou de
redéfinition des règles existantes : les négociations
monétaires importantes se sont toutes déroulées dans
d’autres forums que le Conseil d’administration.

Le système de Bretton Woods instaurait une solution


originale au problème de coordination monétaire, dont la
formulation théorique a été donnée par la suite. Le «
théorème d’impossibilité de Mundell » stipule que le
meilleur des mondes possibles, du point de vue des
préférences collectives nationales exprimées par les vues
des gouvernements, est hors d’atteinte dans un monde de
monnaies multiples et séparées. Cet « optimum de premier
rang » combinerait l’autonomie des politiques monétaires
nationales (reflétant les choix démocratiques des citoyens
en matière économique), la fixité des taux de change (pour
évacuer structurellement le risque monétaire dans les
transactions internationales), la liberté totale des
mouvements de capitaux (pour optimiser l’efficacité de
l’allocation internationale de l’épargne).
La solution de Bretton Woods a été de renoncer à la
liberté des mouvements de capitaux. Les deux autres
critères ont fait l’objet de compromis : changes fixes mais
ajustables, politiques autonomes mais avec un minimum de
coordination sous l’égide du FMI. On était donc dans un
système mixte. En effet, si les règles internationales de
parité ne laissaient pas aux gouvernements une complète
liberté, le système institué ne les soumettait pas non plus à
des ajustements automatiques comme dans le cas de
l’étalon-or classique : la possibilité de réajustement du
change avec l’accord préalable du FMI, le soutien financier
international, en complément des réserves nationales, pour
lutter contre les attaques spéculatives, étaient, avec le
contrôle des capitaux, autant de moyens pour permettre
aux États de conserver une certaine marge d’autonomie.
Ce dispositif ne pouvait fonctionner que dans un
environnement financier contrôlé et compartimenté,
limitant effectivement la mobilité des capitaux.
Pourtant, le système monétaire international, durant la
période ouverte par les accords de Bretton Woods19 n’a pas
fonctionné selon ces intentions fondatrices. Tout d’abord,
l’ordre monétaire dont le FMI devait être la clé de voûte
mit beaucoup plus longtemps que prévu à se mettre en
place. Jusqu’au milieu des années 50, le Fonds a été
presque complètement dessaisi des problèmes monétaires
internationaux, car il n’a pas été capable de fournir les
moyens de paiement indispensables à la reconstruction des
anciens pays belligérants d’abord, puis au fonctionnement
d’un véritable système multilatéral de paiements. En effet,
la convertibilité des monnaies européennes ne fut
officiellement rétablie qu’en 1958. De ce rétablissement
jusqu’au début des années 70, le Fonds dut faire face au
développement des mouvements de capitaux, notamment à
l’essor rapide du marché de l’eurodollar. Or, dans le même
temps, le système de parités se rigidifia, sans pour autant
que la coordination des politiques économiques ne se
renforce. Le système de Bretton Woods ne surmonta pas
cette contradiction. La tentative pour en réformer les
règles dans les années 70 fut prise de vitesse par le
développement des marchés financiers. Celui-ci devait
finalement faire prévaloir un nouveau mode de
fonctionnement du système monétaire international, au
prix d’un renoncement aux changes fixes.

II. Le FMI sous Bretton Woods : garant des règles,


modeste dans l’action

II.1. La période de pré-convertibilité (1947-1958)


Les déséquilibres de l’après-guerre avaient été sous-
estimés par les négociateurs de Bretton Woods. Ceux-ci
avaient envisagé une période de transition relativement
brève et des déséquilibres de paiements compatibles avec
les ressources du FMI. L’histoire allait démentir ces
perspectives optimistes. La convertibilité mit plus de dix
ans à se rétablir en Europe, et ce n’est qu’en décembre
1958 qu’elle le fut officiellement. Au Japon, il fallut
attendre 1964. Dans l’immédiat après-guerre, seuls les
États-Unis, le Canada et quelques autres pays,
principalement d’Amérique centrale, étaient capables de
remplir les obligations de l’article VIII sur la libre
convertibilité de leurs monnaies pour les transactions
courantes. Quant aux autres pays, leurs capacités
d’exportation étaient considérablement endommagées,
leurs besoins d’importation énormes et leurs réserves
épuisées. Faute de moyens de paiements suffisants, les
rares dollars étant réservés aux importations vitales en
provenance des États-Unis, les pays européens se
révélèrent vite incapables de s’arracher au bilatéralisme.
L’échec cuisant de la tentative de rétablissement de la
convertibilité de la livre sterling en juillet 1947 ferma la
voie d’une restauration progressive de la confiance dans les
monnaies européennes. Des moyens financiers
extraordinaires étaient nécessaires pour contrecarrer la
fragmentation des échanges. Face à ces difficultés de
paiements, les ressources du Fonds étaient dérisoires20.

II.1.1. La mise à l’écart du Fonds au profit d’autres


dispositifs
Le FMI se trouva de fait exclu du compromis
international élaboré à partir du début de la guerre froide :
les Alliés acceptaient l’hégémonie monétaire des États-Unis
en échange de leur aide économique et de leur protection
militaire. La pression de la guerre froide et la mise en
œuvre du Plan Marshall ont marqué le début de cette mise
à l’écart. Le Fonds, en effet, se trouva supplanté au profit
d’une approche régionale européenne, encouragée par le
Département d’État américain, d’abord pour utiliser au
mieux les capitaux du Plan Marshall, puis pour rétablir un
système multilatéral de paiements propice au
développement des échanges intra-européens.
Le montant global de l’aide Marshall a représenté vingt
fois les capacités de prêt du FMI à l’Europe21. Les moyens
que les pays membres avaient bien voulu lui concéder
étaient sans commune mesure avec les déséquilibres de
l’après-guerre et l’extrême pénurie de liquidités
internationales qui sévissait alors en Europe. Le Fonds lui-
même consacra sa mise à l’écart en décidant, en 1948, que
les pays recevant une aide en dollars au titre du plan
Marshall ne pourraient tirer des dollars sur le Fonds que
dans des circonstances exceptionnelles.
Malgré l’aide Marshall, les pays européens demeuraient
incapables d’établir la convertibilité des paiements
courants inscrite dans la charte de Bretton Woods. La voie
proposée par le FMI – et soutenue par le Comité de Bâle
réunissant les principales banques centrales – consistait à
élargir progressivement la convertibilité, en commençant
par la livre sterling, pour augmenter la disponibilité des
moyens de paiements internationaux. Cette voie s’avéra
vite impraticable. L’Europe se trouvait exactement dans la
situation que Keynes avait redoutée dès 1941. La pénurie
de devises entravait toute libéralisation du commerce
extérieur. Pour économiser les moyens de paiement, il
fallait un mécanisme de crédit multilatéral entre les pays
européens, que le marché était incapable de fournir.
L’innovation fut une institution régionale, l’Union
européenne des paiements (UEP), créée en juin 1950. Avec
un capital initial doté par une partie des crédits Marshall,
l’UEP a fourni aux pays de l’OECE un mécanisme de
compensation et de crédit qui a emprunté ses principes au
plan Keynes22. C’est sans doute pourquoi elle a rencontré
l’hostilité du Trésor américain. Il a fallu toute la force de
conviction du Département d’État dans le contexte de la
guerre froide pour faire accepter au Congrès l’abondement
du capital de l’UEP par les crédits Marshall.

Encadré 2

L’UNION EUROPÉENNE DES PAIEMENTS


L’Union européenne des paiements (UEP) fut le
véritable vecteur du retour au multilatéralisme
monétaire en Europe. Ce fut une institution aussi
décisive que mal connue de la construction
européenne. Cette union, regroupant les 16 pays
de l’OECE (l’Organisation européenne de
coopération économique, créée du côté européen
pour administrer l’aide Marshall), a fonctionné de
1950 à 1958 et a permis l’échange des monnaies
européennes entre banques centrales. Elle a
transformé le réseau des accords de paiements
intra-européens bilatéraux en un système de
compensation multilatérale. Reprenant l’idée d’une
chambre de compensation, que Keynes avait
envisagée dans son plan sous la forme d’une
International Clearing Union, elle instaurait des
crédits transférables entre les banques centrales
dans la limite de quotas, et faisait fonctionner un
mécanisme monétaire de compensation
multilatérale des échanges commerciaux. Grâce à
l’UEP, les échanges européens purent se
développer rapidement et les monnaies nationales
amorcer leur marche vers la convertibilité à partir
de 1954.
On peut se demander pourquoi l’UEP a été
liquidée en 1958 en même temps que la
convertibilité était rétablie dans toute l’Europe
occidentale. Certes, on peut dire qu’elle avait
rempli son rôle de transition et que, sous sa forme
initiale, elle n’était pas compatible avec la
convertibilité multilatérale dans les marchés de
change. Mais elle avait déjà évolué depuis 1954 en
Accord monétaire européen. Il eût été possible,
comme l’avait proposé Robert Triffin, de pérenniser
cet accord en un système de coopération monétaire
européen au sein du système de Bretton Woods.
L’histoire monétaire ultérieure de l’Europe en eût
été grandement changée. L’Union monétaire aurait
peut-être pu être menée à bien à la suite du Plan
Werner de 1970.
En vérité, l’Accord monétaire européen a
rencontré des oppositions politiques très
puissantes. L’obstacle le plus fondamental a été la
conception américaine de l’intégration atlantique.
Il s’agissait d’un espace ouvert à l’investissement
international des grandes entreprises américaines
sous la protection de l’OTAN. Cet espace portait la
suprématie du dollar. Si une partie de
l’administration américaine avait soutenu l’UEP à
sa création comme un moyen d’optimiser l’aide
Marshall, il n’était pas question d’accepter un
mécanisme qui était perçu comme l’instrument
d’un bloc monétaire européen. En outre, la livre
sterling faisait partie de l’UEP, ainsi que tout le
Commonwealth. Or le gouvernement anglais voyait
dans l’UEP un obstacle au rétablissement complet
du rôle international de la livre sterling comme
deuxième monnaie de réserve. Corrélativement, les
pays du continent ne voulaient pas partager le
fardeau des balances sterling, ces engagements en
sterling accumulés par le Royaume-Uni auprès du
Commonwealth et déclarés inconvertibles. Enfin,
l’influence du Royaume-Uni était encore très forte,
de sorte que plusieurs pays ne concevaient pas de
solidarité monétaire en Europe sans sa
participation.

II. 1.2. Une faible autorité sur les États membres


Dans ses premières années de fonctionnement, le FMI
s’est donc trouvé largement évincé par d’autres dispositifs,
tels que le plan Marshall et surtout l’UEP. Aussi la faiblesse
de sa contribution financière au rétablissement des
équilibres européens s’accompagnait-elle d’une autorité
vacillante sur les États membres : règles gelées ou bien
contournées, entorses aux statuts dans différents domaines
relevant de la surveillance du Fonds (contrôles des
changes, changes multiples), faible influence sur les
changements de parité. Les contrôles des changes sur les
opérations courantes ont duré bien au-delà de la période de
transition initialement prévue (article XIV). Le FMI n’a
guère influencé le rythme du rétablissement de la liberté
des paiements. Plus généralement, il a toléré plus d’un
accroc aux règles de changes énoncées notamment dans
l’article VIII des statuts.
Ainsi, les taux de change multiples étaient d’usage
courant, même si les statuts du FMI les excluaient sauf
autorisation expresse : en 1956 encore, 12 membres sur 60
y recouraient.
Le Fonds fut habituellement placé devant le fait accompli.
Cependant, il a rarement refusé de donner son
autorisation, fût-ce a posteriori. Il faut souligner que, parmi
la grande diversité de dispositifs possibles, certaines
pratiques de changes multiples, notamment les systèmes
de double marché des changes dissociant les transactions
courantes des mouvements de capitaux, trouvaient des
avocats au sein même du Fonds, notamment parmi ceux qui
redoutaient que des flux de capitaux déstabilisateurs ne
perturbent le système de parités fixes. L’examen des
pratiques de changes multiples, dont les formes et les buts
étaient très divers, représenta longtemps une bonne partie
du travail du Fonds23.
Mais le Fonds ne parvint pas non plus à affirmer
pleinement son rôle en matière de fixation des parités.
L’entorse la plus spectaculaire aux statuts concerne le
flottement du dollar canadien à partir de 1950. Le
flottement était une infraction à l’engagement des
membres de maintenir leur monnaie à l’intérieur d’une
marge définie (de plus ou moins 1 % autour du pair). La
décision unilatérale du Canada de laisser flotter sa monnaie
était très embarrassante pour le Fonds. Il ne pouvait se
résoudre ni à engager une épreuve de force, ni à approuver
une décision qui violait manifestement ses statuts. Il se
contenta de rappeler que l’abandon d’une parité ne pouvait
être que temporaire, que l’État membre devait rester en
consultation étroite avec le Fonds et consacrer tous ses
efforts au rétablissement rapide d’une nouvelle parité. En
fait, le flottement du dollar canadien dura jusqu’en 1962,
sans sanction particulière. Mais ce cas demeura isolé :
aucune autre grande devise ne suivit l’exemple du Canada.
En ce qui concerne les réajustements de parité, autorisés
par les statuts sous le contrôle du FMI, les quelques
expériences de dévaluation manifestèrent l’incapacité du
Fonds à imposer son point de vue contre celui d’un grand
pays. On le vit notamment lors des dévaluations en chaîne
de la livre sterling, puis des autres monnaies européennes
en 1949. Le Royaume-Uni avait repoussé le changement de
parité malgré les conseils du FMI. Les États-Unis finirent
par avoir raison des réticences britanniques : le montant de
la dévaluation fut négocié à Washington entre les autorités
américaines et le chancelier de l’Échiquier britannique. Le
Fonds fut mis devant le fait accompli. La dévaluation ne lui
fut notifiée que 24 heures à l’avance (au lieu des 72 heures
prévues par les statuts). En outre, son montant – 30,5 % –
allait bien au-delà des recommandations du Fonds. Cette
initiative ouvrit la voie à 23 pays, qui modifièrent leur
parité dans des proportions semblables. Leurs
gouvernements prirent également seuls leur décision et se
contentèrent de la notifier au Fonds. Celui-ci disposait de
peu de moyens de pression : il n’avait le choix qu’entre
approuver ou risquer de perdre la face si son veto n’était
pas pris en compte. Le traumatisme suscité par ces
dévaluations de grande ampleur contribua d’ailleurs à faire
dériver ultérieurement le système, loin des intentions
initiales de Bretton Woods, vers des parités irrévocables.
Ainsi, à la fin des années 50 et après une décennie de
transition, les deux initiatives majeures des États-Unis – le
plan Marshall et les dévaluations de 1949 – jointes à
l’établissement, avec leur soutien, de l’UEP avaient porté
leur fruit. Les monnaies d’Europe de l’Ouest étaient de
nouveau convertibles et leurs balances courantes en
général excédentaires. Si le système de Bretton Woods
était devenu conforme à la charte qui l’avait institué,
l’influence du FMI sur les politiques ayant conduit à ce
résultat n’avait été que modeste.

II.2. Du rétablissement de la convertibilité à


l’effondrement du système de Bretton Woods (1958-
1971)
Avec le retour de la convertibilité, le système monétaire
international semblait avoir atteint un « régime de croisière
» permettant au Fonds de jouer pleinement son rôle. De
fait, à partir de 1956-1957, l’utilisation des ressources du
Fonds connut une accélération sensible. De 1947 à la crise
de Suez en 1956, le Fonds avait prêté en moyenne 135
millions de dollars par an. En 1956-1957, les tirages
s’élevèrent à 1,7 milliard de dollars. Dans le même temps,
le Fonds commença à intervenir à la suite de pressions sur
les réserves de change résultant de sorties de capitaux à
court terme, indépendamment de tout déséquilibre de la
balance courante. Il entra donc véritablement sur la scène
financière internationale dans un rôle déjà légèrement
différent de celui que ses fondateurs lui avaient assigné24.
Le développement des mouvements de capitaux n’allait pas
tarder à fragiliser davantage les règles dont le FMI était le
garant25.
En effet, le rétablissement de la convertibilité, la forte
croissance et le développement des échanges
internationaux favorisaient l’internationalisation de la
finance. L’abondance des liquidités en dollars détenues à
l’étranger avait succédé, au début des années 60, à la
pénurie qui régnait dix ans auparavant. Dans un contexte
d’intensification des échanges commerciaux, les contrôles
de capitaux n’étaient que partiellement efficaces. Ils
n’empêchaient pas les grandes entreprises de développer
une activité financière significative par le biais des crédits
commerciaux et des termes de paiement.
Surtout, les investissements directs ou de portefeuille des
États-Unis vers l’Europe commencèrent à croître
rapidement. Les banques américaines endossaient le rôle
d’intermédiaire financier multilatéral en empruntant des
fonds à court terme en dollars à l’étranger pour fournir du
crédit aux multinationales américaines. Les avoirs en
dollars commencèrent à s’accumuler à l’étranger, donnant
naissance au marché des eurodollars dès la fin des années
50. L’émergence de ces marchés interbancaires moins
réglementés et plus liquides attira la spéculation. Les flux
de capitaux privés exercèrent ainsi une pression sur les
monnaies des principaux pays industrialisés dans les
années 60, en essayant notamment d’exploiter les gains en
capital résultant des dévaluations dans un système de
changes fixes mais ajustables.
La pression des marchés eut deux effets : d’une part, le
système de parités entre monnaies convertibles évolua vers
davantage de rigidité ; d’autre part, la convertibilité en or
du dollar apparut de plus en plus fragile.

II.2.1. Un système de parités plus rigides


Le système de parités ajustables était une tentative pour
combiner les avantages des parités fixes et ceux des
changes flexibles. En dehors de brèves périodes
d’ajustement délibéré et concerté, les échanges
internationaux devaient jouir d’un environnement
monétaire stable, excluant les pratiques nationales égoïstes
et déloyales qui avaient conduit aux dévaluations
compétitives dans les années 30.
La régulation du système était commandée par une
distinction extrêmement délicate, et qui ne fut jamais
explicitée, entre déséquilibre temporaire de la balance des
paiements et déséquilibre fondamental. Par déséquilibre
temporaire, on pouvait entendre une détérioration de la
balance courante provenant, non pas d’une augmentation
excessive des coûts de production, mais d’un excès de
l’absorption interne. Une telle surchauffe liée au cycle
n’avait rien d’anormal et n’appelait pas de dévaluation. Elle
devait être traitée par une politique interne de restriction
de la demande, éventuellement accompagnée d’un tirage
sur les ressources du FMI. Un déséquilibre fondamental, au
contraire, reflétait un désajustement persistant entre les
revenus, les prix et les coûts d’un pays et ceux de ses
partenaires. Dans ces circonstances, réputées
exceptionnelles, le remède approprié était un changement
de parité.
Dans la pratique, la distinction se révéla très
problématique. En autorisant les changements de parité
uniquement en cas de déséquilibre fondamental, le système
encourageait les autorités monétaires à retarder
l’ajustement jusqu’à ce que celui-ci devienne inévitable. En
effet, les États avaient seuls l’initiative d’un changement de
parité, et la nature du déséquilibre, en l’absence de
critères explicites, n’apparaissait en général qu’a
posteriori. Pendant ce temps, les spéculateurs pouvaient
jouer contre la parité, assurés de ne perdre, au pire, que
les intérêts sur les capitaux engagés. Les ajustements, trop
rares, trop longtemps repoussés, étaient beaucoup plus
brusques et plus amples que sous un régime de changes
flexibles (jusqu’à 20 ou 30 % en quelques heures, comme
en 1949). En outre, même lorsqu’aucun changement de
parité ne se produisait, l’incertitude pouvait entraîner des
mouvements de capitaux déstabilisateurs, comme en
témoignent les nombreuses crises de change qui
marquèrent cette période.
La réalité de la spéculation mit à rude épreuve l’idée de
concertation. Celle-ci supposait en effet un contrôle des
mouvements de capitaux, mais sur fond de liberté des
changes pour les transactions courantes. La spéculation
pouvait donc se développer en marge du contrôle des
changes, notamment en jouant sur les termes de paiement
des transactions courantes (leads and lags). En somme, le
risque était moins celui des dévaluations déloyales que
celui de la rigidité excessive de taux de change maintenus à
des niveaux irréalistes. Les gouvernements faisaient tous
leurs efforts pour éviter la perte de prestige infligée par
une dévaluation, conduisant ainsi le système vers une grille
de parités fixes de facto.
Entre les deux dévaluations de la livre, en 1949 et en
1967, les principaux pays industrialisés connurent très peu
de changements de parités : le flottement du dollar
canadien en 1950, les dévaluations françaises de 1957 et
1958, les réévaluations mineures de l’Allemagne et des
Pays-Bas en 1961. Mais à partir de la seconde moitié des
années 50 (crise de Suez en 1956), des pressions
spéculatives se développèrent contre la livre, dont la
position, sans cesse menacée, suscita une succession de
plans de sauvetage, soit par le FMI, soit par les banques
centrales au travers de la Banque des règlements
internationaux26, soit enfin grâce au réseau de swaps établi
entre la Réserve fédérale américaine et les banques
centrales européennes. Outre ces perturbations dans le
compte de capital, la poursuite d’une politique de stop and
go par les autorités britanniques rendait lancinant le
problème du déficit de la balance courante. Une politique
expansionniste conduisait inévitablement à la détérioration
des paiements courants, à une diminution des réserves de
change et à la reprise de la spéculation contre la livre.
Pendant toutes ces années, le Fonds fut incapable
d’imposer au Royaume-Uni la politique économique qui
aurait été compatible avec le maintien du rôle international
de la livre.
Dans un tel contexte, l’attaque spéculative portée contre
la monnaie britannique au mois de novembre 1967,
précédée par une série d’événements internationaux
(Guerre des six jours) et nationaux (grève des dockers), fut
fatale au maintien de la parité. Les réserves officielles
britanniques étant très faibles, la position de la livre était
vulnérable à tout changement dans les délais de règlement
des exportations et des importations. Finalement, le 18
novembre 1967, la livre fut dévaluée de 14,3 %27.
Cette fois-ci, la dévaluation avait été concertée. Le Fonds
joua un rôle central en convainquant les Britanniques qu’ils
ne pourraient y échapper, en en déterminant l’ampleur et
en fournissant des crédits à l’appui d’une politique de
stabilisation macroéconomique. Mais cette concertation
marquait seulement la reconnaissance unanime d’un échec
: il avait été impossible de préserver le statut de monnaie
internationale de la livre.
Dans un contexte de mobilité croissante des capitaux, un
système de parités ajustables n’aurait pu fonctionner que
grâce à des règles claires et une certaine convergence des
politiques. Or le FMI n’est jamais parvenu à expliciter les
critères d’un déséquilibre fondamental passible d’un
ajustement du change ; ensuite, il n’avait pas l’initiative des
changements de parité ; enfin, il n’a pas été en mesure
d’imposer durablement aux grands pays des obligations en
matière de politique économique intérieure. Au début des
années 70, le Comité des Vingt, chargé de la réforme des
règles du système monétaire international28, allait tenter
de tirer la leçon de ces échecs. La recherche de critères
objectifs pour les ajustements de taux de change le
conduisit à envisager d’utiliser le niveau des réserves
comme indicateur. Parallèlement, il imagina différents
moyens permettant au Fonds de faire pression plus
efficacement sur les États membres en situation de
déséquilibre extérieur. Cependant, comme nous le verrons,
ces voies de réformes n’aboutirent pas.

II.2.2. La convertibilité en or du dollar remise en cause


Cependant, la contradiction la plus sérieuse du système
de Bretton Woods fut le déficit grandissant de la balance
des capitaux à long terme des États-Unis. Comme au même
moment leur excédent courant se réduisait, ces derniers
devinrent donc dépendants des entrées de capitaux à court
terme, sous forme de créances des banques centrales
étrangères. Lorsque le montant de ces créances dépassa
l’encaisse-or, la convertibilité officielle du dollar devint
vulnérable aux demandes de conversion autorisées par les
règles du système.
L’exportation des capitaux privés par les entreprises
américaines commença à attirer l’attention dès la fin des
années 50. Une première alerte eut lieu en 1958 avec la
disparition, conjoncturelle, de l’excédent courant. La
récession de 1959-60, puis les gains de productivité
engagés sous l’administration Kennedy entraînèrent un
rétablissement spectaculaire de la balance courante. Mais
les sorties de capitaux privés se firent à un rythme de plus
en plus rapide, en dépit des efforts gouvernementaux pour
les limiter.

Graphique 1
Structure de la balance des paiements des États-Unis (1960-
1972)

Lorsque les dollars circulant à l’étranger étaient


convertis par les agents privés non américains, ils
s’accumulaient en créances liquides dans les comptes des
banques centrales. C’est ainsi que fut assurée, pour une
large part, l’alimentation en réserves internationales.
Or, en 1959, le stock d’or américain était encore égal au
total des engagements en dollars, mais cette proportion ne
pouvait que baisser. Dans la décennie suivante, le déficit
cumulé de leur balance de base alimenta des transferts
d’or au profit des banques centrales européennes. La
probabilité augmentait d’une demande de conversion des
dollars en or telle que les autorités monétaires ne
pourraient y faire face. Comme son prix officiel était tenu
pour intangible, la spéculation sur le marché de l’or était
un pari à sens unique. La confiance dans le dollar n’était
donc plus inébranlable. La politique économique des États-
Unis, autonome en principe du fait de la position
hiérarchique du dollar, était soumise au jugement des
marchés, dont la confiance faiblissait à mesure que
s’alourdissait le surplomb de dollars liquides détenus par
les banques centrales étrangères. La contradiction interne
du système de Bretton Woods, du moins dans la
configuration qu’il avait prise depuis la fin des années 50,
est connue sous le nom de « dilemme de Triffin », du nom
de l’économiste qui l’a mise en évidence et qui en a prévu
très tôt les conséquences29.

Graphique 2
Stock d’or américain et engagements extérieurs des États-Unis

La raison profonde de ces difficultés était liée au


caractère hiérarchique du système de Bretton Woods.
L’ancrage nominal du système n’était pas fondé sur une
monnaie marchandise universelle comme dans l’étalon-or.
Il reposait en grande partie sur la politique monétaire des
États-Unis, laquelle était déchargée de toute contrainte de
cohérence à l’égard du système international, et, en
particulier, des besoins de liquidité. Le problème se précisa
avec l’apparition du déficit américain des paiements à
partir de 1958. Le dilemme explicité par Triffin était le
suivant : soit les États-Unis luttaient contre leur déficit des
paiements et induisaient une rareté du dollar, source de
pressions déflationnistes pour l’économie mondiale ; soit ils
toléraient ce déficit en poursuivant leurs objectifs internes
de politique économique, mais ils minaient à terme la
confiance dans la parité-or du dollar. Le problème de la
liquidité internationale se trouvait ainsi étroitement lié à
celui de l’ajustement des États-Unis. Mais il n’existait
aucun processus par lequel susciter un tel ajustement et le
conformer aux besoins de dollars des non résidents.
Ce problème a hanté les années 60. Dès 1960, des
mouvements spéculatifs sur les marchés libres de l’or firent
monter son prix à près de 40 dollars l’once. Le
gouvernement américain n’avait pas de responsabilité
directe à l’égard du cours privé de l’or. Cependant, cette
hausse était un symptôme de l’inquiétude vis-à-vis de
l’avenir du dollar, qui ne pouvait laisser les États-Unis
indifférents.
Les deux principales initiatives américaines pour
préserver la convertibilité en or du dollar échappèrent très
largement au FMI. La première fut la formation d’un
réseau d’accords de swaps entre banques centrales à
travers la BRI. La seconde fut la formation du Consortium
de l’or (Gold pool) en 1961, toujours par les banques
centrales des principaux pays industrialisés30.
On chercha ainsi à contenir la hausse du cours de l’or sur
le marché privé et à le maintenir au niveau de la parité
officielle de 35 dollars l’once. Les États-Unis obtinrent des
membres du consortium, hormis la France, l’engagement
de suspendre leurs demandes de conversion de dollars en
or auprès du Trésor américain. Cependant, les banques
centrales se mirent à placer leurs dollars sur le marché de
l’eurodollar, accentuant encore son dynamisme. Pendant six
ans, le pool réussit à stabiliser le prix de l’or, mais le stock
détenu par les États-Unis ne cessait de diminuer. Les
pressions sur le dollar s’intensifièrent encore après la
dévaluation de la livre fin 1967. Le Gold pool ne put y
résister et son existence prit fin en mars 1968, laissant la
place à un double marché. Les autorités monétaires se
mirent d’accord pour échanger de l’or entre elles au prix
officiel de 35 dollars l’once, alors que son cours flottait sur
le marché privé.
Cet épisode a fait apparaître une ambiguïté qui n’a
jamais été vraiment dissipée : à qui incombe, du FMI à
Washington ou des gouverneurs de banques centrales
réunis à Bâle, la stabilité du système monétaire
international en cas de chocs provoqués par les marchés de
capitaux ? Les interventions du Fonds, selon ses statuts,
étaient affectées aux déséquilibres courants, c’est-à-dire au
« haut » de la balance des paiements, tandis que le « bas »
était sous la protection de contrôles stricts des
mouvements de capitaux. Rien n’était prévu pour réguler
les conséquences d’une éventuelle intensification de ces
mouvements.

Encadré 3

LE FMI ET LA BRI
La Banque des règlements internationaux (BRI)
fut créée entre les deux guerres (en 1930) pour
régler le problème des réparations allemandes. Elle
avait plus généralement pour objet de « favoriser la
coopération entre banques centrales, de fournir
des facilités additionnelles pour les opérations
financières internationales et d’agir comme
mandataire ou comme agent pour les règlements
financiers internationaux qui lui sont confiés en
vertu d’accords passés par les parties intéressées
». L’acte final de Bretton Woods semblait la
condamner à mort, puisqu’il recommandait la
liquidation « aussitôt que possible » de cette
institution qui paraissait ne plus avoir de raison
d’être, d’autant qu’elle rencontrait l’hostilité du
Trésor américain. On supposait que le transfert de
pouvoir des banques centrales aux ministères des
Finances nationaux, commencé durant l’entre-
deux-guerres, était désormais achevé. Le choix des
gouverneurs du FMI par les gouvernements des
États membres témoigne d’ailleurs de cette
évolution. En outre, la BRI était une institution
essentiellement européenne (avant la Seconde
Guerre mondiale, le seul participant non européen,
les États-Unis, était resté sur la réserve), et ne
pouvait rivaliser avec le FMI pour le titre de
principale organisation monétaire internationale.
Mais les banques centrales, qui étaient
propriétaires de la BRI et auraient donc dû prendre
les mesures nécessaires à sa liquidation,
préférèrent la voir continuer ses activités,
notamment parce qu’elles pouvaient ainsi rester en
contact étroit grâce aux réunions mensuelles à
Bâle.
La reconstruction européenne, avec la réussite
de l’UEP, dont la BRI était l’agent comptable,
accrédita l’idée que la BRI pourrait être un
instrument essentiel de coopération entre les
principaux pays développés. Cependant, le rôle
d’agent de compensation qu’elle tenait dans le
cadre de l’UEP a perdu toute raison d’être avec la
généralisation de la convertibilité externe des
principales monnaies européennes. Dans les
années 60, la BRI se réorienta vers des opérations
de court terme comme des crédits relais anticipant
la finalisation des prêts du FMI et des swaps entre
banques centrales. Les différents dispositifs
échafaudés dans les années 60 pour soutenir le
dollar contribuèrent à renforcer le rôle de Bâle
comme centre de négociation entre les
gouverneurs des banques centrales des pays du
G10. Ainsi, c’est à travers leurs contacts à la BRI
que les banques centrales des pays du G10
coordonnèrent leurs interventions sur le marché de
l’or entre 1961 et 1968. La Banque était en effet
étroitement liée à ce groupe : jusqu’en 1994, les
gouverneurs composant le conseil des directeurs
de la Banque étaient issus des seuls pays du G10.
La BRI cependant ne joue pas de rôle politique et
n’a pas de pouvoirs propres contrairement au FMI.
Elle assume un rôle technique comme instrument
souple d’intervention concertée et est avant tout un
cercle de gouverneurs de banques centrales. Le
Comité des gouverneurs des banques centrales de
Bâle a pris une place prépondérante dans le SMI
lorsque celui-ci a été placé sous l’influence des
mouvements de capitaux et des changes flexibles.
Les initiatives de ce Comité, avec l’aide des
services techniques de la BRI, se sont orientées
vers la prévention des risques liés aux opérations
internationales des banques. Dès juillet 1974, les
banques centrales ont été confrontées au risque
systémique dans les systèmes de paiements
interbancaires, provoqué par la faillite de la
banque Herstatt. Tirant les leçons de cet épisode,
le Comité de Bâle publiait, en septembre de la
même année, un Memorandum of Understanding,
définissant le partage des responsabilités entre
banques centrales en cas de crise bancaire à
répercussions internationales.
Dans les années 80, les activités du Comité et de
la BRI se sont développées avec la globalisation
financière. Des groupes de travail, formés d’experts
des banques centrales participantes, ont étudié les
innovations financières, tandis que la BRI se lançait
dans un effort statistique de longue haleine pour
améliorer la connaissance des positions
internationales des banques. Une percée fut faite
dans le domaine de la réglementation prudentielle
avec la publication du ratio pondéré de capital
minimum (dit ratio Cooke) en 1988.
Dans les années 90, l’attention s’est tournée vers
la connaissance théorique, pratique et statistique
des marchés dérivés de gré à gré, vers la mesure
des risques de marché (validation des modèles de
contrôle interne du risque par les banques) et vers
l’analyse du risque systémique. Le travail
réglementaire s’est considérablement développé
pour prendre en compte les risques de marché
dans la formulation d’un ratio de capital élargi et
pour mieux moduler les exigences de capital sur les
risques de crédit. La création d’un Forum de
stabilité financière en 1999 témoigne de la
sensibilité au risque systémique propagé dans les
marchés financiers internationaux. La capacité
d’expertise et la concertation étroite des banques
centrales fait de Bâle un lieu de coordination
incontournable de la fonction de prêteur en dernier
ressort au niveau international.

II.2.3. Le FMI impuissant sur la question de l’ajustement...


Le dilemme de Triffin s’exacerba quand les États-Unis
cessèrent de se conformer à la politique de stabilité des
prix qu’aurait dû leur imposer le rôle international du
dollar. Le déficit extérieur se mit à financer les déficits
budgétaires liés à la guerre du Vietnam et aux programmes
sociaux, reflétant la préférence croissante des États-Unis
pour le plein-emploi plutôt que la stabilité des prix. Jusque-
là, le déficit de la balance des paiements s’accompagnait le
plus souvent d’un excédent de la balance courante ; celle-ci
commença à se dégrader à partir du milieu des années 60,
pour devenir déficitaire en 1970 ; dans le même temps,
l’inflation américaine, jusque-là modérée, s’accéléra.
Dès lors, la confiance dans le dollar devint plus fragile,
entraînant des interventions accrues des banques centrales
européennes et, en conséquence, une explosion de leurs
réserves en dollars.
Cette politique manifestait les contradictions d’un
système qui faisait dépendre l’alimentation en liquidités
internationales des objectifs intérieurs des États-Unis, et
posait de manière aiguë la question du poids de
l’ajustement. Les pays européens étaient de moins en
moins disposés à absorber des dollars supplémentaires ou à
réévaluer leur propre monnaie. Pour les Français, ce
mécanisme était un moyen de financement indolore de la
domination économique américaine. De Gaulle contestait le
« privilège exorbitant » des États-Unis, qui finançaient par
leurs déficits une politique extérieure contestée, tant du
point de vue politique (guerre du Vietnam) qu’économique
(investissements directs à l’étranger). Pour les Allemands,
le développement du déficit extérieur américain était une
façon d’exporter de l’inflation vers les pays excédentaires.
À la fin des années 60, les réserves en dollars de
l’Allemagne, ainsi que du Japon et d’autres pays,
augmentèrent fortement. Devenant de plus en plus
difficiles à stériliser, elles risquaient de se traduire par une
croissance incontrôlée de la masse monétaire et un surcroît
d’inflation.
Graphique 3
Balances courantes des États-Unis, du Royaume-Uni,
de l’Allemagne et du Japon (1960-1972)

Le principal moyen de pression sur les États-Unis était la


demande de conversion en or des dollars accumulés par les
banques centrales européennes. Mais c’était une arme
dangereuse à manipuler, car elle pouvait remettre en cause
tout l’édifice de Bretton Woods. La plupart des
gouvernements ne considérèrent pas dans leur intérêt
d’accentuer la défiance envers le dollar et de risquer une
nouvelle crise du système monétaire international. Seule la
France engagea une conversion systématique de ses dollars
à partir de 1965.
Le FMI a assisté impuissant au creusement du déficit des
paiements américain, sans être capable d’imposer un
ajustement aux États-Unis. Ceux-ci ont fait appel à
plusieurs reprises aux ressources du FMI pendant les
années 60, afin notamment de racheter des dollars, mais ils
n’ont jamais entamé les tranches qui les auraient conduits
à devoir conclure un accord de confirmation. Ils n’ont donc
jamais eu à se soumettre à un programme d’ajustement
dicté par l’organisation internationale.
Par ailleurs, le FMI n’a pu trouver de compromis entre
les États-Unis et les pays excédentaires sur un
réajustement de parité, en utilisant les moyens mis à sa
disposition. Il aurait ainsi pu soutenir la proposition d’une
dévaluation du dollar par rapport aux autres monnaies, ou
encore d’une révision de la parité des monnaies de tous les
États membres selon un pourcentage uniforme, comme les
statuts le prévoyaient. Mais les États-Unis voulaient éviter
une dévaluation qui se serait inévitablement traduite par
une hausse du prix de l’or. Or, comme leurs partenaires
n’entendaient pas réévaluer unilatéralement31, la situation
était bloquée.
Le FMI n’ayant pu apporter aucune solution au principal
problème d’ajustement de la période de Bretton Woods, ses
efforts se sont reportés sur la question des liquidités
internationales.

II.2.4....mais très actif sur celle de la liquidité


Il est apparu, dès le début des années 60, que le Fonds
pouvait être partiellement paralysé si les principaux pays à
monnaie de réserve traversaient des difficultés de balance
des paiements. Le Royaume-Uni effectuait des tirages à
répétition. Au même moment, le déficit de la balance des
paiements américaine s’aggravait, rendant probables
d’importants tirages américains. Le problème était double.
D’une part, l’achat au FMI par un pays tiers et la vente sur
le marché des changes d’une monnaie affaiblie, comme
c’était le cas de la livre puis, de plus en plus, du dollar,
risquaient de la fragiliser plus encore. D’autre part, les
tirages à grande échelle de ces deux pays risquaient
d’évincer tous les autres. De fait, les deux principaux
utilisateurs des ressources du Fonds de 1963 à 1972 sont
d’abord le Royaume-Uni pour 30,6 % du total des tirages,
puis les États-Unis, pour 19,7 %.
Or il était exclu de combler ce manque de liquidité par
une augmentation des quotes-parts. En effet, les États-Unis
et le Royaume-Uni auraient assumé, à eux deux, plus du
tiers de cette augmentation, ce qui aurait accru d’autant
leurs droits de tirage. Le relèvement général des quotes-
parts32 ne permettait donc guère d’assouplir la contrainte
de liquidité du Fonds. C’est pour répondre à ce problème
que furent conclus en 1962 les Accords généraux
d’emprunt (AGE)33. Par ces accords, onze des principaux
pays industrialisés s’engageaient à prêter leur monnaie au
Fonds, s’il en avait besoin pour financer les tirages de l’un
d’entre eux. Était ainsi créé, parmi les membres du Groupe
des dix, un mécanisme d’assistance mutuelle propre aux
seuls pays riches, bien que rattaché formellement au
Fonds. Ces accords portaient sur l’équivalent de 6 milliards
de dollars, ce qui représente un accroissement
considérable des ressources utilisables, si on les compare
aux 14 milliards du montant total des quotes-parts et au
milliard de « crédits » consentis par le FMI en 1962. Les
AGE ont donc nettement augmenté les ressources utiles du
Fonds, sans pour autant ouvrir de nouveaux droits de
tirage.

Tableau 1
Tirages par périodes34

Source : IFS 1989


Les AGE – de même que les accords de swaps entre
banques centrales, conclus au début des années 60 à
l’initiative de la Réserve fédérale américaine pour
permettre de faire face à des déséquilibres de balance des
paiements de très court terme – constituent des solutions
limitées aux pays industrialisés, et qui échappent
totalement ou partiellement au FMI. La négociation des
AGE s’est ainsi déroulée largement en dehors des circuits
habituels du Fonds, même si son Conseil d’administration
les a approuvés. Le Groupe des dix, né à l’occasion des
AGE, est le premier d’une série de forums de discussion
restreints faisant concurrence au Conseil d’administration
tout en restant dans le giron des institutions
internationales existantes, le FMI et la BRI.
Avec la création du G10, une partie du pouvoir monétaire
s’est donc déplacée des organes du Fonds vers une
collectivité plus réduite, qui présente le double avantage de
réunir des pays ayant des économies proches et de
tempérer le poids des États-Unis. La position du G10 par
rapport au FMI dans les années 60 est ambiguë. D’un côté,
en tant qu’organe intergouvernemental restreint, par
opposition à une organisation tendanciellement universelle
pourvue d’un corps de fonctionnaires internationaux, il
incarne un autre modèle de gestion des affaires
monétaires. Il s’est d’ailleurs doté de quelques règles de
décision, qui témoignent d’une volonté de partage plus
équitable du pouvoir monétaire entre les principaux pays
industrialisés. Par là même, ces règles dérogent à la
pondération des voix issue du système des quotes-parts du
FMI35. Mais d’un autre côté, le G10 des années 60 pouvait
être vu comme un comité au sein du Fonds. Il apparaissait
alors comme un cercle de discussions préliminaires des
problèmes traités par le FMI, plutôt que comme une
organisation séparée. Les suppléants du Groupe des dix
prirent l’habitude de se réunir conjointement avec les
administrateurs du Fonds, et les ministres des pays du G10
celle de se concerter à la veille de la réunion annuelle du
FMI. Le G10 fut ainsi considéré comme un petit groupe de
pays privilégiés poursuivant leurs travaux de façon
informelle au sein du FMI.
En effet, les travaux du G10 allèrent bien au delà des
AGE. Ceux-ci ne pouvaient pas régler la contradiction
fondamentale, mise en évidence par le dilemme Triffin,
d’un système monétaire alimenté par une offre exogène de
liquidités issues du déficit des paiements américain, alors
même que le dollar assurait l’ancrage du système par sa
convertibilité en or. Le Fonds, en tant que pool de
monnaies, était inapte à régler ce problème. La
communauté internationale allait s’atteler à le résoudre en
créant une monnaie scripturale internationale d’un genre
tout à fait inédit, le Droit de tirage spécial (DTS), dont
l’ambition était de replacer le Fonds au centre de la gestion
globale de la liquidité internationale. Le rapport Ossola de
1965, émanant du groupe d’étude du G10, fut déterminant
dans l’évolution de la conception d’un nouvel actif
monétaire international. Dans les premières propositions,
l’instrument de réserve envisagé devait être créé entre les
seuls membres du groupe plutôt qu’au sein du FMI. Mais
les pressions exercées par les pays en voie de
développement et par le directeur général du Fonds
aboutirent à un accord selon lequel tout nouvel actif de
réserve serait non seulement créé au sein du Fonds, mais
aussi alloué à l’ensemble de ses membres. Quant aux
négociations au sein du G10, elles furent marquées par la
divergence des positions françaises et américaines. Le
chapitre III reviendra plus en détail sur la genèse et la
nature du nouvel actif, ainsi que sur les raisons pour
lesquelles il a déçu les espoirs qui avaient été placés en lui.
L’assemblée annuelle de 1967 à Rio de Janeiro entérina
finalement l’accord sur la création du DTS. Le premier
amendement aux statuts du Fonds portant création du DTS
devint effectif en 1969 et la première allocation,
subordonnée à une procédure lourde et politiquement
délicate, n’eut lieu qu’en 1970 et n’eut aucune influence
sur la crise monétaire larvée qui couvait depuis l’abandon
du pool de l’or. Les évènements qui se déroulèrent à partir
de 1971 et aboutirent au flottement généralisé des
monnaies en 1973 changèrent bien plus profondément le
système que l’introduction des DTS.

II.3. La tentative de réforme du système monétaire


international (1971-1976)
Au début de l’année 1971, la balance courante des États-
Unis se dégrada rapidement et les sorties de capitaux à
court terme se déchaînèrent sous l’effet de la baisse des
taux d’intérêt décidée par la Réserve fédérale américaine
pour tirer le pays de la récession. L’augmentation des
réserves en dollars des banques centrales européennes
devint explosive. En mai, la Bundesbank laissa flotter le
mark pour combattre le risque inflationniste lié à la
création monétaire d’origine extérieure. Les autorités
monétaires françaises et britanniques menacèrent de
demander la conversion en or de leurs réserves. Le
Président Nixon contre-attaqua en suspendant
officiellement la convertibilité du dollar le 15 août. C’était
une violation unilatérale d’une règle fondamentale du
système de Bretton Woods. Cette décision était
accompagnée d’une surcharge de 10 % des droits sur les
importations. Les États-Unis étaient donc prêts à détruire
le système qu’ils avaient créé pour forcer leurs partenaires
à accepter un ajustement monétaire généralisé, sans avoir
à prendre eux-mêmes la décision de dévaluer le dollar. Les
Américains et les Européens étaient engagés dans un jeu
non coopératif : la solution la meilleure pour tous – rétablir
la concertation dans le cadre du système pour introduire la
souplesse nécessaire dans la gestion des taux de change –
était devenue hors d’atteinte. L’impuissance du FMI dans
ce conflit fut totale.
Tout d’abord, le FMI fut complètement écarté des
négociations sur le réajustement des taux de change et le
partage du poids de l’ajustement. Les négociations
commencèrent en décembre 1971 entre les présidents
français et américain (sommet des Açores), qui
s’entendirent sur l’ampleur de la dévaluation du dollar par
rapport à l’or. Elles se poursuivirent au sein du G10 (accord
du Smithsonian Institute de décembre 197136). Le
directeur général du Fonds fut le seul représentant du FMI
à cette réunion. Les États-Unis ne rétablirent pas la
convertibilité-or du dollar ; l’or devint essentiellement un
numéraire. Le SMI s’était transformé en système d’étalon-
dollar. L’innovation extraordinaire qui consistait à couper
tout lien monétaire avec le métal jaune avait été accomplie
comme par inadvertance, pour régler un conflit portant sur
une grille de taux de change. Keynes pouvait être satisfait :
la « relique barbare » avait fait son temps. Une nouvelle
ère de réforme du système monétaire international s’ouvrit
alors. Il s’agissait de recréer des règles permettant de faire
fonctionner efficacement un système de changes entre des
monnaies purement fiduciaires. L’avenir du FMI s’y jouait
également.
Toute la difficulté pour le FMI consistait à ne pas être mis
à l’écart, dans un contexte où ses statuts étaient clairement
violés37. En 1970, un rapport des administrateurs ne
s’était-il pas opposé catégoriquement aux taux de change
flottants ou à un élargissement sensible des marges de
fluctuation ? Le Fonds se trouvait ainsi dans la situation
paradoxale de devoir transformer un système dont il était
l’institution centrale. Alors que les négociateurs de Bretton
Woods avaient tout à construire, ceux des années 70
devaient composer avec les structures institutionnelles
existantes, qui apparaissaient plutôt comme un facteur de
blocage de toute réforme profonde.

II.3.1. Les travaux inaboutis du Comité des Vingt


De nouveau, les négociations se déroulèrent à l’intérieur
du Fonds, mais en marge de ses structures permanentes.
Cependant, cette fois-ci, la question de l’adéquation du pôle
politique du Fonds fut explicitement posée.
De l’aveu même du secrétaire américain au Trésor,
George Schultz, en 1972, « la prise de décision
internationale ne serait ni crédible ni efficace à moins
d’être le fait de représentants occupant de hautes
responsabilités ou jouissant d’une grande influence au sein
de leurs propres gouvernements » (discours devant
l’assemblée annuelle du Fonds). Paradoxalement, alors
qu’ils s’étaient opposés au Conseil d’administration tel que
l’avait proposé Keynes, les États-Unis furent les premiers à
défendre une réforme de l’appareil de décision du Fonds.
En effet, les administrateurs n’occupaient pas un rang
suffisamment élevé dans la hiérarchie de leurs
gouvernements et, résidant à Washington, n’étaient plus
suffisamment proches d’eux, pour avaliser les compromis
nécessaires à un accord. En outre, ils étaient suspectés
d’être trop proches des services du Fonds, donc de
favoriser les propositions renforçant le rôle du FMI et de
bloquer les autres. Le danger menaçait particulièrement
les administrateurs qui représentaient plus d’un pays
membre. Le Conseil d’administration avait cependant un
atout, celui d’offrir une représentation aux PVD, hostiles au
« club de riches » qu’était le G10. Maintenir les
négociations à l’intérieur du Fonds était leur seule chance
de pouvoir y faire entendre leur voix.
La solution de compromis fut le Comité des Vingt. Conçu
sur le modèle du Conseil d’administration et de ses 20
membres (à l’époque), mis en place par le Conseil des
gouverneurs, il s’intégrait dans la structure du FMI. Mais il
était composé d’experts et de représentants politiques de
haut niveau des États membres, et doté d’un secrétariat
distinct des services du Fonds. Le Comité des Vingt
travailla deux ans – entre 1972 et 1974 – à esquisser le
schéma d’une réforme38. Ces travaux donnèrent lieu à de
nombreuses publications, qui contribuèrent sans doute à
faire du FMI un pôle avancé de réflexion sur le système
monétaire international, mais qui ne firent que souligner
l’ampleur du désaccord sur les principaux problèmes. Les
négociations opposèrent trois grands groupes : les États-
Unis, dont le plan, avancé par le secrétaire au Trésor
Schultz, était la seule proposition nationale cohérente, les
Européens, handicapés par la difficulté de trouver une
position commune sur chaque problème, et les pays en voie
de développement, qui essayaient de s’entendre sur un
programme commun au sein du Groupe des 2439.
Sur l’ajustement d’abord, l’objectif de la réforme était de
construire un système symétrique, avec des parités fixes
mais ajustables, remédiant aux rigidités du système
antérieur et s’inspirant notamment de certaines idées du
Plan Keynes. Cela impliquait d’élaborer des règles
acceptables par tous pour traiter les déséquilibres, et de
conférer une autorité effective au FMI pour prévenir les
conflits avant qu’ils ne débouchent sur une accumulation
de réserves faisant des créanciers les otages de leurs
débiteurs. Le point de départ des négociations était la
proposition américaine de faire des réserves des
indicateurs obligatoires pour décider des modifications de
taux de change. Il s’agissait d’établir des critères objectifs
obligeant les pays déficitaires, mais aussi excédentaires, à
modifier leurs parités en-deçà ou au-delà d’un certain
niveau de réserves. Mais Américains et Européens
s’opposaient sur la conception de l’asymétrie qu’il
s’agissait de corriger. Pour les premiers, l’asymétrie
inacceptable tenait avant tout aux excédents de pays
comme l’Allemagne et le Japon. Elle obligeait les pays
déficitaires, et notamment les États-Unis, à régler en avoirs
de réserve des déficits imputables à la politique des pays
excédentaires. En outre, elle permettait à ces derniers de
maintenir la compétitivité de leurs exportations grâce à
une monnaie sous-évaluée. Le système proposé par les
États-Unis aurait donc permis d’imputer aux pays
excédentaires une partie de la responsabilité des
déséquilibres des paiements internationaux, et de les
inciter à stimuler leur demande intérieure lorsqu’ils
accumulaient des réserves de changes.
Au contraire, pour les Européens, l’asymétrie du système
tenait au statut de monnaie de réserve du dollar. Elle
autorisait les États-Unis à régler leurs déficits avec des
engagements sur eux-mêmes, repoussant ainsi toute
contrainte d’ajustement. Cette asymétrie était encore
accentuée par la fermeture du guichet de l’or, qui signifiait
le refus des Américains de régler leurs engagements en
actifs de réserve primaires. Les représentants allemands,
notamment, s’opposèrent farouchement à l’interprétation
américaine des déséquilibres. Selon eux, l’inflation
mondiale montante prouvait que les déséquilibres ne
devaient pas être traités symétriquement. Ils refusaient
absolument de mettre leurs objectifs internes de maîtrise
de l’inflation à la remorque d’une politique visant à effacer
les déséquilibres nés des gestions imprudentes des pays
déficitaires.
En raison de ce désaccord fondamental, les parties ne
trouvèrent de terrain d’entente ni sur les critères de
l’ajustement, ni sur le caractère automatique ou
discrétionnaire de celui-ci, ni sur la nature des pressions
susceptibles d’être utilisées par le Fonds40.
Sur la question de la liquidité internationale, l’accord de
principe pour faire du DTS « le principal avoir de réserve »
du système masquait de nombreuses difficultés. Tout
d’abord, face à l’explosion des encaisses dollar au début
des années 70, personne n’était enthousiaste à l’idée d’une
augmentation de l’encours de DTS. La réussite des DTS
comme principal actif primaire dépendait de la possibilité
de les substituer aux avoirs en dollars existants. Mais les
discussions sur la substitution achoppèrent sur la
préférence de nombreux pays pour le dollar, et sur le désir
des membres de garder la maîtrise de leurs propres
réserves. Les PVD, en particulier, redoutaient non
seulement d’être forcés d’accepter des DTS, peu
rémunérés, contre leurs dollars, mais également de perdre
toute chance de bénéficier d’un transfert de ressources par
des allocations supplémentaires de DTS. En effet, le « lien »
entre création de réserves et aide au développement était
la proposition centrale du Groupe des 24. Enfin, le rôle de
l’or était l’objet d’un désaccord profond entre la France et
l’Afrique du Sud d’une part, qui voulaient lui conserver une
place importante, et les États-Unis d’autre part, qui
souhaitaient, au contraire, l’éliminer.
Le troisième champ de débats concernait les mouvements
de capitaux. Aux yeux des Américains, la distinction faite
par les statuts du FMI (article VI) entre les restrictions aux
paiements courants – proscrites – et les contrôles des
mouvements de capitaux – autorisés – , n’avait plus lieu
d’être. Ils voyaient dans la préférence européenne pour les
contrôles de capitaux un moyen de maintenir des taux de
change inadéquats. Les Européens, en revanche, restaient,
dans l’esprit de Bretton Woods, en faveur d’une limitation
des mouvements de capitaux « déstabilisateurs ».
Au plan des principes, la réforme du système a buté sur
le triangle d’incompatibilité déjà évoqué : il est impossible
de concilier changes fixes, autonomie des politiques
économiques et liberté des mouvements de capitaux.
Bretton Woods avait fait le choix des contrôles, ce qui
limitait les déséquilibres aux conséquences du cycle
économique sur la balance courante. Le rôle particulier du
dollar et le manque d’un principe d’action collective
efficace ont rejeté sur les partenaires des États-Unis le
dilemme entre soumission à une discipline d’ajustement et
résignation à laisser s’accumuler les déséquilibres. Alors
que le développement des marchés de capitaux alimentait
une explosion inflationniste des liquidités dans le monde,
cet arrangement était devenu de plus en plus intenable.
L’incapacité à renforcer l’action collective ne pouvait que
conduire aux changes flexibles, les marchés se chargeant,
par leurs arbitrages, de maintenir la cohérence des taux de
change.
De fait, pendant que les discussions se poursuivaient
dans une ambiance feutrée entre experts gouvernementaux
et universitaires, la pression des marchés allait conduire
les autorités monétaires à suivre la ligne de moindre
résistance qui menait aux changes flexibles. Un peu plus de
six mois avant le début du flottement généralisé, la quasi-
totalité des responsables politiques estimait impensable
l’adoption d’un système de changes flottants. Les
négociateurs furent rattrapés par les événements, et les
réflexions du C-20 rapidement dépassées par les marchés.
Le renouveau des parités fixes, consacré par les accords du
Smithsonian Institute, dura peu. Après le décrochage
successif de différentes monnaies, dont la livre sterling en
mai 1972, les ventes de dollars sur les marchés des
changes explosèrent en 1973. Il fallut fermer les marchés
une semaine début mars. Lorsqu’ils rouvrirent, le dollar
flottait. Les pays de la CEE, privés du tunnel de la marge
officielle de fluctuation face au dollar, décidèrent de
poursuivre leur expérience de système régional sous la
forme d’un flottement concerté contre le dollar (le «
serpent monétaire »).
La crise pétrolière de 1973 suscita de nouvelles craintes,
liées au creusement des déficits extérieurs des pays
développés importateurs de pétrole et au recyclage des
excédents pétroliers. Le flottement se prolongeait et la
crise rendait de plus en plus lointaine la perspective d’un
retour à des parités stables, d’autant que le« serpent »
européen ne résista pas : le franc français, après deux
tentatives infructueuses, flotta à son tour.
Le C-20 donna alors un nouveau tour à ses travaux, en
décidant de les orienter non plus vers une réforme en
profondeur, mais vers des mesures susceptibles d’une
application immédiate. Il apparut en effet que les taux
d’inflation élevés et fortement divergents entre les
principaux pays développés, ne permettaient pas de prévoir
une sortie imminente du flottement. Il fallait donc fixer un
cadre provisoire qui permette malgré tout au Fonds de
poursuivre ses activités. La dernière décision du C-20, en
1974, fut de créer un Comité intérimaire du Conseil des
gouverneurs, conçu comme provisoire. Celui-ci fut chargé
de préparer un deuxième amendement aux statuts pour
permettre au Fonds de s’adapter à cette période «
transitoire ». Comme on le sait, ni la période, ni l’organe ne
furent transitoires. Les tractations aboutirent en 1976 à
l’accord de la Jamaïque, dont est issu le deuxième
amendement adopté par le Conseil des gouverneurs en
1978.

II.3.2. L’accord de la Jamaïque


Le compromis fut laborieux entre les États-Unis, qui
refusaient de contraindre leur politique économique pour
maintenir un système de parités et s’attachaient à
démontrer la supériorité du flottement, et la France,
opposée au flottement mais consciente qu’un retour
immédiat aux parités fixes était illusoire dans les conditions
d’inflation de l’époque. La rédaction de l’accord s’ingénia à
masquer les divergences sur la direction dans laquelle il
était souhaitable que le FMI évoluât. Elle porte la trace du
caractère largement inconciliable des positions des deux
principaux protagonistes, de l’incertitude de l’époque et du
caractère supposé transitoire de l’arrangement trouvé.

Les termes du compromis


La France refusa de consacrer explicitement le
flottement dans les statuts du FMI. Le nouvel article VI,
portant sur les « obligations concernant les régimes de
change », témoigne d’un accord qui ne va guère au-delà du
statu quo. Les parties ne parvinrent en effet pas à
caractériser le système monétaire international autrement
que comme étant « de la nature de celui qui existait au 1er
janvier 1976 » !
Le texte entérine la grande diversité des régimes de
change appliqués à l’époque, en laissant à chaque pays la
liberté d’adopter le régime de son choix, pourvu qu’il le
notifie au FMI. Ainsi, en juin 1975, 11 pays seulement
laissaient flotter leur monnaie, mais ils représentaient
presque la moitié des échanges commerciaux des membres
du Fonds, sept membres liaient leurs parités dans le cadre
du serpent monétaire européen ; tous les autres
rattachaient leur monnaie soit au dollar (54), soit à d’autres
devises, soit au DTS, soit à un panier composite.
En contrepartie de ces dispositions fondamentalement
libérales, l’article IV des statuts révisés pose le principe de
la « ferme surveillance » par le Fonds des politiques de
change des États membres, laissant au FMI le soin de
définir et d’adopter les « principes spécifiques » qui
devront guider les États dans la conduite de ces politiques.
Pour lui permettre d’assumer sa mission, l’article précise
que « chaque État membre fournit au Fonds les
informations nécessaires à cette surveillance et, à la
demande du Fonds, a des consultations avec ce dernier sur
ces politiques ».
Paradoxalement, le FMI se voit donc pourvu d’une
fonction de surveillance, alors que les nations n’ont réussi à
s’accorder sur aucune règle à faire respecter et qu’il
n’existe aucun critère de comportement qui ne soit soumis
à controverse. En matière de change, le FMI passe donc
d’une fonction de gardien du respect des règles
internationales à une fonction de surveillance des
politiques discrétionnaires des États.
L’assouplissement des règles régissant le SMI justifiait un
renforcement du poids politique de l’exécutif du Fonds. De
fait, le deuxième amendement prévoyait la création d’un «
Collège » qui aurait comblé le vide institutionnel entre le
conseil des gouverneurs et le Conseil d’administration. Il
aurait été composé de représentants officiels occupant de
hautes responsabilités dans leur propre pays, et se serait
réuni trois ou quatre fois par an. Constitué sur le même
modèle que le C-20, mais – afin de protéger le rôle du
Conseil d’administration et des services du Fonds – n’ayant
ni suppléants ni bureau, il aurait disposé des pouvoirs lui
permettant de superviser l’organisation et l’adaptation du
SMI, de surveiller le déroulement continu des processus
d’ajustement nationaux, et de faire face aux chocs pouvant
menacer le système. Si le deuxième amendement précise
bien les procédures de mise en place de cet organe, il
renvoie à plus tard sa création.
Sans doute par crainte d’une supranationalité excessive,
ce Collège est resté lettre morte. Au contraire, le Comité
intérimaire, créé en 1974, a survécu à la mission
temporaire qui lui avait été confiée. Ses membres sont les
gouverneurs du FMI, sa composition reflète celle du
Conseil d’administration, ses réunions sont en principe bi-
annuelles. Il émet des avis sur les questions relatives à la
gestion et à l’adaptation du système monétaire et financier
international, notamment à la gestion des crises. Il
considère également les propositions d’amendement. Mais
il est resté cantonné dans un rôle consultatif41.
En contrepartie de sa concession au principe de la liberté
de choix en matière de régime de change, la France
demanda avec succès la définition d’une procédure de
retour aux parités et de règles régissant un éventuel
système de parités fixes. Afin de permettre ce retour sans
nouvel amendement, le texte contient diverses clauses
permettant à une majorité qualifiée de 85 % des voix de
modifier substantiellement les règles du système monétaire
international, sans avoir recours à la procédure très lourde
de la révision des statuts. Le vote à la majorité qualifiée
assurait le principe de l’unanimité entre les divers groupes
d’intérêt : les États-Unis, la Communauté européenne
agissant de concert et les PVD en tant que groupe.
Les statuts du Fonds contiennent ainsi de longues
annexes concernant l’évolution hypothétique du système
monétaire vers un nouveau système de parités, qui
ressemble d’ailleurs bien plus à celui de Bretton Woods
qu’au plan de réforme issu des travaux du C-20.
Abandonnant les innovations imaginées par ce dernier, le
deuxième amendement se contente de prévoir un
élargissement des marges de fluctuation, le remplacement
de l’or par le DTS comme dénominateur commun, et la
possibilité dérogatoire pour n’importe quel membre de
laisser flotter sa monnaie indéfiniment, malgré un retour
général aux parités fixes.
Au total, l’Accord de la Jamaïque n’a guère été à la
hauteur des efforts consentis. La plupart des propositions
sorties des travaux du C-20 restèrent lettre morte. L’accord
fut d’ailleurs loin de satisfaire les observateurs de l’époque,
dont certains parlèrent de « non-système ». Robert Triffin
alla jusqu’à écrire qu’il était « plus digne d’une comédie
bouffonne que d’un traité solennel définissant un nouveau
système monétaire international »42.
Entre les partisans de taux de change entièrement livrés
aux jugements des marchés et ceux qui pensaient que le
taux de change est une variable trop importante pour être
laissée à leur appréciation, la conciliation était illusoire. La
rédaction formelle exhortait les membres à collaborer avec
le Fonds pour promouvoir « un système ordonné et stable
de taux de change ». Cette subtilité sémantique minore
l’ampleur du changement. En réalité, les gouvernements
étaient déchargés de tout engagement international. Ils
n’avaient qu’à notifier leurs arrangements de change au
Fonds. Aussi, tout régime de change unilatéralement défini
ou concerté entre pays voisins, comme le futur système
monétaire européen, était devenu possible.

III. Les nouveaux rôles du FMI face à la globalisation


financière

III.1. Un système monétaire international désormais


mû par les marchés
L’accord de la Jamaïque entérine le passage d’un système
dirigé par les gouvernements à un système mû par les
capitaux privés. L’explosion du crédit bancaire international
a résolu les problèmes qui avaient hanté le système de
Bretton Woods. Mais elle en a aussi créé d’autres, liés à
l’instabilité du système monétaire et financier43.
Le premier problème était la mauvaise régulation de
l’offre de liquidités internationales. Dans le système de
Bretton Woods, rien n’était prévu pour faire face à
l’augmentation des besoins de réserves liés à l’expansion
du commerce mondial. L’approvisionnement en liquidités
semblait devoir dépendre avant tout de la politique
monétaire des États-Unis, laquelle était insensible à la
demande de moyens de paiements internationaux. Or, dès
les années 1960, avec le développement du marché de
l’eurodollar, le montant des liquidités internationales est
devenu moins dépendant de la balance courante des États-
Unis. La croissance des opérations interbancaires
internationales a favorisé la constitution d’un marché de
gros de la liquidité internationale. L’offre privée de
financement est devenue très élastique, son montant global
étant dirigé par la demande. Ainsi, après le déficit des
paiements américains, ce sont désormais les sources de
financement privées qui dessaisissent le FMI du rôle de
régulateur du montant global de la liquidité internationale.

Encadré 4

ÉVOLUTION DES RÉSERVES


INTERNATIONALES
Les avoirs en devises des banques centrales ont
commencé à croître rapidement après la
disparition du pool de l’or. En effet, les dollars
vendus par le secteur privé sur le marché de
l’eurodollar ont nourri les avoirs en dollars des
banques centrales européennes, qui devaient
maintenir les parités de change. L’augmentation
des réserves de change s’accentua à partir de
l’instauration des changes flexibles en 1973. Le
rythme d’expansion fut très rapide dans les phases
de dépréciation du dollar (par exemple 1973-80,
1986-90, 1992-96) et ralenti dans les phases
d’appréciation (1981-85, 1997-99).
Cela tient d’abord au fait que les changes sont
loin d’être parfaitement flexibles. Les banques
centrales préfèrent le flottement contrôlé au
flottement pur pour éviter les surréactions des taux
de change ou au moins lisser leurs variations. Les
banques centrales d’Europe et du Japon sont
intervenues activement pour limiter l’amplitude des
fluctuations persistantes de leurs monnaies contre
le dollar. Ensuite, l’élargissement des crédits en
dollars au monde entier a été un trait essentiel de
la globalisation financière. De nombreux pays,
notamment en Asie, ont emprunté pour constituer
des réserves abondantes.
Il faut tenir compte enfin d’un effet comptable. La
valeur en dollars des réserves détenues en d’autres
monnaies augmente lorsque le dollar baisse et
diminue lorsqu’il monte ; ce qui fait varier dans le
même sens le montant global exprimé en DTS –
celui-ci étant étroitement lié au dollar – des
réserves mondiales en devises.

Graphique 4
Évolution des réserves mondiales et de leur structure

Le second problème était la mauvaise qualité de


l’ajustement international, liée à la rigidité des taux de
change et à l’absence de dispositif praticable permettant de
dévaluer le dollar contre toute monnaie. Le démantèlement
du contrôle des capitaux et l’avènement des changes
flottants ont donné aux gouvernements des marges de
manœuvre supplémentaires pour la poursuite de leurs
objectifs internes. Tout d’abord, les chocs réels sont
absorbés plus rapidement par la variation des taux de
change. Le nationalisme monétaire en a été renforcé.
Chaque pays peut choisir l’ancrage nominal interne qui lui
convient.
En outre, avec la possibilité d’accumuler des dettes, les
déséquilibres courants ne sont plus directement ni
immédiatement contraignants. En d’autres termes, le
développement du crédit privé ne résout pas seulement le
problème des réserves, il desserre également la contrainte
de balance courante en finançant, à partir du premier choc
pétrolier, les importants déficits des pays importateurs de
pétrole.
En évoluant vers un régime de changes flexibles
accompagné d’une grande mobilité des capitaux, le
système se déplace vers un nouvel équilibre au sein du
triangle d’incompatibilité. Dans cette nouvelle
configuration, où le nationalisme monétaire se renforce au
détriment de la stabilité des changes, la régulation est
assurée par la liberté des mouvements des capitaux. Ceux-
ci deviennent les principales instances de jugement des
politiques économiques. Ils assument la double fonction
d’ajustement des déséquilibres des balances des paiements
(à travers les variations des taux de change) et de
financement des déficits persistants (grâce au
développement des dettes). En devenant la principale
source de financement des balances des paiements, le
système financier privé se substitue au FMI dans
l’arbitrage entre les deux issues possibles à un déséquilibre
extérieur : le financement des déficits ou l’ajustement des
parités.
Garant de règles qui n’existent plus, dépassé par
l’accroissement spectaculaire des liquidités, le FMI
semblait avoir perdu sa raison d’être. Les imperfections de
la régulation par les marchés lui ont cependant ouvert de
nouveaux champs d’action.
En ce qui concerne l’ajustement d’abord, si l’arbitrage
des marchés assure la flexibilité et la cohérence du système
de taux de change, il ne conduit pas à des valeurs
d’équilibre fondamental lorsqu’il est couplé à la liberté des
capitaux et confronté à des politiques économiques
contradictoires. On doit insister sur ce point, contraire à la
conception dominante de l’époque. Les contradictions des
politiques économiques nationales eurent vite fait de se
réfléchir dans l’instabilité des taux de change. En outre, s’il
n’existe plus de norme d’équilibre courant, il devient
beaucoup plus difficile de définir un taux de change
d’équilibre. Les distorsions des taux de change réels et les
anticipations fugaces et mal coordonnées ont provoqué des
surréactions et des crises de change. Celles-ci ont
beaucoup réduit l’autonomie des politiques économiques
des pays de taille petite et moyenne par rapport aux
promesses des changes flexibles. Elles ont conduit ces pays
à stabiliser le taux de change par rapport à une monnaie de
référence (le dollar ou le deutsche mark), d’où l’évolution
vers des blocs régionaux. Elles ont, en outre, exacerbé les
divergences entre les préférences nationales, comme l’a
montré l’épisode célèbre de la hausse vertigineuse du
dollar entre 1981 et 1985.
En ce qui concerne, ensuite, la fourniture de liquidités, si
l’offre de crédit bancaire permet d’épouser les besoins de
l’économie mondiale et d’émanciper de nombreux pays de
l’aide publique des pays industrialisés, son allocation est
perturbée par l’incertitude des conditions de marché.
À la fin des années 70, l’accès direct aux crédits
bancaires des pays – industrialisés ou en développement –
souffrant de déficits de leur balance des paiements a eu
tendance à remplacer la fourniture de liquidités par le
Fonds. L’expérience du premier choc pétrolier avait montré
que les banques commerciales des pays industrialisés
étaient à même de recycler rapidement les excédents des
pays exportateurs de pétrole au bénéfice des pays
déficitaires. Alors que les crédits alloués par le Fonds
progressaient nettement moins vite que le commerce
international, et à plus forte raison, que les déséquilibres
grandissants des paiements (graphique 5), les ressources
du Fonds étaient une fois de plus sans commune mesure
avec l’ampleur des problèmes à résoudre.
Dans ces conditions, le Fonds n’avait plus les moyens de
limiter l’accès aux financements des pays déficitaires.
Désormais, pourvu qu’un pays soit considéré comme
solvable, il ne rencontrait plus de limite dans ses
financements extérieurs, dès lors qu’il était prêt à payer le
taux d’intérêt demandé. L’accès à des sources privées de
financement des balances des paiements pouvait toutefois
conduire les pays à retarder les politiques d’ajustement qui
s’imposaient. Or les marchés qui règlent l’octroi de ces
crédits se révélèrent incapables d’évaluer correctement la
solvabilité des emprunteurs souverains. Ce défaut
d’évaluation de la soutenabilité de la dette provoque des
cycles où le surendettement est suivi d’un tarissement
complet des crédits – cycles qui fragilisent
considérablement les économies en interrompant
brutalement leur financement externe. Cette myopie
contribue à créer une forte disparité entre les pays
industrialisés, qui ont un large accès aux marchés
internationaux de capitaux, et les autres, pour qui l’accès
aux marchés est restreint, intermittent, voire inexistant.
Graphique 5
Ressources du FMI et déficits courants cumulés

Ces deux dysfonctionnements sont à l’origine des crises


que le SMI a connues dans les vingt dernières années. Ils
dessinent les contours des nouveaux champs d’action du
FMI. Si celui-ci n’a pas réussi à s’imposer dans la maîtrise
de l’instabilité du change, il est en revanche devenu le
gestionnaire privilégié des situations d’endettement
excessif.

III.2. Surveillance des politiques de change et


prévention des crises
Comme nous l’avons vu, l’article IV des statuts révisés,
qui pose le principe de la « ferme surveillance » du FMI sur
les politiques de change des États membres, substitue des
procédures aux règles, obligations et interdictions
formelles. S’il laisse au Fonds le soin de préciser les
principes de sa surveillance, il énonce les informations que
les États membres doivent lui communiquer pour le bon
exercice de sa mission et prévoit une procédure de
consultation annuelle, habituellement appelée «
consultation de l’article IV ». Celle-ci englobe les
consultations qui avaient déjà lieu précédemment au titre
de l’article VIII et de l’article XIV. Il fut décidé qu’elle
devait se dérouler au moins tous les ans avec chacun des
pays membres, et se traduire par une décision du Conseil
d’administration, tenant lieu d’éloge ou de blâme.
Initialement, les conclusions de cette décision ne devaient
être communiquées qu’aux membres du Fonds. On
n’envisageait pas encore de les rendre publiques.

III.2.1. Les nouveaux fondements de la surveillance


Restait à déterminer au nom de quels principes le Fonds
exercerait sa surveillance. Il n’était plus envisageable de
fonder celle-ci sur une notion de taux de change
d’équilibre. La décision sur la surveillance du 29 avril 1977
complète l’article IV sans y ajouter d’éléments
déterminants.
Le principe général porte sur le niveau des taux de
change et rappelle essentiellement l’interdiction de l’article
IV de « manipuler les taux de change ou le système
monétaire international afin d’empêcher l’ajustement
effectif des balances des paiements ou de gagner des
avantages compétitifs indus vis-à-vis des autres membres ».
Pour les Américains, cette disposition visait
particulièrement la conduite des pays excédentaires qui
s’efforçaient de maintenir artificiellement un taux de
change sous-évalué au moyen d’interventions sur les
marchés, de contrôle des changes ou même de pratiques
commerciales restrictives.
Mais il ne s’agit aucunement pour le Fonds de
déterminer, comme par le passé, le « bon » taux de change
d’une monnaie. Tout au plus le FMI peut-il constater qu’un
taux est « mauvais » par la persistance d’interventions à
sens unique sur le marché des changes.
L’identification des faits ou actions assimilables à une «
manipulation » des taux de change fait l’objet d’une grande
attention de la part du Conseil d’administration. Mais il ne
s’agit, là encore, que d’indicateurs susceptibles d’inciter le
Fonds à entamer des discussions avec un État membre, et
non de critères décisifs manifestant l’inadéquation d’une
politique de change.
Ainsi la décision de 1977 stipule que pour déterminer si
un pays manipule son taux de change, le Fonds sera
particulièrement attentif à :

« i) une intervention massive et prolongée dans le


même sens sur le marché des changes ;
ii) un niveau insoutenable des emprunts ou des prêts
officiels ou quasi officiels, excessifs ou prolongés à des
fins concernant la balance des paiements ;
iii) (a) l’introduction, la nette intensification ou le
maintien prolongé, à des fins concernant la balance des
paiements, de restrictions ou de stimulants des
transactions ou des paiements ; (b) l’introduction ou la
modification substantielle, à des fins concernant la
balance des paiements, de restrictions ou de stimulants
des entrées ou des sorties de capitaux ;
iv) la poursuite, à des fins concernant la balance des
paiements, d’une politique monétaire et l’application de
pratiques financières qui encouragent de manière
anormale les mouvements de capitaux ;
v) un comportement de taux de change qui semble
sans rapport avec les conditions économiques et
financières sous-jacentes, y compris les facteurs
affectant la compétitivité et les mouvements de
capitaux à long terme ».

L’attention nouvelle au contrôle des capitaux dans les


rapports sur les restrictions de change porte la trace des
préoccupations américaines face aux pratiques des pays
excédentaires. Elle contribue à l’effacement, souhaité par
les États-Unis, de la distinction entre les restrictions de
changes sur les transactions courantes et sur les
mouvements de capitaux. Elle ouvre ainsi un nouveau
champ de compétence au Fonds.
Un autre type de principe porte sur les fluctuations des
taux de change. Il énonce la nécessité pour un membre
d’éviter des « fluctuations à court terme perturbatrices »
de sa monnaie, indépendamment du niveau du taux. Le cas
échéant, il devra intervenir sur les marchés des changes
pour mettre fin à un désordre. Cependant, en l’absence
d’accord sur la définition des déterminants fondamentaux
(dans l’optique des États-Unis, les déterminants
fondamentaux comprenaient les mouvements de capitaux,
alors qu’ils renvoyaient avant tout à la balance des
paiements courants pour les Européens), la définition des
fluctuations erratiques et des mouvements désordonnés est
largement tautologique : ces termes désignent le type de
situation qui appelle une intervention sur le marché des
changes. Or les États-Unis ont fait clairement savoir qu’ils
ne changeraient pas leur politique d’intervention limitée.

III.2.2. La surveillance et l’impossible stabilisation du


système monétaire international
Une telle définition de la fonction de surveillance ne
pouvait guère permettre au Fonds de mener à bien sa
mission de stabilisation du système de changes. La
variabilité des taux de change a été un des facteurs les plus
perturbateurs de l’environnement et des relations
économiques internationales pendant les années 80, qu’il
s’agisse de la volatilité à court terme ou des tendances de
long terme.
D’une part, il est apparu que les principes définis dans la
décision de 1977 ne suffisaient pas à établir les conditions
d’une stabilisation des taux de change. Les principes
énoncés dans la décision sur la surveillance reflètent plutôt
l’optique américaine selon laquelle les autorités, nationales
comme internationales, ne sont pas à même de déterminer
des fourchettes et des objectifs vers lesquels devraient
tendre les taux de change. Ces principes sur lesquels les
États membres avaient réussi à se mettre d’accord ne
suffisaient pas, à eux seuls, à stabiliser les parités, car ils
ne comportaient aucun engagement sur les politiques
économiques.
En effet, l’absence de manipulation n’est pas une
condition suffisante de l’émergence d’un taux de change
satisfaisant. La manipulation des taux des changes, telle
qu’elle est caractérisée dans la décision de 1977, n’a pas
été un problème sérieux. Mais les forces de marché ne
conduisent pas nécessairement à un taux de change
approprié. La stabilité des prix n’est pas non plus une
condition suffisante pour restaurer celle du cours des
monnaies. À l’époque de la décision, le haut niveau des
taux d’inflation, leur variabilité et leur divergence étaient
considérés comme les principaux fauteurs de la volatilité
des taux de change. La baisse des niveaux et de la
dispersion des taux d’inflation dans les années 80 ne s’est
pourtant pas accompagnée d’une diminution de l’amplitude
des variations de change.
Pour donner un contenu à la surveillance, il fallait donc
connaître les véritables forces s’exerçant sur les devises.
Le Fonds s’est efforcé de développer des critères pour
diagnostiquer les distorsions dans les taux de change.
L’estimation des taux de change d’équilibre,
particulièrement difficile à définir lorsque la contrainte
d’équilibre courant est devenue intertemporelle, a donné
lieu à une multitude de documents de recherche, faisant du
Fonds l’un des principaux lieux d’analyse économique sur
ce sujet.
Le FMI a également développé une surveillance
multilatérale, qui prend principalement la forme des
Perspectives sur l’économie mondiale, rapport annuel
d’abord, puis semestriel. Celui-ci offre un ensemble
d’analyses et de prévisions sur l’évolution de l’économie
mondiale, mais qui ne débouche pas sur des
recommandations de politique économique aux grands pays
industrialisés.
Ainsi les instances de décision du FMI n’ont guère eu
d’influence sur la gestion des taux de change des pays
développés, ne serait-ce que parce que le Fonds a perdu
l’essentiel de ses moyens de pression financiers sur ces
derniers (leurs derniers tirages remontent à la fin des
années 70). En outre, sur le plan juridique, l’article IV
rappelle le principe de non-ingérence, précisant que la
surveillance du Fonds devrait respecter « la politique
interne, sociale et générale des membres ». Quant à la
décision de 1977, elle cantonne l’examen du Fonds aux
politiques macroéconomiques adoptées « à des fins de
balance des paiements ». Avec le changement dramatique
de politique monétaire initié par le président de la Réserve
fédérale, Paul Volker, en octobre 1979, l’arrivée de Ronald
Reagan à la présidence des États-Unis et la politique ultra-
libérale de Margaret Thatcher au Royaume Uni, les
discordances macroéconomiques atteignirent leur comble
au début des années 80. Les fluctuations du dollar
devinrent gigantesques, sans que le FMI ait la moindre
prise sur les événements.
Incapable d’influer sur les ajustements entre grands pays
industrialisés, le Fonds a ainsi vu sa responsabilité dans la
gestion globale du système monétaire international
diminuer. L’expérience d’un retour à un système de zones
cibles fut cantonnée au niveau régional, dans le cadre
européen. Enfin, lorsque les grands pays s’accordèrent
pour limiter les fluctuations les plus excessives entre leurs
monnaies, ils utilisèrent les travaux du Fonds mais
inventèrent d’autres procédures de coordination, celles du
club du G7 ou du G3, où ils se retrouvent entre eux, loin
des regards indiscrets du reste du monde.
On ne peut certes réduire la surveillance à cette
impuissance à stabiliser le système de changes entre
grands pays industrialisés. Nous verrons dans le prochain
chapitre que la procédure de surveillance dans le cadre de
l’article IV peut être considérée comme la base de toutes
les activités du Fonds. À mesure que celui-ci s’est tourné
vers les pays en développement, la surveillance bilatérale
s’est progressivement élargie au delà de sa définition
initiale. D’une part, les rôles de conseil et d’assistance
technique se sont renforcés. D’autre part, l’examen des
services du Fonds a dépassé les seules politiques
macroéconomiques qui influencent étroitement le change.
Si les politiques monétaires et budgétaires restent au
centre de la surveillance, celle-ci n’a cessé de s’étendre à
des domaines plus structurels (politique industrielle et de
concurrence, secteur bancaire et financier, politiques
sociales et même environnement, dépenses militaires, etc.).
Le prochain chapitre tentera de mettre en évidence cette
tendance à l’élargissement du champ de la surveillance, en
liaison avec la complexité croissante des problèmes
auxquels le Fonds a dû faire face (le processus de transition
des pays de l’Est, les crises financières récentes liées aux
faiblesses structurelles des secteurs financiers). Plus
récemment encore une autre tendance semble se dégager.
Alors l’article IV des statuts révisés substituait le principe
de la surveillance des politiques discrétionnaires des États
membres au respect de règles de change mutuellement
acceptées, on assiste actuellement à la montée en
puissance de nouvelles règles internationales, sous la
forme de normes prudentielles et de codes de bonne
conduite en matière de politique économique44. En misant
sur le renforcement de ces nouvelles règles pour prévenir
les désordres d’un système de plus en plus globalisé, la
surveillance du FMI prétend devenir un des piliers majeurs
de la nouvelle architecture financière internationale. Nous
y reviendrons dans le dernier chapitre.
Cet élargissement du champ de la surveillance a été
largement déterminé par le renforcement du rôle du Fonds
dans les pays en développement. À cet égard, la crise de la
dette des années 80 a constitué un épisode déterminant.
Paradoxalement, alors que le Fonds avait été écarté de la
régulation globale du système de changes, marginalisé en
matière de financement des balances des paiements et par
conséquent privé de tout moyen de prévenir l’éclatement
de la crise, il fut promu à un rôle central dans la gestion de
celle-ci.

III.3. Gestion des crises et conditionnalité


Dans les années 70, la part du Fonds dans le financement
des PVD a régressé jusqu’à ne représenter qu’à peine 3 % à
la fin de la décennie. Alors que les écarts entre taux
emprunteur et taux prêteur se réduisaient et que les
échéances moyennes s’allongeaient, à intérêts et conditions
identiques, les emprunteurs préféraient naturellement se
soustraire aux règles de conditionnalité édictées par le
Fonds et s’adresser aux banques commerciales. Dans ces
conditions, le Fonds n’était guère en mesure d’imposer une
discipline aux États emprunteurs.
Il n’avait pas davantage de prise sur l’environnement
global. Les termes de l’échange des pays en développement
non pétroliers s’étaient dégradés constamment depuis
1978, les prix des produits primaires non pétroliers ayant
baissé par rapport au prix des biens manufacturés. Surtout,
l’inversion de la hiérarchie entre taux d’intérêt réel et taux
de croissance, à partir de 1980, a été une source
essentielle de l’aggravation des déficits courants de ces
pays. Ainsi, au-delà de la mauvaise gestion des afflux de
capitaux par les gouvernements des pays débiteurs, c’est
l’appréciation du dollar et la montée en flèche des taux
d’intérêt américains en 1980-81, dues au défaut complet de
coopération monétaire internationale, qui a précipité la
hausse fatale de la dette.
Dans la première phase du recyclage, de 1973 à 1978, le
déficit courant des PVD importateurs de pétrole s’était
certes déjà dégradé, passant de 13 à 15 % du total de leurs
exportations. En outre, le poids du service de la dette était
passé de 141/4 à 163/4 % des exportations. Mais après le
second choc de 1979-1980, le déficit courant agrégé de ces
pays était monté à 25 % des exportations en 1981 et le
ratio du service de la dette à 19 %. Malgré cette
dégradation, les banques ont continué de prêter
massivement aux PVD jusqu’en 1982, en augmentant à
peine leur prime de risque. À la suite du second choc
pétrolier, dans un contexte de récession mondiale et alors
que les excédents des pays exportateurs atteignaient près
de 100 milliards de dollars, les gouvernements des pays
industrialisés pressèrent les banques de recycler à nouveau
les pétrodollars. Si la pression politique exercée sur les
banques est un argument souvent mis en avant, il reste
qu’elles n’ont pas été capables de discipliner le flux
d’endettement, ni d’évaluer correctement le risque de
crédit. Celui-ci est particulièrement difficile à percevoir et
à tarifer lorsque le débiteur est souverain, puisqu’il n’existe
pas de garantie marchande pour les créances (il est
impossible de saisir les avoirs d’un État souverain en cas de
faillite, contrairement à ceux d’un agent privé45). En outre,
la montée des crédits bancaires était soutenue par l’arrivée
de nouvelles banques, de sorte qu’aucune d’elles prise
individuellement n’était en mesure d’évaluer les risques
encourus en contrôlant simplement ses propres
financements. Les dettes des PVD correspondaient
essentiellement à des prêts syndiqués, octroyés par des
banques pour la plupart faiblement capitalisées. Dans un
contexte très concurrentiel, les banques, qui se
rémunéraient sur les spreads d’intérêt, trouvaient leur
profit dans de gros volumes de prêts. Les spreads n’ont
commencé à augmenter qu’au milieu de 1982. En juillet de
cette année-là, moins de 15 jours avant le défaut du
Mexique, des prêts syndiqués lui étaient encore consentis.
Le défaut de la dette souveraine mexicaine en août 1982
ne menaçait pas seulement la santé des pays débiteurs,
brutalement privés de financement, mais aussi celle du
système financier international. L’assistance d’urgence fut
fournie par les États-Unis, puis par un crédit-relais de la
BRI quelques semaines plus tard. Pendant ce temps, le
Fonds s’est fait l’intermédiaire entre les banques
internationales et les pays endettés, sous l’impulsion de son
directeur général de l’époque, Jacques de Larosière, et
avec le soutien du gouvernement américain. D’un côté, le
Fonds a négocié avec le Mexique un accord classique sur le
rétablissement de l’équilibre des paiements. Les
recommandations consistaient à dévaluer pour obtenir un
taux de change réel compétitif, assainir le budget public et
limiter strictement la croissance du crédit intérieur, au prix
d’un encadrement sévère de l’endettement privé. Mais cet
accord, avant d’être approuvé par le Fonds, devenait la
monnaie d’échange d’une autre négociation, avec les
créditeurs. En effet, d’un autre côté, le Fonds est entré en
rapport avec les créanciers pour leur faire accepter de
rééchelonner leurs prêts, de maintenir leurs crédits
commerciaux et de renouveler ce qu’il fallait de créances
arrivant à échéance pour éviter un défaut sur le paiement
des intérêts. Pour la première fois dans l’histoire du Fonds,
le directeur général a réuni les banques à New York en
novembre 1982 pour les informer qu’il recommanderait au
Conseil d’administration d’approuver un accord de 3,8
milliards de dollars avec le Mexique, à condition qu’il
reçoive l’assurance que ces banques augmenteraient leurs
propres engagements à hauteur de 5 milliards. Début
décembre, l’accord avec le gouvernement mexicain pouvait
entrer en application.
Ainsi, après avoir perdu du terrain devant la concurrence
des banques commerciales, le FMI a dû assumer un rôle de
substitut et de catalyseur des capitaux privés. Presque
insignifiants à la fin des années 70, les crédits nets du
Fonds atteignirent près d’un cinquième des apports
financiers aux PVD en 1983. Ce bond donne une première
mesure du rôle du FMI dans la gestion de la crise de la
dette.
Le FMI endossait surtout un rôle inédit de gestionnaire
des crises financières. Il disposait pour cela de deux
instruments majeurs : la pratique du financement concerté
et la conditionnalité attachée à son aide financière. Le
financement concerté constitue une véritable innovation
dans le traitement des crises de la dette bancaire
souveraine. Elle a permis d’éviter des mouvements de
retrait massif des capitaux, qui auraient entraîné des effets
désastreux pour la communauté financière. Une solution
collective était indispensable dans une situation de «
dilemme du prisonnier », où chaque banque prise isolément
avait intérêt à réduire son engagement, mais où l’intérêt
collectif du système financier était de maintenir la capacité
des pays endettés à servir leur dette.
Parce qu’elle était le levier essentiel du financement
concerté, l’importance de la conditionnalité s’est
considérablement accrue. Certes, dès les années 60,
créanciers publics et privés avaient commencé à lier leurs
prêts aux décaissements du Fonds dans le cadre d’accords
passés par les pays débiteurs. Mais au lendemain de la
crise d’août 1982, face à des créanciers très sensibles au
risque de défaut, la discipline imposée par le Fonds est
devenue pour de nombreux pays la condition sine qua non
du retour de financements extérieurs. Tout en limitant le
risque d’aléa moral, elle renforce la confiance des
créanciers. Cette discipline s’impose comme l’unique
moyen pour les pays endettés de rétablir leur crédibilité,
qu’ils auraient beaucoup plus de difficulté à reconstruire
sans le « certificat de bonne conduite » délivré par le
Fonds.

Encadré 5

LE FINANCEMENT CONCERTÉ ET LE
RÔLE DE CATALYSE DES
FINANCEMENTS DU FMI
Le rôle de médiateur joué par le FMI entre les
pays emprunteurs et leurs créanciers fut rendu
possible par l’organisation de ces derniers, au sein
du Club de Paris pour les créanciers publics, au
sein du Club de Londres pour les banques
commerciales. Dans cette organisation des
créditeurs, le statut de créancier privilégié des
institutions financières internationales, et en
particulier du FMI, est un élément fondamental.
Les créances de ces institutions sont considérées
comme non rééchelonnables, et à plus forte raison
non effaçables. Les créanciers bilatéraux acceptent
cette hiérarchie, même si leurs engagements
supplémentaires et leurs efforts de
rééchelonnement permettent aux pays débiteurs
d’honorer les paiements dus au FMI, car la
protection des ressources du Fonds est une
garantie pour la préservation de leurs propres
engagements.
La réunion des créanciers publics au sein du Club
de Paris, réunion mensuelle tenue sous présidence
française, préexistait largement à la crise de la
dette puisqu’elle fut initiée en 1956. Cependant,
l’essentiel des rééchelonnements accordés par le
Club de Paris l’a été à partir de 1982, dans le cadre
d’une collaboration très étroite avec le Fonds.
Ces liens entre Club de Paris et FMI tiennent
largement au fait que les membres de l’un sont les
principaux actionnaires de l’autre, d’où une forte
convergence d’intérêts. En pratique, l’approbation
d’un programme d’ajustement par le Fonds est un
préalable à l’ouverture de négociations en vue du
rééchelonnement de la dette des créanciers publics
réunis au sein du Club. Le FMI est ainsi le garant
de la conditionnalité des accords du Club de Paris,
qui s’en remet à son expertise et à son jugement
macroéconomique. Bien plus, les accords du Club
de Paris calquent leurs échéances sur la durée des
accords avec le FMI, et le bon déroulement des
premiers est étroitement lié au maintien et au
respect des phases successives des seconds. Pour
assurer cette coordination, l’information du Club
de Paris sur l’évolution des relations entre le FMI
et les pays débiteurs est assurée par un
représentant du FMI qui participe en tant
qu’observateur aux réunions mensuelles du Club.
À la différence du Club de Paris, le Club de
Londres n’est pas un groupe formel : on désigne
communément sous cette appellation l’ensemble
des différentes commissions consultatives des
banques de dépôts formées par chaque pays
débiteur rencontrant des difficultés de paiement.
Ainsi, pour le Mexique, qui était débiteur auprès
d’environ 800 banques, le club réunit 10 à 15 des
principaux établissements créditeurs en une
commission consultative pour servir
d’intermédiaire entre le pays et le reste des
banques. Durant les années 80, plus de trente pays
débiteurs constituèrent des commissions
consultatives, les banques variant d’un pays à
l’autre selon l’importance de leurs crédits. Ces
commissions furent le levier des plans de
financement concertés conduits par le FMI. Les
banques commerciales, qui ne sont guère en
mesure d’imposer des conditions économiques aux
emprunteurs souverains et de surveiller leur
respect, subordonnèrent leurs négociations avec
les pays emprunteurs à la conclusion d’un accord
avec le Fonds. En contrepartie de cette garantie, le
Fonds ne donnait son accord final qu’une fois que
les banques étaient prêtes à financer le « déficit
résiduel » du pays en difficulté.
En effet, le FMI insistait sur le fait qu’un
programme ne devait laisser aucun déficit des
paiements non financé, autrement dit, ne devait
laisser se développer aucun arriéré de paiement.
En conséquence, si un pays avait des retards de
paiement au moment de la conclusion de l’accord
avec le Fonds, cet accord devait avoir pour but
d’éliminer les arriérés au cours de la période
couverte.
Le financement du déficit résiduel par les
banques n’était évidemment concevable que si
l’action du FMI visait au remboursement intégral
de la dette, ce qui resta la stratégie officielle
jusqu’au plan Brady46.
À la suite de ce plan, à partir de la fin des années
80, les flux de capitaux privés, notamment non
bancaires, en direction des pays émergents ont
repris vigoureusement. Le développement de la
titrisation a radicalement modifié la nature des
risques dans le système financier international.
Dans la seconde moitié des années 90, une nouvelle
génération de crises a justifié à nouveau
l’engagement massif du FMI. Si sa part dans les
flux totaux de capitaux à destination des pays
émergents a retrouvé en 1998 des niveaux proches
de ceux de 1983, les conditions et les modalités de
son intervention ont évolué. Notamment, le rôle de
catalyse joué par le Fonds est beaucoup plus
délicat quand les titres de dette s’échangent sur les
marchés entre un nombre indéfini d’investisseurs...

Largement privé de son rôle de gardien de l’ordre


monétaire, le FMI s’est trouvé directement aux prises avec
les dysfonctionnements du système financier international.
Il lui est demandé de résoudre les problèmes de
financement des pays dont l’accès aux marchés de capitaux
est erratique, voire inexistant. C’est aux pays en
développement qu’a bénéficié exclusivement son aide
financière à partir du début des années 80, alors que les
pays industrialisés restent ses principaux actionnaires. Ces
derniers ne le chargent plus tant d’une responsabilité dans
la gestion du système monétaire international, sur la base
de règles de change mutuellement acceptées, qu’ils ne lui
confèrent un mandat implicite de gestionnaire de crises et
de garant de la discipline des pays endettés. Le FMI a ainsi
évolué vers un rôle de médiateur entre, d’une part, les pays
en difficulté, d’autre part, les gouvernements des pays
riches qui participent au financement multilatéral public, et
enfin, les grandes banques internationales qui assument
désormais un rôle majeur dans le financement des balances
des paiements des PVD et dont la fragilisation, induite par
les multiples risques pesant sur leurs actifs étrangers, est
un sujet de préoccupation croissant de la communauté
internationale. Il s’est révélé plus incontournable dans ce
rôle, non prévu par ses statuts, qu’il n’a l’a été dans la
gestion globale du système de changes.
Comment une institution de coopération monétaire entre
gouvernements, conçue pour veiller à la stabilité du
système de changes dans un contexte de mouvements de
capitaux limités, s’est-elle adaptée à un rôle de tuteur des
pays en développement dans un système financier de plus
en plus intégré et sous la menace croissante d’un risque
systémique ?
Le prochain chapitre envisage cette question sous l’angle
de l’ajustement, enjeu crucial pour la cohérence du
système monétaire international et qui est au cœur de
toute l’activité du FMI. C’est dans ce domaine qu’il dispose
d’un avantage comparatif sur toute autre institution
publique de régulation macroéconomique, parce qu’il est le
seul à avoir un point de vue global. Pour exercer cette
fonction de guide de l’ajustement, le Fonds a développé des
services, défini des procédures et s’est doté d’une capacité
de réaction aux évènements, tout en persuadant les
gouvernements d’entreprendre les mesures qu’il préconise.
Il a aussi élaboré une doctrine, que les difficultés de
diagnostic sur la nature des crises affectant les pays en
développement, ont fait évoluer.
 
Chapitre II

La mise en œuvre des ajustements : un


pouvoir élargi de crise en crise

Alors même que les grands pays industrialisés se sont


dérobés à toute influence véritable du FMI, ils lui ont
délégué un rôle central dans le suivi des politiques
économiques et des équilibres des paiements des pays en
voie de développement. Les deux instruments majeurs de
cette fonction de « gendarme » économique sont la
surveillance et la conditionnalité. Leur usage est gouverné
d’une part par un cadre institutionnel et des procédures qui
déterminent le mode d’élaboration des décisions au sein du
Fonds, d’autre part par un cadre conceptuel, qui guide ses
analyses et ses conseils.
Malgré une grande permanence de son modèle des
déséquilibres des paiements, le Fonds a cependant fait
évoluer ses recommandations de politique économique à la
suite de certains épisodes critiques. Ainsi, l’enlisement
dans la crise de la dette souveraine dans les années 80 a
débouché sur une conception renouvelée de l’ajustement,
complétant les volets macroéconomiques par de profondes
réformes structurelles. Largement diffusée sous le terme
de « consensus de Washington », cette doctrine de
l’ajustement structurel a joué un rôle déterminant au début
des années 90, dans la transition des pays socialistes vers
l’économie de marché et, plus généralement, dans la
libéralisation des économies émergentes et leur entrée
dans l’ère de la globalisation financière. Mais le Fonds avait
sans doute sous-estimé les nouveaux risques, associés à la
combinaison d’entrées de capitaux massives, d’une
libéralisation financière souvent imprudente et d’un
ancrage nominal du change. Placé une nouvelle fois dans le
rôle de gestionnaire de crise, le FMI a dû faire face à des
processus complexes de déclenchement et de contagion
des crises qui remettent en cause sa pratique antérieure.

I. Le cadre institutionnel

I.1. Les lacunes de l’exécutif


L’évolution profonde de l’environnement et des missions
du FMI à partir des années 70 ne s’est traduite que par de
modestes adaptations institutionnelles. Les modes de
décision politique du Fonds avaient été conçus pour gérer
un système monétaire international stable, régi par des
règles précises. L’assouplissement de ces règles, et
notamment la disparition des parités déclarées, aurait
pourtant justifié la mise en place d’un forum de
coordination des politiques économiques. En outre, les
nouvelles responsabilités du Fonds en matière de gestion
des crises allaient dans le sens d’un renforcement de son
centre de décision politique.
Pourtant, le « Collège » prévu par le deuxième
amendement n’ayant jamais vu le jour et le Comité
intérimaire n’ayant qu’un rôle consultatif, le Conseil
d’administration est resté le principal organe de décision
auquel le Conseil des gouverneurs délègue la plus grande
partie de ses pouvoirs.
Le nombre d’administrateurs était de 12 à l’origine, il est
aujourd’hui de 24. Chaque administrateur dispose des
droits de vote liés à la quote-part du pays ou du groupe de
pays qu’il représente. En effet, tous les administrateurs ne
sont pas désignés selon le même mécanisme. Selon les
statuts, les cinq pays bénéficiant des plus importantes
quotes-parts nomment leur propre administrateur. Il s’agit
aujourd’hui des États-Unis, de l’Allemagne, du Japon, du
Royaume-Uni et de la France47. Par la suite, hors de toute
référence aux cas prévus par les statuts, trois pays ont été
habilités à nommer leur propre administrateur, du fait de
leur poids économique et diplomatique : la Russie, la
République populaire de Chine et l’Arabie Saoudite. Tous
les autres pays se rassemblent au sein de 16
circonscriptions (constituencies) représentées chacune par
un administrateur élu pour deux ans. Celui-ci a souvent
dans la pratique la nationalité du pays dominant au sein de
la circonscription. Ainsi la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie, la
Suisse et le Canada disposent en permanence d’un
administrateur qui représente également chacun des pays
de la circonscription à laquelle ils appartiennent. Par
exemple l’administrateur suisse parle au nom du
gouvernement ouzbek. Il existe certes une rotation pour
certains sièges (ainsi, l’Espagne est aujourd’hui
représentée par le Mexique, alors que c’était l’inverse dans
le précédent Conseil d’administration). Il n’en demeure pas
moins que les administrateurs élus, comme les
administrateurs nommés, émanent le plus de souvent de
grands pays occidentaux. Les administrateurs élus
émettent un vote bloqué pour l’ensemble de leurs
mandants, mais ils sont chargés de rapporter les voix
divergentes et minoritaires au sein de leur circonscription.
La composition de celles-ci est relativement stable. Elle
correspond souvent – mais pas toujours – à des
considérations géographiques ou à des liens historiques48.
La composition du Conseil d’administration pose un
problème de légitimité politique au FMI, qui n’a fait que
s’accentuer après la disparition du système de Bretton
Woods. Tout d’abord, la réorientation de l’aide du Fonds
vers les économies en développement dans les années 70-
80 ne s’est guère traduite dans la distribution des pouvoirs
au sein de l’organisation. Le principe du lien entre pouvoir
de décision et contribution financière assure une
prépondérance très marquée aux pays industrialisés, et
plus particulièrement aux États-Unis.
Le Groupe des 24, créé en 1972, visait à faire entendre la
voix des PVD au sein du FMI. Il a pris l’habitude de se
réunir à l’occasion des discussions du Comité intérimaire et
du Comité de développement. Ce dernier, créé en 1974, en
même temps et sur le même modèle que le Comité
intérimaire, est un organe conjoint du FMI et de la Banque
mondiale49. Il a pour mission de conseiller les gouverneurs
des deux institutions sur les questions de transfert de
ressources aux PVD. Cependant, il s’agit là encore d’un
organe purement consultatif, dépourvu de véritables
moyens de contrôle sur le travail du Fonds, et qui n’a eu
qu’une influence limitée.
Ensuite, le système actuel des circonscriptions entrave la
constitution de blocs régionaux. Ainsi, alors que l’euro est
appelé à devenir une grande monnaie internationale, la
composition des circonscriptions n’est pas propice à la
représentation d’une position européenne. En dehors de
l’Allemagne et de la France (dont la fusion des sièges au
Conseil d’administration a été récemment envisagée), tous
les autres membres ayant pris part à la création de l’euro
appartiennent à des circonscriptions dont la logique de
regroupement est étrangère au processus d’intégration
européenne. Seule la présence de la Banque centrale
européenne en tant qu’observateur auprès du Fonds en
témoigne aujourd’hui. Cette dispersion des voix
européennes assure encore aux seuls Américains, avec 17,5
% des voix, une minorité de blocage pour les décisions à la
majorité qualifiée de 85 %50.
Par ailleurs, le statut des administrateurs, problème qui
avait été posé au moment de la création de l’institution51,
ne favorise pas non plus la légitimité politique du Conseil.
Les administrateurs résident à Washington et siègent en
principe trois jours par semaine. Ils entretiennent donc
nécessairement des liens aussi étroits avec les services du
Fonds, qui assurent le travail préparatoire et le secrétariat
du Conseil, qu’avec le gouvernement de leur pays d’origine,
au sein desquels ils ne peuvent conserver de
responsabilités52. Or c’est au niveau des chefs d’Etat ou de
gouvernement et des ministres des Finances que s’élabore
la concertation internationale. C’est pour doter le Fonds
d’une instance politique forte et combler ainsi le vide
institutionnel entre le Conseil des gouverneurs et le Conseil
d’administration qu’a été proposée une réforme du Comité
intérimaire visant à lui donner un véritable pouvoir de
décision. Cette proposition française, reprise et soutenue
par Michel Camdessus alors directeur général, servait un
double objectif : d’une part renforcer la légitimité d’une
institution ayant une image fortement technocratique ;
d’autre part, modérer l’influence américaine prépondérante
au sein du G7. Mais elle s’est heurtée à l’opposition des
États-Unis, qui souhaitent conserver au G7, éventuellement
élargi aux principaux pays émergents au sein du G20, son
rôle de directoire de l’économie mondiale. D’autre part, les
Européens n’ont pas beaucoup poussé la proposition
française, qui leur aurait pourtant assuré une forte
représentation. La résolution du Conseil des gouverneurs
de septembre 1999 a fini par entériner le caractère
permanent du Comité intérimaire et l’a rebaptisé « Comité
monétaire et financier international ». Mais son rôle reste
consultatif, ce qui ne modifie guère les règles du jeu
institutionnel.
Cependant, le statut actuel des administrateurs présente
certains avantages, en terme de cohésion de l’institution.
Leur position de représentant permanent à l’étranger
favorise la recherche du consensus, qui est un trait
caractéristique de la prise de décision au sein du Fonds.
Ainsi, les décisions du Conseil d’administration se prennent
le plus souvent sans qu’aucun vote soit nécessaire. Cette
pratique traduit une volonté délibérée de rechercher un
accord qui rallie la majorité des administrateurs, plutôt que
de figer des alliances et des blocs. Elle est facilitée par
l’intensité des contacts entre administrateurs, directeur
général et responsables de services – contacts favorisés par
la longueur du mandat de nombreux administrateurs, dont
certains occupent, avant ou après leur mandat, des
fonctions administratives importantes au sein du Fonds.
Ce mode de fonctionnement autorise une cohérence
entre les décisions du Conseil d’administration et les
travaux des services plus forte que dans la plupart des
bureaucraties internationales. Si les administrateurs sont
liés par les instructions de leur gouvernement, les réunions
du Conseil sont aussi étroitement encadrées, et par le
directeur général, qui le préside et fixe son agenda, et par
les services, qui assument son secrétariat, préparent et
mettent en œuvre ses décisions.
La cohésion du Fonds découle donc de son organisation
particulière qui permet une forte osmose entre les
administrateurs et les services. Elle résulte aussi d’une
organisation hiérarchique classique selon le principe staff
and line. Les départements opérationnels sont structurés
géographiquement et les départements fonctionnels et
transversaux exercent une activité de support technique et
de contrôle. Notamment, toute publication, mais aussi tout
document transmis au conseil, même s’il doit rester interne
au FMI, requiert la double approbation du chef de
département d’où le document émane et du chef du
département fonctionnel spécialisé dans l’inspection du «
politiquement correct » de l’institution (le département de
l’élaboration et de l’examen des politiques, Cf. encadré 1).
Ainsi la bureaucratie du Fonds monétaire, comme la
hiérarchie vaticane, pratique-t-elle systématiquement le «
Nihil Obstat, Imprimatur ». De cette manière une véritable
culture d’entreprise, un « esprit de famille » FMI est
entretenu. Cette homogénéité idéologique est renforcée
par le mode de recrutement uniforme, c’est à dire composé
très majoritairement d’économistes de formation anglo-
saxonne. Il s’ensuit que la cohésion interne s’accompagne
d’une hégémonie idéologique sur les questions monétaires
internationales. Au fil des années, elle a eu tendance à
s’étendre à toutes les questions économiques en direction
des pays en développement, faisant du FMI un véritable
missionnaire du libéralisme. Cette force de conviction
inébranlable que le FMI oppose aux critiques extérieures
est aussi une faiblesse. Elle entraîne une rigidité doctrinale
qui rend l’institution peu perméable à l’aggiornamento
qu’appellent les transformations de l’économie mondiale et
les changements de puissance entre les différentes régions
du monde.

I.2. La montée en puissance des services


Assumant à la fois la présidence du Conseil
d’administration et la direction des services, le directeur
général exerce une fonction de médiation essentielle entre
les pôles politique et administratif du Fonds. Il est choisi –
et peut être révoqué – par les administrateurs, pour un
mandat de 5 ans renouvelable. S’il préside le Conseil
d’administration, il n’est pas administrateur lui-même et ne
prend donc pas part au vote, sauf en cas de partage égal
des voix. Il a surtout la maîtrise de l’ordre du jour du
Conseil, ce qui lui permet d’accélérer certaines demandes.
Ce pouvoir est particulièrement stratégique dans des
périodes de crises, exigeant des décisions rapides de la
part du Conseil d’administration. C’est un aspect important
du poids de la fonction de directeur général face aux
gouvernements des principaux actionnaires et notamment
des États-Unis. D’autre part, le directeur général dirige les
services du FMI. Il est responsable du recrutement et du
travail du personnel, de l’organisation des services et de la
formulation des positions du Fonds, dont il est le principal
représentant à l’extérieur.
La crise de la dette a favorisé la montée en puissance de
la fonction de directeur général du FMI. Avant Jacques de
Larosière, les directeurs étaient assez effacés derrière le
Conseil d’administration. Depuis la première crise du
Mexique (1982), leur rôle de médiateur s’est imposé, non
seulement à l’intérieur du Fonds – entre les organes
exécutifs et les services – mais encore à l’extérieur : auprès
de la communauté financière, dans les réunions
internationales au niveau ministériel, comme au G7, et
auprès de l’opinion publique. Enfin, le directeur général
étant traditionnellement un Européen53 (et souvent un
Français), il constitue un relais important dans les relations
monétaires entre les États-Unis et l’Europe d’une part,
entre les pays en développement et les pays développés
d’autre part.
Quant aux services, leur principale responsabilité est de
suivre les développements monétaires et financiers dans
chaque pays membre. Ils examinent le matériel statistique,
effectuent des visites pour réunir les données et suivre la
conduite de la politique économique par les autorités
nationales. En effet, la plus fondamentale et la plus lourde
des tâches des services a toujours été associée à la mission
de surveillance. Durant la période de Bretton Woods, celle-
ci était directement liée au respect du code de bonne
conduite monétaire inscrit dans les statuts au titre des
obligations des États membres (article VIII). Plus
spécifiquement, le Fonds était chargé d’accompagner les
pays dans la période de transition devant les mener à la
libre convertibilité en compte courant de leur monnaie
(article XIV). En outre, dans le cadre des programmes
financés par le FMI, les services remplissaient déjà une
mission d’assistance aux gouvernements dans la
formulation des politiques économiques et suivaient
l’utilisation des ressources du Fonds. Cependant, ils étaient
loin de jouir de l’autonomie qu’ils connaissent aujourd’hui.
Il était fréquent, au début des années 50, qu’un
administrateur dirige une mission de surveillance dans un
pays membre, ou encore que le choix des fonctionnaires du
Fonds pour une mission soit soumis à l’approbation du
Conseil d’administration, ou que celui-ci leur donne des
instructions détaillées. Enfin, les gouvernements avaient
tendance, avant de soumettre au Fonds une requête, à la
tester directement auprès du Conseil d’administration, et
plus particulièrement auprès de l’administrateur américain.
Avec la multiplication des missions, les États membres
ont pris confiance dans le travail des services. Des liens
informels entre les administrateurs et les responsables des
services ou les chefs de mission se sont substitués aux
procédures de contrôle. Les fonctionnaires du Fonds sont
devenus les interlocuteurs directs des gouvernements
nationaux. Mais la véritable montée en puissance des
services résulte surtout de l’importance croissante de la
conditionnalité et de la procédure de consultation annuelle
de l’article IV.
Dans ce cadre, les services du Fonds effectuent chaque
année une analyse approfondie de la situation et de la
politique économique de chacun de ses membres. Le
champ de la surveillance s’est considérablement élargi et la
procédure de consultation annuelle demeure aujourd’hui
une des principales responsabilités des services du Fonds,
autour de laquelle s’articulent toutes ses autres missions,
relevant du conseil de politique économique et de
l’assistance technique, aussi bien que du soutien financier.
Au-delà de la surveillance bilatérale, étroitement liée à
l’assistance financière et technique accordée par le Fonds
aux pays membres, la surveillance multilatérale est une
fonction majeure du FMI. C’est le domaine où ses
avantages comparatifs sur les autres administrations de
politique économique sont les plus prononcés. Le Fonds
monétaire est la seule institution qui ait une vision
macroéconomique des interdépendances internationales
d’un point de vue global. Cette fonction se manifeste par
des rapports périodiques sur les évolutions de l’économie
mondiale et ses perspectives (World Economic Outlook et
International Capital Markets Report). Elle s’exerce dans le
suivi de l’évolution des taux de change et des balances des
paiements, examinés dans leur cohérence mondiale à l’aide
d’outils de modélisation multinationale. Ces matériaux font
l’objet de discussions approfondies dans des sessions
régulières du Conseil d’administration. Ils servent aussi de
matière première pour des notes de contexte au bénéfice
du G7. Enfin, la connaissance accumulée dans la
surveillance multilatérale informe la surveillance bilatérale
que le Fonds entretient avec les pays selon les dispositions
de l’article IV. Nourris d’une perception de l’économie
mondiale procédant d’une philosophie monolithique et de
diagnostics préparés par les documents des services
transversaux, les membres du Conseil peuvent s’exprimer
sur des programmes et des pays qui sont en dehors de leur
zone d’influence. Ainsi se forme une responsabilité
commune du Conseil envers tous les programmes exécutés
avec l’accord du Fonds.

Encadré 1

LES DÉPARTEMENTS DU FONDS


Au sein des services, les départements qui
assument la plus grande partie de l’activité de
surveillance sont les départements
géographiques. Ils sont actuellement au nombre
de six, répartis dans différentes régions du monde
(Afrique, Asie/Pacifique, Europe I, Europe II
(Europe de l’Est), Moyen-Orient et Hémisphère
occidental). Chaque département géographique est
découpé en divisions regroupant trois ou quatre
pays. Ce sont eux qui entretiennent les contacts les
plus directs avec les États membres54 et informent
le Conseil d’administration sur la situation
économique et politique des pays de leur région. Ils
négocient également les accords concernant
l’utilisation des ressources du FMI, conseillent les
pays membres en matière de politique économique
et suivent les résultats des différents programmes
d’aide.
Les départements fonctionnels et services
spéciaux contribuent à définir la politique du
Fonds dans des domaines particuliers. On recense
huit départements dans cette catégorie.
Le département des finances publiques
s’occupe de toute activité du FMI relative aux
finances publiques des États membres (prise en
charge du volet budgétaire des missions des
départements géographiques, recherches sur des
questions de finances publiques...).
Le département de la monnaie et des
changes offre une assistance technique aux
banques centrales des pays membres en matière de
politique monétaire et cambiaire, de contrôle
bancaire, de réglementation prudentielle et de
systèmes de paiements.
Le département juridique assiste le Conseil
d’administration sur les règles de droit applicables.
Il prépare par exemple la majorité des décisions
juridiques nécessaires à la réalisation des tâches
du FMI. Il peut encore apporter son aide aux pays
membres engageant une réforme législative, ou
répondre aux questions des autorités nationales ou
des organisations internationales relatives au droit
applicable au FMI.
Le département des statistiques gère une
base de données économiques et financières
nationales, régionales et mondiales et examine,
dans le cadre de la surveillance, les données
communiquées par les États membres. Il s’occupe
également de l’élaboration des publications
statistiques du FMI.
Le département de la trésorerie a pour
fonctions principales de déterminer les politiques
et les pratiques financières du FMI et de conduire
les opérations et transactions financières du
Département général, du Département des DTS et
des comptes administrés. Il doit également tenir les
comptes et états financiers du FMI.
Le département de l’élaboration et de
l’examen des politiques revoit toutes les
productions internes et externes du FMI. Pour être
soumis au Conseil, tout document doit
impérativement être approuvé, non seulement par
le chef du service concerné, mais aussi par celui de
ce département. Il s’assure de la cohérence des
obligations imposées aux États emprunteurs au
titre de la conditionnalité des concours du FMI et
de leur conformité aux décisions du Conseil. Il joue
ainsi un rôle essentiel d’inspection interne et de
gardien de la jurisprudence. Ce département
s’implique aussi dans la conception et la mise en
œuvre des mécanismes de financement et des
opérations financières du FMI. Il aide à mobiliser
d’autres ressources financières auprès des
créditeurs publics et privés en faveur des États qui
bénéficient de l’aide du Fonds.
Le département des études effectue un travail
d’analyse et de recherche dans les domaines qui
sont du ressort du FMI. Il coordonne l’élaboration
d’un certain nombre de publications du FMI, dont
certaines servent de base aux discussions du
Conseil d’administration, du Comité intérimaire
(comme les Perspectives de l’économie mondiale et
le Rapport sur les marchés internationaux de
capitaux) ou du G7. Il joue ainsi un rôle majeur
dans l’élaboration de la doctrine économique du
Fonds, concernant aussi bien le fonctionnement du
système monétaire international que les conseils
donnés aux États membres. Il entretient des
contacts avec le milieu universitaire et les instituts
de recherche.
L’Institut du FMI propose des formations aux
fonctionnaires des États membres dans des
domaines tels que la programmation et la politique
financière, la politique du secteur extérieur, la
méthodologie de la balance des paiements, la
comptabilité nationale et les finances publiques.
Par souci d’exhaustivité, il faut ajouter aux
départements géographiques et fonctionnels, les
départements « information et liaison ». Il
s’agit des bureaux du FMI en Europe (Paris), en
Asie (Tokyo), à Genève et à New York, auprès des
Nations Unies. Quant au département des
relations extérieures, il est chargé de diffuser les
publications du FMI, d’informer la presse et le
grand public et d’assurer la liaison avec les
organisations non gouvernementales et les
parlements des États membres.
Enfin les « services de soutien » s’occupent de
la gestion interne du Fonds et de ses quelque 2 300
salariés (en 1998).

I.3. L’élaboration des décisions


L’élaboration des décisions au sein du Fonds est soumise
à une procédure précisément réglée et à une stricte
discipline hiérarchique. Les départements géographiques
donnent l’impulsion et suivent de bout en bout les missions
du Fonds auprès d’un État membre, qu’il s’agisse de la
consultation annuelle de surveillance dans le cadre de
l’article IV (136 missions en 1997-98) ou de la préparation
d’un programme engageant les ressources du Fonds (qui
intervient, dans ce cas, sur la requête d’un État membre)55.
Toute mission commence par la rédaction d’un document
préparatoire qui récapitule les éléments d’information
disponibles et les sujets que le Fonds envisage de discuter
avec l’État membre. Ce document donne une première
formulation de l’appréciation du Fonds sur la politique
économique suivie. Dans le cas où un programme est
envisagé, le document explore les sources et l’ampleur du
déséquilibre extérieur, les traits principaux d’un
programme d’ajustement susceptible d’obtenir le soutien
du Fonds, le type d’arrangement financier envisageable et
les montants compatibles avec les besoins financiers du
pays.
Le résumé de ce document préparatoire (le brief) est
alors revu pour commentaire par différents départements
fonctionnels. Dans le cadre de la préparation d’une mission
auprès d’un État membre, les départements fonctionnels
les plus souvent consultés sont celui des finances
publiques, celui de la monnaie et des changes, le
département juridique et celui des statistiques. Cependant,
le seul avis auquel le département géographique est tenu
est celui du département de l’élaboration et de l’examen
des politiques, qui cosigne le document. Ce département
est garant de la cohérence des avis exprimés par rapport
aux statuts et à la mission générale du Fonds, ainsi que de
la comparabilité de traitement entre les membres.
Une fois le document préparatoire approuvé par les
départements fonctionnels compétents et par le
management, la mission se rend dans le pays concerné.
Elle est composée d’un chef de mission et, en moyenne, de
quatre autres personnes appartenant en général au même
département géographique, chacune ayant la charge d’un
secteur – réel, monétaire, fiscal, balance des paiements. S’il
s’agit d’un grand pays, ce nombre est évidemment plus
important56, et les départements fonctionnels sont plus
présents. Le déplacement de la mission a pour but de
rechercher des compléments d’information auprès des
différents ministères et de discuter des recommandations
de politique économique avec le gouvernement. Dans le
cadre d’une consultation de l’article IV, la mission se
conclut par une déclaration finale (concluding statement)
qui récapitule ses constats et ses propositions. Cette
déclaration est présentée aux autorités nationales, mais
elle n’est pas discutée.
Dans le cas où une aide financière du Fonds dépassant un
certain montant57 est envisagée, une négociation s’engage
avec les autorités nationales. La latitude du chef de mission
dans les discussions dépend évidemment du pays concerné.
Quand il s’agit, par exemple, de la Russie, le directeur
général ou un directeur général adjoint peut se déplacer.
La négociation porte sur les objectifs du programme et
surtout sur les conditions de politique économique
requises, les actions préalables qui incombent aux autorités
et enfin le montant et l’échéancier des tirages accordés. La
programmation financière du Fonds repose en effet sur les
principes suivants :
• L’engagement du gouvernement sur un programme de
politique économique. La base de l’accord entre les
services du Fonds et le gouvernement du pays concerné est
la lettre d’intention. Signée par les autorités nationales,
cette lettre est en fait préparée et largement rédigée par
les services du Fonds58. Elle décrit la politique
d’ajustement et les réformes que le gouvernement entend
mettre en œuvre.
• Les préconditions et le suivi des performances
économiques. Le Fonds exige parfois la mise en œuvre de
certaines actions immédiates comme préconditions de son
approbation du programme (dévaluation, démantèlement
du contrôle des changes, libéralisation des taux d’intérêt,
par exemple). Pour évaluer le bon déroulement du
programme, des « critères de réalisation » ou « critères de
performance » sont négociés entre le Fonds et le pays
demandeur sur la base de projections économiques. Pour
être opérationnels, ces critères doivent être quantifiables –
il s’agit de variables macroéconomiques simples – ,
maîtrisables par le gouvernement, rapidement disponibles
et limités en nombre. Les plafonds de déficit public et de
crédit intérieur, les planchers de réserves font partie des
critères de performance les plus fréquents. Ils
conditionnent la poursuite des tirages. En sus des critères
quantitatifs, le Fonds examine la politique suivie dans des
revues périodiques, en général semestrielles, avec le
gouvernement du pays concerné (les revues de
programmes).
• L’échelonnement des tirages conditionnés au respect
des critères de performance. Suivant les types de
financement (détaillés dans le prochain chapitre), les
programmes d’ajustement couvrent une période allant en
principe de un à trois ans au cours de laquelle les tirages
sont échelonnés sur une base trimestrielle ou semestrielle ;
les rachats doivent être effectués dans un délai variant
entre un et dix ans selon les facilités. De même que les
critères de performance, le montant des déboursements est
fixé sur la base des projections économiques du FMI, ainsi
que des flux de fonds attendus.
À son retour à Washington, le chef de mission produit un
nouveau rapport, le « Rapport des services du Fonds »
(RSF), qui fait le bilan de la discussion avec les autorités
nationales et présente un ensemble de projections
macroéconomiques. La partie conclusive, la plus
déterminante du point de vue politique, porte une
appréciation d’ensemble sur la conduite de la politique
économique et émet des recommandations. Si un
programme est envisagé, le Rapport récapitule ses aspects
politiques et financiers et évalue les principaux risques
pesant sur son déroulement. Il est ensuite soumis au même
processus de revue que le document préparatoire, avec
éventuellement l’arbitrage des directeurs. Il peut alors être
soumis à l’approbation du Conseil d’administration. Entre
la rédaction du brief et le passage devant le Conseil
d’administration, le délai moyen est proche de trois mois.
Les difficultés éventuelles rencontrées au moment du
passage devant le Conseil d’administration ont en général
été aplanies au préalable. Le directeur général aura sondé
les réactions des administrateurs aux appréciations et
propositions des services du Fonds. Il est donc rare que le
Conseil les rejette. En outre, la discipline hiérarchique –
l’arbitrage des directeurs – permet de produire une
position unifiée sur des sujets qui ne font pas toujours
l’unanimité à l’intérieur du Fonds : les divergences au sein
des services ont donc été tranchées avant la délibération
du Conseil. Celui-ci n’a donc pas nécessairement les
moyens de s’affranchir des recommandations des
services59.
Par ailleurs, les pays membres n’interfèrent dans la
préparation des décisions que lorsque leurs intérêts sont
directement concernés. Ainsi, quand le pays qui sollicite
l’aide financière du Fonds est sous la protection d’une
grande puissance – par exemple la Côte-d’Ivoire vis-vis de
la France – le programme s’élabore en concertation avec
Paris, ne serait-ce que parce que la France est susceptible
d’apporter un complément financier. Quand il s’agit d’un
pays de l’importance de la Russie ou de la Corée, les
décisions majeures sont prises au G7, avec le directeur
général du Fonds60.
Dans le cas d’un programme financier, les départements
géographiques reprennent la main après l’approbation du
Conseil d’administration. Ils sont en effet chargés du suivi
de l’effort d’ajustement des pays, lequel va bien au-delà de
la vérification périodique des critères de performance
prévus dans l’accord. La complète réalisation de ces
critères est loin d’être la norme. Il faut noter qu’un accord
de confirmation n’a pas valeur de contrat : la non
réalisation des engagements ou des critères de
performance ne constitue donc pas une infraction formelle
à l’accord, ni une violation du droit. Le Fonds tolère donc
une certaine flexibilité dans le déroulement des
programmes, tout en veillant à ne pas vider la
conditionnalité de sa substance. Dès lors qu’un ou plusieurs
critères n’ont pas été respectés, plusieurs cas de figure
sont possibles :
1) Un assouplissement est concédé sur le ou les critères
non réalisés : le programme est rapidement amendé, de
sorte que les déboursements se poursuivent sans
interruption, ou bien le calendrier des versements est revu.
2) Si le pays a trop dévié par rapport à la trajectoire
initialement prévue, les déboursements du FMI s’arrêtent.
Cependant, le plus souvent, un nouveau processus
s’engage, qui parcourt à nouveau les étapes déjà évoquées
– nouvelle mission dans le pays, cycle de négociations,
rapport, discussion interne, visa de la hiérarchie,
approbation du Conseil d’administration. Il débouche sur
un accord révisé qui peut être substantiellement différent
du premier.
3) Cependant, il se peut aussi que les négociations
échouent : l’accord devient alors inopérant, les versements
du FMI ne reprennent pas.
Sur les 615 accords conclus entre 1973 et 1997, 35 % ont
normalement atteint leur terme (moyennant le plus souvent
quelques assouplissements de l’accord initial). À peu près
le même nombre a été interrompu précocement, avant
d’atteindre la moitié des versements prévus. Certains
accords ont certes été suspendus suite à un rétablissement
rapide, mais ces cas sont évidemment moins nombreux que
ceux où une dégradation significative par rapport à la
trajectoire prévue a imposé une révision. La nouvelle
négociation aboutit alors dans la majorité des cas.

La procédure de décision au sein du Fonds fait l’objet


d’une publicité croissante. Le FMI encourage ainsi de plus
en plus les États membres à rendre publics les différents
documents rythmant les consultations de l’article IV.
Depuis 1997, le Fonds publie, avec l’accord du pays
concerné, un résumé des discussions du Conseil
d’administration, le PIN (Press Information Notice). La
publication intégrale du rapport des services fait
actuellement l’objet d’une expérience pilote, qui a
commencé au printemps 1999. L’objectif est de recueillir
des points de vue sur la qualité des rapports pour décider
éventuellement s’il est opportun de les publier. Dans le cas
d’un accord financier, les lettres d’intention des pays sont
désormais publiées. Cependant, cet effort de transparence
concernant les décisions du Conseil d’administration ne
s’étend pas jusqu’à ses débats. Le résumé succinct des
discussions qui est diffusé donne seulement un aperçu du
partage des voix des administrateurs et de la pondération
des opinions. On est loin des minutes circonstanciées
publiées par certaines banques centrales.
En effet, le débat sur la transparence est très
controversé. Il est lié aux modes d’action du Fonds qui
seront détaillés dans le prochain chapitre. En tant
qu’agence internationale guidant l’adaptation structurelle
des pays en développement, le FMI est le conseiller
confidentiel de certains pays. En revanche, en tant que
gestionnaire de crises financières globales, il est enclin à
favoriser la transparence pour mieux informer les marchés
et en espérer une meilleure autodiscipline. Ceux qui
pensent que le FMI doit se repositionner du premier
modèle sur le second sont en faveur de la transparence et
de la dissémination de l’information. On reconnaît la
doctrine anglo-saxonne dominante. D’autres mettent
l’accent sur l’avantage réciproque des relations politiques
privilégiées entre le FMI et les pays membres. Moins
persuadés des capacités autorégulatrices des marchés
financiers, ces responsables pensent que les imperfections
irréductibles dans le fonctionnement des marchés justifient
que les institutions officielles conservent un avantage
informationnel sur le contenu de leur propre action.
Le Fonds monétaire s’attache à faire de la surveillance
l’instrument principal de la réalisation de ses missions. Il
est actif au plan bilatéral et multilatéral parce que ces deux
dimensions du processus s’influencent réciproquement.
Toutefois leur implication réciproque laisse à désirer, car la
prise en compte des enseignements de la surveillance
multilatérale n’a pas été très opérationnelle dans les crises
des années 90. Selon une récente évaluation de l’activité de
surveillance par un groupe d’experts indépendants, la
surveillance bilatérale devrait être plus attentive aux
interdépendances et tirer plus de profit de la surveillance
multilatérale et de la confrontation des expériences
nationales61. Si la surveillance avait été moins atomisée,
peut-être le Fonds aurait-il mieux prévu les différentes
crises qui ont affecté le système monétaire et financier
international dans les années 90. Mais plusieurs facteurs
organisationnels entravent pour l’instant son adaptation :
la lourde et trop uniforme procédure de l’article IV, qui ne
discrimine pas assez clairement les pays selon leur
importance systémique, l’organisation par départements
géographiques et le mode de délibération du Conseil
d’administration, qui, compte tenu du nombre
d’administrateurs et de pays à examiner, interdit toute
discussion approfondie et fructueuse62.
Le cadre doctrinal et les compétences de ses experts
sont, à côté de l’organisation, un autre aspect déterminant
de la teneur des recommandations du Fonds. En effet, les
services ont élaboré, au fil des décennies, une véritable
doctrine économique. Celle-ci a pris d’autant plus
d’importance que, largement privé de sa fonction de
juridiction (puisqu’il n’est plus garant d’un système de
règles), le Fonds s’est trouvé face à un vaste champ
d’interprétation. Le département des études est ainsi
devenu un important foyer de réflexion : il analyse et met
en cohérence les résultats issus des diverses expériences
opérationnelles, il en élabore et en diffuse les
enseignements. Ses conclusions enrichissent à leur tour
l’évaluation des politiques nationales dans le cadre de la
surveillance et le contenu des programmes d’ajustement.
Elles donnent au suivi des ajustements son cadre
théorique.

II. L’évolution du modèle d’ajustement

Comme se plaît à le faire remarquer son initiateur, J.


Polak63, le modèle d’analyse des déséquilibres des
paiements est resté le même, dans ses grands principes,
depuis plusieurs décennies. D’où une certaine continuité
dans les prescriptions macroéconomiques. Cependant, les
transformations de l’environnement financier international
ont conduit à une adaptation des recommandations du
Fonds. Dans la période de Bretton Woods, en effet, la
nature de l’ajustement recherché dépendait du diagnostic
porté sur la source du déséquilibre de la balance des
paiements courants. Il fallait pouvoir distinguer entre un
déséquilibre temporaire et un déséquilibre fondamental
pour inciter les pays à prendre les mesures efficaces dans
leur situation. Le problème s’est poursuivi sous une autre
forme dans l’exercice de la surveillance après l’instauration
des changes flottants. Il faut savoir ce que sont les taux de
change d’équilibre pour détecter les distorsions dans le
système des taux de change déterminés sur les marchés.
Dans l’ajustement préconisé aux pays en développement
endettés pour leur permettre de retrouver une structure
financière soutenable après avoir subi une crise financière,
le diagnostic sur la nature de la crise est essentiel. Les
mesures efficaces de politique économique et le traitement
financier de la dette ne sont pas les mêmes selon qu’un
pays est victime d’une crise temporaire d’illiquidité ou
d’une crise profonde d’insolvabilité. Là encore, il s’agit de
la distinction entre déséquilibre transitoire et déséquilibre
fondamental de la balance des paiements, mais dans une
perspective intertemporelle (approche stock-flux) au lieu
d’être confinée à une période d’ajustement unique
(approche de flux exclusivement).

II.1. La base de la conditionnalité : l’approche


monétaire de la balance des paiements
Élaboré en 1957, le fameux « modèle de Polak » fonde les
préconisations du FMI. Ce modèle relève de l’approche
monétaire de la balance des paiements qui, dans la
tradition de la théorie quantitative de la monnaie, consiste
à attribuer la responsabilité d’un déficit des échanges
extérieurs à un excès d’émission monétaire. Il est encore
aujourd’hui central dans les prescriptions du Fonds, aux
yeux duquel cette permanence témoigne de la robustesse
du modèle. Les critiques du Fonds y voient plutôt la
reproduction d’un moule culturel par une structure
hiérarchique puissante et stable.
Selon cette approche, l’équilibre de la balance des
paiements s’interprète en termes monétaires. Il est le
résultat de l’équilibre sur le marché de la monnaie.
La demande de monnaie (Md) est ici supposée dépendre
du revenu nominal (P.Y), la vitesse de circulation de la
monnaie étant stable (k est l’inverse de la vitesse de
circulation de la monnaie) ;

Md = k. P. Y

L’offre de monnaie, analysée par les contreparties de la


masse monétaire, est égale à la somme du crédit à
l’économie C (crédit aux agents privés et crédit au Trésor
public) et des réserves extérieures R :

Mo = C + R

De l’équilibre sur le marché de la monnaie suit :

Md = Mo
k. P. Y = C + R
R = k. P. Y – C

Le modèle établit donc une relation décroissante entre le


crédit à l’économie et le niveau des réserves officielles,
moyennant trois hypothèses :
– l’économie est au plein emploi (Y est donné),
– il existe une fonction stable de demande de monnaie
par rapport au revenu (k est constant),
– les prix sont déterminés au niveau mondial (P est fixe).
La dernière équation montre alors qu’un déficit des
paiements résulte d’une émission excessive de crédit.
Dans cette version, la plus simple, le modèle envisage le
cas d’une petite économie ouverte à change fixe et au plein
emploi : le niveau de la production est donné et les prix
sont déterminés au niveau mondial. Une offre de crédit
excédentaire ne peut donc donner lieu, ni à un
accroissement de production, ni à une hausse des prix.
Cette offre conduit en effet à la détention d’encaisses
monétaires non désirées dont les agents ne peuvent se
défaire qu’en achetant des biens ou des titres à l’extérieur.
Elle se traduit donc directement par un déficit de la
balance des paiements. Celui-ci entraîne une diminution
des réserves extérieures, qui réduit l’offre totale de
monnaie jusqu’au moment où les encaisses liquides
retrouvent le niveau souhaité.
Une variante plus dynamique du modèle, dans laquelle
les niveaux de la production et des prix ne sont pas donnés,
aboutit au même résultat. L’augmentation des encaisses
liquides se traduit par une augmentation de la demande
d’actifs, aussi bien domestiques qu’étrangers. La part de la
demande qui se reporte vers l’extérieur réduit les réserves
en devises. Celle qui se tourne vers l’intérieur entraîne une
hausse des prix et de la production intérieurs. Il en résulte
une demande supplémentaire d’importations – liée aussi
bien au surcroît d’activité domestique qu’à la détérioration
de la compétitivité – , qui contribue elle aussi à la baisse
des réserves.
Quelles que soient les variantes et les perfectionnements
du modèle de base, le cœur de l’approche du FMI consiste
à voir dans l’excès de crédit intérieur la source majeure des
difficultés de balance des paiements. S’attaquer aux causes
d’un déséquilibre extérieur impose donc d’intervenir sur
l’offre interne de crédit, en récusant toute mesure de
contrôle quantitatif direct des paiements extérieurs. Tous
les accords de confirmation comportent une clause
standard énonçant notamment l’interdiction de recourir à
des mesures de contingentement des importations. Et
presque tous incluent des plafonds limitant l’expansion des
crédits à l’économie. La démarche du FMI consiste à fixer
un objectif en termes de réserves officielles, à en déduire
l’expansion du crédit compatible avec cet objectif, et donc
les plafonds à ne pas dépasser.
Si ce modèle d’ajustement met l’accent sur les
phénomènes monétaires, le Fonds s’est toujours défendu de
subir une inspiration strictement monétariste. En premier
lieu, le concepteur du modèle insiste sur les raisons
empiriques et pragmatiques qui ont présidé à son
élaboration et assuré sa pérennité : dans les pays
européens hier, et les pays en développement aujourd’hui,
les statistiques bancaires et commerciales sont les plus
facilement disponibles et les plus fiables. En outre, la
création de crédit est une variable que les gouvernements
semblent pouvoir facilement contrôler. Il est donc naturel
que le FMI ait privilégié cette approche.
En second lieu, cette conception, qui fait de l’offre
excédentaire de monnaie la cause du déficit extérieur, et
l’approche dite de l’absorption, qui attribue ce déficit à un
excès de demande globale de biens par rapport à l’offre
disponible, décrivent toutes deux le même déséquilibre
dans une économie sans marché de capitaux. À côté de la
politique monétaire qui contrôle l’expansion du crédit, la
politique budgétaire joue un rôle important à un double
titre : en tant que source d’une demande autonome
influençant la demande intérieure, et en tant que source
d’une offre de monnaie par la contrepartie monétaire du
déficit. La politique budgétaire intervient ainsi comme
pièce maîtresse, à la fois dans le cadre du contrôle de
l’expansion du crédit – le plafonnement des crédits à l’État
étant décisif dans presque tous les programmes
d’ajustement – et dans celui de la politique de régulation de
la demande, visant à contenir les importations.
D’ailleurs, l’objectif de maîtrise du crédit est
principalement poursuivi à travers des instruments
budgétaires. La plupart des PVD n’ont pas, en effet, les
instruments financiers qui leur permettraient d’atteindre
des objectifs monétaires en modulant la liquidité bancaire ;
en outre, le Fonds veut éviter l’effet d’éviction qui
résulterait d’un rationnement du financement du seul
secteur privé.
Ainsi, les programmes soutenus par le Fonds se sont
longtemps réduits à des mesures de diminution de la
demande intérieure. Cette diminution était considérée
comme la seule manière de rétablir rapidement l’équilibre
de la balance des paiements. Les critères de performance
essentiellement macroéconomiques retenus dans les
accords reflètent cette orientation : évolution du crédit
intérieur (crédits à l’État, au secteur public, aux autres
agents économiques), des emprunts extérieurs, etc.

L’esquisse d’une politique de l’offre

L’orientation de l’aide du Fonds vers les pays en


développement à partir des années 70 n’a pas
fondamentalement modifié les cadres de la conditionnalité.
L’approche monétaire de la balance des paiements en reste
le pilier théorique. Cependant, les programmes
d’ajustement se sont efforcés d’inclure non seulement des
mesures de contraction de la demande, mais également des
encouragements à la croissance de l’offre nationale, au
travers notamment d’une politique de change appropriée.
Ainsi, à côté de l’objectif traditionnel de rééquilibrage de
la balance des paiements, les programmes ont poursuivi un
objectif de stimulation de l’offre, favorisant une meilleure
utilisation et un développement des capacités productives.
La libéralisation des prix est ici le principal instrument.
Libéralisation, tout d’abord, des prix intérieurs et
notamment agricoles, afin d’améliorer l’allocation des
ressources et les perspectives de rendement des
agricultures nationales ; libéralisation du prix du capital,
afin que des taux d’intérêt réels positifs favorisent la
mobilisation de l’épargne nationale et le financement de
l’effort d’investissement privé ; enfin, libéralisation des
changes, afin d’encourager la substitution de la production
nationale à la production étrangère grâce à la dépréciation
du taux de change réel.
La politique de change a acquis ainsi un rôle de premier
plan. Entre 1963 et 1972, 32 % des programmes du Fonds
préconisaient l’utilisation de cet instrument, ils étaient 59
% entre 1973 et 1980, 82 % entre 1981 et 1983. À l’époque
de Bretton Woods, la dévaluation de la monnaie était
parfois une précondition de l’engagement du Fonds, quand
un déficit structurel de la balance courante dû à une
détérioration de la compétitivité avait été diagnostiqué. Le
Fonds préconisait même, pour les pays du Tiers Monde
sujets à une inflation chronique, une dose régulière de
dépréciation. Après la disparition du système de Bretton
Woods, le change devint encore plus nettement une
variable d’ajustement, et la conditionnalité évolua vers une
double prescription monétaire : d’une part, le
gouvernement, en accord avec le Fonds, fixait un plafond à
l’expansion des actifs domestiques de façon à réduire le
déficit des paiements via la limitation du crédit intérieur ;
d’autre part, il fixait un plancher aux réserves
internationales détenues par la banque centrale pour
défendre la parité de la monnaie. Le FMI entendait ainsi
préserver la compétitivité du taux de change, quelle que
soit l’évolution des niveaux de prix internationaux et
intérieurs. Bien plus, pendant les années 80, le passage au
« flottement pur » fut parfois une précondition imposée par
le FMI dans ses accords avec les pays lourdement
déficitaires.

II.2. L’échec de l’approche monétaire de la balance


des paiements face à la crise de la dette
II.2.1. La stratégie préconisée au début des années 80
Avec la crise de la dette, le mode d’ajustement préconisé
par le Fonds a été mis à l’épreuve d’une situation de crise
financière inédite par son extension et sa gravité. Le FMI a
joué un rôle de premier plan, non seulement comme maître
d’œuvre de l’ajustement des pays débiteurs, mais aussi
comme médiateur entre créanciers et débiteurs64. Il devait
trouver une solution qui évite, d’un côté, l’asphyxie des
pays débiteurs confrontés à une réduction des flux de
financement privé, de l’autre, la fragilisation des banques
internationales dont une partie des actifs étrangers risquait
de péricliter. La stratégie adoptée préconisait le
rééchelonnement de la dette, sans remise en cause de son
montant intégral, pour permettre aux débiteurs de payer
leurs intérêts et de protéger leur réputation. Cette
stratégie visait à faire face à ce qu’on avait d’abord
considéré comme une crise de liquidité aiguë, mais
transitoire. Dans ce contexte, les programmes d’ajustement
préconisés par le Fonds étaient centrés sur la stabilisation
de la demande intérieure pour permettre la reconstitution
des capacités de remboursement.
Ces programmes comportaient trois volets : le premier, et
le plus important, concernait la gestion de la demande,
avec la réduction des déséquilibres budgétaires et
monétaires ; le second, la gestion de l’offre, avec les
politiques de prix et notamment de change ; le troisième, la
gestion de la dette extérieure, par un contrôle étroit de son
niveau et de ses échéances.
Parce que la crise était attribuée à un excès de crédit,
elle devait pouvoir être surmontée par la limitation de ce
dernier. L’approche monétaire traditionnelle commandait
une politique restrictive. Parallèlement, une politique de
change compétitif visait à réaliser un excédent commercial
– un impératif pour ces pays lourdement endettés en
dollars qui voyaient se tarir les flux de capitaux étrangers.
Dans cette entreprise, l’objectif de reconstitution des
réserves et d’amélioration des ratios d’endettement était
prédominant. Il s’agissait d’engendrer suffisamment de
recettes en devises pour que les ratios dette/exportations et
service de la dette/exportations retrouvent des niveaux
soutenables. Les engagements financiers auprès des
créditeurs faisaient d’ailleurs partie des critères de
réalisation inclus dans les accords.
Ce modèle d’ajustement s’est révélé inadapté. Il était
fondé sur un diagnostic erroné : en effet, derrière la crise
de liquidité se dissimulait une crise de solvabilité.
Avec les rééchelonnements répétés du principal et les
consolidations des intérêts, le stock de dette a continué de
croître. Or les apports d’argent frais par les créditeurs
étaient invariablement inférieurs au service de la dette des
pays débiteurs. Aucune banque ne voulait plus prêter à un
pays lourdement endetté, en dehors des plans de
financement concerté. Ces derniers finirent par faire
obstacle au rétablissement de flux de capitaux normaux
vers les pays en développement les plus endettés. Ainsi, les
flux nets de capitaux privés vers les pays d’Amérique latine
ont-ils été négatifs de 1983 à 1989 (à l’exception de 1987).
Avec le temps, à mesure que les banques provisionnaient
leurs créances, il devint de plus en plus difficile de réunir
des tours de table pour des apports d’argent frais. Quant
aux moyens financiers du Fonds lui-même, ils n’étaient pas
adaptés à un engagement de long terme65. À partir de
1985-86 et jusqu’en 1990, les rachats ont dépassé les
tirages des pays membres.
Les pays lourdement endettés s’enlisant dans la crise
sans retrouver le chemin des marchés de capitaux, les
critiques adressées au FMI redoublèrent. Aux yeux des
opinions publiques de ces pays et des organisations non
gouvernementales, il faisait figure d’agent des créanciers,
soucieux avant tout du principe de remboursement intégral
de la dette et infligeant aux débiteurs une cure
standardisée, aux coûts disproportionnés par rapport aux
effets obtenus66.
L’approche monétaire, inspiratrice de ces programmes,
fut remise en question, car elle conduisait le Fonds à
s’appuyer trop exclusivement sur la compression de la
demande, à travers la réduction des dépenses publiques et
les augmentations d’impôts. Ces dernières
s’accompagnaient d’un fort creusement des inégalités,
alors que, parallèlement, l’impact sur le rééquilibrage de la
balance des paiements demeurait limité. Les mesures de
contraction budgétaire provoquaient une restriction des
investissements publics indispensables au développement
et à la rentabilité des investissements privés. La hausse des
taux d’intérêt n’entraînait pas l’augmentation escomptée
de l’épargne, car celle-ci était peu élastique au taux de
rémunération, le système financier n’offrant pas de
placements attractifs. Malgré les discours de la politique de
l’offre, les faiblesses et les rigidités structurelles de
l’économie n’étaient pas assez prises en compte. Ainsi, les
dévaluations n’engendraient pas les substitutions
attendues, car l’offre était peu élastique. Les fortes baisses
du taux de change renchérissaient les importations et
détérioraient les termes de l’échange.
En outre, des programmes similaires étaient juxtaposés
dans des pays souffrant des mêmes maux. Ainsi, des
dévaluations eurent lieu dans plusieurs pays d’Amérique
latine qui exportaient vers les mêmes marchés. Cette
approche, consistant à traiter les pays séparément, évitait
que les pays en crise ne reconnaissent et n’expriment leur
communauté d’intérêts vis-à-vis des banques, par exemple
en les menaçant d’un moratoire commun. Mais elle avait le
défaut d’inciter aux dévaluations compétitives. Les
surenchères dans la dépréciation des taux de change
alimentèrent des spirales inflationnistes qui s’enracinèrent
dans les systèmes de prix internes par de multiples
formules d’indexation.
La logique monétaire qui inspirait les programmes
d’ajustement fut donc mise en échec par l’apparition d’une
inflation dite inertielle, aggravée par la dépréciation
nominale des taux de change préconisée par le FMI. Or,
pour parvenir à un transfert réel de ressources vers
l’extérieur, il fallait modifier les prix relatifs internes afin de
prélever sur les agents intérieurs les revenus réels à
transférer aux créanciers internationaux – ce
qu’interdisaient pratiquement les formules d’indexation. Il
fallait aussi que ce prélèvement puisse conduire à la
formation de recettes en dollars, ce que les dévaluations
compétitives empêchaient en diminuant la valeur en dollars
des exportations nettes.

II.2.2. De la révision de la stratégie de la dette au


renouvellement du modèle d’ajustement
L’impasse des solutions adoptées en 1982 et la véritable
nature du problème – une crise durable de solvabilité – ne
furent reconnues qu’avec retard par le Fonds. À partir de
1985, les voix les plus critiques s’élevèrent des États-Unis.
Baker, le secrétaire d’État américain au Trésor comprit que
le transfert réel de ressources serait impossible sans
croissance soutenue des pays endettés, et que ceci n’était
compatible ni avec la charge de remboursement, ni avec les
programmes d’ajustement en vigueur. Il exhorta donc les
pays débiteurs à inscrire leurs ajustements dans des
réformes structurelles. Il demanda au FMI et à la Banque
mondiale de soutenir ces politiques dans la durée, en
accordant des crédits d’ajustement structurel. Dès lors, les
programmes prescrits par le Fonds prirent une nouvelle
orientation. Les réformes structurelles devaient relancer la
croissance, et le rôle du FMI ne se distinguait plus guère
de celui d’une agence de développement munie de facilités
financières.
La nouvelle doctrine fut affinée aussi sur le plan de la
technique de gestion de la dette, à la fin des années 80. En
effet, les banques commerciales ne reprirent pas «
spontanément » leurs crédits dans les proportions
escomptées par le plan Baker. De fin 1985 à 1988, les prêts
nets du secteur public aux pays impliqués dans le plan
Baker s’élevèrent à 15,7 milliards de dollars, ceux des
banques privées à seulement 12,8 milliards, accroissant
encore le mouvement de transfert du risque des créanciers
privés vers les créanciers publics. Déjà, différents schémas
de réduction de dette avaient été négociés directement
entre les pays débiteurs et les banques commerciales.
Certains contenaient l’annulation pure et simple d’une
partie du principal ou prévoyaient des opérations de
titrisation ou de rachat de dette. En 1988, les banques
avaient déjà diminué leurs engagements de 26 milliards de
dollars. À cette époque, le FMI encourageait les banques à
renoncer à une partie de leurs créances, sans toutefois
prendre position publiquement en faveur de la réduction de
la dette. Cependant, le principe du remboursement intégral
subissait déjà quelques infléchissements très controversés.
Le FMI commença à tolérer, de la part des pays « sous
programme », des retards de remboursement, notamment
envers les banques de dépôts. Il expérimentait ainsi la
première forme de « contribution du secteur privé » à la
résolution d’une crise financière.
Finalement, en mars 1989, le nouveau secrétaire
américain au Trésor Brady présenta un plan visant à
accélérer la réduction de la dette et ouvrant la voie à une
action concertée.

Encadré 2
LE PLAN BRADY
Les banques avaient le choix entre une série
d’options, préalablement arrêtées entre
l’emprunteur et un comité formé par les principaux
établissements créanciers. Les créances existantes
pouvaient être échangées contre des titres
négociables de moindre valeur faciale (conversion
avec décote), ou assorties d’un taux d’intérêt
prédéterminé, inférieur au taux du marché
(conversion sans décote). Le risque des nouveaux
actifs était réduit grâce à la garantie du principal
et/ou d’une partie des intérêts par des obligations «
zéro-coupon » du Trésor américain. La majorité de
ces Brady Bonds étaient libellés en dollars. Outre la
réduction de la valeur faciale et des intérêts,
l’allègement du poids de la dette passait aussi par
un allongement de la durée des emprunts. Les
périodes de remboursement des obligations
restantes ont été prolongées parfois jusqu’à 30 ans.
L’accord négocié en 1990 entre les autorités
mexicaines et les représentants de plus de 500
banques servit de modèle. Dans le cas du Mexique,
les banques choisirent d’échanger 49 % de leurs
prêts contre des discount bonds (titres à 30 ans
avec une décote de 35 % de la valeur faciale de la
dette, et servant un intérêt de 13/16e de point
supérieur au LIBOR), 41 % contre des par bonds
(titres à 30 ans à un taux inférieur au marché), et
pour les 10 % restant d’apporter de l’argent frais
contre l’émission de new money bonds, sans
collatéral. 48 milliards de dette commerciale à
moyen et long terme du Mexique furent ainsi
restructurés, permettant de réduire de plus d’un
quart le service de la dette.
Suivant cet exemple, une vingtaine de pays
s’engagèrent dans des plans de restructuration de
leur dette. Au total, environ 190 milliards de dette
commerciale à long terme furent restructurés, dont
30 à 35 % annulés.
Le FMI et la Banque mondiale étaient invités à
soutenir financièrement l’initiative en ouvrant des
crédits aux pays débiteurs qui acceptaient de
garantir la conversion de leur dette en obligations,
de manière à régulariser les cours de ces titres sur
les marchés secondaires. Ils fournirent ainsi 12
milliards chacun pour la sécurisation des nouveaux
titres, via le financement de comptes de
nantissement destinés à garantir le paiement du
principal et/ou d’une partie des intérêts des
nouvelles obligations. L’aide des institutions de
Bretton Woods pouvait aussi soutenir des
opérations de rachat de dette, ou reconstituer des
ressources pour le paiement futur des intérêts.
Surtout, le FMI s’assurait de la mise en œuvre par
le pays débiteur d’un programme d’ajustement et
de réforme, qui, combiné avec les opérations de
désendettement, lui permettrait de rétablir sa
position financière extérieure.
Graphique 1
Dette extérieure des principaux pays d’Amérique latine67

Source IIF

Le succès du plan Brady a montré que des pays encore


endettés pouvaient retrouver l’accès au marché
international des capitaux. L’émission de titres négociables
a élargi la base des investisseurs et augmenté la liquidité,
faisant du marché des Brady bonds le premier marché de
titres de dette pour les pays émergents. Les cessions de
créances ont permis aux banques de se désengager en
revendant avec décote leurs créances aux emprunteurs. En
effet, les banques qui avaient provisionné celles-ci avaient
maintenant intérêt à les céder : le ratio Cooke entrait en
vigueur et les économies occidentales étaient dans une
phase euphorique de spéculation immobilière, à laquelle
ces banques souhaitaient participer. Parallèlement, les
techniques de restructuration ont permis de faire intervenir
de nouvelles catégories d’investisseurs. Les dettes
bancaires avaient été échangées contre des titres
collatéralisés, qui pouvaient être achetés soit par des
investisseurs institutionnels sous forme d’investissements
de portefeuille, soit par des entreprises multinationales
pour financer des investissements directs (grâce à des
échanges de dettes contre actions, les debt/equity swaps).
La crise bancaire occidentale du début des années 90 et
la récession qui s’ensuivit fournirent une incitation
puissante à l’ouverture financière des pays en
développement. Les banques et les investisseurs
institutionnels espéraient y trouver la rentabilité élevée qui
leur faisait défaut sur leurs marchés habituels.

II.3. L’ajustement structurel


Le renouvellement de la stratégie de la dette s’est
accompagné d’une évolution des prescriptions des
organisations financières internationales aux pays en
développement. Tirant les leçons de cette « décennie
perdue » et des échecs récurrents des plans de stabilisation
macroéconomique, et considérant les possibilités de
financement offertes par le développement des marchés de
capitaux, les experts mirent l’accent sur l’ouverture
extérieure des économies et le démantèlement des
obstacles structurels au fonctionnement des marchés.
Jusque-là, la stabilisation macroéconomique était
considérée comme le préalable de la croissance. Le FMI
admet désormais que les réformes de structure
conditionnent, dans une certaine mesure, le rééquilibrage
de la position extérieure. Ce renversement de priorités ne
signifie pas l’abandon de l’approche monétaire de la
balance des paiements. Les politiques macroéconomiques
restrictives ont toujours la tâche centrale de rendre la
demande interne compatible avec une balance courante
viable, compte tenu des performances de l’économie et du
financement extérieur disponible. Mais si le développement
des capacités productives est limité par des obstacles
institutionnels et réglementaires, actionner quelques
leviers macroéconomiques ne saurait suffire. Le FMI
s’approprie ainsi les critiques « structuralistes » des
années 70, tout en les réinterprétant dans un sens très
libéral : le mauvais fonctionnement des marchés est
considéré comme le principal obstacle au développement.
Les réformes supposent donc un État moins
interventionniste dans les champs de la production, des
subventions, des contrôles des prix. Elles s’exercent dans
plusieurs domaines, avec partout le même but : augmenter
non seulement la production, mais également la
productivité, en déréglementant les marchés intérieurs et
en les ouvrant à la concurrence internationale, en
libéralisant l’offre et en améliorant les structures
d’incitation. Il s’agit ainsi de transformer en profondeur le
fonctionnement des économies en y introduisant une
rationalité nouvelle qui augmente le rendement du capital.
Parallèlement, le Fonds a pris appui sur le
développement de la globalisation financière pour
renouveler sa doctrine de l’ajustement. Dans les années 80,
les flux de capitaux en direction des pays endettés se
tarissant, le rééquilibrage de la balance des paiements ne
pouvait être obtenu que par la maîtrise du compte courant.
Mais par la suite, avec le rétablissement d’un accès aux
marchés des capitaux grâce à la titrisation de la dette, les
programmes d’ajustement ont mis l’accent non plus
seulement sur la balance courante, mais sur celle des
capitaux non monétaires. D’un ajustement par le haut de la
balance des paiements, on est passé à un ajustement par le
bas.
Les pays qui avaient regagné un accès aux marchés
financiers grâce au plan Brady (ou à la suite de la
disparition du rideau de fer) se sont engagés dans des
programmes inspirés de ce modèle d’ajustement «
structurel », orienté vers l’amélioration du fonctionnement
des marchés, et inspiré par ce qu’on a appelé à la fin des
années 80 le « consensus de Washington »68.
L’évolution des programmes d’ajustement s’est doublée
d’une collaboration plus étroite entre le FMI et l’autre
institution financière de Bretton Woods, la Banque
mondiale. Car l’ajustement structurel a rendu cette
collaboration indispensable. Toutefois la répartition des
rôles ne se fait pas sans heurts. Les deux institutions n’ont
pas la même approche de leurs relations avec les pays. La
Banque mondiale s’occupe d’investissements à long terme
dans des pays choisis en fonction de leur faible niveau de
développement. Elle s’efforce d’établir un partenariat avec
les gouvernements de ces pays. Le FMI a désormais une
couverture quasi-universelle. Il impose à ses membres de
respecter les contraintes de ses statuts et de se plier à
l’exercice de sa surveillance annuelle au titre de l’article IV.

Encadré 3

LE FMI ET LA BANQUE MONDIALE


Toutes deux issues de la Conférence de Bretton
Woods, les deux institutions financières
internationales sont proches par leurs membres
(l’adhésion au Fonds conditionne celle à la
Banque), par leurs structures de décision (elles
tiennent ensemble leur assemblée annuelle), par
l’implantation géographique de leur siège, établi à
Washington dans un proche voisinage. Mais elles
ont été créées pour des rôles bien distincts. Le
Fonds est avant tout chargé de la supervision des
politiques monétaires et des politiques de change,
et gardien d’un code de bonne conduite favorisant
un environnement monétaire stable. Il impose donc
à tous ses membres de se plier aux obligations
prévues par ses statuts (article IV et VIII
principalement). La Banque, elle, n’intervient qu’à
la demande des pays et sert un objectif de
promotion du développement. Cette différence de
vocation a des implications financières : le Fonds
est une institution coopérative, pourvu d’un fonds
commun de devises dans lequel il peut puiser pour
octroyer des aides temporaires au titre de la
balance des paiements, à l’appui de règles
mutuellement acceptées. Au contraire la Banque
est un intermédiaire financier, elle lève des
emprunts sur les marchés de capitaux pour
financer des projets d’investissement de long terme
dans des domaines variés (entre autres : les
infrastructures de transport et d’énergie,
l’agriculture et le développement rural, les services
sociaux de base). La Banque mondiale regroupe
différentes organisations de développement dont
les deux principales sont la Banque internationale
pour la reconstruction et le développement (BIRD)
et l’Association internationale pour le
développement (AID) qui prête à des conditions
préférentielles aux pays les plus pauvres. Le
groupe est implanté dans une quarantaine de pays
et emploie environ 7 000 personnes, soit plus de
trois fois les effectifs du Fonds.
À partir du début des années 80, la Banque a
commencé à soutenir des programmes de
restructuration générale de l’économie (ajustement
structurel) ou ciblés sur des secteurs spécifiques
(ajustement sectoriel), dont la réussite nécessitait
des conditions macroéconomiques stables. Le
Fonds a fait quant à lui le chemin inverse : il a pris
conscience que les déséquilibres
macroéconomiques tenaient à des causes
structurelles nécessitant des réformes
microéconomiques et sociales et s’est engagé dans
le soutien de programmes à moyen terme. D’où un
certain recouvrement de compétences qui a posé
des problèmes de double conditionnalité : rien ne
garantissait en effet que les recommandations des
deux institutions concordent et se renforcent
mutuellement.
La création par le Fonds, en 1986, d’une facilité
accordée sous condition de ressources, la Facilité
d’ajustement structurel (voir chapitre III, § III.1.2
et III.2.1. ou l’annexe 4), témoigne du besoin d’une
plus grande prise en compte de l’objectif de
croissance et de lutte contre la pauvreté dans les
programmes d’ajustement des pays les plus
pauvres. Elle entérine ainsi la convergence des
domaines d’intervention des deux organisations.
Leur collaboration en faveur des pays à bas
revenus s’organise alors officiellement puisque les
pays bénéficiaires de cette facilité (complétée puis
remplacée par la FAS Renforcée) doivent au
préalable préparer un document cadre de politique
économique avec l’aide des services des deux
organisations. Ce programme définit pour une
période de 3 ans les objectifs de la politique
économique, les besoins et les sources de
financement ainsi que les moyens d’ajustement
structurel. Il offre un cadre pour une action
conjointe et cohérente du Fonds et de la Banque et
témoigne de l’élargissement de la démarche
traditionnelle du FMI, tant du point de vue des
circuits de financement que de la conception de
l’ajustement.
Plus largement, pour limiter les contradictions
entre leurs recommandations (comme ce fut par
exemple le cas en Argentine en 1988, la Banque
ayant accordé son soutien à des conditions que le
Fonds ne jugeait pas satisfaisantes), un partage
général des responsabilités a été défini en 1989. Il
a été convenu que le Fonds examinerait
prioritairement les aspects globaux des politiques
économiques et la mise en œuvre des mesures
macroéconomiques, notamment en ce qui concerne
le budget, les prix, la monnaie et le crédit, les taux
d’intérêt et les taux de change. La Banque en
revanche se concentrerait sur les stratégies de
développement, les projets et les aspects sectoriels
(transport, énergie, commerce, agriculture). Cette
répartition des priorités organise une collaboration
qui revêt diverses formes : les services du Fonds
participent à des missions de la Banque et
réciproquement ; parfois leurs missions sont
organisées de manière à se dérouler en même
temps sur le terrain ; la conception et l’application
des programmes impliquent de nombreux contacts
au siège ; il est aussi d’usage qu’un représentant
d’une des institutions assiste au Conseil
d’administration de l’autre quand les délibérations
portent sur des pays où toutes deux sont engagées.
Certains secteurs, comme le secteur financier, sont
de plus en plus suivis par le Fonds et impliquent
une collaboration plus étroite encore. Les
spécialistes des deux institutions mettent en
commun leur expertise au sein du récent Financial
Sector Liaison Committee de la Banque et du
Fonds.
Cependant la concurrence entre les deux
administrations reste intense : leur collaboration ne
va donc pas sans tensions, accrocs, rivalités. Cette
concurrence institutionnelle se double de certaines
divergences idéologiques, nourries par les
différences culturelles entre les deux institutions. A
plusieurs reprises, le vice-président de la Banque,
Joseph Stiglitz, s’est désolidarisé publiquement des
pratiques de conditionnalité des institutions de
Bretton Woods et plus particulièrement de celle du
Fonds, contribuant à fissurer le consensus de
Washington. Ce désaccord l’a finalement conduit à
démissionner de ses fonctions en novembre 1999.

Ouverture commerciale, libéralisation financière,


rationalisation des finances publiques et privatisations sont
les principaux chapitres des réformes soutenues par le
Fonds.
Les programmes mettent un accent nouveau sur la
libéralisation des échanges et des paiements. Sur le plan
commercial, ils font parfois de l’élimination des restrictions
quantitatives aux importations un critère de performance.
Le FMI encourage également la mise en application de
l’article VIII de ses statuts sur la convertibilité en compte
courant. Dans les années 60 et 70, de nombreux pays en
développement restaient soumis aux arrangements
transitoires de l’article XIV prévoyant et autorisant les
restrictions sur les transactions courantes. De la création
de l’institution jusqu’en 1990, 35 PVD avaient accepté les
obligations de l’article VIII. De 1991 à 1996, 52 pays en
transition ou en développement les ont rejoints.
Si le Fonds encourage la libre convertibilité des
monnaies, ses recommandations en matière de politique de
change varient en fonction des objectifs assignés aux
programmes. Soit le taux de change continue d’être
considéré comme une variable d’ajustement, et il reste
alors flexible. Soit le pays est en mesure de soutenir un
programme suffisamment crédible, et le taux de change
peut être utilisé comme une contrainte d’ajustement
supplémentaire – il fait alors l’objet d’un mécanisme
d’ancrage nominal plus ou moins exigeant. Cette politique,
qui vise à accroître la crédibilité des mesures de
stabilisation et à importer de la désinflation, a été suivie
par la plupart des pays émergents, jusqu’aux crises
mexicaine et asiatique. Au début des années 90, sur 36
pays sous programme avec le Fonds, 15 utilisaient des
formes d’ancrage nominal69.
Les formules d’ancrage nominal s’accompagnent de
prescriptions en faveur de l’ouverture et de la libéralisation
financière, qui deviennent déterminantes dans les
programmes à partir du plan Brady. Bien que l’article VIII
s’applique uniquement à la convertibilité en compte
courant, celle-ci a été complétée, dans de nombreux pays,
par une levée des contrôles sur les mouvements de
capitaux. La libéralisation du compte de capital devient un
nouvel objectif que le Fonds cherche à faire inscrire dans
ses statuts. Il encourage parallèlement le développement
des marchés financiers dans les pays à revenu
intermédiaire et préconise des réformes du secteur
financier comprenant la libéralisation totale des taux
d’intérêt, avec abolition des taux bonifiés, la suppression
du contrôle quantitatif du crédit, ainsi que des
privatisations d’établissements financiers. Celles-ci
requièrent parfois une recapitalisation des banques et une
restructuration de leurs portefeuilles, grevés par des
créances douteuses.
Par ailleurs, la discipline budgétaire reste un thème
majeur des programmes d’ajustement, mais, au delà du
contrôle des agrégats, elle se double d’une attention accrue
pour l’amélioration de la fiscalité et de la qualité des
dépenses publiques. Côté recettes, le Fonds peut
préconiser une réforme de la fiscalité afin de permettre une
meilleure allocation des ressources et de faciliter la levée
de l’impôt. Côté dépenses, il négocie non seulement un
plafond total de dépenses publiques, mais entre un peu
plus dans le détail de certaines dépenses (bien que le suivi
des dépenses publiques incombe traditionnellement
davantage à la Banque mondiale). Il entend ainsi lutter
contre la tendance naturelle des gouvernements à
commencer par couper les dépenses d’investissement avant
celles de fonctionnement. En s’intéressant davantage à la
composition et à la qualité des dépenses publiques, il
s’efforce de faire baisser celles qui sont improductives
(comme les dépenses militaires) et de préserver les
investissements en infrastructures, les dépenses
d’éducation et les dépenses sociales.
Outre les liquidations d’entreprises publiques
inefficientes et les privatisations, le Fonds encourage les
restructurations financières et managériales des
entreprises publiques (contractualisation des liens avec
l’État, révision de politiques tarifaires, etc.)
Le FMI recommande enfin d’assouplir les
réglementations qui limitent la mobilité de la main
d’œuvre. Il est particulièrement attentif aux règles
d’indexation des salaires, qui enracinent l’inflation dans les
pratiques salariales et rendent plus difficile l’ajustement
aux chocs externes. Ce mouvement de libéralisation du
marché du travail s’accompagne d’une attention nouvelle
aux effets des programmes sur la distribution des revenus.
Traditionnellement considérée comme extérieure à son
champ de compétence, la lutte contre la pauvreté entre
dans le discours du Fonds, dont les programmes peuvent
comporter désormais des volets sociaux visant à protéger
les groupes les plus fragiles.
À partir d’une base commune, le dosage des différents
instruments varie selon les situations spécifiques à chaque
pays. Nous laisserons de côté ici les programmes
préconisés par le Fonds dans les pays les moins avancés70,
pour nous concentrer sur les pays dits « émergents » dont
la stratégie d’ajustement prend appui sur l’intégration
financière internationale. Parmi ces pays, les économies en
transition exigent un traitement particulier. La transition
vers l’économie de marché et la globalisation financière
auront été les deux expériences majeures, mais aussi les
deux épreuves critiques, des prescriptions fondées sur le
consensus de Washington.

III. Le consensus de Washington à l’épreuve

III.1. L’épreuve de la transition


Le rôle des institutions financières internationales (les
institutions de Bretton Woods, mais aussi la plus récente
Banque européenne de reconstruction et de
développement) dans la transition des économies
socialistes vers le marché a été considérable. Avec leur
soutien technique et financier, les pays de l’Est ont non
seulement opéré une stabilisation macroéconomique
délicate, mais surtout lancé des réformes structurelles
profondes, visant à créer de toutes pièces les bases d’une
économie de marché. Le « consensus de Washington » a
rempli, dans ces pays, le vide idéologique énorme créé par
la faillite du modèle soviétique. Leur expérience a donc
constitué, pour ce corps de doctrine, un laboratoire
incomparable.
La plupart des pays du bloc soviétique avaient quitté le
FMI dans les années 50, à l’exception de la Yougoslavie. La
Roumanie l’avait rejoint depuis 1972, puis certains pays
satellites qui remirent en cause la planification centrale
dans les années 80 (la Hongrie en 1982, la Pologne en
1986). Mais la vague d’adhésions massives date du début
des années 90, les pays satellites précédant de peu la
quinzaine d’États issus de la désintégration de l’URSS
(Russie, pays baltes, Ukraine et autres). Le FMI a ainsi
gagné 23 membres au total, l’accroissement le plus
important depuis les années 5 071. À ces deux vagues
d’adhésion correspondent deux vagues d’accords : l’une
autour de 1991-1993 avec les pays d’Europe centrale et
orientale, puis une autre avec les pays de l’ex-URSS.
L’intervention du FMI dans ces pays était justifiée par
l’ampleur de leurs déséquilibres et de leur dette extérieure,
que l’instabilité monétaire et l’effondrement des réseaux
d’échanges commerciaux risquaient d’aggraver plus
encore. Dix ans après le début du processus de transition,
la distinction de deux groupes de pays à la réussite très
contrastée est en passe d’être sanctionnée par le rythme du
processus d’intégration européenne.
D’un côté, les pays les plus avancés (Pologne, Hongrie,
Républiques tchèque et slovaque, Croatie, Slovénie, pays
baltes) ont réduit drastique-ment leurs déséquilibres
extérieurs. La plupart, ayant retrouvé un accès aux
marchés de capitaux, ont cessé de faire appel à des sources
de financement officiel. Ils sont venus rapidement à bout
d’une inflation qui, réprimée pendant des années, avait
brusquement flambé avec la libéralisation des prix.
Parallèlement, ils sont parvenus à maintenir des régimes de
change ordonnés, souvent grâce à l’ancrage à une devise
ou à un panier de devises étrangères. Enfin, ils ont
surmonté l’effondrement de leurs échanges extérieurs à la
suite de la dislocation du Conseil d’aide économique
mutuelle, ont libéralisé leurs échanges et noué de
nouveaux accords commerciaux, en vue d’une adhésion
prochaine à l’Union européenne. Ils ont profondément
recomposé la structure de leur commerce extérieur, en
termes de produits comme de partenaires, notamment
grâce à une forte importation de capital et de technologie
étrangers.
Au contraire, les pays les moins avancés dans cette
transition (ceux d’Europe méridionale et la plus grande
partie de l’ex-URSS) sont encore aux prises avec de grosses
difficultés de paiements et connaissent une situation
extérieure souvent très précaire : leurs réserves sont
faibles, et le service de leur dette antérieure ou plus
récente (alors souvent en devises) reste un lourd fardeau,
d’autant qu’ils n’ont qu’un accès limité aux marchés
internationaux de capitaux – sauf à supporter des primes
de risque considérables. Certains ont connu une période
d’hyperinflation dont l’héritage a largement miné les
leviers de la politique monétaire et partiellement
démonétisé les économies. Leurs régimes de change sont
fragiles, qu’ils aient opté pour un ancrage nominal ou pour
plus de flexibilité. Enfin, leurs échanges extérieurs restent
entravés par les obstacles non tarifaires et les conflits
commerciaux.
Ces difficultés ont conduit à un engagement prolongé et
croissant du FMI (voir graphique 2). L’action de ce dernier
en Russie, devenue en quelques années un de ses
principaux « clients », constitue sans doute le plus
retentissant échec jamais enregistré dans l’histoire de
l’institution. Une récession extrêmement profonde (perte
de 44 % du PIB entre 1990 et 1998) s’est accompagnée
d’un accroissement spectaculaire de la pauvreté, tandis
que les biens de l’État étaient privatisés au profit d’un petit
groupe, dont les intérêts bloquent aujourd’hui la poursuite
du processus de réforme. Comme le reconnaissait Michel
Camdessus quelques mois avant son départ, « nous n’avons
pas vu que le démantèlement de l’appareil communiste
était le démantèlement de l’État. Nous avons contribué à
créer un désert institutionnel dans une culture du
mensonge, de l’économie souterraine, de la prise
d’avantages héritée du communisme »72.
Graphique 2
Aide financière du FMI aux pays en transition

Il ne peut être question ici de décrire et de discuter


l’impact des programmes prescrits par le FMI sur les
différents pays en transition. Ceux-ci différaient déjà par
leur situation économique et politique de départ. Certains,
où le processus de réforme jouissait d’un fort soutien
populaire, avaient déjà tenté de transformer leur système
de gestion économique en décentralisant graduellement le
pouvoir de décision au niveau des entreprises et en rendant
plus flexibles les systèmes d’allocation centrale des
marchandises et des financements. L’expérience de la
transition a encore accru les écarts. Elle représente
cependant une mise à l’épreuve sans précédent des
préconisations de politique économique du consensus de
Washington. L’opinion de certains observateurs, dont le
moins critique n’est pas l’ancien vice-président et chief
economist de la Banque mondiale, J. Stiglitz, est que
l’échec enregistré notamment en Russie témoigne d’une
incompréhension des fondements d’une économie de
marché et de la conduite des processus de réforme73.
Les programmes soutenus par le FMI au début du
processus de transition reflétaient plutôt une préférence
pour ce qu’on a appelé le « Big Bang », ou la « thérapie de
choc », c’est-à-dire le remplacement, en une seule vague de
réformes, du système de planification centralisée par une
économie de marché. Ces programmes prévoyaient ainsi la
libéralisation rapide des marchés et du commerce, avec la
suppression du contrôle des prix et des barrières
commerciales. La liberté des prix intérieurs devait produire
un ajustement des prix relatifs reflétant la demande et les
véritables coûts de production, et donc capables de fournir
de bons signaux aux producteurs. En outre, l’ouverture
extérieure et la convertibilité en compte courant des
monnaies (accomplie en moins d’un an, alors qu’il fallut
plus de dix ans aux pays d’Europe occidentale pour la
rétablir au lendemain de la guerre) favorisaient
l’ajustement des prix internes aux prix mondiaux.
L’ouverture du marché intérieur constituait un levier
crucial de la politique de libéralisation économique,
l’objectif étant d’introduire la concurrence dans des
économies aux structures industrielles très concentrées.
Cette double libéralisation intérieure et extérieure devait
s’accompagner d’un important effort de stabilisation
monétaire et budgétaire afin d’enrayer l’inflation. Enfin, il
fallait mettre fin au plus vite au système de planification
centralisée et désengager l’État du système productif par
un programme de privatisations rapide. En l’absence de
sources de richesse privée, différentes options furent
envisagées. En plus de la vente d’actifs à l’étranger, la
large distribution à la population de bons d’achat d’actions
fut encouragée par le Fonds, comme une méthode rapide et
« démocratique » de privatisation. L’essentiel était de
séparer rapidement l’État des entreprises, à charge pour le
marché de réallouer efficacement les actifs privatisés.
Il allait cependant rapidement apparaître que le
démantèlement de l’ancien système ne suffisait pas à en
créer un nouveau. L’explosion des prix – résultant de l’excès
de liquidités accumulées, mais aussi de la situation
monopolistique de nombreuses entreprises et de la forte
dépréciation des monnaies récemment convertibles –
dépassa toutes les prévisions. De même, l’ampleur de
l’effondrement de la production industrielle, à la suite de la
désintégration des circuits traditionnels de décision, ne fut
pas anticipée.
Cette récession brutale a nourri les débats opposant les
partisans du Big Bang à ceux d’une approche plus
gradualiste. Si la thérapie de choc semblait justifiée par le
souci politique d’éviter tout retour en arrière, elle reposait
sur une confiance excessive dans la rapidité et
l’automaticité des transformations structurelles. Or la
libéralisation ne suffit pas à faire naître les conditions
positives de la création de richesse. Pour fonctionner, une
économie de marché ne requiert pas seulement une
définition claire des droits de propriété et une bonne
matrice des prix – les signaux de prix sont loin d’épuiser
toute l’information qui oriente les structures de l’économie.
Autrement dit, la création de richesse ne repose pas
seulement sur des incitations économiques au sens strict,
mais aussi sur des conditions institutionnelles, des
compétences entrepreneuriales et des normes sociales
favorables – tout un apprentissage dont les partisans de la
thérapie de choc avaient sous-estimé la complexité et la
longueur74.
Les partisans du gradualisme attirent plus précisément
l’attention sur l’articulation délicate entre l’ajustement
macroéconomique, les réformes microéconomiques et le
cadre institutionnel. En l’absence de réformes
structurelles, les canaux de transmission de la politique
économique sont incertains, ce qui compromet la priorité
accordée à la stabilisation macroéconomique. Politiques
budgétaire et monétaire sont en effet largement endogènes
dans un contexte de transition. Ainsi, le démantèlement des
anciens circuits financiers entre l’État et les entreprises a
considérablement réduit les revenus publics, en l’absence
de système de collecte des impôts. Les déficits budgétaires
ont donc largement dérivé. Par ailleurs, la transmission des
politiques monétaires a été entravée par la faiblesse du
secteur bancaire et financier.
Sous-capitalisées, fragilisées par le poids des prêts non
performants, les banques n’ont pas joué leur double
fonction de renforcement de la discipline financière et de
financement des entreprises de qualité. Les crises
bancaires n’ont souvent été évitées qu’au prix de transferts
publics et d’opérations de capitalisation par les autorités,
malgré de nombreuses restructurations du portefeuille des
banques (leurs créances douteuses étaient soit héritées du
passé, soit le fruit d’une politique trop laxiste de création
de nouvelles banques au début de la transition). Au total,
les entreprises privées ont subi un rationnement du crédit,
renforcé par une forte éviction au profit du secteur public.
Les petites entreprises dynamiques ont été conduites à
s’appuyer surtout sur l’autofinancement, du fait de
l’étroitesse, voire de l’inexistence, des marchés de
capitaux.
La politique monétaire s’est ainsi trouvée privée de ses
canaux habituels de transmission. En outre, la conjonction
d’une politique monétaire et d’une politique budgétaire
restrictives, en élevant le niveau des taux d’intérêt, a pu
contribuer à alimenter un phénomène de sélection adverse
: les « bons risques » auraient été chassés du système de
crédit, comme la corrélation entre le niveau des crédits
inter-entreprises et celui des taux d’intérêt semble
l’attester. Dans les cas les plus extrêmes, le délabrement du
secteur bancaire s’est traduit par une démonétisation
partielle de l’économie.
En ce qui concerne les privatisations, les réformateurs
ont eu tendance à confondre la fin et les moyens,
restructuration et privatisation. La définition des droits de
propriété n’a pas suffi à créer une structure d’incitation
propice aux restructurations et à l’amélioration des
performances des entreprises. L’impact du mode de
privatisation sur la gouvernance d’entreprise et les
relations d’agence75 a été sous-estimé. La solution des bons
d’achat d’actions, utilisée notamment en République
tchèque pour favoriser une privatisation de masse rapide, a
abouti à une dispersion du capital peu propice au contrôle
des actionnaires, problème dont la création de fonds
d’investissement n’est pas venue à bout. Des solutions
beaucoup moins légitimes ont été tolérées en Russie,
débouchant sur la cannibalisation des actifs de l’État par
une oligarchie d’anciens responsables communistes. Au
total, l’espoir que les privatisations conduiraient à des
restructurations par le marché a été déçu. En outre, les
groupes d’intérêt issus de la privatisation des grands
monopoles bloquent désormais la poursuite du processus
de réforme vers la création d’un marché compétitif. Ainsi,
la destruction des anciennes institutions et normes sociales
a parfois laissé libre cours à la corruption et aux
comportements opportunistes. La contraction du rôle de
l’État a paradoxalement ralenti la mise en place des règles
du jeu et des institutions nécessaires au bon
fonctionnement du secteur privé.
Au total, les détracteurs du FMI lui reprochent d’avoir
appliqué aux économies en transition ce que Stiglitz
appelle une « économie de manuel », c’est-à-dire un
programme étroitement inspiré du modèle néoclassique
traditionnel. Méconnaissant la spécificité du processus de
transition, il aurait ainsi négligé les problèmes
d’information, notamment en matière de gouvernance
d’entreprise, l’importance du capital physique, humain et
organisationnel, le rôle de l’infrastructure institutionnelle
et légale dans les économies de marché et, enfin, les
processus politiques complexes à l’œuvre durant les
réformes.
Pourtant, l’expérience de la transition a contribué à
élargir la conception des réformes structurelles
préconisées par le FMI. Il insiste désormais sur
l’importance d’une « seconde génération » de réformes,
portant sur le développement des institutions publiques et
privées indispensables au bon fonctionnement d’une
économie de marché : renforcement du cadre légal de
l’activité économique (institution du droit de faillite, etc.),
renforcement de l’État, notamment dans le domaine fiscal
(avec la création de systèmes fiscaux prévisibles et
transparents et de mécanismes de collecte de l’impôt plus
efficaces), santé du secteur financier, structures de
gouvernance de l’économie.
On peut d’ailleurs se demander s’il est légitime d’imputer
l’échec du FMI en Russie à la seule inadéquation de sa
doctrine, sans tenir compte de la disproportion entre la
tâche à accomplir et son mandat. Un processus de réforme
d’une telle ampleur aurait demandé à la fois une adhésion
des nouveaux dirigeants et des élites dans les pays
concernés ainsi qu’une impulsion et une implication
politique et financière plus importante de la part des
grandes puissances. Ne tirant sa légitimité que de son
expertise, le FMI ne pouvait assister qu’en spectateur
passif aux débats internes et au climat politique instable de
la Russie. Au-delà des enjeux théoriques, le rôle du FMI
dans ce pays aiguise les problèmes de la légitimité et de la
responsabilité politique du Fonds.

III.2. L’épreuve de la globalisation financière pour les


pays émergents
Au-delà de l’expérience spécifique de la transition, le FMI
a joué un rôle plus général en favorisant l’intégration des
économies émergentes dans le processus de globalisation
financière.
La libéralisation des mouvements de capitaux a été, nous
l’avons dit, un levier majeur des réformes préconisées par
le Fonds. Elle a fourni un puissant incitatif à la réforme des
marchés financiers, et plus généralement aux réformes de
structure visant à établir des marchés concurrentiels. Le
pari était ainsi de transformer les structures mêmes de
l’économie d’un pays par l’ouverture et la libéralisation.
L’appel à l’épargne étrangère permettait de soutenir
l’investissement, tandis que l’ouverture commerciale et
l’ancrage nominal du change devaient susciter des gains de
productivité. Cette nouvelle stratégie a favorisé des entrées
massives de capitaux. La levée des contrôles sur le compte
de capital, la libéralisation des marchés financiers et le
développement de nouveaux instruments créaient les
conditions de cet afflux, tandis que l’ancrage nominal,
considéré comme un gage de stabilité financière, donnait
confiance aux investisseurs. Si l’on en juge par
l’accroissement des flux de capitaux à partir de 1990
(graphique 3), cette stratégie fut un succès considérable.

III.2.1. Une libéralisation financière désordonnée


Parmi les réformes de structure entreprises dans les pays
émergents, la libéralisation des systèmes financiers fut
privilégiée. La « répression financière » était supposée
décourager l’épargne interne. Ceci était loin d’être évident
en Asie, mais l’était davantage pour les pays latino-
américains, où effectivement l’épargne était faible. De plus,
on estimait que la répression financière rendait précaire le
financement des balances de paiements : la faible diversité
et la rigidité des supports d’investissements financiers
attiraient plutôt les capitaux volatils que les capitaux
stables.
Graphique 3
Flux nets de capitaux vers les pays émergents

À la fin des années 80, l’engouement pour la libération


financière se recommanda d’arguments microéconomiques
: elle devait entraîner une redistribution des droits de
propriété capable d’anéantir les rentes enkystées dans les
structures économiques. Elle permettait d’étendre les
règles de la concurrence dans l’économie réelle à des
marchés jusqu’alors protégés ; d’où le nom de marchés
émergents donné à ceux des pays qui s’engageaient dans
ces réformes.
Au Mexique, par exemple, le programme entrepris sous
l’égide du FMI à partir de 1989 incluait une importante
réforme du secteur financier : libéralisation des taux
prêteurs et emprunteurs, abolition de l’encadrement du
crédit, suppression des réserves obligatoires. Cependant,
cette réforme dissimulait un certain nombre de faiblesses :
les privatisations avaient été hâtives, sans sélection
attentive des actionnaires et des dirigeants, avec une
capitalisation insuffisante et insuffisamment réglementée ;
en outre, la concurrence était limitée par les restrictions à
l’établissement des banques étrangères ; sur le plan du
contrôle interne, les pratiques comptables n’étaient pas
conformes aux normes internationales ; enfin, étant donnée
la quasi-absence de réglementation prudentielle, la
surveillance exercée par les autorités monétaires était très
insuffisante.
Cette libéralisation, combinée à d’importantes entrées de
capitaux – entre 1990 et 1993, le Mexique a enregistré plus
de 90 milliards de dollars d’entrées nettes, soit près de 20
% du total des flux à destination des PVD – a encouragé une
énorme croissance du crédit au secteur privé : de fin 1988
à novembre 1994, le crédit des banques commerciales
locales au secteur privé a crû en moyenne de 25 % par an –
les crédits en dollars croissant plus fortement que ceux en
pesos. Or l’augmentation de l’exposition des banques au
risque de change est allée de pair avec la diminution de la
qualité de leur portefeuille.
Plus généralement, la levée des contrôles sur les
mouvements de capitaux ne s’est pas accompagnée d’un
renforcement des structures financières. Or, plus les
systèmes bancaires sont fragiles, plus ils sont exposés aux
effets de contagion internationale liés à la volatilité des
mouvements de capitaux et des prix d’actifs, plus ils font
obstacle à des réactions rapides et énergiques de la part
des autorités monétaires. Les systèmes bancaires des
économies émergentes se caractérisaient par une
insuffisante diversification des risques, la mauvaise qualité
de l’évaluation des actifs, l’absence de suivi des débiteurs,
la très forte concentration des prêts dans les secteurs
sensibles aux cycles, l’exposition excessive aux risques de
changes et de taux d’intérêt, ainsi que des opérations hors
bilan dont ni le montant ni la nature n’était connus ; enfin
la supervision prudentielle était quasi absente.
Dans les économies d’Amérique latine, la fragilité
financière est accrue par la dollarisation76. Cette
substitution trouve un terrain favorable dans des systèmes
financiers peu développés, offrant peu de moyens de
protection des patrimoines, mais en même temps
totalement dépourvus de contrôle des changes. Les pays
d’Amérique latine ont accepté la dollarisation comme prix à
payer pour freiner la fuite des capitaux vers l’étranger et
permettre le développement de l’intermédiation financière
nationale. Mais, dans le même temps, ce phénomène
expose le système financier, et l’approvisionnement en
liquidités de l’économie toute entière, à un risque
supplémentaire : le transfert massif et précipité à
l’étranger des dollars déposés dans le système financier
national.

III.2.2. Des risques aggravés par la stratégie d’ancrage


nominal
Dans un contexte d’ouverture financière accélérée et en
l’absence de marchés et de systèmes financiers
suffisamment développés, le choix d’un régime de change
est très délicat. La mobilité croissante des capitaux rend
difficile la survie de régimes de parités fixes. Mais
inversement, laisser totalement la détermination du change
aux forces du marché n’est pas viable lorsque les marchés
financiers nationaux sont étroits, très incomplets, peu
transparents, et que quelques grosses transactions peuvent
entraîner une importante volatilité du taux de change. Une
gestion active du change est alors indispensable pour
guider le marché. Aussi, de nombreux pays émergents, en
Europe de l’Est, en Amérique latine, en Asie, ont-ils fait le
choix de formules plus ou moins strictes d’ancrage nominal
du change77. Ces formules peuvent aller du currency board
(voir encadré 5) à une flexibilité limitée par rapport à la
monnaie ou au panier d’ancrage : régime de change fixe
traditionnel avec ou sans bandes de fluctuation, parités
mobiles (crawling peg) ou bandes de fluctuation mobiles
(crawling bands), pourvu que la trajectoire du taux de
change soit préalablement fixée. Le choix de l’ancre peut
être influencé par des raisons principalement historiques
(zone franc), commerciales (panier des monnaies des
principaux pays partenaires) ou plutôt financières (dollar).

Encadré 4

ÉVOLUTION DES RÉGIMES DE CHANGE


DES PVD

Régimes de change des pays en développement


(en % du nombre total des pays)

Source : FMI.

Le mouvement majeur depuis 1976 est le recul


des parités fixes. En 1976, 86 % des PVD avaient
un régime de taux de change fixe. Malgré le
principe du libre choix posé par l’accord de la
Jamaïque, la plupart des PVD ont continué de lier
leur taux de change à une grande monnaie, le plus
souvent le dollar ou le franc. Le changement ne
s’est opéré que progressivement. Une des raisons
pour lesquelles la plupart des PVD étaient encore
en changes fixes dix ans plus tard est liée aux
restrictions imposées à la convertibilité de leur
monnaie. Le flottement n’est une option praticable
que pour les monnaies convertibles, au moins en
compte courant. Si ce n’est pas le cas, la fixation
d’une parité, même implicite, par rapport à une
devise étrangère est indispensable. Les progrès de
la convertibilité s’accompagnent donc d’un
mouvement vers plus de flexibilité du change.
Jusqu’au dernier rapport annuel, les catégories
très larges utilisées pour la déclaration des régimes
de change « officiels » au FMI ne permettaient pas
de définir avec précision le régime de change
effectif des pays membres. Le « flottement dirigé »
recouvre le plus souvent des régimes d’ancrage
nominal, notamment des crawling pegs avec
trajectoire annoncée. Le tableau 1 décrit les
régimes de change des principaux pays émergents
durant la décennie.

Régimes de change dans les principaux pays


émergents dans les années 90

Régimes de Accord(s)
Pays
change avec le FMI
Afrique du Flottement

Sud indépendant.
Argentine currency board Ininterrompu
depuis 1991. jusqu’en
1997
Brésil Flottement Depuis 1998
indépendant – puis
crawling peg à
partir de 1994,
élargissement de la
bande de fluctuation
entre 1995 et 1997.
Retour au
flottement
indépendant en
janvier 1999.
Bulgarie Flottement contrôlé 1991-1994
jusqu’en juillet puis 1996-
1997, puis currency 1999
board.
Chili Flottement contrôlé
: crawling band
sans trajectoire
prédéterminée

(référence panier)
et bandes de
fluctuation (de ± 3
% à ± 12,5 %).
Chine Unification du taux
de change en 1994
et flottement

contrôlé (référence
dollar) : ancrage de
fait.
Colombie Flottement contrôlé –
: crawling band
avec trajectoire
prédéterminée
(référence dollar) et
bandes de
fluctuation de ± 7
%.
Corée du Flottement contrôlé Depuis 1997
Sud : bande horizontale
(référence dollar)
étroite par rapport à
la moyenne des
cours de la veille.
Flottement
indépendant
depuis 1997.
Hong Currency board.

Kong
Hongrie Ancrage panier Jusqu’en
(euro majoritaire) – 1993
crawling peg à
partir de 1995.
Inde Flottement 1991-1993
indépendant.
Israël Bande horizontale 1992
(part rapport à un
panier), puis
crawling band à
partir de 1992, avec
élargissement
progressif des
bandes de
fluctuation (jusqu’à
± 15° %).
Indonésie Crawling peg, puis Depuis 1997
crawling band à
partir de 1994.
Flottement
indépendant
depuis août 1997.
Malaisie Flottement dirigé
(référence panier)
sans annonce

préalable de la
trajectoire du taux
de change.
Mexique Crawling peg puis Jusqu’en
flottement 1992 puis
indépendant à 1995, puis
partir de décembre 1999
1994.
Philippines Flottement 1991-1994,
indépendant, depuis 1997
ancrage de fait
(référence dollar) à
partir de 1995.
Pologne Crawling peg, puis 1990-1991
crawling band à puis 1994
partir de 1995.
Réduction
progressive de
l’ajustement du taux
central mobile et
élargissement des
bandes de
fluctuation.
Russie Bande horizontale, 1992-1999
puis, à partir de
1996, crawling band
avec bandes étroites
et ajustement
fréquent du taux
central mobile ; puis
flottement dirigé
sans annonce
préalable de la
trajectoire du
change.
Rép. Parité fixe par 1991-1993
tchèque rapport à un panier
(avec bande de
fluctuation) jusqu’en
mai 1997, puis
flottement dirigé.
Thaïlande Flottement contrôlé Depuis 1997
: bande horizontale
étroite par rapport
au cours central de
la veille (référence
dollar). Flottement
indépendant
depuis juillet 1997.
Venezuela Flottement dirigé, 1989-1991
puis taux de change puis 1996.
fixe entre juillet
1994 et avril 1996.
Retour au
flottement dirigé
puis crawling band
à partir de juillet
1996.

Le FMI s’est rallié à ces stratégies d’ancrage dans les


pays émergents les plus avancés. Dans plusieurs cas, il en a
même fait une précondition de son soutien financier. Le
Fonds passait ainsi de la conception, qui prévalait depuis la
fin des années 70, du change comme variable d’ajustement
à son utilisation comme contrainte, au service de la
crédibilité des réformes structurelles entreprises. Dans les
pays ayant souffert d’hyperinflation, l’adoption d’un régime
de change stable fut une des pièces maîtresses de la
politique de désinflation. Le choix d’une règle de change
stricte permettait de casser les anticipations inflationnistes
et de stabiliser les prix des biens échangeables. Les
autorités acceptaient ainsi de perdre l’autonomie de leur
politique monétaire pour renforcer la crédibilité du
processus de désinflation et accélérer la libéralisation de
l’économie78.
L’ancrage des parités ne suffit cependant pas à abolir les
aléas liés à la mobilité des capitaux. S’il minimise le risque
des investisseurs étrangers, il fait supporter l’assurance de
ce risque par le pays. En effet, une règle d’ancrage
n’assure un gain de crédibilité au processus de
libéralisation qu’aussi longtemps que la politique
économique privilégie effectivement les objectifs externes
par rapport aux objectifs internes, et que les marchés
conservent leur confiance dans la capacité du
gouvernement à maintenir la règle de change. Les autorités
sont ainsi placées devant un arbitrage difficile, d’autant
que les entrées massives de capitaux sur les marchés
émergents exercent une pression à la hausse du change.
Pour maintenir l’ancrage sans laisser la masse monétaire
s’accroître et l’inflation se développer, les banques
centrales s’efforcent de stériliser les entrées de capitaux
par des opérations d’open market. Mais de telles
opérations n’ont qu’une efficacité temporaire. Quand la
tension entre stabilité du taux de change et maîtrise de
l’inflation devient trop forte, elle fragilise la confiance des
investisseurs étrangers, le sentiment de marché peut se
retourner, entraînant un renversement brutal des
mouvements de capitaux79.
L’ancrage nominal du change était un élément central
dans le plan de stabilisation au Mexique. Après un épisode
de quelques mois de parités fixes en 1988, ce pays avait
choisi d’ancrer sa monnaie au dollar selon un crawling peg.
L’inflation diminua certes de façon spectaculaire, passant
de 180 % en rythme annuel en février 1988 à 6,7 % en
septembre 1994, son plus bas niveau depuis de
nombreuses années, mais elle restait plus forte que
l’inflation américaine. Ainsi, le taux de change ne s’est
déprécié que de 5,4 % entre le début de 1991 et la fin de
1993, alors que le niveau général des prix – malgré des
mesures de contrôle des prix et des salaires – a progressé
de près de 30 % par rapport aux prix américains durant la
même période. En dépit des efforts de la banque centrale
pour stériliser l’augmentation des réserves due aux entrées
massives de capitaux, les agrégats monétaires ont
augmenté très rapidement. Le crawling peg a produit une
appréciation continue du taux de change réel du peso, dont
la surévaluation fut finalement diagnostiquée par la plupart
des observateurs.
De nombreux pays en transition ont également opté pour
une limitation de la flexibilité de leur taux de change afin
d’imposer une contrainte sur leur politique monétaire, tout
en ouvrant largement leur compte de capital. À cet égard,
la crise tchèque de mai 1997 est symptomatique de la
contradiction entre ancrage du change et haut degré de
mobilité du capital : depuis 1990, ce pays avait choisi
d’ancrer sa monnaie à un panier composé de marks et de
dollars et avait pratiquement libéralisé les entrées de
capitaux. Mais son déficit courant atteignait 7,6 % du PIB
en 1996. De même, la Russie, dans le cadre d’une stratégie
de désinflation entreprise avec le soutien du Fonds, avait
opté en juillet 1995 pour un crawling peg par rapport au
dollar, qui a tenu jusqu’à la crise d’août 1998.
L’adoption d’un régime aussi contraignant que le
currency board apparaît comme une solution radicale à la
contradiction entre politique monétaire et politique de
change et au manque de crédibilité des autorités
monétaires. En dehors de quelques pays (dont Hong
Kong80) qui l’avaient choisi avant la dernière décennie, ce
régime a rallié quelques « petits pays » d’Europe de l’Est
dans les années 90 : l’Estonie depuis 1992, la Lituanie
depuis 1994, la Bulgarie et la Bosnie depuis 1997. C’est
aussi le régime choisi par l’Argentine depuis 1991, après
plusieurs tentatives infructueuses de désinflation.

Encadré 5

CURRENCY BOARD, LE CAS ARGENTIN


Le principe du currency board est que la monnaie
émise par la banque centrale doit être gagée à 100
% sur les avoirs en or et en devises. Les variations
de la masse monétaire sont donc directement
fonction de celles des avoirs de réserve. Seule
l’existence d’un stock non monétisé de réserves de
change en excédent peut permettre d’amortir la
répercussion des entrées et sorties nettes de
devises sur le stock de monnaie.
En Argentine, le currency board est une
institutionnalisation de la dollarisation. Le taux de
change est rigoureusement fixe (1 peso = 1 dollar)
puisqu’il est inscrit dans la constitution, et le dollar
a cours légal sur le territoire national, où il est
utilisé comme moyen de paiement. Il s’agit donc
d’un abandon quasi complet de la souveraineté
monétaire : la banque centrale n’a aucun levier sur
l’offre de liquidités. Elle ne peut ni financer l’État,
ni exercer une fonction de prêteur en dernier
ressort.
Le plan de convertibilité argentin a reçu un
important soutien de la communauté financière
internationale et notamment du FMI. Dans ce pays
où les accords avec le Fonds se sont succédé sans
interruption depuis 1983, l’accord de confirmation
de juillet 1991, remplacé en mars 1992 par un
accord élargi de 2 483 millions de DTS (161 % de la
quote-part du pays) a accompagné le plan de
convertibilité argentin. Il prévoyait également la
mise en place de mesures de stabilisation
macroéconomique et un important programme de
réformes structurelles.
Ce programme a rencontré un certain succès : il
a permis tout d’abord de juguler l’inflation.
L’Argentine souffrait encore d’hyperinflation au
début de la décennie 90. L’instauration d’un
currency board a immédiatement renversé la
tendance et progressivement ramené les prix vers
une inflation à un chiffre en 1994. Ensuite, le
système a ouvert la voie à un retour des capitaux et
à une remonétisation de l’économie. L’expansion de
la base monétaire en contrepartie des entrées de
capitaux a favorisé l’expansion du crédit intérieur
et de la consommation. La croissance a atteint 8 %
par an au début des années 90, après une décennie
catastrophique de croissance négative.
Cependant, avec une complète aliénation de la
souveraineté monétaire, les chocs se transmettent
entièrement à l’économie. Si les investisseurs
perdent brutalement confiance dans la monnaie
locale, ils l’échangent à taux fixe contre des
devises. La masse monétaire se contracte alors et
la flambée des taux d’intérêt est de nature à
provoquer une récession sévère, voire à mettre en
péril le système financier. En outre, le dispositif
comporte les risques de la dollarisation : toute
inquiétude sur la liquidité des banques précipite la
sortie vers l’étranger des dollars déposés dans les
banques nationales.
La crise mexicaine de 1994 a rappelé la
vulnérabilité de l’ancrage. Le choc provoqué par la
dévaluation mexicaine de la fin 1994 a brutalement
réduit l’afflux de capitaux étrangers vers
l’Argentine. Le système bancaire a vu ses dépôts
fondre de 18 % en trois mois et la contraction du
crédit a entraîné une baisse de 4,4 % de la
production, doublée d’une forte augmentation du
chômage.
Le gouvernement argentin a dû négocier en avril
1995 une prolongation d’un an de l’accord élargi en
cours depuis 1992. Le FMI lui a accordé un
supplément de 1 537 millions de DTS, dont plus des
deux tiers débloqués immédiatement. Après
l’expiration de cet accord en avril 1996, l’Argentine
s’est engagée dans un nouvel accord de
confirmation de 720 millions de DTS... Au total, fin
1997, l’Argentine avait une position débitrice
auprès du Fonds de 4 350 millions de DTS, soit plus
de trois fois le montant de sa quote-part, ce qui en
faisait le quatrième plus gros « client » du Fonds
après la Corée, la Russie et le Mexique. On peut se
demander si la viabilité d’un tel régime de change
dans un grand pays comme l’Argentine peut se
passer de la mise à disposition d’un important
soutien financier international.
Le currency board argentin a finalement résisté à
la crise mexicaine de 1994-95, et à nouveau à la
dévaluation du réal brésilien début 1999.
Cependant, tout en ayant soutenu le plan de
convertibilité, le FMI n’a jamais vraiment considéré
le système de currency board comme viable à long
terme, contrairement aux autorités argentines. Il y
a lieu en effet de s’interroger sur la soutenabilité
d’un système si contraignant du point de vue de la
discipline économique et de l’engagement
politique, et sur des possibilités de « sortie » qui,
sans remettre en cause la stabilité des prix,
seraient plus favorables à la croissance et à
l’emploi.

Cette fuite en avant vers des systèmes de changes rigides


résulte, semble-t-il, d’une convergence d’intérêts entre les
grandes institutions financières des pays développés, les
gouvernements de ces mêmes pays et les dirigeants des
pays émergents. Les premières recherchaient des
diversifications de portefeuille profitables. Or le régime
d’ancrage du change jouait le rôle d’une assurance
collective pour les prêteurs étrangers, du moins si ceux-ci
croyaient ou feignaient de croire que le FMI était le garant
ultime de la liquidité en devises des emprunteurs locaux.
Les seconds étaient préoccupés de considérations de
compétitivité et de revenus futurs provenant de
l’accumulation de capital à l’étranger. Les troisièmes
pouvaient attirer des moyens de financement en levant les
contrôles de capitaux avec l’aval du Fonds, sans avoir à
céder à l’étranger des participations susceptibles de
modifier la propriété du capital. Quant au Fonds lui-même,
en surveillant les régimes de change de pays qui
élargissaient la convertibilité de leur monnaie, il recouvrait
une fonction monétaire conforme à ses statuts.

IV. Prévention et gestion des crises de la


globalisation financière
IV.1. Le FMI muet face à la montée des risques
Le consensus de Washington a inspiré un ensemble de
réformes qui ont favorisé la globalisation financière, mais
sans permettre de gérer ses conséquences. La convergence
d’intérêts qui s’est traduite par des entrées torrentielles de
capitaux dans les pays émergents, sans adaptation des
systèmes financiers des pays receveurs, mais aussi des
prêteurs, était sans doute trop puissante pour être régulée.
Le discours de légitimation était celui de la discipline et de
l’ajustement par les marchés, en dépit de toute l’expérience
historique des crises financières. N’était-on pas entré dans
un âge nouveau, où la vitesse de circulation de
l’information est telle que les décisions privées ajustent en
permanence les prix aux conditions économiques sous-
jacentes ? Quoi qu’il en soit, force est de constater que le
FMI – pas plus d’ailleurs que le Comité de Bâle ou le G7 –
ne s’est suffisamment alarmé de l’appréciation des changes
réels, conséquence des entrées massives de capitaux, ni
des effets de la croissance rapide du crédit dans des
économies où la libéralisation bancaire récente ne s’était
pas accompagnée d’un renforcement de la supervision.

IV.1.1. Première alerte : la crise mexicaine de 1994-1995


Au printemps 1994, quelques mois seulement avant le
déclenchement de la crise, le FMI approuvait dans
l’ensemble la politique économique du gouvernement
mexicain. Le pays avait effectué à la mi-93 les derniers
tirages d’un accord avec le Fonds comportant un très
ambitieux programme de réformes structurelles
(abaissement des barrières douanières tarifaires et non
tarifaires, disparition des obstacles à l’investissement
étranger, privatisation de plus d’une centaine
d’entreprises), et il continuait de faire figure de bon élève.
De fait, le budget fédéral avait été ramené à l’équilibre. Les
réserves de change atteignaient 29,2 milliards de dollars
en février 1994 contre 6,3 milliards à la fin de 1989. Trois
mois avant la crise, l’inflation était à son plus bas niveau
depuis de nombreuses années.
Pourtant, certains signaux macroéconomiques
trahissaient une dégradation continue : le taux d’épargne
privée était passé de 16 à 9 % du PIB entre 1989 et 1994,
le déficit courant de 3 à 8 % du PIB. Ces facteurs, doublés
d’une appréciation réelle du taux de change de l’ordre de
20 %, expliquent le ralentissement des entrées de capitaux
depuis le début de 1994. En réaction, les autorités
relâchèrent leur politique monétaire. La dernière carte du
gouvernement pour retenir les fonds des investisseurs qui
craignaient une dévaluation – aux fondamentaux dégradés
s’ajoutait en effet une situation politique incertaine – avait
été de transférer les emprunts d’État à court terme
traditionnels sur les tesobonos, dont le principal est indexé
sur le dollar. En décembre, la dette publique à court terme,
qui avait augmenté de 45 % en six mois, était libellée à 80
% en dollars.
La dévaluation du peso fut d’autant plus importante
qu’elle avait été trop longtemps retardée, notamment pour
des raisons de politique intérieure. Le taux de change
passa de 3,44 pesos pour un dollar en novembre 1994 à
7,66 pesos en novembre 1995, la plus grande partie de la
baisse s’effectuant en quelques jours, après le 20 décembre
1994. Les réserves s’effondrèrent à 6 milliards de dollars,
sans permettre ni de défendre la nouvelle parité, ni même
de maîtriser le flottement. Cette dévaluation incontrôlée
eut les conséquences désastreuses que l’on sait : montée
en flèche des taux d’intérêt, récession, accroissement de
l’inflation à près de 50 % entre novembre 1994 et
novembre 1995, notamment à cause de la hausse des prix
des biens importés, et évidemment tarissement des entrées
de capitaux, dû au risque de défaut. L’endettement
extérieur était remonté à un niveau proche de celui de
1982-83, avec une maturité très courte si on inclut les
tesobonos. Près de 50 milliards de dollars arrivaient à
maturité fin 1995, dont une trentaine au titre de la dette
publique.
La crise mexicaine était inédite par l’ampleur des
revirements de capitaux et le brusque déséquilibre du
compte de capital qu’ils ont provoqué. Les montants
financiers engagés par la communauté internationale
furent sans précédent : 50 milliards de dollars, dont 18
milliards apportés par le FMI. Ce plan de sauvetage a
permis d’éviter un défaut de l’État mexicain en
garantissant complètement les engagements des créditeurs
étrangers. Mais si la titrisation de la dette avait modifié les
modalités de déclenchement de la crise, il s’agissait,
comme au début des années 80, d’une crise de la dette
souveraine. Elle paraissait « justifiée » par la dégradation
de la position extérieure et par la faiblesse de l’épargne
domestique qui rendait le pays dépendant des caprices des
marchés. Aussi le programme économique préconisé pour y
faire face fut-il assez traditionnel.
On a pu reprocher au FMI la brutalité du plan de
stabilisation mis en œuvre. Certes, pas plus qu’il n’avait
prévu l’occurrence de la crise (il attendait en octobre 1994
une croissance de 1,5 % pour 1995, alors que le PIB recula
de près de 7 points), le FMI n’en a anticipé la violence. À
cet égard il n’a pas eu une attitude différente de tous les
autres agents concernés, qu’ils soient publics ou privés.
Cependant, comme on l’a indiqué au début de ce chapitre,
le FMI assoit sa légitimité sur sa situation unique dans le
système monétaire international. La surveillance
multilatérale est sa spécialité et son avantage comparatif.
Vue sous cet angle, la carence du FMI a des conséquences
plus graves que celle des autres agents, parce que ceux-ci
ajustent leurs comportements à ses avertissements et à ses
recommandations.
Plus surprenante est la sous-estimation des effets de la
crise sur le pays qui en était l’épicentre. Même en mai
1995, soit six mois après l’éclatement de la crise, le FMI
prévoyait une baisse d’activité limitée à seulement 2 % du
PIB. Cette sous-estimation de l’ampleur de la récession,
que l’on retrouvera au moment du choc asiatique, semble
dénoter une mauvaise anticipation des enchaînements
entre crise de change et crise financière interne.
Cependant, la dégradation des fondamentaux avant la crise
justifiait l’orientation, si ce n’est la rigueur, des mesures de
stabilisation de la demande appliquées au Mexique. La
crise asiatique allait susciter une remise en cause plus
profonde.

IV.1.2. Gestation de la crise asiatique


La majorité des pays asiatiques victimes de la crise
avaient effectué leurs derniers tirages auprès du Fonds au
moins dix ans auparavant (1986 pour la Thaïlande et la
Corée, 1987 pour l’Indonésie, 1983 pour la Malaisie).
Seules les Philippines avaient conclu un accord élargi de
trois ans en 1994, mais n’avaient pas effectué de tirages
après la première année81. Le Fonds suivait à travers sa
surveillance annuelle l’évolution économique de ces pays,
dont il ne manquait pas de souligner la réussite exemplaire
encore quelques mois avant la crise. Il faut dire que
l’accumulation des risques était dissimulée par
d’excellentes performances macroéconomiques : croissance
forte, taux d’épargne parmi les plus élevés du monde,
presque partout des excédents budgétaires significatifs.
Ces économies passaient pour foncièrement saines.
Pourtant, les facteurs de risque s’accumulaient selon une
configuration désormais repérable : afflux massif de
capitaux extérieurs, systèmes financiers inadaptés,
arrimage des taux de change au dollar.

Flux de capitaux
Entre 1990 et 1994, les flux de capitaux à destination des
cinq principaux pays victimes de la crise s’élevèrent à 19
milliards de dollars en moyenne annuelle. Ce chiffre bondit
à 75 milliards en 1995 et 1996 et au premier trimestre
1997, soit l’équivalent de près de 9 % du total de leurs PIB
annuels (graphique 4).
Or de tels afflux de capitaux entraînent soit une
appréciation du taux de change qui pénalise la
compétitivité et la croissance, soit une croissance
monétaire qui favorise l’inflation. Ils créent en contrepartie
des déficits courants. Celui de la Thaïlande atteignait 8 %
du PIB en 1995 et 1996. Ceux de l’Indonésie et de la Corée
étaient plus modérés (respectivement 3,8 et 4,4 % du PIB
en 1996).
Malgré ces déficits, la confiance des investisseurs se
maintint, puisque les taux d’épargne élevés et les
excédents budgétaires témoignaient que les entrées de
capitaux finançaient l’investissement massif des
entreprises ou des ménages. En outre, l’arrimage des taux
de change au dollar jouait son rôle d’assurance contre le
risque de change.
Il faut noter cependant que les entrées de capitaux à long
terme étaient proportionnellement plus faibles dans les
économies d’Asie du Sud-Est touchées par la crise que dans
les autres pays émergents. La part des flux
d’investissements directs étrangers avait tendance à
s’amenuiser depuis 1993. Si l’endettement extérieur total
de ces pays était bien plus faible que celui de l’Amérique
latine, en revanche, leur dette à court terme était
proportionnellement plus importante (graphiques 5 et 6).
En 1995 les prêts à court terme représentaient près de la
moitié des entrées nettes de capitaux, de sorte qu’à la fin
de 1996, en Indonésie, Corée, Thaïlande, ils s’élevaient à
45 % de la dette extérieure totale, contre 21 % pour les
autres économies émergentes.
Surendettement des entreprises et fragilité des
institutions financières

L’afflux de capitaux extérieurs favorisait la croissance du


crédit au secteur privé, qui atteignait entre 15 et 25 % du
PIB selon les pays. Cette expansion rapide semblait
justifiée par les remarquables performances de croissance
de ces économies, mais alimentait aussi des niveaux
d’endettement des entreprises vertigineux (avec des ratios
de l’ordre de 300, 400, voire 500 %). Or, en Asie, où des
relations étroites existaient traditionnellement entre les
banques, les groupes industriels et l’État, les banques
avaient davantage une vocation de promotion industrielle
que d’optimisation financière. En outre, la gestion des
établissements financiers se caractérisait, comme dans la
plupart des pays émergents, par un manque de rigueur
dans le contrôle interne et dans l’évaluation des risques.
Les relations étroites entre les milieux financiers et les
milieux politiques favorisaient le laxisme de la surveillance
et alimentaient le sentiment que l’État ne laisserait pas les
banques faire faillite. Les acteurs économiques, banques et
entreprises, rendus trop indifférents au risque, notamment
au risque de change, et encouragés par l’afflux de capitaux
extérieurs, se sont ainsi endettés en devises, à très court
terme et sans couverture. Tous ces facteurs – dont
l’importance variait selon les pays – ont été à l’origine de
prêts imprudents et d’un endettement excessif des
entreprises. Avec le développement de bulles spéculatives,
notamment dans l’immobilier en Thaïlande ou en Malaisie,
ces dettes avaient pour contrepartie un capital surévalué.
Graphique 4
Financement externe des pays touchés par la crise*

* Corée du Sud, Indonésie, Malaisie, Philippines, Thaïlande.

Graphique 5
Dette extérieure sur exportations
(Asie/Amérique latine)
Graphique 6
Dette extérieure court terme
sur exportations dans quelques
pays émergents

Les banques locales assumaient donc finalement un triple


risque : risque de crédit, puisque les institutions
financières étaient particulièrement exposées dans le
secteur immobilier (l’utilisation de biens immobiliers en
guise de collatéraux pour des prêts était traditionnelle), ce
qui a conduit à une accumulation de créances douteuses
dans les bilans de ces institutions ; risque de change,
puisqu’une partie importante de la dette du secteur privé
avait été contractée en monnaie étrangère et sans
couverture ; risque d’échéance enfin, puisque
l’endettement à court terme avait servi à financer des
projets de long terme. En 1996, en Thaïlande, la dette du
secteur privé non bancaire à l’égard de l’étranger s’élevait
à 63 milliards de dollars, soit l’équivalent du tiers du PIB
au taux de change alors en vigueur, dont 29,2 % à échéance
inférieure à un an.
La libéralisation financière, mettant fin au contrôle
quantitatif du crédit, ne s’était pas accompagnée de la mise
en place d’un dispositif de surveillance efficace des
systèmes financiers. Elle avait détruit la cohérence
antérieure de la finance réglementée, sans en créer de
nouvelle. Dans le système précédent, les garanties
publiques et l’orientation des financements selon des
priorités politiques étaient complémentaires du contrôle
centralisé du crédit. La levée de ce contrôle a, sans
transition, placé les agents locaux devant des risques
microéconomiques qu’ils n’avaient pas de raison d’assumer
antérieurement et qu’ils n’avaient pas les moyens
d’assumer maintenant. Ces agents, libérés du contrôle de
l’État, ont à leur tour placé les prêteurs internationaux
devant un accroissement massif des asymétries
d’information. Les prêteurs ont donc subi une
augmentation considérable du risque de crédit, qui n’avait
pas de précédent dans cette région. Ainsi, en Corée, les
signes précurseurs, notamment la faillite d’entreprises
surendettées, comme Hambo (sidérurgie) en janvier 1997
et Kia (automobile) en juin, ont-ils été ignorés par les
banques internationales.
L’évaluation des actifs et des risques sur les marchés
financiers a la nature d’une opinion collective de la
communauté des participants. Cette opinion est largement
conventionnelle. Les pays asiatiques bénéficiaient de la
convention « marché émergent » qui prônait que les pays
libéralisant leurs économies étaient promis à une
croissance sans limite à l’horizon de temps fort court des
prêts et placements. À cela s’ajoutait le précédent
mexicain, où la responsabilité du FMI était lourdement
engagée et où l’ensemble des positions à risque des
banques internationales avait été complètement protégé,
qu’elles soient au bilan ou hors bilan. Ce précédent avait
fait apparaître le FMI comme le garant des banques
internationales et créé un aléa moral majeur.

Gestion du change

Parce qu’ils étaient alimentés par des flux de capitaux à


court terme en devises étrangères, les systèmes financiers
étaient très vulnérables aux attaques spéculatives. Dans un
tel contexte, les politiques de change en vigueur étaient
des épées de Damoclès suspendues au-dessus de ces
économies. La référence au dollar (ou à un panier
comprenant plus de 80 % de dollar dans le cas de la
Thaïlande et de l’Indonésie) prit la forme d’un flottement
géré, non d’une parité annoncée. Cependant, les monnaies
asiatiques étaient de fait très stables par rapport au dollar
(voir graphique 7). Tant que l’engagement des
gouvernements en faveur de cette stabilité était crédible, le
coût du crédit en devises sans couverture du change était
avantageux pour les emprunteurs. Il l’était aussi pour les
prêteurs. Bien que les primes de risque fussent sans doute
insuffisantes, les taux d’intérêt étaient supérieurs au taux
de base sur les marchés internationaux de capitaux.
L’appréciation du dollar en 1996-1997 a contribué à une
dégradation de la compétitivité de ces pays, notamment
vis-à-vis de la Chine, puis du Japon. Le choix de l’ancrage
au dollar n’est certes pas le seul responsable de la
dégradation de la position extérieure. La chute de la
demande mondiale de certains produits, notamment les
semi-conducteurs, a aussi contribué au ralentissement des
exportations.
Des pressions à la baisse du baht thaïlandais se sont
manifestées dès 1996, à partir du moment où le yen a
perdu près de 35 % de sa valeur par rapport au dollar. Le
Japon étant le principal partenaire commercial de la
Thaïlande, l’appréciation du dollar, et donc du baht par
rapport au yen a contribué à dégrader plus encore la
position compétitive du pays. Une fois cette dégradation
perçue par les marchés, les spéculateurs étrangers et
nationaux ont commencé à vendre du baht, que le
gouvernement a racheté secrètement pour soutenir le
cours de sa monnaie. Quand le gouvernement ne fut plus
capable de défendre la parité, il était trop tard pour
prétendre contrôler la dévaluation.
Graphique 7
Évolution du taux de change nominal par rapport au dollar
(won, baht, roupie)

À la suite de la Thaïlande, les attaques se sont reportées


sur les monnaies d’autres économies de l’ASEAN
(Association des nations du sud-est asiatique), concurrentes
et étroitement complémentaires. Celles-ci ont été exposées
à des phénomènes de contagion par les changes, avec des
retournements très brutaux des mouvements de capitaux.
L’inversion de ces flux a été, en effet, extrêmement sévère :
les flux nets à destination de la Thaïlande, de la Corée, de
l’Indonésie, de la Malaisie et des Philippines ont chuté à –
12 milliards de dollars en 1997, soit un écart de 109
milliards de dollars par rapport à l’année précédente (10 %
du PIB de ces cinq pays).
Le FMI n’avait pas prévu les risques inhérents à la
conjonction de fortes entrées de capitaux, de systèmes
financiers opaques et fragiles et d’un ancrage nominal du
change. Il avait certes perçu la fragilité de la position
commerciale de la Thaïlande et plaidé à plusieurs reprises,
mais sans succès, pour un ajustement de son taux de
change. Cependant, en mai 1997, moins de deux mois
avant le déclenchement de l’attaque définitive contre le
baht, il annonçait encore une croissance de 6,8 % en
Thaïlande pour l’année en cours (la croissance fut en
réalité légèrement négative cette année là).
Quant aux autres pays, le Fonds avait largement négligé
la vulnérabilité de leurs systèmes financiers et les risques
microéconomiques qui s’accumulaient dans les
engagements financiers privés. Les banques coréennes
empruntaient des montants colossaux à l’étranger avec des
maturités très courtes quelques mois après la crise
thaïlandaise, sans que le FMI réagisse. De la même façon, il
ne s’est pas penché à temps sur le système bancaire
indonésien. Enfin, il s’est laissé surprendre par les
mécanismes de transmission et les effets de contagion de la
crise. En octobre 1997, alors que la Thaïlande et
l’Indonésie avaient déjà été touchées et avaient fait appel à
lui, le Fonds prévoyait pour la Corée une croissance de 6 %
en 1998, alors que la récession fut de 7 points de PIB.

IV.1.3. Une nouvelle génération de crises


Le défaut d’anticipation de la crise financière en Asie et
l’inadéquation des réponses viennent en partie de la
doctrine construite sur les expériences latino-américaines
et fondée sur le postulat que les crises des pays émergents
sont spécifiques. Il était admis qu’elles provenaient de
mauvaises politiques entraînant la détérioration des
fondamentaux macroéconomiques. Aussi a-t-on considéré à
tort que l’expérience des crises récurrentes des banques et
des marchés d’actifs qui ont accompagné la libéralisation
financière des pays développés était non pertinente pour
les pays émergents. Or la transformation des systèmes
financiers est une source de fragilité largement autonome
par rapport aux évolutions macroéconomiques. La fragilité
financière peut même se développer en présence de bonnes
performances macroéconomiques. Ce fut le cas aux États-
Unis et en Europe de 1986 à 1989, en Asie de 1993 à 1996.
Les fondamentaux ne sont certes pas absents dans les
dynamiques déséquilibrantes qui conduisent aux crises de
change. Mais ils sont sérieusement élargis lorsque les pays
sont ouverts à la globalisation financière, par rapport à ce
qu’ils étaient lors des crises de balances de paiements des
années soixante-dix et quatre-vingt. Ces dernières
provenaient de déficits publics incontrôlés qui étaient
monétisés et qui creusaient les déficits de paiements
courants en proportion du PIB. Lorsque les banques
internationales commençaient à s’inquiéter du rythme
d’accroissement de la dette extérieure, eu égard à la
capacité du pays à gagner des devises par ses exportations,
les nouveaux flux de crédits devenaient insuffisants pour
couvrir les besoins de financement supplémentaires. Les
réserves de change devaient donc baisser pour défendre la
parité de la monnaie. Lorsque le taux de change anticipé
par les créanciers en cas de flottement de la devise
devenait inférieur à la parité défendue, une attaque
spéculative se déclenchait qui épuisait les réserves en
devises et provoquait une dépréciation très forte du taux de
change si le pays était laissé seul face à la crise. Les
financements accordés par le FMI, assortis de programmes
d’ajustement, étaient la réponse de la communauté
internationale pour circonscrire les crises et pour éviter
que les pays attaqués ne soient exclus des échanges
internationaux. Les débiteurs étaient publics et les
créanciers extérieurs étaient des gouvernements et des
banques, ce qui a permis les montages des clubs de Paris et
de Londres pour gérer le rééchelonnement des dettes en
relation avec la réalisation des programmes d’ajustement
pilotés par le FMI. On a vu plus haut les difficultés
rencontrées par cette méthode lorsque les crises n’étaient
pas isolées mais simultanées. Mais du point de vue du
déclenchement des crises de change, il s’agit de crises de
première génération, dans lesquelles les déterminants du
processus sont bien identifiés par les agents économiques
concernés.
La globalisation financière a déclenché des phénomènes
de nature différente avec les crises de deuxième et
troisième générations. Les crises du SME en 1992-93 en
ont été les premières expériences. On n’y constatait pas de
croissance débridée du crédit intérieur, ni de menace
inflationniste, ni d’inquiétude préalable sur les montants
des réserves de change puisque le SME prévoyait un
mécanisme d’emprunts de réserves, ni de déficits courants
insoutenables. Pour comprendre de telles attaques, il faut
tenir compte d’interactions stratégiques entre les
intentions futures des gouvernements, telles qu’elles sont
signalées par les communiqués, déclarations, débats
politiques internes, et les interprétations qu’en donnent les
spéculateurs, lesquelles peuvent être hétérogènes. Dans
ces circonstances, les marchés de change présentent la
possibilité d’équilibres conjecturaux multiples82. Les crises
deviennent imprévisibles. Elles s’autojustifient lorsque les
anticipations se coordonnent sur la conviction que le
gouvernement n’est pas prêt à payer le prix de la défense
du régime de change si l’attaque est déclenchée. Les
monnaies peuvent être attaquées même si les conditions
économiques présentes sont compatibles avec le maintien
de la règle de change. La capacité du secteur financier à
résister à l’emploi des instruments de défense du taux de
change devient alors déterminante. On comprend que le
changement de doctrine au tournant des années 90,
enjoignant ou encourageant les pays émergents à adopter
des régimes de changes fixes, a accru leur vulnérabilité aux
crises de la globalisation financière.
La libéralisation financière précipitée et imprudente dans
les pays émergents a ainsi donné naissance à une troisième
génération de crises. Elle crée une interdépendance entre
les créanciers étrangers, qui ne sont plus exclusivement
des banques, et les débiteurs locaux, qui sont des agents
privés. L’ancrage nominal du change favorise l’endettement
en devises des banques locales. Parce que la libéralisation
financière s’est faite sans supervision prudentielle digne de
ce nom, le risque global des banques locales au bilan et
hors bilan est très élevé et mal connu des autorités
monétaires. C’est pourquoi la notion de garantie implicite a
pris une telle importance pour les prêteurs internationaux.
On voit alors apparaître des crises de change dans des
économies où la dégradation des fondamentaux
macroéconomiques ne justifie pas leur ampleur, mais où, en
revanche, certains facteurs microéconomiques deviennent
déterminants. On assiste ainsi à un élargissement de la
notion de « fondamental ». Mais, tout en renvoyant à des
faiblesses objectives, la perception de la fragilité d’un
système bancaire ne s’appuie pas sur des données aussi
publiques et univoques qu’une grandeur macroéconomique
standard. En effet, les bilans des banques sont mal connus
et il n’existe pas de modèle d’interprétation commun aux
agents. Or les autorités ne peuvent défendre leur régime de
change ou parvenir à stabiliser quelque peu la parité de
leur monnaie – par l’usage des taux d’intérêt – que si l’état
du secteur financier le leur permet.
Les mécanismes de déclenchement des crises deviennent
alors beaucoup plus ambigus. L’ambiguïté réside dans la
combinaison de comportements microéconomiques à risque
et d’une dimension autoréalisatrice. La situation financière
des banques locales change en effet radicalement selon que
le taux de change est préservé ou qu’il devient flottant.
D’où des interactions entre la dynamique du change et la
fragilité financière : la perception d’une vulnérabilité par
les opérateurs de marché est validée par les attaques
spéculatives sur le change. Or, comme la situation
financière des banques locales se détériore en même temps
que la valeur de la monnaie baisse, les participants au
marché des changes ne savent pas quel peut être le taux de
change d’équilibre. Ce type de crise de change provoque
des sorties de capitaux d’une extrême violence et se
transforme rapidement en crise de liquidité, dès lors que
tous les agents en position de change cherchent à se
couvrir précipitamment. Elle a aussi une faculté de
contagion virulente, induite par les logiques de
réaménagement de portefeuille dans un monde
d’évaluation généralisée au prix de marché. L’endiguement
des crises de change devient alors plus difficile – et plus
sujet à contestation – parce que le diagnostic de
l’éclatement probable d’une crise n’est pas sûr, parce que
les fonds à engager peuvent devenir énormes, et surtout
doivent être disponibles avec une rapidité incompatible
avec les procédures de négociation du FMI.
Dans les événements qui se sont succédé depuis juillet
1997, on peut observer la coexistence de crises des trois
catégories et d’une très forte intensité de propagation
internationale. La crise russe, par exemple, est un mélange
de crise de première et de troisième catégorie, combinant
une explosion insoutenable de la dette publique et une très
grande fragilité bancaire. Les secousses multiples sur le
dollar de Hong Kong sont clairement des crises de
deuxième génération qui n’ont pas réussi, grâce à la
combinaison de la solidité du système financier, de la
flexibilité exceptionnelle de l’économie réelle et de
l’habileté des autorités monétaires à influencer les
opérateurs. La crise coréenne est typiquement une crise de
troisième génération, où le risque de crédit et les positions
de change des banques jouaient le rôle décisif. Cette crise
étant profondément inscrite dans les comportements des
agents financiers, le rétablissement de la confiance et les
politiques macroéconomiques de soutien devaient être fort
différentes de ce qu’elles avaient été dans le traitement des
crises des dettes souveraines des années 80. La non-
reconnaissance initiale de ces conditions nouvelles a été
une cause de perte de temps et d’aggravation des
difficultés financières.

IV.2. La gestion de la crise asiatique


À l’instar de la Thaïlande, l’Indonésie et la Corée du Sud
ont été finalement contraintes de faire appel au FMI,
malgré de fortes réticences. Après le décrochage du baht le
2 juillet, les pays d’Asie, conduits par le Japon, cherchèrent
en vain une solution régionale. Une telle solution aurait été
intéressante en ce qu’elle aurait pu initier une solidarité
monétaire régionale. Comme on le verra dans le dernier
chapitre, c’est une forme possible de prêteur en dernier
ressort international. Mais en l’espèce, le gouvernement
des États-Unis et la communauté financière occidentale y
étaient hostiles. De plus, le Japon, toujours regardé avec
méfiance en Asie, était affaibli par sa propre crise interne
puisqu’il était entré dans une phase déflationniste en 1997.
Cependant le baht continuait de s’effondrer et les États-
Unis encourageaient le recours au FMI. La Thaïlande s’y
résigna le 28 juillet. Le 20 août, le Conseil d’administration
du Fonds approuvait le premier déboursement d’un accord
de confirmation de 34 mois. Les Philippines, touchées le 11
juillet, ont en revanche rapidement conclu une
prolongation et une augmentation de leur accord élargi.
Quant à l’Indonésie, elle fut contrainte de laisser flotter la
roupie le 14 août, mais ce n’est que le 8 octobre qu’elle se
résolut à demander l’aide du Fonds, qui la lui accorda un
mois plus tard. Alors que de nombreuses monnaies de la
région étaient attaquées, jusqu’à celle de Hong Kong
placée sous un régime de currency board, le won coréen
avait jusque-là bien résisté. Mais il devait se déprécier de
20 % après le déclenchement de l’attaque spéculative à
Hong Kong le 20 octobre. Après un mois de chute libre, le
21 novembre, les autorités coréennes demandèrent à leur
tour l’appui du Fonds.
Au total, le plan de sauvetage international mis en œuvre
en faveur des pays en crise engagea des montants
financiers sans précédent. La contribution du FMI – 35
milliards de dollars, près du tiers du total – dépassa de très
loin ses déboursements dans les crises antérieures.
Ces crises étaient extrêmement complexes et nouvelles
par rapport à la pratique du Fonds. Il lui était demandé à la
fois de résoudre à chaud des crises de liquidité de marché –
caractérisées par un reflux très violent des mouvements de
capitaux et requérant des financements considérables de
balance des paiements – et de restructurer les systèmes
financiers après la crise. Ces deux fonctions étaient
nouvelles pour le Fonds, et radicalement différentes l’une
de l’autre. La première est monétaire : c’est la fonction de
prêteur en dernier ressort. La seconde est structurelle. Elle
implique des décisions sur le partage des pertes définitives
et doit être soutenue par un projet industriel concernant
notamment la recomposition du secteur bancaire. Les
interventions du FMI ont ainsi consisté en des
engagements financiers d’une ampleur sans précédent,
avec des déboursements immédiats très importants, dans le
cadre de programmes combinant mesures de stabilisation
macroéconomique et réformes structurelles. L’adéquation
de cet ensemble de remèdes au caractère spécifique des
crises de liquidité de marché a soulevé bien des
polémiques. Les détracteurs du Fonds lui ont reproché ses
plans de sauvetage gigantesques, dont l’annonce n’est pas
parvenue à rétablir la confiance des marchés, sa
conditionnalité exagérément stricte en termes
macroéconomiques, et trop brutale en termes structurels.
Ces différents points ont été particulièrement discutés dans
le cas de la Corée, huitième économie mondiale devenue en
un an un des principaux débiteurs du Fonds.

IV.2.1. Le rétablissement de la confiance


Grâce à une nouvelle procédure d’approbation accélérée,
le mécanisme de financement d’urgence (Emergency
Financing Mechanism)83, le Conseil d’administration fut
capable d’approuver le 4 décembre, moins de quinze jours
après la demande de la Corée, un accord de confirmation
portant sur un total de 21 milliards de dollars. Durant le
seul mois de décembre 1997, 5,6 milliards furent débloqués
immédiatement, suivis de 3,5 milliards supplémentaires
deux semaines plus tard, puis 2 milliards le 30 décembre.
Cette intervention rapide et massive s’inscrivait dans un
rôle de prêteur en dernier ressort international. Mais les
modes d’action traditionnels du FMI, dans le cadre de ses
rapports avec les États, ne le mettaient pas en bonne
posture pour jouer ce rôle. Le Fonds entendait renflouer les
réserves de change de la Corée pour défendre le won sans
avoir à impliquer les banques commerciales. Or un prêteur
en dernier ressort doit penser marchés plutôt que pays.
Faire un apport public de fonds d’un montant record – alors
que derrière la crise de change il y avait l’insolvabilité
latente des banques locales – c’était donner aux banques
internationales le signal que les dettes privées des banques
coréennes étaient nationalisées. Les banques
internationales avaient donc toute licence pour se
désengager. L’erreur cardinale de déresponsabiliser les
banques exacerba l’aléa moral au lieu de le contenir.
Aussi l’accord entre le FMI et le gouvernement coréen
n’a-t-il pas immédiatement éteint le mouvement de
panique. L’hémorragie des capitaux étrangers se poursuivit
et précipita l’effondrement du change (voir graphique 7).
Des achats massifs de dollars se firent à l’initiative des
résidents cherchant à couvrir des dettes extérieures ou à
les rembourser sous la pression de leurs créanciers et des
investisseurs non-résidents qui voulaient liquider leurs
avoirs en Corée. Sous cette avalanche d’ordres d’achat de
dollars, le won perdit 45 % de sa valeur au cours du mois
de décembre 1997. Au rythme où les réserves de change
baissaient (un milliard de dollars par jour) un défaut de
paiement se profilait sur les échéances des premiers mois
de 1998.
Dans un pays dont les entreprises et les institutions
financières avaient contracté un endettement à court terme
très fort, excédant largement les réserves de change, mais
où la dette extérieure totale était limitée à 35 % du PIB
(contre 60 % en Thaïlande et en Indonésie), il fallait avant
tout obtenir une action coordonnée des créditeurs pour
stopper les sorties de capitaux et empêcher le défaut.
S’agissant d’une crise de liquidité de marché, le
rétablissement de la confiance passe par l’autorité du
prêteur en dernier ressort sur les intermédiaires du
marché. Une fois que la collaboration des banques est
acquise, l’injection des liquidités nécessaires n’est plus
qu’une question technique. Mais cette collaboration dépend
des institutions de supervision qui ont la capacité
d’engager les banques dans une action collective. Au
niveau international, c’est le club des banques centrales
tutrices des banques internationales les plus engagées
dans le crédit au pays en crise. Le leader de ce club est
l’émetteur ultime de la monnaie demandée dans le marché
en crise de liquidité. En l’espèce c’étaient le Trésor et la
Réserve fédérale des États-Unis.
Dans les semaines cruciales du traitement à chaud de la
crise, l’initiative est passée du FMI à ces institutions. Fin
décembre, un arrangement provisoire garantit le maintien
de l’exposition à court terme des banques créditrices, avant
qu’un accord sur le rééchelonnement volontaire de la dette
extérieure ne soit signé, le 28 janvier. Il portait sur des
dépôts interbancaires et des prêts arrivant à maturité en
1998, d’un montant équivalent à 24 milliards de dollars.
Cet épisode éclaire sur l’organisation du prêteur en
dernier ressort international dans un système où le FMI
n’est pas capable de créer ex nihilo la liquidité
internationale. En effet, persuader les banques est un subtil
mélange de carotte et de bâton. Seules les institutions qui
ont un pouvoir hiérarchique sur les banques peuvent le
faire. En outre, cette action requiert la connaissance
précise des positions au bilan et hors bilan des banques
étrangères sur les marchés en crise. Elle implique
l’établissement d’un réseau de communication entre la
banque centrale locale (en l’espèce la Banque de Corée),
les superviseurs et les banques centrales des pays d’origine
des banques internationales concernées, sous la houlette
d’un chef de file (la Réserve fédérale)84. Dans ce dispositif,
le FMI ne pouvait jouer qu’un rôle d’aide technique.
En s’engageant massivement avant que des contacts
aient été pris entre créditeurs et emprunteurs, le FMI
paraît donc avoir surestimé sa capacité à retourner les
anticipations. Le surcroît de crédibilité que le Fonds
prétendait apporter au pays en conditionnant son aide à un
programme de politique économique n’a pas suffi à
retourner le marché au cœur d’une crise de confiance
majeure.

IV.2.2. Les mesures macroéconomiques


Du point de vue macroéconomique, les programmes ont
appliqué les remèdes traditionnels : stabilisation de la
demande intérieure et réduction du déficit des transactions
courantes via l’ajustement budgétaire (diminution des
dépenses de l’État et relèvement des impôts) et le
resserrement monétaire. Le premier geste du FMI a donc
été d’appliquer les mêmes remèdes qu’au Mexique deux
ans auparavant. Mais si, dans ce dernier cas, on pouvait
considérer que la correction de politiques
macroéconomiques trop laxistes était justifiée, les crises en
Asie ne résultaient nullement de dérives budgétaires ou
inflationnistes : il ne s’agissait pas de crises de
surconsommation, mais bien plutôt de surinvestissement,
dans lesquelles le secteur privé jouait un rôle de premier
plan. C’est pourquoi les programmes appliqués en Corée
notamment sont apparus à de nombreux observateurs
d’une austérité injustifiée, constituant des signaux négatifs
en direction des marchés, mais surtout responsables
d’avoir aggravé la récession. À cet égard, la Corée offre le
cas le plus remarquable : pourquoi monter les taux
d’intérêt sur les emprunts en won à plus de 30 %, alors que
l’inflation est de 5 % ? Pourquoi imposer un resserrement
budgétaire à un pays en excédent de ses comptes publics,
et où le taux d’épargne privée est l’un des plus hauts du
monde ? Toute évaluation rétrospective des prescriptions
du FMI doit cependant tenir compte de la crise de
confiance et des incertitudes majeures qui caractérisaient
le contexte de la prise de décision.
En matière monétaire, le FMI se trouvait face au dilemme
des taux d’intérêt : bas, ils facilitent la restructuration
bancaire et évitent la récession ; hauts, ils permettent de
défendre la monnaie et d’éviter de nouvelles dépréciations.
De toutes les manières, les agents se trouvent pris en étau
entre la baisse du taux de change, qui alourdit le poids
d’une dette extérieure largement libellée en devises, et la
hausse des taux d’intérêt, qui fait peser une menace de
banqueroute sur les entreprises.
Selon le FMI, une forte hausse des taux d’intérêt était
inévitable pour enrayer l’hémorragie de capitaux. Elle
devait être rapide et d’ampleur suffisante pour stopper le
processus cumulatif dépréciation-inflation et rétablir la
confiance. Une politique monétaire plus accommodante
aurait contribué à prolonger la crise en nécessitant le
maintien de taux élevés pendant une période plus longue. À
cause de la faiblesse du secteur bancaire, le relèvement
des taux d’intérêt a même été limité par rapport à
l’ampleur des sorties de capitaux.
La position du Fonds a cependant été désapprouvée par
certains observateurs : la hausse des taux a amplifié le
rationnement massif du crédit lié à la crise de liquidité et a
alourdi le poids des dettes. Une baisse supplémentaire du
won aurait certes augmenté les risques de banqueroute
pour les entreprises largement endettées en dollars, mais
aurait causé des dommages moins étendus qu’une hausse
des taux d’intérêt touchant toutes les entreprises
coréennes, dont les créances de mauvaise qualité ont été
encore détériorées par la hausse du coût du crédit.
Cependant, l’ampleur des engagements en devises de la
plupart des entreprises incite à modérer cette critique des
préconisations du Fonds. La hausse des taux était sans
doute indispensable dès lors qu’on récusait toute forme de
contrôle des changes.
Le resserrement budgétaire était en revanche plus
contestable, car la situation financière de ces pays était
équilibrée. En 1996, la Corée enregistrait un excédent
budgétaire de 0,6 % du PIB, parallèlement, le taux
d’épargne des ménages était supérieur à 17 % du PIB. En
outre, l’augmentation de l’épargne privée et la baisse de
l’investissement dues à la récession contribuaient déjà à
réduire le déficit courant, qui n’était plus que de 1,8 % du
PIB en 1997, avant que la Corée ne redevienne
excédentaire dès 1998. Pourtant, dans sa première lettre
d’intention, le gouvernement coréen acceptait une
augmentation des prélèvements fiscaux d’environ 2 % du
PIB au moyen d’un élargissement de l’assiette de l’impôt
sur les sociétés, de l’impôt sur le revenu et de la TVA.
Combinée à la politique monétaire restrictive, cette
austérité budgétaire a contribué à une contraction de
l’activité plus sévère que prévu. En février 1998, le Fonds
prévoyait encore une croissance légèrement positive pour
cette même année, alors que le recul du PIB devait
approcher les 7 points. La récession amplifia la fragilité du
secteur bancaire et résulta en un véritable credit crunch
qui entrava la reprise de l’activité.
Cependant, devant l’aggravation de la crise, la première
revue trimestrielle du programme ouvrit la voie à un
assouplissement du volet budgétaire. La lettre d’intention
du 24 février annonçait ainsi une révision de la cible à un
déficit de 0,8 % du PIB. Fin août, alors que les prévisions
de croissance ne cessaient de se dégrader, le critère de
déficit budgétaire fut à nouveau revu, à 4 % du PIB. Dans la
mesure où les autorités nationales étaient crédibles sur le
plan de la gestion des finances publiques, et où le dérapage
correspondait clairement à une situation de crise
exceptionnelle, un creusement ponctuel du déficit
budgétaire pouvait permettre d’amortir le choc récessif. Le
desserrement de cette contrainte servit notamment à
atténuer les coûts sociaux de l’ajustement (renforcement et
extension des filets de protection sociale, encouragement
au dialogue social). L’ampleur de la récession a cependant
pesé lourd sur le coût de la restructuration du secteur
bancaire.

IV.2.3. Les réformes structurelles


Plus encore que dans les programmes antérieurs, les
réformes structurelles étaient au centre des mesures
préconisées par le Fonds. Elles ont concerné massivement
le secteur financier, dont la fragilité a joué un rôle central
dans la crise, mais ont eu une portée beaucoup plus large.
La réforme des systèmes financiers a organisé une vaste
transformation du cadre légal et des structures du secteur.
Avec des variations selon les pays, elle comprenait des
mesures comme l’indépendance de la banque centrale, des
privatisations d’établissements détenus par l’État, le
renforcement de la supervision du système financier et
l’application des normes prudentielles avec, notamment,
l’alourdissement des pénalités. Elle comportait également
l’abolition immédiate des obstacles à l’ouverture de filiales
de banques étrangères et l’élimination rapide des
restrictions sur les prises de participations étrangères dans
les banques domestiques.
Mais l’influence du FMI a dépassé la mise en place de ce
cadre général et s’est étendue à des choix tactiques
relevant traditionnellement du prêteur en dernier ressort
national, tels que les opérations de sauvetage destinées à
fournir des liquidités en devises aux banques commerciales
pour leur permettre d’honorer leurs engagements
extérieurs. Le Fonds est également intervenu dans les
programmes de restructurations bancaires et dans les
décisions, non seulement de recapitalisation, mais aussi de
fermeture d’établissements non viables85.
Beaucoup d’observateurs s’accordent à reconnaître que
le FMI a commis plusieurs erreurs tactiques dans la mise
en œuvre de la stratégie de réforme, qui témoignent sans
doute de son manque d’expérience. Un des points faibles
des programmes semble en effet avoir été la
synchronisation entre les mesures macroéconomiques,
aspect traditionnel de la conditionnalité, et la
restructuration du secteur financier. Fallait-il traiter ces
problèmes structurels au lendemain de la crise, dans des
conditions très défavorables, ou plutôt attendre un
rétablissement économique ? Fallait-il imposer des
conditions structurelles sur le même plan et au même
rythme que les conditions macroéconomiques ? Le FMI a
été critiqué, par exemple, pour n’avoir pas toujours su
coordonner rétablissement macroéconomique et
renforcement des normes prudentielles. Ses pressions pour
un accroissement des ratios capital/actifs ont ainsi pu
contribuer à aggraver le credit crunch au moment même
où les banques se débattaient déjà dans des difficultés
considérables, alors qu’on aurait pu leur laisser le temps
d’amortir le choc.
Mais, au-delà du système bancaire proprement dit, le
FMI a été à l’origine de transformations structurelles plus
vastes. Parce que la crise ne reposait pas sur des
déséquilibres macroéconomiques incontestables, la
négociation entre le gouvernement et le Fonds impliquait
une intrusion dans les choix de politique économique des
pays. En Corée, le programme mis en œuvre s’est attaqué
aux liens « opaques » existant entre le gouvernement, les
banques et les conglomérats coréens, les chaebols. Le
gouvernement a accepté le désengagement de l’État du
secteur bancaire, en renonçant à intervenir dans la gestion
des établissements financiers et dans l’allocation des
crédits (pratiques de directed lending). Il a également
prévu de modifier le système de garanties croisées au sein
des conglomérats et d’ouvrir le capital des firmes
coréennes aux participations étrangères : l’ouverture
financière a ici été utilisée comme un agent de
transformation des structures de gouvernance de
l’économie. Enfin, les autorités coréennes ont entrepris la
libéralisation du marché financier des entreprises
(relèvement du plafond de participation étrangère dans les
entreprises coréennes cotées de 26 à 50 %, autorisation
des achats d’actions pour des fusions acquisitions amicales)
et l’ouverture totale des marchés monétaires et
obligataires nationaux aux investisseurs étrangers.
Parallèlement, la transparence des comptes des entreprises
a été renforcée et leurs états financiers publiés et certifiés
par des cabinets d’audit étrangers selon les normes
comptables occidentales.
Dans le domaine commercial, l’élimination des
restrictions à l’importation sur 113 biens ou services
entrant dans le cadre des accords de l’OMC (notamment
l’ouverture du secteur bancaire à la concurrence
étrangère) pose une fois de plus la question des frontières
des compétences du Fonds. En effet, plusieurs points des
programmes reprenaient des mesures que le Japon et les
États-Unis exigeaient depuis longtemps de la Corée :
accélération de la baisse des barrières douanières sur
certains produits japonais, ouverture des marchés de
capitaux afin de permettre à des investisseurs étrangers de
prendre le contrôle de firmes coréennes, extension de la
participation étrangère dans les banques et autres services
financiers. Les Coréens ont vu dans ces conditions une
pression des grandes puissances pour faire adopter, sous
couvert de conditionnalité du Fonds, des mesures
d’ouverture aux produits et aux investissements étrangers
qu’elles n’avaient pas réussi à obtenir dans le cadre des
négociations commerciales.
En s’attaquant aux monopoles, aux barrières
commerciales et aux pratiques opaques des entreprises, les
programmes mis en œuvre par le FMI amorcent un
tournant historique dans le modèle de développement sud-
asiatique, caractérisé jusque-là par un capitalisme dirigiste.
L’ampleur de cette transformation suscite le même type
d’interrogations que les réformes entreprises sous l’égide
du Fonds par les pays d’Europe centrale et orientale depuis
le début de la décennie, au-delà des différences entre les
modèles initiaux. Les programmes du Fonds impliquent en
effet des changements structurels et institutionnels
profonds, dont on peut se demander s’ils ne dépassent pas
son mandat.
La crise asiatique a en tout cas manifesté le caractère
particulièrement crucial de l’appropriation politique des
programmes négociés avec le FMI par les autorités
nationales. Ce facteur a été aussi décisif dans le
rétablissement spectaculaire de certains pays, comme la
Corée, que dans les difficultés persistantes d’autres,
comme l’Indonésie. En Corée, le gouvernement
démocratique nouvellement élu s’est engagé très
vigoureusement dans la restructuration financière. Cette
action volontariste, combinée avec l’implication des
banques internationales et la baisse du change, a limité la
durée de la récession et permis un redressement en V
spectaculaire, malgré l’absence de locomotive régionale en
Asie au moment de la crise. En moins d’un an, les taux
d’intérêt sont même descendus en dessous de leur niveau
d’avant la crise, témoignant, avec le retour des capitaux, du
rétablissement de la confiance des investisseurs.
En Russie et au Brésil, l’appropriation politique et la
crédibilité des programmes du Fonds ont fait défaut. En
mettant l’accent sur les réformes structurelles requises
pour garantir la rigueur budgétaire (réforme du système
fiscal en Russie, des finances locales au Brésil), le Fonds a
mis en avant des réformes de longue haleine comme
réponse à une situation d’urgence, alors que la crédibilité
des autorités nationales n’était pas suffisante pour
renverser les anticipations des marchés. Le Brésil comme
la Russie étaient en effet connus pour leur incapacité
chronique à remplir les engagements de politique
économique pris auprès du FMI. Les crises étaient trop
imminentes pour être évitées par des promesses de
réformes de longue haleine et politiquement délicates.
L’annonce des accords avec le Fonds n’a donc pas empêché
la poursuite des sorties de capitaux, prouvant que la
défense d’une parité, même avec un soutien international,
ne peut s’opposer longtemps au sentiment du marché.

IV.3. L’échec en Russie et la remise en cause du


modèle de soutien financier aux États
Les crises récentes se caractérisent par une forte
capacité de contagion, non seulement aux économies
voisines, mais à toutes les monnaies dont la parité paraît
fragile. Ainsi les crises en Asie ont-elles précipité la mise à
l’épreuve du taux de change du rouble. À son tour, la crise
russe a affecté la confiance dans le réal brésilien. Alors
qu’au Mexique puis en Asie, le FMI avait été sollicité
lorsque les monnaies s’étaient déjà considérablement
dépréciées et qu’une dévaluation avait, le cas échéant, déjà
eu lieu, en Russie et au Brésil, il est intervenu dans un
contexte de pressions sur le change mais non d’attaque
déclarée. L’enjeu des accords avec le Fonds, assortis de
montants financiers considérables, était d’endiguer la
spéculation avant que ces pays ne se trouvent à court de
réserves, et d’éviter une dévaluation brutale en maintenant
les crawling pegs. Dans les deux cas, cette stratégie
d’intervention précoce et préventive a été mise en échec :
les parités ont cédé quelques semaines après l’intervention
du Fonds.
La crise russe du mois d’août 1998 représente un défi
redoutable, non seulement pour les principes forgés par le
consensus de Washington (dont bien des observateurs
pensent qu’elle a définitivement sonné le glas), mais pour
tout le dispositif mis en place par le FMI depuis 1982, dont
la protection des banques internationales était la clé de
voûte. Les événements extraordinaires qui se sont déroulés
entre la mi-août et la mi-octobre 1998 posent en effet une
question cruciale. Pourquoi la crise russe, qui concernait
un montant d’actifs financiers infime par rapport à la crise
asiatique, a-t-elle mis la finance mondiale au bord de
l’implosion (que seule l’intervention décisive de la Réserve
fédérale a conjurée), alors que la crise asiatique avait
plutôt profité aux marchés financiers occidentaux ?
Au premier semestre 1998, la détérioration de la
situation macroéconomique de la Russie a semblé être des
plus familières pour l’action du FMI : aggravation des
difficultés financières chroniques de l’État fédéral,
dégradation du compte courant sous l’effet de la hausse du
prix du pétrole, appréciation excessive du taux de change
réel. À partir de mai, les autorités monétaires russes se
sont lancées dans une politique de l’absurde pour
maintenir coûte que coûte le taux de change nominal dans
sa bande de fluctuation : le taux d’intérêt interbancaire a
atteint 150 %, alors que le taux d’inflation était inférieur à
10 %. En même temps, les intérêts de la dette publique se
sont accrus jusqu’à représenter la moitié des recettes
budgétaires, laissant présager la banqueroute : l’équivalent
de 20 milliards de dollars de dettes à court terme en
roubles devait être financé avant la fin de l’année.
En juillet 1998, un mécanisme d’assistance internationale
était mis en branle une fois de plus : une aide de 22,6
milliards de dollars étalée jusqu’à la fin de 1999, dont 11
milliards approuvés par le Conseil d’administration du
Fonds le 18 juillet. Le programme économique était des
plus orthodoxes : exhortations à accroître les recettes
fiscales, approbation de l’ancrage du taux de change,
encouragement à maintenir des taux d’intérêt assassins,
échange limité de GKO contre des obligations à long terme
en dollars.
Cette fois-ci, l’erreur de diagnostic sur la nature de la
crise financière en formation ne fut pas rattrapée. Car les
autorités américaines demeurèrent sans réaction. En effet,
comme en Corée, le plan de sauvetage du FMI
présupposait que l’annonce de l’aide financière allait d’elle-
même rétablir la confiance. Par conséquent, il était
présumé que la majorité des détenteurs résidents de GKO
allaient les renouveler à l’échéance à un prix raisonnable.
Or la plus grande partie de la dette interne russe était
détenue par les banques locales qui la finançaient par des
emprunts à très court terme, rendus insupportables avec la
hausse vertigineuse des taux d’intérêt. Incapables de
renouveler leurs lignes de crédit et soumises à des appels
de marge pressants sur leurs swaps roubles-dollars, les
banques russes ne pouvaient que vendre en détresse leurs
actifs en roubles. Elles ne pouvaient donc renouveler leurs
portefeuilles de GKO à aucun prix. Les autorités monétaires
internationales n’ont pas vu, ou ont feint de ne pas voir, que
derrière la déliquescence des finances publiques se
profilait une crise bancaire aiguë. Celle-ci était pourtant
bien perçue par les banques étrangères qui cherchaient à
liquider simultanément leurs positions sur les GKO et sur
les swaps. La désintégration du système russe se produisit
dans le plus grand désordre entre le 11 et le 26 août :
disparition du marché des GKO, double moratoire sur la
dette publique et bancaire, effondrement du rouble86.
La restructuration forcée de la dette russe a déclenché
un traumatisme sur tous les grands marchés financiers du
monde. Elle a marqué une rupture des règles du jeu
international établies depuis la première crise de la dette
mexicaine en août 1982. Le gouvernement du pays débiteur
a imposé un moratoire impromptu s’appliquant à des dettes
internes, publiques et privées. Aucun plan garantissant aux
créanciers étrangers qu’ils seraient remboursés en
contrepartie de leur acceptation d’un rééchelonnement n’a
été proposé. Les banques internationales se sont trouvées
face à leurs risques sans secours officiel.
En modifiant les règles du jeu international, le moratoire
russe a jeté la confusion au cœur du système financier
mondial. L’augmentation généralisée de la volatilité et des
marges sur tous les marchés, à l’exception des titres
publics les plus liquides des pays les plus puissants, sont
des symptômes de cette confusion. Une crise générale des
schémas d’évaluation des prix des actifs financiers a balayé
les marchés à partir de la fin août 1998. Elle a notamment
provoqué l’opération de sauvetage du hedge fund LTCM,
montée par la Réserve fédérale le 23 septembre 1998.

Dans les situations d’incertitude générale, seule compte


la valeur liquidative immédiate des titres. Lorsque tous les
opérateurs, pressés par leurs dettes et pris de doute sur la
valeur de leurs avoirs, recherchent la liquidité, celle-ci
s’évapore. Le prêteur en dernier ressort est le seul moyen
efficace de s’opposer au désastre financier. L’épisode russe
a montré que la globalisation financière est arrivée au point
où les effets de contagion systémique ne dépendent pas du
lieu d’origine des chocs. Les dispositifs mis en place sous
l’égide du FMI depuis les accords de la Jamaïque, pour
séparer les problèmes financiers des pays en
développement puis en transition du fonctionnement du «
centre » du système monétaire international, sont
largement devenus caducs avec le développement des
marchés financiers globaux.
Cette leçon des crises les plus récentes conduit aux
débats sur la nouvelle architecture du système financier
international. Les perspectives qui ressortent de ces débats
seront envisagées au chapitre IV. Mais auparavant, il faut
aborder un aspect essentiel de l’activité du Fonds, son
assistance financière aux pays en difficulté. Les ressources
du Fonds ont été conçues pour fournir une aide temporaire
face à des déséquilibres limités de la balance courante. Or
aujourd’hui, elles servent à la fois à accompagner des
programmes d’ajustement structurel portant sur le moyen
et long terme ou à renflouer des déséquilibres à court
terme mais massifs du compte de capital. La fonction
financière du FMI est le miroir de l’adaptation de
l’institution aux évolutions du contexte international, mais
elle rappelle aussi les limites des transformations possibles.
 
Chapitre III

La régulation de la liquidité : du fonds


d’assistance mutuelle au prêteur en
dernier ressort

La fonction financière du FMI complète sa fonction de


surveillance des politiques économiques et de stabilisation
de l’environnement monétaire. Le FMI offre une incitation
et un soutien à l’ajustement aux pays membres qui
rencontrent des difficultés de balance des paiements en
complétant temporairement leurs réserves de change. Plus
généralement, les principaux objectifs assignés au Fonds
(voir article I des statuts, chapitre I, encadré 1) sont liés à
la gestion des liquidités internationales. L’établissement
d’un système de paiement multilatéral et l’expansion du
commerce international, le maintien des équilibres des
balances des paiements et la stabilité des changes
nécessitent un montant suffisant de liquidités
internationales tant au niveau global, qu’au niveau
national. Prises au sens large, les liquidités internationales
comprennent l’ensemble des moyens de paiements
internationaux en circulation servant au financement des
transactions, ainsi que l’ensemble des réserves ou
encaisses de précaution destinées à faire face à des
déséquilibres de trésorerie internationale ou à diversifier
les portefeuilles financiers. Selon une définition plus
restreinte identifiant liquidités et réserves internationales,
on envisage, non pas toutes les activités internationales
commerciales et financières, mais uniquement le solde de
créances et de dettes entre les différents pays. C’est à ce
second niveau que les banques centrales nationales
utilisent des instruments de réserve pour éponger les
soldes.
La régulation du montant global de liquidités était au
centre du projet d’International Clearing Union de Keynes.
En donnant aux banques centrales le monopole du marché
du change de leur propre monnaie par l’instauration de
contrôles des changes systématiques et en transférant le
règlement des soldes entre banques centrales au niveau de
l’Union de compensation, il conférait à cette dernière la
maîtrise de la création de monnaie internationale.
Privilégiant la vision de White, les fondateurs du FMI
optèrent non pas pour une internationalisation du principe
bancaire sous la forme d’une banque centrale mondiale,
mais pour un système coopératif de crédit entre banques
centrales. Parallèlement, le maintien du principe de la
liberté des changes ouvrait la voie au développement des
mouvements de capitaux et à l’évolution du régime
monétaire international dont nous avons parcouru les
étapes dans les chapitres précédents.
En période de changes fixes, lorsque la norme était
l’équilibre de la balance courante, le besoin de liquidités
internationales était essentiellement un besoin d’encaisses
de transaction destinées à financer les échanges. Les
réserves des banques centrales devaient permettre de
lisser les fluctuations à court terme du solde courant.
Quant à l’offre de liquidités, elle était considérée comme
largement exogène. Elle avait en effet essentiellement trois
sources. En premier lieu, l’or, au sommet de la hiérarchie
monétaire : toutes les monnaies y étaient rattachées,
directement pour le seul dollar ou indirectement pour les
autres monnaies. L’augmentation très limitée de son stock
ne donnait que de faibles possibilités de création
monétaire. Car la position officielle du gouvernement
américain, réitérée par Kennedy en 1961, bien que non
stipulée par le texte des accords de Bretton Woods, était
que le prix de l’or était intangible. La deuxième source était
la position monétaire extérieure débitrice des pays à
monnaie de réserve, c’est-à-dire longtemps le seul dollar.
Enfin, les tirages effectués sur les ressources du FMI
constituaient la dernière source. C’est donc au Fonds que
semblait devoir incomber, au premier chef, la décision
d’allouer si nécessaire des réserves pour permettre le
financement des déficits temporaires des soldes courants
des États membres. Il semblait ainsi à même de contrôler le
processus de création de liquidité internationale.
Cependant, il apparut rapidement que les ressources du
Fonds ne croissaient pas à un rythme suffisant par rapport
au développement du commerce mondial, de sorte que le
déficit de la balance des capitaux des États-Unis s’imposa
comme la source majeure de liquidités internationales. Or
rien n’assurait l’adéquation de cette offre, largement
déterminée par la politique monétaire américaine, au
besoin global de liquidités de l’économie mondiale. Cette
contradiction interne du système de Bretton Woods a
suscité la création du DTS, censé devenir le premier actif
de réserve international (deuxième amendement).
Nous savons qu’il n’en a rien été. Au contraire, l’émission
du nouvel actif, assortie de nombreuses restrictions, a été
dépassée par la croissance exponentielle du crédit privé.
Les financements bancaires, largement déterminés par la
demande, ont résolu le problème de régulation de l’offre de
liquidités. Mais elle a aussi autorisé le creusement des
déficits courants, accentué par les chocs pétroliers,
obligeant le FMI à revoir ses modes d’intervention
financière selon les besoins accrus et prolongés de ses
nouveaux « clients ».
Dans la dernière décennie enfin, la mobilité des capitaux
autorisée par les progrès de l’intégration financière et de la
titrisation a engendré, on l’a vu, des crises de change d’un
type nouveau, suscitées par de brusques reflux de capitaux.
Les ressources du Fonds ont été sollicitées pour combler
des besoins de financement des balances des paiements
sans commune mesure avec les déficits courants auxquels
il était censé faire face.
Le FMI a dû une nouvelle fois adapter ses instruments
d’intervention financière aux évolutions de l’environnement
international. De ces transformations successives du
régime de l’offre de liquidités internationales87 a résulté
une superposition de dispositifs au sein du Fonds, dont
l’ensemble est d’une extrême complexité. Pour tenter de le
clarifier, on peut discerner quatre « modèles » d’institution,
pourvus d’objectifs propres et de moyens partiellement
différents, qui correspondent chacun à un visage du Fonds.
Ces quatre types sont à la fois historiques, puisqu’ils se
sont constitués à un certain stade de l’évolution du SMI, et
fonctionnels, puisqu’ils ont tous perduré jusqu’à
aujourd’hui, faisant du FMI une institution hybride.

I. Le modèle de base : un fonds d’assistance


mutuelle

I.1. « Coopérative de crédit » et « bureau de change


»
L’assistance financière du FMI consiste essentiellement
en une procédure de prêts sous la forme de tirages sur un
pool de monnaies. Le principe fondateur est celui de
l’assistance mutuelle : les pays en position monétaire forte
(notion qui, nous le verrons, comprend différents
paramètres) mettent leurs réserves et éventuellement leur
monnaie à la disposition des pays membres connaissant des
difficultés temporaires d’équilibre des paiements. Les
premiers acceptent en échange une créance sur le FMI.
Symétriquement, les seconds procèdent à un achat (ou
tirage) de devises étrangères contre leur propre monnaie.
Cette opération de change leur crée une position débitrice
auprès du Fonds, qu’ils déboucleront en rachetant leur
monnaie au Fonds dans les délais prescrits. Ce mécanisme
singulier tient donc à la fois de l’opération de change et de
l’opération de crédit.
Le FMI n’agit donc pas comme une banque centrale des
banques centrales. Il dispose d’un simple fonds d’actifs
monétaires mis en commun par les États membres et ne
peut, comme le ferait une banque, accorder des découverts
et octroyer des crédits au-delà de ses ressources. Il
apparaît, au gré des dénominations – « bureau de change »,
« caisse de réserve » ou « coopérative de crédit » – comme
un lieu de centralisation et de redistribution des réserves
constituées par les quotes-parts souscrites par les États
membres.

I.1.1. Le système des quotes-parts


À chaque pays est assignée une quote-part qui détermine
à la fois le montant de sa contribution et celui des
ressources auxquelles il pourra accéder88.
Le versement de la quote-part se décompose en deux
parties :
– l’une, de 25 %, doit être versée en actifs de réserves.
Pendant toute la période de Bretton Woods, elle devait être
acquittée en or. Depuis l’entrée en vigueur du deuxième
amendement en 1978, les DTS et les monnaies « librement
utilisables » ont remplacé l’or et la « monnaie convertible
en or ». Une monnaie librement utilisable est une monnaie
« largement utilisée pour régler des transactions
internationales » et « couramment traitée sur les
principaux marchés de change ». Son marché est donc
assez liquide pour qu’elle puisse être tirée sans que le
Fonds ait à se préoccuper de l’impact éventuel de ce tirage
sur son taux de change. Une décision du Conseil
d’administration de 1978 précise les cinq monnaies
librement utilisables : le dollar américain, le yen, la livre
sterling, le deutsche mark et le franc français (devenus
l’euro) ;
– l’autre, de 75 %, est acquittée en monnaie nationale.
Cette fraction est en général versée sous forme de billets à
ordre non rémunérés (habituellement des bons du Trésor
non négociables et ne portant pas intérêt) libellés dans la
monnaie du pays membre. Ces effets sont mobilisés au fur
et à mesure des besoins du FMI dans la monnaie
considérée. Il faut noter que cette part des ressources du
Fonds versée en monnaies nationales est protégée des
changements de parité ou des fluctuations sur le marché
des changes par une garantie de change : le pays dont la
monnaie s’est dépréciée doit compléter son versement, et,
à l’inverse, le Fonds doit rembourser une certaine fraction
de sa quote-part à un pays dont la monnaie s’est
appréciée89.
En contrepartie de ces versements, les pays membres
peuvent obtenir du Fonds le droit de procéder à des «
tirages » de devises pour faire face à un déséquilibre
temporaire de leurs paiements courants. Formellement, un
tirage (ou un « achat ») revient à une opération de change.
Le pays qui l’effectue verse au FMI sa propre monnaie, en
échange de quoi le Fonds met à sa disposition les devises
dont il a besoin.
La quote-part fixe la contribution des pays membres aux
ressources du Fonds, elle détermine également les limites
de leurs droits de tirage sur ces ressources. Les achats de
devises d’un pays contre sa propre monnaie ne peuvent
porter les avoirs du FMI dans cette monnaie au-delà de 200
% de la quote-part du pays. Autrement dit, les tirages
accordés à un pays membre ne peuvent excéder 125 % de
sa quote-part (puisque le Fonds détient déjà en monnaie
nationale 75 % de la quote-part du pays). Dès l’origine, les
droits de tirage ont été octroyés par tranche de 25 % de la
quote-part, donnant aux pays la possibilité d’effectuer 5
tirages – ou 5 « achats » – d’un montant équivalent à ces 25
%. Telles sont en tous cas les limites inscrites dans les
statuts du Fonds. Nous verrons par la suite que leur
dépassement correspond à une altération du modèle
coopératif initial.

I.1.2. Le mécanisme des tirages


Le statut des droits de tirage est encore compliqué par
une importante distinction entre la tranche de réserve et
les tranches de crédit. Une décision du Conseil
d’administration de 1952 fixa les grands principes qui ont
encore cours aujourd’hui. Tout d’abord, les tirages dans ce
qui s’appelait alors la tranche-or, devenue après le
deuxième amendement tranche de réserve (les 25 % de la
quote-part versés en DTS ou en devises) furent considérés
comme inconditionnels. Un pays membre peut tirer à tout
moment l’intégralité de sa position dans la tranche de
réserve en transférant au FMI un montant équivalent en sa
propre monnaie : il lui suffit pour cela de faire état d’un
besoin que le FMI ne peut contester. Les tirages dans la
tranche de réserve, considérée comme une créance sur le
Fonds, ne sont donc pas assimilables à un crédit : ils ne
font l’objet d’aucune condition ni commission, et ne sont
pas soumis à l’obligation de rachat. Dès lors, la position
dans la tranche de réserve fait partie des réserves propres
d’un pays. Cette créance est d’ailleurs rémunérée pour
partie90.
La position de réserve d’un pays auprès du Fonds n’a pas
seulement pour contrepartie le versement initial de la
quote-part en avoirs de réserve, mais également les tirages
des pays tiers dans sa monnaie. Autrement dit, lorsqu’une
opération du FMI utilise la monnaie d’un pays membre, ce
dernier reçoit en échange une créance sur le FMI et voit sa
position de réserve augmenter d’autant. Dès lors, la
position d’un pays dans la tranche de réserve, définie
comme la différence entre sa quote-part totale et les avoirs
que le Fonds détient dans sa monnaie, peut très bien
devenir supérieure à 25 % de la quote-part si la monnaie du
pays est achetée par d’autres. Cette précision n’est pas
neutre : elle modifie considérablement la situation des pays
à « monnaie forte ». Par exemple, le dollar ayant été
pendant toute la période de Bretton Woods la monnaie la
plus souvent achetée par les autres membres, les États-
Unis ont bénéficié d’une position de réserve confortable qui
leur a permis d’effectuer des tirages conséquents sans
jamais entamer leurs tranches de crédit.
Par opposition aux tirages dans la tranche de réserve, les
tirages dans les « tranches de crédit » s’apparentent à des
emprunts (même si le terme est banni du vocabulaire du
FMI). D’une part, les devises « tirées » ou achetées par le
pays en difficulté doivent être rachetées ; l’opération de
rachat est symétrique de celle de tirage : le pays rachète sa
propre monnaie contre des devises qui pourront être
utilisées par le Fonds dans d’autres opérations. Les rachats
doivent être effectués en principe entre 3 et 5 ans après les
tirages, sur un rythme semestriel (ces délais ont été
modifiés pour certaines facilités de crédit répondant à des
besoins de plus long ou de plus court terme, comme nous le
verrons par la suite). Cependant, des rachats anticipés
peuvent être exigés par le Fonds dès que la situation du
pays tireur l’autorise. L’autre aspect qui apparente les
tirages à des emprunts est leur rémunération. En effet, le
pays qui effectue un tirage doit verser une commission au
Fonds, en fonction de la durée et du montant des tirages.
Ces commissions fournissent l’essentiel des recettes
d’exploitation du Fonds.
Au début de l’exercice, le FMI détermine le taux de
commission à verser pour l’utilisation de ses ressources, en
fonction d’une estimation de ses recettes et de ses
dépenses pour l’année à venir, de manière à atteindre son
objectif de revenu net. Ce taux est fixé en pourcentage du
taux d’intérêt hebdomadaire du DTS91 et varie ainsi chaque
semaine. En avril 1998, il avait été fixé à 107 % du taux du
DTS, et à 113,7 % pour l’exercice 1999-2000. Depuis 5 ans,
il varie entre un peu plus de 100 et 115 %. Le Fonds
pratique en principe un taux uniforme pour toutes ses
opérations. Cependant, ce principe a subi plusieurs
altérations. Ainsi, le Fonds accorde des taux bonifiés dans
ses prêts aux pays à bas revenus (Cf. § III.). Surtout, depuis
1997, de nouvelles facilités ont vu le jour, qui prévoient une
surcharge par rapport au taux de base de l’ordre de 300 à
500 points de base selon la durée des engagements du
Fonds (Cf. § IV.3).
Les dépenses d’exploitation du Fonds comprennent
essentiellement la rémunération des positions dans la
tranche de réserve (qui s’effectue à un taux lui aussi
proportionnel au taux hebdomadaire du DTS). Il faut y
ajouter le paiement des intérêts sur les emprunts du Fonds
et les soldes de précaution constitués pour faire face à la
persistance d’impayés. Les dépenses administratives du
FMI sont couvertes par les recettes d’exploitation nettes.
Les tirages dans les tranches de crédit mettent les États
membres en position débitrice vis-à-vis du Fonds, attestée
par le versement d’une commission et surtout par
l’obligation de remboursement. Surtout, ces tirages sont
conditionnés par l’adoption de certaines mesures de
politique économique et soumis à un suivi étroit du Fonds.
Cette vigilance est modulée. S’il s’agit d’un tirage dans la
première tranche de crédit (portant les avoirs du FMI dans
la monnaie du pays membre au-delà de 100 % de sa quote-
part, mais en deçà de 125 %), les conditions d’accès sont
assez libérales. Dans les tranches de crédit supérieures, la
conditionnalité de l’aide financière s’accentue. Elle
nécessite alors le cadre formel d’un accord passé entre le
Fonds et le pays qui sollicite son aide.
Encadré 1

LES AVOIRS DU FONDS EN MONNAIES


NATIONALES : DIFFÉRENTS CAS

– cas a : pays n’ayant effectué aucun tirage (ni


sur sa tranche de réserve, ni sur le reste de sa
quote-part) et dont la monnaie n’a pas été achetée
par d’autres États membres. La partie rémunérée
de la tranche de réserve est celle qui est inférieure
à la norme.
– cas b : pays ayant effectué un tirage équivalent
au montant total de sa tranche de réserve. Il ne
paie donc pas de commission puisqu’il opère un
achat sur sa tranche de réserve, mais ne touche
pas non plus de rémunération, puisqu’il a remplacé
les devises ou DTS de sa tranche de réserve par sa
monnaie.
– cas c : pays ayant procédé à un achat de
devises ou de DTS contre sa monnaie, mais sans
toucher à sa tranche de réserve. Il continue donc à
percevoir une rémunération, mais paie également
une commission sur le montant du tirage qu’il a
réalisé.
– cas d : pays ayant réalisé des achats sur sa
tranche de réserve et sur le reste de sa quote-part.
Il ne touche donc plus de rémunération (sans pour
autant payer une commission sur l’achat effectué
sur sa tranche de réserve). Il acquitte par contre
une commission sur le reste du montant de ses
achats.
– cas e : pays n’ayant effectué aucun tirage, mais
dont la monnaie a été achetée par d’autres Etats
membres. Sa tranche de réserve s’accroît donc et,
avec elle, la position rémunérée.

Source : Département de la trésorerie, 1998.

I.2. Limites des ressources du Fonds


Le FMI ne pouvant prêter que les monnaies qu’il détient,
sans pouvoir en créer lui-même, il se heurte à la limitation
de ses ressources. La première limite tient au niveau des
quotes-parts. Celles-ci peuvent certes être augmentées,
mais la procédure de révision est lourde et rencontre
souvent des résistances. De plus, les monnaies que le
Fonds reçoit ne sont pas toutes utilisables, ce qui réduit
considérablement les montants effectivement mobilisables.

I.2.1. L’impact des opérations du Fonds sur la liquidité


internationale
Comme le FMI n’est pas une banque et qu’il n’accorde
pas à proprement parler de crédits, il ne crée pas de
monnaie. Cependant, par la redistribution des actifs mis à
sa disposition par les États membres, ses opérations ont un
impact sur le volume de la liquidité internationale.
Cet impact peut être appréhendé au travers des
variations des positions de réserve, puisque, nous l’avons
vu, tout tirage d’un État membre induit une augmentation
de la position de réserve d’un autre État membre. Or les
positions de réserve peuvent être suivies facilement : elles
font partie des réserves officielles des banques centrales
des États membres.
Quand un pays effectue un tirage dans sa tranche de
réserve, sa position de réserve au Fonds diminue, mais
celle du pays dont la monnaie est utilisée augmente. Il y a
compensation, et le total des positions de réserve ne varie
pas. En revanche, quand un pays tire dans ses tranches de
crédit et que la position de réserve du pays dont la monnaie
est tirée s’accroît, les positions de réserve agrégées
augmentent du montant des tirages effectués dans les
tranches de crédit. Inversement, elles diminuent avec les
rachats. Cette augmentation peut se lire de deux manières :
du point de vue du pays dont la monnaie est achetée, elle
augmente ses réserves officielles propres, dont les
créances sur le FMI font partie ; du côté du pays tireur, elle
accroît ses réserves empruntées.
Graphique 1
Position de réserve au FMI et réserves mondiales

Source : Datastream

D’autres opérations du Fonds peuvent influencer les


positions de réserve cumulées. Quoi qu’il en soit, comparée
à l’augmentation des avoirs en devises, l’augmentation
totale des réserves internationales liées aux opérations du
Fonds est très limitée. La position de réserve au FMI varie
néanmoins sensiblement avec les interventions du Fonds
dans les crises financières des pays émergents. Le
graphique 1 fait apparaître deux pics, l’un en 1984, l’autre
en 1998. Cependant l’impact sur les réserves mondiales a
été très différent d’un épisode à l’autre. Dans la crise de la
dette souveraine du début des années 80, les marchés
internationaux de capitaux non bancaires étaient encore
peu développés. Aussi l’arrêt du crédit bancaire avait-il
contracté les réserves internationales. L’augmentation des
positions de réserve au FMI, contrepartie de ses crédits,
s’était substituée à un montant en baisse de réserves
empruntées auprès du secteur privé. La part des positions
de réserve au FMI dans le total des réserves mondiales
avait bondi de 4 à 10 % entre 1980 et 1984. Au contraire,
les tirages beaucoup plus importants effectués lors de la
crise asiatique n’ont que très peu modifié cette part qui
demeure au voisinage de 4 %. C’est que les moyens pour
les pays d’emprunter des réserves sur les marchés de
capitaux privés sont devenus diversifiés et aisément
substituables. Pendant la crise financière de 1997-98, les
pays en difficulté ont certes été temporairement coupés du
marché mondial des capitaux. Mais les pays occidentaux
ont vu un reflux massif de capitaux sur leurs marchés
financiers. Des investisseurs privés les ont recyclés vers
des pays (la Chine par exemple) qui désiraient constituer
une base de réserves dissuasives pour les spéculateurs. Au
total le montant des liquidités internationales a fortement
augmenté au lieu de diminuer, montrant bien par là que
l’offre est devenue très élastique à la demande.

I.2.2. La lourde procédure d’augmentation des quotes-parts


Comme nous l’avons vu, le montant initial du total des
quotes-parts fit l’objet d’une négociation entre Anglais et
Américains à la conférence de Bretton Woods. Il fut fixé à
7,6 milliards de dollars. Il représente aujourd’hui 212
milliards de DTS, soit autour de 285 milliards de dollars.
Pourtant, les quotes-parts ont été loin de progresser aussi
vite que le commerce mondial (Cf. graphique 2).
Depuis 1950, il y a eu 12 révisions générales des quotes-
parts, dont 4 n’ont donné lieu à aucune augmentation.
L’enveloppe globale est négociée en fonction de l’évolution
du commerce mondial et du montant des déséquilibres des
paiements, qui créent une demande potentielle d’aide de la
part du FMI. Malgré les demandes réitérées du groupe des
PVD, les relèvements de quotes-parts n’ont pas permis de
suivre l’évolution du commerce international durant la
période : très vite, elles ont diminué en pourcentage des
exportations mondiales, mais la véritable rupture date du
premier choc pétrolier. Depuis, le montant des quotes-parts
se situe autour de 4 % des exportations mondiales.
L’augmentation du montant des quotes-parts repose, il est
vrai, sur une très lourde procédure de révision. Les statuts
prévoient une révision périodique : « Tous les cinq ans au
moins, le Conseil des gouverneurs procède à un examen
général des quotes-parts des États membres et, s’il le juge
approprié, en propose la révision » (art. 3.2.a)92. Un
relèvement général exige une résolution du Conseil des
gouverneurs, à laquelle les membres représentant au moins
85 % du montant total des quotes-parts doivent donner leur
accord. Avec leur quote-part de 17,5 % du total, les États-
Unis peuvent donc bloquer la décision de relèvement. De
fait, la dernière révision en 1997-1998 a dû être arrachée
au Sénat américain au moment de la ratification.

Graphique 2
Quotes-parts au FMI et exportations mondiales

Au-delà des discussions sur l’enveloppe générale, la


procédure d’augmentation des quotes-parts est rendue
extraordinairement complexe par les problèmes de calcul
des nouvelles quotes-parts de chacun des pays membres.
En effet, à côté de l’augmentation équiproportionnelle des
quotes-parts, qui relève chacune d’un pourcentage
uniforme, chaque révision est l’occasion d’augmentations
sélectives, pour tenir compte du poids et des
caractéristiques économiques des membres, et, dans
certains cas, pour renforcer la position de liquidité du
Fonds.
À chaque révision générale se pose donc un triple
problème : celui du montant de l’augmentation globale des
quotes-parts, celui de la répartition entre augmentation
équiproportionnelle et augmentation sélective, celui de
l’allocation de l’augmentation sélective. La solution retenue
est rarement simple, et de surcroît, elle évolue à chaque
révision93. Chaque relèvement de quotes-parts est donc
l’occasion d’une longue procédure où la technicité le
dispute aux rivalités nationales.

I.2.3. Le problème de la liquidité des ressources du Fonds


Les ressources du Fonds étant constituées
principalement d’un « ensemble hétéroclite de devises
nationales », pour reprendre l’expression de Keynes, une
bonne partie des avoirs du Fonds n’est pas utilisable. Ainsi,
dans les années d’après-guerre, face à une situation
d’inconvertibilité de la plupart des monnaies et de pénurie
de devises, l’essentiel des tirages effectués était en dollars
américains (des débuts du FMI à 1961, ils représentent 85
% des tirages sur le Fonds). Cette contrainte de liquidité a
fortement limité l’aide financière du Fonds94. Il fallut
attendre la crise de Suez, en 1956, pour que les tirages
retrouvent un niveau significatif. Avec le rétablissement de
la convertibilité des monnaies européennes, la
prépondérance du dollar dans les opérations du Fonds est
devenue moins écrasante. Cependant, encore aujourd’hui,
la plupart des monnaies versées par les membres ne
peuvent être engagées à l’occasion d’interventions sur le
marché des changes, et, souvent, ne sont pas non plus
convertibles en monnaies susceptibles de servir à cet
usage.
Tableau 1
Les révisions quinquennales des quotes-parts

Les avoirs du FMI sont essentiellement composés de


monnaies et de titres des pays membres (205 milliards de
DTS en 1999), de DTS (3,6 milliards) et d’or (3,6 milliards,
évalués au prix officiel de 35 dollars l’once, ce qui fait du
FMI, avec 103 millions d’onces, un des plus gros
détenteurs officiels). Depuis la démonétisation de l’or,
celui-ci n’est plus employé dans les opérations courantes
du Fonds. Le stock d’or détenu par le FMI est stérilisé.
Celui-ci n’a pas l’autorité pour en acheter, mais peut en
recevoir en paiement de la part d’États membres (quelques
cas rares de règlement d’une partie de la quote-part en or)
ou en céder avec l’accord d’une majorité de 85 % au
Conseil d’administration. Mais alors, seul l’investissement
des profits résultant de la vente d’or peut être utilisé. Nous
reviendrons plus loin (encadré 3) sur l’utilisation de la plus-
value de ces ventes dans le cadre des prêts effectués au
profit des pays à bas revenus.
Si on laisse momentanément de côté les DTS, les
monnaies nationales forment donc la majeure partie des
actifs du Fonds. Tous les trois mois, le Conseil
d’administration choisit les monnaies qui seront utilisées
pour les achats, les rachats, et les autres opérations et
transactions du Fonds. Il établit pour cela le budget des
opérations et transactions, dans lequel est indiqué le
montant de DTS et de monnaies que le FMI prévoit de
transférer aux pays membres et de recevoir de leur part au
cours de la période considérée.
La sélection des monnaies utilisées et leur montant se
fondent, selon l’article V, section 3/d, sur différents critères
: tout d’abord, la position extérieure des pays (seules les
monnaies dont les pays ont des balances des paiements
assez solides et des réserves assez fortes sont utilisées par
le Fonds) ; ensuite, l’équilibre entre les positions des
différents membres (les avoirs du FMI en monnaie d’un
pays membre, par rapport à la quote-part de celui-ci, ne
doivent pas descendre au dessous des deux tiers de la
moyenne constatée pour les autres pays dont la monnaie
est incluse dans le budget) ; enfin, le Fonds s’impose de
conserver un montant minimum de fonds de roulement
dans toutes les monnaies à concurrence de 10 % de leur
quote-part.
Dans le budget des tirages, le Fonds inscrit les monnaies
principalement en proportion des réserves des pays
concernés95. En revanche, dans le budget des rachats, il les
inscrit en proportion de la position créancière des pays.
Un pays membre ne peut pas s’opposer à l’usage de sa
monnaie par le FMI, dès lors que le Conseil
d’administration a jugé sa position extérieure suffisamment
solide pour que sa monnaie soit incluse au budget. Or
l’achat de cette monnaie par un pays tiers n’est pas sans
conséquence. En effet, afin de renforcer l’utilité des
ressources du Fonds, le deuxième amendement aux statuts
stipule que tout membre dont la monnaie est inscrite au
budget opérationnel et est achetée par un autre membre
devra fournir au tireur une « monnaie librement utilisable
»96 (Cf. § I.1.1). Le pays « tiré » est ainsi tenu de convertir
le montant acheté de sa propre monnaie en monnaie
librement utilisable, au taux officiel indiqué par le FMI.
Cette obligation signifie que ce pays met non seulement sa
monnaie, mais éventuellement une fraction de ses réserves,
à la disposition des pays en difficulté.
Le FMI peut en principe transférer la monnaie de
nombreux pays membres, grands ou petits, industrialisés
ou en développement, et pas seulement les grandes devises
: autrement dit, le cercle des monnaies utilisables dépasse
largement celui des monnaies « librement utilisables ». La
liste des monnaies utilisables n’était pas, jusqu’ici, rendue
publique97 (l’information sur la mise à l’écart d’une
monnaie en situation de vulnérabilité passagère risquerait
de la fragiliser plus encore). On sait cependant qu’une
trentaine de monnaies seulement sont inscrites au budget
des opérations : les monnaies des pays industrialisés
alimentent pour l’essentiel le budget des opérations du
Fonds.
Les monnaies des membres endettés auprès du FMI, ou
de ceux qui connaissent des difficultés de balance des
paiements ou des positions de réserve trop fragiles, ne sont
jamais achetées. Il s’agit d’une fraction considérable des
avoirs du Fonds en monnaies nationales : ainsi en octobre
1999, sur un total de quotes-parts de 215 milliards de DTS,
plus de 120 milliards – soit plus de 55 % – n’étaient pas
utilisables. En outre, cette proportion peut varier
sensiblement. Une détérioration de la balance des
paiements d’un membre dont la quote-part est importante
rend inutilisable tous les avoirs du Fonds dans cette
monnaie. En octobre 1998, alors même que les tirages
étaient considérables, la proportion de monnaies non
utilisables était de l’ordre de 70 % du total des ressources.
L’allocation d’une aide financière à un État membre se
traduit à la fois par une diminution des ressources
utilisables (l’achat d’une monnaie « forte » par un État
réduit le stock des monnaies utilisables) et par une
augmentation des engagements liquides du Fonds
(puisqu’elle accroît la position de réserve des États dont la
monnaie a été utilisée pour la transaction). La nécessité de
pouvoir faire face à toute demande de tirage sur les
positions de réserve impose au Fonds une gestion très
stricte de sa liquidité. Pour préserver la confiance des pays
membres, le FMI doit maintenir son ratio de liquidité dans
des proportions raisonnables.
Le ratio de liquidité est le rapport des ressources
utilisables non engagées du Fonds sur ses engagements
liquides (tableau 2). Les ressources utilisables non
engagées correspondent aux ressources utilisables,
diminuées d’une part des ressources déjà engagées (les
tirages prévus quoique non encore effectués dans le cadre
d’un accord) et d’autre part des fonds de roulement en
monnaies constitués en prévision des paiements que le
Fonds doit effectuer dans des monnaies spécifiques (on a
vu qu’il a été fixé à 10 % des quotes-parts des membres
dont la monnaie est utilisable).
Les engagements liquides du FMI sont les créances que
les pays membres détiennent sur le compte de ressources
générales, soit au titre de leur position dans la tranche de
réserve, soit au titre des prêts accordés au FMI98. Les pays
peuvent à tout moment acheter l’intégralité de ces
ressources pour les besoins de financement de leur balance
des paiements.
Il n’existe aucun montant minimum fixé pour ce ratio.
Historiquement, il a varié entre 150 %, dans les années
d’augmentation de quotes-parts ou correspondant à une
vague de rachats (comme en 1992), et 30 à 40 %. La fin de
l’année 1998, avant la dernière augmentation de quote-
part, correspond à un plancher historique. Il faut remonter
à la fin des années 70, lorsque le Fonds devait répondre à
la fois aux besoins de financement des PVD et de certains
pays industrialisés, pour retrouver un niveau aussi bas.
Même au plus fort de la crise de la dette des années 80, ce
ratio n’était pas descendu au dessous de 60 %.

Pour repousser cette forte contrainte de liquidité, le FMI


dispose de trois possibilités.
La première est l’augmentation de quotes-parts. Mais on
a vu qu’il s’agissait d’une procédure lourde et toujours
susceptible de se heurter à des résistances politiques
internes aux États, notamment celle du Congrès américain
qui ratifie les révisions de quotes-parts. En outre, si elle
accroît les ressources du Fonds, elle augmente aussi les
droits de tirage des pays membres, ce qui a pu être
problématique dans les périodes où les principaux
contributeurs faisaient massivement appel au Fonds99.
Tableau 2
Position de liquidité du Fonds de 1997 à 1999

Source : FMI

La deuxième possibilité est le recours à l’emprunt. C’est


en 1962 que le FMI a eu pour la première fois recours à
l’emprunt auprès de ses membres, comme l’article VII,
section 2 l’autorise. Ces Accords généraux d’emprunt
(AGE) témoignent d’une période où l’utilisation des
ressources du Fonds était dominée par les tirages des pays
industrialisés (voir tableau 1, chapitre I, §II.2.4.). Ils
organisaient en effet un mécanisme d’assistance mutuelle
restreint aux seuls pays riches, par lequel les 10 principaux
pays industrialisés s’engageaient à prêter leur monnaie au
Fonds si celui-ci en avait besoin pour financer les tirages de
l’un d’entre eux. Ces accords augmentaient de 6 milliards
de dollars les ressources utilisables du Fonds, sans ouvrir
de nouveaux droits de tirage.
Prévus pour 5 ans, ils ont été sans cesse renouvelés
depuis. Ils ont été utilisés une dizaine de fois, avant leur
révision en 1983 (Cf. § IV. 1) : en 1964-65 pour financer une
partie des tirages effectués par le Royaume-Uni, en 1968-
69 par la France. Dans les années 70, les AGE ont permis
de financer les tirages du Royaume-Uni et de l’Italie en
1977 ; en 1978, un tirage des États-Unis sur sa tranche de
réserve a nécessité un emprunt à l’Allemagne et au Japon.
Plusieurs autres types d’emprunt se sont ensuite
superposés aux AGE, avec tous pour objectif de relâcher la
contrainte de liquidité pesant sur le Fonds. Ils
correspondent cependant à une logique différente de celle
de l’assistance mutuelle. C’est pourquoi nous les
aborderons dans le cadre d’autres modèles.
La troisième possibilité est l’émission de droits de tirages
spéciaux (DTS). Elle dépasse de loin le seul problème de
liquidité du Fonds, mais s’inscrit dans une perspective plus
ambitieuse de régulation du montant global des liquidités
internationales. On se souvient de la contradiction
fondamentale du système de Bretton Woods, mise en
évidence par R. Triffin, entre une offre exogène de
liquidités internationales, issues du déficit des paiements
américain, et le rôle du dollar comme ancrage du système,
du fait de sa convertibilité en or (voir chapitre I, § II.2). La
communauté internationale allait s’atteler à résoudre ce
problème en créant une monnaie scripturale internationale
d’un genre tout à fait inédit, le DTS, dont l’ambition était
de replacer le Fonds au centre de la gestion globale de la
liquidité internationale.
II. Les DTS et le modèle de l’agence d’émission

Le DTS a représenté une innovation monétaire


considérable, en réactivant, vingt ans après Bretton Woods,
le débat sur l’avènement d’une monnaie supranationale.
Mais, là encore, la primauté des gouvernements les plus
sourcilleux de leur souveraineté monétaire a prévalu. Le
DTS n’a pas tenu les promesses du premier (1969) et moins
encore du deuxième amendement (1978) aux statuts du
Fonds. Conçu dans un premier temps comme une source de
liquidité supplémentaire visant à réduire la dépendance du
SMI à l’égard de l’or, il n’a pas permis de sauvegarder le
système de parités de Bretton Woods. Par la suite, dans un
système de changes flottants marqué par la concurrence
des devises, il n’a pas réussi à s’imposer comme le «
principal instrument de réserve internationale ». Il ne s’est
pas substitué au dollar – il est même resté loin derrière
toutes les grandes devises – malgré les efforts du Fonds.
Les restrictions dont il a été assorti ont désamorcé ce que
son invention laissait espérer quant à l’affirmation d’une
autorité monétaire internationale. En aucun cas il n’a fait
de son institution émettrice la super-banque centrale que
certains appelaient de leurs vœux. La régulation du
montant global des liquidités internationales est passée,
comme on le sait, par le développement d’une offre de
crédit privé, réduisant le rôle et la part du DTS. Ce dernier
mérite pourtant attention pour au moins deux raisons :
d’une part, il reste un instrument à la disposition du Fonds
et de la communauté internationale ; d’autre part, il
constitue une innovation remarquable, tant sur le plan de
l’imagination théorique que de la pratique monétaire.
Dès le début des années 60, les propositions visant à la
création d’un nouvel actif fleurirent, parmi la communauté
scientifique, puis au sein même du Fonds dans le cadre des
travaux du G10.
Certains, comme R. Triffin100, plaidaient en faveur d’une
résurrection du plan Keynes et proposaient une
internationalisation de toutes les réserves monétaires
nationales – or et devises – et l’émission par le Fonds d’une
monnaie internationale, abolissant enfin la division
monétaire des nations. De manière moins ambitieuse, la
plupart des projets envisageaient un nouvel actif venant en
complément, plutôt qu’en remplacement des réserves
existantes. Ils variaient sur le choix de la contrepartie de
l’émission : avoirs de réserve déposés au Fonds, dépôts en
monnaie nationale, etc.

II.1. Un actif singulier


Le DTS se différencie de toutes les propositions
antérieures sur un point crucial : auparavant, on
considérait comme tout à fait essentiel que ce nouvel actif
soit couvert par un autre actif. Le DTS fut au contraire créé
ex nihilo. Il n’est garanti par aucun dépôt de monnaie
nationale ou de réserves au Fonds. Le DTS fut ainsi créé et
distribué aux pays membres à proportion de leur quote-
part, sans la moindre couverture, telle une manne tombée
du ciel.
Cet abandon du concept de couverture représente une
innovation intellectuelle considérable. Il signe la
reconnaissance au niveau international du fait, déjà ancré
dans les pratiques nationales, que « la monnaie a besoin de
preneurs, non de couvertures », pour reprendre
l’expression de Fritz Machlup101. On a vu ici une analogie
avec la monnaie fiduciaire créée par les États et
inconvertible en actifs primaires tels que l’or. Cette
analogie ne doit cependant pas induire en erreur, car elle
prélude davantage à la réforme du SMI et à la
démonétisation de l’or qu’à la transformation du FMI en
banque centrale, ou même en institution à caractère
bancaire. Une comparaison avec le bancor, dont le DTS est
souvent rapproché à tort, est à cet égard éclairante. Dans
le projet d’International Clearing Union (ICU) de Keynes,
l’émission de bancors devait être gagée sur les réserves
d’or constituée par la mise en commun de la plus grande
partie des encaisses-or des États102. D’autre part, les
émissions de bancors par l’ICU créaient des dettes ou des
découverts pour les membres : il s’agissait de crédits
consentis aux pays déficitaires et assortis d’une obligation
de remboursement. Rien de tel pour les DTS : non
seulement ceux-ci ne sont gagés sur rien, mais encore leur
émission n’est la contrepartie d’aucune créance sur les
États membres. Du point de vue institutionnel enfin,
l’émission de DTS n’a rien d’une décision de crédit : elle
s’apparente plutôt à un relèvement des quotes-parts,
puisque, au terme d’un vote à 85 % du Conseil des
gouverneurs103, elle consiste en allocations générales
effectuées au prorata des quotes-parts.
Si le FMI avait émis des DTS au gré des tirages de ses
membres, son rôle se serait éloigné de celui d’un bureau de
change redistribuant des monnaies nationales, vers celui
d’une institution bancaire émettant sa propre monnaie en
contrepartie des crédits qu’elle accorde. Au contraire, la
création du DTS a donné lieu à l’ouverture d’un
département spécial, le département des DTS, dont les
opérations et les comptes sont soigneusement distincts de
ceux du département général. Deux modèles coexistent et
se juxtaposent : d’un côté un mécanisme d’assistance
mutuelle accordant des crédits – qui sont en réalité des
opérations de change – dont la mission est de financer les
déficits temporaires de balance des paiements, de l’autre
une agence d’émission d’un actif fiduciaire international
qui alloue celui-ci sans la contrepartie d’un crédit, et dont
la vocation est de répondre à « un besoin mondial à long
terme de compléter les instruments de réserve existants ».
On voit combien le statut du DTS est ambigu, singulier,
largement indéfinissable. Nous reviendrons par la suite sur
son caractère monétaire en étudiant ses caractéristiques
en tant qu’étalon de valeur, moyen de règlement et surtout
instrument de réserve. Mais avant de pouvoir dresser un
bilan, il faut revenir sur les principaux épisodes de sa
carrière malheureuse.

II.2. Les compromis du premier amendement et la


première allocation
La création du DTS est inscrite au premier amendement
des statuts du Fonds, adopté en 1969 après des années de
discussions intenses. Cet amendement porte surtout la
marque d’un compromis entre les positions française et
américaine. Le débat s’est en effet progressivement
focalisé sur cette opposition. Rétrospectivement, il éclaire
certaines ambiguïtés du DTS.
Les États-Unis souhaitaient la création de liquidités
supplémentaires pour soulager le dollar, mais ils ne
voulaient pas l’instauration d’un instrument de réserve
susceptible de le menacer dans son rôle international. On
comprend dès lors leur réticence à l’idée que le FMI puisse
accorder des crédits en DTS. C’est pourquoi ils soutenaient
la création d’un actif inconditionnel. Au contraire, la
France était doublement hostile à la création d’un actif
fiduciaire international104. Au nom du rétablissement de
l’étalon-or, elle craignait le risque de création ex nihilo
d’une monnaie internationale qui prétendrait concurrencer
l’or comme actif de réserve (c’est en 1965 que de Gaulle se
prononça publiquement en faveur du rétablissement de
l’étalon-or). Au nom de l’opposition au « privilège
exorbitant » des États-Unis dans le SMI, elle suspectait le
gouvernement américain de vouloir faire du DTS un moyen
de conforter le dollar. La France s’attacha donc à conserver
aux DTS la nature de crédits. Le nom même de droits de
tirage spéciaux, par analogie avec les droits de tirage
ordinaires, témoigne d’une concession à la position
française en faveur d’un DTS instrument de crédit.
De fait, la nature de l’instrument de réserve issu du
premier amendement est malaisée à définir. À l’époque de
l’accord de Rio, portant création du DTS en 1967, le
directeur du FMI, P.P. Schweitzer, a évoqué à son égard
l’image du zèbre, « animal qui peut être considéré par les
uns comme blanc rayé de noir, et par les autres comme noir
rayé de blanc »105. Le DTS se rapprochait par plus d’un
trait d’un instrument de crédit, certaines concessions à la
position française ayant été facilitées par la nécessité de
faire accepter le nouvel actif par les gouvernements. Leur
confiance était loin d’être acquise, beaucoup ne
considérant pas le DTS comme un substitut acceptable du
dollar et encore moins de l’or. Les clauses juridiques
complexes qui caractérisent son utilisation témoignent du
scepticisme largement répandu à son égard (encadré 2).

Encadré 2

LES RESTRICTIONS APPORTÉES À


L’USAGE DU DTS SELON LE PREMIER
AMENDEMENT
La base légale du système des DTS est constituée
par une double obligation de besoin et
d’acceptation. La participation au département des
DTS confère d’une part l’obligation de fournir sa
monnaie contre des DTS (dans certaines limites), et
d’autre part le droit de les utiliser en cas de besoin
de la balance des paiements, et uniquement dans
ce cas. Ces deux obligations rapprochaient les DTS
d’une ligne de crédit inconditionnelle. Dès lors que
sa balance des paiements est déficitaire, tout pays
peut demander au FMI de lui désigner un pays
créditeur auquel il transférera ses DTS (pays dont
la balance des paiements et les réserves de change
ménagent une position extérieure suffisamment
forte). Le Fonds désigne donc les pays susceptibles
de recevoir (d’acheter) des DTS de la même façon
qu’il établit la liste de ceux dont les monnaies sont
susceptibles d’être achetées. Or, dans ce dernier
cas, nous l’avons vu, le pays peut être amené à
fournir une monnaie « réellement convertible » (ou,
après le deuxième amendement, « librement
utilisable »). Il en va de même pour le DTS, puisque
ce dernier ne peut être utilisé directement dans les
interventions sur le marché des changes. Ainsi un
pays qui reçoit les DTS d’un autre peut être amené
à puiser dans ses réserves, si le pays cessionnaire
demande la conversion. On comprend dès lors les
réticences des États à accepter des DTS.
C’est pourquoi l’obligation d’acceptation fut donc
assortie d’une limite : au-delà du double de son
allocation cumulative nette, c’est à dire lorsque ses
avoirs atteignaient 300 % de cette allocation, un
pays pouvait refuser des DTS supplémentaires.
Notons qu’à côté des transactions par
désignation, passant par le Fonds, des transactions
par accord pouvaient être conclues entre les deux
parties, le Fonds se contentant alors d’enregistrer
le transfert. Les États-Unis tenaient en effet
beaucoup au caractère d’actif inconditionnel du
DTS et au principe de libre utilisation. C’est
pourquoi la rédaction du premier amendement
maintient une certaine ambiguïté entre l’obligation
de besoin et l’assurance d’une utilisation libre.
Autre concession faite dans le sens d’un DTS
instrument de crédit, l’obligation de reconstitution
consistait pour tout pays à devoir rétablir sa
position en DTS après un certain laps de temps.
Chaque participant était ainsi obligé de maintenir,
sur une période de 5 ans, un montant moyen d’au
moins 30 % de son allocation. On voit que cette
obligation rapprochait les DTS des droits de tirage
ordinaires, bien que les termes de «
remboursement » ou de « rachat » aient été
soigneusement évités.
Quant aux caractéristiques financières du DTS
selon le premier amendement, elles contribuent
aussi à expliquer son échec comme instrument de
réserve.
Le DTS n’ayant pas de marché, il appartenait au
Fonds d’en déterminer la valeur. Au moment de sa
création, en 1969, alors que l’or était encore au
sommet de la hiérarchie monétaire internationale,
il fut décidé que l’unité de valeur du DTS
équivaudrait à 0,888671 gramme d’or fin, soit
exactement la valeur or du dollar. Cependant,
contrairement à celle-ci, celle du DTS n’était pas
garantie. Le but de la clause de la valeur or était
uniquement de permettre de déterminer la parité à
laquelle le DTS et la monnaie convertible fournie
par le cessionnaire s’échangeraient.
Cette décision fut fortement appuyée par les
États-Unis qui voulaient créer un actif qui, à
l’instar du dollar, serait « aussi bon que l’or », mais
aussi étroitement solidaire du dollar. Le taux de
change des autres monnaies par rapport au DTS
était calculé en fonction de leur taux de change par
rapport au dollar (voir ci-dessous). Aussi, beaucoup
n’ont vu dans le DTS qu’un substitut dégradé et
artificiel de la monnaie américaine.
D’autant que le taux d’intérêt fut fixé initialement
à 1,5 % (taux révisable dans des limites étroites par
un vote à la majorité du Conseil d’administration)
ce qui rendait la détention de DTS plus
avantageuse que celle de l’or – qui ne porte pas
d’intérêt – mais moins que celle du dollar.
Par analogie avec les droits de tirage ordinaires,
seuls portent intérêt les avoirs en DTS excédant les
allocations initiales. Le paiement de l’intérêt est
financé par une commission prélevée sur les
participants possédant moins de DTS que le
montant qui leur a été alloué, et distribuée aux
participants détenteurs de DTS supplémentaires
par rapport à l’allocation initiale. Le système des
DTS est ainsi un système fermé : les DTS sont
gérés au sein d’un compte spécial, par un
département indépendant du département général.
Les utilisateurs nets rémunèrent les acquéreurs
nets sans qu’aucun revenu ni aucune dépense nets
soient générés.

La première allocation

Les négociations sur l’activation des DTS commencèrent


en 1969. Elles aboutirent à une allocation de 9,5 milliards
de DTS sur trois ans, soit un montant beaucoup plus
important que celui envisagé au moment de la création. En
effet, le FMI redoutait une nette pénurie de liquidités,
d’autant que les réserves avaient très peu crû entre 1965
et 1968. Cette crainte fut avivée par un excédent
temporaire de la position extérieure du secteur officiel
américain, dû à une politique monétaire restrictive.
La première allocation s’étala de 1970 à 1972. Elle fut
rapidement éclipsée par l’afflux de dollars résultant de
l’assouplissement de la politique monétaire américaine, qui
n’avait pas été anticipé. S’élevant à 10 % du stock de
réserves de 1969, cette allocation ne correspondait plus
qu’à 5 % de celui de 1973 : le montant total d’actifs de
réserve avait doublé en 4 ans, les avoirs en dollars, plus
que quadruplé.
Il faut dire que les conditions d’usage et les
caractéristiques financières du DTS ne lui permettaient pas
de faire, même partiellement, de l’ombre au dollar.
L’utilisation par les États-Unis des DTS qui leur avaient été
attribués lors de la première allocation est à cet égard
significative. Sur les 866,9 millions de DTS qui leur ont été
alloués en 1970, au prorata de leur quote-part, 660 millions
ont été utilisés par le Trésor américain pour racheter des
dollars et prévenir la conversion de certaines balances
dollar en or. Cette utilisation manifeste bien la volonté des
États-Unis de faire du DTS un soutien et non un substitut
du dollar.

II.3. Les ambitions du deuxième amendement : le


DTS « principal actif de réserve »
Sur fond de désordres monétaires, les négociations des
années 70, dans le cadre du C-20 puis du Comité
intérimaire jusqu’à l’accord de la Jamaïque, s’efforcèrent
de projeter le rôle futur des principaux actifs de réserves –
devises internationales, or et DTS. En fait, le DTS se
trouvait au carrefour de deux questions cruciales pour
l’avenir du SMI : la démonétisation de l’or et la place du
dollar.
La première étape de la transformation du DTS fut la
modification de son évaluation. Après les dévaluations du
dollar, mais surtout après la généralisation des changes
flottants, la méthode initiale de détermination de la parité
du DTS manifesta son défaut majeur : elle liait trop
exclusivement sa valeur à celle du dollar, dans la mesure où
un pays devait passer par le taux de change de sa monnaie
par rapport au dollar pour déterminer la valeur de ses
encaisses de DTS. Ainsi, si le dollar se dépréciait vis-à-vis,
par exemple, du deutsche mark – le prix officiel de l’or
défini en dollar ne bougeant pas – les encaisses
américaines de DTS demeuraient constantes, alors que les
avoirs allemands perdaient de leur valeur. Après que
diverses solutions eussent été envisagées, ce système fut
abandonné, et remplacé en juin 1974 par la méthode dite
du panier de monnaies, seule praticable dans un contexte
de flottement généralisé.
Cette méthode présente cependant l’inconvénient de ne
pas rendre le DTS plus « fort » que la moyenne des grandes
monnaies (d’autant que le panier ne comprenait pas moins
de 16 monnaies jusqu’en 1981), alors que sa position d’actif
de réserve aurait été encouragée s’il avait eu tendance à
s’apprécier par rapport à la plupart des devises.
L’adoption de la méthode d’évaluation du panier de
monnaies, et donc la perte de tout lien du DTS avec l’or,
s’accompagna d’un relèvement de son taux d’intérêt. Dans
un premier temps, il fut décidé d’appliquer à la moyenne
des taux de marché des monnaies composant le panier un «
abattement de stabilité », dans la mesure où la valeur du
DTS était plus stable que celle de n’importe laquelle des
monnaies du panier. Ni la définition de sa valeur, ni la
détermination de son taux d’intérêt ne rendaient le
rendement effectif du DTS particulièrement attractif.
L’évolution des caractéristiques financières du DTS était
étroitement liée au délitement accéléré du système de
parités de Bretton Woods. Elle s’inscrivait aussi dans la
stratégie américaine en faveur d’une démonétisation de l’or
et d’un flottement des parités. En effet, le DTS, selon son
nouveau principe d’évaluation, ne pouvait servir de pivot à
un système de parités rénové. En revanche, les
négociateurs de l’accord de la Jamaïque se mirent d’accord
pour promouvoir le DTS au rang de « principal avoir de
réserve », et pour réduire parallèlement la fonction de
réserve des grandes devises.
Cette résolution, aujourd’hui bien étrange tant elle a
manqué son but, correspondait, à l’époque, à l’intérêt de
différents groupes de pays. Les États-Unis désiraient
éliminer leur déficit des paiements. L’appui au DTS
apparaissait en outre comme un geste de coopération
internationale dans un contexte où leurs propositions
rencontraient le plus souvent l’hostilité des autres pays
membres. Pour les Européens, il s’agissait d’un moyen
supplémentaire d’échapper à un étalon dollar de fait. Les
pays émetteurs d’autres monnaies de réserve potentielles,
comme le Japon et l’Allemagne, étaient très réticents à
l’égard d’un usage international de leur monnaie. Les PVD
voyaient, eux, dans le DTS un moyen de lier la création de
réserves et l’aide au développement. Quant aux services du
Fonds, le renforcement du rôle du DTS ne pouvait que
conforter leur position, assez compromise depuis le début
du flottement généralisé.
Pour faire du DTS le principal instrument de réserve, il
fallait élargir et assouplir ses conditions d’utilisation et en
faire un actif un peu plus attrayant.

II.3.1. Un usage élargi


Certaines règles ont donc été modifiées par le deuxième
amendement (1978) aux statuts du Fonds, pour simplifier
et étendre l’utilisation du DTS entre les pays membres.
Désormais, les transactions par accord mutuel peuvent
être effectuées sans nécessairement avoir à financer un
déficit des paiements. Ces transactions, jusque-là
exceptionnelles, vont pouvoir se développer d’autant plus
que les pays peuvent maintenant utiliser leurs DTS non
seulement pour racheter leur propre monnaie, mais pour se
procurer une devise, quelle qu’elle soit, sans avoir à
demander au Fonds de désigner un partenaire.
En outre, le deuxième amendement prévoit que le Conseil
d’administration peut, s’il y a accord entre les participants,
autoriser, à une majorité de 70 %, des opérations en DTS
sans conversion en monnaie. Le transfert de DTS pour
régler une obligation financière, effectuer une opération de
crédit, garantir l’exécution d’une obligation financière, est
ainsi devenu possible. Par la suite, l’utilisation de DTS dans
des opérations à terme ou des opérations de swaps ou, plus
récemment, pour réaliser des dons, a été approuvée.
Du fait de la progression des transactions par accord, les
transactions par désignation ont été de moins en moins
utilisées. Au terme d’accords avec le FMI, un certain
nombre de pays se sont déclarés acheteurs ou vendeurs de
DTS contre des monnaies spécifiées, dans certaines limites.
Ces accords rendent la procédure de désignation largement
inutile.
Parallèlement à ces assouplissements des conditions
d’utilisation entre pays membres, complétés par
l’élimination de l’obligation de reconstitution en 1981,
l’usage des DTS fut fortement encouragé dans les
opérations du département général entre le Fonds et ses
membres – pour les opérations administratives (paiements
des commissions et rémunérations) comme pour les tirages
et rachats. Ainsi, dans le cadre des droits de tirage
ordinaires, un membre peut acheter la monnaie d’un autre
membre avec des DTS, de même que le Fonds peut obtenir
d’un membre la monnaie d’autres membres contre des
DTS. Le DTS est inscrit dans les budgets opérationnels, et
le Fonds veille au niveau de ses avoirs comme il le fait pour
les autres monnaies. Enfin, le DTS a un rôle important dans
le processus de souscription et de relèvement des quotes-
parts, puisque les pays doivent en acquitter 25 % en DTS
ou en monnaie librement utilisable106.
Cette utilisation des DTS par le département général ne
remet pas en cause sa séparation d’avec le département
des DTS. Dans les comptes du Fonds, chacune de ces
opérations est comptabilisée deux fois : tirages et rachats
dans le premier ; prêts et remboursements en DTS dans le
second.
II.3.2. Un actif plus attrayant
Le deuxième amendement permettait au Conseil
d’administration de modifier, à une majorité qualifiée, les
caractéristiques financières du DTS.
Le panier, qui contenait 16 monnaies en 1974, fut ramené
à 5 le 1er janvier 1981107. Sa composition est révisée tous
les 5 ans et comprend les cinq monnaies « librement
utilisables », soit le dollar, le deutsche mark, le yen, le
franc et la livre sterling. Il faut noter que depuis le 1er
janvier 1999, les montants de marks et de francs ont été
remplacés par leur équivalent en euro, mais la liste des
pays est demeurée inchangée.

Encadré 3

VALEUR ET TAUX D’INTÉRÊT DU DTS


Au début de chaque période de 5 ans, le Conseil
d’administration décide des quantités de chacune
des devises contenues dans le panier, exprimées
dans leur unité monétaire nationale.
La valeur du DTS est calculée quotidiennement
par le FMI. Elle correspond à la somme des
valeurs, en dollar américain et au taux de change
du jour, des quantités des cinq monnaies
composant le panier. Ainsi, la part en pourcentage
de chacune des monnaies varie quotidiennement.
Elle ne sert de relais qu’à la charnière de chaque
période, au moment de la révision du panier. Alors,
les pondérations de chaque monnaie sont changées
pour déterminer les nouvelles quantités composant
le panier.
Calcul de la valeur du DTS, le 13 mars 2000

Source : FMI.

Toujours en 1981, en même temps que le panier


type était ramené à cinq monnaies, le Conseil
d’administration proposa de porter le taux d’intérêt
du DTS à 100 % du taux composé d’un instrument
monétaire spécifique dans chacune des cinq
monnaies108 (voir graphique 3).
Aujourd’hui, les taux utilisés sont les suivants
(avec l’entrée de l’euro dans le panier du DTS, les
taux instruments de référence pour l’Allemagne et
la France n’ont pas changé) :
– le taux des bons du Trésor à trois mois aux
États-Unis, au Royaume-Uni et en France
– le taux des dépôts interbancaires à trois mois
en Allemagne
– le taux des certificats de dépôts à trois mois au
Japon.
Chacun de ces taux est multiplié par le montant
officiel de la devise du pays auquel il correspond
(ce montant est celui, précédemment évoqué, que
l’on utilise pour la détermination de la valeur du
DTS). Le tout est ensuite multiplié par le taux de
change de la devise contre le DTS. Il en résulte
cinq produits que l’on additionne. Le taux d’intérêt
du DTS est obtenu en arrondissant le total au
centième près. Il est calculé chaque semaine : le
vendredi pour la semaine commençant le lundi
suivant.

II.3.3. Le rôle du DTS comme unité de compte


Le deuxième amendement a consacré le DTS comme
numéraire du FMI. L’utilisation du DTS par le département
général a favorisé son adoption comme unité de compte.
Les quotes-parts et la valeur des actifs du Fonds doivent
désormais être exprimées en DTS. Le principe
d’intangibilité des avoirs du Fonds a le DTS pour référence
: la valeur des monnaies des membres détenues au compte
de ressources générales doit être maintenue constante en
DTS.

Graphique 3
Taux de change (contre dollar) et taux d’intérêt du DTS

Mais cette adoption du DTS comme numéraire du FMI ne


devait être qu’un premier pas. Il s’agissait aussi d’accroître
le volume des créances libellées en DTS, indépendamment
des procédures d’allocation statutaires. Or les avancées
dans ce domaine ont été assez limitées. En effet, l’emploi
du DTS est bridé par la restriction du nombre de
détenteurs autorisés. Selon les statuts, seuls le Fonds et les
pays membres étaient autorisés à en posséder. Par ailleurs,
à une majorité qualifiée de 85 % des voix, le FMI peut
permettre à des pays non membres et à des institutions
financières internationales telles que la BIRD ou la BRI
d’en détenir109. Mais la liste est demeurée limitée et le
montant des transactions négligeable, sauf peut-être pour
la BRI et certaines organisations régionales qui prêtent en
DTS aux banques centrales et les acceptent en
remboursement.
Surtout, l’usage du DTS privé ne s’est pas développé. Le
secteur privé ne peut certes pas détenir de DTS officiels.
Cependant, puisque le DTS est un panier de monnaies,
celui-ci peut toujours être recomposé : rien ne s’oppose en
théorie au développement d’un DTS privé. Mais, après des
débuts assez prometteurs, marqué par le montage de
crédits syndiqués, l’émission d’obligations et de certificats
de dépôts libellés en DTS et la mise en place à Londres
d’un marché secondaire de titres en DTS, son utilisation
privée n’a pas décollé. Comme on l’a aussi remarqué avec
l’écu privé, les monnaies-paniers qui ne bénéficient pas
d’un système de règlement interbancaire adossé à une
banque centrale ne peuvent pas s’imposer comme moyens
de paiement. En outre, leur rôle dans le libellé des
emprunts et dans le choix des instruments de placement
est lui-même limité lorsque les taux de change sont
flottants. En effet, les poids relatifs des monnaies dans les
portefeuilles optimaux des investisseurs privés n’ont
aucune raison de correspondre aux poids conventionnels
composant la monnaie-panier. À titre de comparaison, l’écu
privé lui-même110, bien qu’ayant bénéficié d’un appui
officiel bien supérieur à celui du DTS, a décliné, dans le
libellé des émissions obligataires, après la crise du SME en
1992.
Au total, pour des raisons à la fois techniques (manque
d’attrait du DTS en comparaison des multiples instruments
financiers élaborés depuis son apparition) et politique
(absence de centre de décision et de projet politique clair
associés à cette monnaie), il n’existe pas de marché de
créances transférables libellées en DTS suffisamment actif
pour encourager le développement du DTS privé.
Enfin, le DTS pouvait être choisi comme point de
référence pour certaines monnaies. Ainsi, en 1980, quinze
pays membres du Fonds rattachaient leur monnaie au DTS.
Cependant, cette fonction d’ancrage est plutôt en
régression, puisqu’ils n’étaient plus que quatre en 1999 : la
Libye, la Birmanie, la Jordanie et la Lettonie.

II.3.4. Le rôle du DTS comme actif de réserve : la deuxième


allocation
Restait alors à mettre à exécution les résolutions, et à
faire véritablement de ce DTS rénové le principal
instrument de réserve. Or, depuis la première allocation, le
montant des liquidités internationales avait
considérablement crû, de sorte que les DTS ne
représentaient plus que 4 % des réserves internationales
en 1978. L’explosion des encaisses dollars au début des
années 70 avait créé une surabondance de liquidités. Le
critère auquel une nouvelle allocation aurait dû répondre
(un « besoin mondial à long terme de compléter les
instruments de réserve existants », selon l’article XVIII des
statuts) ne semblait plus guère d’actualité.
Deux initiatives élaborées à l’époque des négociations du
C-20 auraient pu faire du DTS un instrument de réserve
sinon dominant, du moins plus important. La première était
le projet d’une conversion en DTS des réserves en dollars,
à travers un compte de substitution ouvert au Fonds. Les
pays jugeant détenir un montant « excessif » de dollars
auraient pu en demander la conversion auprès du Fonds,
qui aurait émis des DTS en contrepartie.
Ce projet a rencontré un regain d’intérêt au moment de
la deuxième allocation, quoique sous une forme différente :
le transfert d’une fraction des avoirs en dollars des pays, en
contrepartie de certificats libellés en DTS (le Fonds aurait
alors émis des créances libellées en DTS, et non procédé à
une nouvelle allocation de DTS).
Les projets de compte de substitution ont achoppé sur
des questions techniques, qui recouvraient des intérêts
politiques divergents. Se posait notamment le problème de
la répartition du risque de change et du différentiel de taux
d’intérêt entre les États-Unis, le FMI et les détenteurs des
DTS nouvellement créés. Le groupe des PVD craignait en
outre que la création d’un compte de substitution ne les
force d’accepter des DTS en échange de leurs dollars, mais
surtout qu’il fasse obstacle à leur propre projet, visant à
instaurer un lien entre DTS et aide au développement. Ce «
lien » (link) est en effet l’autre problème très discuté dans
le cadre du C-20111. Le Groupe des 24 (le comité des PVD)
souhaitait que ces pays reçoivent une allocation de DTS
déconnectée de leurs quotes-parts, qu’ils pourraient
ensuite utiliser pour payer la facture de leurs
importations112.
Cette idée n’a reçu qu’un soutien assez tiède de la part
des pays développés et s’est heurtée à l’opposition franche
des États-Unis et de l’Allemagne. On craignait qu’un lien
entre le DTS et l’aide au développement conduise à des
allocations excessives de DTS, aggravant ainsi l’inflation
mondiale, ou même sape la confiance dans un actif encore
peu établi. Pour toutes ces raisons, les négociations du C-
20 n’ont pas débouché. Les PVD se sont écartés de l’idée
du lien, au profit d’autres formes de transfert par
l’intermédiaire du Fonds.
Cependant, afin d’éviter que le DTS ne continue de
décliner en pourcentage des réserves, il fut finalement
décidé de procéder à une nouvelle allocation. L’objection
selon laquelle cette dernière ne ferait qu’alimenter l’offre
excédentaire de liquidités internationales fut tempérée par
l’argument suivant : puisque les réserves étaient désormais
largement déterminées par la demande et non par l’offre,
les DTS alloués se substitueraient en grande partie aux
emprunts auprès des banques commerciales plutôt qu’ils
ne s’y ajouteraient. Cependant, le risque inflationniste
suscitait encore la réticence de nombreux pays, notamment
l’Allemagne, et la nouvelle allocation décidée fin 1978 fut
assez faible. Les 12 milliards de DTS, alloués en trois fois,
de 1979 à 1981, élevèrent le montant des DTS à 7 % des
réserves mondiales. En l’absence de toute nouvelle
allocation, la part des DTS dans les réserves mondiales n’a
fait que décroître depuis (graphique 4).
Bien que marginalisé, le DTS subsiste. Si l’offre globale
de liquidités internationales n’est pas aujourd’hui un
problème d’actualité, rien n’assure qu’elle ne le
redeviendra pas un jour. En outre, le DTS demeure un
instrument intéressant pour des raisons institutionnelles.
En effet, une allocation au prorata des quotes-parts
nécessite l’approbation du Conseil des gouverneurs, mais
non la ratification des Parlements nationaux, contrairement
à une augmentation de quotes-parts.
Graphique 4
Part des DTS dans les réserves internationales

Source : Datastream

II.4. L’avenir du DTS


Si les allocations de DTS s’étaient poursuivies, si
notamment, comme cela avait été envisagé au moment de
la seconde allocation, des DTS avaient été
systématiquement alloués à l’occasion des augmentations
de quotes-parts, de sorte que le versement des tranches de
réserve ne s’effectue plus qu’en DTS, on aurait pu imaginer
que le Fonds s’oriente progressivement vers une utilisation
exclusive de cet actif pour toutes ses opérations de crédit.
Dans ces conditions, le modèle de l’agence d’émission se
serait parfaitement articulé avec le mécanisme de
financement des déficits.
Mais tous les projets proposés pour relancer le rôle des
DTS se sont heurtés à la même contradiction : selon les
statuts, toute allocation de DTS doit répondre à un besoin
global de liquidité internationale. Or, avec une offre de
liquidités désormais largement endogène, l’occasion d’une
nouvelle allocation entrant dans le cadre des statuts a bien
peu de chance de se présenter. Parallèlement, de nombreux
pays en développement souffrent d’une pénurie chronique
de réserves, et, dans la lignée du projet de « lien », voient
dans le DTS une possibilité inexploitée. Deux logiques
différentes s’affrontent donc, bloquant toute évolution :
d’un côté la problématique de liquidité globale inscrite
dans les statuts, de l’autre le problème réel de répartition
des réserves et de transfert de ressources.
Pendant les années 1990, une allocation de DTS a de
nouveau été à l’ordre du jour. Motivé par un souci d’équité,
ce projet, soutenu par le directeur général du Fonds, a
réactualisé le débat sur le « lien ». L’objectif était d’égaliser
les avoirs des pays membres en DTS. En effet – c’est la
principale justification de cette mesure – plus d’un
cinquième des membres du FMI n’ont jamais reçu de DTS,
le plus souvent parce qu’ils ont rejoint l’institution après la
seconde allocation (c’est le cas des pays en transition). En
outre, certains pays membres du FMI n’avaient pas pris
part aux allocations ; pour d’autres, les allocations
accordées ne reflètent plus leur quote-part actuelle.
Cette allocation unique aurait donc pour effet d’égaliser
les allocations cumulatives de DTS autour de 29 % des
quotes-parts de la neuvième révision. Elle ferait doubler les
allocations cumulatives, qui passeraient d’un peu plus de
21 à près de 43 milliards de DTS. Bien que modeste, cette
mesure permettrait à des pays disposant de faibles
montants de réserves de les accroître à un coût nul.
Ce projet se distingue des deux précédentes allocations :
celle qu’il prévoit ne s’effectuerait pas au prorata des
quotes-parts. Elle exigerait donc une révision des statuts.
Le Conseil des gouverneurs a adopté en septembre 1997
une résolution en vue d’un nouvel amendement aux statuts,
autorisant une allocation spéciale de DTS. L’amendement
sera adopté lorsque les trois cinquièmes des membres,
totalisant au moins 85 % des voix, l’auront accepté. En
mars 1999, 48 membres représentant 23 % des voix
avaient donné leur accord. Depuis, le projet est au point
mort. La réorientation des moyens du Fonds vers les pays
en développement et l’adaptation de ses outils à leurs
besoins spécifiques est passée, non par le DTS, mais par le
développement de nouvelles facilités de crédit. Cette
évolution a été si importante dans l’histoire du Fonds
qu’elle permet de dégager les traits d’un troisième «
modèle »113.

III. Le modèle d’agence de développement

Une fois encore, l’évolution du système monétaire


international a pris le FMI de vitesse. Avec le
développement de sources privées de financement
international, la création de réserves officielles n’est
apparue que comme un complément mineur ou un substitut
de la liquidité créée par le marché. Dès lors, l’offre globale
de liquidités internationales, de plus en plus endogène, a
cessé d’être une préoccupation. À côté de leurs réserves
officielles, les autorités monétaires peuvent désormais
recourir aux emprunts sur les marchés internationaux de
capitaux. La croissance spectaculaire des liquidités a
doublement remis en cause l’exercice par le Fonds de sa
fonction financière. Le modèle d’agence émettrice perd
l’essentiel de sa substance, dès lors que le DTS est
largement marginalisé dans la création de liquidités
internationales. Par ailleurs, l’esprit du modèle initial, celui
d’un mécanisme d’assistance mutuelle fondé sur les quotes-
parts, est aussi altéré. La logique selon laquelle le Fonds
servait d’intermédiaire entre les pays temporairement
déficitaires et excédentaires a été complètement
bouleversée non seulement par l’émancipation des pays
riches de l’influence du Fonds, mais surtout par la
persistance et l’aggravation des difficultés de balance des
paiements dans les PVD, appelant une intervention de long
terme.
D’une part les pays industrialisés, principaux
contributeurs aux ressources du Fonds, n’ont plus besoin
d’avoir recours à ses financements, puisqu’ils peuvent
désormais compléter leurs réserves en empruntant sur les
marchés internationaux de capitaux. À la fin des années 70,
l’aide du FMI s’est résolument réorientée vers les pays en
voie de développement. Les accords de confirmation du
Royaume-Uni et de l’Italie en 1977 furent ainsi parmi les
derniers tirages de pays riches. Depuis celui de l’Espagne
en 1978, et enfin celui du Portugal en 1983, l’essentiel des
ressources du FMI est allé, au moins jusqu’à la crise
asiatique, aux pays en voie de développement, puis en
transition. On assiste donc à une disjonction croissante
entre les pays qui contribuent le plus aux ressources du
Fonds – les pays industrialisés – et les pays bénéficiaires de
son aide financière (voir graphique 6). En conséquence, la
fonction financière du Fonds s’éloigne en pratique du
modèle coopératif pour évoluer vers celui d’intermédiaire
financier.
D’autre part, le creusement des déficits courants des
pays non exportateurs de pétrole a créé un besoin de
financement sans précédent, alors qu’au même moment le
montant des quotes-parts se réduisait considérablement en
proportion du commerce mondial (voir graphique 5).
L’augmentation du ratio crédits/quotes-parts manifeste bien
l’accroissement des tensions sur les ressources du Fonds.
Les modalités de son intervention financière ont dû
s’adapter à l’évolution des besoins de financement des pays
qui font désormais appel à lui.
Malgré les apports d’autres pourvoyeurs de capitaux114,
la croissance des engagements du Fonds a induit une
double déformation du système fondé sur les quotes-parts.
Du côté des ressources, le FMI a été amené à compléter
ses ressources ordinaires en recourant à l’emprunt dans les
moments de fortes tensions ; du côté des emplois, il a
procédé au relèvement continu des limites d’accès par
rapport aux quotes-parts, ainsi qu’à une spécialisation
accrue des facilités de crédit en fonction des besoins de
financement des PVD.

Graphique 5
Crédits du FMI rapportés aux exportations mondiales
et au total des quotes-parts

Graphique 6
Crédits sur quotes-parts par groupes de pays

III.1. Des ressources supplémentaires


Pendant les décennies 70 et 80, le Fonds a eu
intensément recours à l’emprunt pour compléter ses
ressources propres. Il s’est ainsi éloigné de son modèle
initial, où les membres mettaient en commun des
ressources au sein d’une « caisse de réserve », pour aller
vers un système où le Fonds emprunte auprès d’une partie
de ses membres les ressources qu’il prête à d’autres.

III.1.1. La hausse temporaire des ressources empruntées


Au lendemain du choc pétrolier de 1973-74, le Fonds a
procédé à des emprunts dans d’autres cadres que celui des
Accords généraux d’emprunt (Cf. § 1.2.3.). Cette politique
répondait à un double besoin : élargir les emprunts à
d’autres créditeurs que les pays industrialisés déjà engagés
par les AGE (en effet, les pays pétroliers avaient accumulé
d’importants excédents extérieurs) ; mettre des ressources
supplémentaires à la disposition des pays déficitaires, dont
les déséquilibres des paiements excédaient déjà largement
les tirages autorisés par leurs quotes-parts.
Tableau 3
Tableau récapitulatif des emprunts du Fonds

Source : FMI

Les mécanismes temporaires qui se sont succédé à partir


de 1974 marquent un tournant décisif dans la politique
financière du Fonds :
– Ils tendent à aligner les pratiques du Fonds sur celles
d’un simple intermédiaire entre deux groupes de pays
distincts. Contrairement aux AGE, ces mécanismes
n’étaient pas fondés sur l’assistance mutuelle, puisqu’ils ne
bénéficiaient pas aux prêteurs. En outre, les commissions
perçues au titre des tirages effectués sur ces ressources
reflétaient les taux d’intérêt versés par le Fonds sur les
emprunts. Le Fonds devenait ainsi un intermédiaire au sens
le plus littéral du terme115.
– Ils permettent d’échapper partiellement à la contrainte
des quotes-parts, non seulement dans l’origine mais aussi
dans l’attribution des ressources. Le mécanisme de
financement supplémentaire et la politique d’accès élargi
autorisaient, comme leurs noms l’indiquent, un accès élargi
aux financements du Fonds, qui venaient s’ajouter à ceux
pouvant être obtenus dans le cadre des tirages sur les
tranches supérieures de crédit. (cf. infra § III.2.1).
– La politique d’emprunt du FMI, contemporaine de
l’élaboration et de la mise en œuvre du deuxième
amendement, était également liée à la volonté de
développer les créances libellées en DTS. La liquidité des
créances sur le Fonds était assurée par une nouvelle clause
autorisant le transfert d’une créance, à l’initiative d’un
participant, à tout détenteur autorisé, même s’il n’était pas
créditeur du Fonds116.
Au début des années 80, l’emprunt fournissait près de 50
% des crédits accordés par le Fonds. A cette époque, le
Fonds empruntait non seulement à ses membres, mais
aussi à un pays non membre, la Suisse, et à une autre
organisation internationale, la BRI. Surtout, le Fonds a
sérieusement envisagé la possibilité d’emprunter sur les
marchés privés, ce à quoi ses statuts l’autorisent. Il n’a
cependant pas poursuivi dans cette voie, ce qui l’aurait
rapproché du mode de financement de la Banque mondiale.
Par la suite, la part des emprunts dans les ressources du
Fonds a décru progressivement jusqu’à disparaître
complètement en 1996 (graphique 7). Le Fonds n’a
cependant pas renoncé à l’emprunt. Il y a eu recours
récemment, dans le cadre de nouveaux dispositifs (tableau
3) qui seront abordés plus loin (§ IV.2).
Graphique 7
Évolution des ressources empruntées et de leur part dans les
crédits
accordés par le Fonds (compte de ressources générales)

III.1.2. Les comptes administrés et le rôle fiduciaire du FMI


En marge du compte de ressources générales, alimenté
par les ressources ordinaires (les quotes-parts) et les
ressources empruntées, le FMI a développé une activité
fiduciaire à travers ses comptes administrés117.
Le FMI a ainsi créé, au profit des pays en développement
à faible revenu, des mécanismes spécifiques d’aide à la
balance des paiements, à moyen/long terme.
Cette aide concessionnelle, qui passe aujourd’hui par la «
Facilité d’ajustement structurel renforcée » (FASR), n’est
pas disponible sous forme d’achat d’une devise étrangère
contre de la monnaie nationale, comme c’est le cas pour les
tirages dans les tranches de crédit, mais sous forme de
prêts à taux préférentiel de 0,5 % par an.
Initialement, les ressources affectées aux politiques
d’aide aux pays pauvres passaient par un Fonds fiduciaire
créé en 1976, dont les ressources provenaient
principalement des profits de la vente par adjudication
d’une partie des avoirs en or du FMI118, complétées par la
cession par certains pays de la part qui leur avait été
attribuée directement, et par le revenu tiré du placement
de ces avoirs. De 1976 à 1981 le Fonds fiduciaire a permis
d’accorder aux pays en développement une aide
concessionnelle au financement de leur balance des
paiements s’élevant à 2,9 milliards de DTS. Cependant, en
l’absence de programmes spécifiques, le FMI utilisait les
critères applicables aux achats dans la première tranche de
crédit.
La Facilité d’ajustement structurel (FAS), créée en 1986,
systématise le principe des prêts bonifiés à l’appui de
programmes d’ajustement structurel à moyen terme. Il
apparut dès le départ que les ressources disponibles dans
le cadre de la FAS seraient insuffisantes pour soutenir les
programmes d’ajustement des pays les plus pauvres. C’est
pourquoi la Facilité d’Ajustement structurel renforcée
(FASR), créée en 1987, recueille des fonds supplémentaires
à partir de sources bilatérales. Depuis 1995, les opérations
de la FAS ont été arrêtées et les montants non utilisés
transférés à la FASR, qui la remplace désormais
totalement. En 1999, les montants prêtés au titre de la
FASR atteignaient 5,7 milliards de DTS, soit un peu moins
du dixième des crédits accordés par le Fonds.

Encadré 4

LE FINANCEMENT DES FACILITÉS


CONCESSIONNELLES
Les circuits de financement et les structures de
gestion de ces facilités sont excessivement
complexes.
Les ressources de la FASR, qui proviennent
principalement des contributions de pays membres
(46 pays en 1999) sous forme de prêts ou de dons
au compte de fiducie de la FASR, sont gérées par le
FMI par l’intermédiaire de trois comptes qui
correspondent à trois types d’opérations :
– les prêts : les taux prêteurs pratiqués sont soit
des taux très concessionnels, voire nuls, soit, le
plus souvent, des taux de marché. La maturité des
prêts accordés correspond au calendrier des
tirages par les bénéficiaires de la FASR : elle est de
5 ans et demi à 10 ans.
– les bonifications d’intérêt : les dons des
contributeurs permettent de bonifier le taux
d’intérêt des emprunteurs. Les ressources du
compte de bonification proviennent soit
directement de dons, soit de revenus
d’investissement.
– la constitution de réserves : des ressources sont
spécialement mises de côté afin d’accroître la
sécurité des prêteurs, en cas de retard ou de défaut
de remboursement.
En 1999, les montants gérés dans ces différents
comptes étaient de 9,5 milliards de DTS au compte
de prêt, 4 milliards au compte de bonification, 0,9
milliards au compte de réserve.
Les modalités de l’aide du FMI aux pays les plus
pauvres ont cependant amorcé une évolution.
Conformément à une décision du Conseil
d’administration de septembre 1996, la FASR
devrait s’autofinancer à partir de 2005, lorsque les
ressources du compte de réserve excéderont les
engagements au titre de la FASR. La FASR
autofinancée devrait permettre d’assurer des
engagements de 0,8 milliards de DTS par an.
Pour la période de transition, l’avenir de la FASR
est désormais étroitement liée à « l’initiative en
faveur des pays pauvres très endettés » (PPTE), un
programme d’action conjoint du FMI et de la
Banque mondiale pour ramener à des niveaux
soutenables la dette des pays les plus pauvres (les
pays lourdement endettés éligibles au titre de la
FASR), lorsque les seuls mécanismes d’allègement
mis en œuvre par le Club de Paris ne suffisent pas.
L’originalité de cette démarche consiste à fédérer
les efforts de l’ensemble des créditeurs et du pays
endetté autour d’une série d’étapes
rigoureusement définies et étroitement encadrées
par le Fonds et la Banque.
Le fonds de fiducie FASR-PPTE doit servir à
financer les opérations de la FASR en faveur des
pays pauvres les plus endettés et à bonifier les taux
d’intérêt sur les prêts FASR aux pays concernés.
Les besoins de financement de ce fonds, estimés à
3,9 milliards de DTS, ont donné lieu à un montage
financier complexe : il devrait être alimenté à la
fois par les contributions de quelques pays
membres (1,5 milliard), par un tiers de la
surcharge d’intérêts payable sur les tirages au titre
de la Facilité de réserve supplémentaire119 (0,6
millards), et par les revenus tirés de
l’investissement de la plus-value issue de la vente
hors marché de 14 millions d’onces d’or (1,8
milliard).
Parallèlement, le Fonds monétaire et la Banque
mondiale ont adopté un nouveau cadre pour la
poursuite de leur action en faveur des pays les plus
pauvres, afin de renforcer la cohérence de leurs
interventions et de lier plus étroitement réduction
de la pauvreté, stratégie de réduction de la dette et
rétablissement des équilibres macroéconomiques.
Pour souligner cette nouvelle orientation, la FASR a
été récemment rebaptisée « facilité pour la
croissance et la réduction de la pauvreté ».
III.2. L’utilisation des ressources : adaptation des
financements aux besoins des PVD
À l’origine, les tirages dans les tranches de crédit
devaient permettre de répondre à des déséquilibres
temporaires de la balance courante provenant d’un excès
de l’absorption intérieure et appelant une politique de
restriction de la demande intérieure. La quote-part
déterminait alors strictement l’accès aux ressources du
Fonds. Dans le cadre des accords de confirmation, les
tirages devaient être effectués par tranches successives de
25 % de la quote-part, ne pouvaient dépasser un montant
cumulé de 125 % et devaient être rachetés entre trois et
cinq ans après. Par la suite, l’aide du Fonds est restée liée à
l’objectif de rétablissement de l’équilibre des paiements,
conformément à sa mission d’origine. Cependant, la nature
des déficits a évolué, entraînant une multiplication des
facilités financières du Fonds.
Ces facilités, qui résultent d’une stratification
progressive, sont aujourd’hui très nombreuses. Le
graphique 9 montre leur importance respective dans les
financements accordés par le Fonds. L’annexe 4 en propose
une description systématique, reprenant la distinction
habituelle entre les facilités à vocation générale, les
facilités « spéciales », qui répondent à certains problèmes
spécifiques, et les facilités « concessionnelles »,
caractérisées par leurs conditions financières
avantageuses.
L’adaptation des dispositifs financiers du Fonds est
passée par le relèvement des plafonds des tirages et par
l’empilement de ces facilités « spéciales » ou «
concessionnelles ». Les ressources que le Fonds met ainsi à
la disposition des pays membres en vertu de problèmes
spécifiques viennent souvent s’ajouter à celles qu’ils
peuvent obtenir par leurs tirages dans la tranche de
réserve ou les tranches de crédit.
Ces facilités se différencient avant tout par la nature du
déséquilibre des paiements qui a suscité l’intervention
financière du Fonds. Les autres caractéristiques –
échelonnement des tirages et des rachats, plafonds
autorisés, conditions d’éligibilité, commissions – en
découlent.

III.2.1. Différenciation des déséquilibres


Le point de départ du développement des facilités
spéciales remonte aux années 60 et marque le début d’un
traitement spécifique des PVD au sein du Fonds. L’objet de
la « facilité de financement compensatoire » (FFC), créée
en 1963, était de soutenir la balance des paiements des
pays exportateurs de produits primaires soumis aux
fluctuations de leurs recettes d’exportation. En effet, avec
le développement du commerce international dans les
années 60, nombre de pays du tiers monde abandonnèrent
la doctrine de substitution des importations et optèrent en
faveur d’une politique de promotion des exportations, dont
le rythme de croissance doubla. Cette politique exposait
naturellement ces économies aux fluctuations des cours
mondiaux des matières premières. Les demandes des PVD
concernant la garantie de prix de ces produits
rencontrèrent l’hostilité constante de leurs partenaires.
Elles aboutirent cependant à la création au sein du FMI de
ce mécanisme compensatoire (malgré l’opposition de
certains administrateurs qui contestaient une telle
utilisation des ressources du Fonds). Au titre de ce
mécanisme, les pays peuvent effectuer des tirages sur le
Fonds pour « compenser » la moins-value de leurs
exportations. Dans la même ligne, fut créée en 1969 une
facilité de financement des stocks régulateurs destinée à
financer les contributions des États membres à un système
de stocks régulateurs internationaux de produits de base.
Graphique 9
Encours des crédits par type de facilité

La création de ces facilités témoigne d’une distinction


implicite entre des déficits dus à un excès de demande
intérieure et les déficits dus à des chocs exogènes
échappant au contrôle des pouvoirs publics. Les premiers
requièrent une aide conditionnelle à la mise en place d’un
programme de stabilisation ; les seconds, en revanche,
dont la responsabilité n’incombe pas à la politique
économique du gouvernement, doivent être compensés
pour ne pas pénaliser les objectifs internes. C’est pourquoi,
pendant les années 60 et 70, la FFC n’était pas
conditionnelle. Les Mécanismes pétroliers mis en place
pour deux ans en 1974 et 1975 relevaient de la même
distinction : il s’agissait de soutenir les PVD soumis à une
forte augmentation de la valeur de leurs importations
pétrolières. L’origine exogène des déficits n’appelait aucune
conditionnalité particulière de l’aide fournie par le Fonds.
Cependant, cette distinction selon la responsabilité des
déficits s’est progressivement effacée. Les déficits ont
atteint des niveaux tels qu’ils ne pouvaient plus être traités
par la multiplication de facilités spéciales aux montants
limités et à la conditionnalité faible. Après avoir représenté
près de 30 % des tirages effectués sur le Fonds à la fin des
années 70, la FFC a beaucoup perdu en importance et est
devenue une facilité conditionnelle. Désormais, elle ne peut
être utilisée que par un pays ayant déjà conclu un accord
avec le FMI120. Quant à la facilité de financement des
stocks compensatoires, elle n’est plus utilisée depuis 1984.
Les accords élargis institués en 1974, mais utilisés
surtout à partir de la crise de la dette, correspondent à la
prise de conscience que le rétablissement de l’équilibre des
balances des paiements ne peut être obtenu par une simple
diminution de la demande intérieure. À la suite du premier
choc pétrolier, il est devenu évident que les déficits de
balances des paiements des PVD importateurs de pétrole
ne pouvaient être considérés comme purement externes et
« temporaires ». Ce nouveau type d’accords, inspiré des
accords de confirmation, répondait aux besoins d’une
économie « souffrant de graves déséquilibres de paiements,
dus à des distorsions structurelles de sa production et de
son commerce et à un dérèglement de ses prix et de ses
coûts » et caractérisée par « une croissance si lente et une
situation de la balance des paiements si faible que
l’application d’une politique efficace de développement s’en
trouve entravée » (décision du 13 septembre 1974). On
admettait ainsi que l’aide financière du FMI puisse
dépasser le cadre de déficits temporaires ; on reconnaissait
également que cette aide s’adressait au premier chef aux
pays en voie de développement, même si elle ne leur était
pas explicitement réservée.
Les accords élargis ont été conçus pour soutenir des
programmes à moyen terme s’étendant sur une durée
comprise entre 3 et 4 ans. En conséquence, la maturité des
financements s’allonge : le pays doit procéder aux rachats
dans un délai de 4 1/2 ans à 10 ans. En outre, les plafonds
d’accès sont relevés et fixés, à l’origine, à 140 % de la
quote-part (au lieu de 100 % dans les accords de
confirmation classiques), ce qui pouvait élever les avoirs du
Fonds dans la monnaie du pays à 265 % de la quote-part
(au lieu de 200 %). Enfin, un tel dispositif financier appelait
un renforcement des procédures de suivi des politiques
mises en œuvre par les États bénéficiaires. Nous avons vu
dans le chapitre précédent les implications de cette
intensification des tirages sur le durcissement de la
politique de conditionnalité du Fonds.
Durant la seconde moitié des années 70, les accords
élargis ne furent guère utilisés. Le relèvement des limites
d’accès prit plutôt la forme de facilités temporaires
directement liées aux emprunts du Fonds – les Mécanismes
pétroliers et de financement supplémentaire évoqués plus
haut. Durant les années 80, le recours aux accords élargis
s’intensifia, et les plafonds d’accès furent encore dépassés
grâce à la politique d’accès élargi, financée sur les
ressources empruntées et mise en œuvre de 1981 à 1992.
Celle-ci permettait d’élever la limite des tirages à 450 % de
la quote-part sur trois ans. Depuis lors, les limites d’accès
ont été revues par le Conseil d’administration du Fonds.
Les plafonds des accords de confirmation et des accords
élargis sont désormais alignés et s’élèvent à 100 % de la
quote-part sur un an, et 300 % en cumulé. En revanche, les
deux types d’accord se distinguent toujours par la durée
des programmes et les délais de rachat.

Le ciblage des bénéficiaires

A partir des années 1980, la diversification des facilités


selon l’origine des déséquilibres se double d’un ciblage
plus précis des bénéficiaires. Le Fonds doit en principe
respecter l’égal accès à ses ressources de chacun de ses
membres. Certes, l’adaptation de ses financements dans les
années 60-70 répondait déjà aux problèmes spécifiques des
pays en développement. Mais à mesure que le groupe de
ces pays est devenu plus hétérogène, la nécessité d’une
discrimination plus fine s’est faite sentir.
Un pas important dans la différenciation des pays fut
franchi en 1976, avec les financements du Fonds fiduciaire,
puis surtout avec la FAS et la FASR en 1986 et 1987 (Cf.
supra encadré 3) : le revenu par habitant devint pour la
première fois un critère d’éligibilité pour l’accès à
certaines ressources du Fonds, malgré le principe
statutaire de non discrimination. Ces facilités sont
expressément réservées aux pays les moins avancés selon
la classification de la Banque mondiale, soit, en 1996, les
79 pays dont le PNB par tête est inférieur à 925 dollars.
Ces prêts à taux très concessionnels (0,5 %) soutiennent
des programmes d’ajustement structurel de trois ans,
prolongeables un an. Les remboursements doivent être
effectués entre 5 1/2 ans et 10 ans après le premier tirage.
Les montants mis à disposition ont progressivement
augmenté en pourcentage de la quote-part jusqu’à
atteindre 190 %, voire 255 % dans des cas exceptionnels,
pour la FASR. Cependant, après la dernière augmentation
des quotes-parts en janvier 1999, les limites d’accès ont été
abaissées à respectivement 140 % et 185 % de la quote-
part, ce qui maintient un accès constant en termes de DTS.
Ces facilités concessionnelles ont considérablement
augmenté le nombre de bénéficiaires de l’aide du Fonds. En
avril 1999, 35 accords FAS et FASR étaient en application.
Ces prêts sont cumulables avec d’autres facilités. Ainsi, en
1999, des pays comme le Pakistan, le Yémen, le Honduras
et l’Azerbaïdjan étaient engagés dans des accords relevant
de facilités générales (accords de confirmation ou, le plus
souvent, élargis) en même temps qu’ils bénéficiaient des
prêts de la FASR.
Une autre facilité « ciblée » sur un certain groupe de
pays, mais cette fois temporaire, est la facilité temporaire
pour la transformation systémique, créée en 1993, pour
apporter un soutien financier supplémentaire aux pays en
transition. Leurs balances des paiements connaissaient en
effet de forts déséquilibres dus à la disparition du
commerce administré et à la dislocation de leurs échanges
extérieurs. Les pays éligibles à cette nouvelle facilité
étaient les anciens membres du CAEM, ainsi que le Laos et
le Cambodge. Elle se limitait à 50 % de la quote-part des
pays, était délivrable en deux tranches et devait préparer la
voie à un accord classique.

La spécification des usages et la restructuration de la


dette

Une partie des financements prévus dans le cadre


d’accords de confirmation, d’accords élargis ou de FASR
peut être affectée à des usages spécifiés. En général, les
sommes déboursées par le Fonds entrent dans les réserves
des banques centrales des pays bénéficiaires, à charge
pour les autorités nationales d’en faire un usage conforme
aux critères de performance prévus par l’accord. Le
principe de la spécification des usages (déjà présent dans
la facilité de financement des stocks régulateurs) a été
repris pour accompagner les efforts de restructuration de
la dette dans le cadre du plan Brady. Les « opérations de
réduction de l’encours de la dette » consistent à réserver
une partie de l’aide prévue par un accord de confirmation
ou un accord élargi au financement d’opérations de
réduction du principal de la dette ou de soutien au titre des
intérêts, ou encore au nantissement du principal dans les
échanges, au pair, de créances contre des obligations à
taux d’intérêt réduit. Les opérations d’allègement de la
dette sont ainsi nécessairement liées à la mise en œuvre
d’un programme d’ajustement structurel suivi par le Fonds,
dont le rôle de prêteur de référence est essentiel dans les
situations de renégociation des dettes.
Un autre dispositif prévoit l’affectation spécifique d’une
partie des financements prêtés au titre d’un accord, le «
Soutien pour fonds de stabilisation monétaire » (« Support
for Currency Stabilization Funds »). Créé en 1995, à
destination des pays aux prises avec de forts problèmes
d’inflation et qui souhaitent la combattre par une stratégie
d’ancrage de leur taux de change, il n’a cependant jamais
été utilisé.

III.2.2. Allongement des engagements et relèvement des


limites d’accès
Outre la multiplication des facilités, l’allongement des
engagements et le relèvement des limites d’accès sont deux
tendances générales qui ont éloigné les modalités de l’aide
du Fonds du schéma initial d’assistance mutuelle pour les
déséquilibres temporaires de balance des paiements.
L’allongement des engagements est d’abord dû à
l’allongement des programmes prévus par le Fonds
(Tableau 4). Dès lors, les échelonnements des tirages sont
étendus et les délais de rachats repoussés d’autant. En
outre, dans la pratique, les accords sont de plus en plus
prolongés au-delà de la durée prévue.
Tableau 4

Allongement de la durée des programmes

Source : Mussa (1999).

Surtout, on assiste pour certains pays ou groupes de pays


à des successions d’accords. Il n’est pas rare que le Fonds
soit engagé auprès d’un pays pour des durées de 10 à 15
ans, parfois ininterrompues – les tirages dans le cadre d’un
accord servant en partie à effectuer les rachats de l’accord
précédent. Tel est le cas de nombreux pays d’Afrique ou de
certains pays d’Amérique latine (Tableau 5).
La seconde caractéristique est le relèvement des limites
d’accès aux financements du Fonds, dû à l’augmentation
des besoins de financement des PVD. Le graphique 6
montre bien qu’une révision des règles de plafonnement
s’imposait. Alors que les tirages cumulés des pays
industrialisés en tant que groupe n’avaient jamais dépassé
20 % du total de leurs quotes-parts durant la période de
Bretton Woods, les tirages des PVD n’ont jamais été
inférieurs à 50 % de leurs quotes-parts depuis 1976.
Il faut noter que cette tendance au relèvement des
plafonds d’accès aux crédits du Fonds maintient un lien
fondamental entre les quotes-parts et le montant des
tirages autorisés. C’est ce lien, en effet, qui permet au
Fonds de contrôler l’accès des pays au financement de
leurs déficits, lui donnant ainsi un moyen d’incitation
puissant pour l’adoption d’une discipline d’ajustement.

Ce modèle d’intervention tourné vers les pays en


développement et caractérisé par un engagement à long
terme du Fonds, par la multiplication des facilités
plafonnées et par la mise en place d’une aide
concessionnelle aux pays les plus pauvres, connaît
aujourd’hui un repli relatif. Ainsi, la durée moyenne des
programmes s’est stabilisée, après des années de
croissance (cf. tableau 4). Un autre retournement
significatif concerne les limites d’accès. Lors de la dernière
augmentation de quotes-parts, en janvier 1999, ces limites
ont été abaissées pour la facilité de financement
compensatoire, le financement de stocks régulateurs et
surtout, la Facilité d’ajustement structurel renforcée, même
si, compte tenu de l’augmentation de quotes-parts, les
plafonds restent inchangés en valeur absolue. Surtout, de
nouvelles facilités de crédit ont été créées, qui rompent à la
fois avec la logique du système des quotes-parts –
puisqu’elles sont déplafonnées – et avec la tendance à
l’allongement du soutien octroyé aux pays en difficulté –
puisqu’elles imposent des remboursements rapides et une
surcharge d’intérêts. Enfin, le foisonnement des
mécanismes de crédit, dont certains sont tombés en
désuétude, appelle un effort de clarification qui pourrait
être l’occasion d’une refonte importante. En effet, les
interventions majeures du Fonds dans la seconde moitié
des années 90 se démarquent de celles d’une agence de
développement. Cette réorientation des priorités du FMI se
manifeste à la fois dans l’évolution du profil de ses
engagements et dans l’adaptation de ses instruments
d’aide financière.
Tableau 5

Pays ayant conclu neuf accords ou plus avec le FMI entre 1973
et 1997

Source : Mussa (1999).

IV. Vers un modèle de prêteur en dernier ressort ?

Dans les années 90, le Fonds a dû une nouvelle fois revoir


les conditions de son intervention dans un contexte
largement bouleversé par la globalisation financière. Le
secteur privé joue maintenant le rôle prépondérant dans les
mouvements internationaux de capitaux, tant du côté des
débiteurs que des créanciers et des investisseurs. Vis-à-vis
des pays qui sont entrés dans la globalisation financière, le
problème n’est plus pour le FMI de fournir des ressources
que les marchés de capitaux n’apporteraient pas, ou plus,
mais de réguler le fonctionnement des marchés qui peuvent
devenir d’autant plus perturbateurs qu’ils englobent des
systèmes financiers fragiles. Alors que de nombreux pays
émergents semblaient s’affranchir de l’aide du Fonds, en
gagnant un large accès aux marchés internationaux de
capitaux, les crises financières des cinq dernières années
ont donné un brusque coup d’arrêt à cette tendance. Ces
crises d’un nouveau type, liées à des sorties massives de
capitaux et à des phénomènes aigus de contagion, ont
suscité des plans de sauvetage très ambitieux. Le FMI y a
joué un rôle de premier plan, alors même que ses
dispositifs d’aide financière ont été conçus pour faire face à
des déficits courants, non à de brusques déséquilibres du
compte de capital. Ces plans ont donc donné lieu à une
modification du profil des engagements financiers du
Fonds, tant du point de vue des principaux bénéficiaires
que de la rapidité d’intervention, ou des montants en jeu.

IV. 1. Évolution du profil des engagements du FMI


Les années 90 ont été marquées par une évolution des
profils des engagements, par régions d’une part, et par
pays au sein de chaque zone d’autre part. Ainsi, l’Afrique se
situait au premier rang en termes de niveau des
engagements sur quotes-parts au début des années 80, à
égalité avec l’Asie et devant l’Amérique latine. Aujourd’hui,
elle est reléguée au dernier rang, alors même que le niveau
des engagements du FMI en Afrique est resté relativement
stable sur la décennie (graphique 10).
Graphique 10
Engagements du FMI par zone
en valeur absolue et en pourcentage des quotes-parts

Dans les zones, le profil des engagements est beaucoup


plus irrégulier et contrasté (voir graphique 11).
L’Amérique latine a commencé la décennie avec des
dettes encore importantes, séquelles de la crise de la dette
souveraine des années 80, et d’un important accord élargi
accordé au Mexique de 1989 à 1993. La réduction de la
dette par les Brady bonds et la mise en œuvre de la
libéralisation financière ont attiré les capitaux privés, de
sorte que les engagements à l’égard du FMI ont
rapidement diminué, jusqu’à la nouvelle crise mexicaine fin
1994. Celle-ci correspond à un saut brutal du ratio
engagements/quote-part, qui contraste avec la tendance
des engagements passés. L’intervention massive du FMI a
contribué à résoudre cette crise et à restaurer la confiance
des investisseurs privés, permettant un remboursement
progressif jusqu’à la crise brésilienne.
Le profil de l’Asie est très différent. La dépendance de
ces pays à l’égard du FMI a été très faible et même
décroissante avec les entrées de capitaux privés, jusqu’à
l’éclatement de la crise en juillet 1997. L’ampleur
extraordinaire des soutiens a fait bondir les engagements à
un niveau jamais atteint en pourcentage des quotes-parts,
mais pour une durée très limitée. Les pays touchés avaient
en effet des ressources d’épargne interne et une capacité
de redressement des balances des paiements supérieure
aux autres zones. Les restructurations financières ont été
poursuivies avec fermeté dans certains pays comme la
Corée. Aussi le retour des capitaux privés dans l’année
1999 a-t-il été spectaculaire, permettant de reconstituer les
réserves de change et de rembourser les crédits du Fonds.
Dès le milieu de l’année 1999, l’encours des engagements
était retombé au-dessous de 100 % des quotes-parts.
Dans ces deux zones, on observe donc un profil très
contrasté, où se dessinent des pics correspondant à des
soutiens massifs et se résorbant assez rapidement.
Graphique 11
Profil des engagements pour quelques pays émergents
(en pourcentage des quotes-parts)

En Europe de l’Est, la Russie est le débiteur


prépondérant. Ce pays a été soutenu systématiquement par
la communauté internationale sous l’autorité du G7, en
dépit de son incapacité chronique à satisfaire les critères
d’ajustement exigés par le FMI. Alors que la première
augmentation des engagements à l’égard du Fonds entre
1990 et 1992 provenait de l’Europe centrale,
principalement de la Pologne, les besoins récurrents de la
Russie et d’autres pays de la CEI ont entraîné un
accroissement systématique des engagements depuis le
début des réformes en 1992. On remarque que les
engagements ont progressé plus vite après la stabilisation
macroéconomique en Russie en 1995 et l’augmentation
subséquente de la dette publique interne russe. Le montant
des engagements en Russie a culminé après le dernier
programme annoncé par le FMI en juillet 1998, quelques
semaines avant le moratoire russe.
La comparaison des engagements du Fonds dans ces
différentes zones fait apparaître clairement l’éclatement de
ses missions. Pour les pays qui n’ont pas les structures
permettant de s’engager dans la globalisation financière
(Afrique principalement), son intervention continue de
soutenir l’aide publique au développement, conjointement
avec les financements de la Banque mondiale et les crédits
bilatéraux des États développés.
D’autre part, le FMI demeure un partenaire de long
terme pour certains grands pays ayant accès aux marchés
de capitaux mais engagés dans un processus de
transformation de leurs économies, avec le soutien du
Fonds. C’est le cas de l’Argentine en Amérique latine, ainsi
que de nombreux pays d’Europe de l’Est, en particulier la
Russie. Mais ces pays, qui bénéficient aussi d’importants
flux de capitaux privés, ne sont pas à l’abri de crises
financières.
Enfin, pour les pays émergents qui reçoivent des apports
de capitaux privés considérables mais qui sont vulnérables
à des retraits brusques et massifs, le FMI est devenu de
facto l’agent coordinateur de la gestion des crises, pourvu
d’une fonction de prêteur en dernier ressort international.
La crise mexicaine de 1994-95 a été le point de départ de
l’implication du Fonds dans les crises de marché. Son
intervention n’allait d’ailleurs pas de soi et a rencontré des
oppositions de tous bords et jusque dans son sein. La cause
occasionnelle de cet engagement sans précédent est liée à
la défection du Congrès américain, qui avait refusé
d’entériner le plan de sauvetage proposé par le secrétaire
d’État au Trésor J. Rubin (40 milliards de dollars en
garanties de prêts), au motif qu’il sauvait la mise
d’investisseurs imprudents. Le problème de l’aléa moral est
devenu le centre des débats et le cheval de bataille de
l’opposition républicaine au Congrès américain121. Après le
refus du Congrès, le FMI a décidé très rapidement de
débloquer 10 milliards de dollars, en anticipation d’un
accord de confirmation de 17,8 milliards de dollars (12
milliards de DTS), équivalent à près de 700 % de la quote-
part du Mexique, dont 300 % disponible immédiatement.
On peut rappeler que, de 1982 à 1985, les tirages
mexicains s’étaient élevés à 2,7 milliards de DTS sur trois
ans. Cet engagement, sans précédent par sa rapidité
comme par son montant, a d’abord rencontré l’opposition
des Européens (notamment des Anglais et des Allemands,
dont les administrateurs se sont abstenus), pour qui il ne
s’agissait pas d’un problème systémique.
Deux ans plus tard, la crise asiatique de l’été-automne
1997 a confirmé l’ampleur des programmes de sauvetage
financier que le Fonds pouvait être amené à élaborer.
Auprès des trois principaux pays en crise, le FMI s’est
engagé pour 35 milliards de dollars sur trois ans (dont plus
de la moitié a été déboursée avant mars 1998). Ces
contributions représentaient près du tiers du montant total
engagé par les prêteurs officiels multilatéraux et
bilatéraux.
Tableau 6
Assistance aux pays asiatiques en crise
(en milliards de dollars)

Source : FMI

(1) Ce montant initial a été suivi d’une rallonge en


juillet 98 : 1,3 milliard du FMI et 5 milliards de sources
bilatérales et multilatérales.

En juillet 1998, le FMI est intervenu en Russie, qui


bénéficiait déjà depuis mars 1996 d’un accord élargi pour
9,2 milliards de dollars. Il s’est engagé pour 11,2 milliards
supplémentaires, dont la majeure partie sous la forme
d’une prorogation et d’une extension de cet accord,
complétée par 2,9 milliards au titre de la facilité de
financement compensatoire, pour pallier la chute des
exportations. La crise brésilienne de décembre 1998 a
donné lieu à un nouvel engagement massif de la part du
Fonds, de 18,1 milliards de dollars, dans le cadre d’un plan
multilatéral plus vaste de l’ordre de 40 milliards.
Au total, la part du FMI dans les flux de capitaux à
destination des pays émergents a atteint en 1998 un niveau
proche de celui de 1983. Plus encore qu’au moment de la
crise de la dette, le FMI s’est trouvé en première ligne des
plans de sauvetage officiels, fournissant à lui seul à plus de
la moitié des apports de financements publics (graphique
12).
Cette succession de plans de sauvetage a entraîné des
tensions très fortes sur les ressources du Fonds, dont le
ratio de liquidité est tombé à 33 % en octobre 1998. Pour
faire face aux engagements pris envers la Russie, le FMI a
dû activer les Accords généraux d’emprunt, pour la
première fois depuis la fin des années 70. Sans cet
emprunt, le ratio de liquidité du Fonds serait tombé au
dessous de 20 %. Quant à la crise brésilienne, elle a donné
lieu à la première activation des Nouveaux accords
d’emprunt.

Graphique 12
Flux de capitaux vers les PVD et part des apports financiers du
FMI

Depuis l’augmentation générale des quotes-parts


finalement acquise en janvier 1999, la position de liquidité
du Fonds a cessé d’être un sujet d’inquiétude. Reste que
cette succession d’interventions massives a entraîné une
adaptation des dispositifs financiers du Fonds, tant du côté
des ressources, avec le renforcement des accords
d’emprunt, que du côté des engagements, avec l’adaptation
des modalités d’intervention à l’urgence et à l’ampleur des
besoins suscités par ces crises.
IV.2. Des emprunts de précaution
Dès la crise de la dette souveraine, le Fonds a voulu
s’assurer de lignes de crédits permanentes et
substantielles, utilisables dans le cadre de ses politiques
habituelles et non de dispositifs temporaires ou
concessionnels. La révision des Accords généraux
d’emprunt en 1983 allait dans ce sens. Ceux-ci ont été
complétés par les Nouveaux accords d’emprunt en 1997.
Les AGE révisés et les NAE ont été activés pour la
première fois en 1998. Ils permettent au Fonds d’assouplir
la contrainte de liquidité pesant sur ses ressources. Ils sont
activés sur proposition du directeur général, après
acceptation des pays participant122 aux accords d’emprunt
et approbation du Conseil d’administration du Fonds,
assurant ainsi en permanence au Fonds un volant de
liquidité. Ils répondent avant tout à un motif de précaution,
afin de lui permettre d’intervenir dans des situations de
tension exceptionnelle, menaçant la stabilité du SMI.

Les Accords généraux d’emprunts (AGE) révisés

Les AGE révisés diffèrent sur plusieurs points des


accords conclus en 1962. Les bénéficiaires des tirages sur
ces ressources empruntées peuvent désormais être des
pays non participants aux accords d’emprunt, dès lors que
le pays bénéficiaire s’engage dans un programme
d’ajustement encadré par le Fonds. En outre, les crédits
disponibles ont été substantiellement accrus puisqu’ils sont
passés de 6 milliards à 17 milliards de DTS, auxquels
s’ajoutent 1,5 milliard au titre d’un accord associé avec
l’Arabie Saoudite, soit 18,5 milliards de ressources liquides
supplémentaires. Notons encore, entre autres
caractéristiques, que le taux d’intérêt servi par le Fonds,
inférieur au taux du marché dans les anciens AGE, a été
porté au niveau du taux d’intérêt des DTS. Contrairement,
cette fois, aux emprunts ponctuels des années 80, les AGE
sont en général remboursables dans un délai de 4 à 7 ans,
ce qui permet de faire correspondre leurs échéances avec
celles des crédits accordés par le FMI aux pays membres.
Les AGE ont été reconduits tous les 5 ans depuis 1983,
sans que le Fonds touche aux ressources ainsi mises à sa
disposition. Le premier recours aux AGE révisés n’est
intervenu qu’en juillet 1998, pour un prêt à la Russie de 6,3
milliards de DTS dans le cadre d’un accord élargi. Sur ce
montant, la Russie a effectivement tiré 1,4 milliard.

Les Nouveaux accords d’emprunt (NAE)

À la suite de la crise mexicaine de 94-95, il est apparu


que les crises financières pouvaient mettre en péril la
stabilité du système monétaire international et engendrer
des besoins de financement accrus. Au sommet d’Halifax en
juin 1995, le G7 a appelé à un doublement du montant des
AGE, qui a débouché sur la conclusion d’un nouveau type
d’accords : les Nouveaux accords d’emprunt. Sous cette
dénomination, 25 pays signataires s’engagent à mettre à la
disposition du Fonds 34 milliards de DTS en cas de besoin.
Les crédits correspondants peuvent être octroyés par le
Fonds à tout État membre, même si celui-ci n’est pas
signataire des accords d’emprunt.
Les NAE ne se substituent pas aux AGE. Ceux-ci restent
effectivement en vigueur avec un montant disponible total
de 18,5 milliards de DTS (17 milliards des 11 pays
signataires auxquels s’ajoute 1,5 milliard pour l’Arabie
Saoudite123). Cependant, Les NAE sont le premier et
principal recours en cas de besoin de ressources
supplémentaires. Ils priment sur les AGE. Les 34 milliards
de DTS déblocables dans le cadre des NAE sont également
le plafond des crédits pouvant être accordés par le FMI sur
la base conjuguée des AGE et NAE.
Les NAE ont été adoptés par le Conseil d’administration
du Fonds en janvier 1997. Il sont entrés en vigueur en
novembre 1998124. Ces accords ont été utilisés pour la
première fois en décembre 1998, dans le cadre d’un accord
élargi avec le Brésil. L’appel de fonds était de 9,1 milliards
de DTS, sur lesquels 2,9 ont été utilisés.
Les montants empruntés dans le cadre des deux accords
(AGE pour la Russie et NAE pour le Brésil) ont été
remboursés en mars 1999, après l’entrée en vigueur de
l’augmentation des quotes-parts et leur versement au
Fonds. Le relèvement des quotes-parts a en effet nettement
amélioré la liquidité du Fonds, qui était au plus bas après la
crise asiatique. Il reste que le Fonds a développé pendant
ces années une politique d’emprunt qui met à sa
disposition en cas de besoin quelque 34 milliards de DTS,
soit environ 46 milliards de dollars. Une fois de plus, le
Fonds a préféré emprunter à ses États membres plutôt que
sur les marchés. Avec ces accords d’emprunt et après la
récente augmentation de quotes-parts, il paraît pour le
moment avoir surmonté le problème de liquidité aigu de la
fin de 1998.

IV.3. L’adaptation des dispositifs de crédit :


déplafonnement et discrétion
Les accords de confirmation et les accords élargis
demeurent les deux principales procédures d’accès aux
crédits du Fonds. Ainsi, sur 45 milliards de DTS engagés au
30 avril 1998, 28 milliards avaient fait l’objet d’accords de
confirmation, et 12 d’accords élargis.
Ce cadre est cependant manifestement inadapté par
rapport au montant des interventions du FMI dans les
crises financières récentes. Les plafonds de tirage,
largement dépassés dans des circonstances que l’on ne
peut désormais plus qualifier d’exceptionnelles, tendent à
perdre toute signification. Les tirages consentis au
Mexique en 1995, qui atteignaient 800 % de sa quote-part
sur 18 mois, l’ont été par un simple accord de confirmation.
Afin d’élever le montant des tirages sans enfreindre ses
propres règles, le FMI a récemment créé deux facilités
dépourvues de limites d’accès. Il s’agit là d’une nouveauté
considérable de la part d’une institution où le système des
quotes-parts a toujours joué un rôle central.
En décembre 1997, le FMI a créé la Facilité de réserve
supplémentaire (FRS). Celle-ci répond aux larges besoins
de financement à court terme résultant d’une perte
soudaine et massive de la confiance des marchés et
affectant le compte de capital et les réserves d’un pays.
Elle peut être activée lorsque des phénomènes de
contagion créent un risque de système qui justifie une
intervention massive125.
Bien que les tirages effectués au titre de cette nouvelle
facilité entrent dans le cadre d’un accord de confirmation
ou d’un accord élargi, ils se distinguent à plus d’un titre
des crédits habituellement octroyés par le Fonds : la
nouveauté la plus spectaculaire est sans doute l’absence de
plafonnement. Les ressources déplafonnées sont engagées
pour une durée pouvant aller jusqu’à un an et doivent être
remboursées 1 an ou 1 1/2 an après chaque tirage, délai
que le FMI peut prolonger d’un an à la demande du pays.
La durée relativement brève de remboursement renverse
donc complètement la tendance observée depuis les années
70 à un allongement des engagements du Fonds. En outre,
la commission payée sur ses tirages diffère du principe de
taux unique auquel le Fonds s’était jusqu’ici tenu pour ce
qui concerne l’utilisation de ses ressources générales. Une
surcharge de 300 points de base par rapport au taux
habituel est imposée la première année. Elle augmente
ensuite de 50 points de base tous les 6 mois, pouvant ainsi
s’élever jusqu’à 500 points de base. L’argent du FMI
n’atteint cependant pas un prix prohibitif : variant entre
300 et 500 points de base au dessus du taux d’intérêt du
DTS, il demeure moins cher que les financements privés
accessibles à un pays en crise.
La FRS a été utilisée à trois reprises depuis sa création, à
l’occasion d’interventions très controversées du Fonds.
Ainsi, dans le cas de la Corée, 10 milliards de DTS sur les
21,1 milliards engagés dans le cadre d’un accord de
confirmation, l’ont été au titre de la Facilité de réserve
supplémentaire, portant les engagements du Fonds à 1900
% de la quote-part du pays.
En juillet 1998, 4 milliards de DTS ont été alloués à la
Russie au titre de la FRS, comme composante d’une
augmentation de 6,3 milliards de son accord élargi126.
Enfin, en décembre 1998, sur les 13 milliards de DTS
accordés au Brésil dans le cadre de son accord de
confirmation, lesquels représentaient environ 600 % de la
quote-part du pays, 9,1 milliards, soit 70 %, l’ont été au
titre de la FRS. Au moment de la conclusion de leur accord,
ces deux pays étaient soumis à des turbulences financières,
mais ils n’étaient pas dans une situation de crise avérée :
l’intervention du FMI se voulait donc préventive. Or,
comme on le sait, la stratégie de prévention a échoué dans
les deux cas, puisque les deux pays ont été forcés de
dévaluer leur monnaie.
C’est pour améliorer le dispositif de prévention du FMI
que le Conseil d’administration a approuvé en avril 1999 la
création de la « Ligne de crédit contingente » (LCC). Cette
nouvelle facilité constitue une extension de la Facilité de
réserve supplémentaire. Mais alors que la première
s’adresse à des pays déjà en difficulté, la LCC a pour but
d’éviter la contagion d’une crise de liquidité aux pays dont
la gestion est orthodoxe.
Comme dans le cas de la FRS, l’engagement financier du
Fonds n’est pas plafonné, mais la décision du Conseil
d’administration précise une fourchette indicative de 300 à
500 % de la quote-part du pays bénéficiaire. Les conditions
de rachat et les commissions sont les mêmes que pour la
FRS. La nouveauté réside en revanche dans le caractère
préventif de cette facilité, qui se traduit par deux étapes
bien distinctes dans la décision du Fonds. Tout d’abord, le
principe de cette Ligne de crédit contingente est fixé dans
le cadre d’un accord de confirmation, par lequel le pays
s’engage sur un programme de politique économique
approuvé par le Fonds. Cette facilité s’adresse aux pays
poursuivant une politique économique et financière saine et
ayant fait l’objet d’un avis positif dans le cadre de l’article
IV. Ces pays ne doivent pas connaître de difficulté de
balance des paiements au moment de la conclusion de
l’accord, mais peuvent être vulnérables aux effets de
contagion. Dans son programme de politique économique,
le gouvernement prend des engagements, impliquant
notamment une gestion prudente de la dette extérieure,
une politique de change soutenable, ainsi que la diffusion
de l’information économique conformément à des
standards internationaux. En outre, le pays doit maintenir
des « relations constructives » avec ses créditeurs privés,
de manière à s’assurer de leur implication en cas de
turbulences financières.
Cet ensemble de précautions doit réduire la probabilité
d’un recours aux ressources du FMI. Si celui-ci s’avère
cependant nécessaire, par suite d’effets de contagion
échappant au contrôle et à la responsabilité du pays, le
Conseil d’administration procède très rapidement à une «
revue d’activation ». Il décide alors de l’opportunité de
l’engagement financier effectif du Fonds, du montant des
crédits et des conditions requises. La CCL ne constitue
donc pas une garantie d’engagement de la part du Fonds,
mais ménage la possibilité d’une intervention.
Cette procédure en deux étapes permet au Fonds de lier
plus étroitement aide financière et surveillance. Elle
l’autorise surtout à intervenir de manière rapide et
discrétionnaire, sans l’amener à violer ses procédures et
tout en laissant planer une « ambiguïté constructive » sur
son engagement financier effectif en cas de difficulté
avérée.
Cette série d’aménagements dans les modes
d’intervention financière du Fonds dessine les contours
d’un nouveau modèle d’institution financière, chargé d’une
véritable fonction de prêteur en dernier ressort
international. Le FMI n’en a pourtant a priori aucune des
caractéristiques127. Il n’a pas vocation à réguler la liquidité
par des actions à très court terme, mais à favoriser des
ajustements durables de balance des paiements128. Cette
vocation initiale soumet les pratiques de crédit à une série
de règles qui contrastent fortement avec les principes
d’intervention d’un prêteur en dernier ressort. Le Fonds n’a
pas une capacité d’engagement illimité, puisque ses
ressources sont déterminées par le montant des quotes-
parts et qu’il ne crée de monnaie que dans des conditions
extrêmement contraignantes. En outre, ses engagements
sont plafonnés, même si ce plafond a eu tendance à
augmenter. Ils sont soumis au versement d’une commission
uniforme. D’autre part, le Fonds n’a pas été autorisé à agir
immédiatement et de manière discrétionnaire, mais est
contraint de respecter des délais et des procédures pour
l’engagement de ses ressources.
Les nouvelles modalités d’intervention du FMI ont permis
de repousser dans une certaine mesure ces limites. Reste
que le Fonds ne peut s’affranchir de son caractère
d’institution intergouvernementale, dont les interlocuteurs
sont avant tout des responsables politiques. Quelle que soit
l’influence de ses décisions et de ses avis sur les marchés,
le FMI n’a pas les moyens de surveillance et d’action
propres aux banques centrales sur les acteurs du marché.
En examinant la régulation de la liquidité internationale,
ce chapitre a mis en évidence quatre modèles selon
lesquels le Fonds remplit ses missions. Cette multiplicité de
rôles illustre la diversité des problèmes rencontrés par les
pays membres dans un système monétaire qui s’est
profondément transformé sous l’impulsion de la
globalisation financière. Les modèles d’action ne se
remplacent pas entièrement dans une succession
chronologique. Ils ne conservent pas non plus la même
importance relative au cours du temps dans une
juxtaposition extensive d’objectifs à atteindre. Néanmoins
la superposition des ressources du Fonds et de ses moyens
d’intervention donne l’impression d’une institution
ubiquitaire qui mène des objectifs disparates, voire
contradictoires. La contestation que le FMI doit affronter,
venant de milieux politiques ou universitaires, tient en
partie au brouillage des finalités. Alors que le débat sur le
recentrage des activités du Fonds s’intensifie, les
Américains sont une fois de plus la principale force de
proposition. Le Trésor américain souhaite que le Fonds se
concentre sur les situations d’urgence par des prêts
sélectifs d’un montant limité et sur des maturités courtes.
L’institution devrait cesser d’être un pourvoyeur durable de
financement en complément ou en substitut des marchés
financiers et se détourner définitivement du modèle d’une
agence de développement. Elle perdrait ainsi un pan
considérable de son rôle actuel129.
Ces exhortations au recentrage s’intègrent dans des
discussions sur le besoin d’une nouvelle architecture
financière internationale qui ont largement débordé
l’institution. Depuis la crise asiatique, le FMI a été
quelquefois dans une position d’accusé, et n’a été, le plus
souvent, qu’une voix parmi d’autres dans le débat pour
améliorer la régulation des interdépendances entre des
systèmes financiers de plus en plus intégrés. L’autorité du
Fonds en a été quelque peu affaiblie.
Dans la perspective historique où ont été placées les
analyses de ce livre et dans le souci de leur donner un
support théorique, il convient de réfléchir à l’avenir du
Fonds monétaire international d’un double point de vue. En
premier lieu, la définition de son rôle doit être justifiée par
une analyse théorique des ajustements monétaires à guider
et des exigences prudentielles à respecter. En second lieu,
le changement des équilibres politiques internes du FMI et
de ses relations avec les autres institutions préoccupées de
la stabilité financière internationale doit être envisagé dans
une vue prospective des transformations de l’économie
mondiale.
 
Chapitre IV

L’avenir du Fonds monétaire international


dans la globalisation financière

La globalisation a changé la logique du système


monétaire international. Les modèles d’action que le Fonds
a élaborés au cours du temps pour le gérer ont été mis à
mal par les multiples crises monétaires et financières qui
ont frappé tant les pays développés que les pays en
développement. Le choix des régimes de change, le soutien
aux ajustements et la surveillance des politiques
économiques doivent prendre en compte l’opinion
financière prépondérante qui s’exprime sur les marchés
internationaux. La violence des crises financières et
l’intensité des contagions jettent un doute sur l’efficacité
des dispositifs hérités des expériences passées du Fonds,
tant pour la prévention que pour la gestion à chaud des
crises. Le déploiement en discussion des missions du Fonds
découle de ces défis.
La première partie du chapitre vise à définir
l’architecture du système monétaire international à partir
de principes théoriques déduits de la reconnaissance du
risque de système dans la globalisation financière. Elle
s’interroge sur les règles capables de le prévenir et sur la
dimension internationale du prêteur en dernier ressort
(PDR) pour l’endiguer. Selon l’efficacité que l’on prête à la
prévention et, corrélativement, selon l’ampleur des tâches
attendues du PDR, les missions et les modes d’action du
FMI peuvent être précisés et distingués. La seconde partie
s’appuie sur ces schémas théoriques et formule des
hypothèses sur les transformations d’ores et déjà
perceptibles dans les rapports financiers internationaux
pour en déduire les adaptations institutionnelles
compatibles avec un recentrage des missions du FMI.

I. L’architecture prudentielle du système monétaire


international

Le fonctionnement du système monétaire international


pose un problème de coordination lié à un défaut de
centralisation monétaire. Les pays sont interdépendants
économiquement et financièrement, d’autant plus que les
contrôles de capitaux sont restreints. Mais leurs monnaies
sont séparées et restent des attributs de souveraineté (sauf
pour les pays qui décident solennellement d’aliéner la leur
par un changement constitutionnel, pour former une Union
monétaire ou pour adopter un currency board). Ce
problème de coordination, déjà évoqué, a reçu une
formulation théorique : le théorème d’impossibilité de
Mundell, selon lequel un système monétaire international
ne peut garantir à la fois l’autonomie des politiques
monétaires nationales, la fixité des taux de change et la
liberté totale des mouvements de capitaux130.
La raison de cette impossibilité est facile à comprendre.
La liberté des mouvements de capitaux soumet les
intentions des gouvernements en matière de politique
économique au jugement qui se forme sur les marchés
financiers internationaux. Ces jugements s’expriment dans
les anticipations de variations des taux de change. Dans un
univers financier transparent et sans obstacle, toute
variation anticipée du change déclenche une spéculation
avec des moyens illimités. Un pays qui se trouve sous le feu
d’une spéculation à la baisse de sa monnaie, à la suite
d’une politique monétaire plus expansive que celles des
autres pays, n’a que deux possibilités : ou bien il augmente
ses taux d’intérêt pour décourager la spéculation, ce qui
revient à renoncer à son autonomie monétaire ; ou bien il
accepte la dévaluation de sa monnaie et passe en change
flexible.
Ce « dilemme monétaire » peut être résolu par trois
organisations polaires du système monétaire international,
selon le principe auquel on renonce :
• Renoncer à la liberté des mouvements de capitaux a été
la solution de Bretton Woods. Les deux autres critères ont
corrélativement fait l’objet de compromis : changes fixes
mais ajustables, politiques autonomes mais avec un
minimum de coordination sous l’égide du FMI. Ce système
était donc mixte. Mais on a vu qu’il comportait un biais vers
la fixité et vers un rejet de la coopération. Cette dérive, qui
s’est produite au moment où les mouvements de capitaux
s’intensifiaient, a sonné le glas du système.
• Renoncer aux changes fixes est la solution adoptée en
1973, et avalisée dans le changement des statuts du Fonds
monétaire en 1976. Elle permit de renforcer l’autonomie
des nations développées, tout en laissant régionalement
aux pays européens la latitude d’expérimenter une
coordination plus étroite au sein du SME.
• Renoncer à l’autonomie des politiques monétaires, pour
bénéficier entièrement de la libre circulation des capitaux
tout en stabilisant les taux de change, est une troisième
configuration possible. Les grandes puissances
économiques et monétaires mondiales ne sont pas prêtes à
s’engager résolument dans cette voie. Cependant, un pas
décisif dans ce sens a été fait en Europe avec
l’établissement de l’Union monétaire. En outre, on peut
considérer que l’adoption très large de l’indépendance des
banques centrales par un nombre de plus en plus grand de
pays est une réforme institutionnelle favorable à la mise en
œuvre de principes compatibles de politique monétaire.
Enfin, des pays de taille petite ou même moyenne lient leur
sort à celui d’une monnaie de référence. Ce rattachement
peut être officialisé par un currency board. Il peut provenir
d’un choix des agents privés lorsque ceux-ci détiennent
librement la monnaie étrangère à des fins de transaction et
de réserve. L’arbitrage possible entre compte en monnaie
étrangère et compte en monnaie nationale au sein du
même système bancaire impose une contrainte forte sur la
politique monétaire. Ainsi ce phénomène, appelé
dollarisation parce que l’adoption du dollar comme
monnaie de référence est fort répandue en Amérique
latine, participe de la formation d’un polycentrisme par
attraction régionale dans le système monétaire
international.
Cependant, ces trois issues au dilemme monétaire ne
suffisent pas à définir les évolutions possibles du SMI. Car,
contrairement à l’hypothèse postulée par Mundell,
l’expérience de la globalisation financière a montré que les
marchés ne sont pas efficients : les intermédiaires
financiers sont myopes devant l’incertitude et handicapés
par des asymétries d’information dans les relations avec les
épargnants et les emprunteurs131. Ces imperfections de la
finance ont des conséquences à la fois monétaires et
prudentielles.

I.1. Régimes de change : des compromis


raisonnables
Au plan monétaire, la supériorité des régimes extrêmes
disparaît. Les changes fixes sont des facteurs d’instabilité
qui font le lit de la spéculation. Même les currency boards
ne sont pas à l’abri des attaques contagieuses. La
résistance à ces attaques entraîne des coûts économiques
et sociaux prohibitifs, qui rendent ces régimes inefficaces
s’ils sont tenus pour permanents. Quant aux changes
flexibles purs, ils ne sont viables que pour des économies
dotées de marchés financiers profonds et diversifiés, où la
liquidité ne dépend pas que des banques, mais aussi d’une
grande variété d’agents non-bancaires. Ces conditions
n’existent que dans un petit nombre de pays de la zone
OCDE. Pour les pays émergents et en transition, des
changes flexibles purs peuvent produire des effets
redoutables : des mésalignements créant des distorsions de
compétitivité, une volatilité excessive qui augmente les
primes de risque, et une vulnérabilité à la contagion
lorsque des crises de liquidité éclatent dans d’autres pays.
Les régimes intermédiaires sont donc les seuls viables dans
la majorité des cas. Mais ces régimes forment toute une
gamme, allant de la zone cible à marges étroites autour
d’une parité nominale jusqu’au flottement géré. La
libéralisation financière, jointe à l’expérience des crises de
change, induit un besoin de plus de flexibilité. Le
compromis entre ce besoin et la contrainte posée par le
fonctionnement insatisfaisant des marchés financiers
locaux consiste à adopter un flottement géré, plutôt qu’un
flottement pur. Le rôle du FMI dans la gestion des taux de
change est différent selon le degré de développement des
marchés financiers.
Le FMI n’a guère de prise sur les relations de change
entre les grands pays. Il y aurait pourtant une
responsabilité systémique globale des autorités monétaires
responsables des devises clés à réguler de concert les
conditions de leurs marchés monétaires. Ces autorités
pourraient chercher à éviter des volatilités trop fortes ou
des distorsions trop prononcées des taux de change entre
l’euro, le dollar et le yen. Certes, l’euro comme le dollar ont
vocation à être des ancres et à ne pas se définir, même
souplement, par rapport à une référence extérieure qui
ferait peser une contrainte a priori sur les objectifs des
banques centrales. La surveillance des distorsions de
change excessives n’en pourrait pas moins faire l’objet
d’une coopération plus systématique entre les deux ou trois
grandes banques centrales. Des indicateurs d’alerte
seraient à élaborer pour cela. Le FMI pourrait être mis à
contribution, conformément à sa mission de surveillance
des taux de change qui aurait ainsi un contenu plus précis.
Néanmoins, c’est le G7 – de fait le groupe plus restreint des
autorités monétaires responsables du dollar, de l’euro et du
yen – qui décide des interventions concertées sur les
marchés de change132. Les autorités concernées n’ont
aucun intérêt à voir cette responsabilité transférée au FMI.
En revanche, les régimes de change des pays émergents
devraient connaître des changements significatifs. La
position du Fonds monétaire paraît évoluer dans ce sens.
Ainsi S. Fischer affirme-t-il qu’à long terme les changes
flexibles purs pourraient être généralisés quand les
systèmes financiers de ces pays atteindront une
sophistication comparable à celle des pays occidentaux (du
moins pour ceux qui ne font pas le choix d’entrer dans une
union monétaire). Après les crises récentes, le Fonds a
accompagné le retour au flottement géré de monnaies
auparavant plus ou moins formellement rattachées au
dollar. Révisant sensiblement la doctrine qui avait sévi dans
la majeure partie des années 90, il souligne désormais
l’intérêt de la flexibilité du change pour absorber les chocs,
résorber les déséquilibres et décourager les flux de
capitaux à très court terme133. À l’autre extrême, il
continue de soutenir les expériences de currency boards. Il
faut dire que sa position à cet égard est délicate, car il ne
peut recommander formellement la sortie d’un tel régime
de peur de déchaîner une crise de change. Certains
souhaiteraient néanmoins que le Fonds encourage
confidentiellement les pays qui ont adopté ce régime (et qui
ne se préparent pas à entrer dans une union monétaire) à
en sortir par le haut dans une période calme, en prévoyant
un soutien financier éventuel à toutes fins utiles.
L’évolution de la doctrine concernant les régimes de
change est un élément déterminant de la régulation des
marchés financiers globaux. Si le FMI est capable, devant
l’expérience maintenant accumulée, d’aider les pays à
formuler et à gérer des régimes de change viables, il
pourra promouvoir ceux qui se révèleront relativement
robustes et compatibles entre eux – c’est-à-dire les régimes
intermédiaires qui établiront des compromis entre stabilité
et flexibilité. Ces régimes devraient prendre en compte,
mieux qu’ils ne l’ont fait jusqu’ici, les contextes des
politiques monétaires des pays émergents, notamment
l’expérimentation de cibles d’inflation. Il n’est pas question
de les décrire ici. Cependant, on peut dégager un certain
nombre de principes qui font maintenant l’objet d’un large
consensus parmi les économistes134.
Ces principes s’expriment dans quelques idées simples.
Tout d’abord, il est utile de définir une parité de référence
révisée périodiquement. Le FMI peut, sur ce point, tirer
parti de sa compétence macroéconomique dans la
détermination des taux de change réels d’équilibre. L’écart
du taux de change courant par rapport à l’estimation du
taux de change d’équilibre pourrait faire l’objet d’un
examen dans le cadre de la surveillance annuelle. Il
s’agirait, non pas d’espérer conduire une dynamique
prédéterminée d’ajustement, mais de détecter
l’accumulation de distorsions susceptibles d’entraîner une
crise de change. Les autorités nationales doivent en effet
accepter des fluctuations autour de la parité de référence,
l’essentiel étant que le marché découvre qu’elles mènent
une politique active et cohérente. En cas de surchauffe, par
exemple, une appréciation temporaire au-dessus du taux de
change de référence évite une hausse trop vive des taux
d’intérêt, hausse que des systèmes financiers fragiles ne
supportent pas sans dommage. Elle permet ainsi de
partager la charge de l’ajustement entre le taux de change
et le taux d’intérêt, au lieu de la faire porter sur ce dernier
exclusivement. En sens contraire, les pressions à la
dépréciation ne doivent pas être combattues par des
politiques d’engagement des réserves de change jusqu’à
épuisement. En Asie, au début de la crise, le Fonds n’a pas
découragé ces politiques rigides. Il est maintenant admis
qu’il faut les éviter. En effet, en l’absence d’engagement à
défendre un taux de change particulier, on fait subir aux
spéculateurs un risque dans les deux sens. De plus, la
politique du taux de change peut avoir temporairement une
autonomie par rapport à la politique monétaire : en ne
faisant pas connaître au marché jusqu’où elle est prête à
laisser baisser le change, la banque centrale peut utiliser
judicieusement ses interventions au moment où les
spéculateurs ne savent plus si la dépréciation est allée trop
loin ou non. Dans une stratégie dite de « leaning with the
wind », la banque centrale crée ou amplifie une force de
rappel dans le marché.
On peut cependant soutenir, à juste titre, que ces
techniques ne suffisent pas à préserver des régimes de
change capables de résister aux crises dans les pays où les
systèmes financiers sont très imparfaits. Aussi d’autres
moyens ont-ils été proposés et débattus. L’un des plus
controversés et âprement discutés est le contrôle des
capitaux.
Dans ce débat, la position du Fonds monétaire a évolué
après la crise asiatique135. Après avoir encouragé
l’ouverture sans restriction des pays émergents aux
mouvements de capitaux, le FMI prône désormais une
libéralisation ordonnée (« sequencing »). Il ne s’oppose
plus aux mesures de réglementation quand elles visent à
limiter les effets déstabilisateurs des revirements de flux, et
à laisser aux autorités le temps de renforcer les systèmes
financiers. Il ne manque cependant jamais de prévenir
contre les usages abusifs de tels contrôles, qui comportent
le risque de pérenniser des distorsions internes et de
différer les ajustements nécessaires. Toutefois, il reconnaît
désormais que les flux excessifs d’entrées à court terme
pourraient être avantageusement freinés par des taxes, qui
pénaliseraient d’autant plus les allers et retours spéculatifs
qu’ils sont courts.
La France a proposé d’étendre la juridiction du FMI à la
libéralisation des mouvements de capitaux, proposition
reprise par le Comité intérimaire en 1997. Selon ses
statuts, le Fonds n’est pas supposé financer la balance des
capitaux, ni promouvoir la libéralisation du compte de
capital, ce qu’il a pourtant fait ces dernières années. Une
telle décision permettrait donc de mettre fin à une
discordance croissante entre la pratique du Fonds et son
mandat officiel. Le FMI verrait la libéralisation des
mouvements de capitaux entrer dans ses objectifs, ses
missions s’élargissant à la gestion raisonnée et progressive
de cette transition.
Cette initiative demeure cependant bloquée, d’un côté
par les États-Unis, qui ne veulent pas augmenter les
pouvoirs du Fonds, et de l’autre par les pays en
développement, qui y voient une arme de guerre à
l’encontre de leur souveraineté économique. De nombreux
pays, notamment en Asie, résistent aux entrées de capitaux
sous forme d’investissement direct ou aux prises de
participation dans les firmes nationales. Pourtant, le
rééquilibrage de la structure des entrées de capitaux est
une question cruciale : l’expérience des crises a confirmé la
plus grande robustesse des investissements directs, par
opposition aux investissements de portefeuille, face à la
volatilité du change ou du prix des actifs intérieurs.
On entre là de plain-pied dans le dilemme prudentiel.

I.2. L’endiguement du risque de système


Les problèmes posés par la libéralisation des
mouvements de capitaux ont aussi une dimension
microéconomique qui s’est révélée prépondérante dans les
crises. Parce que celles-ci ne sont pas fréquentes, les
comportements privés en sous-estiment les risques. Mais
leurs conséquences sont trop dévastatrices pour être
négligées par les gouvernements. C’est pourquoi des
politiques prudentielles ont été établies, et le plus souvent
déléguées à des agences spécialisées de supervision ou aux
banques centrales. Pour être efficaces, ces dispositifs
prudentiels requièrent une expérience que seuls possèdent
les pays dont les systèmes financiers sont les plus
développés. Même ceux-ci ont rencontré de sérieuses
difficultés. Ils ont presque tous subi des crises bancaires et
des spéculations boursières et immobilières aux effets
macroéconomiques désastreux. Les systèmes financiers
nationaux doivent aussi être capables de réagir à la
répercussion de crises venues d’ailleurs, et propagées par
les marchés globaux.
Il s’ensuit que le dilemme monétaire de Mundell se
double d’un dilemme prudentiel136 que l’on peut exprimer
de la manière suivante : le meilleur des mondes possibles
du point de vue du fonctionnement des marchés de
capitaux dans un univers de monnaies séparées est hors
d’atteinte. On ne peut vouloir à la fois l’autonomie
nationale des politiques prudentielles, des marchés
financiers internationaux protégés de la volatilité
excessive, et un coût du capital minimisé par la
concurrence financière. Il existe donc un dilemme entre
l’autonomie prudentielle nationale, la sécurité financière
globale et l’efficacité dans l’allocation microéconomique de
l’épargne dans le monde. Selon le terme du dilemme qui
est abandonné, on peut, là encore, définir trois types
polaires d’architecture financière :
• Renoncer à l’efficacité dans l’allocation internationale
du capital a été le choix de Bretton Woods. On a montré
dans le premier chapitre en quoi les problèmes de l’après-
guerre et les rivalités politiques déterminaient ce choix. De
fait, les contrôles de capitaux ont permis de préserver
l’autonomie nationale de la supervision bancaire et de la
fonction de prêteur en dernier ressort, tout en garantissant
des systèmes financiers robustes. Aucun rôle prudentiel
n’avait d’ailleurs été envisagé, pour le FMI, dans les textes
de Bretton Woods.
• Renoncer à la stabilité financière a été la conséquence
d’une globalisation des marchés de capitaux, combinée à la
persistance du nationalisme prudentiel. La multiplication
des crises bancaires, couplée à de violentes fluctuations
des prix d’actifs et des changes, a ponctué une instabilité
financière endémique. Ces crises ont, par apprentissage,
provoqué la création d’éléments de régulation prudentielle
internationale dans le domaine réglementaire. L’élément le
plus consistant a été le Comité de Bâle, qui élabore les
standards internationaux en matière bancaire. Un accord
entre banques centrales sur la sécurité des paiements
internationaux a été conclu à la suite de la faillite de la
banque Herstatt en 1974. Un ratio de capitalisation
minimum pour les banques internationales (ratio Cooke) a
été défini en 1988. Surtout, le FMI s’est emparé d’un rôle
prudentiel à l’égard des pays qui n’avaient pas les
capacités de supervision interne pour résoudre les crises.
Mais ces éléments partiels et isolés de politique
prudentielle internationale ont été bien incapables, face à
l’avancée de la globalisation, d’empêcher de nouvelles
crises.
• Renoncer à l’autonomie des dispositifs prudentiels
nationaux, pour rendre compatibles la sécurité du système
financier globalisé et l’efficacité de l’allocation de l’épargne
mondiale, est un avenir possible. La supervision des
institutions financières dont la fragilité pourrait avoir des
incidences systémiques, ainsi que le rôle de prêteur en
dernier ressort, deviendraient des fonctions
internationalisées. En même temps, les dispositifs de
supervision des pays financièrement ouverts seraient
standardisés. C’est l’enjeu de la nouvelle architecture
financière internationale. Encore faut-il envisager les
manières de le faire : de ce choix dépend l’avenir du
FMI137.
La globalisation financière a fait apparaître des effets de
contagion qui rendent inefficace le cantonnement du rôle
de prêteur en dernier ressort au sein des nations. Un pays
peut connaître des fuites de capitaux extrêmement
violentes lorsque les grands investisseurs internationaux
sont inquiets de troubles financiers dans un autre pays.
Ceux qui sont victimes de ces répercussions ne devraient
pas subir un effondrement de leur taux de change ou une
hausse désastreuse de leur taux d’intérêt à cause d’un effet
de contagion. Un enseignement de la crise asiatique est
que seule une assistance internationale d’urgence en
liquidité peut fournir une défense efficace. C’est pourquoi
le débat sur la nouvelle architecture financière
internationale comporte des propositions visant à doter le
FMI des responsabilités d’un prêteur en dernier ressort
international.
Mais l’assignation au Fonds d’un rôle de prêteur en
dernier ressort pose des problèmes fondamentaux. Ils
concernent d’abord son statut, et renvoient aux débats
anglo-américains qui ont marqué sa création. Bien que les
facilités de crédit aient proliféré, le FMI n’est pas une
banque centrale. Il est, en cela, resté conforme aux
intentions américaines qui ont prévalu à Bretton Woods.
Aussi la transformation de l’architecture du système
monétaire international pose-t-elle la question de la
permanence de cet a priori. S’il est maintenu, quelle forme
institutionnelle peut prendre le prêteur en dernier ressort
international ? Comment renforcer les règles prudentielles
que devront respecter les intermédiaires financiers et les
gouvernements pour réduire l’aléa moral lié à la
socialisation des coûts résultant des pertes privées ?
Mais les transformations à venir dépendent aussi, sur un
plan plus théorique et idéologique, de l’évolution du
consensus de Washington. Il se peut que les crises
récentes, malgré leur ampleur, continuent à être imputées
exclusivement aux mauvaises politiques économiques des
pays émergents, aux garanties implicites accordées par les
gouvernements, à l’insuffisance du contrôle prudentiel
national, aux collusions entre l’Etat et la finance privée
dans ces pays. En ce cas, l’affirmation demeure que les
marchés sont, potentiellement au moins, autorégulateurs.
Pour améliorer la stabilité de la finance internationale, il
faut et il suffit alors d’établir plus rigoureusement la
gouvernance des marchés de capitaux sur la conduite des
agents publics et privés. Selon cette conception, le FMI
devrait être le gardien d’un système de règles (voir encadré
1) auxquelles les pays devraient adhérer pour bénéficier
des financements de marché aux meilleures conditions.

Encadré 1

LE DISPOSITIF DE PRÉVENTION
Des changements ont été d’ores et déjà entrepris
dans le sens d’un renforcement de la discipline de
marché. Ils portent sur la transparence des agents
publics vis-à-vis des marchés et sur l’affinement
des règles prudentielles internationales.
L’amélioration de l’information fournie par les
États membres sur l’évolution monétaire et les
réserves de change constitue l’avancée la plus
facile. Ainsi, avant la crise, le gouvernement
thaïlandais communiquait le montant de ses
réserves brutes en devises, alors qu’il avait en
réalité vendu la plus grande partie de celles-ci sur
les marchés à terme. Or les gouvernements
n’étaient pas tenus de déclarer au FMI les contrats
à terme. Aujourd’hui, le FMI demande que lui soit
communiqué le montant des réserves nettes en
devises.
En outre, dans le cadre d’une vaste entreprise
d’harmonisation internationale des standards et
des codes, le FMI est directement responsable de
la définition et de la mise en pratique des
standards de diffusion des statistiques
économiques et financières pour les secteurs réel,
budgétaire, financier et extérieur. Depuis 1996, les
pays membres qui ont ou qui cherchent un accès
aux marchés de capitaux peuvent souscrire au
SDDS (Special Data Dissemination Standard).
Celui-ci a été complété en 1997 par le GDDS
(General Data Dissemination Standard), pour offrir
un cadre au développement de l’information
statistique dans l’ensemble des pays. Actuellement,
une cinquantaine de pays produisent des
statistiques selon ces normes.
Relèvent également de la responsabilité du Fonds
la définition et la mise en pratique de « codes de
bonne conduite » en matière de finances publiques
et de politique monétaire (Code of Good Practices
on Fiscal Transparency et Code of Good Practices
on Transparency of Monetary and Financial
Policies).
Par ailleurs, dans un souci de transparence qui
s’étend à ses propres activités, le Fonds encourage
de plus en plus les gouvernements à rendre
publiques les conclusions des consultations de
l’article IV138. Depuis 1997, il fait pression sur les
États pour qu’ils acceptent la publication d’un PIN
(Press Information Notice), qui résume les
discussions du Conseil d’administration. La
publication intégrale du rapport des services fait
actuellement l’objet d’une expérience pilote. Dans
le cas d’un accord financier, les lettres d’intention
des pays sont désormais elles aussi publiées.
Cependant, la divulgation de ces documents est
toujours soumise à l’approbation du pays concerné
(cette approbation fait aujourd’hui défaut pour
environ un tiers des documents publiables).
Toutefois, le FMI ne contrôle pas tous les leviers
de la discipline de marché. L’amélioration de la
prévention viendra aussi de la qualité et de l’usage
prudent des modèles internes de contrôle du risque
par les agents financiers, et pas seulement les
banques. L’impulsion dans ce domaine vient du
Comité de Bâle et d’autres comités techniques pour
les marchés de titres, les assurances,
l’harmonisation des normes comptables, la
déontologie de l’audit. Ces réglementations
internationales échappent au FMI, qui n’a pas
d’expertise dans ces domaines. Les travaux des
différents comités techniques sont censés être
coordonnés par le Forum de stabilité financière,
récemment créé. En outre, l’élaboration de ces
règles prudentielles et microéconomiques fait
intervenir de nouveaux acteurs (banques centrales
et autres agences gouvernementales de
supervision, agents privés). Les travaux du Comité
de Bâle et ceux des différents comités techniques
devraient continuer de s’ouvrir aux agents
financiers et aux superviseurs des pays émergents,
d’autant plus vite que les gouvernements de ces
pays auront impulsé les changements
institutionnels nécessaires. Dans ce domaine, le
FMI dispose de moyens de pression sur les États
membres, pour qu’ils mettent en place les
changements institutionnels favorisant l’émergence
d’agents privés autonomes et d’instances de
supervision indépendantes, capables de participer
aux discussions internationales, puis de veiller à
l’application de ces règles dans leurs propres pays.
Cependant, aucune organisation internationale
n’a les compétences qui lui permettraient de
contrôler l’application effective de tous les
principes dans les domaines qui font aujourd’hui
l’objet d’une normalisation. De plus, la mise en
œuvre de standards et de normes qui interfèrent
directement dans l’activité d’agents privés ne peut
s’effectuer sur le même mode que des codes de
bonne conduite concernant des politiques
gouvernementales.
Le FMI pourrait, en travaillant avec les
différentes instances réglementaires
internationales, incorporer le respect de certaines
règles microéconomiques dans sa conditionnalité. Il
serait alors amené à élargir sa surveillance à des
points qui ne lui incombent pas directement139. Le
Fonds s’investit déjà de plus en plus dans l’examen
des systèmes financiers de ses membres,
notamment à travers le Financial Sector
Assessment Program, conduit en collaboration avec
la Banque mondiale. Mais il ne saurait effectuer
une analyse microéconomique approfondie de tous
les aspects d’un système financier. Le champ de la
surveillance du Fonds n’est pas infiniment
extensible. La redéfinition de ses contours devrait
tenir compte des compétences et de l’avantage
comparatif dont il bénéficie. Ainsi, le récent
rapport d’évaluation externe sur la surveillance140
plaide pour un recentrage de celle-ci autour des
rapports de change et des politiques
macroéconomiques qui leur sont étroitement
associées. En revanche, les questions structurelles
et le suivi des standards internationaux qui
n’entrent pas directement dans les compétences du
Fonds devraient être traités par d’autres
organismes multilatéraux, le FMI pouvant
conserver un rôle de centralisation de
l’information.
La question de la délimitation du champ de la
surveillance est d’autant plus délicate qu’elle a des
implications, non seulement en matière de
prévention, mais aussi de gestion des crises. En
effet, l’idée de conditionner l’aide financière du
Fonds au respect des standards, codes et normes
qui viennent d’être évoqués progresse dans les
milieux officiels et académiques. La nouvelle ligne
de crédit contingent du FMI s’inspire d’un principe
de pré-qualification, puisqu’elle est réservée aux
pays qui mènent une politique orthodoxe, mais qui
sont susceptibles de subir par contagion les effets
d’une crise dans un pays mal géré. La
conditionnalité ex ante qu’elle instaure (grands
équilibres macroéconomiques, politique de change
viable, transparence, etc.) reste cependant limitée
au champ de compétence traditionnel du Fonds.
Plus largement, la pré-qualification est, comme
nous le verrons, au centre des propositions des
théoriciens qui préconisent un renforcement des
règles et de la discipline de marché pour endiguer
le risque de système.

Cependant, les crises financières ont conforté une


conception alternative de la capacité des marchés à réguler
l’activité économique. Sans nier que des actions publiques
intempestives aient accru la fragilité financière en
exacerbant l’aléa moral dans les comportements privés, on
peut faire remarquer que ce type d’imperfections est fort
loin de rendre compte de l’ensemble des phénomènes. Ce
sont les caractéristiques du crédit et les comportements
des marchés plongés dans l’incertitude qui donnent
naissance aux dynamiques financières déséquilibrantes et à
l’apparition du risque de système141. Il est alors vain et
dangereux de croire que l’édiction de règles
supplémentaires suffira à éviter de nouvelles crises
financières globales. Un dispositif international de gestion
de crise doit être mis en place et permettre de mener de
manière discrétionnaire les actions appropriées à chaque
cas. Les marchés financiers étant globalisés, mais les
monnaies séparées par les souverainetés nationales (ou
régionales dans le cas des unions monétaires), ce dispositif
ne peut pas être centralisé. Il doit donc y avoir, entre les
autorités monétaires, une répartition des tâches et des
formes souples de concertation adaptées aux
caractéristiques de la fonction de prêteur en dernier
ressort. La place du FMI dans ce dispositif est une question
ouverte.
L’une et l’autre de ces conceptions cherchent à résoudre
le dilemme prudentiel. Elles vont toutes deux dans le sens
de l’abandon de l’autonomie nationale des responsabilités
prudentielles, afin de concilier la stabilité et l’efficacité de
la finance globalisée. Si l’on est sceptique sur l’efficacité de
la discipline de marché, on met l’accent sur l’action
collective des autorités monétaires pour faire prévaloir le
bien commun qu’est la maîtrise du risque systémique.
Même si l’on fait confiance à la discipline de marché, à
condition qu’elle s’exerce dans un ensemble de règles
internationales appliquées dans tous les pays ouverts aux
marchés de capitaux, on ne peut nier le besoin d’un
dispositif de gestion de crise. L’organisation de ce
dispositif, c’est-à-dire, avant tout, la manière dont la
fonction de prêteur en dernier ressort peut être exercée,
dépend de l’importance que l’on accorde à la discipline de
marché dans le système plus large de prévention.

I.2.1. Coordination par les règles et discipline de marché


Au cours des débats suscités par la nouvelle architecture
financière internationale, des propositions de réformes
radicales ont été avancées dans les milieux académiques
américains142. Elles font jouer un rôle éminent à la
coordination par les règles pour établir la discipline de
marché. Si les marchés étaient vraiment autorégulateurs,
le FMI renoncerait à l’arsenal complexe de ses
financements conditionnels, qui tomberaient en désuétude.
Mais il retrouverait un rôle central dans le système
monétaire international. Outre celui de moniteur des
régimes de change, sur lequel on a insisté plus haut, il
serait aussi, dans ce schéma de coordination par les règles,
le prêteur en dernier ressort international, résiduel mais
exclusif.
Ce modèle repose sur une conception classique de la
fonction de prêteur en dernier ressort, dont les fondements
théoriques mettent en jeu la distinction cruciale entre
illiquidité et insolvabilité. Le prêteur en dernier ressort est
censé prêter sans limites à tout agent financier illiquide,
mais solvable, qui sollicite son assistance, à un taux
d’intérêt pénalisateur et contre un bon collatéral (évalué
aux prix d’avant-crise). Ces restrictions dans les conditions
des prêts sont censées décourager l’aléa moral qui découle
d’une source de liquidité extérieure au marché. Le défi est
donc d’arriver à construire un dispositif qui permette de
différencier illiquidité et insolvabilité.
L’inspiration de cette approche radicale se trouve dans
une observation historique. Dans le régime de l’étalon-or,
les crises financières étaient fréquentes mais bien moins
graves qu’aujourd’hui, tant en ce qui concerne l’étendue
des pertes que l’instabilité des prix des actifs financiers. La
forte crédibilité de la règle fondamentale de la
convertibilité assurait la stabilité des changes et entraînait
celle des taux d’intérêt à long terme. Ni les banques, ni a
fortiori les investisseurs en titres n’étaient protégés. Les
banques avaient, d’après les travaux historiques, des
comportements de prise de risque plus prudents
qu’aujourd’hui. Les crises de liquidité (qui se manifestaient
à l’époque sur les marchés de dépôts et de billets émis par
les banques) étaient traitées par des accords épisodiques
de prêts d’or, par exemple de la Banque de France à la
Banque d’Angleterre, ou par des achats de titres en
sterling par la Banque de France sur le marché de
Londres143. Bref, il s’agissait d’un ordre monétaire
constitutionnel qui favorisait une conformité des
comportements privés, les pures crises de liquidité étant
gérées par des coopérations occasionnelles des principales
banques centrales.
En quoi cette référence historique est-elle d’un
quelconque secours pour réformer le système monétaire
international ? Il n’est certes pas question de rétablir une
règle de convertibilité monétaire universelle. Ce sont des
règles prudentielles qui sont proposées, sous le postulat
qu’elles disciplineront les comportements bancaires de
manière décisive et limiteront la nécessité d’un prêteur en
dernier ressort international. Cette affirmation est
conforme au credo libéral, selon lequel tous les
dysfonctionnements du crédit viennent de l’aléa moral
provoqué par les politiques des gouvernements et du FMI
visant à empêcher les faillites bancaires.
Quelles sont les règles qui auraient un tel pouvoir
restructurant sur le système monétaire international ?
Celles qui établissent le bon compromis entre la fonction de
prêteur en dernier ressort et la discipline de marché. Les
banques doivent pouvoir faire faillite, et le prêt en dernier
ressort doit être fait sans limitation à des agents illiquides
mais solvables, à des taux pénalisateurs et contre du bon
collatéral. Les règles efficaces sont celles qui permettent
de faire le tri entre agents illiquides et agents insolvables.
Croire à la discipline de marché, c’est croire que ce tri est
possible.
Dans la discipline de marché, les agents privés jouent le
premier rôle. Les banques doivent être capables de limiter
la demande de crédit de leurs débiteurs à ce qui est justifié
par des comportements prudents. Les émetteurs de titres
de dettes doivent se garantir contre un assèchement
inopiné de la liquidité par des lignes de crédit de soutien
auprès des banques. Celles-ci sont donc les agents
critiques du fonctionnement de l’ensemble des marchés de
capitaux. La transparence exigée d’elles et les règles
prudentielles renforcées doivent permettre à leurs propres
créanciers de distinguer les risques individuels qu’elles
prennent. En cas de faillite bancaire, il ne devrait donc pas
y avoir de contagion sur d’autres banques.
Ces conditions sont fort difficiles à remplir. Elles doivent
tenir lorsque des faillites sont redoutées ou même
déclarées. Dans le premier cas, l’idée serait de modifier les
contrats de manière que les débiteurs en difficulté puissent
continuer à honorer leurs engagements, tout en bénéficiant
d’un allègement temporaire du service de leurs dettes pour
leur éviter de tomber effectivement en faillite. Dans le
second cas, la question du partage équitable des pertes est
décisive pour que la rivalité des prêteurs inquiets ne
paralyse pas la restructuration financière des débiteurs.
Deux dangers opposés sont, en effet, à craindre. Le premier
est la ruée des créanciers sur les actifs liquidables du
débiteur. Comme cela entraîne des ventes de détresse, la
valeur des actifs que les créanciers peuvent récupérer
baisse. Leur précipitation à faire valoir immédiatement leur
droit cause des pertes plus élevées pour tous et rend la
restructuration plus difficile. Le second danger, si la
situation d’urgence force les créanciers à accepter un gel
des créances et un partage des pertes, est une réticence
ultérieure à prêter qui empêche de financer des
investissements créateurs de valeur.
Il sera extrêmement difficile de trouver des règles
acceptables a priori par toutes les parties dans les relations
internationales. La voie consistant à créer un droit
international des faillites et des cours de justice
internationales habilitées à dire ce droit est pure utopie.
Pourtant, les partisans d’une réforme du système financier
international fondée sur des règles communément
acceptées sont très volontaristes. Ils prétendent que l’on
peut, dans ce domaine, concevoir et appliquer des
succédanés d’un droit international en bonne et due forme.
Aussi la crise asiatique et ses prolongements ont-ils suscité
une floraison de propositions, sans aucune avancée
concrète jusqu’ici144.
L’orientation de ces propositions est de remplacer la loi
absente par des contrats conclus sous l’égide du Fonds
Monétaire. Une difficulté importante résulte de la
globalisation financière qui a multiplié les formes de dettes
et les types de créanciers. La méthode, appliquée
systématiquement dans les années 80, du rééchelonnement
des créances bancaires sur les dettes souveraines, en
accompagnement d’un programme d’ajustement et de
financement dirigé par le FMI, n’est plus guère praticable.
En effet, les débiteurs et les créanciers ne sont plus ce
qu’ils étaient. Les capitaux internationaux financent très
largement le secteur privé et prennent pour support des
titres, parce qu’ils sont attirés par l’espoir d’appréciations
vertigineuses sur des marchés récemment libéralisés et
encore très étroits. Même lorsque la dette est publique,
comme au Mexique ou en Russie, c’est une dette interne,
valorisée sur un marché de titres et très volatile. Les
créanciers étrangers acquièrent directement ces titres ou
font crédit à des investisseurs locaux. Dans tous les cas, ils
sont potentiellement vulnérables aux fluctuations des prix
de ces titres et du change. C’est la corrélation de ces
fluctuations avec les risques de manque de liquidité et de
détérioration des bilans des emprunteurs qui paralyse la
discipline de marché et provoque les paniques et les
contagions. Pour l’éviter, il faudrait concevoir des contrats
financiers ou des procédures d’urgence qui bloquent cette
corrélation de plusieurs manières : apport automatique de
liquidités par certains agents privés en sens contraire du
reste du marché ; contrats de dettes stipulant qu’une forte
baisse des prix d’actifs réduit le service des dettes qui ont
financé l’acquisition de ces actifs ; suspension des
poursuites contre les débiteurs rendus insolvables par des
mouvements de prix non anticipés.
La proposition la plus extrême consisterait à doter le FMI
du pouvoir de déclarer un gel des paiements sur les dettes
insolvables d’un pays membre, de manière que son
gouvernement ait le temps d’organiser la restructuration
de ces dettes à l’égard des créanciers internationaux. Cette
proposition revient à changer les termes du contrat. Elle
donnerait au FMI une autorité internationale qui ne
pourrait être qu’exercée conjointement par tous ses
membres145. Un tel accroissement de pouvoir n’est guère
compatible avec la distribution actuelle des votes. Il n’est
concevable que si la composition du conseil exécutif du
Fonds reflète les poids économiques des pays membres au
fur et à mesure de leur évolution.
Des méthodes plus modestes sont envisagées pour
inclure des engagements réciproques volontaires entre
créanciers et débiteurs dans la définition des contrats de
dette. Ce sont des techniques qui permettent de modifier
l’échéancier des paiements si une crise se produit. Dans le
cas de lignes de crédit interbancaires, l’extension des
échéances peut être fournie en greffant sur ces lignes de
crédit des options d’achat (call) qui peuvent être exercées
par le débiteur dans des circonstances spécifiées. Le
danger de tels instruments est l’anticipation par les
banques créancières de ces circonstances, précipitant la
fermeture des lignes de crédit arrivant à échéance avant
que le call puisse être exercé par le débiteur. Un tel
comportement exacerberait les crises de liquidité au lieu
de les amortir.
On peut aussi envisager de greffer sur des dettes des
instruments dérivés de manière à produire des flux de
paiements qui varient à l’encontre de la variation d’une
grandeur critique pour la solvabilité de la dette (un taux de
change, un taux d’intérêt, un prix d’actif ou de matière
première). Toutefois cette assurance n’est crédible que si la
variable contre laquelle elle est prise ne peut être
manipulée par le débiteur. En outre, les banques ne
seraient incitées à développer ces instruments de dette
contingente qu’à des prix suffisamment rémunérateurs
pour couvrir le risque additionnel incorporé dans la
définition du contrat. Ces primes pourraient se révéler
dissuasives pour les gouvernements des pays vulnérables à
des chocs externes. Un phénomène de sélection adverse
pourrait donc entraver le développement de ces
techniques.
Lorsque les dettes ont la forme de titres obligataires, il
est difficile de les inclure dans une restructuration. Pour les
rééchelonner en cas de crise, il faudrait incorporer au
contrat une clause selon laquelle une majorité qualifiée
peut en modifier les termes et imposer ces modifications
aux minoritaires. Le problème majeur pour conclure de tels
contrats provient des investisseurs institutionnels, les
principaux acteurs de l’allocation de l’épargne dans la
finance contemporaine. Car une grande partie de la gestion
est déléguée à des intermédiaires qui n’ont pas qualité
pour agir en lieu et place des épargnants ultimes dont ils
sont mandataires lorsqu’il est question de modifier les
termes d’un contrat.
Le faible degré de liberté permettant de faire jouer la
discipline de marché au moment de la restructuration des
débiteurs insolvables incite les partisans du renforcement
des règles à insister sur la prévention.
Dans cette perspective, les promoteurs de la réforme du
système monétaire international proposent que
l’appartenance d’un pays au FMI (dont les statuts devraient
corrélativement être modifiés) soit assujettie à l’adoption
des règles suivantes imposées aux banques : des exigences
de capital suffisamment élevées pour absorber les pertes
sur leurs actifs risqués, ainsi que l’émission d’une dette
subordonnée ; des ratios de réserve minimaux en liquidités
et en titres négociables de la meilleure qualité, dont une
partie en devises étrangères ; un schéma, public et
homogène entre les pays, d’assurance des dépôts ; la
banque libre, c’est-à-dire la licence d’opérer octroyée à
toute banque nationale ou étrangère qui respecte les règles
prudentielles générales. La dette subordonnée est conçue
pour encourager un comportement prudent des banques ex
ante et pour réagir ex post à des chocs négatifs sur la
valeur des actifs, en diminuant le risque et en coupant les
dividendes au lieu d’augmenter l’exposition au risque. En
effet, les détenteurs de dette subordonnée, étant créanciers
de dernier rang en cas de partage des pertes, et ne tirant
pas profit des gains exceptionnels résultant éventuellement
d’une prise de risque excessive, sont incités à faire
prévaloir une ligne de conduite prudente, à condition qu’ils
soient parties prenantes de la stratégie des banques146.
Le Fonds monétaire international devrait faire appliquer
ces règles à tous ses membres sans exception, avec le
pouvoir d’exclure un pays membre qui ne s’y conformerait
pas. Le secours apporté par les États aux détenteurs de
dettes subordonnées en cas de pertes bancaires devrait
être une cause d’éviction. Le Fonds imposerait aussi des
restrictions sur les recapitalisations des banques par
l’argent public. Sous cet ensemble de règles, le FMI
pourrait se voir confier une fonction de prêteur en dernier
ressort international pour les crises pures de liquidité de
marché qui subsisteraient.
Comment organiser cette fonction ? Les promoteurs de la
réforme avancent la proposition suivante : le nouveau FMI
ouvrirait un guichet d’escompte pour prêter aux banques
centrales. Il prêterait à trois mois les monnaies
internationales demandées, contre un collatéral composé
de titres évalués avant la crise et comprenant des titres
publics du pays emprunteur et des titres internationaux, la
valeur totale du collatéral étant supérieure à celle du
montant emprunté. Cette facilité serait inconditionnelle,
mais ne fournirait une protection que contre les problèmes
de liquidité à court terme dans les marchés, non pas contre
des paniques bancaires résultant de la détérioration de la
qualité des crédits. Pour financer son guichet d’escompte,
le FMI emprunterait les monnaies demandées auprès des
banques centrales émettrices, qui auraient toute latitude
pour stériliser le montant de ces émissions.
Cependant, les fondements de cette conception très
normative de la fonction de prêteur en dernier ressort ont
été largement remis en cause par l’expérience. En
envisageant les enseignements tirés de la pratique de ce
rôle dans le cadre national, mais en généralisant ses
principes, on peut tenter d’approcher de manière plus
pragmatique les formes institutionnelles que le prêteur en
dernier ressort pourrait prendre au niveau international.

I.2.2. Ambiguïté constructive et gestion des crises : le rôle


des banques centrales
Le développement des banques, dont les dépôts sont
devenus la principale forme de monnaie, a rendu
impraticable la distinction entre illiquidité et insolvabilité.
En outre, prêter à un taux pénalisateur dans des conditions
de fragilité financière aggrave la situation de l’emprunteur.
Les banques centrales ont été peu à peu conduites à sauver
les banques d’une certaine taille. C’est le principe « too big
to fail ». Il est contesté parce que, suscitant l’aléa moral, il
rendrait la discipline de marché inopérante. Toutefois, les
banques centrales, conscientes des interdépendances
potentiellement destructrices impliquées par le réseau des
engagements interbancaires, ne peuvent échapper à la
nécessité de soutenir des banques insolvables pour
contenir le risque de système147.
Elles ont trouvé des moyens plus subtils pour tenir en
échec l’aléa moral. Une première méthode est la formation
de consortiums bancaires, à l’instigation de la banque
centrale, pour prêter de manière concertée à une
institution en difficulté ou aux intermédiaires teneurs d’un
marché en crise. Il s’agit d’une ligne de défense en avant-
dernier ressort. Ce dispositif implique les agents privés qui
ont un intérêt collectif à l’endiguement de la crise, mais qui
n’ont pas d’intérêt individuel à prendre une initiative sans
être sûrs de la participation des autres. C’est aussi un
procédé de partage des pertes, si l’institution secourue se
révèle insolvable, ce qui peut inciter à la surveillance de
l’exposition des établissements par leurs contreparties.
Une autre méthode est d’obliger plus systématiquement les
banques privées à appliquer le principe de l’action
correctrice précoce. Elle suppose que le superviseur, la
banque centrale ou une institution indépendante, ait
mission de (et autorité pour) repérer les germes de fragilité
financière à leur source, par des examens fréquents et
approfondis de la gestion des risques dans les
établissements. Elle suppose aussi que le superviseur
puisse forcer ceux-ci à prendre les mesures appropriées
bien avant que les seuils minima des ratios soient franchis
ou que le défaut menace. Enfin, l’ambiguïté constructive
proprement dite consiste, pour la banque centrale, à faire
pleinement usage du caractère souverain de l’acte
d’intervenir en dernier ressort. Si la banque centrale est en
contact étroit avec les principaux acteurs des marchés, et
si elle peut compter sur une connaissance concrète de la
propagation d’une crise dans une situation spécifique de
tension, elle peut apprécier la probabilité de manifestation
du risque systémique. Elle peut donc laisser dans le doute
la communauté financière sur l’éventualité de son
intervention, sur son point d’application, sur les conditions
qui seront exigées et sur la taille des secours apportés.
Cette ambiguïté est dite constructive parce qu’elle
constitue une dissuasion contre l’aléa moral.
Les banques centrales ne sont donc pas démunies face
aux crises dans les systèmes financiers nationaux. Mais,
d’un côté, leur expérience et leurs outils sont très
disparates d’un pays à l’autre. Les pays émergents,
notamment, n’ont pratiquement pas de dispositif fiable, ce
qui entraîne une socialisation systématique des pertes
privées. D’un autre côté, la globalisation financière rend
largement inopérante une action en dernier ressort
purement nationale, en présence d’un endettement à court
terme en devises qui dépasse les réserves mobilisables du
pays. La question qui se pose, pour tirer parti de
l’expérience accumulée, est donc de concevoir les actions
collectives praticables entre les banques centrales, les
gouvernements et les institutions internationales pour
améliorer le dispositif international de gestion de crise.
Trois types de situations rendent nécessaire le recours à
un prêteur en dernier ressort international. La première est
liée au défaut d’une institution financière, qui mettrait en
péril des institutions étrangères dépendant de juridictions
nationales différentes. La seconde est la propagation de
perturbations sur les prix d’actifs entre différents marchés
internationaux. La troisième est l’incapacité d’un prêteur
en dernier ressort national à endiguer efficacement une
crise, lorsque la liquidité recherchée est une devise
étrangère, que la supervision est inadéquate ou inexistante
dans le pays, ou encore que l’intervention est
contradictoire avec d’autres objectifs (dans un pays à
currency board par exemple).
S’il est nécessaire, quelle forme institutionnelle le
prêteur en dernier ressort international peut-il prendre ?
Dans l’état actuel du système monétaire international, deux
formes polaires sont exclues. L’une est une banque centrale
mondiale émettant une monnaie supranationale. L’autre est
une puissance hégémonique qui émettrait l’unique devise-
clé et qui prendrait en charge le bien public de la stabilité
globale du système monétaire. Le système actuel est
multipolaire. Non seulement il a toutes les chances de le
rester, mais les conflits d’intérêts vont sans doute grandir
avec la montée d’un plus grand nombre de pôles financiers.
Se pose alors le problème de l’action collective entre
plusieurs institutions : le FMI, certaines banques centrales
nationales, la BRI et le Comité des gouverneurs de banques
centrales, le G7 Finance enfin, dans la mesure où les
Trésors publics ne veulent pas renoncer à leurs
prérogatives monétaires internationales. Comme ces
institutions n’ont que très rarement une vue commune de
la décision à prendre au nom d’un intérêt général partagé,
l’action collective dépend d’un principe de réciprocité dans
la répartition des gains et des pertes toujours possibles
dans la gestion des crises, partage qui ne se constate qu’ex
post. Deux conséquences en résultent. D’abord, comme la
structure des gains et des pertes est propre à chaque crise,
il n’est pas possible d’institutionnaliser la coopération dans
un cadre unique et permanent. Le prêteur en dernier
ressort international prend donc nécessairement la forme
d’un réseau de coopérations contingentes. Ensuite, la
diminution a priori des pertes potentielles par la prévention
et la lutte contre l’aléa moral est plus qu’une condition
d’efficacité, c’est un prérequis à toute tentative de mener
une action internationale en dernier ressort. L’implication
du secteur privé prend alors une très grande importance.
Mais, dans la présente conception du système financier,
les imperfections sont trop inhérentes à la nature du crédit
pour que la discipline de marché soit fiable. Les règles
prudentielles doivent être complétées par une action
collective puissante. L’implication du secteur privé s’inscrit
dans le dispositif de gestion de crise. Car l’impossibilité de
séparer les problèmes de liquidité et de solvabilité fait de la
contagion un ressort essentiel des crises financières. La
participation du secteur privé doit donc être conçue pour
aider à endiguer la contagion. Elle est ardue à organiser au
niveau international.
Quelques pays (Argentine, Mexique) ont conclu des
lignes de crédit avec des banques commerciales, sur
lesquelles les gouvernements peuvent tirer quand ils sont
en situation de manque de liquidités en devises. Le coût
élevé de ces lignes de crédit contient une prime
d’assurance contre un risque collectif, pour le système
financier du pays qui se garantit par cet arrangement. Le
pool bancaire qui est partenaire dans un accord de ce type
joue un rôle de prêteur en avant-dernier ressort, lorsque
des pressions spéculatives sur le marché des changes
répercutent un choc propagé depuis un autre pays. En
outre, la connaissance d’un tel arrangement peut dissuader
une spéculation qui se serait produite en son absence, sans
même qu’un tirage soit nécessaire.
Rien ne permet d’affirmer cependant que cette forme
volontaire d’assurance en liquidité pourra s’étendre. Car
les banques suspectent les débiteurs souverains de tirer
sur les lignes de crédit pour faire face à des problèmes
qu’ils ont eux-mêmes provoqués par leurs politiques
économiques. Les expériences des pays occidentaux font
plutôt état de clubs bancaires assemblés sous la houlette
de la banque centrale, et avec la garantie de celle-ci, pour
endiguer des crises systémiques. Telle fut, par exemple,
l’action de la Réserve fédérale à l’égard des banques
commerciales qui finançaient les positions à terme des
teneurs de marché sur les contrats de futures en actions,
lors du krach boursier d’octobre 1987.
Organiser de telles actions collectives au niveau
international passe par des coopérations entre plusieurs
autorités monétaires, dont il y a encore peu d’exemples
récents. Le cas coréen, en décembre 1997, a été le plus
spectaculaire. Pour couper le lien entre une crise aiguë de
liquidité et l’effondrement redouté du système bancaire
local, sous la menace d’un retrait des lignes de crédit des
banques internationales, les grandes banques centrales
exerçant leur tutelle sur les principaux centres financiers
ont fermement conseillé aux banques placées sous leur
supervision de maintenir leur exposition sur la Corée. Cette
initiative a été un succès, parce que l’intervention
concertée des banques centrales a été relayée
immédiatement par une restructuration énergique du
système bancaire local, afin de ne pas donner prise à l’aléa
moral. Que ce soit du côté des banques créancières ou de
celui du système financier privé dans le pays débiteur, la
relation hiérarchique entre les établissements de crédit et
leurs superviseurs est déterminante pour le succès de
l’action collective : celle-ci implique des agents privés dans
des situations où ces derniers ont rationnellement intérêt à
faire cavalier seul. Le FMI ne peut agir efficacement qu’en
relation étroite avec les banques centrales et les autorités
prudentielles des pays concernés. Si une des institutions
publiques indispensables à l’action collective concertée
vient à manquer, comme cela s’est produit en Indonésie, la
crise financière ne peut pas être enrayée, car le FMI ne
peut pas s’y substituer.
On comprend bien pourquoi, à l’évocation de ces
problèmes stratégiques, la gestion des crises récentes par
le FMI n’a pas toujours été satisfaisante. La globalisation
financière a progressé au point où le secteur privé est
prépondérant pour le crédit. De plus en plus de crises ne
concernent pas des dettes souveraines. Cependant, tant
que la supervision sera laxiste, les dettes seront
nationalisées lorsque la situation des banques locales
deviendra désespérée. Le FMI intervient alors forcément
avec retard, parce qu’il faut du temps pour négocier un
accord en bonne et due forme avec le gouvernement
concerné.
Pour rompre cet enchaînement pervers, il faut accroître
le rôle des banques centrales dans la gestion des crises
financières internationales148. Dans une économie où la
finance est globale, la stabilité financière des marchés est
un objectif qui fait partie d’une conception élargie de la
politique monétaire. C’est en cela que le prêt en dernier
ressort se distingue de la restructuration des banques en
faillite, qui engage presque toujours de l’argent public. Le
prêteur en dernier ressort intervient dans l’urgence du
désordre des marchés. S’il s’agit d’une crise de liquidité
pure, son action ne laisse pas de trace persistante sur les
structures financières, puisque le crédit est entièrement
remboursé après la crise. Si l’illiquidité et l’insolvabilité
sont mêlées, son intervention immédiate réduit la gravité
des problèmes de solvabilité. Seules des banques centrales
peuvent créer instantanément des montants de liquidité
non prédéterminés. Seules aussi, elles sont présentes au
quotidien dans les marchés et ont autorité sur les banques
pour organiser les consortiums de soutien.
De ces arguments, on peut déduire la configuration la
plus adéquate du réseau de coopération contingente dans
différents types de crises financières internationales.
Dans les crises de liquidité qui ont pour origine des
problèmes de dette souveraine, le FMI exerce logiquement
le rôle de coordination des intérêts des créanciers. La
gestion ordonnée de la crise dépend de sa capacité à faire
respecter trois principes : susciter une représentation
collective des créanciers, promouvoir une action
majoritaire pour changer les termes du contrat de
remboursement des dettes, faire accepter un accord de
partage des pertes. Il n’empêche que, même dans ce type
de crise, l’action du FMI doit être précédée par des crédits-
relais d’organismes (banques centrales, BRI, Trésor des
États-Unis) capables de mobiliser instantanément des
liquidités internationales lorsque le défaut du débiteur
éclate inopinément.
Dans les crises de marché provenant de spéculations
déséquilibrantes, l’intervention en dernier ressort a pour
but de redonner aux anticipations désorientées un nouveau
point focal sur lequel se coordonner. La concertation
internationale doit associer la banque centrale locale, les
banques privées actives sur ce marché, les banques
centrales émettrices des devises demandées. Le Fonds
monétaire pourrait intervenir dans ce type de crises,
lorsqu’elles concernent les marchés de change et qu’elles
viennent d’une contagion déclenchée par des faillites
bancaires ou par un effondrement boursier dans un autre
pays.
Les crises de solvabilité dans la finance privée
deviennent plus fréquentes avec l’essor de l’endettement
international. C’est la configuration où l’ambiguïté
constructive a le plus de pertinence. Les incidences
monétaires désastreuses des faillites bancaires et la
déstabilisation des marchés d’émission des dettes privées
rendent le prêteur en dernier ressort indispensable. Si le
marché en crise est le marché d’une grande devise, la
banque centrale de ce pays exerce de facto un effet de
stabilisation internationale en agissant en dernier ressort
sur son propre marché. En retour, le choix d’un groupe de
pays de lier étroitement leurs monnaies à une devise-clé
transmet les perturbations des marchés de capitaux de ces
pays aux marchés de la devise dominante. La banque
centrale responsable de la devise-clé peut donc avoir
intérêt à se préoccuper de la stabilité de l’ensemble des
marchés dépendant indirectement de son action pour la
bonne conduite de sa propre politique monétaire. Dans
cette configuration, il y a un prolongement international du
prêteur en dernier ressort national qui résulte de
l’intégration financière149.
On vient de voir que deux principes contrastés peuvent
être avancés d’un point de vue normatif pour guider les
réformes vers une nouvelle architecture financière
internationale. Toutefois, les orientations qui vont se
dégager ne découleront ni d’un choix d’experts, ni d’un
débat démocratique. Il n’existe pas, en effet, d’instance
habilitée à énoncer le bien commun en matière monétaire
internationale. On peut certes soutenir que la stabilité
monétaire est un bien collectif parmi les pays dont les
systèmes financiers sont fortement intégrés. Mais le FMI
n’est pas une instance monétaire souveraine, capable de
substituer aux préférences nationales un objectif qui les
englobe et de susciter dans les pays des orientations de
politique monétaire conformes à cet objectif. Il est même
fort peu probable que la conciliation des intérêts entre les
nations et les groupements de nations soit codifiée dans
une nouvelle conférence mondiale, dans le style de celle de
Bretton Woods. Jusqu’ici, les avancées significatives dans la
prise de conscience du double dilemme monétaire et
prudentiel énoncé au début du chapitre ont été les
suivantes : dans le domaine monétaire, l’indépendance des
banques centrales a fait prévaloir des principes de conduite
de la politique monétaire moins contradictoires entre les
pays qu’ils ne l’étaient auparavant ; dans le domaine
prudentiel, les progrès passent par la concertation sur les
normes minimales et par la supervision, avec la
participation des acteurs privés. Ces avancées ont accru
l’importance d’acteurs divers (banques centrales,
associations internationales de grands établissements
financiers, Comité de Bâle) dans un jeu d’intérêts que le
système de Bretton Woods avait conçu comme
exclusivement intergouvernemental. Le système monétaire
international évolue donc dans un champ de forces où
interagissent des opérateurs financiers privés et des
gouvernements dont les pouvoirs se modifient relativement
avec le développement inégal des pays et régions dans
l’économie mondiale. La place future du FMI dépend de
cette évolution.

II. La place du FMI dans le futur système monétaire


et financier international

Atteignant les pays émergents dans les années 90, la


globalisation financière a provoqué des crises qui ont mis
en évidence le dilemme prudentiel défini plus haut. Le
besoin, d’une part, de faire respecter des règles homogènes
et renforcées par les intermédiaires financiers qui opèrent
dans les marchés internationaux de capitaux, et, d’autre
part, d’établir un dispositif international de gestion de
crise, est maintenant reconnu. Il est au cœur des débats
sur la réforme de l’architecture financière internationale.
La création d’un Forum de stabilité financière à Bâle en
1999 participe de cet esprit. Mais l’orientation
déterminante n’a pas encore été donnée. Elle dépend des
forces politiques capables de la soutenir. Or l’état des
rapports politiques internationaux est appelé à se modifier
sous l’effet de tendances lourdes qui vont affecter
l’économie mondiale dans le prochain demi-siècle. Ces
tendances sont suffisamment engagées pour ancrer des
vues prospectives sur quelques fondements solides.
Il convient donc d’abord d’identifier les évolutions les
plus significatives pour l’avenir des relations monétaires
internationales. Elles sont de deux ordres. D’un côté, c’est
l’avènement du rôle international de monnaies capables
d’être des concurrentes du dollar. De l’autre, c’est le
développement des marchés internationaux de capitaux
induit par l’inégale maturité de la transition
démographique dans le monde. Nous essaierons ensuite de
tirer les conséquences de ces tendances pour la
vulnérabilité de la finance internationale aux crises, pour la
répartition des pouvoirs au sein du FMI et pour
l’organisation du prêteur en dernier ressort international.
Nous serons alors en mesure de nous prononcer sur le
modèle théorique le plus apte à s’imposer parmi les deux
schémas définis plus hauts.

II.1. Les transformations futures de la finance


mondiale
L’innovation de grande ampleur qui va modifier
sensiblement les relations monétaires internationales est
l’instauration de l’Union monétaire européenne. Elle fait
apparaître deux monnaies dominantes au lieu d’une dans
les échanges internationaux : le dollar et l’euro. La place
future du yen dans la concurrence des devises demeure
difficile à évaluer. Le big bang japonais témoigne d’une
volonté nouvelle des autorités de tirer parti de la capacité
d’épargne de leur pays pour développer l’intermédiation
financière internationale en yen. Mais les grandes
difficultés rencontrées par les institutions financières
nippones pour surmonter les séquelles de la crise et
devenir compétitives dans la gestion des risques laissent
subsister un doute sur la circulation internationale du yen.
En revanche, les marchés financiers de l’euro vont
former un pôle d’attraction financière, associé à un très
vaste marché de biens et services. Celui-ci réorientera les
échanges commerciaux d’un grand nombre de pays
d’Afrique, du Proche Orient et de l’Est de l’Europe.
L’énorme croissance des émissions obligataires par les non-
résidents dès la première année d’existence de l’euro
atteste de cette force d’attraction. Il est probable que les
pays emprunteurs réformeront leurs systèmes financiers et
relieront progressivement leurs monnaies à l’euro selon
des arrangements d’exigence variable. Au-delà de l’Union
monétaire proprement dite, certains pays pourront se lier
par un « SME bis » suffisamment souple, voire décider de
marges de fluctuation plus étroites. D’autres conserveront
des changes flexibles, mais piloteront des relations de
change étroites avec l’euro.
La formation d’une telle zone euro élargie conforterait
par contrecoup la réalité de la zone dollar, tout en
rétrécissant son étendue. On peut penser que les zones
d’influence monétaire recouvriront, de plus en plus, les
zones d’intégration économique. Ces ensembles régionaux
devraient donner aux banques centrales responsables des
devises clés un intérêt accru pour la stabilité financière de
toute la zone. Ces banques seraient au cœur du dispositif
de gestion de crise et exerceraient naturellement la
fonction de prêteur en dernier ressort pour l’ensemble de
la zone, comme les autorités monétaires américaines l’ont
fait, avec l’appui du FMI, lors de la crise mexicaine de
1995. En Europe, l’organisation du prêteur en dernier
ressort devra être précisée, et la coopération avec les
gouvernements devra être spécifiée, car ceux-ci voudront
conserver un rôle éminent dans le contrôle prudentiel. Si
ces arrangements peuvent être institutionnalisés de
manière satisfaisante, un grand nombre d’accidents
financiers pourraient trouver leur solution à l’intérieur de
chaque zone sans provoquer de contagion générale,
contrairement à l’expérience des crises asiatique et russe.
La formation d’espaces régionaux est loin d’être le seul
facteur de transformation du système financier
international. Les conséquences financières de la transition
démographique ont une portée plus générale. Le
vieillissement de la population est universel, mais il est
décalé dans le temps entre les pays selon leurs niveaux de
développement, et modulé par des raisons politiques et
religieuses. Les pays développés sont entrés dans une
phase de vieillissement rapide à partir du milieu de la
pyramide des âges, sous l’effet de la montée en âge des
classes nombreuses et de l’allongement de la vie humaine.
Le poids des tranches d’âge fortement épargnantes
continuera de croître dans la population totale des pays
riches encore pendant une vingtaine d’années. À l’inverse,
le vieillissement s’accomplit à partir du bas de la pyramide
dans les pays en développement, sous l’effet de la baisse de
la natalité. Il s’ensuit que le poids des actifs jeunes va
augmenter dans la population totale par diminution relative
du nombre d’enfants. D’où un fort potentiel de croissance
dans ces zones, mais aussi une demande de capital élevée
pour équiper la population active croissante.
Ainsi les tendances lourdes de la transition
démographique induisent-elles l’opportunité d’un échange
intertemporel favorable aux différentes parties. L’épargne
des pays riches, à la recherche de rendements élevés et
d’une diversification des placements, va rencontrer une
demande d’investissement soutenue dans les pays à
population active jeune. Cette demande d’investissement
devrait dépasser la capacité interne d’épargne de ces pays,
dans la mesure où les perspectives de croissance et la
diminution de la charge des enfants devraient inciter les
ménages à emprunter. Si le système financier international
était capable de soutenir les transferts d’épargne sans
buter sur l’obstacle des crises d’endettement, l’épargne-
retraite des nations riches bénéficierait de rendements plus
élevés que si elle devait s’investir dans ses pays d’origine.
Un système financier international plus robuste permettrait
d’élever la croissance mondiale et d’accélérer la
convergence des pays en développement.
Des projections effectuées par l’OCDE150 à l’horizon 2020
pour l’économie mondiale illustrent l’ampleur du
bouleversement attendu du processus de vieillissement. À
cet horizon relativement rapproché, la croissance de la
zone OCDE devrait ralentir, et la convergence devrait
surtout profiter aux grands pays continentaux – la Chine,
l’Inde, l’Indonésie, le Brésil – où le ralentissement de la
natalité est déjà bien engagé. Si ces pays parviennent à
mobiliser leurs ressources pour accroître les qualifications
d’une population active jeune et en forte augmentation,
leur régime de croissance devrait évoluer dans le sens
d’une diversification de la consommation intérieure, qui
stimulera le rattrapage technologique. Toujours selon les
mêmes projections, la part des pays ne faisant pas partie de
l’OCDE dans le PIB mondial passerait de 44 % en 2000 à
56, voire 67 % en 2020 selon la rapidité de la convergence.
L’Asie se taillerait la part du lion et la Chine deviendrait la
plus grande économie du monde en termes de PIB dans
toutes les hypothèses.
Aussi positifs soient-ils à long terme, de tels
bouleversements ne s’accompliront pas sans heurts. Au
plan monétaire, même si les ensembles régionaux
organisés autour d’une devise-clé bénéficient de l’action
stabilisatrice de la banque centrale prépondérante, les
nouvelles grandes puissances ne seront liées ni à l’euro ni
au dollar. C’est le cas du Japon, de la Chine, probablement
du reste de l’Asie de l’Est, de l’Inde, du Brésil, et peut-être
de la Russie. Les relations monétaires globales vont donc
devenir multipolaires, et la concurrence des devises
oligopolistique. Or cette concurrence n’est pas un
processus spontanément stable. Des déplacements brutaux
de la répartition des rôles internationaux des monnaies,
accompagnés de fluctuations géantes des changes, sont à
craindre. Puisque ces monnaies seront concurrentes pour
le crédit international, les crises de change continueront à
contaminer les bilans des intermédiaires financiers et à
interférer avec des crises de solvabilité bancaire. Aussi le
besoin d’un système public de régulation de l’oligopole
monétaire, remplaçant le G7 qui deviendra obsolète,
devrait-il s’imposer si ces tendances voient effectivement le
jour à l’horizon d’une décennie.
Au plan financier, l’accumulation de capital dans ces
territoires sera une source indispensable de rentabilité
pour l’épargne institutionnelle occidentale. Parallèlement,
une partie de l’épargne de ces pays s’investira dans les
économies occidentales afin de diversifier les risques.
L’intégration internationale des marchés de capitaux
s’intensifiera donc sensiblement. Corrélativement, les
facilités de financement conditionnel du FMI devraient se
réduire et se simplifier, pour se concentrer sur les pays les
plus pauvres, qui ont à peine amorcé leur transition
démographique. On peut d’ailleurs penser que le FMI se
retirera de ce rôle d’agence de développement et laissera
le champ libre à la Banque mondiale. En tout état de cause,
cette fonction de financement des pays qui n’ont pas
encore accès aux marchés internationaux de capitaux
devrait se séparer du problème crucial de la régulation des
marchés. Dans ce domaine, le partage, entre créanciers et
débiteurs, de la valeur créée dans les pays à forte
croissance va devenir un enjeu décisif, dont la crise
asiatique a donné une première idée.

II.2. Le changement des forces politiques et le


rééquilibrage institutionnel du FMI
Dans cette configuration, le dispositif de gestion des
crises s’organisera comme la forme de coopération
minimale nécessaire pour maîtriser les risques inhérents à
la continuité des flux de capitaux. Il est, en effet,
hautement improbable que les gouvernements des
puissances économiques rivales s’entendent pour
construire et énoncer un système détaillé de règles,
constituant un ordre monétaire mondial fondé sur la
discipline de marché. Le recul inéluctable de l’influence
anglo-saxonne rend cette hypothèse encore plus irréaliste
pour l’avenir. C’est pourquoi le dispositif opérationnel de
gestion de crise devrait correspondre au schéma
pragmatique d’un réseau de coopération contingente, à
géométrie variable selon les situations rencontrées. Mais le
partage du pouvoir dans des rapports oligopolistiques met
la politique au premier plan. Le fonctionnement de ce
modèle de prêteur en dernier ressort international requiert
donc une légitimité politique. Dans les deux dernières
décennies, qui sont la première époque de la globalisation
financière, le G7 a assumé de fait l’autorité de directoire
des affaires monétaires internationales. Tous les grands
montages financiers mis sur pied à l’occasion des crises
financières récentes, et administrés par le FMI, ont vu le
jour à l’initiative du G7 ou ont reçu son onction. Ce mode
de gouvernance correspondait à une époque où l’asymétrie
de pouvoirs entre débiteurs et créanciers était écrasante. Il
devrait être contesté et dénoncé sous le poids des
transformations économiques et financières liées à la
transition démographique et à la convergence des niveaux
de développement. La légitimation politique des actes de
souveraineté monétaire que sont les interventions en
dernier ressort pour enrayer les crises systémiques devra
se formuler dans une institution internationale réunissant
les autorités monétaires concernées. Le Fonds monétaire
international peut trouver là l’occasion de se replacer au
centre du système monétaire international. Mais cela
requiert un changement de ses statuts et de ses missions.
Pour être l’institution qui assurera la gouvernance
politique du système financier international, le FMI doit
devenir représentatif des nouveaux rapports de force
économiques. Des révisions de quotes-parts interviendront
au fur et à mesure de l’accroissement du poids
international des puissances continentales qui contesteront
la suprématie des Américains et des Européens dans les
affaires monétaires internationales. Le renouveau du FMI
passe aussi par l’établissement d’un véritable exécutif
politique, que les Américains avaient refusé à Bretton
Woods. Le FMI retrouverait ainsi le rôle monétaire pour
lequel il a été institué, et pourrait réduire jusqu’à les
abandonner les fonctions de tuteur des pays en
développement, qu’il s’était arrogées après les crises des
dettes publiques des années 80.
Les lignes directrices de l’action du Fonds dépendront du
degré de concertation internationale que les membres de
l’oligopole monétaire voudront bien accepter. Dans le
domaine du change, on sait que les autorités monétaires
sont jalouses de leurs prérogatives. La concertation, dans
cette forme minimale, passe, on l’a vu, par la généralisation
de l’indépendance des banques centrales et par l’adoption
d’une doctrine commune de stabilité. L’influence du FMI
peut s’appuyer sur une réflexion sur les taux de change
d’équilibre et les mouvements de capitaux soutenables.
D’une manière plus ambitieuse, le FMI pourrait jouer un
rôle dans la gestion des crises de change qui, par
contagion, dégénèrent en crises de liquidité. C’est le cas
des crises globales qui dépassent, dans leur propagation,
l’espace d’influence d’une zone monétaire et donc la
responsabilité d’une banque centrale prépondérante en
tant que prêteur en denier ressort régional. Sans être
nécessairement lui-même pourvoyeur de liquidité, le Fonds
peut être le chef de file dans l’organisation du prêteur
international en dernier ressort à l’occasion d’une crise,
après avoir reçu mandat de son comité politique pour la
gérer. Il pourrait ainsi coopérer avec le groupe de banques
centrales concernées. Ce serait une forme souple
d’organisation du prêteur en dernier ressort international.
Serait institutionnalisée la direction politique de la gestion
de crise, mais pas la création de liquidité constitutive du
prêt en dernier ressort.
Cependant, la fourniture directe de liquidité par le Fonds
monétaire au cœur d’une crise ne saurait être écartée par
principe. Il existera, en effet, des crises où les banques
centrales locales seront impuissantes, si la liquidité
demandée est en devises étrangères, et si les banques
centrales capables de l’apporter ne considèrent pas de leur
intérêt de le faire. C’est le cas d’une crise qui éclaterait à
l’extérieur d’une zone monétaire régulée par une banque
centrale dominante, et où la fuite vers la qualité ne créerait
pas de désordre immédiat sur les marchés financiers des
grandes monnaies. Les tendances de la finance
internationale évoquées ci-dessus vont rendre cette
configuration plausible. D’ailleurs, la crise asiatique,
contrairement à la crise russe qui s’est immédiatement
répercutée en Occident, en a été un premier cas d’espèce.
Les mouvements de capitaux qui vont accompagner la
transition démographique et le rattrapage des grands pays
non-occidentaux conduisent à retenir cette conjecture.
Dans cette hypothèse, le FMI ne serait pas seulement le
coordonnateur d’une action collective faisant coopérer
deux ou plusieurs banques centrales. Il serait lui-même le
prêteur en dernier ressort international, si son Conseil
d’administration décide qu’une intervention est
souhaitable. Dans une crise de liquidité de marché, le FMI
prêterait à la banque centrale qui exerce la surveillance
des marchés en crise (par exemple à la Banque de Chine si
une crise éclate à Shanghai). Le FMI a déjà créé deux
facilités qui s’apparentent à des techniques de prêteur en
dernier ressort international, car elles permettent de prêter
des montants importants à court terme, de manière à
renforcer les réserves internationales des pays éligibles.
Ces facilités peuvent être développées pour former un
réseau de lignes de crédit, pourvoyeuses d’une assistance
en liquidités et centrées sur le FMI. Pour financer ces
lignes, l’institution internationale devrait sans doute user
de la possibilité d’emprunter les devises demandées, car la
procédure de tirage des monnaies selon le mécanisme des
quotes-parts est peu adaptée aux particularités du prêt en
dernier ressort.
Par ces instruments que sont la Facilité de réserve
supplémentaire (créée à la fin de 1997) et la Ligne de
crédit contingente (instaurée en avril 1999), le FMI est
dans son rôle d’intermédiaire financier mis au service d’un
rôle de prêteur en dernier ressort international. Ayant
l’initiative d’allouer instantanément des réserves aux pays
en crise, il accroît l’élasticité de l’offre de réserves à la
demande de liquidités, sans créer lui-même de réserves.
Dans une transformation plus profonde et plus lointaine
du système monétaire international, il n’est pas impossible
d’envisager que le FMI puisse acquérir cet attribut de
banque centrale qu’est la capacité de créer des réserves.
En instituant le DTS dès 1968, la communauté
internationale a fait le saut conceptuel vers la création ex
nihilo d’une forme de réserve qui n’est la dette d’aucun
système financier. Cependant, la manière dont les DTS sont
créés et alloués en proportion des quotas les rend inaptes à
satisfaire des besoins urgents de liquidités pour des pays
particuliers. La décision de créer des réserves ex nihilo
dans un acte de prêteur en dernier ressort, mettant les DTS
à la disposition d’une banque centrale, qui les utiliserait
pour acheter des devises demandées par le marché, serait
une innovation radicale dans le système monétaire
international151.
En revanche, le FMI ne devrait pas se préoccuper de la
supervision des intermédiaires financiers qui opèrent sur
les marchés internationaux. Une stricte division du travail
institutionnel est la condition de l’efficacité du système
dans son ensemble. Dans le contrôle prudentiel
international, l’expertise est rassemblée à Bâle. Elle porte
sur la réglementation des banques, des maisons de titres et
des sociétés d’assurance, selon des standards
internationaux. Elle concerne aussi les principes de
supervision des intermédiaires financiers internationaux,
prenant en compte leur champ d’opérations global et leur
possible structure conglomérale. La compréhension des
systèmes internes de contrôle des risques et la
connaissance de l’exposition consolidée des intermédiaires
les plus actifs dans les marchés internationaux de capitaux
devrait être un savoir commun des superviseurs membres
du Comité de Bâle. C’est un prérequis pour promouvoir une
action correctrice précoce, moyen sans doute le plus
efficace pour limiter l’aléa moral. Néanmoins, le Comité de
Bâle ne dispose pas d’instrument de détection avancée des
risques de crise qui prennent naissance sur des marchés
particuliers par défaillance d’opérateurs privés importants.
La surveillance des sources microéconomiques du risque
systémique ne dépend que de la qualité des supervisions
nationales. Elle ne dispose aujourd’hui d’aucune instance
internationale qui serait habilitée à regrouper les
informations des superviseurs nationaux.
Le problème de la supervision internationale des
systèmes financiers est particulièrement épineux. Il
implique, en effet, une double dimension micro et macro-
prudentielle. La première ne peut être efficacement
exercée que par les superviseurs hiérarchiques des
établissements financiers concernés. Ces superviseurs
doivent pouvoir agir conformément à des principes agréés
en commun, acceptés par les intermédiaires financiers
privés, et codifiés à Bâle. C’est un processus qui ne peut
être que de longue haleine. Mais il n’est pas indépendant
de la surveillance macroéconomique, car la fragilité des
structures financières tient aussi à des régimes de change
inadaptés, des dynamiques de crédit non maîtrisées, des
balances de paiements déséquilibrées.
C’est pourquoi le diagnostic du risque systémique, qui
implique de détecter les interactions entre les
dysfonctionnements microéconomiques et les déséquilibres
macroéconomiques, ne peut progresser que par la
coopération d’institutions gouvernementales, d’agences de
supervision nationales, de banques centrales et
d’institutions internationales. Un Forum de stabilité
financière a été créé en avril 1999 pour tenter de mettre
sur pied cette coopération. La participation de pays hors
G7 est un espoir d’apprentissage collectif. Le Forum a
établi des groupes de travail à Bâle, pour étudier des
aspects mal connus de la fragilité financière. Une étape
supplémentaire sera franchie avec la création d’un
observatoire permanent du risque de système. La synthèse
des compétences des experts participant au Forum
trouverait alors un objectif concret et un mode
d’organisation. Cet observatoire devrait être habilité à
recevoir les informations des superviseurs nationaux pour
faire une détection précoce de la fragilité des systèmes
financiers et des processus de contagion entre marchés.
Cette fonction de veille, placée sous la responsabilité du
Forum, suppose la participation des pays émergents au
Comité de Bâle et aux groupes de travail afférents, de sorte
que l’observatoire du risque systémique dispose d’une
information de qualité sur les systèmes financiers de ces
pays. Resterait à régler la difficulté supplémentaire des
relations entre le Forum, compétent pour le repérage des
dysfonctionnements qui proviennent des interdépendances
financières internationales, et le FMI, qui reste le mieux
armé pour détecter les causes macroéconomiques du
risque systémique.
Au terme de cette réflexion prospective, il apparaît que le
dilemme prudentiel provoqué par la globalisation
financière peut être surmonté par une internationalisation
des dispositifs de gestion de crise d’une part, de
supervision d’autre part. Ce processus sera évolutif, sous
l’effet des forces du marché et de celles qui redessinent la
configuration des pouvoirs politiques dans le monde. Il n’y
aura probablement pas de nouvelle conférence
internationale sur le modèle de Bretton Woods. Pour
assumer le rôle monétaire que ses fondateurs lui confièrent
et qu’il n’a jamais véritablement rempli, le Fonds monétaire
international doit être doté d’une direction politique
pourvue de capacités d’action et reflétant l’intérêt commun
de ses membres à dominer les crises globales.
 
Annexes

Annexe 1

Détermination des quotes-parts

Les quotes-parts déterminent à la fois le montant de la


contribution de chaque membre aux ressources du Fonds,
ses droits de tirages sur les ressources ainsi constituées et
les droits de vote dont il dispose. Aucune règle de
détermination des quotes-parts n’est spécifiée par les
statuts. Leur répartition est largement liée au poids
économique des pays (appréhendé à travers leur revenu
national, la valeur de leur commerce extérieur et de leurs
paiements), mais non strictement déterminée par lui. La
seule concession au principe d’égalité des États se traduit
par l’octroi initial de 250 voix à chaque membre. Ensuite, la
répartition des droits de vote s’effectue selon la proportion
d’une voix pour 100 000 DTS.
Une fois le capital du Fonds et les contributions des
États-Unis et du Royaume-Uni négociés (chapitre I, § 1.3 et
I.4), les quotes-parts initiales des nouveaux membres ont
été déterminées à l’aide de la formule de Bretton Woods
jusqu’à la fin des années cinquante152.
Par la suite, le FMI a revu la formule de Bretton Woods
de façon à faire correspondre les résultats des calculs au
montant des quotes-parts au FMI en vigueur à l’époque. À
cette première formule de Bretton Woods modifiée vinrent
s’ajouter quatre nouvelles équations. De nouveaux
infléchissements furent apportés lors de la huitième
révision générale des quotes-parts en 1983. Certaines
variables firent l’objet d’une redéfinition, notamment le
revenu national (remplacé par le PIB) et les réserves
extérieures (en plus de l’or et du dollar y furent intégrés les
DTS, les écus puis les euros et les positions de réserves au
FMI)153.
La quote-part calculée fut finalement définie comme le
plus élevé des deux chiffres suivants : soit celui obtenu au
moyen de la formule de Bretton Woods, soit celui
correspondant à la moyenne des deux chiffres les plus bas
obtenus à partir des quatre autres formules de calcul.
Si les formules interviennent pour faciliter les
négociations, les quotes-parts sont liées mais non pas
strictement déterminées par des critères économiques. Les
quotes-parts calculées ne jouent qu’un rôle indicatif. Elles
donnent des repères permettant de tenir compte des
caractéristiques et du poids économiques des pays de façon
non discriminatoire. En aucun cas elles ne font l’objet
d’une application rigide. Les formules interviennent pour
faciliter la négociation plutôt que pour s’y substituer.
La négociation intervient donc à la fois en amont et en
aval de l’application des règles, et dans une constante
redéfinition de celles-ci. Le sens de la détermination va
donc tout autant des quotes-parts calculées à l’aide des
formules aux quotes-parts effectives que des quotes-parts
effectives à l’élaboration des formules. La profusion et la
complexité des formules utilisées pour calculer le montant
des quotes-parts ne doivent pas être interprétées dans le
sens d’une prépondérance des règles dans ce domaine.
En effet, les révisions de quotes-parts, prévues tous les
cinq ans par les statuts, donnent toujours lieu à des
tractations complexes, car, à côté de la prise en compte de
l’évolution des conditions économiques, traduite par les
formules, le souci de la préservation de la structure des
quotes-parts pèse d’un poids déterminant. Chaque
négociation doit réactualiser le compromis entre la logique
institutionnelle du FMI (chaque quote-part est un
pourcentage de l’ensemble, à répartir entre pays membres,
en tenant compte du passé et des rapports de force
politiques) et la logique économique (chaque quote-part est
une somme d’avoirs reflétant le poids économique d’un
pays).
Ainsi, lors de la onzième révision (1999), la distribution
de l’augmentation a été principalement équi-
proportionnelle, mais a aussi contribué à la correction des
anomalies les plus importantes en matière de distribution
des quotes-parts. L’augmentation s’est décomposée de la
façon suivante :
75 % de l’augmentation totale attribuée de façon équi-
proportionnelle en fonction des quotes-parts avant révision,
15 % attribués en fonction des quotes-parts calculées,
10 % distribués uniquement entre les membres dont la
quote-part calculée excède la quote-part effective, de
manière à corriger les écarts les plus importants. Là
dessus, 1 % de l’augmentation générale répartie
uniquement entre 5 pays membres en position de
contribuer à la liquidité du Fonds à moyen terme.
En conséquence, les quotes-parts de chaque pays
membre sont relevées d’un pourcentage différent.
C’est pourquoi les quotes-parts ne reflètent pas
parfaitement le poids économique des pays. D’après les
calculs d’un récent rapport du CEPR154, le Japon,
l’Allemagne et la Chine seraient sous-représentés, tandis
que l’Arabie Saoudite, la Russie et l’Inde seraient sur-
représentées.

Annexe 2
La répartion actuelle des droits de vote au sein du
Conseil d’administration (au 2 août 1999)

Administrateurs nommés
Autres circonscriptions
(Administrateurs élus, sauf l’Arabie Saoudite, la Russie et la Chine qui
ont leur propre siège)
Alexandre Barro Chambrier (Gabon) Damian
Ondo Marie (Guinée équatoriale)
Nombre %
Bénin 869
Burkina Faso 852
Cameroun 2 107
Cap-Vert 346
République centrafricaine 807
Comores 339
Congo (République du) 1 096
Côte-d’Ivoire 3 502
Djibouti 409
Guinée équatoriale 576
Gabon 1 793
Guinée 1 321
Guinée-Bissau 392
Madagascar 1 472
Mali Mauritanie 1 183 894
Maurice 1 266
Niger 908
Rwanda 1 051
São Tomé et Principe 324
Sénégal 1 868
Tchad 810
Togo 984
Total circonscription 25 169 1,18
Total des quotes-parts 2 134 286155 99,90
Annexe 3

Les Accords d’emprunt en vigueur aujourd’hui

Accords généraux d’emprunt (AGE)


(prêteurs et montants des accords de crédit après 1983)

Montant en
Participants
millions de DTS
États-Unis 4 250
Deutsche Bundesbank 2 380
Japon 2 125
France 1 700
Royaume-Uni 1 700
Italie 1 105
Canada 892
Pays-Bas 850
Belgique 595
Sveriges Riksbank 382
Banque nationale Suisse 1 020
Total 17 000
Accord de crédit avec l’Arabie 1
Saoudite en association avec les
AGE

Nouveaux accords d’emprunt (NAE)

Montant en
Participants
millions de DTS
États-Unis 6 712
Deutsche Bundesbank 3 557
Japon 3 557
France 2 577
Royaume-Uni 2 577
Arabie Saoudite 1 780
Italie 1 772
Banque Nationale Suisse 1 557
Canada 1 396
Pays-Bas 1 316
Belgique 967
Sveriges Riksbank 859
Australie 810
Espagne 672
Autriche 412
Norvège 383
Danemark 371
Koweït 345
Autorité monétaire de Hong 340
Kong
Corée 340
Finlande 340
Luxembourg 340
Malaisie 340
Singapour 340
Thaïlande 340
Total 34 000
Sources : « Organisation et opérations financières du FMI »,
Département de la trésorerie, FMI.
Annexe 4

Facilités de crédit

Facilités à vocation générale


Facilités spéciales (hors facilitées déplafonnées)
Facilités concessionnelles

Facilités déplafonnées

Annexe 5

Structure financière du FMI

La structure financière du FMI s’est beaucoup


compliquée au cours du temps. La figure suivante présente
de manière simplifiée ses ramifications actuelles.
Département général

Comptes administrés

Département des DTS

Transactions Emplois au
Autres
entre participants compte de
détenteurs
ressources
autorises
générales
 
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Publications du FMI

Publications périodiques

Rapport annuel
World Economic Outlook
International Capital Markets
Exchange Arrangements and Exchange Restrictions,
Annual Report
Bulletin du FMI
Suppléments au Bulletin du FMI, septembre.
Finances et développement
International Financial Statistic Yearbook
Répertoire

Interdepartmental Working Group on Fund Policy Advice,


1999, Research Activities of the International Monetary
Fund, 1991-1998.

Documents officiels

Statuts du Fonds monétaire international.


Report of the Managing Director to the Interim Committee
on Strengthening the Architecture of the International
Monetary System, 1999.
Code de bonnes pratiques en matière de transparence des
finances publiques – déclaration de principes, 1999.
Code de bonnes pratiques pour la transparence des
politiques monétaires et financières – déclaration de
principes, 1999.
Policy Development and Review Department and Legal
Department, 1999, IMF Policy on Lending into Arrears to
Private Creditors.
Policy Development and Review Department, 1999,
Progress Report. Developing International Standards.
Policy Development and Review Department, 1999, The
Poverty Reduction and Growth Facility (PRGF) –
Operational Issues.
 
Index

A
Absorption
Accord de confirmation
Accord du Smithsonian Institute Accord élargi
Accords de la Jamaïque
Accords de swaps
Accords généraux d’emprunt (AGE) Actif de réserve
Afrique
Afrique du Sud
Aide concessionnelle
Ajustement : Ajustement structurel ; Automaticité des
ajustements ; Contrainte d’ajustement ; Discipline
d’ajustement ; Gestion décentralisée des ajustements ;
Modèle d’ajustement ; Poids de l’ajustement ;
Programme d’ajustement ; Symétrie des ajustements ;
Variable d’ajustement Aléa moral
Allemagne
Ambiguïté constructive
Amendements aux statuts : Premier ; Deuxième ;
Troisième Amérique latine
Ancrage nominal
Approche monétaire de la balance des paiements Arabie
Saoudite
Architecture financière internationale Argentine
Article des statuts : Article I ; Article IV ; Article V ;
Article VI Article VII ; Article VIII ; Article XIV ; Article
XVIII Assistance mutuelle Assistance technique
B
Baht
Baker, G
Bancor
Banque centrale européenne
Banque d’Angleterre
Banque des règlements internationaux (BRI) Banque
mondiale
Belgique
Bilatéralisme
BIRD, Voir Banque mondiale.
Birmanie
Brady bonds
Brady (plan)
Brésil
Budget des opérations
Buffer Stock Financing Facility, Voir Facilité de
financement des stocks régulateurs.
Bulgarie

C
Camdessus, M.
Canada
Catalyse
Change (régime de) ; Change fixes ; Changes flexibles ;
Changes multiples ; Contrôle des changes ; Régimes
intermédiaires ; Règles de change ; Stabilisation des
changes ; Voir aussi Crawling band, Crawling peg,
Currency board, Flottement, Fluctuation (marges de),
Politique de change, Taux de change d’équilibre, Zones
cibles.
Chili
Chine
Circonscriptions
Club de Londres
Club de Paris
Colombie
Comité de Bâle
Comité des Vingt (C-20)
Comité intérimaire
Comité monétaire et financier international Commission
sur l’utilisation des ressources du Fonds Compensatory
and Contingency financing facility (CCFF), Voir Facilité
de financement compensatoire.
Comptes administrés
Conditionnalité ; Financement inconditionnel Congrès
américain
Conseil d’administration du FMI Conseil des
gouverneurs du FMI Consensus de Washington
Consortium de l’or
Contagion
Contingent Credit Lign (CCL), Voir Ligne de crédit
contingente.
Contrainte de liquidité du Fonds, Voir aussi Ratio de
liquidité.
Convertibilité ; Convertibilité de la livre ; Convertibilité
des monnaies européennes ; Convertibilité en or ;
Convertibilité en or du dollar ; Convertibilité pour les
transactions courantes ; Principe de libre convertibilité
Corée
Crawling band
Crawling peg
Crise de change
Crise de la dette
Crise de liquidité
Crise de solvabilité
Crise financière
Crise systémique
Crises (génération de) Crises (gestion des) Critères de
performance
Croatie
Currency board
D
Défaut de paiement
Déséquilibre fondamental
Déséquilibre temporaire
Désinflation
Dette : Dette à court terme ; Dette souveraine ; Dette
subordonnée ; Endettement des entreprises ;
Endettement extérieur ; Rééchelonnement ;
Restructuration ; Surendettement Dévaluation
Devise-clé
Directeur général du FMI Discipline de marché
Dollar ; Primauté du dollar ; Réserves en dollars ; Valeur
or du dollar ; Voir aussi Convertibilité en or du dollar.
Dollar canadien
Dollarisation
Droit de tirage
Droit de veto
Droits de vote
DTS ; Allocations ; Caractéristiques financières ;
Création ; DTS comme unité de compte ; DTS privé ;
Nature du DTS ; Taux d’intérêt ; Utilisation ; Valeur
Durée des programmes

E
Échelonnement des tirages
Écu
Éligibilité
Enhanced Structural Adjustement Facility (ESAF), Voir
Facilité d’ajustement structurel renforcée.
Étalon-or
États-Unis
Euro
Eurodollar
Europe
Europe de l’Est, Voir aussi Pays en transition.
F
Facilité d’ajustement structurel (FAS) Facilité
d’ajustement structurel renforcée (FASR) Facilité de
financement compensatoire (FFC) Facilité de
financement des stocks régulateurs Facilité de réserve
supplémentaire (FRS) Facilité pour la croissance et la
réduction de la pauvreté Facilité pour la transformation
systémique (FTS) Financial Sector Assessment Program.
Financial Sector Liaison Committee Flottement : géré ;
indépendant ; pur Fluctuation (marges de)
Fonds de stabilisation monétaire Fonds fiduciaire
Forum de stabilité financière (FSF) Fragilité financière
France

G
Gaulle (de).
Globalisation financière
Gouvernance
Gradualisme
Groupe des dix (G10)
Groupe des vingt (G20)
Groupe des sept pays les plus industrialisés (G7) Groupe
des vingt-quatre

H
Hong Kong
Hongrie
Hyperinflation

I
Illiquidité
Implication du secteur privé Inde
Indonésie
Inflation
Insolvabilité
International Clearing Union (ICU) Israël
Italie
J
Japon
Jordanie

K
Kennedy, J.F.
Keynes, J.M.

L
Larosière (de), J.
Légitimité
Lending into arrears.
Lettonie
Lettre d’intention
Libéralisation : des mouvements de capitaux ; des prix ;
des taux d’intérêt ; du commerce extérieur ; du marché
des changes ; du marché du travail ; Libéralisation
financière Libye
“Lien” (entre DTS et aide au développement) Ligne de
crédit contingente (LCC) Limites d’accès aux ressources
du Fonds Link, Voir “Lien”.
Liquidité internationale
Livre sterling, Voir aussi Convertibilité de la livre.

M
Malaisie
Marchés émergents
Mark
Marshall (plan)
Mécanisme de financement d’urgence Mécanisme de
financement supplémentaire
Mécanismes pétroliers
Mexique
Monnaies librement utilisables Moratoire
Morgenthau
Mouvements de capitaux : Contrôle ; Développement ;
Liberté ; Libéralisation ; Retournements ; Soutenabilité ;
Mouvements de capitaux déstabilisateurs Mundell
(Triangle d’incompatibilite de)

N
Nixon, R.
Nouveaux accords d’emprunt (NAE)

O
Opérations de réduction de l’encours de la dette Or ;
Prix de l’or ; Réserves d’or ; Ventes d’or ; Voir aussi
Étalon-or.
Ordre monétaire international Organisation européenne
pour la coopération économique (OECE) Organisation
pour la coopération et le développement économique
(OCDE)

P
Parité : Changement de parité ; Annonce de la parité ;
Défense de la parité ; Parités fixes ; Parités stables ;
Système de parité Pays à faible revenu
Pays-Bas
Pays en transition, Voir aussi Transition. P
erspectives de l’économie mondiale Peso mexicain
Peso argentin
Philippines
Polak, J.
Politique d’accès élargi
Politique de change
Pologne
Pool de l’or, Voir Consortium de l’or.
Position de réserve
Précondition
Press Information Notice (PIN) Prêteur en dernier
ressort
Prévention
Privatisation
Problème du énième pays Prudentiel : Contrôle
prudentiel ; Politique prudentielle ; Règles prudentielles
; Supervision prudentielle

Q
Quotes-parts : Augmentation ; Montant global ;
Composition ; Détermination ; Nature ; Révision ;
Système des quotes-parts ; Versement

R
Rachats
Rapport des services du Fonds Rapport sur l’observance
des standards et des codes Ratio de liquidité du Fonds
Reagan, R.
Réal
Réserve fédérale
Réserves de change
Réserves internationales ; Voir aussi Liquidité
internationale.
Ressources du Fonds : empruntées ; ordinaires ;
utilisables Risque de change
Risque systémique
Rouble
Roumanie
Roupie
Royaume-Uni
Rubin, J.
Russie

S
Schultz, G.
Schweitzer, P.P.
Serpent monétaire européen
Slovaque (Rép.)
Slovénie
Standards internationaux
Stand-by agreement (SBA), Voir Accord de confirmation.
Structural Adjustement Facility (SAF), Voir Facilité
d’ajustement structurel.
Suède
Suisse
Supplemental Reserve Facility (SRF), Voir Facilité de
réserve supplémentaire.
Surveillance
Système monétaire européen (SME) Systemic
Transformation Facility (STF), Voir Facilité pour la
transformation systémique.

T
Taux de change d’équilibre
Tchèque (Rép.)
Termes de l’échange
Thaïlande
Thatcher, M.
Thérapie de choc
Titrisation
Tranche de crédit
Tranche de réserve
Tranche-or
Transition
Transparence
Trésor americain
Trésor britannique
Triffin, R.

U
Ukraine
Union européenne
Union européenne des paiements (UEP) Unitas
Unité de compte
URSS
V
Venezuela
Volker, P.
Votes à la majorité qualifiée

W
White, H.
Won
World Economic Outlook, Voir Perspectives de
l’économie mondiale.
Y
Yen
Yougoslavie
Z
Zones cibles
 
Michel AGLIETTA
est professeur à l’Université de Paris X- Nanterre,
conseiller scientifique au CEPII et membre du Conseil
d’Analyse Économique auprès du Premier ministre. Il est
consultant à CPR.
 
Sandra MOATTI,
diplômée de l’IEP de Paris, d’HEC et titulaire d’un DEA, est
économiste à CPR.
 
Notes

1
Pour une analyse des dysfonctionnements du système
monétaire international dans l’entre-deux-guerres, voir
Nurkse, 1944.

2
Dans un système monétaire ne comportant que deux pays,
un seul taux de change bilatéral peut être fixé. Si les deux
pays prétendent mener des politiques monétaires
indépendantes, il y aura toujours des interventions
contradictoires sur le taux de change commun. En
revanche, si l’une des banques centrales se consacre à la
défense de la parité, l’autre pays conserve l’autonomie de
sa politique monétaire. Autrement dit, en décidant de fixer
leur taux de change, deux pays se privent d’un degré de
liberté. Plus généralement, si n pays se regroupent dans un
système de parités fixes, il n’existe que n – 1 taux de
change. Les contraintes de fixité sur les change ne
déterminent que n – 1 conditions. Le problème est de savoir
comment allouer le n-ième degré de liberté du système. Il
faut donc une règle compatible avec les contraintes sur les
taux de change pour prendre en charge le degré de liberté
qui subsiste. Dans l’étalon-or cette règle était la
convertibilité des n monnaies nationales dans une n + 1-
ième monnaie qui n’était pas la dette d’une institution
monétaire. Cette monnaie universelle étant acceptée
comme monnaie de règlement ultime des dettes entre les
banques centrales, il existait une symétrie formelle entre
les pays. Il était nécessaire et suffisant que chaque pays
respecte la convertibilité-or de sa monnaie pour que la
cohérence du système monétaire international soit établie
par des ajustements décentralisés. En l’absence d’un tel
étalon extérieur, l’allocation du degré de liberté qui
subsiste devient un problème potentiellement conflictuel.

3
Keynes, 1944.

4
Pour une analyse des implications théoriques et
prospectives du projet de Keynes, voir Denizet, 1987.

5
Cependant, dans certaines versions ultérieures de son plan,
White avait envisagé la création d’une unité de compte
internationale, l’« Unitas », permettant d’enregistrer les
obligations contractées à l’occasion de transactions
effectuées en monnaies nationales.

6
Les négociations sont analysées en détail dans Gardner,
1969.

7
Bien que ce problème n’ait pas été résolu à Bretton Woods,
les vues de Keynes ont introduit la notion même de
responsabilité de l’ajustement. Cette question est revenue
au centre des débats dans les années 70.

8
Pour un compte rendu historique détaillé de la négociation
anglo-américaine et de son issue, voir Van Dormael, 1978.

9
Le projet d’une banque internationale pour la
reconstruction, initialement évoqué dans le plan White, fut
développé et soutenu par les Britanniques.

10
Pour une analyse des controverses sur la convertibilité et
des engagements souscrits à cet égard par les
gouvernements, voir Gold, 1981.

11
Keynes, 1980b.

12
Cette notion délicate sera discutée par la suite.

13
Afin de protéger les ressources du Fonds des conséquences
des mouvements de capitaux déstabilisateurs, l’article VI
précise : « Aucun État membre ne peut faire usage des
ressources générales du Fonds pour faire face à des sorties
de capitaux importantes ou prolongées, sauf en vertu des
dispositions de la section 2 du présent article [pas de
restriction pour les achats dans la tranche de réserve]. Le
Fonds peut inviter un État membre à prendre les mesures
de contrôle propres à empêcher un tel emploi de ses
ressources générales. Si, après y avoir été invité, l’État
membre ne prend pas les mesures de contrôle appropriées,
le Fonds peut le déclarer irrecevable à utiliser les
ressources générales du Fonds ». L’utilisation des
ressources du Fonds dans les crises financières récentes a
de quoi surprendre au regard de cet article, toujours en
vigueur.

14
La clause de la monnaie rare ne fut jamais utilisée.
Considérée d’abord comme une concession faite aux
Britanniques – puisque l’article faisait implicitement
référence à une pénurie de dollars – cette proposition fut
curieusement reprise par les Américains. Son principe était
pourtant celui d’une discrimination à l’encontre des pays
durablement excédentaires.

15
Voir infra chapitre III. § 1.1. pour plus de précisions sur le
système des quotes-parts et des droits de tirage.

16
Aucune méthode de détermination des quotes-parts n’est
spécifiée par les statuts. Leur détermination initiale fit
l’objet d’une négociation très absorbante à la conférence
de Bretton Woods. Le montant total des ressources du
Fonds, ainsi que les contributions des États-Unis et du
Royaume-Uni, furent d’abord fixés. Une formule, dite
formule de Bretton Woods, intervint ensuite, pour
permettre de déterminer les contributions des autres États
membres en fonction des montants déjà arrêtés par les
deux puissances négociatrices. Par la suite, d’autres
formules l’ont complétée, pour tenir compte des
caractéristiques et du poids économiques des pays de façon
non discriminatoire. Elles ne déterminent cependant pas
strictement les quotes-parts : leur rôle est de faciliter la
négociation, non de s’y substituer. Pour plus de détails sur
la détermination et le montant des quotes-parts, voir
annexe 1.

17
45 pays étaient présents à la conférence de Bretton Woods,
excluant les puissances de l’Axe et incluant certains pays
du Commonwealth. À la suite du mouvement de
décolonisation, le nombre de membres a rapidement
augmenté dans les années 60. Mais les pays industrialisés
ont toujours conservé la majorité au sein du FMI,
contrairement à d’autres organisations internationales nées
au lendemain de la guerre, telles que l’ONU. Par ailleurs,
pas plus qu’il n’a été entravé sérieusement par une division
nord/sud, le fonctionnement du Fonds ne s’est heurté aux
tensions et blocages de la guerre froide. La Chine et
l’URSS, ainsi que la plupart des pays du bloc soviétique,
s’étaient retirés du Fonds dès les débuts ou au cours des
années 50 et 60.

18
Sur les modes de désignation des administrateurs, voir
chapitre II. § 1.1.

19
Par extension, on appelle période de Bretton Woods les 25
ans qui vont de la mise en place du système à son
effondrement au début des années 70.

20
En outre, les ressources utilisables du Fonds étaient encore
plus restreintes en raison de la pénurie de devises. En
effet, l’essentiel des tirages effectués était en dollars
américains. Après les deux premières années de
fonctionnement du Fonds en 1947-48, les ressources en
dollars du Fonds furent rapidement épuisées. Au début des
années 50, les engagements du Fonds se réduisirent à des
montants insignifiants. Voir chapitre III § 1.2.3.

21
Sur le plan Marshall, voir Hogan, 1989.

22
L’ouvrage de référence sur l’UEP est Kaplan et
Schleiminger,1989.

23
À cet égard, le système de changes multiples mis en place
par la France en 1948 était assez inhabituel. Il appliquait
des taux différents non pas à des transactions différentes
(taxant ou encourageant certaines exportations ou bien
dissociant les transactions courantes des mouvements de
capitaux) mais à des pays différents. Ainsi, dans le cadre de
la dévaluation de janvier 1948, le gouvernement français
fixa de nouvelles parités avec les monnaies inconvertibles,
alors qu’il laissait se déterminer sur le marché libre le taux
de change du franc avec les rares monnaies convertibles
qu’étaient le dollar américain, l’escudo portugais puis le
franc suisse. En conséquence, le taux de change entre une
monnaie convertible et une monnaie inconvertible n’était
pas compatible avec les taux de changes de ces deux
monnaies vis-à-vis du franc. Cette incohérence des taux
croisés déformait la structure des échanges commerciaux,
ce qui conduisit le Fonds à sanctionner la France en
déclarant irrecevables ses demandes de tirages.
Cependant, dans la mesure où la France avait accès aux
ressources du Plan Marshall, la sanction fut de peu d’effet.
Les manquements des États à leurs obligations concernant
les régimes de change ne furent plus jamais sanctionnés
par la suite.

24
L’article VI interdit en effet aux États membres de « faire
usage des ressources générales du Fonds pour faire face à
des sorties de capitaux importantes ou prolongées ».

25
Une description des phénomènes qui ont précédé la crise
du système de Bretton Woods se trouve dans Solomon,
1982.

26
Cf. Encadré 3.

27
C’est à cette occasion que Harold Wilson, alors Premier
ministre, a attaqué les spéculateurs en usant de
l’expression restée célèbre : « les gnomes de Zürich ».

28
Voir plus loin chapitre I. § II.3.

29
Triffin, 1960.

30
Nous reviendrons un peu plus loin sur une troisième
initiative, réunissant toujours à peu près les mêmes pays. Il
s’agit des Accords généraux d’emprunt, mécanisme
d’assistance financière organisée au sein du FMI mais
restreint aux principaux pays industrialisés réunis dans le
G10. Ce groupe est en fait composé de 11 pays
industrialisés (Belgique, Canada, France, Allemagne, Italie,
Japon, Pays-Bas, Suède, Royaume-Uni, États-Unis et la
Suisse, qui longtemps ne fit pas partie du FMI).

31
Une réévaluation avait pour effet de réduire le prix de l’or
par rapport à la monnaie nationale – conséquence mal
accueillie dans des pays comme la France où les réserves
d’or, tant publiques que privées, étaient importantes – et de
faire subir à la banque centrale une moins-value sur ses
avoirs en dollars.

34
(tous tirages, y compris dans le tranche de réserve)

32
Celles-ci furent augmentées de plus de 60 % en 1958-59, et
à nouveau de 30 % en 1965.

33
Pour plus de précisions sur la contrainte de liquidité du
Fonds et les Accords généraux d’emprunt, voir chapitre III.
§ 1.2.3.

35
En l’absence d’unanimité, les décisions sont prises selon un
système de vote pondéré lié au montant mis à disposition
du Fonds par chaque pays dans le cadre des AGE. De plus,
si une décision requiert une majorité des 3/5 des votes
pondérés, elle exige aussi l’approbation des 2/3 des
membres.

36
Les États-Unis dévaluèrent de 7,89 %, portant ainsi le prix
officiel de l’or à 38 $ l’once. La France maintint le prix de
l’or en francs. Les Allemands acceptèrent une réévaluation
de 13,58 % par rapport à l’ancienne parité mark/dollar qui
prévalait avant le flottement du mark en mai 1971. Les
Japonais réévaluèrent leur monnaie de 16,88 % par rapport
à l’ancienne parité.

37
Le G10 avait notamment décidé d’élargir les marges de
fluctuation à 2,5 %, en infraction aux règles de Bretton
Woods. Il fallut un tour de force du Conseil d’administration
du Fonds pour trouver une base juridique à cette décision.

38
Committee of Twenty, 1974.

39
C’est à cette époque que les pays du Tiers monde exclus du
G10 se constituèrent à leur tour en groupe au sein du FMI.
Bien que les 10 eussent déjà la majorité au sein du Fonds,
le G10 apparaissait comme l’instrument d’une mainmise
des pays riches sur le SMI. Ces contestations donnèrent
naissance, en 1972, à un groupe concurrent, créé avec la
bénédiction du directeur général de l’époque, le Français
Pierre-Paul Schweitzer. Le Groupe des 24 était une
émanation du Groupe des non-alignés. Chacun des trois
continents (Asie, Afrique, Amérique latine) était représenté
par 8 membres, qui nouèrent des liens avec les
administrateurs représentant les PVD.

40
Les raisons politiques et théoriques de l’échec des
négociations des années 70 sont analysées en détail par
Williamson, 1977.

41
Sur les propositions récentes concernant la réforme du
Comité intérimaire et les évolutions récentes, voir chapitre
II, § 1.1.

42
Triffin, 1976.

43
La signification profonde de la transformation du SMI
après la crise de Bretton Woods est mise en évidence par
Padoa-Schioppa et Saccomanni, 1995.

44
Cf. Chapitre IV, encadré 1.

45
Cependant, il existe une garantie politique dans la mesure
ou un Etat considère qu’être coupé du crédit international
représente un coût qui l’emporte sur le gain d’un moratoire
unilatéral. La récente crise russe montre combien cette
garantie est fragile.

46
Cf. chapitre II, § II.1.

47
Selon les statuts, ont aussi droit à un administrateur propre
les 2 pays dont les monnaies ont été le plus tirées durant
les deux années précédentes s’ils sont différents des pays
ayant les principales quotes-parts. En réalité, l’effet de ce
droit est neutralisé quand le pays en question est déjà à la
tête d’une circonscription (voir infra).

48
La composition actuelle du conseil Conseil d’administration
est précisée dans l’annexe 2.

49
Ce « Comité ministériel conjoint des Conseils des
gouverneurs de la Banque et du Fonds sur le transfert de
ressources réelles aux pays en développement » est
composé de 24 membres désignés pour deux ans par les
pays ou groupes de pays qui nomment ou élisent un
administrateur.

50
Les décisions qui requièrent une majorité de 85 % sont
notamment : les amendements aux statuts, les révisions de
quotes-parts, les allocations de DTS, etc.

51
Cf. chapitre I, § 1.4.

52
Les statuts du Fonds favorisent cette ambiguïté : ils ne font
pas explicitement des administrateurs les « représentants »
des intérêts nationaux. Mais ils ne leur confèrent
évidemment pas non plus, comme au directeur général et
aux membres des services, un devoir d’indépendance.
Pourtant, les administrateurs sont eux aussi des
fonctionnaires internationaux rémunérés par le Fonds. Les
administrateurs élus par plusieurs États membres ont une
position délicate lorsque des divergences se font jour entre
les États de leur circonscription ; ils doivent alors, le cas
échéant, refléter la diversité des points de vue.

53
La fonction a été occupée par le Belge Camille Gutt (1946-
51), les Suédois Ivar Rooth (1951-56) puis Per Jacobsson
(1956-63), le Français Pierre-Paul Schweitzer (1963-73), le
Néerlandais H. Johannes Witteveen (1973-78) et par deux
Français, Jacques de Larosière, de 1978 à 1987, puis
Michel Camdessus qui a démissionné en février 2000, dans
le cours de son troisième mandat. L’Allemand Horst Köhler,
qui le remplace, est entré en fonction en mai 2000.
Les États-Unis ont préféré garder la présidence de la
Banque mondiale. Cependant, une fonction de directeur
général adjoint du Fonds a été créée dans les années 60,
qui revient à un Américain. Elle est actuellement occupée
par Stanley Fischer.

54
Au sein de ces départements, 70 employés du FMI sont
détachés auprès des pays membres en qualité de
représentants résidents.

55
Pour la présentation de la procédure dans le cadre d’un
accord financier, voir Mussa, Savastano, 1999, dans le
cadre des consultations de l’article IV, voir Arriazu et al.,
1999.

56
« Le cas russe occupe environ 25 personnes, à temps
complet ou partiel – 8 cadres de haut niveau dont 4
expatriés pour la seule représentation de Moscou »
[L’Expansion, 7 octobre 1999).

57
Les tirages dans la tranche de réserve et dans la première
tranche de crédit ne sont soumis qu’à une faible
conditionnalité et n’exigent pas la négociation d’un accord
(Cf. chapitre III, § 1.1).

58
Ce document s’appelle « document cadre de politique
économique » dans les programmes conjoints du FMI et de
la Banque mondiale pour les pays à faible revenu (comme
les FASR, cf. chapitre III, § III.2.1.).

59
Les dissensions internes aux services se sont accrues avec
la complexité des problèmes à traiter. Récemment, à
l’occasion des crises russe et brésilienne, elles ont
transparu à l’extérieur du Fonds, certains fonctionnaires
exprimant leur inquiétude face à la montée des risques. Si
les services jouent effectivement – et légitimement – un rôle
de filtre de l’information à l’égard du Conseil, différentes
propositions visent à tempérer l’impact de ce rôle. Les
Japonais proposent ainsi de donner au gouvernement du
pays concerné la possibilité de s’exprimer directement
devant le Conseil sur les conditions économiques et les
solutions appropriées. Ils proposent également d’établir un
comité des programmes au sein du Conseil, qui discuterait
avant que les services n’entament les négociations.
D’autres (comme l’économiste J. Sachs) souhaiteraient voir
ouvertes les séances du Conseil à des consultants
indépendants. Pour un recensement des propositions, voir
De Gregorio et al., 1999. Au sein du Fonds, on minimise la
nouveauté de ces propositions : un membre du
gouvernement est normalement invité aux séances du
Conseil consacrées à son pays ; le Conseil tient également
des réunions informelles, qui permettent aux
administrateurs d’exprimer leurs points de vue sans
engager les pays qu’ils représentent.

60
Ainsi, pendant la durée de l’intervention en Corée du Sud
par exemple, il y a eu une quarantaine de conférences
téléphoniques entre les ministres ou les directeurs du
Trésor des pays du G7 et M. Camdessus ou S. Fischer.

61
Arriazu, Crow et Thygesen,1999.

62
Les auteurs de l’évaluation externe préconisent l’adoption
d’une structure de comité pour l’examen des rapports des
services. Ces comités établis sur une base régionale
auraient l’avantage de renforcer la surveillance régionale
et les échanges d’expérience entre les pays.

63
Polak, 1997.

64
Cf. chapitre I, encadré 5.

65
Même si les modalités de l’aide financière du Fonds se
sont, dans une certaine mesure, adaptées aux besoins de
financement des pays en développement : allongement des
programmes et des délais de remboursement,
prolongement, voire renouvellement des accords, etc. (voir
chapitre III, § III.2.).

66
Une approche critique du caractère systématique des
ajustements macroéconomiques imposés par le Fonds
monétaire et de leurs coûts sociaux pour les pays qui les
subissent, voir Blardone, 1990.

67
Venezuela, Uruguay, Panama, Équateur, Pérou, Brésil,
Mexique, Argentine, Chili, Colombie, Bolivie).
L’action du FMI permit de maintenir le niveau des créances
privées autour de 250 milliards de dollars de 1983 à 1987,
date à laquelle elles commencèrent à décroître, avec la
perte de crédibilité de la stratégie de remboursement
intégral. La rupture introduite par le plan Brady est
spectaculaire : à partir de 1989, l’encours et la part de la
dette privée non bancaire explosent.

68
L’expression a été employée pour la première fois en 1990
par l’économiste John Williamson. Elle soulignait les points
communs à toutes les réformes économiques alors
prescrites aux pays d’Amérique latine et susceptibles d’être
transposées ailleurs. Voir par exemple Williamson, 1990.

69
Schadler et al.,1995.

70
Le consensus de Washington marque la fin de la singularité
de l’économie du développement. Ses outils d’analyse
théorique se rapprochent considérablement de celles de
l’économie mainstream. Le terme même de « pays en
développement » est frappé d’obsolescence, au profit de
celui de « pays émergents ». Cette requalification témoigne
d’une nouvelle conception du « progrès » économique
(émergence de marchés au sein d’un ordre global plutôt
que développement autocentré) ainsi que d’un déplacement
de l’attention internationale vers les pays les plus avancés
du groupe hétérogène des PVD – attestée par l’évolution
des flux de financement. L’unification de la doctrine
accompagne ainsi l’intégration des marchés.

71
Le FMI a créé le département géographique Europe II qui
s’occupe spécifiquement des pays d’Europe de l’Est.

72
Interview accordée à Libération, 31 août 1999.

73
Stiglitz, 1999.

74
Pour une critique de la thérapie de choc, voir Sapir, 1998.

75
La théorie de l’agence met l’accent sur l’importance de
l’asymétrie d’information et des comportements
opportunistes dans les organisations. Le problème crucial
est ici celui du contrôle que les actionnaires peuvent
exercer sur le management.

76
C’est-à-dire le remplacement de la monnaie nationale par
une devise étrangère – le dollar – non seulement dans la
fonction privée de réserve de valeur, mais encore dans les
fonctions collectives d’unité de compte et de moyen de
paiement.

77
Une ancre nominale est une variable nominale dont le
niveau ou la variation sont fixés dans le but de favoriser la
stabilisation des prix. En principe, différentes variables
peuvent servir d’ancre nominale (l’offre de monnaie, les
salaires ou encore une marchandise exerçant une forte
influence sur le niveau général des prix), mais c’est le taux
de change qui fut privilégié. Il s’agit en effet d’une variable
facile à observer et significative de l’engagement
désinflationniste du pays.

78
Le Fonds a ainsi créé une facilité spécifique pour les
membres ayant opté officiellement pour une stratégie de
change fixe afin de combattre l’inflation, le Currency
Stabilization Fund. Celle-ci n’a cependant jamais été
utilisée, ce qui n’est guère surprenant compte tenu des
conditions requises et des montants financiers mis à
disposition (Cf. annexe 4).

79
Pour un bilan des régimes de changes et de leur application
aux pays émergents, voir Obstfeld, 1995 et le rapport du
FMI, Exchange rate Arrangements and Currency
Convertibility, 1999.

80
Hong Kong depuis 1983, Djibouti depuis 1949 et Brunei
depuis 1967.

81
L’importance stratégique des Philippines pour les États-
Unis n’est sans doute pas étrangère au fait que celles-ci
sont en situation débitrice vis-à-vis du Fonds de manière
ininterrompue depuis une trentaine d’années au moins.

82
Voir Krugman, 1996.

83
Les implications des interventions en Asie sur
l’organisation et les opérations financières du Fonds seront
abordées au chapitre III, § IV.

84
Sgard (1999) reprend le mécanisme d’implication des
banques commerciales en Corée.

85
Une des erreurs tactiques le plus souvent dénoncées
concerne l’Indonésie, avec la fermeture de 16 banques,
imposée par le FMI en novembre 97, sans garantie des
dépôts au-delà d’un montant modeste (équivalent à 7 000
dollars). Cette mesure fut responsable d’une perte de
confiance et d’un approfondissement de la récession. Elle
entraîna une ruée sur les dépôts et un retrait massif de
fonds du système bancaire. Ce n’est qu’à la fin janvier que
le gouvernement indonésien surmonta le problème en
offrant une pleine garantie aux dépositaires et créditeurs
domestiques et étrangers des banques indonésiennes. Cet
épisode témoigne d’une gestion maladroite de l’aléa moral :
la décision de fermer ces établissements au plus fort de la
crise, tout en limitant strictement les garanties des
dépositaires, a abouti à une perte de confiance généralisée.

86
Pour une analyse financière de la crise russe et de ses
répercussions sur l’ensemble des marchés de capitaux, voir
Aglietta, 2000.

87
Sur la définition et l’évolution des sources de la liquidité
internationale, voir Crockett, 1994. Sur la dimension
institutionnelle du régime de financement des balances des
paiements, voir Cohen, 1993. Pour une présentation
détaillée de l’organisation financière actuelle du Fonds et
de ses opérations, voir IMF Treasurer’s Department, 1998.
88
Nous avons vu que les quotes-parts fixent également les
droits de vote de chaque membre. Négociées sur la base
d’indicateurs tels que le revenu national, les échanges
internationaux, les réserves officielles, etc., elles reflètent
la position économique des États membres (voir annexe 1).

89
La valeur de référence est aujourd’hui le DTS, après avoir
été l’or durant le système de Bretton Woods.

90
Un pays membre a une position rémunérée dans la tranche
de réserve chaque fois que les avoirs du FMI en sa monnaie
sont inférieurs à la « norme » de rémunération par le pays
en question. Celle-ci est égale à 75 % de la quote-part du
pays membre avant le premier avril 1978, plus toutes les
augmentations subséquentes de cette quote-part. En avril
1998, la moyenne des normes pour tous les membres du
FMI était égale à 94,5 % des quotes-parts.

91
Le taux d’intérêt du DTS est calculé en fonction des taux
des monnaies qui le composent : le dollar, l’euro, le yen et
la livre sterling. Sur l’évolution de ce taux, voir § II.
graphique 3.

92
Signalons que le Conseil des gouverneurs peut également
envisager à tout autre moment, à la demande d’un État
membre, l’ajustement de sa quote-part, afin de tenir
compte des changements de sa position relative dans
l’économie mondiale.

93
Pour une présentation du calcul des quotes-parts à partir
des formules, voir l’annexe 1.

94
Après les années 1947 et 1948, au cours desquelles le
montant des tirages bruts sur le Fonds s’élevèrent à 676
millions de dollars, ses crédits se sont réduits comme une
peau de chagrin, faute de ressources utilisables : après une
année 1950 sans tirage, ils n’ont représenté que 35 et 85
millions en 1951 et 52. Cette éclipse du FMI s’est
accompagnée, on l’a vu, de la mise en place d’autres
circuits d’offre de liquidités internationales : les transferts
directs du plan Marshall et les accords multilatéraux entre
pays de l’OECE au sein de l’UEP.

95
Le dollar fait exception à cette règle : du fait qu’il est une
monnaie de réserve, les avoirs en or et en devises des
États-Unis ne sont pas une mesure significative de leur
position extérieure.

96
« Chaque État membre garantit que les avoirs en sa
monnaie achetés au Fonds sont des avoirs en une monnaie
librement utilisable ou qu’ils peuvent être échangés, au
moment de l’achat, contre une monnaie librement utilisable
de son choix... » (article V.3.e.i.). Le premier amendement
avait ouvert la voie en édictant l’obligation que les
monnaies fournies soient « réellement convertibles ». La
notion de convertibilité disparut après le deuxième
amendement.

97
Le Conseil d’administration a cependant pris la décision en
février 2000 de rendre public les sources des financements
du FMI d’ici quelques mois.
98
Les crédits consentis au Fonds par les participants des
accords d’emprunt (voir infra) constituent une créance
liquide sur le FMI, qui est équivalente à une position de
réserve et qui peut donc être considérée comme une partie
des réserves internationales des pays prêteurs.

99
Cf. chapitre I, § II.2.4.

100
Triffin, 1964.

101
Machlup, 1964.

102
Précisons, s’il en est besoin, que le stock d’or qui gage
l’émission du bancor n’est en rien une survivance de la
croyance en la « relique barbare » chez son prestigieux
pourfendeur. Tout au contraire, la centralisation des
réserves d’or était la meilleure façon de le faire disparaître
des comptes des banques centrales nationales et d’anéantir
son rôle international. Le chemin, en effet, était à sens
unique puisque le bancor n’était pas convertible en or.

103
Sur proposition du directeur général et après approbation
de cette proposition par le Conseil d’administration. La
majorité qualifiée de 85 % donne un droit de veto aux
États-Unis ainsi qu’à la Communauté européenne parlant
d’une seule voix.

104
Jeanneney, 1994 rappelle la position française dans ces
négociations.
105
Schweitzer,1967.

106
Une opération fréquente consiste ainsi à emprunter des
DTS auprès d’un membre pour acquitter les 25 % de
l’augmentation de quote-part ou de la souscription, comme
l’ont fait au moment de leur adhésion certains pays
d’Europe de l’Est. Les pays peuvent alors effectuer un
tirage dans leur tranche de réserve que le Fonds verse en
DTS, ce qui permet de rembourser aussitôt l’emprunt
contracté.

107
La valeur du DTS peut être modifiée à une majorité de 70
% du Conseil d’administration. Cependant les statuts du
Fonds précisent qu’une majorité de 85 % est requise pour
un changement « dans le principe de l’établissement de la
valeur ou un changement fondamental dans l’application du
principe en vigueur ».

108
Le taux d’intérêt du DTS peut être modifié à la majorité de
70 % au Conseil d’administration.

109
Les détenteurs agréés sont au nombre de 15 : trois
banques centrales, trois institutions monétaires
intergouvernementales, neuf institutions de
développement.

110
L’écu, créé en 1979, a connu un grand succès auprès du
secteur privé. Comme pour le DTS, il n’existait aucune
perméabilité entre les circuits de l’écu public et privé.
Cependant, l’écu a bénéficié d’une double impulsion qui a
fait défaut au DTS : d’une part, le Fonds n’a jamais
emprunté sur les marchés, par des émissions en DTS
privés, comme la Communauté ou la Banque européenne
d’investissement l’ont fait pour l’écu privé ; il n’a donc pu
donner l’impulsion nécessaire à l’usage du DTS comme
monnaie de financement ; d’autre part, le projet politique
de monnaie unique a considérablement renforcé l’attrait de
l’écu, dont le taux d’intérêt était inférieur au taux du panier
qui le composait.

111
Sur le problème du lien entre DTS et aide au
développement, voir Cline, 1976.

112
D’autres modalités concrètes ont été envisagées, comme
des allocations de DTS aux institutions de financement du
développement, ou encore une allocation générale mais
suivie d’un transfert de leurs DTS de la part des pays
industrialisés.

113
Reste que si le DTS n’a pas trouvé sa place dans le cadre
des activités du FMI orientées vers le développement
(notamment à cause de l’importance prépondérante de la
conditionnalité des financements), le pouvoir de création
monétaire qu’il confère au FMI et le caractère
inconditionnel des apports de liquidité qu’il autorise
permet d’imaginer pour lui une nouvelle carrière, dans le
cadre d’un FMI prêteur en dernier ressort. Ce
prolongement envisageable de notre quatrième « modèle »
sera abordé dans le dernier chapitre.

114
Nous avons vu comment le FMI est devenu le centre d’un
réseau de co-financement, impliquant des organisations
multilatérales, des créanciers publics et, avec la crise de la
dette des années 80, des banques privées, au sein duquel il
assume le rôle de prêteur de référence (voir chapitre I
encadré 5 sur le financement concerté). Les créditeurs
officiels ne pouvaient en effet assumer seuls le financement
des déséquilibres des paiements des pays dont l’accès aux
capitaux privés a été brutalement interrompu ou réduit.

115
Au début des années 80, le Fonds a conclu des accords
d’emprunt assortis d’échéances relativement courtes, ne
dépassant pas 2 ans et demi. Or ces sommes ont servi à
financer des tirages dont les rachats intervenaient dans un
délai de 3 ans et demi à sept ans. Le FMI a donc dû puiser
largement dans ses ressources ordinaires pour rembourser
ces emprunts. La politique de prêts du FMI a ainsi pu peser
sur la gestion de la liquidité, notamment à cause du
problème de non-concordance des échéances.

116
Dans le cadre de la politique d’accès élargi, l’Arabie
Saoudite, qui s’était engagée pour 8 milliards en 1981, puis
à nouveau pour 4 milliards en 1984, est devenue le
principal créancier du Fonds. Elle a obtenu des conditions
inédites : elle pouvait non seulement transférer à tout
moment sa créance à un autre pays membre, mais surtout,
demander au Fonds de lui remettre des billets à ordre au
porteur. Cette disposition créait un précédent d’une grande
portée puisque ces billets pouvaient être cédés à n’importe
quel organisme public ou privé qui détiendrait donc une
créance sur le Fonds. Cela ouvrait la voie à un marché
privé de créances libellées en DTS.

117
Juridiquement, le Fonds est habilité à agir en tant
qu’administrateur de ressources en vertu de l’article V
section 2b de ses statuts, qui l’autorise à « assurer des
services financiers et techniques conformes à ses buts,
notamment l’administration de ressources fournies par les
États membres ».

118
Le Conseil d’administration décida en mai 1976 de céder
environ un tiers du stock d’or du Fonds. La moitié de ce
montant fut vendue au prix de marché et les bénéfices
placés dans ce Fonds fiduciaire. Une partie fut distribuée
directement aux PVD au prorata de leur quotes-parts,
tandis que l’autre partie était mise à disposition de certains
pays sous forme de prêts à taux d’intérêt très bas.

119
Facilité déplafonnée et assortie d’une surcharge d’intérêts,
destinée à faire face aux brusques revirements des flux de
capitaux. Cf. infra § IV.3.

120
Mise en sommeil pendant plusieurs années, la FFC,
devenue FFCI – facilité de financement compensatoire et
de financement pour imprévus – a été réactivée en faveur
de la Russie en juillet 1998, pour un montant de 2,16
milliards de DTS, afin de compenser une chute de ses
revenus d’exportation à la suite d’une baisse du prix du
pétrole.

121
Malgré l’opposition virulente des républicains, relayée par
une grande partie de la presse américaine, les États-Unis
sont cependant intervenus par le biais de l’Exchange
Stabilization Fund du Trésor pour un montant de 20
milliards de dollars. Ce n’était pas la première fois que ce
Fonds, créé en 1934 pour stabiliser le cours du dollar par
rapport aux principales autres devises, servait à financer
des prêts, principalement à des pays d’Amérique latine,
permettant ainsi au Trésor de contourner le Congrès (voir
Schwarz, 1998). Enfin, la BRI a augmenté son engagement
de 5 à 10 milliards de dollars, de sorte que le montant total
des financements était proche de celui prévu par le plan
initial.

122
De plus, un pays prêteur faisant face à des difficultés de
balance des paiements peut soit obtenir le remboursement
anticipé du montant de ses prêts si le Fonds a
effectivement procédé à des emprunts, soit refuser
d’accorder de futurs prêts si l’organisation internationale
n’a pas effectué d’emprunts. Ces créances sur le FMI
constituent donc des actifs hautement procédé à des
emprunts, soit refuser d’accorder de futurs prêts si
l’organisation internationale n’a pas effectué d’emprunts.
Ces créances sur le FMI constituent donc des actifs
hautement liquides et sont considérées comme faisant
partie des réserves internationales des pays qui les
détiennent.

123
Les pays participant aux AGE et aux NAE, ainsi que les
montants qu’ils s’engagent à mettre à la disposition du
Fonds, sont précisés en annexe 3.

124
Lorsque des pays participants dont la somme des
engagements excède 28,9 milliards de DTS (85 % du total)
– dont les cinq États ayant les plus gros engagements – ont
pris la décision d’adhérer.

125
Les délais d’intervention du Fonds ont été réduit grâce à
une nouvelle procédure d’approbation accélérée des
programmes d’aide financière par le Conseil
d’administration. Ce « mécanisme d’intervention d’urgence
» a été mis en place en septembre 1995 et utilisé pour la
première fois à l’occasion de la crise asiatique.

126
Le financement de ce programme est emblématique de la
superposition des modèles d’intervention du Fonds. Il
combinait un accord élargi (6,3 milliards de DTS), dont une
partie au titre de la facilité de réserve supplémentaire (4
milliards), auxquels s’ajoutaient des crédits octroyés au
nom de la facilité de financement compensatoire, supposés
compenser la chute des revenus d’exportation (2,2
milliards). En outre, les ressources nécessaires ont été
obtenues par une activation des AGE.

127
Voir Aglietta et de Boissieu, 1999.

128
Comme nous l’avons vu, la possibilité d’une intervention en
dernier ressort du Fonds est même écartée par ses statuts
(cf. article VI.1.a : « Aucun Etat membre ne peut faire
usage des ressources générales du Fonds pour faire face à
des sorties de capitaux importantes ou prolongées... »).

129
Summers, 1999. Le récent rapport Meltzer (Meltzer, 2000),
commandé par le Congrès américain, plaide également
pour l’abandon des prêts concessionnels aux pays à faible
revenu et pour une limitation encore plus drastique de la
durée et des conditions de l’engagement financier du
Fonds. Celui-ci ne devrait intervenir qu’à très court terme,
dans des situations d’illiquidité et auprès de pays
préqualifiés en fonction de critères objectifs.
130
Mundell, 1968, chap. 18.

131
Pour une référence théorique sur les asymétries
d’information et leurs conséquences sur la fragilité
financière, voir Mishkin, 1991.

132
Funabashi, 1988 fait le bilan de la coopération sur le
change entre les autorités monétaires du G7 après l’accord
du Plaza de 1985.

133
Fischer, 1999.

134
voir Davanne, 1998.

135
Eichengreen et Mussa, 1998.

136
Aglietta et Deusy-Fournier, 1994.

137
Summers, 1999, présente la position du Trésor américain
sur l’avenir du FMI.

138
Voir II. § 1.1.2.

139
À titre expérimental, les services du Fonds ont produit des
« Rapports sur l’observance des standards et des codes »
pour quelques pays (une dizaine en septembre 1999).
140
Arriazu, Crow et Thygesen, 1999.

141
Radelet et Sachs, 1998 ont mis en évidence l’aspect
largement spéculatif de la crise asiatique.

142
Pour une défense du recentrage des activités du Fonds sur
son rôle macroéconomique voir notamment Feldstein,
1998.

143
Contamin et Denise, 1999.

144
Eichengreen, 1999a, avance un certain nombre de
propositions concrètes pour l’implication du secteur privé.

145
Le Fonds a d’ores et déjà mis au point une politique
prudente de « lending into arrears » (décision de 1989 pour
les arriérés souverains, étendue aux arriérés des débiteurs
privés suite à l’imposition de contrôle des changes en
1999), qui lui permet de soutenir financièrement des pays
en situation d’arriérés de paiements sur leur dette
extérieure à condition que ceux-ci entreprennent un
programme d’ajustement approprié et recherchent un
accord avec leurs créditeurs.

146
Pour un plan complet en vue d’un système fondé sur la
discipline de marché et ou le FMI aurait un rôle de garant
des règles et de prêteur en dernier ressort, voir Calomiris,
1998b. Ce dernier a d’ailleurs participé à l’élaboration du
récent rapport Meltzer (Meltzer, 2000), qui procède de la
même inspiration.
147
Goodhart et Haizhou Huang, 1999 montrent qu’il est
impossible de séparer crise de liquidité et crise de
solvabilité dans la fonction de PDR.

148
Giannini, 1998 tente de généraliser au niveau international
les procédés utilisés par les banques centrales dans leur
propre pays pour contenir l’aléa moral.

149
Voir Aglietta et Denise, 1999.

150
OCDE, 1997.

151
Camdessus, 2000.

152
Formule de Bretton Woods
Quote-part = (0,02Y + 0,05R + 0.10M + 0,10V)(1 + X/Y)
Y : revenu national en 1940
R : réserves d’or et avoirs en dollars au 1er juillet 1943
M : moyenne des importations de 1934 à 1938
V : variation maximum des exportations de 1934 à 1938
X : moyenne des exportations de 1934 à 1938

153
Formules utilisées, depuis la huitième révision, pour
déterminer les « quotes-parts calculées »
Formule de Bretton Woods simplifiée :
(0,01 Y + 0,025R + 0,05P + 0,2276VC) X(l + C/Y)
Autres formules modifiées :
(0,0065Y + 0,0205125R + 0,078P + 0,4052VC) X(l + C/Y)
(0,0045Y + 0,03896768R + 0,07P + 0,76976VC) X(l +
C/Y)
0,005Y + 0,042280464R + 0,044 (P + C) + 0,8352VC
0,0045Y + 0,05281008R + 0,039 (P + C) + 1,0432VC
Y : PIB
R : moyenne mensuelle des réserves
P : moyenne annuelle des paiements courants
C : moyenne annuelle des recettes courantes
VC : variabilité des recettes courantes (par rapport à la
moyenne quinquennale)
Pour obtenir la « quote-part calculée » de chaque pays, il
faut d’abord ajuster uniformément le résultat obtenu à
partir des quatre équations de façon à ce que la somme des
quotes-parts ajustées de tous les pays soit égale à la somme
des quotes-parts issues de la formule de Bretton Woods
simplifiée.

154
De Gregorio et al., 1999.

155
Ce total n’inclut pas le nombre de voix de l’État islamique
d’Afghanistan et de la Somalie qui n’ont pas participé à
l’élection ordinaire des administrateurs de 1998 ni celui de
la République Démocratique du Congo et du Soudan dont
le droit de vote est suspendu depuis le 2 juin 1994 et le 9
août 1993 respectivement. En effet, le troisième
amendement aux statuts du Fonds (adopté en 1990 et entré
en vigueur en 1992) permet au Conseil d’administration de
suspendre, par une décision prise à la majorité de 70 %, les
droits de vote d’un pays membre qui a été déclaré
irrecevable à utiliser les ressources générales du Fonds et
qui persiste à ne pas honorer l’une de ses obligations aux
termes des statuts. Cet amendement fait partie de la
stratégie adoptée pour faire face au problème des impayés
accumulés par certains pays au titre de leurs obligations
envers le FMI.
 
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