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Droit du Thème 1 : Les sources

commer Droit du commerce international ? Quels sens prêter à cette

ce expression ? S’agit-il d’une “matière”, à tout le moins


d’enseignement ? Assurément oui, puisque vous êtes désormais
en train de la suivre!

internati
Pour autant, et comme dans tout autre domaine, les choses sont toujours quelque peu plus
complexes… et pour bien les saisir, je vous invite à endosser vos costumes d’explorateurs, car tel est
l’objet de la présente séance : l’exploration des recoins du domaine que couvre le “commerce
international”.
Envisageons donc à présent, comme le ferait tout juriste-explorateur digne de ce nom, ce qui se
cache derrière les termes mêmes du sujet. Et commençons par celui qui paraît être le plus important
: “commerce”.

I. Présentation générale et définitions


Tout d’abord, un peu d’étymologie. Le mot commerce dérive du latin commercium, lequel dérive lui-
même de merx, mercis, qui signifie marchandise. Voilà un premier apport.

Commerce 🡨 commercium 🡨 merx, mercis (marchandise)


Ensuite, à suivre la définition qu’en donne le Vocabulaire juridique de l’Association Henri
CAPITANT, le mot “commerce”, dans une première acception [“en Droit”, est-il précisé entre
parenthèses…], signifie [je cite] :
“Ensemble des activités énumérées par les articles 632 et 633 du Code de commerce qui
permettent aux richesses de passer des producteurs aux consommateurs”.
[Désormais art. L. 110-1 et L. 110-2 C. com. : liste des “actes de commerce” réputés tels par la loi].
Le Vocabulaire juridique propose également une deuxième acception [je passerai sur la troisième,
relative au commerce… charnel !], deuxième acception, donc, cette fois-ci “d’un point de vue
économique”. Il s’agit alors [je cite à nouveau] de : “[l’]Ensemble des activités qui consiste à vendre
des produits achetés sans leur faire subir de transformation importante ; en ce sens, se distingue de
l’Industrie".
Si l’on ajoute à présent au mot commerce l’épithète “international”, l’acception précitée s’en trouve-t-
elle grandement modifiée ? En un sens, non, car l’on prend simplement ici la mesure d’une dimension
spatiale : le commerce qui est pratiqué au sein d’une entité spécifique [un État, la plupart du temps]
devient ici :
- régional [songez à l’Union européenne]
- fédéral [songez aux États-Unis d’Amérique - où l’on parle alors de commerce “interétatique” - ou
songez, encore une fois, à l’Union européenne]
- voire mondial

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Mais cet aspect géographique ou dimensionnel des choses est somme toute peu précis et le
Vocabulaire juridique de l’Association Capitant vient, une fois encore, à notre rescousse. Qu’y
apprend-on ? Eh bien ! que le commerce international désigne [je cite à nouveau] :“au sens propre,
[les] opérations d’importation, d’exportation ou d’échange entre les États ou entre leurs
ressortissants”.-f
Mais, dans une seconde acception, plus extensive, le commerce international désigne également [je
cite encore] : [l’]ensemble des rapports économiques, politiques et intellectuels entre les États ou
entre leurs ressortissants”.
En ce sens, l’expression s’oppose à la notion dite d’autarcie étatique.

II. Importance et fondements économiques | Approche juridique

● Importance et fondements économiques :

De ce qui précède, l’on comprend donc que, par rapport au commerce étatique, le commerce
international revêt une importance plus grande, ne serait-ce qu’en termes de volume des échanges.
Ainsi, apprenez [ou souvenez-vous] qu’en 2009, la valeur des échanges internationaux de
marchandises dans le monde atteignait 12 100 milliards de dollars états-uniens (16 100 milliards
de dollars un an plus tôt, en 2008 – avant la crise des subprimes…)
En 2018, le chiffre bien meilleur, et s’élevait à 19 670 milliards de dollars [mais qu’en sera-t-il en fin
de 2020, en raison de la crise liée au Covid-19 ?]
Au-delà de ces quelques chiffres, l’on comprend très vite que les opérations commerciales
internationales sont coûteuses et aléatoires. Il y a donc un risque : celui du commerce international.
Et lorsque décision est prise de l’affronter, il est vraisemblable de supposer que l’opération envisagée
est de nature à procurer un profit, à atteindre un résultat que le commerce interne ne permet
pas de réaliser.
D’un point de vue économique, quatre fondements du commerce international peuvent dès lors être
trouvés dans l’analyse de ce qui précède.
En premier lieu, l’on observe que les importateurs prennent aisément le risque du commerce
international lorsqu’ils trouvent à l’étranger des biens recherchés par leur clientèle, mais qui ne sont
pas produits ou fabriqués sur leur territoire national [ou, plus simplement encore, les biens produits ou
fabriqués à l’étranger le sont à moindre coût].
En deuxième lieu, il convient de remarquer que certains pays, riches de par leurs ressources naturelles
ou leur main d’œuvre très qualifiée, voire spécialisés dans la mobilisation de capitaux, peuvent – en
adoptant une politique vers l’international d’optimisation de leurs richesses –, inciter leurs propres
entreprises à exporter un savoir-faire, conçu comme un surplus destiné à équilibrer la balance
commerciale de l’État en cause, ou à compenser des manques dans d’autres domaines.
En troisième lieu, l’on observe aussi que la commercialisation d’un produit, ailleurs que sur le
marché national de production, offre une longévité plus grande audit produit, notamment en termes de
durée d’exploitation. Ce n’est pas négligeable non plus.
En quatrième et dernier lieu, enfin, le rapport de force entre États n’est pas équilibré. Un petit
nombre domine les marchés, ce qui impose de facto aux autres l’obligation d’importer tel ou tel
produit manufacturé, faute de pouvoir les créer eux-mêmes sur leur territoire national !!.

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Bien entendu, aucune de ces observations/explications ne suffit à rendre compte pleinement de la
réalité, laquelle est d’ailleurs, aux dires des économistes, complexe et évolutive [plus encore à
l’ère du commerce électronique et de la mondialisation].
Il faut donc se garder de voir dans ce qui précède le reflet exact de l’état actuel de la situation
économique mondiale.

● Approche juridique :

Après la définition des termes du sujet [de la matière plus précisément], passés les fondements
économiques, abordons ce que l’on connaît le mieux, à savoir l’approche juridique de la
question. Deux préoccupations principales ici.
Premièrement, celle des États [et, par extension, celle des institutions interétatiques, telles que
l’Organisation des Nations Unies ou ONU]. On l’a vu, l’importance du commerce international est
telle que les États ne peuvent pas s’en désintéresser ! Ils adoptent donc, aux fins de régulation, non
seulement des règles de droit privé, mais aussi des traités, sans compter des initiatives plus
spécifiques, notamment de création d’organisations internationales de régulation du commerce
international.
L’on voit alors émerger ici ce que l’on appelle le droit international public du commerce, lequel est
lui-même un sous-ensemble du droit international économique [i.e. le droit des investissements
internationaux ; droit des relations monétaires et financières].
Secondement, il ne faudrait pas négliger les préoccupations propres aux opérateurs privés du
commerce international, au premier rang desquels figurent les sociétés commerciales impliquées dans
des opérations transfrontalières (notamment, comme on l’a vu, importation et exportation de
marchandises). De telles opérations sont pour leur part gouvernées par un principe, celui de la liberté
des relations commerciales internationales. Et celles-ci sont encadrées par un certain nombre de règles,
que l’on regroupe dans le droit international privé du commerce [ou droit du commerce international].
De ce qui précède, vous comprenez donc que la matière connaît une forme de dichotomie, entre d’une
part le droit international public du commerce et, d’autre part, le droit international privé du
commerce [une sorte de distinction que vous commencez à apprécier depuis le début de vos études,
entre droit public et droit privé.

Droit international privé du


commerce

Droit international public du commerce


Quoi qu’il en soit, si le présent cours portera essentiellement [pour ne pas dire exclusivement] sur le
droit international privé du commerce, il ne saurait être omis de parler - fut-ce brièvement - du droit
international public du commerce.

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Brièvement, donc, de quoi s’agit-il ?
Eh bien ! Celui-ci [le droit international public du commerce, donc] a pour objet des rapports de
droit qui se nouent :
o soit entre États exerçant leur souveraineté,

o soit entre États et organisations interétatiques [par exemple, l’Organisation Mondiale du


Commerce ou OMC ; le Fonds Monétaire International ou FMI, etc. –
o soit encore entre organisations interétatiques directement.

Siège de l'OMC, Genève Siège du FMI, Washington


N.B. : dans ce cadre précis, la notion de souveraineté étatique est au cœur des rapports de droit qui
sont noués. Ainsi, l’exemple-type est celui d’un rapport de droit noué par deux États – le plus souvent,
en matière douanière – dans le cadre de l’OMC.
En creux, l’on commence ici à mieux cerner l’objet du droit du commerce international, lequel
porte, comme l’on a pu l’esquisser précédemment, sur des rapports de droit de nature privée [la
vente commerciale internationale en est l’archétype].
MAIS : Attention ! Si de tels rapports peuvent à l’évidence se nouer entre personnes
privées [entre deux sociétés commerciales, par exemple], ils concernent également ceux que
peuvent nouer des entités publiques avec des personnes privées, et que l’on appelle les contrats
d’État.
En pareille hypothèse, la souveraineté des États demeure présente, mais celle-ci n’est pas du tout prise
en compte avec la même vigueur.

III. Identification d’un rapport de droit commercial international


Une fois exposé, l’on comprend que la frontière entre droit international public et droit
international privé du commerce n’est pas si aisée à tracer, principalement en raison de
l’intervention omniprésente – directe ou indirecte, i.e. à intensité variable – des États souverains [nous
y reviendrons tout au long de ce cours].

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Quoi qu’il en soit, et au risque de se répéter, à se contenter de l’étude du droit du commerce
international [donc du droit international privé du commerce], la question préalable, essentielle à
résoudre, est celle de l’identification du critère du rapport de droit commercial international :
Quand peut-on considérer que les rapports de droit commercial sont soumis au droit
international [privé]?
Quels sont les éléments à rechercher pour résoudre pareille question ?
UN CAS CONCRET :
Depuis 2005, des élus et des professionnels du secteur agricole réclament une indication géographique
protégée (IGP) pour le melon originaire du Vaucluse. Quel est l'intérêt de cette opération selon
vous? ⇨ Avec une appellation contrôlée, cela permet de déclencher les règles appropriées pour régir
le(s) rapport(s) de droit commercial en cause.
Vous savez peut-être que l’instrument privilégié de désignation de la loi applicable à un contrat
commercial de dimension internationale est l’ancienne Convention de Rome du 19 juin 1980,
devenue le Règlement (CE) n° 593/2008 du 17 juin 2008, dit “Rome I” . Cependant, l’enjeu est
ailleurs : pour bien le comprendre, prenons l’exemple d’une vente internationale. Si la règle de
conflit de lois consultée dans la Convention de Rome ou le Règlement “Rome I” – instruments
précités – désigne la loi française, celle-ci prévoit l’application de règles différentes, selon que la vente
est ou non considérée comme internationale par nature.
Ainsi, s’il s’agit d’une vente interne, l’on consultera par priorité les règles contenues dans le Code
civil aux articles 1582 et suivants [et, éventuellement, au Code de commerce].
En revanche, si la vente [commerciale, i.e. une vente qui n’implique pas un professionnel et un
consommateur, donc une opération qui n’est pas effectuée à des fins privées] est considérée
comme internationale par nature, alors le droit applicable sera celui contenu dans les stipulations de
la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises [dite “CVIM”],
laquelle constitue en effet le droit commun français de la vente internationale.
Prenons un autre exemple.
Au sein des modes alternatifs de règlements des litiges, l’arbitrage tient une très grande place. Or, à
nouveau, selon que l’arbitrage est interne ou international, les règles le régissant ne seront pas les
mêmes, à tout le moins en France.
Ainsi,
o l’arbitrage interne est régi par les articles 1442 et suivants du Code de procédure civile,

o tandis que l’arbitrage international est expressément régi par les articles 1504 et suivants du
même Code [depuis l’entrée en vigueur du Décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, survenue le
1er mai de la même année – idem que précédemment].
Il convient donc, au vu de ce qui précède, de rechercher le critère qui caractérise de façon
pertinente le rapport de droit commercial international.
Et, malheureusement pour vous, à ce sujet, ledit critère ne connaît pas de définition unique…
Etudions ceci :

Contrat Arbitrage

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En matière contractuelle En matière d’arbitrage

En matière contractuelle, tout d’abord, la Cour de cassation a façonné, voilà presque un siècle, une
définition du contrat proprement international, dans un arrêt devenu extrêmement célèbre, l’arrêt
Pélissier du Besset.
Dans cet arrêt, rendu le 17 mai 1927, la Cour a en effet retenu le critère que lui proposait son avocat
général dans ses conclusions, lesquelles sont même devenues plus célèbres que l’arrêt lui-même ! Il est
ainsi fréquent de se référer à la doctrine “MATTER” [tel était le nom de l’avocat général en
question], à la jurisprudence “MATTER”, ou encore aux conclusions “MATTER”…
Quoi qu’il en soit, voici le critère : pour qu’il y ait règlement ou contrat international, il faut que ledit
contrat produise [je cite] : “un mouvement de flux et de reflux au-dessus des frontières”… Peut-être
conscient, par anticipation, du flou relatif de pareil critère, l’avocat général précisait :“Il faut que
l’opération, le contrat, la transaction que l’on considère ait ou ait eu des conséquences réciproques
dans un pays et dans un autre”
Aujourd’hui, ce critère est toujours de droit positif [entendez par là qu’il constitue toujours le critère
de référence – Voy., e.g., Paris, 13 juin 1996, Clunet, 1997.151, note É. LOQUIN], sauf bien entendu
lorsqu’un texte spécifique [une convention internationale, par exemple] en décide autrement.
En matière d’arbitrage, à présent, il faut retenir que la Cour de cassation a également eu l’occasion, à
peu près à la même époque, de formuler un critère spécifique pour caractériser l’arbitrage commercial
international [et le différencier ainsi de l’arbitrage interne]. L’arrêt de principe [ou plutôt, les arrêts de
principe] sont respectivement l’arrêt Mardelé, du 19 février 1930, et l’arrêt Dambricourt, du 27 janvier
1931.
Dans chacun de ces arrêts, la Cour a en effet constaté qu’il y avait, dans les espèces en cause,
mouvement de marchandises et d’argent à travers les frontières. Selon elle, il y avait donc [je cite] :
“mise en jeu des intérêts du commerce international”.
Et cette définition a tellement plu que le Législateur, bien plus tard, l’a consacrée dans le Code de
procédure civile. Aujourd’hui, c’est l’article 1504 de ce Code qu’il faut consulter, et celui-ci énonce
[je cite] :“Est international l'arbitrage qui met en cause des intérêts du commerce international”.
En d’autres termes, est international ce qui est… international ! Circulus inextricabilis ? À la vérité, il
faut entendre par là que, ainsi que la Cour de cassation l’a elle-même tout récemment précisé [sous
l’empire de l’ancien droit de l’arbitrage international, et de l’ex-article 1492 du Code de procédure
civile, dans son ancienne rédaction – mais la solution est parfaitement transposable à l’état actuel du
droit], donc, il faut entendre par là que, au sens de l’article précité [1492 CPC, aujourd’hui 1504 du
même Code], [je cite] :
“[…] l’internationalité de l’arbitrage fait appel à une définition économique selon laquelle il suffit
que le litige soumis à l’arbitre porte sur une opération qui ne se dénoue pas économiquement dans
un seul État, et ce, indépendamment de la qualité ou de la nationalité des parties, de la loi
applicable au fond ou à l’arbitrage, ou encore du siège du tribunal arbitral” (Cass. civ. 1re, 26 janv.
2011, Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale (INSERM), Bull. civ. I, n° 15 –
extrait de la citation).
En d’autres termes, “est international l’arbitrage portant sur une opération qui intéresse l’économie de
plusieurs États” [J. BÉGUIN & M. MENJUCQ (dir.), Traité, n° 4, p. 5].

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IMPORTANT : cela étant dit, il importe dès à présent de retenir que les définitions que l’on vient de
donner ne sont pas universalisables, pour la bonne et simple raison qu’elles ne sont pas universelles
[i.e. partagées par tous].
N.B. : pour s’en convaincre, il suffit d’observer que la Cour de cassation française elle-même ne
retient pas tout à fait le même critère, selon que l’on est en matière contractuelle ou d’arbitrage]…
Quoi qu’il en soit, vous retiendrez ici deux choses essentielles :
o En premier lieu, il faut à toute force ne pas céder à la tentation de projeter la définition de la
“commercialité” interne sur le rapport de droit commercial international. En effet, le champ de
la “commercialité” internationale est beaucoup plus vaste, et inclut ainsi, la plupart du temps,
des domaines d’activités que certains droits qualifient de “civils”.
o En second lieu, il faut retenir que le droit commercial international s’intéresse uniquement
aux relations de droit nouées par des parties dans un rapport professionnel. Tout ce qui, de
près ou loin, concerne des achats effectués pour des besoins domestiques ou familiaux, est
donc exclu du champ de l’étude car, dans la plupart des cas, de telles relations sont soumises
à une réglementation impérative destinée à protéger les consommateurs.

IV. Perspectives historiques


Ces premières vues sur le droit du commerce international étant exposées, le maquis de la matière
étant quelque peu débroussaillé, il nous semble opportun, avant d’aborder les sources du droit en la
matière, d’évoquer ici les origines et les évolutions historiques du droit commercial international.
En effet, nous croyons fermement, à l’instar de Fernand BRAUDEL [l’illustre historien, célèbre
représentant de l’École des Annales] que, pour savoir où l’on va, il n’est pas inutile de savoir d’où
l’on vient… Aussi nous faut-il à présent nous plonger dans le passé et envisager, en quelques minutes,
les grandes étapes – historiques, donc – de la matière :

- origines
- Grèce antique
- Rome
- Renaissance
- naissance des Etats-Nations
- mondialisation

1) Origines
Sans remonter aux temps immémoriaux de la Genèse et de la construction de la Tour de Babel [qui
signifie, en akkadien, la “porte du Dieu”], l’on peut toutefois rester dans une région géographique
proche, et débuter notre parcours à Babylone [située en Mésopotamie, c’est-à-dire, de nos jours, en
Irak et, plus précisément, à une centaine de kilomètres de Bagdad, près de Hilla].

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Du IIe millénaire jusqu’à 539 BC, Babylone connut en effet des négociants qui recouraient déjà à
des figures juridiques comme la société ou la commandite [société commerciale comprenant d’une
part des associés gestionnaires (solidairement et personnellement responsables), et d’autre part des
associés bailleurs de fonds, dont la responsabilité est limitée à la concurrence de leurs apports], soit
des sociétés qui procédaient à des opérations de commission, de prêt à intérêt, etc. … intéressant
le commerce à caractère international [au sens actuel du terme].
Par suite, les Phéniciens [que les lecteurs d’Astérix songent à Épidemaïs…] développèrent à partir
de Tyr [située au Sud-Ouest du Liban], dans la Méditerranée orientale, un grand commerce
international et maritime, reprenant pour ce faire les figures initiées quelques siècles plus tôt par les
Babyloniens.
Pour opérer le plus efficacement possible, ils établirent des comptoirs le long des côtes
méditerranéennes, et s’en servirent comme autant de relais commerciaux. Le plus célèbre
d’entre eux fut sans doute … Carthage (à tout le moins dès 700 BC), jusqu’à ce que Carthage fut
détruite en 146 BC [Caton l’Ancien ayant enfin, à force de persévérance (conclusion de tous ses
discours devant le Sénat de Rome), obtenu gain de cause [Delenda Carthago Est, comme disait
l’autre… Authenticité non avérée… Synonyme aujourd’hui d’idée fixe… L’on en revient à Astérix !].

2) Grèce antique
Sur les rives de la Méditerranée, l’on se retrouve très vite de Tyr… aux côtes grecques, et aux cités
établies sur ce territoire, dont l’apogée se situe entre le VIe et le Ve siècles BC.
À cette époque, chaque cité était indépendante [tant politiquement que juridiquement], si bien que
les rapports commerciaux entre chacune d’elles [Athènes, Sparte, Delos, Rhodes, etc. – illustration
géographique de l’époque] présentait, ipso facto, un caractère international [toujours au sens
moderne du mot]. Quel héritage en retire-t-on [à l’exception des dettes actuelles] ?
Tout d’abord, Rhodes nous a légués sa fameuse loi, dite “du jet à la mer”.
De quoi s’agit-il ? Eh bien, comme son nom l’indique, d’un jet à la mer… c’est-à-dire un jet de
marchandises à la mer [aujourd’hui, l’on parle d’avaries – i.e. des dommages arrivés au navire ou à
son chargement – communes]. En pareil cas, en effet, la loi rhodienne prévoyait que l’ensemble des
commerçants ayant chargé le navire supportait la perte [cela existe encore aujourd’hui en droit
maritime].
Autre forme de legs, le “prêt nautique”, qui fut l’ancêtre de l’actuelle commandite [i.e. une société à
laquelle l’on ne fait que prêter son argent, sans aucune responsabilité], mais aussi de l’assurance
maritime. Comment cela fonctionnait-il ? Très simplement : l’opération est fructueuse, le prêteur
touche des intérêts très élevés. L’opération est un désastre, l’armateur ne doit rien. Une sorte de pari…

3) Rome
Après la Grèce, Caput Mundi, autrement dit… Rome !
Si l’apport du droit romain au droit civil français est bien connu, en va-t-il de même pour le droit
commercial international ? Eh bien ! Paradoxalement, non ! Malgré l’étendue géographique de
l’empire romain, malgré l’instauration de la pax romana, il n’existe pas, à proprement parler,
de Droit, de dispositions juridiques spécifiques au commerce international à Rome.
À l’époque, en effet, la distinction qui se fait progressivement jour est celle qui sépare le jus civile du
jus gentium. Très formaliste [à tout le moins, dans les premiers temps], le jus civile est celui qui régit
les rapports des citoyens de Rome entre eux. À l’opposé, le jus gentium [ancêtre du Droit

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international], est celui qui régit les rapports entre les citoyens romains et les pérégrins, i.e. les
“étrangers” non citoyens, mais ayant la condition d’hommes libres.
Certes, il est avéré que le jus gentium s’est développé progressivement, en offrant pour production
normative un droit moins formaliste [donc plus souple], particulièrement réceptif aux innovations nées
de la pratique [et notamment, de celle des affaires].
Cela dit, il n’est pas permis d’y voir l’ancêtre du droit commercial international moderne, étant donné
que le jus gentium n’était pas le droit réservé aux affaires dites internationales…
N.B. : vous retiendrez néanmoins qu’à cette époque [i.e. jusqu’au bas Moyen-Âge ou Moyen-Âge
tardif] sont tracées les grandes routes commerciales qui vont relier l’Occident et l’Orient, et
permettre ainsi le développement du commerce de la soie [la fameuse route éponyme reliait ainsi
Xian - ancienne capitale de la Chine - jusqu’à la Turquie => importation en Occident du papier, de
l’imprimerie, et… de la poudre à canon via ce canal], ou encore des épices [il s’agissait cette fois
d’une route maritime, initialement créée par les Arabes et les Indiens, et qui s’est développée
jusqu’à la Chine et l’Indonésie].

4) Renaissance
Après Rome, le Moyen-Âge… Obscur, sombre, troublé… Bref, peu d’intérêt à son étude ici, ce
d’autant plus que durant cette période [du sac de Rome par ALARIC en 476 AD jusqu’à l’an mil], le
commerce international n’est guère en développement…
De façon somme toute décevante, ce sont les Croisades qui vont relancer le mouvement économique,
et favoriser la reprise des échanges commerciaux… L’Italie [qui ne porte pas encore ce nom] est en
pointe, avec l’essor des grands ports commerçants qui ont pour nom Gênes, Amalfi, et Venise ! Et le
contact noué avec les grandes villes marchandes des Flandres, notamment pour la draperie [Gand,
Bruges] va encore accentuer ce développement commercial.
C’est ainsi que naissent les “Grandes Foires”, ces rendez-vous annuels [voire, pluri-annuels] à
l’occasion desquels les marchands se rencontrent, et font commerce… en Champagne, notamment à
Troyes [mais aussi Provins].
N.B. : Pourquoi ? La Champagne est à mi-chemin entre les Flandres et le Nord de l’Italie…
D’autres villes tirent cependant leur épingle du jeu, notamment les villes libres de l’Empire
germanique, lesquelles forment une ligue, que l’on appelle la “Ligue hanséatique” [et qui réunit,
notamment Lübeck, Rostock, Dantzig, puis Hambourg]…
L’essentiel est néanmoins de retenir que de telles foires favorisent grandement le développement du
droit commercial international, car de celles-ci naissent les premières difficultés juridiques qui
appellent un règlement approprié. C’est ainsi que naissent des juridictions spéciales pour connaître de
ces litiges commerciaux internationaux, mais aussi un droit spécifique, par une renaissance du droit
romain mais adapté aux circonstances et besoins de l’époque, favorisant l’éclosion d’un droit
commercial unifié, lequel est complété par des recueils de coutumes, dont le plus célèbre est sans
surprise celui des foires de Champagne…
L’ensemble contribue à former un véritable corpus dont les principes, communs à tous les marchands
occidentaux de l’époque, constituent un véritable jus mercatorum commune ou jus mercatorum
europééen.
N.B. : c’est également à cette époque que naissent les premiers rudiments d’un droit bancaire et
cambiaire, favorisés par le développement concomitant de l’usage de lettres de change, et de
sociétés de capitaux.

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5) Naissance des Etats-Nations
Peu de temps après l’éclosion de cet embryon d’un droit commercial international moderne,
l’avènement des États-nations va progressivement faire perdre au droit du commerce international son
universalité.
En effet, jaloux de leurs prérogatives souveraines, les États-Nations vont se doter de règles propres à
leur ordre juridique en matière commerciale. L’on parle alors d’un phénomène de “nationalisation”
des droits commerciaux, dont l’exemple le plus topique en France est l’adoption, par Colbert en 1673,
de l’Ordonnance du commerce. C’est alors que les juristes sont appelés à réfléchir non plus sur les
bases [ou plutôt, les fondements] d’un droit commercial commun [le jus mercatorum précité], mais
bien davantage sur des conflits de lois ou de coutumes…
Ce phénomène va d’ailleurs aller en s’amplifiant au cours des XIXe et XXe siècles, pendant lesquels
le droit commercial de chaque État va certes gagner en autonomie [par rapport au Droit civil – cf.
l’adoption, en 1807, d’un Code de commerce en France], mais justifier d’autant le recours aux
techniques du droit international privé pour résoudre des conflits de lois ou de compétence, ce qui
n’allait guère favoriser l’émergence d’un droit du commerce international spécifique…

6) Mondialisation
Dernière étape, enfin, celle du mouvement contemporain dit de mondialisation. À ce sujet, un
économiste, MICHALET, a démontré que ladite mondialisation [de l’économie] avait revêtu trois
phases successives. [Charles-Albert MICHALET (1938-2007), co-fondateur du Cercle des
économistes, spécialiste des multinationales].

PHASE 1 PHASE 2 PHASE 3

D’abord, jusqu’aux années 1960, Ensuite, deuxième phase de la Enfin, la dernière mue de l’économie
la mondialisation de l’économie mondialisation, celle de internationale s’opère à la fin des
revêtait la forme d’une économie l’économie “multinationale” années 1980 et au début des années
internationale. Qu’est-ce à dire ? [toujours selon MICHALET]. 1990, lorsque naît l’économie
Eh bien ! Cela signifie que les Les flux d’investissement “globale” [toujours selon la
échanges de biens et de services direct s’accroissent et les présentation de MICHALET –
s’effectuaient entre les économies sociétés multinationales Possible illustration de ces trois phases
des États-Nations. Autrement dit, gagnent en puissance par un graphisme animé ?].
les barrières douanières - économique, réduisant Caractérisée par un affranchissement
protectionnistes - sont fortes, les d’autant - quoique [de la part des sociétés
emprunt publics sont garantis par progressivement - le pouvoir multinationales] par rapport aux
les États… Bref, les États sont à politique des États. États-Nations mais surtout par la
la manoeuvre ! L’exportation cède recherche de la rentabilité maximale
progressivement du terrain des investissements financiers, cette
face à la filialisation, i.e. dernière phase emporte libéralisation,
l’implantation à l’étranger de déréglementation et, plus
filiales de production et les généralement, décloisonnement. Le
États accompagnent ce village devient mondial et mis à part
mouvement, spécialement quelques irréductibles Gaulois qui
lorsqu’il permet l’éclosion de résistent encore et toujours à
“champions nationaux”… l’envahisseur … le système de gestion
financière globale se met en place et
s’impose. Par conséquent, se
multiplient les délocalisations, le

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déclin de l’industrie, l’essor des
sociétés de services et, avec elles, la
multiplication des crises économiques
de grande ampleur…

La perspective historique étant à présent réalisée, il est grand temps d’aborder la question des sources
du droit du commerce international, autrement dit l’encadrement de ce dernier.

L’encadrement du commerce international

Introduction : protectionnisme et libre-échange


De façon générale, deux sortes de politiques peuvent être conduites lorsqu’il s’agit d’encadrer le
commerce international.
L’on peut soit épouser les thèses du protectionnisme [cher à Colbert…], soit celles du libre-échange.
À l’échelon international, l’on sait que les vertus du libre-échange sont fermement vantées par
l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), laquelle combat résolument toute initiative
protectionniste de la part des États qui en sont membres.
À l’échelon régional [l’on y reviendra], l’on sait également que l’Union européenne, dès sa création,
a entendu favoriser, par l’intermédiaire des grandes libertés de circulation reconnues aux
opérateurs économiques, le libre-échange.
Quels sont donc les avantages de pareil système ?
Libre-échange - premier avantage : Le libre-échange suppose la libre concurrence [i.e. non faussée],
laquelle est censée offrir aux opérateurs la meilleure garantie d’un résultat économique optimal.
Faut-il pour autant ne voir dans le protectionnisme que des désavantages ?
La plupart des pays en développement ne le pensent pas…
Ainsi, ces derniers évoquent :
Protectionnisme - premier avantage : La nécessité de protéger une production débutante - donc
fragile et peu puissante -, par rapport à la concurrence étrangère, passerait nécessairement par
l’instauration de barrières protectionnistes.
Protectionnisme - deuxième avantage : Le protectionnisme national aurait pour vertu de résister à
une concurrence internationale déloyale. Celle-ci, en effet, par la mise en œuvre d’une politique
fondée sur le dumping, i.e. une politique d’exportation à très bas prix [inférieurs aux coûts réels de
production] pourrait pénétrer ainsi un marché national, entrainant aussitôt des conséquences
dramatiques pour une production nationale.
Quoi qu’il en soit et au-delà de ces généralités, il demeure que les États, s’ils ne peuvent se
désintéresser du commerce international - notamment dans une perspective de régulation - n’en sont
pas moins inaptes à pouvoir, seuls, tout régler. Un encadrement interétatique [via des traités
internationaux ou la création d’organisations interétatiques] est donc nécessaire.
Tels sont les deux types d’encadrement que l’on va à présent étudier plus en détails :

11
o l’encadrement interétatique, d’une part (I),

o l’encadrement étatique, d’autre part (II).

o MAIS [il y a toujours un “mais”], ce type d’encadrement n’est pas exclusif. Des sources
normatives non étatiques sont également à connaître, ce sera l’objet d’un (III).

I. L’encadrement interétatique

● Types de réglementation :

D’une part, donc, l’encadrement interétatique.


Le premier mode de réglementation interétatique est, bien entendu, le traité, i.e. le pacte entre États,
lequel peut connaître deux formes différentes : bilatérales ou multilatérales.
Comme son nom l’indique, le traité bilatéral est celui qui unit un État à un autre de manière à
faciliter, en notre matière, leurs relations commerciales. La plupart des traités bilatéraux [la France est
signataire d’un grand nombre d’entre eux, en raison de son statut de Nation commerçante ancienne]
ont pour point commun d’être construit de la même manière, c’est-à-dire qu’ils comportent
généralement, pour la plupart donc, des clauses particulières [lorsqu’un contentieux préalable avait
vocation à être réglé par traité] et des clauses générales, plus habituelles dans ce type d’accords
commerciaux.
S’agissant d’ailleurs de ces clauses habituelles, celles-ci ont traditionnellement deux objets.
o Le premier est celui de faciliter, sur le territoire de chaque État signataire, l’installation
de groupements commerciaux [d’entreprises] en provenance de l’autre État.
o Le second est celui de faciliter, comme l’on a déjà pu le dire, les échanges commerciaux
entre les deux États signataires. En ce cas, l’on parle d’accord commercial [et celui-ci peut
être conclu dans le cadre de l’OMC mais ce n’est pas obligatoire].
Concrètement, les clauses destinées à faciliter de tels échanges commerciaux prévoient
généralement 3 éléments :
- Une condition de réciprocité [i.e. que les tarifs douaniers seront identiques dans l’État A et
dans l’État B] ;

- Une assimilation au national [l’on place ainsi sur un pied d’égalité, notamment d’un point de
vue fiscal, les produits de l’État A et de l’État B, importés sur le territoire de l’un et de
l’autre];

- Une stipulation relative à la Nation la plus favorisée [laquelle a pour but d’aligner le régime
douanier, fiscal ou autre, applicable aux produits de l’un des deux États signataires, sur celui
dont bénéficie l’autre État en vertu d’un accord préalable passé par ce dernier].

Relativement aux traités multilatéraux, à présent, comme leur nom l’indique également, il s’agit de
traités dans lesquels le nombre d’États signataires est, au moins, supérieur à deux.

12
En matière de commerce international, les traités multilatéraux sont plus communément appelés
“Conventions internationales” et celles-ci sont, habituellement, de deux sortes. L’on distingue en
effet les conventions multilatérales dites “de conflit”, des conventions multilatérales dites “de droit
[matériel] uniforme”.
Brièvement, de quoi s’agit-il précisément ?
S’agissant tout d’abord des conventions multilatérales dites “de conflit”, celles-ci sont, tout
simplement, des conventions internationales contenant des stipulations destinées à régler des conflits
de lois.
L’archétype de ces conventions est ainsi la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable
aux obligations contractuelles, déjà rencontrée [et désormais remplacée par le règlement (CE) n°
593/2008, dit “Rome I”].
Par opposition à ce type de conventions, l’on rencontre également, ensuite, des conventions
internationales dites de “droit [matériel] uniforme”. Il s’agit alors de conventions qui ont pour
vocation de trancher directement des questions de droit sur un point particulier, sans le détour d’une
règle de conflit de lois.
Il s’agit, en quelque sorte, pour les besoins du commerce international, d’une réglementation
équivalente à celle que l’on peut trouver en droit interne mais spécifiquement applicable aux
opérations de nature internationale. Il faut donc comprendre que ces conventions ne se substituent
pas au droit interne applicable en la matière [le champ d’application n’est pas le même] mais, en
revanche, elles se substituent au droit étatique qu’une règle de conflit de lois pourrait avoir
désigné.
L’archétype de ces conventions est sans doute la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente
internationale de marchandises [plus couramment appelée CVIM], qui constitue ainsi le droit commun
[uniforme] de la vente internationale pour l’ensemble des États qui l’ont signée et ratifiée [v. infra].
L’on peut cependant citer, également, les deux Conventions d’Ottawa du 28 mai 1988,
respectivement sur le crédit-bail mobilier international et l’affacturage international.

● Traités créateurs d'organisations internationales :

Parallèlement à ces deux types de traités [bilatéraux ou multilatéraux], l’on rencontre également des
traités qui ont vocation à mettre en place des institutions interétatiques dont l’autorité s’imposera
aux États signataires [l’on parle alors d’abandon partiel - mais volontaire - de souveraineté et de
transfert de compétences]. Ces traités sont très importants à connaître, principalement en raison de
leurs enjeux/conséquences pour les États signataires.

En effet, ces derniers s’engagent, en les signant [et surtout en les ratifiant] à appliquer les
décisions que pourraient prendre les institutions interétatiques nouvellement créées, lesquelles
s’imposent à eux et, le plus souvent, de tels traités prévoient en outre le recours obligatoire [à tout le
moins, organisé] à un organisme de règlement des différends.

Vous connaissez sans nul doute un certain nombre de ces institutions, lesquelles peuvent avoir été
créées soit à un échelon mondial, soit à un échelon régional.

S’agissant tout d’abord des institutions à l’échelon mondial, il y a notamment :

d’une part les accords de Bretton Woods, lesquels d’autre part, l’Accord de Marrakech, par
ont créé le Fonds Monétaire International [ou lequel fut créé l’Organisation Mondiale

13
FMI] le 22 juillet 1944 ; du Commerce, le 15 avril 1994.

S’agissant ensuite des institutions à l’échelon régional, vous connaissez la plus célèbre d’entre elles,
l’ancienne Communauté européenne, devenue, à la suite de traités successifs, l’Union européenne.

La Banque Centrale Européenne (BCE) La Commission européenne

Le Conseil de l'Union Européenne Le Parlement européen

Mais il existe aussi l’Accord de Libre-Échange Nord-américain [ou ALENA], qui réunit le Canada,
les États-Unis d’Amérique et le Mexique, depuis 1994, ou encore le Mercado Comun del Sur [ou
Mercosur], qui réunit depuis 1991 l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Chili, le Paraguay et l’Uruguay.

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Logo de l'ALENA ; en anglais :
la North American Free Trade Agreement (NAFTA)

Logo du Mercosur et répartition des états membres

Envisageons donc brièvement ces institutions tour à tour, en commençant par les institutions à
vocation mondiale (A) puis en enchaînant sur les institutions à vocation régionale (B) [mais sur
lesquelles nous irons beaucoup plus vite].

A. Les institutions à vocation mondiale


Au sein des différentes institutions à vocation mondiale que l’on peut recenser, six d’entre elles
appellent plus particulièrement l’attention. Il s’agit, par ordre d’importance, du GATT (auquel a
succédé l’OMC - Organisation Mondiale du Commerce), du FMI (Fonds Monétaire International), de
la CNUDCI (Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International), de
la Conférence de La Haye, d’UNIDROIT et, enfin, de l’OCDE.

Voyons donc, brièvement, chacune de ses institutions plus en détails.

1) GATT et OMC
Le GATT ou General Agreement on Tariffs and Trade [en Français, Accord Général sur les tarifs
douaniers et le commerce], fut signé le 30 octobre 1947 et entra en vigueur le 1er janvier 1948.

Il faut tout de suite concéder que cet accord n’a pas créé d’organisation internationale per se mais
il doit sa mention ici en sa qualité de précurseur à l’OMC. Concrètement et malgré toutes ses
imperfections [notamment une structure réduite et un nombre de pays signataires très faible], il
s’agissait d’un accord qui offrit un cadre de discussion et de négociations multilatérales à un
grand nombre de pays et, jusqu’en 1994, ce sont pas moins de huit cycles de négociations qui ont
été initiés sous son égide.

N.B. : la méthode suivie était relativement simple. Susciter des négociations commerciales
multilatérales entre le plus grand nombre d’États, de façon à faire accepter à ces derniers, in fine,
un certain nombre d’accords dans les secteurs d’activité concernés [en faisant tomber,

15
naturellement mais petit à petit, le plus grand nombre d’obstacles aux libres échanges
commerciaux internationaux].
Quoi qu’il en soit, l’essentiel à retenir est que ce système a favorisé l’éclosion de l’Organisation
Mondiale du Commerce [laquelle a été dès le départ conçue comme le continuateur du GATT mais
en mieux : gommage des imperfections, amélioration des points positifs].
Créée par l’Acte final de l’Uruguay Round le 15 avril 1994 [à Marrakech… au Maroc !], cette
Organisation, qui comptait 112 pays membres à l’origine et en compte aujourd’hui [au 15 avril
2020] 164, a son siège à Genève et est entrée en fonction le 1er janvier 1995.

2) Le FMI
Relativement au Fonds Monétaire International, à présent, celui a été créé en 1944 - comme l’on a pu
le voir -, à l’issue de la conférence de Bretton Woods, tout comme l’ancienne BIRD [Banque
Internationale pour la Reconstruction et le Développement], qui est depuis devenue la Banque
mondiale [illustrations par logos et sièges de ces deux institutions].

De ses débuts [en 1947] et jusqu’au début des années 1970, ce Fonds avait pour objectif de mettre en
place un système monétaire international, à la fois multilatéral et libéral. Reposant sur l’étalon de
change-or, il opérait, dans certaines limites, un contrôle des variations de taux de change des
monnaies, ce qui, d’ailleurs, fonctionnait plutôt bien.

Toutefois, dans les années 1970, les États-Unis d’Amérique [dont leur monnaie, le dollar américain,
était devenue la principale sur le plan international] annoncèrent l’abandon par eux de l’étalon change-
or et le flottement de leur monnaie.

Par suite, plusieurs États emboitèrent le pas aux États-Unis d’Amérique et, en 1976, les Accords dits
de la Jamaïque actèrent la création d’un nouveau système monétaire international, désormais
fondé sur la démonétisation de l’or, la définition de droits de tirage spéciaux par rapport à ce que
l’on appelle un panier de monnaie [aujourd’hui, le dollar US, l’euro, la livre sterling et le yen] et qui
constitue, en quelque sorte, un actif de réserve international, destiné à compléter les réserves de
change officielles des pays membres du FMI.

Note concernant les Droits de Tirage Spéciaux (DTS) : Le Droit de Tirage Spécial (DTS) n’est pas
une monnaie, pas plus qu’une créance sur le FMI. Il s’agit, très concrètement, d’une créance virtuelle
sur les monnaies librement utilisables des pays membres. Ainsi, les pays détenteurs de DTS peuvent se
procurer lesdites monnaies, soit sur la base d’accords d’échange librement consentis [avec d’autres
pays membres], soit par désignation du FMI [lequel indique alors les pays dont la position extérieure
est forte pour acquérir des DTS de pays dont la position extérieure est faible].
Le DTS sert également d’unité de compte [cf. not. des conventions de transport international].
Retenez que les deux principales missions du FMI sont la surveillance et l’aide & l’assistance.
S’agissant tout d’abord de la surveillance qu’exerce le FMI, il s’agit en pratique, pour un État
membre, d’accepter que sa politique monétaire et financière soit surveillée. Cela inclut, depuis les
origines, la surveillance de la politique de change mais aussi, après plusieurs élargissements de cette
mission initiale, la surveillance des politiques structurelles, tout comme du secteur financier, dans son
ensemble.

16
S’agissant ensuite de l’aide et de l’assistance que le FMI peut être conduit à apporter [au moyen de
ses ressources propres, provenant du versement de quote-parts acquittées par les États membres], une
aide financière [une sorte de prêt, dont les conditions ont été nettement assouplies depuis 2008…] ou,
plus modestement [lorsque la situation n’est point encore trop grave], une assistance technique.
3) Le CNUDCI
S’agissant à présent de la CNUDCI ou Commission des Nations-Unies pour le Droit Commercial
International, celle-ci constitue, comme son nom l’indique, le principal organe de l’ONU dans le
domaine du droit du commerce international.

Créée par la résolution 2205 de l’Assemblée générale de l’ONU le 17 décembre 1966, cette
Commission a pour principal objectif celui de faire progresser le droit du commerce international vers
une unité toujours plus grande [illustration]. L’idée est simple : la disparité des droits étatiques est un
frein au développement dudit commerce international et l’unité [en termes de production normative]
va servir de levier pour ôter ce type d’obstacles… Il s’agit là d’une conception discutable…

Quoi qu’il en soit, les travaux de la CNUDCI sont somme toute très importants puisque l’on dénombre
aujourd’hui plusieurs conventions internationales adoptées dans le domaine du droit du commerce
international.
Parmi celles-ci, l’on peut notamment citer :
o la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de
marchandises, signée à Vienne le 11 avril 1980 [et entrée en vigueur, je vous le rappelle,
le 1er janvier 1988] ;
o la Convention des Nations Unies sur le transport de marchandises par mer [dite Règles
de Hambourg], signée en 1978 et entrée en vigueur le 1er novembre 1992. Depuis lors, nous
avons depuis le 11 décembre 2008 les Règles de Rotterdam (nouvelle Convention NU sur le
contrat de transport international de marchandises effectué entièrement ou
partiellement par mer), lesquelles ne sont toutefois toujours pas encore entrées en vigueur
[20 ratifications requises, seulement 5 au 20 avril 2020]
o la loi-type sur l’arbitrage commercial international (1985), etc.

Note concernant les conventions et lois-types : Ces conventions ou lois-type, ont pour principal défaut
de ne pas être obligatoires pour les États membres de l’ONU. Comprenez par-là que leur adoption
[signature puis ratification] n’est absolument pas contraignante pour les États, ce qui explique que la
plupart d’entre elles, faute d’avoir convaincu un nombre suffisant d’États, demeurent bien souvent
lettre morte…
4) Conférence de La Haye

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À l’instar de la CNUDCI, la Conférence de La Haye de droit international privé a pour objectif la
conception de Conventions internationales destinées à assurer l’unification progressive des règles de
droit international privé.

Initiée pour la première fois en 1893, cette Conférence est dotée, depuis 1951, d’un véritable statut et
sa production normative est impressionnante car, depuis cette date [1951], pas moins de quarante (40)
Conventions, Principes ou Protocoles internationaux ont été proposés.

5) Unidroit
L’Institut international pour l’Unification du Droit privé [ou Unidroit] a été créé, à l’origine, en
1926, comme un organe auxiliaire de la Société des Nations. Lorsque celle-ci fut dissoute, Unidroit fut
reconstitué [en 1940] en vertu d’un accord multilatéral, portant statut organique d’Unidroit.
En vertu de pareil statut, Unidroit est donc une organisation intergouvernementale indépendante, dont
le siège est situé à Rome. Sa vocation est simple : étudier les moyens d’harmoniser et/ou de
coordonner les dispositions de droit privé des États, préparant ainsi ces derniers à l’adoption graduelle
mais progressive de règles uniformes de droit privé.

À l’heure présente, UNIDROIT compte soixante-trois (63) États membres, lesquels ont pour
principal avantage de représenter de façon équilibrée la diversité des systèmes juridiques,
économiques et politiques du globe.

Quoi qu’il en soit, UNIDROIT est surtout connu pour sa production normative en matière de droit
privé matériel [et non pas de conflit de lois] et les normes proposées sont, la plupart du temps,
volontairement techniques. Il est d’usage de les regrouper par catégorie :

● Les conventions internationales : Il y a cependant peu de conventions de ce genre qui ont été
à ce jour adoptées par les États, à l’exception notable de la Convention d’Unidroit sur les
biens culturels volés ou illicitement exportés, adoptée le 24 juin 1995 et entrée en vigueur le
1er juillet 1998 [48 États parties à ce jour].

● Lois modèles ou lois types : Face à l’insuccès relatif de la première catégorie, une deuxième
voie a été proposée concurremment par Unidroit pour pallier la lenteur du processus de
ratification de ces conventions. Ainsi l’Institut propose-t-il également des lois modèles ou lois
types, dont l’objectif avoué est celui d’être une source d’inspiration pour les législateurs de
différents États, soucieux d’adapter leur droit privé dans tel ou tel domaine de façon conforme
au projet d’unification porté par Unidroit.

● Les Principes Unidroit : La troisième catégorie est celle qui, sans doute, est la plus connue. Il
s’agit des fameux principes éponymes [c’est-à-dire les Principes Unidroit], lesquels se
présentent comme des normes directement applicables pour les parties à un contrat qui les
auraient désignées et qui peuvent ainsi faire l’objet d’une application concrète par un arbitre
international.

● Les Guides juridiques : Enfin, la quatrième et dernière catégorie est celle des Guides
juridiques, lesquels sont un préalable à l’adoption de ce qui précède [il s’agit, principalement,

18
de porter à la connaissance des praticiens, des magistrats, des États, de nouvelles formes de
pratiques commerciales, etc.].

6) OCDE
Un mot enfin sur l’Organisation de Coopération et de développement économique [OCDE],
l’ancienne OECE [Organisation européenne de coopération économique]. Siégeant à Paris, cette
Organisation a pour but d’être un Observatoire des politiques économiques des États qui en sont
membres et d’être à l’issue une instance de proposition en vue de l’amélioration desdites politiques.

Ce qui nous intéresse ici est l’un de ses objectifs principaux, lequel consiste à [je cite] : “ contribuer à
l’expansion du commerce mondial sur une base multilatérale et non discriminatoire conformément
aux obligations internationales”. Dans ce cadre, l’OCDE a ainsi pu proposer aux États membres
l’adoption de ses “Principes directeurs pour les entreprises multinationales”.

La litanie des institutions à vocation mondiale est à présent terminée. Abordons donc - mais très
brièvement - l’étude des institutions à vocation régionale, ce qui ne concernera, de notre point de
vue, que la seule Union européenne.

B. Les institutions à vocation régionale


La difficulté en la matière est la suivante : destiné à ne régir que les rapports interétatiques, le
droit de l’Union, spécialement en matière commerciale, n’est pas censé se confondre avec le droit
commercial international [v. toutefois, dans l’une des leçons suivantes, le cas des sociétés
commerciales].
Cependant, l’Union européenne, dans certains champs d’action, peut être amenée à gouverner les
rapports commerciaux se nouant dans un espace géographique plus large que celui que forme la
réunion de l’ensemble des territoires des États membres. Tel est notamment le cas de l’Union
douanière ou de l’Union économique et monétaire. C’est ce que nous envisagerons d’ailleurs plus
particulièrement ici.
1) L’Union douanière
Lorsque, le 25 mars 1957, le traité de Rome créa le Marché commun, une référence expresse au
GATT fut effectuée, en ce sens que l’Union douanière envisagée pour la mise en œuvre dudit Marché
commun devait s’entendre exclusivement par référence à l’acception de ce terme reçue par le GATT,
ce qui impliquait alors :
o la constitution d’un seul territoire douanier ;

o l’élimination, “pour l’essentiel”, des “droits de douane” et “autres réglementations


restrictives” ;
o l’instauration d’un tarif douanier commun

Concrètement, cela signifie que depuis lors :


1°. À l’intérieur de l’Union européenne (l’ex-Communauté économique européenne), la règle est
celle de l’interdiction de droits de douane, de taxes à effet équivalent, de restrictions quantitatives à
l’importation ou à l’exportation et de toutes mesures d’effet équivalent (Art. 28 FUE, not.) ;
2°. À l’extérieur de l’Union européenne (donc dans les rapports entre États membres et États tiers),
les règles sont celles du tarif douanier commun, posées pour la première fois par le règlement du
Conseil n° 950/68 du 28 juin 1968, entré en application le 1er juillet de la même année. Désormais,
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l’ensemble de la matière est régi par un Code des douanes de l’Union, dont l’objet est de fixer et de
définir la législation applicable aux importations et exportations de marchandises entre l’Union et les
pays tiers. Le texte actuellement en vigueur procède du Règlement (UE) n° 952/2013 du Parlement
européen et du Conseil du 9 octobre 2013 (JOUE, L 269 du 10 oct. 2013, p. 1), modifié [lien vers le
texte], entré en vigueur le 30 oct. 2013.
[Il y aurait encore beaucoup à dire sur le commerce extérieur de l’UE et, notamment, sur les rapports
UE et OMC, mais …]
2) L’Union économique et monétaire
Second point à connaître en relation avec le droit de l’Union, l’Union économique et monétaire
(UEM).
Vous êtes tous informés que, le 7 février 1992, le traité de Maastricht, créa, en même temps que
l’Union européenne, l’ECU [European Currency Unit], devenue par la suite Euro, c’est-à-dire une
monnaie unique, commune à un groupe d’États membres, gérée par une Banque centrale européenne
indépendante.
Entré en application le 1er janvier 1999 et mis en circulation le 1er janvier 2002, l’Euro est depuis
lors devenu la monnaie unique commune à un certain nombre d’États membres, dix-neuf (19) à
l’heure actuelle. Concrètement, cela signifie que les États membres concernés [ceux relevant de la
zone Euro] ont aliéné leur souveraineté monétaire au bénéfice de l’Union, laquelle fixe donc
aujourd’hui seule les règles à ce sujet… [en théorie]…
Ainsi, s’agissant notamment de la question des transfert monétaires, celle-ci est réglée directement par
l’actuel traité FUE, lequel établit, en son article 63 la position de principe en la matière. Il stipule en
effet que [je cite] :
“1. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de
capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites.
2. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux paiements entre les
États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites”.
Comme l’on peut le constater, le titre de compétence de l’Union en ce domaine couvre aussi bien le
champ spatial de l’Union que celui, plus vaste, du globe. Pour autant, la distinction que l’on peut
établir entre le droit de l’Union et le droit du commerce international resurgit dans les limites que pose
le traité FUE lui-même à ce cadre d’exercice des compétences de l’Union. Ainsi, en ses articles 65 et
66, le traité prévoit notamment que [je cite à nouveau] :
[Article 65, § 1er] :
“L’article 63 ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres :
a) d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction
entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur
résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ;
b) de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et
règlements, notamment en matière fiscale ou en matière de contrôle prudentiel des établissements
financiers, de prévoir des procédures de déclaration des mouvements de capitaux à des fins
d’information administrative ou statistique ou de prendre des mesures justifiées par des motifs liés à
l’ordre public ou à la sécurité publique ”.
[Article 66] :

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“Lorsque, dans des circonstances exceptionnelles, les mouvements de capitaux en provenance ou à
destination de pays tiers causent ou menacent de causer des difficultés graves pour le fonctionnement
de l’Union économique et monétaire, le Conseil, statuant sur proposition de la Commission et après
consultation de la Banque centrale européenne, peut prendre, à l’égard de pays tiers, des mesures de
sauvegarde pour une période ne dépassant pas six mois pour autant que ces mesures soient
strictement nécessaires ”.
N.B. : malgré ses dispositions extrêmement restrictives pour les États membres (en termes de marges
de manoeuvre), il faut signaler que la France, dans son Code monétaire et financier, n’a pas craint de
légiférer sur ces questions, prévoyant ainsi, à l’article L. 151-1 dudit Code, que :
“Les relations financières entre la France et l’étranger sont libres.
Cette liberté s’exerce selon les modalités prévues par le présent chapitre, dans le respect des
engagements internationaux souscrits par la France”.
Cette réserve honore la France mais les dispositions suivantes (Article L. 151-2, prévu “pour assurer
la défense des intérêts nationaux” et, surtout, Art. L. 151-3) ne paraissent guère compatibles avec le
principe que l’on vient de voir plus haut…
L’étude de l’encadrement interétatique du commerce international étant à présent achevée, il est temps
d’examiner l’encadrement étatique en la matière.

II. L'encadrement étatique du commerce international

1) Moyens de réglementation

Il y a bien entendu plusieurs moyens, pour un État, d’encadrer le commerce international. Cependant,
d’un point de vue strictement étatique, lesdits moyens sont, somme toute, limités : il y a la loi
[entendue ici lato sensu, i.e. en ce inclus, pour la France, les règlements] et la jurisprudence…
Ainsi, en France, l’on a déjà pu laisser entendre que le Code de commerce ne comportait pas de
dispositions générales relatives au droit commercial international [les dispositions spéciales figurent
en effet dans des textes particuliers, sectoriels, comme le droit douanier, le régime international des
sociétés commerciales, etc.]. C’est dire que, en la matière, le rôle de la jurisprudence et, plus
particulièrement, de la Cour de cassation, a été considérable.
De façon très schématique, l’on a déjà pu dire que les règles [ou, plus généralement, les normes] en la
matière sont, essentiellement, de deux formes : l’on distingue ainsi les règles de conflit de lois des
règles matérielles.
À la différence toutefois du droit international privé, où les règles de conflit de lois prédominent,
en droit du commerce international, la tendance est inversée : les besoins des opérateurs de ce
type de commerce - en termes de prévisibilité et de sécurité juridique - sont en effet plus grands,
principalement en raison de l’importance des enjeux.
Si la plupart de ces règles se retrouvent en matière d’arbitrage commercial international, l’on peut
toutefois mentionner, en raison de leur résonance pratique et de leur caractère archétypal, les règles
matérielles élaborées à propos de la validité des clauses or ou des clauses libellées en monnaie
étrangère.
Pendant longtemps, la validité de telles clauses a en effet été exclue. En droit français, celles-ci sont
néanmoins valables à présent et cela, même si la loi étrangère applicable au contrat les considère
nulles [comme a pu l’exprimer la Cour de cassation dans deux arrêts célèbres, l’arrêt Pélissier du

21
Besset du 17 mai 1927, déjà mentionné et, surtout, l’arrêt Messageries maritimes, du 21 juin 1950,
suivi d’un arrêt éponyme, rendu cette fois-ci par la Chambre commerciale de la Cour de cassation,
le 29 oct. 1964]. Les nécessités propres du commerce international semblent justifier l’adoption de ce
régime de faveur.
L’on peut également mentionner ici le cas de la garantie à première demande, dont le régime a été
forgé directement par la Cour de cassation, en raison, une fois encore, des contraintes du marché
international du crédit [aujourd’hui encore, alors même que régime de droit interne et régime de droit
international se sont fortement rapprochés sur la question, des différences subsistent].
Cette étude de l’encadrement étatique est déjà terminée, et il est temps de conclure l’examen des
sources du droit commercial international par la mention des sources concurrentes [à celles des États]
d’encadrement du commerce international, que l’on peut définir comme les sources “normatives” non
étatiques de la matière.

III. Les sources « normatives » non étatiques


Il serait vain de nier, à la suite de l’observation des activités du commerce international, que le rôle
qu’y tient la pratique dans la production de normes est nul. En effet, loin de se contenter d’être à la
source de nombreux usages [dits du “Commerce international”], la pratique aboutit parfois même à la
création de véritables normes.
Pour s’en convaincre, l’étude de la production de la Chambre de commerce internationale
(CCI) semble nécessaire (A), tout comme celle des normes marchandes internationales, plus connues
sous le nom de lex mercatoria (B).
A. La Chambre de Commerce Internationale (CCI)
Association civile, la Chambre de commerce internationale fut conçue à l’occasion d’un congrès
international sur le commerce qui s’est tenu en 1905 dans la ville d’Atlantic City, aux États-Unis
d’Amérique [le Las Vegas de l’Est] – Ce n’est pourtant qu’en 1920 que ladite CCI fut constituée, lors
d’un Congrès à Paris.
Quoi qu’il en soit, l’idée était la suivante : créer une structure propre à susciter des échanges entre
opérateurs du commerce international et constituer ainsi un interlocuteur apte à représenter lesdits
opérateurs face à des organisations publiques, aussi bien nationales qu’internationales.
L’organisation de l’ensemble est somme toute très simple : elle repose sur des comités (et des
groupes) nationaux, lesquels sont composés, dans chaque pays, de membres collectifs (sociétés
commerciales, organisations professionnelles, etc.) et de membres individuels (experts, universitaires,
etc.).
L’objectif poursuivi est celui d’assurer la plus grande représentativité possible des milieux
commerciaux de l’État concerné, de façon à apporter à la CCI la meilleure information qui soit sur les
besoins et les opinions des opérateurs/acteurs du commerce international [précisons que la CCI est
pleinement indépendante].
Cela dit, il faut également savoir que si les comités (et les groupes) nationaux sont la cheville ouvrière
de la CCI, celle-ci se compose également d’une présidence, d’un comité directeur, d’un comité des
finances, d’un secrétariat international et [très important] d’une Cour internationale d’arbitrage.
Cette dernière joue un rôle majeur dans le domaine de l’arbitrage commercial international,
étant donné qu’il s’agit là, non pas d’une juridiction arbitrale, mais d’une institution qui garantit la
sincérité, l’intégrité des procédures arbitrales menées dans le monde entier à l’occasion de litiges dans
lesquels les parties ont expressément décidé de soumettre la procédure au règlement d’arbitrage de la
CCI. L’ensemble est très complet et la CCI développe en outre la possibilité de recourir à des

22
arbitrages maritimes, à des procédures de référé pré-arbitral et, plus récemment, à une procédure
de règlement amiable des litiges.

● Missions de la CCI :

Quoi qu’il en soit, l’essentiel à retenir ici est que, si la CCI a pour mission première celle de
représenter le milieu des entreprises au niveau mondial, l’une de ses missions annexes est d’être une
force de proposition [pouvant aller jusqu’à la création spontanée] de normes destinées au commerce
international.
Cette mission ou fonction est plus particulièrement dévolue au Département de la politique générale
et des pratiques des entreprises, lequel suscitera la plupart du temps la constitution de commissions
ou de groupes de travail chaque fois que le compte-rendu de groupes et/ou comités nationaux fait
ressentir le besoin de normes nouvelles dans un secteur donné du commerce international.
Sans doute les résultats les plus connus des travaux conduits par ces groupes ou commissions de
travails sont relatifs aux règlements d’arbitrage, déjà brièvement mentionnés. Mais, sur un pied
d’égalité [en termes d’importance], l’on peut sans doute également placer les fameuses “règles et
usances” du commerce international, lesquelles se présentent comme de véritables codifications
privées, dont l’autorité se dégage principalement de la méthode qui a été suivie pour leur élaboration.
L’on peut ainsi citer, à titre d’exemple, les règles et usances uniformes en matière de crédit
documentaire.
Enfin, parmi d’autres, il faut encore mentionner ici les tout aussi fameux lexiques d’abréviations
destinés aux contractants internationaux, lesquels peuvent ainsi, en usant de référence à trois
lettres [du type FOB - pour Free on Board (l’acheteur supporte donc les risques), ou CIF pour Cost,
Insurance and Freight], exprimer un choix très clair en faveur de telle ou telle formule
parfaitement codifiée. L’on regroupe ces fameux lexiques sous l’acronyme Incoterms, ce qui
signifie : International Commercial Terms. Leur version actuelle date de 2020 et elle est entrée en
vigueur le 1er janvier de cette année [la première date de 1936 !]. Leur importance pratique est
considérable !

B. La Lex Mercatoria
Également connues par certains sous le vocable de “normes marchandes internationales”, la lex
mercatoria ou loi des marchands a été principalement systématisée, en doctrine, par GOLDMAN
[Berthold], à partir de deux études retentissantes, respectivement parues en 1964 [aux Archives de
philosophie du droit] et en 1979 [au Clunet ou Journal du Droit international]. À suivre la définition
qu’en donne cet auteur, la lex mercatoria s’entendrait [je cite] des :“règles transnationales que les
partenaires des échanges économiques internationaux se donneraient progressivement à eux-
mêmes, notamment dans le cadre de leurs organismes professionnels, et que les arbitres,
contractuellement désignés pour résoudre leurs litiges, constatent et, par là-même précisent, voire
élaborent à leur intention”.

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De cette définition, l’on comprend que la lex mercatoria serait l’ensemble des normes que les
praticiens du commerce international concevraient puis utiliseraient ensuite au quotidien dans
leurs rapports commerciaux. Certains défenseurs de ces normes vont même jusqu’à parler de
l’existence d’un “ordre mercatique” [la fameuse école de Dijon…].
Quoi qu’il en soit pour l’instant, les spécialistes de la question ont pour habitude d’identifier quatre
éléments caractéristiques de la lex mercatoria :
- Premièrement, il s’agirait essentiellement d’un ensemble de principes, lesquels seraient
partagés [comme une sorte de fonds commun des marchands du monde entier] par tous les
milieux du commerce international. Un auteur anglais [Lord MUSTILL] avait ainsi pu
identifier, dans une étude célèbre, un certain nombre de principes directeurs en ce domaine,
dont les principaux seraient les suivants :
o pacta sunt servanda [selon Lord MUSTILL, tout le système mercatoriste reposerait d’ailleurs
sur ce seul principe. Comme l’énonce un auteur [E. GAILLARD - Clunet, 1995.1], “la
montagne aurait accouché d’une souris”]. ;
o exceptio non adimpleti contractus ;

o etc.

- Deuxièmement, la lex mercatoria serait également nourrie par la production normative


d’organisations ou associations spécialisées en commerce international, à l’instar de ce que
l’on vient de voir avec la CCI et la publication, sous son égide, des “règles et usances
relatives aux crédits documentaires”.

- Troisièmement, la consistance de la lex mercatoria ressortirait également d’un certain nombre


de contrats-types, dans lesquels il faut compter, notamment, les conditions générales de vente
(CGV) que des groupements dominants peuvent finir par imposer à leurs partenaires
commerciaux.

Surtout, l’on dénombre également ici [quoique avec un statut particulier] les documents
destinés à faciliter l’interprétation uniforme des contrats dits internationaux, dont l’exemple
type est constitué par les Règles officielles de la CCI pour l’interprétation des
termes commerciaux [en anglais, Incoterms], dont la rédaction actuellement en usage date du
début de l’année [2020].

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- Quatrièmement, l’on dénombre enfin, parmi les multiples sources à laquelle la lex mercatoria
est supposée puiser, les sentences arbitrales, constitutives d’un certain nombre de normes
que certains se font fort de découvrir dans leur contenu.

La doctrine lexmercatoriste considère ainsi qu’il est du devoir des arbitres de contribuer
à l’élaboration de règles en matière de commerce international, lesquelles, à la suite de la
répétition de leur énoncé dans différentes sentences arbitrales successives, accèderont au statut
de droit commun des marchands et auront ainsi pleine force obligatoire !

Critique : Quel que puisse être à ce stade de l’exposé votre sentiment sur la lex mercatoria, vous devez
savoir que son expansion croissante à la fin des années 1970 a pu être à l’origine d’une “guerre
des tranchées” [le mot est de M. LAGARDE], une véritable “onde de choc” pour le droit
international privé…
Sans dramatiser à outrance ce débat, l’on peut se contenter de rapporter que, pour certains auteurs
[dont M. LAGARDE est sans doute le plus célèbre des représentants], la lex mercatoria n’était rien
moins qu’une menace pour l’ordre juridique international.
Tandis que pour d’autres, dont Philippe KAHN principalement [École de Dijon], la lex
mercatoria devait effectivement mener “bataille”, au nom de “l’ordre mercatique”, contre “le
système étatique ou interétatique”. En effet, l’ordre mercatique devait, selon lui, s’imposer comme
un “ordre agressif, dynamique, affrontant directement ses concurrents” [c’est-à-dire, on l’aura
compris, les systèmes juridiques étatiques et interétatiques qui lui préexistaient].
Les termes du débat étaient ainsi posés. Quels en furent les tenants et les aboutissants ?

● Existence d’un ordre juridique transnational ?

Concrètement, la question qui fut posée à l’occasion de cette fameuse “guerre des tranchées” revenait
à se demander si l’ordre mercatique pouvait [à supposer qu’il existe] constituer à lui seul et en
tant que tel un ordre juridique transnational [ou anational], concurrent direct des ordres juridiques
étatiques et de l’ordre juridique international que constitue la réunion de ces derniers en un ensemble
unitaire.
Pour Berthold GOLDMAN et ses disciples, la réponse était positive. Ainsi écrivait-il, en 1979, que [je
cite] “la lex mercatoria remplit bien la fonction d’un ensemble de règles de droit”. Philippe
KAHN, plus nettement encore, ne craignit pas d’affirmer ultérieurement, pour sa part, que [je cite à
nouveau] “l’ordre mercatique doit maintenir […] son autonomie face aux autres ordres
juridiques…” [sous-entendu, elle était acquise].
À la vérité, toutes ses analyses et ses positions souffraient d’un vice logique insurmontable. En
effet, d’où une règle de droit [interne ou internationale] tire-t-elle son autorité, sa force obligatoire ?

o De la souveraineté des États qui l’ont édictée.

Or, d’où la lex mercatoria tire-t-elle sa légitimité, son autorité et, a fortiori, son obligatoriété ?

o D’elle-même ! répondent ses défenseurs [sans rentrer dans les détails, l’on se
rapprocherait ici, en quelque sorte, d’une nouvelle forme de coutume].

Or, comme M. LAGARDE l’a parfaitement démontré, les clauses contractuelles ou “combinaisons
contractuelles” soi-disant constitutives d’un ordre mercatique ne sont rien d’autre, in fine, que

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l’expression d’un “simple usage par les parties de leur liberté contractuelle”, si bien que
“la répétition n’implique pas l’existence d’une règle de droit matériel de la lex mercatoria”.
Pour le dire autrement, à l’instar de M. KASSIS, toutes ces clauses ne sont en tant que telles rien
d’autres que des “formulaires”, que les opérateurs du commerce international sont libres d’adopter ou
non… Or, si les parties sont libres de choisir ou non de s’y référer, comment peuvent-elles s’imposer
en tant que “règles de droit” [par hypothèse, contraignantes] ?
Berthold GOLDMAN invoquait sur ce point la “loi du milieu”, à laquelle l’on ne peut échapper, tant
elle serait contraignante. Mais, foncièrement, si vous souscrivez à un contrat X ou Y, son respect
provient de la conclusion de l’acte en tant que tel, non d’une quelconque coutume obligatoire ! Et en
cas d’inexécution, comment impose-t-on le respect de telle ou telle norme de l’ordre mercatique ?
Via les arbitres, répondent à nouveau en chœur les tenants de la lex mercatoria. Mais si, malgré le
recours à un arbitre [au demeurant, non obligatoire a priori], la sentence n’est pas exécutée par la
partie qui a succombé, devant qui va-t-on pour obtenir son exécution forcée ? … Devant le juge
étatique ! L’autonomie de l’ordre mercatique, en tant qu’ordre juridique transnational, est donc
un mythe !

● Effectivité de la lex mercatoria :

Cela étant dit, faut-il dénier à la lex mercatoria toute effectivité ? En d’autres termes, faut-il nier son
existence même ?
La réponse est, bien entendu, négative. Pour qui observe la réalité du monde des affaires
internationales, les références à la lex mercatoria ou à certains éléments censés composer cette
dernière sont patentes. Comme un auteur dijonnais a pu l’observer, voici une dizaine d’années [je cite]
:
“[…] du droit des hydrocarbures gazeux à celui des eurocrédits, de l’exploitation commerciale de
l’espace à la gestion des ressources naturelles d’origine agricole, chacune des recherches
collectives et individuelles développées au sein [de l’école de Dijon] a révélé la création par les
opérateurs du commerce international d’un droit matériel transnational du commerce
international” [É. LOQUIN, “Où en est la lex mercatoria ?”, in Études Ph. Kahn, Litec, 2000, p. 23].
Au-delà de cet aspect “savant” des choses, il est permis d’observer que la pratique des arbitres
internationaux révèle également la pleine effectivité de la lex mercatoria. En effet, ces derniers,
lorsqu’ils statuent en droit [et non en qualité d’amiable compositeur], sont autorisés [à tout le moins,
au regard du droit français], à statuer sur le fondement de la lex mercatoria. En effet, aux termes de
l’ex-article 1496 NCPC [je cite] :
“L’arbitre tranch[ait] le litige conformément aux règles de droit que les parties ont choisies [ce qui
pouvait donc inclure la lex mercatoria] ; à défaut d’un tel choix, conformément à celles qu’il estime
appropriées [ce qui autorisait une fois encore le recours à la lex mercatoria]. Il tient compte dans les
cas des usages du commerce [une fois encore, référence explicite à la lex mercatoria].
N.B. : comp. auj. avec les nouvelles dispositions de l’article 1511 CPC.
“Le tribunal arbitral tranche le litige conformément aux règles de droit que les parties ont choisies
ou, à défaut, conformément à celles qu’il estime appropriées. Il tient compte, dans tous les cas, des
usages du commerce” [Comp. avec les dispositions de l’article 1478 CPC pour l’arbitrage interne, où
la latitude reconnue à l’arbitre est beaucoup plus restreinte]. Pour une illustration de l’emploi par les
arbitres de cette latitude, v. not. Sentence CCI n° 8365 (1996), Clunet, 1997, p. 1078.

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Quoi qu’il en soit de cette réalité, il demeure que les ordres juridiques étatiques ne sont pas restés
inactifs face à la montée en puissance de l’effectivité de la lex mercatoria.
Cela a principalement eu pour conséquence que les États ont :
o tantôt intégré la lex mercatoria dans leur ordre juridique,

o tantôt limité ladite lex mercatoria par leur ordre juridique.

⮚ Intégration dans l’ordre juridique étatique :

S’agissant tout d’abord de l’intégration de la lex mercatoria dans les ordres juridiques étatiques, les
exemples les plus notables de cette stratégie [grosso modo, pour mieux la canaliser, autant intégrer
cette lex mercatoria au sein de notre ordre juridique étatique. Ainsi, cela devient du droit étatique et
non plus du “droit” transnational…] s’observent à partir d’arrêts célèbres :
o En premier lieu, l’on a déjà pu parler de la démarche volontariste et libérale de la Cour de
cassation française qui a, par arrêt du 21 juin 1950 [les Messageries maritimes], admis la
validité des clauses monétaires. L’on peut également citer ici un arrêt de la première
Chambre civile de la Cour de cassation du 2 mai 1966, très célèbre également, Galakis
[Trésor public c/ Galakis], dans lequel fut admise la possibilité pour un État de compromettre,
dès lors qu’était en cause un contrat “international”.
o En second lieu, l’on peut également mentionner, au sein cette fois-ci de différentes démarches
interétatiques, l’adoption de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente
internationale de marchandises, laquelle a repris grand nombre de solutions dégagées en la
matière par des sentences arbitrales et rattachées, pour la plupart, à la lex mercatoria.
N.B. : il faut cependant observer que cette Convention limite volontairement la possibilité de se
référer à un usage du commerce international pour trancher un litige dans un sens ou dans un autre.
Ainsi l’article 9 de la Convention prévoit-il que :
1. Les parties sont liées par les usages auxquels elles ont consenti et par les habitudes qui se
sont établies entre elles.
2. Sauf convention contraire des parties, celles-ci sont réputées s'être tacitement référées dans le
contrat et pour sa formation à tout usage dont elles avaient connaissance ou auraient dû
avoir connaissance et qui, dans le commerce international, est largement connu et
régulièrement observé par les parties à des contrats de même type dans la branche
commerciale considérée”.

⮚ Limitation par l’ordre juridique étatique :

Les États soucieux de canaliser l’effectivité de la lex mercatoria ont également la possibilité d’adopter
une stratégie plus agressive, plus “dure”, consistant à venir cantonner l’expansion des normes
marchandes internationales [autrement dit, leur portée].

À s’en tenir ici à un seul exemple, il faut ainsi évoquer qu’en matière de contrats internationaux, les
États n’acceptent, devant leurs juridictions, que les références faites à la loi d’un État pour venir régir
le contrat [Art. 3 du Règlement “Rome I”].

Cette section est presque terminée ! Nous pouvons passer à sa conclusion temporaire...

27
Conclusion temporaire
Ce qu’il faut retenir : Pour conclure ces propos sur les sources du droit du commerce international et,
particulièrement, sur les sources normatives “non étatiques” du droit du commerce international, il
convient de retenir que ce que les praticiens appellent la lex mercatoria est certes une réalité,
une donnée du droit commercial international à prendre en compte MAIS que pareille donnée, pareil
système a deux limites :
- Pareil système ne constitue pas un ordre juridique autonome, transnational ou anational ;
- Pareil système ne saurait avoir le dernier mot en termes de régulation du commerce
international [si les États peuvent parfois être à la remorque de cette lex mercatoria (la
pratique allant toujours plus vite que l’encadrement étatique), ils ont néanmoins toujours le
pouvoir ultime de dicter leur loi aux opérateurs du commerce international].

Thème 2 : Les acteurs du commerce international (Etats)

1) Présentation générale
Au sein des différents opérateurs du commerce international, l’on distingue principalement
comme acteurs majeurs de la vie des affaires internationales les structures sociétaires [et, tout
particulièrement, les sociétés commerciales ou les groupes de sociétés commerciales] et les États.
Si ces derniers sont, bien évidemment et avant tout des animateurs du commerce international
[rôle d’impulsion en complément de son rôle de régulation], ils sont également, parfois, acteurs
dudit commerce international et ce, de manière tantôt indirecte, tantôt directe.
2) Etats acteurs. Rôle indirect.
En qualité d’abord d’acteurs indirects du commerce international, les États peuvent intervenir en
octroyant ou en refusant leur concours à la réalisation de grands contrats internationaux –
lesquels sont, par hypothèse, susceptibles d’être financés par l’État, à tout le moins au titre d’une
garantie.

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L’on se contentera de mentionner ici que ce rôle d’acteur indirect est, en France, principalement joué
par la COFACE (COmpagnie Française d’Assurance pour le Commerce Extérieur), laquelle fut créée
en 1946 par l’État français, avant d’être privatisée en 1994. Il s’agit depuis lors d’une société anonyme
à conseil d’administration qui gère, notamment, des garanties publiques à l’exportation pour le compte
de l’État.
Ces garanties sont destinées à soutenir les exportations et les investissements français à l’étranger :

● assurance prospection,

● assurance risque-exportateur,

● assurance change, etc.

Ce rôle, d’assureur de risques commerciaux est, on le comprend, particulièrement important, pour ne


pas dire essentiel, pour les opérateurs français prenant ce que l’on appelle le “risque du commerce
international”.
3) Etats acteurs. Rôle direct.
En qualité ensuite d’acteurs directs du commerce international, les États interviennent dans les
opérations du commerce extérieur, ce qui signifie qu’ils se retrouvent ainsi partie à un contrat
“international”, que l’on nomme alors “contrat d’État”.
Au sein de ces contrats d’État, une place particulière doit être faite à ceux qui ont pour objet les
investissements internationaux. De tels contrats sont en effet protégés par des conventions
internationales spécifiques, lesquelles peuvent être aussi bien bilatérales que multilatérales.
La plus célèbre d’entre elles est sans doute la Convention pour le règlement des différends relatifs
aux investissements entre États et ressortissants d’autres États, signée à Washington le 18 mars
1965 à l’initiative des Administrateurs de l’ancienne BIRD (Banque Internationale pour la
reconstruction et le développement [voir la page sur le FMI de ce module de cours], devenue
la Banque mondiale.
C’est à cette convention que l’on doit la création du CIRDI, soit le Centre International pour le
Règlement des Différends relatifs aux Investissements.
Sans entrer trop dans les détails ici [s’agissant d’un contentieux très spécialisé], retenez que
l’investisseur étranger ou l’État concerné, dès lors qu’une clause d’arbitrage CIRDI aura été incluse
dans son contrat, verra tout litige en lien avec celui-ci ressortir à la compétence dudit CIRDI. Partant,
des tribunaux étatiques – à commencer par ceux de l’État concerné – ne pourront connaître du litige.
La décision que rendra ultérieurement le CIRDI sera appelée “sentence arbitrale”, et elle sera
immédiatement assortie de l’autorité de la chose jugée. En d’autres termes, elle est définitive, et a
force obligatoire [pour une illustration : voir le site Internet du CIRDI et les sentences arbitrales
publiées]
4) Position du problème.
De façon générale, l’on retiendra que hormis le cas des contrats portant sur des investissements et
soumis à l’arbitrage du CIRDI, les contrats d’État soulèvent une question primordiale relative à
leur nature.
La nature des contrats d'états peut-elle tout d'abord résulter de la qualification retenue par les parties ?
La réponse est négative. Un tel critère n’est pas pertinent, car l’on ne peut se fier à ce qu’ont pu
souhaiter les parties.

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S’agit-il ensuite de contrats relevant du champ d’application du droit international public ? La
question doit être posée, puisque les États sont parties à ces contrats. Cependant, comment caractériser
pareille nature “publiciste” ? Lorsque le contrat est lié aux intérêts spécifiques d’un État ?
Un tel critère est bien trop vague, si bien qu’une discrimination pertinente entre des contrats qui
ressortiraient au Droit international public et ceux qui ressortissaient au Droit international privé ne
semble pas opérative.
5) Position du problème (suite).
Pour mieux comprendre ces enjeux de qualification, un regard pratique doit être porté sur le terrain du
contentieux relatif à de tels contrats d’État.
C’est poser ici la question des immunités souveraines des États, et de leurs effets. L’on verra ainsi
que celles-ci sont pratiquement redoutables, en ce qu’elles peuvent interroger le pouvoir même de
juger des tribunaux étatiques.
6) Plan.
Avant d’abord de voir plus en détails la distinction qui doit être faite entre immunités de juridiction
(I) et immunités d’exécution (II), des prolégomènes s’imposent pour présenter de manière générale
lesdites immunités.

Prolégomènes
7) Immunités des Etats. Principe.
Ainsi que son appellation le donne à penser, le principe dit de l’immunité souveraine interdit à un
État – quel qu’il soit – de laisser une procédure se dérouler sur son territoire lorsque celle-ci est
intentée, soit contre un État étranger, soit contre une organisation internationale, soit encore contre un
agent diplomatique représentant l’un ou l’autre.
Ce principe procède d’un autre, celui de souveraineté des États, et plus encore du corollaire de ce
dernier, i.e. le principe d’égalité des États – souverains – entre eux, ce que résume parfaitement un
adage latin :
Par in parem non habet imperium!
Ce que l’on peut traduire ainsi : Entre égaux, aucun ne dispose du pouvoir de juger l’autre.
En pratique, ce principe trouve une traduction dès le stade de l’assignation. Celle-ci sera en effet
déclarée nulle chaque fois qu’elle aura été signifiée par voie d’huissier [CPC, art. 684, al. 2 :
L'acte destiné à être notifié à une personne ayant sa résidence habituelle à l'étranger est remis au
parquet, sauf dans les cas où un règlement européen ou un traité international autorise l'huissier de
justice ou le greffe à transmettre directement cet acte à son destinataire ou à une autorité compétente
de l'Etat de destination.
L'acte destiné à être notifié à un Etat étranger, à un agent diplomatique étranger en France ou à
tout autre bénéficiaire de l'immunité de juridiction est remis au parquet et transmis par
l'intermédiaire du ministre de la Justice aux fins de signification par voie diplomatique, à moins
qu'en vertu d'un règlement européen ou d'un traité international la transmission puisse être faite par
une autre voie.
Le parquet auquel la remise doit être faite est, selon le cas, celui de la juridiction devant laquelle la
demande est portée, celui de la juridiction qui a statué ou celui de la juridiction dans le ressort de

30
laquelle demeure le requérant. S'il n'existe pas de parquet près la juridiction, l'acte est remis au
parquet du tribunal judiciaire dans le ressort duquel cette juridiction a son siège.]
8) Immunité des Etats. Nature.
S’agissant de la nature des immunités souveraines, celles-ci se définissent essentiellement comme un
principe du droit international public.
En pratique, c’est surtout la portée de ce principe qui a pu faire débat, notamment devant les tribunaux
(sauf renonciation de la part de l’État ou de l’organisme qui pourrait se prévaloir du jeu de
l’immunité). En France, ceux-ci ont initialement considéré que l’invocation d’une immunité
souveraine devait aboutir à une déclaration d’incompétence.
Toutefois, à la suite de travaux doctrinaux, la jurisprudence française considère aujourd’hui qu’une
immunité souveraine emporte davantage un défaut de pouvoir de juridiction.
Illustrations :

● Cass. civ. 1re, 4 févr. 1986, Navire Astor, n° 84-16.453, Bull. civ. I, n° 7 : “dès lors, que les
conditions nécessaires pour le jeu de l’immunité de juridiction existant au profit d’un État
étranger ou d’un organisme agissant sur son ordre ou pour son compte se trouvent
remplies, le juge français perd – sauf renonciation à ce privilège – son pouvoir de juger et
le moyen tiré de cette immunité doit être relevé d’office, même devant la Cour de cassation
[…]” [c’est nous qui soulignons].

● Cass. civ. 1re, 14 nov. 1995, UEO, n° 90-43.633, Bull. civ. I, n° 413 : “les tribunaux
français éta[ie]nt dépourvus, en l’espèce, de pouvoir juridictionnel” [c’est nous qui
soulignons].

● Cass. civ. 1re, 6 nov. 2019, n° 18-16.437, Inédit : “la cour d’appel a exactement déduit, sans
méconnaître les principes de droit international relatifs à l’immunité de juridiction des États
étrangers, que la Fédération de Russie était fondée à opposer son immunité, ce qui privait la
juridiction française du pouvoir de juger” [c’est nous qui soulignons].

9) Immunités des Etats. Sources.


La nature des immunités souveraines étant à présent envisagée, il convient de s’intéresser à leurs
sources.
Sans surprise, c’est le droit international public qui fournit la source de ces immunités.
À ce sujet, il est important de noter qu’une Convention internationale a été adoptée voilà plus de
quinze ans. Il s’agit de la Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des
États et de leurs biens, faite à New York le 2 décembre 2004.
Faisant suite à une résolution de l’assemblée générale des Nations Unies (n° 59/38), cette convention a
été ouverte à la signature de tous les États du 17 janvier 2005 au 17 janvier 2007.
Au 1er septembre 2020, l’on comptait vingt-huit (28) États signataires (dont la France), dont
seulement vingt-deux (22) avaient ratifié la convention.
Or, aux termes de l’article 30, paragraphe premier, de cette convention :

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“La présente Convention entrera en vigueur le trentième jour suivant la date de dépôt du trentième
instrument de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion auprès du Secrétaire général
de l’Organisation des Nations Unies”.
Partant, en l’absence des trente signatures et trente ratifications nécessaires, cette Convention n’est
toujours pas entrée en vigueur.
Pour ce qui concerne la France, celle-ci a signé la Convention le 17 janvier 2007, et l’a ratifiée par
la loi n° 2011-734 du 28 juin 2011.
Aussi, et même si cette Convention peut être perçue comme le reflet du droit international
coutumier en la matière, le droit des immunités souveraines continue donc de faire l’objet d’un
régime particulier à chaque État.
Cela explique que dans les développements qui vont suivre, le droit des immunités qui sera étudié
sera moins celui issu de cette convention des Nations Unies que celui qui trouve à s’appliquer
devant les tribunaux français.
10) Plan.
Suivant en cela une distinction fort classique, nous étudierons successivement :

● le régime applicable aux immunités de juridiction (I),

● puis celui applicable aux immunités d’exécution (II).

I. Immunité de juridiction

11) Immunités des Etats. Evolution.


À titre liminaire, il convient d’observer ici que, classiquement, les immunités des États étaient
considérées comme absolues. En d’autres termes, l’on ne pouvait passer outre, celles-ci s’imposant
donc en toute hypothèse.
Toutefois, en raison de l’accroissement progressif des cas dans lesquels les États étrangers ont
commencé d’endosser le rôle d’acteur du commerce international, les tribunaux français se sont
interrogés sur la pertinence de ce caractère absolu de l’immunité de juridiction.
Du point de vue des partenaires privés avec qui les États étrangers avaient pu nouer des relations
économiques et commerciales (relevant a priori davantage du droit privé que du droit public), il
pouvait en effet apparaître comme choquant que ces États, en cas de difficulté et/ou de litiges avec
leurs partenaires, se retranchent derrière leur immunité souveraine.

32
Ainsi s’explique en France le mouvement de recul de l’absoluité et d’affirmation progressive de la
relativité des immunités souveraines des États étrangers. Son point de départ peut être daté d’un
arrêt du 19 février 1929, dans lequel la Cour de cassation est venue pour la première fois affirmer
le principe dit de l’immunité restreinte de l’immunité de juridiction (Cass. req., 19 févr. 1929 : DP,
1929, 1, p. 73, note SAVATIER).
Depuis lors, ce principe n’a jamais plus été remis en cause.

12) Détermination des bénéficiaires de l’immunité de juridiction.


En pratique, le fait que l’État agisse le plus souvent par le biais d’organismes extrêmement divers a tôt
fait se poser la question de savoir comment déterminer le plus justement possible les bénéficiaires de
l’immunité de juridiction.
La jurisprudence a connu sur ce point une évolution, laquelle est ainsi allée d’un critère dit
organique à un critère plus fonctionnel.

13) Détermination des bénéficiaires : critère organique.


Le critère initial était donc le critère dit organique.
L’idée était la suivante : dans un litige donné, le juge du for devait rechercher si l’organisme mis en
cause possédait une personnalité juridique distincte ou non de celle de l’État étranger concerné.
La mise en œuvre de ce critère aboutissait à des solutions très simples :

● en cas d’absence de personnalité juridique distincte, l’immunité était opposable par


l’organisme en cause, alors que

● en cas d’existence d’une personnalité juridique distincte, l’immunité de juridiction n’était plus
opposable.
Excessivement formaliste, ce critère présentait un inconvénient majeur. Lequel ? Ce critère
permettait à chaque État, au moyen d’une organisation institutionnelle appropriée, de contourner très
aisément la mise en œuvre dudit critère. L’immunité de juridiction pouvait ainsi devenir, avec pareil
critère, toujours invocable !

14) Détermination des bénéficiaires : critère fonctionnel.


Face au risque de fausser la mise en œuvre objective de ce critère organique, la jurisprudence a donc
été contrainte d’évoluer.
Sans abandonner formellement le critère organique, elle est toutefois venue faire de celui-ci un critère
secondaire, le critère déterminant devant le critère dit fonctionnel, tiré de la nature des actes en cause.
Ce critère a pour origine les motifs que le Conseiller CASTETS a exposés dans le rapport qu’il a rendu
dans une affaire “Procureur général de la Cour de cassation c. Vestwig et autres” (Cass. req., 5
févr. 1946 : S., 1947. 1, p. 137) :
“L’État agit tantôt comme souverain en vertu de sa supériorité politique appelée ‘puissance
publique’, tantôt comme non souverain suivant les données du droit privé, en se plaçant sur le pied

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d’égalité avec un particulier. En conséquence, l’immunité joue pour les actes de souveraineté de
l’État, elle reste étrangère ‘aux actes de simple gestion ordinaire’”.

15) Détermination des bénéficiaires : distinction contemporaine.


À la suite d’une systématisation par la jurisprudence comme par la doctrine, la mise en œuvre de ce
critère fonctionnel a abouti à une opposition entre les “actes d’autorité” (acta jure imperii) et
les “actes de gestion” (acta jure gestionis).

● Concrètement, les actes d’autorité sont réputés accomplis jure imperii. Ils manifestent ainsi,
par l’exercice de la puissance publique, la souveraineté de l’État étranger.

● En revanche, les actes de gestion, parce qu’accomplis jure gestionis, ne diffèrent pas
substantiellement de ceux accomplis par de simples particuliers (personnes physiques ou
morales).
La Cour de cassation a consacré cette distinction dans un arrêt du 25 février 1969, rendu à
l’occasion d’une affaire Société Levant-Express (Cass. civ. 1re, 25 févr. 1969, Bull. civ. I, n° 86) :
“Les États étrangers et les organismes agissant par leur ordre ou pour leur compte ne bénéficient de
l’immunité de juridiction qu’autant que l’acte qui donne lieu au litige constitue un acte de puissance
publique ou a été accompli dans l’intérêt d’un service public”.
Confirmée à plusieurs reprises, cette solution peut connaître des formulations variées. Pour une
illustration récente, Voy. Cass. civ. 1re, 12 juil. 2017, n° 15-29.334 et 15-29.335, Bull. civ. I, n° 171 :
“Les États étrangers bénéficient de l’immunité de juridiction lorsque l’acte qui donne lieu au litige
participe, par sa nature ou sa finalité, à l’exercice de la souveraineté de ces États et n’est donc pas un
acte de gestion”.
Pour caractériser les “actes d’autorité” bénéficiant de l’immunité de juridiction, vous aurez compris
que la Cour de cassation exige depuis l’arrêt Société Levant-Express de 1969 que ceux-ci soient des
actes de “puissance publique” ou des actes “accomplis dans l’intérêt d’un service public”. La Cour
s’est inspirée à ce sujet du droit administratif, et de deux critères qui y ont été élaborés en vue de
délimiter les frontières séparant la sphère de compétence des tribunaux administratifs et celle des
tribunaux judiciaires.
Quels sont ces critères ?

● D’abord, un critère objectif [dit aussi formaliste], qui prend en considération la nature
intrinsèque de l’acte litigieux, ainsi que la forme dans laquelle celui-ci a été passé.
(N.B. : de façon très concrète, ce critère permettra à l’État étranger de se prévaloir de
l’immunité de juridiction lorsque l’acte litigieux aura comporté des clauses exorbitantes du
droit commun. En revanche, l’immunité sera écartée toutes les fois que l’État aura agi dans
les formes du droit privé.)

● Ensuite, un critère finaliste, tiré du but poursuivi par l’auteur de l’acte, qui vise à cantonner le
domaine de l’immunité aux actes poursuivant un but d’intérêt public, c’est-à-dire accomplis
dans l’intérêt d’un service public.
En somme, et pour nous résumer, il ressort de la jurisprudence française que le
critère objectif [ou formaliste] peut connaître des limitations, notamment en cas de clauses

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exorbitantes du droit commun. Cependant, ces clauses ne pourront justifier le jeu de l’immunité de
juridiction qu’à la condition qu’elles se rattachent aux prérogatives de puissance publique de l’État
étranger, et qu’elles aient un lien avec l’activité exercée.
S’agissant du critère finaliste, cette même jurisprudence a progressivement défini ce que l’on devait
entendre par l’expression “actes accomplis dans un but d’intérêt public” et relevant donc du champ
positif de l’immunité de juridiction. Il s’agit d’actes de caractère administratif (emprunts émis par
un État étranger, marchés de fournitures ou de travaux, actes de nationalisation ou de réquisition,
exécution de traités internationaux, etc.).
N.B. : l’immunité jouera également, en matière civile, à propos d’actions réelles mobilières ou
immobilières. Cependant, cette immunité sera le plus souvent refusée en cas d’activités de commerce
[renvoi à Cass. civ. 1re, 25 févr. 1969, Soc. Levant-Express, à comparer avec Cass. civ. 1re, 12 juil.
2017, également précité], en matière successorale, ou encore – et surtout – en matière sociale.

16) Tendance contemporaine : restriction du jeu des immunités de juridiction.


À l’heure actuelle, en raison du phénomène croissant des privatisations, lesquelles révèlent un
désengagement corrélatif des États dans les activités économiques, la jurisprudence a tendance à
restreindre l’octroi de l’immunité.
À ce sujet, v. not. Cass. ch. Mixte, 20 juin 2003, n° 00-45.629 et 00-45.630, Bull. Ch. mixte, n° 4, p. 9.
En l’espèce, le refus du Royaume d’Arabie Saoudite de déclarer Mme X… au régime français de
protection sociale ne pouvait être regardé comme un acte accompli jure imperii et participant à
l’exercice de la souveraineté de cet État. Partant, jugé que l’acte en question relevait du droit privé, et
refus d’octroi de l’immunité de juridiction au Royaume d’Arabie Saoudite.

17) Tendance contemporaine : prise en compte accrue du respect des droits fondamentaux.
Ces dernières années, il semblerait également qu’une nouvelle tendance puisse être constatée. L’on
observe en effet que la question des immunités de juridiction est de plus en plus fréquemment
soulevée en considération du respect des droits fondamentaux.
La question fut ainsi posée de savoir si l’immunité souveraine peut/doit être maintenue lorsque
les actes considérés, s’ils ont bien été passés dans l’exercice d’une activité souveraine, n’en sont
pas moins constitutifs d’une violation des droits de l’Homme. Une illustration particulièrement
révélatrice de ce phénomène peut être trouvée dans l’arrêt suivant : Cass. civ. 1re, 2 juin 2004, n° 03-
41.851, Bull. civ. I, n° 158, p. 132.
En l’espèce, un homme avait été arrêté en France pour faits de résistance et déporté au camp de
concentration de Dachau où il dût travailler pour la société BMW. Plusieurs années plus tard, il fit
citer, en novembre 2000, devant le conseil de prud’hommes de Sète, l’État allemand [en vertu du
principe de continuité de l’État] et la société de droit allemand BMW en paiement de la rémunération
du travail effectué pour la période du 16 juin 1944 au 29 mai 1945, ainsi que de dommages-intérêts.
D’un point de vue procédural, la cour d’appel avait déclaré irrecevable l’action intentée par le
demandeur contre l’État allemand, bénéficiaire de l’immunité de juridiction. Un pourvoi en cassation
fut donc formé, auquel la Cour de cassation répondit en deux temps.
D’abord, “les principes qui régissent les relations entre États dont est issu celui de l’immunité de
juridiction postulent que le bénéficiaire de celle-ci est l’État étranger tel qu’il se présente au moment
de l’assignation en justice, en l’occurrence, la République fédérale d’Allemagne, et non tel qu’il était
à l’époque des actes ou faits litigieux”.

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Partant, et ensuite, “c’est à juste titre que l’arrêt attaqué [a retenu] que l’activité de [la personne
déportée] ne pouvait s’inscrire dans le cadre d’une relation de droit privé, alors que le fait de
contraindre des déportés, en territoire ennemi, à travailler dans le cadre de l’économie de guerre
avait été accompli, à titre de puissance publique, par les autorités du Troisième Reich ayant procédé
à l’arrestation et à la déportation de l’intéressé”.
Le moyen fut donc jugé non fondé.

18) Tendance contemporaine : conformité du droit des immunités souveraines aux droits
fondamentaux.
L’on peut également citer un important arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme sur ce
point, dans lequel la Cour a jugé, sur le fondement de l’article 6, § 1er de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que :
“l’octroi de l’immunité souveraine à un État dans une procédure civile poursuit le but légitime
d’observer le droit international” et que l’on “ne peut dès lors en règle générale considérer comme
une restriction disproportionnée au droit d’accès à un tribunal tel que le consacre l’article 6,
paragraphe 1, des mesures prises par une Haute Partie contractante qui reflètent des principes de
droit international généralement reconnus en matière d’immunité des États. De même que le droit
d’accès à un tribunal est inhérent à la garantie d’un procès équitable accordée par cet article, de
même certaines restrictions à l’accès doivent être tenues pour lui être inhérentes ; on en trouve un
exemple dans les limitations généralement admises par la communauté des nations comme relevant de
la doctrine de l’immunité des États” (CEDH, 21 nov. 2001, Al-Adsani c. Royaume-Uni).

19) Renonciation.
Pour conclure sur les immunités de juridiction, il convient de retenir qu’il est semble-t-il
universellement admis que l’on puisse renoncer à de telles immunités.
Toutefois, pour être efficace, cette renonciation doit être aussi bien certaine (i.e. non équivoque)
qu’expresse.
(N.B. : une renonciation implicite pourra néanmoins être admise chaque fois que le bénéficiaire de
l’immunité aura consenti à une clause attributive de compétence ou lorsqu’il aura pris l’initiative de
l’action.)
Question : une clause compromissoire peut-elle également valoir renonciation, à tout le moins
implicitement ?

La question est complexe.


Vis-à-vis des arbitres, il n’y a pas de difficulté. Selon une expression usuelle, “l’arbitre n’a pas de for”,
ce dont on déduit qu’un arbitre n’incarne pas une quelconque justice étatique. En outre, il semble
quelque peu illogique pour un État de vouloir invoquer son immunité de juridiction devant un arbitre
qu’il aura lui-même choisi !
Toutefois, la question a pu se poser de savoir si des juges étatiques pouvaient prononcer l’exequatur
d’une sentence arbitrale à l’encontre d’un État étranger.
Peut-on donc invoquer dans le cadre d’un tel contentieux [celui de l’exequatur] le bénéfice d’une
immunité de juridiction pour l’État étranger ? Selon la Cour de cassation :
“par une telle clause, l’État étranger, qui s’est soumis à la juridiction des arbitres a, par là même,
accepté que leur sentence puisse être revêtue de l’exequatur”.

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⇨ Voir : Cass. civ. 1re, 18 nov. 1986, n° 85-10.912 et 85-12.112, Soc. européenne d’Études et
d’Entreprise (SEEE) c/ Rép. socialiste fédérative de Yougoslavie, Bull. civ. I, n° 266.

20) Transition.
En toute hypothèse, il convient de retenir que, nonobstant le fait que l’on puisse renoncer au bénéfice
d’une immunité de juridiction ou que pareil bénéfice puisse être refusé, il existe une seconde immunité
souveraine qui peut être invoquée à l’encontre de toute procédure d’exécution forcée à l’encontre d’un
État étranger, ses émanations, ou encore ses représentants.
C’est la seconde détente du mécanisme des immunités souveraines : il s’agit de l’immunité
d’exécution.

II. Immunité d’exécution

21) Autonomie.
Il convient de retenir en priorité que l’immunité d’exécution est parfaitement autonome par rapport à
l’immunité de juridiction. Bien qu’à double détente, le mécanisme des immunités souveraines n’admet
donc aucune réelle corrélation entre chacune des deux immunités.

22) Domaine.
Portant sur les biens d’un État étranger – dont ceux qui sont essentiels à l’exercice de ses activités -
l’immunité d’exécution vise à garantir un État contre toute saisie intempestive, “même pour
obtenir paiement de dettes ayant leur origine dans des actes de gestion relevant du droit privé”
(Cass. civ. 1re, 2 nov. 1971, Clerget, n° 69-14.100, Bull. civ. I, n° 278).
Par conséquent, il est permis de dire que l’immunité d’exécution est fonction des biens visés par la
mesure d’exécution. Mais de quels biens parle-t-on ?
23) Biens visés (Etat étranger).
Il peut s’agir de biens immeubles comme de biens meubles, pourvu que leur usage soit clairement
défini : ainsi d’une ambassade, ou d’un navire de guerre.
En pratique, les biens visés par une par une procédure d’exécution forcée seront toutefois davantage
des créances, et plus particulièrement des dépôts bancaires ou des fonds. La difficulté consiste alors
à pouvoir déterminer avec précision l’affectation de tels fonds, ce qui est loin d’être aisé !
Aussi, comment procéder en pareil cas ?
La Cour de cassation s’est prononcée sur ce point dans un important arrêt Eurodif (Cass. civ. 1re,
14 mars 1984, Eurodif c. République islamique d’Iran, n° 82-12.462, Bull. civ. I, n° 98), en énonçant,
à propos de l’immunité d’exécution d’un État étranger, que :
“L’immunité d’exécution dont jouit l’État étranger est de principe ;
Que, toutefois, elle peut être exceptionnellement écartée ;
Qu’il en est ainsi lorsque le bien saisi a été affecté à l’activité économique ou commerciale relevant
du droit privé qui donne lieu à la demande en justice”.

24) Biens visés (organismes publics distincts de l’État étranger).

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S’agissant des biens des organismes publics distincts de l’État étranger, la Cour de cassation a pu
énoncer à leur sujet, dans un autre important arrêt,
“qu’à la différence des biens de l’État étranger, qui sont en principe insaisissables, sauf exceptions,
notamment quand ils ont été affectés à l’activité économique ou commerciale de droit privé qui est à
l’origine du titre du créancier saisissant, les biens des organismes publics, personnalisés ou non,
distincts de l’État étranger, lorsqu’ils font partie d’un patrimoine que celui-ci a affecté à une activité
principale relevant du droit privé, peuvent être saisis par tous les créanciers, quels qu’ils soient, de
cet organisme”
(Cass. civ. 1re, 1er oct. 1985, Sonatrach, n° 84-13.605, Bull. civ. I, n° 236).
N.B. : il ressort de cet arrêt que les biens des organismes publics distincts de l’État étranger font donc
l’objet de ce que l’on appelle une présomption de commercialité.
N.B. : en faisant référence à une “activité principale”, la Cour de cassation semble suggérer qu’une
exception à la règle – donc favorable au jeu de l’immunité – puisse être envisagée, toutes les fois que
les biens en cause seront affectés à une activité de service public, et non à une activité relevant du
droit privé.

25) Evolution récente.


La loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie
économique, dite “Sapin 2”, du 9 décembre 2016 (L. n° 2016-1691 : JORF, 10 déc. 2016), est
récemment venue clarifier le régime de protection des biens des États étrangers situés sur le territoire
français.
Ce nouveau régime se décompose en deux parties : l’une, générale, introduit trois nouveaux textes
dans le Code des procédures civiles d’exécution (CPCE, art. L. 111-1-1 à L. 111-1-3), et l’autre,
spéciale, qui ne fait pas l’objet d’une codification, et crée une sorte de mécanisme de défense à
l’encontre des fonds d’investissement spéculatifs, plus communément appelés “fonds vautours”.

26) Evolution récente (suite).


Sans rentrer dans le détail de ces dispositions, il convient néanmoins de retenir que l’article L. 111-1-1
du Code des procédures civiles d’exécution [« Des mesures conservatoires ou des mesures d'exécution
forcée ne peuvent être mises en œuvre sur un bien appartenant à un Etat étranger que sur autorisation
préalable du juge par ordonnance rendue sur requête ».] est d’abord venu exiger du créancier une
autorisation judiciaire préalable à la mise en œuvre par celui-ci d’une mesure conservatoire ou d’une
mesure d’exécution forcée. Si cette exigence n’est pas inconnue d’autres systèmes juridiques (not. le
système juridique belge), il reste toutefois permis de douter de sa conventionnalité (V. J. HEYMANN,
“La loi Sapin 2 et les immunités d’exécution”, JCP G 2017, 102).
Quoi qu’il en soit, l’article L. 111-1-2 du Code des procédures civiles d’exécution exige ensuite que
des conditions, alternatives, soient satisfaites pour que le créancier puisse obtenir du juge
l’autorisation de procéder à des mesures conservatoires ou d’exécution forcée.
La première condition pouvant être remplie est celle d’obtenir de l’État étranger concerné son
consentement à l’application d’une telle mesure (le plus souvent, par renonciation).
À défaut, une autre condition porte sur l’affectation du bien. L’immunité d’exécution ne pourra ainsi
être opposée au créancier agissant si l’État concerné a réservé ou affecté le bien litigieux à la
satisfaction de la demande qui fait l’objet de la procédure. Il s’agit là cependant d’une possibilité

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prévue par la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 (art. 18, b) ; art. 19, b)), déjà
rencontrée.
Enfin, une troisième et dernière condition prend en compte le cas dans lequel une décision (jugement
ou sentence arbitrale) aura été rendue à l’encontre de l’État concerné, et que le bien en cause aura été
spécifiquement utilisé (ou était destiné à être utilisé) par ledit État autrement qu’à des fins de service
public non commerciales. Un lien doit en outre être constaté avec l’entité contre laquelle la procédure
est intentée.
L’on notera ici que le texte de l’article L. 111-1-2 détaille opportunément (quoique de façon non
exhaustive) quels sont les biens devant être considérés comme “spécifiquement utilisés ou destinés à
être utilisés par l’État à des fins de service public non commerciales”. Il est permis d’y voir une
précision utile par rapport à l’état du droit antérieur, fondée sur une source prétorienne aux contours
imprécis (v. l’arrêt Eurodif, préc.).
L’article L. 111-1-3 du Code des procédures civiles d’exécution vient enfin constituer ce que l’on
appelle un “bris de jurisprudence”, et s’opposer ainsi à la jurisprudence dite Commisimpex de la Cour
de cassation (Cass. civ. 1re, 13 mai 2015, n° 13-17.751, Bull. civ. I, n° 107). Le législateur exige donc
désormais une renonciation expresse et spéciale de l’État étranger à son immunité d’exécution portant
sur ses biens diplomatiques. Il est toutefois permis de penser que la conventionnalité de pareille
mesure est une fois encore douteuse (V. J. HEYMANN, “La loi Sapin 2 et les immunités
d’exécution”, JCP G 2017, 102).

Thème 3 : Les acteurs du commerce international (Sociétés)

Séance 5 : Définition et plan

1) Définition.

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Si les États sont progressivement devenus des acteurs du commerce international, ils ne constituent
pas pour autant les acteurs majeurs dudit commerce international, lesquels demeurent les autres
personnes morales, spécialement les sociétés commerciales.
Les “sociétés” visées peuvent être définies de la même manière que le fait le traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne, en son article 54, al. 2 :
“Par sociétés, on entend les sociétés de droit civil ou commercial, y compris les sociétés coopératives,
et les autres personnes morales relevant du droit public ou privé, à l’exception des sociétés qui ne
poursuivent pas de but lucratif”.
En d’autres termes, est essentiellement concerné par le commerce international tout groupement, à
l’exception des associations – celles-ci ne pouvant prétendre, au mieux, qu’au rang d’acteurs très
secondaires de la vie des affaires internationales…

2) Plan.
À retenir une approche anthropomorphique des sociétés prenant part au commerce international, il est
permis de présenter celles-ci à différents stades de leur développement, de leur “naissance” jusqu’à
leur “mort”.
De façon plus technique, cela signifie que le point à aborder en premier lieu est celui du statut
international des sociétés, de manière à comprendre le lien qu’entretiennent les sociétés avec leurs
créateurs, c’est-à-dire les États (I).
Une fois ce statut connu, quelques étapes de la “vie” d’une société à l’international pourront être
envisagées en deuxième lieu, essentiellement sous l’angle de leur supposée “mobilité” (II).
Enfin, et en dernier lieu, il conviendra de s’intéresser à l’hypothèse de la défaillance économique
d’une société, ce qui revient à traiter de la possible “mort” juridique d’une société, laquelle a pour
nom “faillite” en droit du commerce international (III).
:

I. La "Naissance" des sociétés ou le statut international des personnes morales

3) Division.
À l’international, les sociétés connaissent des problèmes différents de ceux qu’elles peuvent rencontrer
dans un cadre strictement national ou interne.
En effet, en droit interne – i.e. c’est-à-dire au sein d’un ordre juridique étatique déterminé –, les
questions de création, de développement et, éventuellement, de disparition/dissolution d’une société
sont réglées sous l’empire d’une loi unique, la loi interne de l’État concerné.
Or, en droit international, des questions spécifiques se posent, touchant aussi bien la reconnaissance
dans un État B d’une société créée dans un État A que la loi applicable à la société dans ses activités
de dimension internationale.
Très concrètement, l’on peut ainsi se demander :
1. - si une société a une nationalité ?
2. - si une société peut voir sa personnalité morale reconnue ailleurs que dans l’État de sa
constitution (A) ?
3. - quelle loi s’applique à une société dans ses affaires internationales (B) ?

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A. La nationalité des sociétés

4) Difficulté notionnelle. Critique de NIBOYET.


À titre liminaire, une difficulté propre à la notion même de nationalité des sociétés doit être exposée,
car celle-ci, pour certains, ne va pas de soi !
Pour NIBOYET, par exemple, la nationalité établit un rapport d’ordre politique entre un État et
un individu, si bien que l’application de ce concept aux sociétés n’aurait pas de sens : comment un
contrat – le contrat de société – pourrait-il être la source d’un rapport politique ?
En outre, NIBOYET voyait également un problème dans le mode de détermination de cette
nationalité, lequel procède du système juridique des tribunaux saisis d’un problème touchant à cette
question de nationalité des sociétés. Or, une telle attribution – par analogie avec la nationalité des
personnes physiques – ne ferait pas sens non plus, étant donné que chaque État est censé déterminer
ses propres nationaux, si bien que seule la loi de l’État de création de la société devrait dire si tel ou tel
groupement est bien son “national”.
NIBOYET réfutait donc l’emploi du concept de nationalité aux sociétés, et préférait lui substituer
celui d’allégeance, juridique (s’agissant de la loi applicable à la société), ou politique (s’agissant de la
condition propre à la société, i.e. de son statut).
Bien que très réaliste, cette critique n’a toutefois pas été admise par la jurisprudence, ni reçue par la
doctrine. La nationalité des sociétés est ainsi majoritairement acceptée aujourd’hui, et ne fait plus
guère débat.

5) Définition.
Le débat persiste cependant sur un autre point, celui de la définition (et non plus de l’utilisation) de la
nationalité des sociétés.
Nationalité des sociétés : pour quelle raison le débat persiste sur sa définition ? Définir la
nationalité des sociétés comme celle des individus, en voyant dans celle-ci “l’appartenance juridique
d’une personne à la population constitutive d’un État” n’a aucun sens !
Une définition tout à la fois plus large et plus souple est donc nécessaire.
(N.B. : la citation "l’appartenance juridique d’une personne à la population constitutive d’un État" de
l'exercice provient de H. Batiffol, Traité élémentaire de droit international privé, Paris : LGDJ,
2e éd., 1955, n° 60.)
Léon MAZEAUD a ainsi proposé de définir la nationalité des sociétés comme “le lien qui unit une
personne à un État” (L. MAZEAUD, “De la nationalité des sociétés”, JDI 1928, p. 30.).
Une autre vision peut cependant être défendue. Des auteurs considèrent ainsi que la nationalité des
sociétés doit être plutôt fondée sur la compétence d’un État, opposable aux autres États (P.
MAYER, V. HEUZE et B. REMY, Droit international privé, Paris La Défense : LGDJ, coll. Domat
droit privé, 12e éd., 2019, n° 908 et n° 1125.) Le concept se définit donc ici davantage par
l’exclusivité de la compétence qu’il confère à un État que par sa fonction (vision défendue par
MAZEAUD).

6) Subdivision.

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Quelle que soit l’acception retenue, le concept de nationalité, une fois déterminé (1), est utile pour les
fonctions qu’il remplit (2). La question du changement de nationalité pourra toutefois en pratique se
poser (3).

1. La détermination de la nationalité des sociétés.

7) Identification des critères. Siège social.


Comment déterminer la “nationalité” d’une société ? Au moyen d’un ou de plusieurs critères, mais
lesquels ?
Tout d’abord, il y a le critère dit du siège social, c’est-à-dire le lieu où se situe le siège de direction de
la société. Il s’agit d’un critère très clair mais qui a pour spécificité de pouvoir se dédoubler, selon que
l’on retient une acception plutôt formelle ou plutôt matérielle.
Dans une acception formelle, le critère du siège social désigne le lieu qui est mentionné comme tel par
les statuts de la société [mention obligatoire en France, en vertu de l’article L. 123-1 du Code de
commerce].
Dans une acception matérielle, le siège social désigne le lieu de la direction effective de la société,
c’est-à-dire, selon la jurisprudence, le lieu où se situent “la direction supérieure et le contrôle de la
société” (Cass. req., 28 oct. 1941 ; Cass. req., 22 déc. 1941). Il faut entendre par là le lieu où se
réunissent les organes sociaux, et que l’on désigne en pratique comme le “siège réel”.
N.B. : toute la difficulté résidera en pratique dans l’hypothèse d’une dissociation entre siège social
statutaire et siège social réel dans l’espace, soit une hypothèse dans laquelle ces deux sièges non
seulement ne coïncident pas mais se localisent en outre sur le territoire de deux États différents [V.
infra].

8) Identification des critères. Contrôle.


En-dehors du critère du siège social (possiblement dédoublé), il existe également un autre critère, dit
du contrôle.
Né de l’expérience de chacune des guerres mondiales du siècle dernier, le critère du contrôle vise à
distinguer les aspects juridiques des aspects politiques d’une structure sociétaire.
Pour remédier à cette difficulté [une société de droit d’un État A “politiquement” contrôlée par des
ressortissants d’un État B], la Cour de cassation recourut, dans ce contexte bien précis, au critère
du contrôle, c’est-à-dire un critère qui détermine la nationalité d’une société :

● soit par référence à la nationalité des associés majoritaires ou des dirigeants sociaux ( Cass.
req., 20 juil. 1915, Lenzbourg) ;

● soit par référence au centre d’exploitation principal de la société (Cass. req., 12 mai 1931,
Remington Typewriter).
À l’origine d’un certain nombre de dérives, ce critère fit perdre au concept de nationalité des sociétés
sa cohérence.
L’on doit toutefois au Tribunal des conflits d’avoir mis fin à cette situation, en énonçant que :
“la nationalité des sociétés n’est définie par aucun texte général dont l’application ressortirait à la
compétence de l’autorité judiciaire ; qu’elle ne peut être déterminée qu’au regard des dispositions

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législatives ou réglementaires dont l’application ou la non-application à la société intéressée dépend
du point de savoir si celle-ci est ou n’est pas française” (T. confl., 23 nov. 1959, Mayol-Arbona).
En d’autres termes, la nationalité doit depuis lors se déterminer de manière casuistique, c’est-à-dire au
cas par cas !

9) Hiérarchisation des critères.


La solution de l’arrêt Mayol-Arbona signifie-t-elle qu’il ne peut exister aucune hiérarchie entre
ces critères ? La réponse est négative : dans un très célèbre arrêt, la première Chambre civile de la
Cour de cassation est venue énoncer :
“qu’en principe, la nationalité d’une société se détermine par la situation de son siège social” (Cass.
civ. 1re, 30 mars 1971, CCRMA, n° 68-14.124, Bull. civ. I, n° 112).
Par exception [comme au cas d’espèce], d’autres critères pourraient donc être retenus.
Plusieurs arrêts sont toutefois venus par la suite semer le doute sur la pertinence et le maintien de cette
solution. La Cour de cassation a donc dû clarifier sa position, ce qu’elle a fait dans un important arrêt
d’assemblée plénière : Cass. ass. plén., 21 déc. 1990, Soc. Roval, n° 88-15.744, Bull. ass. plén., n° 12.
Pour la Cour, la nationalité “résulte, en principe, de la localisation de son siège réel, défini comme le
siège de la direction effective et présumé par le siège statutaire”.
En termes de hiérarchie, le critère du siège social est donc bien, pour la Cour de cassation, le critère
premier. L’on peut également observer que c’est une acception matérielle du siège social qui est
prioritairement retenue.
N.B. : cette vision peut toutefois être critiquée [v. infra, B. 1].

Point important : la nationalité des groupes de sociétés n’a pas vocation à être traitée, car elle ne fait
a priori pas sens [du point de vue du droit français], étant donné que l’on ne reconnaît aucune
personnalité morale à un groupe de sociétés.

2. Les fonctions de la nationalité des sociétés.

10) Fonctions incontestées.


L’on dénombre traditionnellement trois fonctions incontestées de la nationalité des sociétés.
Il s’agit tout d’abord de la reconnaissance, ensuite de la jouissance de droits, et enfin de la protection
diplomatique.
11) Première fonction : reconnaissance.
Tout d’abord, la nationalité des sociétés a eu pour fonction incontestée de conditionner la
reconnaissance en France de sociétés anonymes de droit étranger.
Cela signifie que l’on a, au moyen de ce concept de nationalité des sociétés, admis sur le territoire
français l’existence d’une personne juridique de droit étranger, et les effets attachés à cette
personnalité juridique.
Reconnaître une société de droit étranger, c’est ainsi accepter de la connaître et, surtout, de connaître
de ses demandes, relatives notamment aux droits que cette entité entend pouvoir revendiquer.

43
En pratique, il est d’ailleurs crucial, pour une société de droit étranger, d’être reconnue en France – ou
dans tout État autre que celui de sa constitution – pour pouvoir, notamment, agir en justice. Dans le
cas contraire, la société serait tout simplement ignorée de l’ordre juridique considéré !
En France, il a fallu plus de cent cinquante (150) ans pour régler cette question, à la suite d’une
difficulté née d’une loi de circonstance du 30 mai 1857. Désormais, depuis une loi de simplification
du droit du 20 décembre 2007, la reconnaissance d’une société de droit étranger ne fait plus de
difficulté, spécialement pour les sociétés créées ou enregistrées dans un État tiers à l’Union
européenne (L. n° 2007-1787, art. 27, II, 4°).

12) Deuxième fonction : jouissance des droits et bénéfice des traités internationaux.
Ensuite, la nationalité a pour fonction de permettre à une société de droit étranger de jouir des mêmes
droits que ses homologues de droit française ou, dans l’hypothèse où un traité international aurait été
adopté, des droits qui lui seraient accordés par ce texte.
L’article 11 du Code civil prévoit ainsi expressément que :
“L’étranger jouira en France des mêmes droits civils que ceux qui sont ou seront accordés aux
Français par les traités de la nation à laquelle cet étranger appartiendra”.
En vertu de ce texte, les sociétés de droit étranger jouissent ainsi, dès lors qu’elles sont reconnues, de
tous les droits qui sont octroyés aux sociétés de droit français, à l’exception de ceux que le Législateur
leur refuserait expressément.

13) Troisième fonction : protection diplomatique.


Enfin, la nationalité des sociétés a pour troisième fonction d’accorder à ces entités le bénéfice d’une
protection diplomatique.
Si l’on voit mal, en pratique, comment une société pourrait se réfugier dans un Consulat ou dans une
ambassade, il faut néanmoins noter que cette question fut expressément envisagée par la Cour
internationale de justice, dans deux importantes affaires.
Dans une première affaire (CIJ, 5 févr. 1970, Barcelona Traction), la Cour internationale de justice a
ainsi affirmé que la protection diplomatique appartient à “l’État sous la loi duquel la société s’est
constituée et sur le territoire duquel elle a son siège social”.
Dans une seconde affaire (CIJ, 20 juillet 1989, Elettronica Sicula), la Cour internationale de justice a
décidé que le bénéfice de la protection diplomatique d’une société pouvait également être accordé aux
associés (détenant 100 % du capital d’une société) ressortissants d’un État, dès lors que l’État sur
lequel la société a situé son siège social aurait pris des mesures portant atteinte aux intérêts de la
société.

N.B. : apparemment contradictoires, ces deux décisions doivent être lues de la façon suivante :

● la protection diplomatique ressortit en principe à l’État sous la loi duquel une société s’est
constituée et sur le territoire duquel elle a fixé son siège social ;

● par exception ou tempérament, lorsque l’État du siège social d’une société porte atteinte aux
intérêts sociaux de cette dernière, les associés majoritaires peuvent invoquer le bénéfice de la
protection diplomatique de l’État dont ils sont ressortissants.

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3. Le changement de nationalité

14) Distinction.
L’hypothèse du changement de nationalité peut être envisagée de façon binaire, selon que ledit
changement est volontaire ou involontaire.
15) Changement volontaire.
S’agissant tout d’abord du changement volontaire de nationalité, celui-ci intervient au cas d’une
modification de la situation du siège social, généralement au moyen d’un transfert [de siège social] ou
d’une fusion transfrontalière [v. infra, Séance 5].
Il convient simplement de retenir ici que la société, en pareil cas, est censée perdre la nationalité de
son État de départ et gagner celle, corrélativement, de son État d’arrivée, à charge bien entendu pour
ce dernier de la lui accorder.
16) Changement involontaire.
Lorsque le changement est involontaire, il faut supposer qu’il procède d’une mutation de souveraineté
[i.e., le plus souvent, d’une acquisition par un État d’un territoire par annexion ou d’une acquisition de
son indépendance par un nouvel État].
Dans ce cas, la question a pu se poser de savoir si les sociétés passées sous souveraineté étrangère
conservaient ou non leur nationalité initiale.
Dans l’arrêt CCRMA, déjà rencontré, la première Chambre civile de la Cour de cassation a considéré
que des sociétés étaient demeurées de nationalité française, nonobstant l’acquisition par l’Algérie de
son indépendance. Pour parvenir à cette décision, la Cour recourut, à titre exceptionnel, au critère du
contrôle en vue de permettre aux sociétés concernées la conservation de leur nationalité française, à
charge pour celles-ci de transférer leur siège social en France.

B. La loi applicable aux sociétés : la Lex Societatis

17) Position du problème.


Lorsqu’une société déploie son activité vers plusieurs États, des situations de conflit de lois peuvent se
produire. Pour régler ce conflit, deux ordres juridiques étatiques peuvent revendiquer l’application de
leur loi : celui où est situé le siège social de la société et celui où sont accomplis, par la société,
différents actes juridiques.
Pour bien comprendre ce qui s’inscrit dans l’orbe du premier ou du second ordre juridique, il convient
de déterminer d’abord la lex societatis, c’est-à-dire la loi applicable à la société (1), pour mieux
envisager ensuite son domaine (2).

1. La détermination de la loi applicable à la société

18) Textes et critères.


La question de la détermination de la loi applicable à une société a vocation à être tranchée par la mise
en œuvre d’un ou de plusieurs critères préétablis. Ces critères ayant pour particularité d’être
partiellement identiques à ceux auxquels l’on peut recourir pour déterminer la nationalité d’une

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société, un risque de confusion peut donc surgir. Pour éviter cette difficulté, il convient en pratique de
bien différencier ces deux questions.
En droit français, deux textes règlent précisément cette question.

● Pour les sociétés civiles, l’article 1837 du Code civil prévoit ainsi que :

“Toute société dont le siège est situé sur le territoire français est soumise aux dispositions de la loi
française.
Les tiers peuvent se prévaloir du siège statutaire, mais celui-ci ne leur est pas opposable par la
société si le siège réel est situé en un autre lieu”.

● Pour les sociétés commerciales, l’article L. 210-3 du Code de commerce prévoit que :

“Les sociétés dont le siège social est situé en territoire français sont soumises à la loi française.
Les tiers peuvent se prévaloir du siège statutaire, mais celui-ci ne leur est pas opposable par la
société si son siège réel est situé en un autre lieu”.
Ces deux textes sont rédigés de façon sensiblement identiques, et retiennent chacun le critère du siège
social pour déterminer la loi applicable à une société dont le siège est situé en France. Par un
phénomène de “bilatéralisation” de ces deux règles de conflit – de facture unilatéraliste –, l’on
parvient ainsi à l’énoncé abstrait, du point de vue de l’ordre juridique français, de la règle de conflit
suivante :
“Si le juge doit répondre à une question relative à la loi applicable à une société, alors il doit appliquer
la loi du lieu de situation du siège social de cette société”.

19) Interprétation. Difficultés.


Une difficulté pourra toutefois surgir en pratique en raison du dédoublement, en fait, du siège social de
la société en cause.
Partant, la question se pose de savoir s’il convient de retenir plutôt le critère du siège social statutaire
[entendu comme le lieu désigné comme tel dans les statuts], ou plutôt celui du siège social réel
[entendu comme le lieu de la direction effective de la société] ?
L’arrêt Société Roval, déjà rencontré, ne s’étant prononcé que sur la question de la détermination de la
nationalité d’une société, la solution rendue dans cet arrêt n’a pas vocation à être reprise en vue de
déterminer la lex societatis d’une société.
Pour trancher cette question, il convient de s’appuyer sur les travaux du Professeur Synvet. Celui-ci a
en effet démontré que ces deux textes ne prennent nullement partie sur la question dans le premier
alinéa de leurs dispositions respectives. Or, à consulter le second alinéa de leurs dispositions, l’on
constate que le dédoublement du siège social y est parfaitement envisagé. Toutefois, il convient de ne
pas lire ces alinéas trop vite, et d’en déduire que le critère retenu par chacun d’eux serait celui du siège
social réel. En effet, si tel devait être le cas, à quoi servirait cet alinéa second pour les tiers ?
L’inopposabilité aux tiers du siège statutaire fictif serait en effet rien moins que redondante !
Aussi, une conclusion logique s’impose : le critère de rattachement de principe pour déterminer la lex
societatis est celui du siège social statutaire (en ce sens, v. ainsi Tribunal de commerce de Paris, 19
oct. 1982, seconde affaire de la Banque ottomane).
À titre d’exception, le critère du siège social réel pourra être invoqué, par les tiers, mais uniquement
en cas de fraude.

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2. Le domaine de la loi applicable à une société

20) Panorama.
Le domaine de la loi applicable à une société gouverne classiquement la constitution, le
fonctionnement et la dissolution de ladite société. Il s’agit donc d’un domaine très large.
La particularité du droit français en la matière est toutefois de ne pas déterminer un tel domaine par la
loi, mais plutôt par la jurisprudence.

21) Constitution.
S’agissant d’abord de la constitution de la société, la lex societatis régit les questions qui y sont
relatives de la façon la plus large possible.
En France, l’on considère ainsi que la lex societatis :

● gouverne la forme sociale que les fondateurs peuvent adopter [SA, SARL, SAS, etc.] ;

● régit tout ce qui concerne la formation du capital [souscription, libération, etc.], ou encore les
apports.

22) Fonctionnement. Droits et obligations des associés.


S’agissant ensuite du fonctionnement de la société, la lex societatis a vocation à régir les questions
relatives aux droits et obligations des associés, tout comme celles qui intéressent les organes de la
société.
Concernant les droits et obligations des associés, la lex societatis gouvernera ainsi :

● les modes d’acquisition et de perte de la qualité d’associé ;

● les devoirs de la société à l’égard de ses associés (Cass. civ. 1re, 17 oct. 1972, Soc. Royal
Dutch, n° 70-13.817, Bull. civ. I, n° 204).
Selon cet arrêt : “les obligations de la société envers ses actionnaires sont régies par la loi
nationale de cette société, en l’espèce, la loi néerlandaise, d’où il suit que cette loi seule
détermine, quel que soit le pays où les titres sont détenus, les conditions dans lesquelles
s’acquiert, se conserve et se perd la qualité d’actionnaire”.

● le droit de vote des associés ;

● les obligations des associés, notamment en termes de “responsabilité” pour dettes.

23) Fonctionnement. Organes sociaux.


Relativement aux organes sociaux, la lex societatis gouverne fort logiquement, outre la forme sociale
de la société, les questions de détermination et de fonctionnement des organes sociaux [délibérations,
participation aux délibérations, etc.].
Concernant le statut des dirigeants sociaux, une distinction peut être faite, selon que l’on envisage
le rapport de ces derniers à la société, ou aux tiers.

47
● Vis-à-vis de la société, il n’est pas douteux que la lex societatis régit les questions s’y
rapportant [par exemple, une action de la société en responsabilité à l’encontre des son/ses
dirigeant(s)].

● Vis-à-vis des tiers, la délimitation du domaine de la lex societatis est plus délicate.

Tout dépend ici du point de vue que l’on adopte.


S’agissant tout d’abord de la question du pouvoir des dirigeants d’agir et de contracter au nom
de la société, celle-ci est sans surprise réglée par la lex societatis, comme l’a rappelé tout récemment
un arrêt de la troisième Chambre civile de la Cour de cassation du 21 septembre 2010 (n° 09-
67.267).
Concrètement, cela signifie que la détermination des pouvoirs des représentants sociaux ressortit à la
compétence de la lex societatis, donc de la loi de l’État dans lequel la société a situé son siège social.
Cette jurisprudence, initiée fort naturellement par la Chambre commerciale, est aujourd’hui, comme
l’on vient de le voir, partagée par la troisième Chambre civile mais aussi par la première Chambre
civile [l’on va y venir sous peu].
[MAIS, comme je vous le disais], tout dépend, pour accepter une telle logique, du point de vue duquel
l’on se place. Si l’on prend celui des représentants de la société, voire même des tiers, la solution
évoquée [donc celle de la compétence de la lex societatis pour déterminer les pouvoirs des
représentants sociaux et l’étendue de ces pouvoirs], ne semble pas choquante. Mieux, elle paraît même
évidente ! Pour autant, les choses ne sont pas toujours si simples…

Songez ainsi à l’exemple suivant : une personne étrangère décide de contracter à l’international avec
une société de droit français, laquelle se retrouve engagée par son représentant social. En pareille
hypothèse, l’on sait que les parties disposent a priori d’une liberté de choix pour déterminer la loi
applicable à leur contrat.
Supposez à présent que tel fut le cas, par exemple que la loi suisse fut choisie comme lex contractus.
Or, quelque temps plus tard, le cocontractant étranger apprend que la société entend remettre en cause
la validité du contrat signé, sur le moyen que son représentant social n’avait pas le pouvoir de
l’engager.
Ainsi, en pareil cas, il y aura potentiellement conflit entre la loi applicable au contrat [la lex
contractus, que celle-ci ait été valablement désignée ou non, d’ailleurs] et la loi applicable à la société
[autrement dit, la lex societatis]. MAIS, comme l’on vient de le voir, un tel conflit doit se résoudre,
s’agissant de la question des pouvoirs des représentants/dirigeants sociaux, au bénéfice de la
seule lex societatis [et donc au détriment de la lex contractus].

Cela ne vous paraîtra peut-être pas surprenant [au vu de ce qui précède] mais la solution choquera en
pratique les cocontractants, plus encore lorsqu’ils auront effectué un choix de loi ! En pratique, en
effet, lorsque l’on signe un contrat “international” avec une société [i.e. avec son dirigeant ou son
représentant légal], l’on ne pense pas nécessairement à vérifier les pouvoirs de ce dirigeant ou du
représentant légal pour engager la société. Et aurait-on choisi une loi applicable au contrat que l’on
s’en remettrait aussitôt à elle !
Or, juridiquement, cette réaction est intenable. Pourquoi ?
Un seul argument suffit à s’en convaincre : imaginez que l’on retienne plutôt la compétence de la lex
contractus pour régler ce genre de questions. Cela signifierait que les pouvoirs des mêmes
représentants sociaux varierait selon la loi désignée comme applicable au contrat, ce qui n’est pas

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acceptable [tant pour la sécurité juridique des transactions que pour celle de la société, au demeurant] :
les pouvoirs des dirigeants sociaux doivent en effet être toujours les mêmes [même lorsque
l’hypothèse de conflit est relative à un cautionnement : en ce sens, v. Cass. civ. 1re, 8 déc. 1998, Soc.
General Accident, Bull. civ. I, n° 345] !

Conclusion 1° :
pour s’en souvenir, il suffit de bien distinguer deux questions de droit [et donc, de qualification
juridique].

● Le problème se situe-t-il sur le plan de la capacité à s’engager du représentant social ? C’est à


la lex societatis de se prononcer.

● En revanche, le problème se pose-t-il en termes de nature ou de régime de l’engagement


souscrit ? En ce cas, c’est à la lex contractus de se prononcer !

Conclusion 2° :
au vu de ce qui précède et dans une perspective pratique, il convient donc de noter qu’il pèse sur les
créanciers de société, du point de vue du droit français, une sorte d’obligation de se renseigner, i.e.
avoir le réflexe d’anticiper la divergence possible entre les droits applicables et de consulter la loi [par
hypothèse étrangère] du lieu de situation du siège de la société cocontractante.
N.B. : beaucoup d’auteurs pensent qu’une telle obligation, un tel devoir plutôt, ne pourrait être
respecté en pratique par les créanciers [et donc ne saurait exister], en raison de la difficulté supposée
de s’enquérir de la teneur d’une loi étrangère [ici, la lex societatis] et des statuts de la société.
Il est toutefois permis de penser que, hormis les hypothèses où l’on viendrait à contracter avec une
société établie dans un système juridique très éloigné du nôtre [et encore !], ce devoir de se
renseigner est inhérent au risque du commerce international !
N.B. : en outre et au demeurant, une telle démarche serait économiquement vertueuse car, à tout le
moins en matière d’analyse économique du droit, la recherche de l’information serait stimulante pour
l’activité économique [au contraire de l’obligation d’information… En ce sens, v. A. T. KRONMAN,
théorie résumée par MFM in De l’obligation d’information dans les contrats (essai d’une théorie),
LGDJ, 1992, p. 74 et s.].
S’agissant ensuite du statut des dirigeants sociaux par rapport aux tiers [seconde facette du rapport des
dirigeants sociaux vis-à-vis des tiers], il convient simplement ici de mentionner que la Cour de
cassation a eu l’occasion de se prononcer sur la question de la loi applicable à la responsabilité des
dirigeants à l’égard des tiers dans une affaire célèbre, l’affaire Africatours (Cass. civ. 1re, 1er juil.
1997, Bull. civ. I, n° 221).
Dans cette affaire, la responsabilité d’un dirigeant de la société Africair services avait été engagée par
la société Africatours, sur le fondement de l’article 1380 du Code sénégalais des obligations civiles
et commerciales [responsabilité (envers les tiers) des dirigeants de sociétés ayant leur siège au
Sénégal]. Pour la cour d’appel de Paris, cette disposition était identique à celle de l’article 244 de la
loi française du 24 juillet 1966 alors applicable [aujourd’hui codifiée dans le Code de commerce]
mais, qu’en l’espèce, les conditions de mise en œuvre de ce dernier texte [selon l’interprétation que les
tribunaux français en faisaient] n’étaient pas remplies.
La Cour de cassation censura l’arrêt pour dénaturation [sur le fondement de l’article 3 du Code civil !
… et non de l’article 1134 du Code civil] car la cour de Paris aurait dû appliquer la loi sénégalaise,

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qu’elle avait dénaturée en se référant à la seule interprétation de la loi française, supposément
identique.
Quoi qu’il en soit, vous retiendrez une chose : la question [de la responsabilité des dirigeants sociaux
envers les tiers] a bien été tranchée par référence à la lex societatis [sénégalaise en l’espèce] !

24) Dissolution.
En cas de défaillance économique, enfin, une société pourra faire l’objet d’une dissolution, suivie
d’une liquidation. C’est également à la lex societatis qu’il revient de préciser les causes et le régime de
pareille dissolution.
N.B. : l’on verra cependant qu’en cas de faillite, la loi du concours (lex fori concursus) devra être
consultée en priorité [v. infra – Séance 6].

Séance 6

Propos liminaire :
Après l’évocation de la “naissance” d’une société, il convient d’appréhender la “vie” d’une société
à l’international, ou plutôt des “tranches de vie”.
Dans la séance précédente, il a été vu que la lex societatis régissait le fonctionnement d’une société,
mais encore faut-il prendre la mesure de ce qu’implique pareil fonctionnement in concreto,
spécialement dans un cadre international. L’on se focalisera ici sur un aspect précis de cette “vie
sociale” à l’international, relatif à la mobilité.

II. La mobilité des sociétés à l'international : un exemple de "vie sociale"

1) Textes. Position du problème.


Aux termes de l’alinéa premier de l’article 54 FUE :
“Les sociétés constituées en conformité de la législation d’un État membre et ayant leur siège
statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union sont
assimilées, pour l’application des dispositions du présent chapitre, aux personnes physiques
ressortissantes des États membres”.
Il ressort de la lecture de ce texte qu’une société [au sens de l’alinéa second de l’article 54
TFUE, déjà étudié] pourra bénéficier de la liberté d’établissement dès lors qu’un rattachement à
l’Union européenne aura été préalablement établi.
N.B. : la Société européenne fait ici l’objet d’un tempérament.
Ce rattachement à l’Union européenne procèdera du jeu de l’un des trois critères de localisation
mentionné à l’article susvisé, à savoir :

● le siège statutaire ;

● l’administration centrale, ou

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● le principal établissement.

Placés sur un strict pied d’égalité, ces trois critères peuvent être indifféremment retenus par les États
membres pour “ancrer” une société sur leur territoire et rattacher celle-ci à leur ordre juridique. Un
choix peut donc être librement effectué.
La Cour de justice l’a d’ailleurs elle-même relevé :
En “l’absence d’une définition uniforme donnée par le droit communautaire des sociétés qui peuvent
bénéficier du droit d’établissement en fonction d’un critère de rattachement unique déterminant le
droit national applicable à une société, [la question du rattachement] ne peut trouver une réponse que
dans le droit national applicable […]” (CJCE, 16 déc. 2008, aff. C-210/06, Cartesio : Rec., p. I-9641).
En d’autres termes, chaque société, quel que soit l’État membre qui la voit “naître”, doit être perçue
comme une “créature” de cet État, car c’est lui qui fixe unilatéralement ses conditions de venue au
monde.
Or, si une société naît ainsi du “bon vouloir” d’un État et est aussitôt soumise à l’empire de sa loi [la
lex societatis], peut-elle un jour décider, sans risquer d’y perdre la vie [i.e. perdre sa personnalité
juridique], de déménager, voire même de s’expatrier ?
Telle est la question principale de ce que l’on appelle la “mobilité” des sociétés.
N.B. : à la différence de la circulation des personnes physiques, pouvant être matériellement
concrétisée, la circulation des personnes morales se conçoit a priori mal, étant donné que la société
est avant tout une abstraction juridique !
En conséquence et au-delà de la question cruciale de la survie de sa personnalité morale, la
“mobilité” d’une société ne peut se comprendre qu’à partir d’une localisation dans l’espace, dont le
repère géographique sera son siège social. Ce dernier constitue en effet une prémisse essentielle à la
circulation des sociétés en ce qu’il suppose, en raison de sa matérialité, une “aptitude au
déplacement” (selon l’expression du Professeur MENJUCQ).

2) Textes. Position du problème (suite).


En dehors du droit de l’Union, ces questions seront traitées différemment, selon le système de droit
international privé que les États auront élaboré en la matière.
En droit de l’Union, cette question peut toutefois être réglée, à tout le moins pour la Cour de justice,
par l’interprétation d’un texte s’imposant à l’ensemble des États membres : l’article 49 TFUE.
Aux termes de cette stipulation :
“[…] les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le
territoire d’un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s’étend également aux restrictions
à la création d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un État membre établis
sur le territoire d’un État membre.
La liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la
constitution et la gestion d’entreprises, et notamment de sociétés au sens de l’article 54, deuxième
alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres
ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux”.
L’on peut donc distinguer deux types d’établissement – au sens du droit de l’Union :

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- principal [Art. 49, al. 2nd TFUE] ;
- et secondaire [Art. 49, al. 1er TFUE].
À l’aune du concept de “mobilité”, ces deux types d’établissement soulèvent des problèmes
différents :

● celui du transfert interétatique de siège social d’une part (A),

● et celui de l’exercice d’une activité interétatique par une société, d’autre part (B).

A. Le transfert interétatique de siège social

3) Contexte et évolution de la question.


Cette modalité juridique a principalement pour objectif de réaliser le déplacement dans l’espace d’une
société, au moyen du double maintien de son “identité” originaire et de sa personnalité morale.
Étant donné que la loi applicable à une société et à l’exercice de ses droits [lex societatis] est celle de
l’État dans lequel cette société a situé son siège social, le transfert de ce siège d’un État à un autre
emporte donc mécaniquement modification de la loi applicable à la société.
N.B. : l’opération génère ainsi ce que BARTIN qualifiait de “conflit mobile”, soit un conflit que l’on
résout traditionnellement par une application distributive des lois en présence. La loi du pays de
départ [ou de sortie] régira ainsi l’éventuelle autorisation et la décision de transfert, tandis que la loi
du pays d’arrivée [ou d’entrée] gouvernera pour sa part la question de l’adaptation des statuts.

N.B. : en pratique, la volonté des dirigeants d’une société de quitter un État pour s’établir dans un
autre a longtemps été perçue par l’État de départ comme la manifestation d’un renoncement par la
société à son allégeance juridique. Aussi la plupart ne voyaient-ils dans le transfert de siège qu’une
opération néfaste, qu’il convient non de faciliter mais d’empêcher, au moyen de dispositions
juridiques et fiscales contraignantes [dissolution, imposition des plus-values, etc.].
Les intérêts que défendaient classiquement les États dans ce domaine ont connu, sous l’influence
d’une jurisprudence de la Cour de justice aussi volontariste que libérale, de sérieuses limites.
Pour la parfaite compréhension de l’ensemble, une nouvelle distinction peut alors être faite, selon que
l’on envisage le transfert du siège social du point de vue de l’État de départ (1) ou de celui de l’État
d’arrivée (2).

1. Le transfert de siège social du point de vue de l’État de départ

4) Ancienne difficulté.
Avant l’adoption du traité de Lisbonne, la question du transfert du siège social d’un État membre à
un autre relevait du champ d’application des stipulations de l’ex-article 293 CE (ex-art. 220
CEE), lequel énonçait que :
“Les États membres engageront entre eux, en tant que de besoin, des négociations en vue d’assurer,
en faveur de leurs ressortissants :
[…] – la reconnaissance mutuelle des sociétés au sens de l’[ex-]article 48 [CE], deuxième alinéa, le
maintien de la personnalité en cas de transfert du siège de pays en pays […]”.

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S’inscrivant dans le cadre d’une coopération intergouvernementale, la question du transfert du siège
social ressortissait donc, aux termes de cet article, à la seule compétence des États membres. Ceux-ci
pouvaient donc décider, par la voie conventionnelle, d’adopter un instrument destiné à favoriser la
réalisation du transfert de siège d’un État membre à un autre. Cette voie n’a toutefois jamais prospéré,
si bien que le débat relatif à la possibilité d’opérer un transfert interétatique de siège social [au sein de
l’ancienne CEE puis de l’ancienne CE] fut porté devant la Cour de justice des Communautés
européennes.

5) L’arrêt Daily Mail (présentation).


La Cour se prononça pour la première fois sur cette question du transfert interétatique de siège social
[c’est-à-dire au sein de l’Union européenne] dans un arrêt Daily Mail du 27 septembre 1988 (CJCE,
27 sept. 1988, aff. 81/87, Daily Mail, Rec., p. 5483).
Les faits ayant donné lieu au litige au principal étaient relativement simples. La société Daily Mail,
une société anonyme de droit anglais qui avait ses sièges statutaire et de direction [réel] à Londres,
souhaitait transférer son seul siège réel aux Pays-Bas en vue de remédier à la dépréciation de la valeur
de ses actions par rapport à la valeur réelle de son actif.
Or, en vertu du droit anglais applicable à l’époque des faits, le siège de direction constituait la
résidence fiscale de la société. Aussi, l’objectif avéré du transfert de ce siège de direction vers les
Pays-Bas était de pouvoir échapper à l’imposition au Royaume-Uni sur les plus-values de cession de
valeurs mobilières que la société Daily Mail envisageait de réaliser !
À la suite du refus de l’administration fiscale britannique d’autoriser le transfert de résidence demandé
par la société Daily Mail [l’impôt sur les plus-values était estimé à près de 25 millions de livres
sterling !], la société décida de saisir la High Court of Justice d’un recours par lequel elle entendait se
voir déclarer, en vertu de l’ex-article 43 CE [devenu l’article 49 FUE], le droit de transférer, sans
autorisation préalable et de façon inconditionnelle, sa résidence aux Pays-Bas.

6) L’arrêt Daily Mail (solution).


Saisie par renvoi préjudiciel en interprétation, la Cour de Luxembourg dit pour droit que :
“le traité considère la disparité des législations nationales concernant le lien de rattachement exigé
pour leurs sociétés ainsi que la possibilité, et, le cas échéant, les modalités d’un transfert du siège,
statutaire ou réel, d’une société de droit national, d’un État membre à l’autre, comme des problèmes
qui ne sont pas résolus par les règles sur le droit d’établissement, mais qui doivent l’être par des
travaux législatifs ou conventionnels lesquels, toutefois, n’ont pas encore abouti” (point 23 de
l’arrêt).
Pour la Cour, les ex-articles 43 et 48 CE [devenus les articles 49 et 54 FUE] ne conféraient donc :
“aucun droit […] à une société constituée en conformité de la législation d’un État membre et y ayant
son siège statutaire, de transférer son siège de direction dans un autre État membre” (point 25 de
l’arrêt).
IMPORTANT : cette solution est remarquable, car elle affirmait très clairement qu’il n’existait pas de
droit au transfert du siège social [réel, en l’espèce] pour les personnes morales. En outre, elle affirmait
également que cette question ne ressortissait pas au domaine du droit d’établissement.

53
La possibilité d’envisager un transfert “intracommunautaire” de siège social [i.e. au sein de la
Communauté européenne] était donc, en 1988, tributaire du droit international privé des États
membres.
Or, en pratique, cette solution ne manquait pas de conduire à une dissolution suivie d’une
reconstitution de la société, soit à une perte de sa personnalité juridique et, le plus souvent, à une
imposition massive, défavorable à ses intérêts.

7) L’arrêt Cartesio.
Vraisemblablement en raison de l’inertie des États, incapables de trouver une solution par la voie
conventionnelle, la Cour de justice fut à nouveau saisie d’une question préjudicielle relative à la
réalisation d’un transfert interétatique de siège social, et une fois encore sous l’angle de la liberté
d’établissement.
À l’occasion d’une affaire Cartesio [déjà mentionnée], la Cour a rendu une solution contrastée,
distinguant selon que le transfert de siège social envisagé emportait ou non changement de loi
applicable [soit une distinction, pour reprendre la formule du Professeur d’Avout, entre un simple
“déménagement” ou une véritable “expatriation”].
Dans le premier cas [hypothèse d’un transfert sans changement de droit applicable, soit un simple
déménagement], la Cour énonce que l’État membre a la possibilité :
“de ne pas permettre à une société relevant de son droit national de conserver cette qualité
lorsqu’elle entend se réorganiser dans un autre État membre par le déplacement de son siège sur le
territoire de ce dernier, rompant ainsi le lien de rattachement que prévoit le droit national de l’État
membre de constitution” [point 110 de l’arrêt].
Toutefois, dans le second cas [transfert de siège avec changement du droit national applicable, soit une
expatriation], l’État membre de départ ne peut empêcher la société :
“de se transformer en une société de droit national de l’autre État membre, pour autant que ce droit
le permette” [point 112 de l’arrêt].
En effet, un “tel obstacle à la transformation effective d’une telle société sans dissolution et
liquidation préalables en une société de droit national de l’État membre dans lequel celle-ci souhaite
se déplacer constituerait une restriction à la liberté d’établissement de la société concernée qui, à
moins qu’elle soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, est interdite en vertu de
l’[ex-]article 43 CE” [point 113 de l’arrêt].

8) Conclusion intermédiaire.
Du point de vue de l’État de départ, celui-ci peut donc refuser d’autoriser une société à déménager,
mais il ne peut, sans violer les stipulations du traité FUE relatives au droit d’établissement, s’opposer à
son expatriation.
Dit autrement, l’État membre de départ doit le “plus”, mais non le “moins”, ce qui est paradoxal…

2. Le transfert de siège social du point de vue de l’État d’arrivée

9) Position du problème.
Pour débuter, il convient de rappeler que le transfert de siège social est une opération à double détente,
génératrice d’un conflit mobile.

54
La première détente consiste ainsi à aller consulter la loi de l’État de départ de la société en vue
d’obtenir la validation de la décision de transfert, tandis que la seconde, concomitante, invite à
rechercher les éventuelles modalités d’adaptation des statuts à une forme sociale locale.
Si la solution de l’arrêt Cartesio se révèle ambiguë sur les pouvoirs des États membres en lien avec la
mise en œuvre de la première détente, sa position sur la seconde est en revanche très nette : l’État
membre d’arrivée n’a pas d’autre choix que celui d’accepter le transfert [ou la “transformation”,
employée en la matière comme synonyme] !
Cette position de principe découle de deux arrêts très importants.
10) L’arrêt Überseering.
Le premier arrêt fut rendu à l’occasion d’une affaire Überseering (CJCE, 5 nov. 2002, aff. C-208/00,
Überseering, Rec., p. I-9919).

Les faits méritent ici d’être rappelés.


En décembre 1994, la société Überseering, de droit néerlandais, a fait l’objet d’une acquisition par
deux ressortissants allemands. En droit allemand [tel qu’applicable à l’époque des faits], cette
opération équivalait à un transfert de siège effectif des Pays-Bas vers l’Allemagne, et supposait une
modification de l’immatriculation de la société Überseering conformément au droit allemand.

Cette modification n’ayant pas eu lieu, l’application stricte du droit allemand devait conduire à priver
la société Überseering de sa capacité juridique en Allemagne, et donc de tout droit d’ester en justice !

Validée par les juges du fond allemands, cette position fut toutefois mise en doute devant
le Bundesgerichtshof (BGH) allemand. Celui-ci renvoya la question, à titre préjudiciel, devant la
Cour de justice, laquelle se prononça le 5 novembre 2002.

En substance, la Cour dit pour droit que la liberté d’établissement des sociétés imposait d’apprécier la
capacité juridique et la capacité d’ester en justice d’une société au regard du droit de l’État où elle
s’est constituée. Dit autrement, la Cour de justice a considéré dans cet arrêt que les effets reconnus
par le droit allemand à la théorie du siège réel (Sitztheorie), notamment ceux correspondant à la
négation, pour une société ayant transféré son siège effectif en Allemagne, de ses capacités
juridique et d’ester en justice, créaient une restriction à la liberté d’établissement.
L’État membre d’arrivée du transfert de siège ne peut donc pas s’y opposer, quelles que soient ses
raisons !
N.B. : il est également permis de voir avant tout dans cet arrêt une hypothèse de reconnaissance
d’une société de droit néerlandais en Allemagne. Cette reconnaissance est même jugée, par la Cour,
comme “inhérente à la liberté d’établissement”.

11) L’arrêt VALE Epitesi.


Seconde importante décision sur le sujet, l’arrêt VALE Epitesi était relatif à un cas de transfert de
siège social d’une société de droit italien vers la Hongrie (CJUE, 12 juil. 2012, aff. C-378/10, VALE
Epitesi kft).
Cet arrêt est important, en ce que la Cour y a :
1. affirmé que “les opérations de transformation de sociétés relèvent […] des activités
économiques pour lesquelles les États membres sont tenus au respect de la liberté

55
d’établissement” [point 24 de l’arrêt].
Il est permis d’y voir l’affirmation d’un principe.
2. rappelé que “[tout] obstacle à la transformation effective d’une […] société sans dissolution
et liquidation préalables en une société de droit national de l’État membre dans lequel celle-
ci souhaite se déplacer [constitue] une restriction à la liberté d’établissement de la société
concernée qui, à moins qu’elle soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, est
interdite en vertu de l’article [49 FUE]” [v. le point 113 de l’arrêt Cartesio].

3. jugé que “le justiciable dispose d’un droit conféré par l’ordre juridique de l’Union […], le
droit d’effectuer une transformation transfrontalière” [point 49 de l’arrêt].
L’apport fondamental de l’arrêt est donc celui de venir consacrer un droit subjectif au bénéfice
des personnes morales, un droit “d’effectuer une transformation transfrontalière” (soit un
transfert de siège social avec changement du droit applicable).

12) Conclusion.
Pour conclure sur cette question de la transformation transfrontalière, il convient de noter que “la
boucle fut bouclée” par un arrêt Polbud du 25 octobre 2017 (CJUE, 25 oct. 2017, aff. C-106/16,
Polbud).
Par cet arrêt, la Cour de justice est en effet venue dire pour droit que le transfert du siège statutaire
d’une société constituée en vertu du droit d’un État membre [en l’espèce, la Pologne] vers le
territoire d’un autre État membre [en l’espèce, le Luxembourg], aux fins de sa transformation, en
conformité avec les conditions imposées par la législation de cet autre État membre, en une société
relevant du droit de ce dernier, sans déplacement du siège réel de ladite société, ressortissait au
domaine du droit d’établissement des articles 49 et 54 TFUE.
Pour la Cour, la réglementation nationale qui subordonnerait pareil transfert de siège à la liquidation
de la société est jugée incompatible avec le droit de l’Union.
N.B. : cette décision peut être perçue comme consacrant la quasi-toute puissance de la volonté des
dirigeants sociaux en matière de droit d’établissement, lesquels peuvent désormais revendiquer le
bénéfice d’un principe de libre opportunité de choix du droit applicable à une société, que ce soit au
moment de la constitution de la société [v. infra, affaire Centros], ou en cours de vie sociale.
Le libre choix de la lex societatis devient ainsi un principe directeur du droit européen des sociétés.

B. L'exercice d'une activité sociale interétatique

13) Précisions liminaires.


À la différence du transfert de siège social, qui ne paraît pas devoir relever a priori du domaine de la
liberté d’établissement, l’exercice d’une activité sociale interétatique s’inscrit au contraire
pleinement dans celle-ci.
Il faut entendre par là la possibilité pour une société de déployer son activité sociale dans d’autres
États que celui où elle s’est établie.
Selon la terminologie usitée en droit de l’Union, il convient de parler à ce sujet d’établissement
secondaire, ce que la Cour de justice a encore tout récemment défini comme impliquant :

56
“l’exercice effectif d’une activité économique au moyen d’une installation stable dans l’État membre
d’accueil pour une durée indéterminée. Elle suppose, par conséquent, une implantation réelle de la
société concernée dans cet État et l’exercice d’une activité économique effective dans celui-ci” [point
34 de l’arrêt VALE Epitesi, déjà rencontré].

14) Textes.
Concrètement et selon le libellé même de l’article 49, alinéa premier, TFUE, les cas d’établissement
secondaire encadrés par le droit de l’Union s’entendent de “la création d’agences, de succursales ou
de filiales”.
Fort logiquement, le juge de l’Union en a déduit que le droit d’établissement impliquait la faculté
“de choisir la forme juridique appropriée pour l’exercice d’activités dans un autre État
membre” (CJCE, 21 sept. 1999, aff. C-307/97, Saint-Gobain, Rec., p. I-6161, point 43 de l’arrêt).
L’on observera toutefois que contrairement à l’hypothèse d’un transfert de siège social, la question de
la personnalité juridique se révèle être a priori moins essentielle lorsque la “mobilité” s’envisage dans
le cadre d’un établissement secondaire.
L’exercice de la liberté d’établissement dans le domaine prévu à l’alinéa 1er de l’article 49
FUE concerne en effet aussi bien des entités dotées de la personnalité juridique [i.e. les filiales] que
des structures qui en sont dépourvues [agences et succursales].
N.B. : en pratique, une telle distinction a néanmoins de l’importance, étant donné que les filiales
auront pour lex societatis la loi de l’État membre dans lequel elles se seront établies, tandis que les
agences et succursales seront régies par la loi applicable à la société dont elles sont l’émanation.

15) Division.
Du point de vue des États membres, l’exercice d’une activité sociale, sur leur territoire, par une société
établie sous la forme d’une succursale ou d’une agence [i.e. des structures soumises à la loi de l’État
dans laquelle la société ainsi démembrée s’est légalement constituée] peut présenter un certain nombre
de dangers pour leur commerce juridique, notamment lorsque ces sociétés exercent la majeure partie,
voire l’intégralité, de l’activité sociale de l’entreprise qu’elles prolongent.
Il s’agit du phénomène des sociétés dites boîtes aux lettres ou écran qui, une fois enregistrées auprès
d’un État membre choisi pour sa législation très libérale en matière sociétaire, déploient l’ensemble de
leur activité sociale dans un autre État membre, principalement au moyen d’une succursale [soit une
émanation qui sera soumise à la loi libérale de l’autre État membre, c’est-à-dire l’État dans lequel la
société “prolongée” a son établissement principal].
N.B. : le recours à cette technique permet d’échapper aux dispositions les plus contraignantes de la
loi de l’État sur le territoire duquel est situé l’établissement secondaire.
L’exercice du droit d’établissement paraissant impliquer ce phénomène, les États membres ont tenté,
principalement à l’aube des années 2000, de déterminer la mesure dans laquelle ils pouvaient s’y
opposer.
Deux séries d’arguments furent invoquées devant la Cour de justice :
1. Négation du caractère interétatique de l’opération, en plaidant l’existence d’une situation
purement interne, synonyme pour les sociétés concernées d’une impossibilité de se prévaloir
de la protection que leur offre la combinaison des articles 49 et 54 TFUE.

57
2. Conditionner l’accès des sociétés issues d’un tel montage juridique à leur territoire par
l’application de lois de police, en imposant aux entreprises considérées le respect des
dispositions impératives de leur droit des sociétés.
Ces deux séries d’arguments conduisent à confronter la liberté d’établissement à la problématique des
situations purement internes à un État membre d’abord (1), et à la méthode des lois de police
ensuite (2).

1. Liberté d’établissement et situations purement internes à un État membre

16) L’affaire Centros.


La confrontation entre liberté d’établissement et situations internes à un État membre procède d’une
retentissante affaire Centros (CJCE, 9 mars 1999, aff. C-212/97, Centros, Rec., p. I-1484).

Les faits de l’affaire méritent une fois encore d’être rappelés.

En 1992, deux époux danois décidèrent d’aller établir une société à responsabilité limitée [private
limited company] au Royaume-Uni, plus précisément au domicile d’un ami [ce qui correspondait à la
constitution d’une société dite “boîte aux lettres”].

Au courant de l’été de cette même année, le couple sollicita ensuite, auprès de la direction générale
danoise du commerce et des sociétés, l’immatriculation de la société Centros au Danemark. Les
autorités danoises s’y opposèrent, invoquant l’absence totale d’activité de ladite société au Royaume-
Uni et, surtout, le fait que la demande ne faisait que révéler une tentative de contournement du droit
danois applicable en matière sociétaire (il semble en effet avéré que le couple avait envisagé cette
constitution de société aux Royaume-Uni en vue de ne pas libérer un capital social minimal de
200.000 couronnes danoises [soit environ 30.000 Euros]. Par comparaison, le capital libéré par le
couple au Royaume-Uni ne s’élevait qu’à 100 livres sterling [soit environ 120 Euros].

Face à ce refus, un recours en justice fut introduit devant les juridictions danoises. La Haute juridiction
du Danemark finit par surseoir à statuer, et invita la Cour de justice à se prononcer sur le point de
savoir si le refus des autorités danoises d’immatriculer la succursale de la société Centros au
Danemark était ou non conforme au droit de l’Union.
N.B. : pour les autorités danoises, les époux avaient créé de manière factice une situation
“intracommunautaire”, si bien qu’elles estimaient fondée leur volonté d’appliquer, à titre de sanction
pour fraude à sa loi, les dispositions danoises de droit des sociétés.
La réponse de la Cour de justice fut sans détours :
“le fait, pour un ressortissant d’un État membre qui souhaite créer une société, de choisir de la
constituer dans l’État membre dont les règles de droit des sociétés lui paraissent les moins
contraignantes et de créer des succursales dans d’autres États membres ne saurait constituer en soi
un usage abusif du droit d’établissement” [point 27 de l’arrêt].
Pour la Cour de justice, ce fait est “inhérent à l’exercice, dans un marché unique, de la liberté
d’établissement garantie par le traité” [point 27 de l’arrêt].

58
L’exception de fraude à la loi (au sens du Droit international privé) fut donc mise en échec par la Cour
de justice dans cette décision.
Cela explique pourquoi les États membres, à la suite de cet échec, ont tenté d’invoquer la méthode dite
des lois de police pour préserver l’intégrité de leurs ordres juridiques étatiques dans le contexte du
libre établissement – secondaire – des personnes morales au sein de l’espace européen.

2. Liberté d’établissement et méthode des lois de police

17) L’affaire Inspire Art Ltd.


Dans le cadre d’une problématique sensiblement identique à celle de l’affaire Centros, la question fut
posée à la Cour de justice de savoir si l’État d’accueil de la succursale [au cas d’espèce, les Pays-Bas]
d’une société constituée dans un autre État membre [au cas d’espèce, le Royaume-Uni] pouvait
imposer à celle-ci, lorsqu’elle y exerce exclusivement ou quasi-exclusivement ses activités
commerciales, certaines conditions prévues en droit interne pour la constitution de sociétés.
N.B. : il s’agissait, en l’espèce, de faire application de certaines dispositions impératives du droit
néerlandais, relatives notamment au capital social minimal et à la responsabilité des administrateurs.
La Cour de justice se prononça sur cette question à l’occasion d’une affaire Inspire Art Ltd (CJCE,
30 septembre 2003, aff. C-167/01, Inspire Art Ltd, Rec., p. I-10155).
Pour la Cour, cette réaction des États membres fut jugée constitutive d’une entrave à l’exercice des
libertés de circulation que garantit le droit de l’Union, et les motifs impérieux invoqués par les Pays-
Bas furent jugés insuffisants pour justifier d’une telle entrave.
Ainsi, “[l]es raisons pour lesquelles la société a été constituée dans le premier État membre, ainsi
que la circonstance qu’elle exerce ses activités exclusivement dans l’État membre d’établissement, ne
la privent pas, sauf à établir au cas par cas l’existence d’un abus, du droit d’invoquer la liberté
d’établissement garantie par le traité” [point 105 de l’arrêt].

Dit autrement, cela signifie que sauf abus [dont les éléments de constitution restent flous…], les
fondateurs sociaux jouissent en droit de l’Union d’une liberté quasi-totale d’aller créer une société
dans l’État membre qu’ils souhaitent, puis d’exercer l’intégralité de l’activité sociale dans un autre
État membre !
Juridiquement, cette jurisprudence consacre donc un véritable droit subjectif à bénéficier de la liberté
d’établissement, droit qui est opposable [par les fondateurs comme par la personne morale] aux États
membres.
N.B. : en droit comparé, l’on peut noter qu’aux États-Unis d’Amérique, cette problématique a
également donné lieu à une jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis, laquelle n’a toutefois
pas été aussi loin dans le libéralisme que la Cour de justice de l’Union européenne.
V. ainsi :
Edgar v. MITE Corp., 457 U.S. 624 (1982).
CTS Corp. V. Dynamics Corp. of America, 481 U.S. 69, 90 (1987).

Séances 7-8

III. La faillite internationale : la "mort" des sociétés


59
1) Définition.
Précisions terminologiques. “Faillite”, “procédure collective”, “procédure d’insolvabilité”, “entreprise
en difficulté”, les terminologies sont nombreuses pour désigner un même phénomène, celui de la
“défaillance économique” d’une société.
Si le terme de “faillite” n’est plus officiellement employé en France depuis une loi du 25 janvier
1985 [sauf sanction professionnelle prononcée contre le dirigeant d’une entreprise en difficulté], celui-
ci demeure utilisé en droit du commerce international “pour désigner les procédures collectives dont
l’ouverture est déclenchée par la défaillance judiciairement constatée d’un débiteur” (selon
l’expression du Professeur H. SYNVET [Rép. international Dalloz, Vo “Faillite”]).
En droit de l’Union, cette expression fait l’objet d’une concurrence avec celle de “procédure
d’insolvabilité”, telle que retenue dans l’intitulé d’un Règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000,
devenu depuis lors le Règlement (UE) n° 2015/848 du 20 mai 2015.

2) Précisions d’ordre sémantique.


L’expression générique “faillite internationale” ne doit pas abuser, et laisser accroire que ladite faillite
serait ainsi soumise à des autorités “véritablement” internationales, c’est-à-dire supra-étatiques.
En effet, une faillite, bien que de dimension internationale, est toujours régie par une ou plusieurs
procédures nationales, étatiques, si bien que la difficulté majeure du droit des faillites “internationales”
est de parvenir à la coordination de ces procédures nationales, notamment du point de vue de leurs
effets.
Deux conceptions s’opposent :
1. L’universalité de la faillite.
Il s’agit de soumettre la faillite à une procédure unique, quel que soit le lieu où se situent les
biens du débiteur [en résumé : plusieurs États concernés, une seule procédure] ;
2. La territorialité de la faillite.
Il s’agit, contrairement à la première conception, de circonscrire le traitement de la faillite au
seul territoire de l’État de son ouverture. C’est avant tout un mode d’exécution des biens du
débiteur [en résumé : absence d’effets extraterritoriaux].
N.B. : en droit du commerce international, le réalisme commande d’observer que la première
conception ne peut être mise en œuvre qu’au moyen d’une convention internationale ou d’un texte
uniforme [par exemple un règlement de l’Union européenne].
Pour mesurer les aspects les plus importants du traitement d’une faillite de dimension internationale,
deux points de vue peuvent être étudiés :

● celui de l’Union européenne, d’une part (A),

● et celui de la France, d’autre part (B).

A. Le droit européen des procédures d'insolvabilité

3) Règlement n° 2015/848. Champ d’application temporel.

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Le droit européen des procédures d’insolvabilité est fondé actuellement sur le Règlement (UE) n°
2015/848 du 20 mai 2015, lequel est venu succéder à celui du 29 mai 2000.
Le champ d’application temporel de ce nouveau règlement est fixé à son article 92, lequel prévoit qu’il
entre en application – sauf exceptions – “à partir du 26 juin 2017”.
Cela signifie donc que pour le règlement (CE) n° 1346/2000 “continue de s’appliquer aux procédures
d’insolvabilité relevant [de son] champ d’application […] et qui ont été ouvertes avant le 26 juin
2017” [Règl. (UE) n° 2015/848, art. 84, § 2].
N.B. : une difficulté d’ordre temporel peut être relevée. L’article 84, § 1er du règlement refondu ne
prévoit en effet son application “qu’aux procédures d’insolvabilité ouvertes postérieurement au 26
juin 2017”. Aussi, quel texte appliquer à une procédure ouverte le lundi 26 juin 2017 ?

4) Règlement n° 2015/848. Champ d’application matériel.


Aux termes de son article premier, pris en son paragraphe premier, le Règlement refondu prévoit son
application aux :
“procédures collectives publiques, y compris les procédures provisoires, qui sont fondées sur des
législations relatives à l’insolvabilité et au cours desquelles, aux fins d’un redressement, d’un
ajustement de dettes, d’une réorganisation ou d’une liquidation :

● a) un débiteur est totalement ou partiellement dessaisi de ses actifs et un praticien de


l’insolvabilité est désigné ;

● b) les actifs et les affaires d’un débiteur sont soumis au contrôle ou à la surveillance d’une
juridiction ; ou

● c) une suspension provisoire des poursuites individuelles est accordée par une juridiction ou
de plein droit pour permettre des négociations entre le débiteur et ses créanciers, pour autant
que la procédure pour laquelle la suspension est accordée prévoie des mesures adéquates
pour protéger la masse des créanciers et, si aucun accord n’est dégagé, qu’elle soit préalable
à l’une des procédures visées au point a) ou b).
Lorsque les procédures visées au présent paragraphe peuvent être engagées dans des situations où il
n’existe qu’une probabilité d’insolvabilité, leur objectif doit être d’éviter l’insolvabilité du débiteur ou
la cessation de ses activités […]”.
Conformément à ce qui est indiqué à l’Annexe A du règlement refondu, les procédures françaises
visées par ce champ d’application sont les suivantes :

● sauvegarde ;

● sauvegarde accélérée ;

● sauvegarde financière accélérée ;

● redressement judiciaire ; et

61
● liquidation judiciaire.

N.B. : conformément au § 2 de ce même article 1er du règlement refondu, celui-ci “ne s’applique pas
aux procédures visées au paragraphe 1 qui concernent :
a) les entreprises d’assurance ;
b) les établissements de crédit ;
c) les entreprises d’investissement et autres firmes, établissements ou entreprises, pour autant
qu’ils relèvent de la directive 2001/24/CE ou
d) les organismes de placement collectif”.

Au vu de ce champ d’application matériel, une question peut être posée, du point de vue français :
celle de savoir si la procédure de conciliation ne devrait pas être intégrée dans ce champ
d’application.

Aux termes de l’article L. 611-4 du Code de commerce, en effet, la procédure de conciliation


bénéficie aux “débiteurs exerçant une activité commerciale ou artisanale qui éprouvent une difficulté
juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible, et [qui] ne se trouvent pas en cessation des
paiements depuis plus de quarante-cinq jours”.
Cette procédure est ouverte par le président du tribunal qui désigne un conciliateur ( C. com., art. L.
611-6, al. 2), lequel a notamment “pour mission de favoriser la conclusion entre le débiteur et ses
principaux créanciers ainsi que, le cas échéant, ses cocontractants habituels, d’un accord amiable
destiné à mettre fin aux difficultés de l’entreprise. Il peut également présenter toute proposition se
rapportant à la sauvegarde de l’entreprise, à la poursuite de l’activité économique et au maintien de
l’emploi” (C. com., art. L. 611-7, al. 1er).
À s’en tenir à ces seuls éléments, et à les confronter avec l’esprit de cet article premier du règlement
refondu, il semblerait que la conciliation puisse entrer dans son champ d’application matériel. Cela
dit, il faut aussitôt rappeler ici que la lettre du texte désigne, au titre des procédures d’insolvabilité
visées par le champ d’application du règlement, les “procédures collectives publiques”, c’est-à-dire,
selon les termes du considérant 12, les “procédures dont l’ouverture est rendue publique afin de
permettre aux créanciers de prendre connaissance de la procédure et de produire leurs créances
[…]”.
En outre, et en l’état actuel du droit positif français, la nomination d’un conciliateur ne donne lieu à
aucune mesure de publicité, si bien que la procédure de conciliation doit être tenue pour
confidentielle, ce qui n’est autre, aux termes du considérant 13 du règlement, qu’un motif
d’exclusion du champ d’application de ce dernier. Une modification des dispositions de
l’actuel article R. 611-25 du Code de commerce a pu être proposée par le Professeur Menjucq, en
vue d’empêcher, pendant la durée de la conciliation, l’ouverture de procédures d’insolvabilité dans
d’autres États membres.

5) Règlement n° 2015/848. Champ d’application spatial ?


S’agissant du champ d’application du règlement dans l’espace, il convient de noter que celui-ci n’est
nullement mentionné dans le texte du règlement [v. toutefois le Considérant 25].
Cette omission s’explique très simplement par le fait que le règlement est un acte de droit dérivé, si
bien que son application dans l’espace procède directement des stipulations des articles 349 et 355
TFUE.

62
6) Division.
Au stade de sa mise en œuvre concrète, le Règlement (UE) n° 2015/848 prévoit un compromis
réaliste entre la conception de l’universalité et celle de la territorialité de la faillite internationale.
Ce compromis se perçoit clairement dans l’examen des règles de compétence juridictionnelle
(1), comme dans celui des règles de conflit de lois (2).
Initialement ignorée du règlement (CE) n° 1346/2000, la question de l’insolvabilité d’un groupe de
sociétés fait désormais l’objet d’un encadrement spécifique, lequel doit également être envisagé (3).

1. Les règles de compétence juridictionnelle

7) Subdivision.
Deux principes essentiels sont ici à retenir :

● celui de l’universalité de la faillite ouverte par le tribunal du “centre des intérêts principaux du
débiteur” ; et

● celui de la reconnaissance de plein droit de la procédure ainsi ouverte.

8) Universalité. Combinaison avec le principe de territorialité.


Aux termes de l’article 3 du Règlement (UE) n° 2015/848, deux chefs de compétence permettent aux
tribunaux des États membres d’ouvrir une procédure d’insolvabilité :

● le critère du “centre des intérêts principaux du débiteur”, pour une procédure dite
“principale” et de portée universelle ;

● le critère de l’“établissement”, pour une procédure dite “secondaire”, et de portée territoriale.

9) Critère du “centre des intérêts principaux du débiteur”.


Aux termes de l’article 3, § 1er, du règlement refondu, “les juridictions de l’État membre sur le
territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir
la procédure d’insolvabilité (ci-après dénommée “procédure d’insolvabilité principale”)”.
Ce même article définit ensuite ce critère comme “correspond[ant] au lieu où le débiteur gère
habituellement ses intérêts et qui est vérifiable par des tiers”.

10) Critère du “centre des intérêts principaux du débiteur”. Présomptions.


Une série de présomptions, simples – donc réfragables –, viennent compléter ce critère aux fins d’en
préciser la localisation.
S’agissant d’abord des sociétés et des personnes morales, le règlement prévoit ainsi que “le centre des
intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve du contraire, être le lieu du siège statutaire” [Règl.
(UE) n° 2015/848, art. 3, § 1er, al. 2].

63
N.B. : “[c]ette présomption ne s’applique que si le siège statutaire n’a pas été transféré dans un
autre État membre au cours des trois mois précédant la demande d’ouverture d’une procédure
d’insolvabilité” [Règl. (UE) n° 2015/848, art. 3, § 1er, al. 2].
S’agissant ensuite des personnes physiques exerçant une profession libérale ou toute autre activité
d’indépendant, le règlement prévoit cette fois-ci que “le centre des intérêts principaux est présumé,
jusqu’à preuve du contraire, être le lieu d’activité principal de l’intéressé” [Règl. (UE) n° 2015/848,
art. 3, § 1er, al. 3].
N.B. : “[c]ette présomption ne s’applique que si le lieu d’activité principal de la personne physique
n’a pas été transféré dans un autre État membre au cours des trois mois précédant la demande
d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité” [Règl. (UE) n° 2015/848, art. 3, § 1er, al. 2].
Enfin, pour toute autre personne physique, le règlement prévoit que “le centre des intérêts principaux
est présumé, jusqu’à preuve du contraire, être la résidence habituelle de l’intéressé” [Règl. (UE) n°
2015/848, art. 3, § 1er, al. 3].
N.B. : “[c]ette présomption ne s’applique que si la résidence habituelle n’a pas été transférée dans
un autre État membre au cours des six mois précédant la demande d’ouverture d’une procédure
d’insolvabilité” [Règl. (UE) n° 2015/848, art. 3, § 1er, al. 2].

N.B. : la Cour de justice a précisé que le “centre des intérêts principaux du débiteur” devait être
apprécié à la date de la demande d’ouverture de la procédure [et non à la date de la décision ouvrant
effectivement la procédure] (CJCE, 17 janv. 2006, aff. C-1/04, Staubitz-Schreiber : Rec., p. I-701).
L’objectif est ici d’éviter qu’un transfert de siège de la société [opéré entre la date de la demande et
la date de la décision d’ouverture de la procédure] emporte l’incompétence de la juridiction saisie.

POINT IMPORTANT : une fois la procédure ouverte par la juridiction compétente en tant que
juridiction sur le territoire de laquelle se trouve le “centre des intérêts principaux du débiteur”, cette
procédure devient donc principale et à portée universelle.

Elle englobe donc tous les biens du débiteur, quelle que soit leur localisation sur le territoire des États
membres.

11) Critère de l’ “établissement”.


Aux termes de l’article 3, § 2, du règlement refondu, “[l]orsque le centre des intérêts principaux du
débiteur est situé sur le territoire d’un État membre, les juridictions d’un autre État membre ne sont
compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité à l’égard de ce débiteur que si celui-ci possède
un établissement sur le territoire de cet autre État membre”.
Le texte ajoute que “[l]es effets de cette procédure sont limités aux biens du débiteur se trouvant sur
ce dernier territoire” [Règl. (UE) n° 2015/848, art. 3, § 2].
En d’autres termes, la procédure d’insolvabilité ouverte sur le fondement de la localisation d’un
établissement sur le territoire de l’État membre concerné ne peut être que de portée territoriale. En
outre, elle ne pourra être que secondaire, si elle est ouverte ultérieurement à une procédure dite
“principale” [Règl. (UE) n° 2015/848, art. 3, § 3].

12) Coordination des procédures.

64
Le règlement organise donc, à son article 3, la coordination des deux types de procédures (principale
et secondaire[s]), en limitant tout à la fois géographiquement et matériellement la/les procédure[s]
secondaire[s].
Le règlement refondu procède donc à une combinaison des théories de l’universalité et de la
territorialité, dans le cadre d’un instrument unique.

13) Reconnaissance de plein droit.


L’intérêt majeur du système mis en place par le Règlement (UE) n° 2015/848 est de prévoir une
reconnaissance de plein droit des procédures ouvertes sur les territoires des États membres [Règl.
(UE) n° 2015/848, art. 19].
N.B. : cette reconnaissance repose sur le principe de la confiance mutuelle [Règl. (UE) n° 2015/848,
Considérant 65]

14) Reconnaissance de plein droit. Effets.


Les principaux effets de cette reconnaissance sont tout à la fois très simples, et très efficaces :

● dessaisissement du débiteur dans tous les États membres, et arrêt des poursuites individuelles
[Règl. (UE) n° 2015/848, art. 20] ;

● réception des paiements centralisée auprès du praticien de l’insolvabilité, dès lors que la loi de
l’État d’ouverture le prévoit, et sauf exception prévue par le règlement [Règl. (UE) n°
2015/848, art. 20].
N.B. : l’article 31 du règlement refondu prévoit ainsi que “[c]elui qui, dans un État membre,
exécute une obligation au profit d’un débiteur soumis à une procédure d’insolvabilité ouverte
dans un autre État membre, alors qu’il aurait dû le faire au profit du praticien de
l’insolvabilité de cette procédure, est libéré s’il ignorait la procédure” [Règl. (UE) n°
2015/848, art. 31].
Il s’agit bien d’une exception du règlement, qui constitue également une exception/atténuation
au principe de reconnaissance de plein droit des procédures d’insolvabilité.

● déploiement de la mission du praticien de l’insolvabilité nommé dans le cadre de la procédure


dite “principale”, et donc déploiement de la loi de cette procédure.

2. Les règles de conflit de lois

15) Subdivision.
En raison de politiques et pratiques nationales divergentes au sein des États membres, le règlement ne
peut toutefois mettre en place qu’un régime fondé sur le compromis.
Cela explique pourquoi le Règlement, nonobstant la consécration à titre de principe de l’application de
la lex fori concursus [loi de l’État d’ouverture de la procédure de faillite] (a), prévoit des règles
matérielles pour assurer l’égalité des créanciers (b), mais aussi des règles de conflit spéciales,
destinées à ne protéger que certains créanciers (c).

a) L’application de principe de la lex fori concursus

65
16) Application aux procédures “principale” comme secondaire(s).
Selon l’article 7, § 1er, du règlement (UE) n° 2015/848, et “[s]auf disposition contraire du […]
règlement, la loi applicable à la procédure d’insolvabilité et à ses effets est celle de l’État membre sur
le territoire duquel cette procédure est ouverte”.
Cette disposition révèle tout d’abord le caractère très procédural du traitement d’une faillite de
dimension internationale [ici, au sein de l’Union européenne].
Elle révèle ensuite et surtout que ce principe trouvera application quelle que soit la nature de la
procédure d’insolvabilité ouverte dans un État membre. Que celle-ci soit “principale” ou “secondaire”,
dans chaque cas – sauf exceptions –, ce sera la loi de l’État membre d’ouverture qui aura vocation à
s’appliquer [d’où l’appellation latine lex fori concursus].
L’on voit donc, ici encore, comment le règlement combine, également du point de vue de la loi
applicable, les théories de l’universalité et de la territorialité de la faillite.

17) Domaine de la lex fori concursus.


Le domaine de la lex fori concursus est prévu directement par le règlement, à son article 7, § 2.
Ce texte prévoit de manière générale que la loi de l’État d’ouverture détermine “les conditions liées à
l’ouverture, au déroulement et à la clôture de la procédure d’insolvabilité”.
Pour éviter au maximum toute difficulté d’interprétation, le texte précise que cette lex fori concursus
détermine notamment [sans être exhaustive, donc : CJUE, 9 nov. 2016, aff. C-212/15, ENEFI, spéc.
point 21 les éléments suivants :
“– a) les débiteurs susceptibles de faire l’objet d’une procédure d’insolvabilité du fait de leur
qualité ;
– b) les biens qui font partie de la masse de l’insolvabilité et le sort des biens acquis par le débiteur
ou qui lui reviennent après l’ouverture de la procédure d’insolvabilité ;
– c) les pouvoirs respectifs du débiteur et du praticien de l’insolvabilité ; […]
– e) les effets de la procédure d’insolvabilité sur les contrats en cours auxquels le débiteur est partie ;
[…]
– g) les créances à produire au passif du débiteur et le sort des créances nées après l’ouverture de la
procédure d’insolvabilité ;
– h) les règles régissant la production, la vérification et l’admission des créances ; […]
– k) les droits des créanciers après la clôture de la procédure d’insolvabilité ; […]
– m) les règles relatives à la nullité, à l’annulation ou à l’inopposabilité des actes juridiques
préjudiciables à la masse des créanciers”.
Le domaine couvert par la lex fori concursus est donc très large, puisque celle-ci a vocation à régir
l’ensemble de la procédure. Cela se justifie aussi bien par l’universalité conférée à la procédure
principale, que par l’objectif visant à garantir une égalité de traitement entre tous les créanciers.

18) Domaine de la lex fori concursus. Concurrence avec d’autres lois.


Malgré les précautions prises, et malgré un domaine très large, la lex fori concursus risque néanmoins,
en pratique, d’entrer en concurrence avec d’autres lois.

66
Parmi différents exemples possibles, l’on peut évoquer la question ici la question du sort des contrats
en cours [Règl. (UE) n° 2015/848, art. 7, § 2, e)]. Quelle loi détermine en effet qu’un contrat est “en
cours” ? La loi du contrat (lex contractus), ou la loi de la faillite (lex fori concursus) ?
La solution de principe doit être la suivante : c’est à la lex contractus d’établir que le contrat concerné
est “en cours”, et c’est ensuite à la lex fori concursus de se prononcer sur la continuation, ou au
contraire la résolution de ce contrat.
N.B. : en toute hypothèse, il convient de retenir que la teneur au fond des lois des États membres ne
garantit pas aux créanciers les mêmes droits. Partant, ces derniers vont en pratique fortement
dépendre de la lex fori concursus applicable à leur situation.
Cela explique pourquoi des règles matérielles, destinées à protéger ou garantir l’égalité des
créanciers entre eux, ont été prévues par le règlement.

b) Les règles matérielles en faveur de l’égalité des créanciers

19) Principe d’égalité.


L’égalité des créanciers étant un principe commun à l’ensemble des États membres de l’Union, il n’est
pas surprenant de le retrouver dans le Règlement n° 2015/848.
Son acception est double :
1. cela signifie qu’il doit y avoir une égalité de traitement entre les créanciers d’une même
procédure ;
2. cela signifie également qu’il doit y avoir une égalité de traitement entre les créanciers
participant aux diverses procédures d’insolvabilité qui se rapportent à un même débiteur.
Le règlement (UE) n° 2015/848 traduit ce principe d’égalité essentiellement de deux manières, en
réglementant d’une part l’information des créanciers, et d’autre part la production des créances.

20) Information des créanciers étrangers. Notion.


Les règles matérielles d’information des créanciers visent les créanciers étrangers.
N.B. : la notion de “créanciers étrangers” ne fait pas référence à leur nationalité, celle-ci étant
indifférente.
Aux termes de l’article 2, 12) du règlement, il s’agit du “créancier qui a sa résidence habituelle, son
domicile ou son siège statutaire dans un État membre autre que l’État d’ouverture de la procédure, y
compris les autorités fiscales et les organismes de sécurité sociale des États membres”.
L’objectif poursuivi par le règlement est ainsi celui de faciliter quelque peu les démarches des
créanciers étrangers, étant donné que ces derniers font déjà face, en pratique, à la territorialité des
mesures de publicité légale, à la distance géographique, à la différence de langue…
V. aussi les dispositions de l’article 86 du règlement [Informations sur le droit national et le droit de
l’Union en matière d’insolvabilité].

21) Information des créanciers étrangers. Information collective

67
L’article 28, § 1er, du règlement refondu prévoit l’obligation pour le praticien de l’insolvabilité ou
le débiteur non dessaisi de publier “le contenu essentiel de la décision d’ouverture de la procédure
d’insolvabilité et, le cas échéant, de la décision de désignation du praticien de l’insolvabilité […]
dans tout autre État membre où est situé un établissement du débiteur, conformément aux modalités
de publication prévues dans cet État membre”.
N.B. : en pratique, cette publication mentionnera :
“le cas échéant, le praticien de l’insolvabilité désigné et précise[ra] si la règle de compétence
appliquée est celle du paragraphe 1 ou du paragraphe 2 de l’article 3” [Règl. (UE) n° 2015/848, art.
28, § 1, in fine].
Pour les États membres sur le territoire desquels aucun établissement ne sera situé, cette publication
sera seulement facultative [Règl. (UE) n° 2015/848, art. 28, § 2].
N.B. : l’article 24 du règlement refondu est venu imposer aux États membres la création, sur leur
territoire, d’un ou plusieurs “registres d’insolvabilité”, lesquels ont vocation à publier des
informations concernant les procédures d’insolvabilité.
Le considérant 76 du règlement explicite la raison d’être de ces registres : “améliorer la
communication d’informations aux créanciers et juridictions concernés”, et
“éviter l’ouverture de procédures parallèles”.
Pour faciliter l’ensemble, une interconnexion de l’ensemble de ces registres d’insolvabilité est
également prévue, par l’intermédiaire du portail européen e-Justice [Règl. (UE) n° 2015/848, art.
25].

22) Information des créanciers étrangers. Information individuelle.


Conformément à l’article 54, § 1er, du règlement refondu, la juridiction compétente ou le praticien
de l’insolvabilité désigné par cette juridiction doit informer “sans délai” les créanciers étrangers
connus, “[d]ès qu’une procédure d’insolvabilité est ouverte dans un État membre”.
En pratique, cette information est assurée par l’envoi individuel d’une note. Elle porte notamment sur
les délais à observer, les sanctions prévues quant à ces délais, l’organe ou l’autorité habilité(e) à
recevoir la production des créances et toute autre mesure prescrite [Règl. (UE) n° 2015/848, art. 54, §
2].
N.B. : la note comporte également une copie du formulaire uniformisé de production de créances visé
à l’article 55 du règlement.

23) Production des créances.


La production des créances peut être individuelle ou collective.
S’agissant de la production individuelle, l’article 45, § 1er, du règlement refondu prévoit que “[t]out
créancier peut produire sa créance à la procédure d’insolvabilité principale et à toute procédure
d’insolvabilité secondaire”.
L’article 55, § 1er du règlement refondu précise, pour ce qui concerne les créanciers étrangers, que
ceux-ci peuvent produire leurs créances au moyen d’un formulaire de demande uniformisé, lequel doit
être établi conformément à l’article 88.

68
Quant aux autres paragraphes de l’article 55, ceux-ci indiquent les modalités de production des
créances, ainsi que les informations devant figurer dans le formulaire.
N.B. : si la lex fori concursus est la loi française, les créanciers devront “produire” [ou “déclarer”]
leur(s) créance(s) dans un délai de quatre (4) mois, “à compter de la publication du jugement
d’ouverture au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales [BODACC]” (C. com., art. R.
622-24, al. 1 et 2).
S’agissant de la production collective, le règlement refondu prévoit la possibilité, pour les praticiens
de l’insolvabilité de la procédure principale et de toute procédure secondaire, de produire dans le cadre
des autres procédures “les créances déjà produites dans le cadre de la procédure pour laquelle ils ont
été désignés” [Règl. (UE) n° 2015/848, art. 45, § 2].
Cela dit, cette production ne peut être faite que si elle est “utile aux créanciers de la procédure pour
laquelle ils ont été désignés”, et “sous réserve du droit de ceux-ci de s’y opposer ou de retirer la
production de leurs créances lorsque la loi applicable le prévoit” [Règl. (UE) n° 2015/848, art. 45, §
2].
N.B. : il est permis d’y voir une sorte de production de créance globale.

c) Les règles protectrices de certains créanciers

24) Position du problème.


Étant donné que le règlement (UE) n° 2015/848 n’a pas procédé à l’uniformisation des règles
relatives à l’opposabilité, par les créanciers, de leurs droits régulièrement acquis à l’encontre de la
procédure d’insolvabilité, des règles spécifiques de protection ont dû être adoptées pour prendre en
compte ces droits acquis.
Deux ordres d’exception sont ainsi prévus par le règlement, aux fins de :
1. limiter la portée universelle d’une procédure d’insolvabilité principale ;
2. prendre en compte l’application des règles d’une loi concurrente.

25) Limitation de la portée universelle de la procédure d’insolvabilité principale.


Aux fins de limiter la portée universelle d’une procédure d’insolvabilité principale, le règlement est
venu prévoir que “[l]’ouverture de la procédure d’insolvabilité n’affecte pas le droit réel d’un
créancier ou d’un tiers sur des biens corporels ou incorporels, meubles ou immeubles, à la fois des
biens déterminés et des ensembles de biens indéterminés dont la composition est sujette à
modification, appartenant au débiteur et qui sont situés, au moment de l’ouverture de la procédure,
sur le territoire d’un autre État membre” [Règl. (UE) n° 2015/848, art. 8, § 1er].
Parmi ces droits réels, sont notamment visés :
“a) le droit de réaliser ou de faire réaliser un bien et d’être désintéressé par le produit ou les revenus
de ce bien, en particulier en vertu d’un gage ou d’une hypothèque ;
b) le droit exclusif de recouvrer une créance, notamment en vertu de la mise en gage ou de la cession
de cette créance à titre de garantie ;
c) le droit de revendiquer un bien et/ou d’en réclamer la restitution entre les mains de quiconque le
détient ou en jouit contre la volonté de l’ayant droit ;
d) le droit réel de percevoir les fruits d’un bien” [Règl. (UE) n° 2015/848, art. 8, § 2].

69
N.B. : il est permis d’y voir une réintroduction de la territorialité dans une procédure pourtant censée
être pleinement universelle, ce qui constitue un “modèle d’universalité atténuée” [selon l’expression
de l’Avocat général Szpunar dans ses conclusions dans l’affaire SCI Senior Home – v. infra]
N.B. : le règlement prévoit que la justification, la validité et la portée d’un droit réel devraient
normalement être déterminés en vertu de la loi du lieu de situation (lex rei sitæ) et ne pas être affectés
par l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité [Règl. (UE) n° 2015/848, consid. 68. V. également,
sous l’empire du règlement (CE) n° 1346/2000 : CJUE, 16 avril 2015, aff. C-557/13, Lutz, spéc.
point 27 ].
N.B. : la Cour de justice est toutefois venue préciser que les droits considérés comme “réels” par la
loi pertinente d’un État membre devaient remplir certains critères :

● constituer une charge grevant directement et immédiatement un bien [immeuble, au cas


d’espèce] ;

● permettre l’exécution forcée sur le bien visé ;

● conférer la qualité de créancier privilégié à son titulaire (l’administration fiscale au cas


d’espèce) [CJUE, 26 oct. 2016, aff. C-195/15, SCI Senior Home, spéc. points 22-23].

26) Application des règles d’une loi concurrente.


La préservation des droits de certains créanciers peut encore être atteinte par l’application d’une loi
concurrente de la lex fori concursus. Le principal exemple s’illustre par la situation des salariés.
L’article 13, § 1er du règlement (UE) n° 2015/848 prévoit ainsi que “[l]es effets de la procédure
d’insolvabilité sur les contrats de travail et sur les relations de travail sont régis exclusivement par la
loi de l’État membre applicable au contrat de travail”.
N.B. : cette situation s’explique une fois encore par le fait que les lois des États membres divergent
sur les droits accordés aux salariés sous leur empire.
N.B. : la concurrence entre la loi applicable au contrat de travail et la lex fori concursus est
explicitée par le règlement à son considérant 72.
Ainsi, “les effets de la procédure d’insolvabilité sur la poursuite ou la cessation des relations de
travail et sur les droits et les obligations de chaque partie à ces relations devraient être déterminés
par la loi applicable au contrat de travail concerné en vertu des règles générales de conflit de lois”
[Règlement (CE) n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations
contractuelles : JOUE, L 177 du 4 juillet 2008, p. 6, spéc. art. 8 ].
En revanche, “[t]oute autre question relative à l’insolvabilité, telle que, par exemple, celle de savoir
si les créances des travailleurs sont garanties par un privilège et quel est le rang éventuel de ce
privilège, devrait être déterminée par la loi de l’État membre dans lequel la procédure d’insolvabilité
(principale ou secondaire) a été ouverte, sauf si un engagement a été pris afin d’éviter une procédure
d’insolvabilité secondaire conformément au présent règlement”.

3. La question du groupe d’entreprises (les rapports mères-filles)

27) Origine jurisprudentielle (1).

70
Sous l’empire du règlement (CE) n° 1346/2000, la question de l’insolvabilité d’un groupe
d’entreprises – et de son traitement – n’était pas envisagée. Plusieurs juridictions nationales avaient
néanmoins jugé celui-ci applicable dans ce genre d’hypothèse, au moyen d’un procédé consistant à :

● renverser la présomption alors posée par cet instrument en faveur du siège statutaire de la
société, et à

● localiser le “centre des intérêts principaux du débiteur” des filiales au siège de leur société
mère.
N.B. : certaines affaires, initiées en Angleterre, ont eu leur versant judiciaire en France dans ce
contexte. V. ainsi :

● Versailles, 4 sept. 2003, Soc. Isa Daisytek et Cass. com., 27 juin 2006, Soc. Isa Daisytek, n°
03-19.863, Bull. civ. IV, n° 149.

● Versailles, 15 déc. 2005, Soc. Rover.

28) Origine jurisprudentielle (2).


Plusieurs affaires ont suivi (Enron, EMTEC, …), mais c’est à la suite de la résistance d’une juridiction
irlandaise contre cette pratique [saisie en tant que juridiction du lieu du siège statutaire de la
filiale Eurofood du groupe Parmalat] que la Cour de justice eut l’occasion de se prononcer sur cette
question.
Cela donna lieu au retentissant arrêt Eurofood (CJCE, 2 mai 2006, aff. C-341/04, Eurofood, Rec., p. I-
3813).
La Cour de justice y énonça que “pour la détermination du centre des intérêts principaux d’une
société débitrice, la présomption simple prévue par le législateur communautaire au bénéfice du siège
statutaire de cette société ne peut être écartée que si des éléments objectifs et vérifiables par les tiers
permettent d’établir l’existence d’une situation réelle différente de celle que la localisation audit siège
statutaire est censée refléter” [point 34 de l’arrêt].
N.B. : pour la Cour, cette “situation réelle différente” pourrait être caractérisée par une “société
‘boîte aux lettres’ qui n’exercerait aucune activité sur le territoire de l’État membre où est situé son
siège social” [point 35 de l’arrêt].
En d’autres termes, la Cour de justice ne condamne pas le recours au règlement pour traiter de
l’insolvabilité d’un groupe ; elle se contente d’exiger que les juridictions nationales motivent
davantage le renversement de la présomption établie en faveur du siège statutaire.
Techniquement, cela revient à retenir une conception matérielle de la notion de centre des intérêts
principaux du débiteur, par préférence à une conception davantage intellectuelle [fondée sur le
contrôle exercé par la mère sur ses “filles”].
N.B. : après cet arrêt, les juridictions nationales ont continué à appliquer le règlement (CE) n°
1346/2000 à l’insolvabilité de groupes de sociétés.
En France, cela a concerné plusieurs affaires emblématiques :

● T. com., Beaune, 16 juil. 2008, Soc. Belvédère ; et sur bien d’autres aspects (trust et parallel
debt) : Cass. com., 13 sept. 2011, Soc. Belvédère, n° 10-25.533, 10-25.731 et 10-25.908, Bull.
civ. IV, n° 131 ;

71
● Paris, 25 févr. 2010, puis Cass. com., 8 mars 2011, Heart of Défense, n° 10-13.988, 10-
13.989 et 10-13.990, Bull. civ. IV, n° 33 ;

● Paris, 26 nov. 2009, Mansford.

28) Origine jurisprudentielle (3).


La Cour de justice allait faire évoluer sa jurisprudence par un important arrêt Interedil (CJUE, 20
oct. 2011, aff. C-396/09, Interedil, Rec., p. I-9915).
La Cour s’y montre très claire, et énonce fermement qu’aux fins “de déterminer le centre des intérêts
principaux d’une société débitrice, l’article 3, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement n°
1346/2000 doit être interprété de la façon suivante :

● le centre des intérêts principaux d’une société débitrice doit être déterminé en privilégiant le
lieu de l’administration centrale de cette société, tel qu’il peut être établi par des éléments
objectifs et vérifiables par les tiers. Dans l’hypothèse où les organes de direction et de
contrôle d’une société se trouvent au lieu de son siège statutaire et que les décisions de
gestion de cette société sont prises, de manière vérifiable par les tiers, en ce lieu, la
présomption prévue à cette disposition ne peut pas être renversée. Dans l’hypothèse où le lieu
de l’administration centrale d’une société ne se trouve pas au siège statutaire de celle-ci, la
présence d’actifs sociaux comme l’existence de contrats relatifs à leur exploitation financière
dans un État membre autre que celui du siège statutaire de cette société ne peuvent être
considérées comme des éléments suffisants pour renverser cette présomption qu’à la
condition qu’une appréciation globale de l’ensemble des éléments pertinents permette
d’établir que, de manière vérifiable par les tiers, le centre effectif de direction et de contrôle
de ladite société ainsi que de la gestion de ses intérêts se situe dans cet autre État membre ;

● dans le cas d’un transfert du siège statutaire d’une société débitrice avant l’introduction
d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, le centre des intérêts principaux
de cette société est présumé se trouver au nouveau siège statutaire de celle-ci”.
En d’autres termes, la Cour de justice rejoint la pratique de certaines juridictions en consacrant la mise
en œuvre de la technique dite du faisceau d’indices concordants. C’est d’ailleurs cette position qui
va, à son tour, être consacrée par le règlement (UE) n° 2015/848.

29) Consécration par le règlement refondu.


Désormais défini comme une “entreprise mère et l’ensemble de ses filiales” [Règl. (UE) n° 2015/848,
art. 2, 13)], le groupe de sociétés – non intégré – est pleinement pris en compte par le règlement
refondu du 20 mai 2015.
Le chapitre V de cet instrument, composé de vingt-huit (28) articles, lui est ainsi intégralement
consacré, en vue d’offrir un cadre clair et précis à des situations parfois complexes et qui avaient pu
donner lieu à un traitement contestable dans le passé.
Il convient de retenir que deux grands principes gouvernent désormais le traitement de l’insolvabilité
d’un groupe de sociétés : le principe de coopération entre les juridictions nationales et les praticiens de
l’insolvabilité d’une part [Règl. (UE) n° 2015/848, art. 56 et s.)], et le principe de coordination
collective des procédures, d’autre part [Règl. (UE) n° 2015/848, art. 61 et s.)].

72
B. Le droit français de la faillite internationale

30) Vue générale.


En droit international privé, l’on enseigne classiquement qu’il n’y a pas d’identité entre le forum et
le jus. En d’autres termes, le juge compétemment saisi peut être conduit à appliquer une loi étrangère,
et non pas seulement la lex fori.
Or, en droit français de la faillite internationale, cette identité entre le forum et le jus est toujours de
mise – ce qui explique d’ailleurs pourquoi l’on se réfère fréquemment à la lex fori concursus, plutôt
qu’à la lex concursus.

31) Champ d’application.


Ce rappel étant effectué, quel est le champ d’application du droit français de la faillite internationale ?
Il s’agit, très simplement, de la partie résiduaire laissée par le droit européen de l’insolvabilité, c’est-à-
dire la partie non couverte par le champ d’application du Règlement (UE) n° 2015/848.
Aussi – et hormis le cas particulier d’une faillite d’établissements d’assurance et/ou de crédit [relevant
du champ d’application de directives européennes] –, sont régies par le droit français de la faillite
internationale :

● les faillites des entreprises ayant leur siège dans le royaume de Danemark ;
N.B. : bien qu’étant un État membre de l’Union européenne, le royaume de Danemark n’est
pas lié, pour des raisons d’ordre constitutionnel qui lui sont propres, par la plupart des
règlements européens de droit international privé. Cet État est donc assimilé, de ce point de
vue, à un État tiers du point de vue du champ d’application du règlement (UE) n°
2015/848 [et préalablement de celui du règlement (CE) n° 1346/2000].

● les faillites des entreprises dont le siège est situé dans un État tiers à l’Union européenne ;

● les effets dans les États tiers des procédures d’insolvabilité concernant des entreprises dont le
siège est situé en France.
N.B. : cette question des effets est conditionnée à l’absence de portée extraterritoriale
conférée au règlement (CE) n° 1346/2000 ou au règlement (UE) n° 2015/848.
Un arrêt (CJUE, 16 janv. 2014, aff. C-328/12, Schmid) a pu semer le trouble à ce sujet, mais
il semblerait que le règlement refondu soit venu le condamner [Règlement (UE) n° 2015/848,
consid. 35].

32) Division.
À l’instar de ce qui a été vu lors de l’étude du règlement (UE) n° 2015/848, il convient d’examiner
comment le droit français règle la question de la compétence juridictionnelle directe des tribunaux
français (1) et celle du conflit de lois (2) en matière de faillite internationale.

1. La compétence juridictionnelle directe des tribunaux français

33) Subdivision.

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La compétence des tribunaux français est en principe fondée sur le critère du siège de l’entreprise du
débiteur (a). D’autres critères peuvent toutefois fonder également cette compétence (b).

a) Le siège de l’entreprise du débiteur : chef de compétence de principe

34) Siège ou adresse de l’entreprise. Absence de définition.


Aux termes de l’article R-600-1 du Code de commerce, “[…] le tribunal territorialement compétent
pour connaître des procédures [de faillite] prévues par le livre VI de la partie législative du présent
code est celui dans le ressort duquel le débiteur, personne morale, a son siège ou le débiteur,
personne physique, a déclaré l’adresse de son entreprise ou de son activité […]”.
N.B. : la notion de siège n’étant pas précisée par le Code de commerce, se pose la question de
savoir, en cas de dissociation dans l’espace entre le siège statutaire et le siège réel, lequel de ces deux
sièges doit prévaloir.
La jurisprudence de la Cour de cassation semble en faveur du siège statutaire, sauf fiction de ce
dernier.
V. ainsi Cass. civ. 1re, 21 juil. 1987, n° 85-18.504, Bull. civ. I, n° 242 :
“le tribunal compétent pour prononcer la liquidation des biens ou le règlement judiciaire d’une
société est, en principe, celui de son siège, fixé par les statuts, à moins qu’il ne soit établi que ce siège
social n’est qu’une fiction et que les opérations de la société se font toutes ou généralement dans un
autre endroit”.

35) Consécration de la théorie de l’universalité.


Avant l’entrée en application des règlements (CE) n° 1346/2000 et (UE) n° 2015/848, la question de
la portée d’une procédure de faillite de dimension internationale pouvait également se poser.
En la matière, le réalisme commandait de s’en tenir à la théorie de la territorialité, étant donné que le
pouvoir de contrainte du juge français ne pouvait s’étendre au-delà des frontières. Cela supposait donc
d’accepter une potentielle pluralité de procédures d’ouverture concurrentes, aux effets territorialement
limités.
Toutefois, et après avoir longuement hésité, la jurisprudence française a fini par prendre le parti de
consacrer la théorie de l’universalité, et de tendre ainsi à l’unité d’une procédure (Cass. civ. 1re, 19
nov. 2002, Banque Worms, n° 00-22.334, Bull. civ. I, n° 275).
N.B. : au visa du “principe de l’universalité de la faillite, ensemble l’article L. 621-83, alinéa 4, du
Code de commerce [aujourd’hui abrogé, depuis 2006]”, la Cour a énoncé que “sous réserve des
traités internationaux ou d’actes communautaires non applicables en l’espèce, et dans la mesure de
l’acceptation par les ordres juridiques étrangers, le redressement judiciaire prononcé en France
produit ses effets partout où le débiteur a des biens ; que l’article 6.1 de la Convention européenne
des droits de l’homme […] ne saurait faire obstacle aux principes d’universalité ainsi qu’à celui
d’égalité des créanciers chirographaires qui caractérise toute procédure collective et qui postule
l’interdiction des poursuites individuelles et la soumission des créanciers aux obligations du plan de
redressement”.
N.B. : L’alinéa 2 de l’article R. 600-1 du Code de commerce réserve l’hypothèse [à l’instar de ce qui
a été vu en droit européen des procédures d’insolvabilité], d’un transfert de siège par anticipation,
aux fins d’évitement de la procédure : “en cas de changement de siège de la personne morale dans les

74
six mois ayant précédé la saisine du tribunal, le tribunal dans le ressort duquel se trouvait le siège
initial demeure seul compétent. Ce délai court à compter de l’inscription modificative au registre du
commerce et des sociétés du siège initial”.

b) Les chefs de compétence accessoires ou subsidiaires

36) Centre principal des intérêts (1).


En cas de défaut de siège en territoire français, l’article R. 600-1, alinéa 1er in fine du Code de
commerce prévoit que “le tribunal compétent est celui dans le ressort duquel le débiteur a le centre
principal de ses intérêts en France”.
Cette notion ne doit bien évidemment pas être confondue avec celle, autonome, issue des règlements
(CE) n° 1346/2000 et (UE) n° 2015/848.
Aussi, qu’est-ce que le “centre principal de ses intérêts” au sens de cet article ?
La doctrine s’accorde à dire que cette notion peut être interprétée par référence à la jurisprudence
initialement fondée sur l’article 1er du décret n° 85-1388 du 27 décembre 1985 [aujourd’hui
abrogé], lequel venait consacrer la notion de “principal établissement”.
Pour la Cour de cassation, cette notion de principal établissement du débiteur désignait initialement le
“principal de ses établissement secondaires situés en France” (Cass. com., 11 avril 1995, BCCI
Overseas, n° 92-20.032, Bull. civ. IV, n° 126 ).
Toutefois, depuis 1999, la Cour de cassation semble ne pas vouloir réduire cette notion de “centre
principal des intérêts” du débiteur à la notion d’établissement secondaire. Elle retient en effet une
acception très large de cette notion, approuvant une cour d’appel de s’être fondée sur la “seule
activité” d’une société en France, laquelle consistait en “l’exploitation de locaux” (Cass. com., 26 oct.
1999, n° 96-12.946, Inédit).
Plus récemment, la Cour a considéré que le lieu de financement et de gestion d’actifs constituait des
“intérêts en France dont le centre principal était situé dans le ressort du tribunal” compétent (Cass.
com., 1er oct. 2002, n° 99-11.858, Inédit ).
N.B. : il est permis de regretter que cette expression de “centre principal des intérêts” du débiteur
n’ait pas été modifiée par le législateur, car elle entretient une confusion certaine avec la
terminologie issue des règlements (CE) n° 1346/2000 et (UE) n° 2015/848.

37) Centre principal des intérêts (2).


Le critère du centre principal des intérêts, interprété dans la continuité de la jurisprudence rendue en la
matière, est donc censé conduire les tribunaux français à pouvoir se déclarer compétents pour ouvrir
une procédure de faillite de dimension internationale, et ce, même si une procédure de faillite a déjà
été ouverte à l’étranger (Cass. com., 11 avril 1995, BCCI Overseas, préc.).
La question s’est alors rapidement posée de savoir si une telle procédure était de portée
nécessairement territoriale ou s’il fallait au contraire lui accorder une portée universelle [en
considérant que c’est le débiteur – et non le seul établissement de celui-ci situé en France – qui est
soumis à la procédure ouverte en France].
La Cour de cassation a finalement tranché en faveur d’une portée universelle (Cass. com., 21 mars
2006, Khalifa Airways, n° 04-17.869, Bull. civ. IV, n° 74).

75
N.B. : par cet arrêt, la Cour de cassation confirme donc son attachement à la théorie de l’universalité
de la faillite de dimension internationale, quel que soit le fondement de la compétence des tribunaux
français.
Toutefois, et outre le fait que ces critères ne peuvent trouver application qu’en dehors du champ
d’application des règlements (CE) n° 1346/2000 et (UE) n° 2015/848, la réserve de “l’acceptation
par les ordres juridiques étrangers” constitue en pratique un très grand frein au déploiement possible
des effets d’une faillite conçue comme étant de portée universelle.

38) Privilège(s) de juridiction.


La nationalité française du demandeur ou du défendeur à une procédure de faillite de dimension
internationale peut encore constituer un critère – subsidiaire, et non plus accessoire – permettant de
fonder la compétence des tribunaux français.
Au-delà de leur lettre même, les articles 14 et 15 du Code civil prévoient cette possibilité, mais leur
mise en œuvre n’est possible en pratique qu’à la condition qu’aucun autre chef de compétence n’ait pu
préalablement trouver application.
N.B. : concrètement,

● le premier chef de compétence (C. civ., art. 14) autorise un créancier de nationalité française
à demander l’ouverture d’une procédure de faillite en France à l’encontre d’un débiteur
étranger (Cass. com., 19 mars 1979, Bull. civ. IV, n° 104), tandis que

● le second chef de compétence (C. civ., art. 15) autorise un créancier étranger à attraire un
débiteur de nationalité française devant un tribunal français, alors même que ce débiteur
n’aurait – par hypothèse – aucun siège ou centre d’intérêts en France.

39) Localisation de biens ou exécution d’obligations en France.


La localisation de biens, ou même la simple exécution d’obligations en France peut encore constituer
un chef de compétence permettant à des juridictions françaises d’ouvrir une procédure de faillite de
dimension internationale en France.
Ancienne, cette solution jurisprudentielle a été ravivée par deux arrêts plus récents (Cass. com., 26
oct. 1999, préc. ; Cass. com., 1er oct. 2002, préc.), mais elle reste très critiquable, car il n’est pas
pertinent d’ouvrir une telle procédure sur le fondement d’un lien aussi ténu avec la France, et sans
prendre en compte la situation financière de la société en dehors du territoire français.

2. Le conflit de lois en matière de faillites internationales

40) Distinction.
Si l’application de la loi française ne fait ici aucun doute, encore faut-il en préciser le domaine. Une
distinction doit ainsi être faite entre domaine exclusif de la lex fori concursus et domaine partagé –
avec d’autres lois en concurrence.

41) Domaine exclusif de la lex fori concursus.

76
Les cas d’ouverture de la faillite, la saisine du tribunal ou encore la procédure antérieure au jugement
sont régis par la lex fori concursus.
Cette loi régit également, sans surprise, le déroulement de la procédure, et notamment pour ce qui
concerne la production de leurs créances par les créanciers étrangers [entendus comme les créanciers
non-résidents dans l’État d’ouverture de la faillite].
N.B. : la jurisprudence sur le sujet est aussi ancienne que pérenne.

● Cass. civ., 11 mars 1913, Faillite Nebel ;

● Cass. com., 19 janv. 1988, BCT Computer, n° 86-11.080, Bull. civ. IV, n° 47

● Cass. com., 14 mai 1996, BCCI Overseas, n° 94-16.186, Bull. civ. IV, n° 131.

N.B. : ce dernier arrêt confirme le mouvement, initié en 1913, qui se révèle favorable à la production
de créances en France, alors même qu’il existe des procédures concurrentes à l’étranger.
Cet arrêt se prononce également sur la validité d’une production collective de créances par les
liquidateurs d’une procédure concurrente.
La lex fori concursus gouverne enfin l’issue de la procédure, ce qui inclut le prononcé de la
liquidation, de la continuation ou de la cession de l’entreprise [à tout le moins pour ce qui concerne le
territoire français…].

42) Domaine partagé de la lex fori concursus avec des lois concurrentes.
À l’instar de ce qui a pu être envisagé sous l’empire du règlement (UE) n° 2015/848, la lex fori
concursus peut entrer en concurrence avec d’autres lois, notamment pour ce qui concerne le sort de
différents contrats [en ce inclus le contrat de travail (Cass. soc., 2 oct. 2001, n° 99-44.808 et 99-
44.809, Bull. civ. V, n° 294).
Les questions du sort des garanties ou de la revendication de la propriété réservée relèvent également
de ce domaine partagé par la lex fori concursus avec d’autres lois, mais la jurisprudence sur ces
questions reste incertaine.

77
Thème 4 : Les opérations du commerce international

Présentation générale :
1) Définition.
La plupart des opérations du commerce international sont règlementées par des conventions
internationales ou des solutions de source jurisprudentielle.
L’existence de ces réglementations particulières ne saurait toutefois occulter une réalité : l’existence
concomitante de principes communs. Cela s’explique par le fait que même en présence d’une
réglementation particulière très détaillée, celle-ci ne pourra jamais couvrir l’ensemble des questions
susceptibles de se poser.
Il convient donc d’étudier en priorité ces principes communs (I), avant d’envisager certaines
des solutions particulières (II).

2) Choix retenu.
Le choix a été fait ici de se focaliser uniquement sur les opérations contractuelles de droit privé.
D’un point de vue européen, cela suppose de prendre connaissance des réglementations internationale
et européenne qui s’appliquent devant les juges étatiques des États membres de l’Union européenne.

3) Présentation générale. Perspective historique.


À la suite du besoin tôt ressenti d’unifier, au sein de l’ancienne Communauté européenne, les règles de
conflit de lois en matière d’obligations contractuelles, une Convention sur la loi applicable aux
obligations contractuelles, fut signée à Rome le 19 juin 1980.
Entrée en vigueur le 1er avril 1991, cette convention est applicable aux contrats conclus entre le 1er
avril 1991 (Conv. Rome, art. 29) et le 16 décembre 2009.
S’il est important de la connaître, il faut néanmoins observer que cette convention a entretemps été
“communautarisée”, le Parlement européen et le Conseil ayant adopté, le 17 juin 2008, un règlement
de l’Union se substituant à elle. Il s’agit du Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et
du Conseil sur la loi applicable aux obligations contractuelles, dit “Rome I”.
L’étude de son champ d’application (A) précèdera l’examen des principales règles posées par ce
règlement (B).

A. Champ d'application du règlement "Rome I"

4) Question préalable. Le champ d’application ratione loci.

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Le champ d’application dans l’espace du règlement n’est pas spécifiquement déterminé, étant donné
qu’il correspond à celui du droit de l’Union tel que prévu par les traités constitutifs. Les textes
pertinents sont donc :

● l’article 52 TUE ;

● les articles 349 et 355 TFUE.

5) Cas particulier du royaume de Danemark.


Bien que le règlement prévoie, dans ses dispositions finales, qu’il est “obligatoire dans tous ses
éléments et directement applicable dans tout État membre conformément au traité” (Règl. (CE) n°
592/2008, art. 29), il demeure que le royaume de Danemark n’est pas lié par cet instrument (Règl.
(CE) n° 593/2008, Consid. 46 et art. 1er, § 4). En conséquence, la convention de Rome du 19 juin
1980 demeure applicable au Royaume de Danemark.

1. Application ratione temporis : le champ d’application tempore

6) Entrée en vigueur.
Le règlement est entré en vigueur “le vingtième jour après sa publication au Journal officiel” ( Règl.
(CE) n° 593/2008, art. 29, al. 1er).
Cela signifie donc que cet instrument relève du droit positif de l’Union européenne depuis le 24 juillet
2008.
Toutefois, il convient de bien distinguer entrée en vigueur et entrée en application.

7) Entrée en application.
L’application d’un règlement de l’Union n’est pas toujours concomitante à la date de son entrée en
vigueur, ce qu’illustre très bien le règlement dit “Rome I”.
Aux termes de l’article 29, alinéa 2 de ce texte, le règlement “est applicable à partir du 17 décembre
2009”. Or, une difficulté était immédiatement apparue, étant donné que l’article 28 du règlement
prévoyait son application “aux contrats conclus après le 17 décembre 2009” (nous soulignons).
Face à cette divergence, un rectificatif fut donc adopté (V. supra, n° 3). Dans sa version consolidée, le
règlement prévoit donc aujourd’hui son application “aux contrats conclus à compter du 17 décembre
2009” (Règl. (CE) n° 593/2008, art. 28 modifié. – Nous soulignons). La difficulté est levée.

8) Détermination de la date de conclusion du contrat.


S’agissant de la détermination de la date de conclusion du contrat, le Règlement (à l’instar de la
Convention du 19 juin 1980) est muet sur ce point.
Interrogée sur le champ d’application ratione temporis à l’occasion d’une affaire portant sur la
détermination du droit applicable à un contrat de travail (CJUE, 18 oct. 2016, aff. C-135/15,
Nikiforidis, la Cour de justice a pu considérer que “[l]’article 28 du règlement Rome I ne comportant
aucun renvoi au droit des États membres, il conv[enait] donc de l’interpréter de façon autonome et
uniforme” (point 29 de l’arrêt), et que “celui-ci n’a vocation à s’appliquer qu’aux relations
contractuelles nées du consentement mutuel des parties contractantes, qui s’est manifesté à compter
du 17 décembre 2009” (point 31 de l’arrêt).

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En l’absence d’application immédiate du règlement, il convient donc en pratique de rechercher la
manifestation d’un consentement mutuel de la part des parties contractantes à compter du 17 décembre
2009, ce qui offre de la souplesse et évite de s’interroger sur la loi applicable au contrat sur ce point.
La Cour de justice a également pu préciser qu’il serait “contraire au principe de sécurité juridique et,
plus particulièrement, défavorable à la prévisibilité de l’issue des litiges et à la sécurité quant au
droit applicable, qui constituent, selon le considérant 6 du règlement Rome I, un objectif de celui-ci,
de considérer que toute modification apportée au contrat initial d’un commun accord, à compter du
17 décembre 2009, fasse relever ce contrat du champ d’application de ce règlement et, en fin de
compte, soumette ledit contrat à d’autres règles de conflit de lois que celles applicables au moment de
la conclusion initiale de celui-ci” (point 36 de l’arrêt).
En revanche, une modification du contrat initial qui viendrait créer un nouveau rapport juridique entre
les parties contractantes a vocation à entrer dans le champ d’application temporel du règlement (point
37 de l’arrêt).

2. Application ratione materiæ : le champ d’application matériel

9) Précisions. Division.
S’interroger sur le champ d’application matériel revient à préciser les contrats visés par le Règlement
(CE) n° 593/2008.
Pour ce faire, il faut procéder par étapes et vérifier que trois conditions sont remplies :

● 1re étape : existence d’une obligation contractuelle (a) ;

● 2e étape : identifier une “situation comportant un conflit de lois” (b) ;

● 3e étape : ne pas être dans une matière exclue par les deux textes (c)

a) L’existence d’une obligation contractuelle

10) Absence de définition.


Tout comme la Convention de Rome du 19 juin 1980 préalablement, le Règlement dit “Rome I” ne
donne aucune définition des obligations contractuelles qu’il inclut pourtant dans son champ
d’application (Art. 1er, § 1er).
Le Considérant n° 7 du Règlement invite toutefois à ce sujet à interpréter ce texte de façon cohérente
avec les solutions qui prévalent pour le Règlement (CE) n° 44/2001, devenu le règlement (UE) n°
1215/2012.
Un alignement avec la jurisprudence de la Cour de justice rendue à propos de la notion de “matière
contractuelle” est donc envisageable, mais cette même Cour a déjà pu énoncer que ce principe de
cohérence ne saurait conduire à donner aux dispositions de l’un ou l’autre règlement une interprétation
étrangère au système et aux objectifs de chacun d’eux (CJUE, 16 janv. 2014, aff. C-45/13,
Kainz, spéc. pt 20.)

11) Matière civile et commerciale.

80
Une fois ce point réglé, encore faut-il qu’il s’agisse d’obligations contractuelles “en matière civile et
commerciale”.
Cela inclut donc, notamment :

● les contrats relevant de la propriété intellectuelle ;

● le contrat de transaction ;

● les contrats de construction d’immeubles…

En revanche, sont exclus, assurément les “contrats d’États”, mais un doute subsiste sur les contrats
internationaux conclus par l’Administration.

12) Cas particulier : les obligations précontractuelles.


Le Règlement s’applique-t-il à des pourparlers ?
La question est d’importance car tous les États membres ne retiennent pas la même qualification pour
les opérations conduites lors de la phase de négociation précontractuelle (cf. ainsi la culpa in
contrahendo du droit allemand).
Le Règlement “Rome I” est clair sur ce point : “les obligations découlant de tractations menées
avant la conclusion d’un contrat” sont exclues de son champ d’application matériel (Art. 1er, § 2,
littera i)).

b) L’identification d’une “situation comportant un conflit de lois”

13) Définition. Distinction.


L’identification est exigée par l’article 1er, § 1er du Règlement.
Prévue pour les pays au système juridique non unifié (comme celui du Royaume-Uni), cette
distinction est surtout importante en ce qu’elle se distingue de la notion de “contrat international”.
Il faut retenir que le Règlement ne prend pas partie sur cette dernière notion, qu’il élude. En exigeant
en effet une “situation comportant un conflit de lois”, ce texte admet dans son domaine d’application
(tout comme la Convention de Rome initialement) les contrats internes dans lesquels les parties se
seraient contentées d’inclure une clause de choix de loi au profit d’une loi étrangère, sous réserve du
respect de dispositions impératives (V. infra, n° 22 – Art. 3, § 3).
En conséquence, peu importe de savoir ce qu’est un contrat “international” sous l’empire du
Règlement, à tout le moins du point de vue de son champ d’application matériel.

c) Matières exclues

14) Liste.
Les matières exclues sont notamment :

● les matières fiscales, douanières et administratives (Art. 1er, § 1, al. 2) ;

81
● l’état et capacité des personnes physiques (Art. 1er, § 2, littera a)) – sous réserve du jeu de
l’article 13 ;

● le droit extra-patrimonial de la famille et obligations alimentaires (Art. 1er, § 2, littera


b)) ;

● le droit patrimonial de la famille (Art. 1er, § 2, littera c)), mais non les donations ;

● les obligations nées de lettres de change, chèques et billets à ordre (Art. 1er, § 2, littera
d)) ;

● les conventions d’arbitrage et d’élection de for (Art. 1er, § 2, littera e))…

15) Caractère universel. Transition.


Pour conclure l’examen du champ d’application, il convient de remarquer que le Règlement proclame
son caractère universel (Art. 2).
Aux termes de ce texte : “La loi désignée par le présent règlement s’applique même si cette loi n’est
pas celle d’un État membre”.
En d’autres termes, le Règlement (tout comme la Convention auparavant) a vocation à s’appliquer
quelle que soit la loi étatique que la mise en œuvre de l’une de ses règles aura désignée. Que la loi
désignée comme applicable soit celle d’un État membre ou d’un État tiers importe donc peu, et ce
procédé a pour avantage d’éviter à envisager une – délicate – distinction entre rapports juridiques
intra-européens et rapports juridiques internationaux !
Fort logiquement, le Règlement constitue donc, en raison de cette disposition, le droit
international privé “commun” de chacun des États membres de l’Union européenne en matière
de loi applicable aux obligations contractuelles (sous réserve du jeu des articles 23 ou 25).

B. La détermination de la loi applicable

16) Généralités.
Le principe qui prévaut en matière d’obligations contractuelles est celui de la liberté dans le choix du
droit applicable au contrat, principe tempéré aussitôt par le nécessaire respect de dispositions
impératives ou de police.
À défaut de choix, une règle de conflit spécifique permet la détermination du droit applicable.
Différents rattachements spéciaux ont également été prévus pour un certain nombre de contrats, et la
forme obéit également à une règle de conflit spécifique.
Dans le cadre du présent cours, il sera procédé à l’examen, d’abord des dispositions générales (1),
ensuite de certaines dispositions spéciales contenues dans le règlement dit “Rome I” (2).

1. Dispositions générales.

17) Division.

82
Les “dispositions générales” évoquées ici font référence à l’offre de choix de loi, laquelle est donc de
principe (a), et à une règle supplétive de désignation de la loi applicable à défaut de choix (b).

a) Le choix de la loi

18) Principe d’autonomie. Objet.


Aux termes de l’article 3, § 1er du Règlement : “Le contrat est régi par la loi choisie par les parties”.
De ce principe dit d’autonomie (en référence à l’autonomie de la volonté en ce domaine), la doctrine
retient une “reconnaissance de la suprématie de la loi” (selon l’expression de la Professeure H.
GAUDEMET-TALLON). L’hypothèse du contrat dit “sans loi” est donc combattue : la seule volonté
des parties ne peut donc fonder la force obligatoire de leur contrat, lequel doit être soumis, sous le
régime du règlement dit “Rome I”, à une loi étatique.
Cette interprétation du règlement rend donc impossible la soumission du contrat aux seuls principes
européens du contrat, ni aux principes d’Unidroit, ni encore aux usages (et notamment la lex
mercatoria, ou “loi des marchands”). Un tel choix, ne correspondant pas à la détermination d’une loi
étatique, équivaudra donc à un défaut de choix, et relèvera ainsi prioritairement des dispositions de
l’article 4 du règlement (sur lesquelles, V. infra, n° 24 à 26).
Une loi étatique doit en effet obligatoirement régir le contrat (même si celle-ci peut laisser une place,
au titre de ses dispositions supplétives de volonté, aux principes ou usages mentionnés ci-dessus).

19) Principe d’autonomie. Portée.


La loi choisie par les parties peut en revanche n’avoir aucun lien objectif avec le contrat.
Aux termes du texte, tout ce qui paraît devoir importer est que :

● 1° la loi désignée par les parties soit une loi étatique ;

● 2° la loi désignée soit une loi en vigueur (le texte dispose en effet que “le contrat est régi par
[…]” [nous soulignons]).

20) Principe d’autonomie. Modalités du choix de loi.


Toujours aux termes de l’article 3, § 1er du Règlement : “Le choix est exprès ou résulte de façon
certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause”.
Si la question du choix exprès ne pose guère de difficultés, qu’est-ce qu’un choix tacite ?
Celui-ci peut d’abord procéder des “dispositions du contrat”. Le Considérant 12 du règlement évoque
à ce sujet l’indice que peut fournir une clause attributive de juridiction.
Celui-ci peut ensuite procéder des “circonstances de la cause”. L’on peut évoquer à ce sujet :

● le cas d’un ensemble de contrats dans lequel seul le contrat de base, à l’origine et au soutien
duquel a été montée une opération, contient une clause de choix de loi ;

● le cas des contrats liés (groupe de contrats, chaîne de contrats, contrat-cadre et contrat(s)
d’application, ou encore sous-traitance), pour lesquels la question de la portée du choix de loi
dans l’un des contrats se pose également, mais la jurisprudence reste toutefois très incertaine.

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21) Principe d’autonomie. Dépeçage.
Est-il possible de soumettre un contrat unique à plusieurs lois différentes ? Telle est la question que
pose le concept de “dépeçage” du contrat.
Autorisé par le règlement (Art. 3, § 1er, in fine), le dépeçage n’est toutefois pas sans limites :

● il ne doit pas ruiner la cohérence du contrat ; et

● il ne doit pas porter atteinte à l’autorité de la loi en faisant artificiellement échapper, tel ou tel
élément du contrat, à des dispositions impératives (V. aussi le point suivant).

22) Principe d’autonomie. Limites (dispositions impératives).


Selon les dispositions de l’article 3, § 3, du règlement : “[l]orsque tous les autres éléments de la
situation sont localisés, au moment de ce choix, dans un pays autre que celui dont la loi est choisie, le
choix des parties ne porte pas atteinte à l’application des dispositions auxquelles la loi de cet autre
pays ne permet pas de déroger par accord”.
Ainsi que cela a été préalablement envisagé (supra, n° 13), sans se prononcer sur la nature
“internationale” d’un contrat, le règlement valide l’hypothèse d’une insertion d’une clause de choix de
loi (electio juris) dans un contrat de droit interne. Cette validation ne va toutefois pas sans limites,
étant donné qu’en pareil cas, le règlement réserve le jeu des “dispositions impératives” du droit
interne, c’est-à-dire les dispositions auxquelles il n’est pas permis de déroger par contrat.

23) Principe d’autonomie. Limites (dispositions impératives). Innovation.


En comparaison avec la convention de Rome du 19 juin 1980, le règlement contient une innovation
en son article 3, § 4. Cette disposition prévoit en effet que “[l]orsque tous les autres éléments de la
situation sont localisés, au moment de ce choix, dans un ou plusieurs États membres, le choix par les
parties d’une autre loi applicable que celle d’un État membre ne porte pas atteinte, le cas échéant, à
l’application des dispositions du droit communautaire auxquelles il n’est pas permis de déroger par
accord, et telles que mises en œuvre par l’État membre du for”.
En d’autres termes, il s’agit ici d’étendre la validation de l’hypothèse envisagée à l’article 3, § 3 à une
situation contractuelle dont tous les éléments seraient localisés sur le territoire de l’Union (lequel est
formé par l’ensemble des territoires des États membres de l’Union, sauf exceptions), mais dans
laquelle figurerait une clause de choix de loi désignant comme applicable la loi d’un État tiers.

b) Le défaut de choix

24) Objectifs.
Lorsque les parties ne se sont pas prononcées sur la loi applicable à leur contrat, quelle loi appliquer à
celui-ci ? Et comment la déterminer ?
Pour y répondre, l’article 4 du Règlement “Rome I” entend procéder à une conciliation entre deux
impératifs, celui de la souplesse avec celui de la prévisibilité.

25) Généralités.

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L’objectif de proximité initialement fixé par la convention de Rome du 19 juin 1980 n’a pas été
modifié par le règlement ; il s’agit toujours de désigner comme applicable la loi du pays avec lequel le
contrat présente des liens significatifs.
Toutefois, à la différence de la Convention, le Règlement retient très nettement une méthode
privilégiant la prévisibilité et sécurité juridiques sur la souplesse.
L’article 4, § 1er édicte ainsi des règles [et non plus des présomptions], pour toute une série de
contrats.
Pour les contrats qui n’entreraient pas dans les catégories visées au § 1er, le § 2 de l’article 4 désigne
comme applicable la loi du pays dans lequel le débiteur de la prestation caractéristique a sa résidence
habituelle. À nouveau, il s’agit d’une règle, qui doit être lue en combinaison avec l’article 19 (lequel
vient préciser la notion de résidence habituelle).
La souplesse intervient toutefois au § 3 qui admet, quoique de façon très restrictive, le jeu d’une clause
d’exception.

26) Précisions sur les contrats “nommés” au § 1er.


Parmi la série de contrats “nommés” visés spécifiquement au § 1er, il convient de constater que
plusieurs intéressent la vente.
La littera a) vise tout d’abord la “vente de biens”, et prévoit que la loi applicable à ce type de vente est
celle du pays de la résidence habituelle du vendeur. Cette disposition retient l’attention pour au moins
deux raisons :
1. cette règle n’a pas vocation à être appliquée en France, en raison de la précellence reconnue
par l’article 25, § 1er du Règlement aux conventions internationales “auxquelles un ou
plusieurs États membres sont parties lors de l’adoption du […] règlement et qui règlent les
conflits de lois en matière d’obligations contractuelles”. Or, tel est le cas pour la France,
partie contractante à la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux
ventes à caractère international d’objets mobiliers corporels.
2. le terme “biens” paraît refléter une traduction défectueuse, et devrait s’entendre, aux termes
du Considérant 17, au sens de “marchandises”. Cf. également la version en langue anglaise
du règlement, qui fait référence à un contract for the sale of goods.
La littera g) vise ensuite la “vente aux enchères”, laquelle a vocation à être soumise à la loi du pays où
la vente aux enchères a lieu, “si ce lieu peut être déterminé”. Si cette dernière précision prend en
compte le cas des ventes réalisées en ligne, il reste qu’une fois encore, cette disposition de l’article 4,
§ 1er, g) du Règlement ne trouvera pas application en France, la Convention de La Haye du 15 juin
1955 ayant une fois encore précellence sur elle (Conv. La Haye 1955, Art. 3, al. 3).
La littera h) vise enfin les contrats portant sur des “instruments financiers”, conclus au sein d’un
système multilatéral qui assure ou facilite la rencontre de multiples intérêts acheteurs et vendeurs
exprimés par des tiers. Le marché constitue ici le critère de rattachement pertinent.
Parmi les autres contrats visés, la littera b) fait référence au contrat de “prestation de services”, lequel
a vocation à être “régi par la loi du pays dans lequel le prestataire de services a sa résidence
habituelle”.
L’on peut encore citer la littera c), qui fait référence aux contrats “ayant pour objet un droit réel
immobilier ou un bail d’immeuble” et qui ont vocation à être régis par la loi du pays dans lequel est
situé l’immeuble. Le cas particulier des locations de vacances, ou plus généralement des baux

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d’immeuble conclus “en vue de l’usage personnel temporaire pour une période maximale de six mois
consécutifs” est prévu par la littera d), laquelle énonce que ces contrats sont régis “par la loi du pays
dans lequel le propriétaire a sa résidence habituelle, à condition que le locataire soit une personne
physique et qu’il ait sa résidence habituelle dans ce même pays”.

2. Dispositions spéciales

27) Rattachements spéciaux.


Pour certaines catégories de contrats, il convient d’observer que le Règlement “Rome I” a prévu des
rattachements spéciaux.
Si le Règlement a maintenu des rattachements spéciaux pour les contrats de consommation et les
contrats individuels de travail (à l’instar de ce que prévoyait déjà la Convention de Rome du 19 juin
1980), il a également innové en ajoutant des dispositions propres aux contrats d’assurance, ainsi
qu’aux contrats de transport.
Seuls ces derniers seront ici envisagés.
28) Rattachements spéciaux. Contrats de transport.
Là où la Convention de Rome du 19 juin 1980 ne prévoyait à l’égard du contrat de transport de
marchandises qu’une présomption spéciale à son article 4, § 4, le Règlement est venu fixer des règles
spécifiques pour ce type de contrat (Art. 5, § 1), tout en ajoutant des règles propres aux contrats de
transport de passagers (Art. 5, § 2).
Le § 3 de cet article prévoit enfin une clause d’exception, que l’on peut rapprocher de celle figurant
déjà à l’article 4, § 3 du Règlement.

29) Lois de police.


Quel que soit le contrat litigieux, et quelle que soit la loi qui aurait pu être choisie par les parties pour
le gouverner, il convient de retenir ici qu’en pratique, le juge saisi du litige sera toujours fondé à
appliquer sa propre loi, lorsque celle-ci aura été qualifiée de “loi de police”.
Aux termes de l’article 9, § 1er, du Règlement, “[u]ne loi de police est une disposition impérative
dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son
organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation
entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat […]”.
Reprenant peu ou prou les termes de la définition qu’avait proposée en son temps l’auteur qui a révélé
en langue française l’existence du phénomène dit des “lois de police” (Ph. FRANCESCAKIS), cette
définition est une fois encore une innovation du Règlement “Rome I” par rapport à la Convention de
Rome du 19 juin 1980.
Le texte conduit à opérer une distinction entre lois de police du for et lois de police étrangères.

30) Lois de police du for.


S’agissant des lois de police du for, l’article 9, § 2 du Règlement est lapidaire, et prévoit que “[l]es
dispositions du présent règlement ne pourront porter atteinte à l’application des lois de police du juge
saisi”.

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Cette formule signifie concrètement que, quelle que soit la loi désignée comme applicable par les
parties – ou, à défaut de choix, quelle que soit la loi que la règle de conflit pertinente aurait pu
désigner –, le juge du for sera tenu d’appliquer les lois de police de l’État membre qu’il représente. La
loi de police du for s’applique donc au titre d’une disposition dite “internationalement impérative”.
En pratique, le problème réside dans l’identification de telles lois de police, car toute loi d’un État
poursuit, à tout le moins lato sensu, un but dont le respect peut être “jugé crucial par un pays pour la
sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au
point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application”.
Sans tomber dans cet excès, la difficulté est très réelle, car le législateur identifie rarement les
dispositions législatives qu’il adopte comme étant “de police”. Il convient donc le plus souvent
d’attendre que le juge les identifie, ce qui n’est guère satisfaisant pour la sécurité et la prévisibilité
juridiques des transactions !
Parmi les différentes lois identifiées aujourd’hui comme étant “de police” par le juge français,
l’on peut mentionner :

● la loi du 8 février 1995 sur le surendettement des particuliers (Cass. civ. 1re, 10 juill.
2001, n° 00-04.104 : Bull. civ. I, n° 210) ;

● l’article 10 de la loi du 3 janvier 1967 concernant la forme des actes relatifs à propriété
des navires francisés (Cass. com., 14 janv. 2004, n° 00-17.978, Bull. civ. IV, n° 9) ;

● l’article L. 311-37 du Code de la consommation, dans le cadre d’un crédit transfrontalier


(Cass. civ. 1re, 23 mai 2006, n° 03-15.637 : Bull. civ. I, n° 258) ;

● ou encore les dispositions protectrices du sous-traitant dans la loi du 31 décembre 1975,


dès lors que le chantier de construction se trouve en France (Cass. ch. mixte, 30 nov.
2007, Agintis, n° 06-14.006 : Bull. ch. mixte, n° 12 ), solution confirmée par Cass. civ. 3e, 30
janv. 2008, n° 06-14.641 : Bull. civ. III, n° 16).
Dans le contentieux récent, la question se pose notamment de savoir si les dispositions de
l’actuel article L. 442-1, II du Code de commerce (ex-article L. 442-6, I, 5° dudit Code), relatives
à la rupture brutale des relations commerciales établies, sont constitutives d’une “loi de police” au sens
du Règlement “Rome I”. Malgré une décision récente et très nette de la chambre internationale de la
cour d’appel de Paris refusant cette qualification (Paris, ch. int., 3 juin 2020, Sodmilab c. Waters), la
jurisprudence reste hésitante, même au sein de cette cour d’appel !
N.B. : l’on observera ici que l’expression “loi de police” ne désigne pas une “loi” au sens formel,
prise dans son ensemble. Elle peut en effet uniquement caractériser certaines, voire une seule, de ses
dispositions.

31) Lois de police étrangères.


S’agissant des lois de police étrangères, il convient prioritairement de retenir que le juge du for n’est
jamais tenu d’appliquer les lois de police d’un État étranger. Le Règlement “Rome I” lui offre une
possibilité de le faire, mais dans un cadre extrêmement étroit : “Il pourra également être donné effet
aux lois de police du pays dans lequel les obligations découlant du contrat doivent être ou ont été
exécutées, dans la mesure où lesdites lois de police rendent l’exécution du contrat illégale”.
L’hypothèse d’application est donc très restreinte, et s’inspire sur ce point du droit anglais. En outre, le
texte ajoute que “[p]our décider si effet doit être donné à ces lois de police, il est tenu compte de leur

87
nature et de leur objet, ainsi que des conséquences de leur application ou de leur non-application”. En
d’autres termes, le juge du for ne saurait donner effet à une loi étrangère qui ne serait pas “de police”
dans l’État concerné, et ce même juge doit en outre mesurer, avant de lui donner un quelconque effet,
s’il est opportun ou non de le faire. En définitive, les cas d’application de lois de police étrangères sont
extrêmement rares, et l’on dénombre un seul exemple connu, à l’initiative de la Cour de cassation
française (Cass. com., 16 mars 2010, Soc. Viol frères, n° 08-21.511 : Bull. civ. IV, n° 54 [lien vers
l’arrêt: https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000021998747?
tab_selection=juri&searchField=ALL&query=viol+frères&searchType=ALL&dateDecision=16%2F0
3%2F2010&typePagination=DEFAULT&sortValue=DATE_DESC&pageSize=10&page=1&tab_sele
ction=juri#juri]).

32) Lois de police de l’Union ?


La Cour de justice a pu implicitement consacrer l’existence de “lois de police de l’Union”, à
l’occasion d’une affaire Ingmar qui a donné lieu à un arrêt emblématique (CJCE, 9 nov. 2000, aff. C-
391/98, Ingmar).
Interrogée sur le point de savoir si les articles 17 et 18 de la directive 86/653/CEE, qui garantissent
certains droits à l’agent commercial après la cessation du contrat d’agence, doivent trouver application
dès lors que l’agent commercial a exercé son activité dans un État membre et alors même que le
commettant est établi dans un pays tiers et que, en vertu d’une clause du contrat, ce dernier est régi par
la loi de ce pays, la Cour de justice a répondu positivement à cette question, après avoir qualifié le
régime instauré par la directive 86/653/CEE d’impératif.
S’il est vrai que la Cour n’emploie nullement la qualification de « loi de police » dans sa décision, le
raisonnement qu’elle conduit ne laisse place à aucun doute : « il est essentiel pour l’ordre juridique
communautaire qu’un commettant établi dans un pays tiers, dont l’agent commercial exerce son
activité à l’intérieur de la Communauté, ne puisse éluder ces dispositions par le simple jeu d’une
clause de choix de loi. La fonction que remplissent les dispositions en cause exige en effet qu’elles
trouvent application dès lors que la situation présente un lien étroit avec la Communauté, notamment
lorsque l’agent commercial exerce son activité sur le territoire d’un État membre, quelle que soit la loi
à laquelle les parties ont entendu soumettre le contrat » (point 25 de l’arrêt).
Il est donc permis de dire que la Cour a consacré, bien qu’en ne le disant pas expressément, l’existence
de “lois de police de l’Union”.

II. Solutions particulières - Les opérations relatives aux biens corporels : la vente
internationale de marchandises

40) Règles de conflit / règles matérielles.


Si la vente – après l’échange – est sans doute l’une des opérations économiques les plus anciennes, le
paradoxe est qu’à l’international, sa réglementation fut quasi-inexistante jusque aux années 1950 !
La réaction des États finit toutefois par arriver, et le choix proposé fut celui de proposer tantôt des
conventions internationales contenant des règles de conflit de lois, tantôt des conventions de droit
matériel.
La particularité de la vente d’un immeuble [notamment en raison des questions de publicité foncière]
nécessitant des règles particulières, une sous-distinction fut également effectuée, selon que la vente est
mobilière ou immobilière. Ne sera toutefois étudiée ici que la vente mobilière.

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41) Convention de La Haye / Convention de Vienne.
La détermination de la loi applicable à une vente internationale de biens mobiliers corporels dépend en
pratique de deux textes :

● la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère
international d’objets mobiliers corporels [déjà rencontrée, V. supra, n° 26], laquelle est entrée
en vigueur le 1er septembre 1964 (à laquelle il faut ajouter, pour d’autres États membres que
la France, le Règlement (CE) n° 593/2008 du 17 juin 2008, dit “Rome I”)

● la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale de


marchandises, laquelle est entrée en vigueur le 1er janvier 1988 en France.
La première convention propose des règles de conflit, la seconde des règles matérielles.
Sans rentrer dans le détail de la première Convention, il convient de retenir qu’en pratique, une
coordination de ce texte avec le Règlement “Rome I” et, plus encore, avec la Convention de
Vienne du 11 avril 1980, doit avoir lieu.

Comment procéder ?

L’application de la Convention de Vienne est simple en soi, mais rendue complexe par des modalités
d’application qui se dédoublent. En pratique, tout va dépendre du point de savoir si les parties au contrat de
vente internationale sont établies ou non dans des États contractants.

1. Si les parties au contrat de vente sont toutes deux établies dans des États contractants, la Convention
de Vienne est applicable directement (sous réserve de son exclusion par les parties… V. infra, n° 48).
Il suffit donc que la Convention soit en vigueur dans chacun des États où les parties seraient établies
(CVIM, art. 1er, § 1er, a)) ;
2. Si l’une des parties n’est pas établie dans un État contractant, il est alors nécessaire de désigner le
droit applicable à la vente par la mise en œuvre d’une règle de conflit. Si celle-ci désigne comme
applicable le droit d’un État contractant, alors la Convention de Vienne s’appliquera au contrat en
cause (CVIM, art. 1er, § 1er, b)). Le texte prévoit en effet son application lorsque “les règles du
droit international privé mènent à l’application de la loi d’un État contractant”.

La Convention peut donc être rendue applicable par le jeu d’une règle de conflit de lois. En Europe,
cette règle de conflit se trouve :
soit dans les stipulations de la Convention de La Haye du 15 juin 1955 ;
soit dans les dispositions du Règlement “Rome I”.

Comment choisir entre ces deux textes ?

La réponse figure à l’article 25 du Règlement “Rome I” (V. supra, n° 26), lequel donne précellence à
la Convention de La Haye. Les États membres qui sont parties à celle-ci – ce qui est le cas de la
France – devront l’appliquer en priorité.

N.B. : en pratique, il convient donc de toujours vérifier si l’État du for est partie ou non à
la Convention de La Haye pour déterminer le texte pertinent à mettre en œuvre (hors hypothèses
d’application directe de la Convention de Vienne).

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N.B. : depuis que la Belgique a dénoncé la Convention de La Haye du 15 juin 1955 (avec effet
au 1er septembre 1999), seuls huit États sont liés par cette dernière.
Cinq sont membres de l’Union européenne (Danemark, Finlande, France, Italie et Suède), et trois sont
des États tiers (Niger, Norvège et Suisse).

42) Division.
L’examen des principales stipulations de la Convention de Vienne (A) précèdera celui des formules-
types que l’on regroupe sous l’appellation d’Incoterms (B).

A. La Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale


de marchandises (CVIM)
43) Généralités.
Si la Convention a une longue histoire – ses prémisses remontant à 1929 –, celle-ci n’a pu voir le jour
qu’après l’échec de deux conventions de La Haye qui l’ont précédée, chacune adoptée le 1er juillet
1964 :

● Convention portant Loi uniforme sur la formation des contrats de vente internationale des
objets mobiliers corporels [LUFVI] ;

● Convention portant Loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers
corporels [LUVI]).
Après l’échec rencontré (faibles ratifications, nombreuses réserves des États et fréquentes exclusions
par les parties), la CNUDCI (Commission des Nations Unies pour le Droit du Commerce
International), créée en 1967, a pris le relais de la Conférence de La Haye pour aboutir à un texte
dont le contenu pourrait recevoir l’adhésion d’un grand nombre d’États. Ce fut l’origine de
la Convention de Vienne du 11 avril 1980.
Nécessitant dix ratifications pour son entrée en vigueur, cette Convention ne put entrer en vigueur que
le 1er janvier 1988, conformément à son article 99.
Par suite, au gré des signatures, ratifications et/ou adhésions, le nombre d’États parties contractantes
s’est considérablement enrichi. L’on dénombrait ainsi, au 1er janvier 2021, quatre-vingt-quatorze
(94) États liés par cet instrument.
N.B. : fait notable, le Royaume-Uni n’est pas partie à la CVIM, ce qui a pu conduire un auteur, B.
NICHOLAS, à dénoncer une “splendid isolation”

44) Subdivision.
Pour envisager le contenu de cette Convention, une présentation tripartite peut être retenue, suivant la
logique propre à un contrat.
Après avoir présenté les stipulations générales propres à la Convention (1), la mention des parties
relatives à la formation (2) et à l’exécution du contrat de vente internationale (3) pourra être faite.

1. Stipulations générales

90
45) Champ d’application matériel.
La question du champ d’application temporel (V. supra, n° 43), ainsi que celle du champ d’application
spatial – notamment par la mention des stipulations du paragraphe premier de l’article premier de
la Convention (V. supra, n° 41), qu’il faudra en pratique toujours combiner avec les stipulations
des articles 92, 93 et 94 (portant sur les réserves que les États ont pu émettre à l’égard de la
Convention, et susceptibles à ce titre de restreindre le champ d’application du texte), ayant déjà pu être
abordées, reste donc à évoquer le champ d’application matériel de la Convention de Vienne du 11
avril 1980.
Ce champ d’application de la Convention est doublement limité, à raison d’une double exclusion.

46) Champ d’application matériel. Exclusion de certains contrats.


De façon quelque peu paradoxale, la Convention de Vienne, qui a pour objet le contrat de vente
internationale de marchandises, ne le définit pas ! Cela ne porte guère à conséquence, puisque l’on
s’entend universellement pour définir la vente comme un contrat par lequel on transfère la propriété
d’un bien contre le paiement d’un prix.
La Convention précise toutefois qu’elle s’applique aux “contrats de fourniture de marchandises à
fabriquer ou à produire, à moins que la partie qui commande celles-ci n’ait à fournir une part
essentielle des éléments matériels nécessaires à cette fabrication ou production” (CVIM, art. 3, §
1er).
N.B. : au vu de ce texte, la Convention a donc vocation à s’appliquer à des contrats que l’on
qualifierait, en droit français, de contrats d’entreprise.
Par ailleurs, la Convention prévoit également qu’elle “ne s’applique pas aux contrats dans lesquels la
part prépondérante de l’obligation de la partie qui fournit les marchandises consiste en une
fourniture de main-d’œuvre ou d’autres services” (CVIM, art. 3, § 2).
N.B. : il s’agit ici de l’hypothèse des contrats dits “clés en main” ou “produits en main”. Ceux-ci ne
sont pas formellement exclus du champ d’application, mais il convient pour les inclure de vérifier, en
pratique, la valeur respective du travail et de la matière fournis.
Ces nuances dûment prises en compte, il convient de noter que les contrats expressément exclus par la
Convention figurent à l’article 2 du texte, lequel prévoit que :
“La présente Convention ne régit pas les ventes :
a) de marchandises achetées pour un usage personnel, familial ou domestique, à moins que le
vendeur, à un moment quelconque avant la conclusion ou lors de la conclusion du contrat, n’ait pas
su et n’ait pas été censé savoir que ces marchandises étaient achetées pour un tel usage ;
b) aux enchères ;
c) sur saisie ou de quelque autre manière par autorité de justice ;
d) de valeurs mobilières, effets de commerce et monnaies ;
e) de navires, bateaux, aéroglisseurs et aéronefs ;
f) d’électricité”.
N.B. : la question de la “vente” de logiciels reste discutée.

47) Champ d’application matériel. Exclusion de certains aspects du contrat de vente.


S’agissant de l’exclusion de certains aspects du contrat de vente, il faut comprendre que le texte de la
Convention est avant tout un texte de compromis, et que l’objectif poursuivi par la CNUDCI était
celui d’adopter un texte incomplet mais dont la mise en œuvre pouvait être rapide.

91
Cela explique pourquoi certains aspects du contrat de vente sont exclus. Cela concerne, notamment,
l’exclusion des rapports avec les tiers.
N.B. : la loi applicable à cette question, à tout le moins pour les dommages causés aux tiers par le
bien vendu, sera désignée par la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable à la
responsabilité du fait des produits, à tout le moins pour les États liés par cette Convention.
Cela vise également, aux termes de l’article 4 de la Convention, les questions touchant à la validité du
contrat et aux effets sur la propriété du bien vendu. Ainsi :
“[…] sauf disposition contraire expresse de la présente Convention, celle-ci ne concerne pas :
a) La validité du contrat ni celle d’aucune de ses clauses non plus que celle des usages ;
b) Les effets que le contrat peut avoir sur la propriété des marchandises vendues”.
N.B. : Deux raisons principales expliquent cette exclusion.
D’abord, le fait que certaines conditions de validité du contrat ne dépendent pas de celui-ci (capacité
ou conditions de la représentation).
Ensuite, il a été estimé, pour ce qui concerne les vices du consentement, que les divergences entre les
différents droits nationaux étaient trop marquées pour aboutir à un compromis.
Sont encore exclues les modalités du transfert de propriété (CVIM, art. 4, c)), ainsi la réparation des
dommages corporels liés aux marchandises, que ces dommages concernent les tiers ou les
cocontractants (CVIM, art. 5).

48) Portée. Caractère supplétif des stipulations.


Concernant la portée du texte, plusieurs questions se posent.
1° - Quid de l’applicabilité de cette Convention aux parties ?
Cet instrument est-il de plein droit applicable, ou faut-il que les parties l’aient expressément voulu ?
A-t-on retenu un système dit d’opt in (choix volontaire) ou bien plutôt un système d’opt out
(application de principe, sauf mise à l’écart expressément souhaitée) ?
La question est tranchée à l’article 6 de la Convention qui énonce : “Les parties peuvent exclure
l’application de la présente Convention ou, sous réserve des dispositions de l’article 12, déroger à
l’une quelconque de ses dispositions ou en modifier les effets”.
Il faut y voir ici la consécration du caractère supplétif des règles conventionnelles, lesquelles ont donc
vocation à s’appliquer sauf choix contraire des parties. L’exclusion peut ainsi être totale, ou partielle.
N.B. : malgré le silence de la Convention sur ce point, il est admis que l’exclusion totale peut être
expresse ou tacite (exemple : clause d’electio juris ou de choix de loi insérée dans le contrat).
N.B. : le choix de la loi d’un État contractant ne mettra pas à l’écart la Convention, car, en pareil
cas, c’est la Convention qui s’appliquera, au titre du droit commun de la vente internationale de
marchandises pour cet État. V. not. Cass. com., 13 sept. 2011, n° 09-70.305.
Si l’on veut que le droit interne d’un État contractant s’applique, il convient donc de désigner
expressément un texte ou un Code précis, par exemple le Code civil français.
S’agissant de l’exclusion partielle, celle-ci résultera de l’insertion dans le contrat d’une clause
incompatible avec une stipulation de la Convention. Ainsi, toutes les fois où une clause du contrat
sera jugée incompatible avec la Convention, celle-ci sera écartée, et la clause contractuelle maintenue.

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N.B. : sous réserve de la validité de pareille clause, laquelle sera appréciée par le droit étatique de
référence, puisque la Convention ne régit pas la validité des clauses contractuelles.

49) Portée. Rôle des usages.


2° - Quel est le rôle des usages dans le jeu de la Convention ?
S’il ne fait aucun doute que la CVIM est venue, en 1980, traduire en droit uniforme un certain nombre
de pratiques et d’usages du commerce international en matière de vente, il reste que cette Convention
est un texte général, et que des usages propres à certaines ventes n’ont pas manqué de se développer
depuis lors.
Aussi, peut-on les intégrer à ce droit international de la vente de marchandises ?
La réponse à cette question est contenue à l’article 9 de la Convention :
“1) Les parties sont liées par les usages auxquels elles ont consenti et par les habitudes qui se sont
établies entre elles.
2) Sauf convention contraire des parties, celles-ci sont réputées s’être tacitement référées dans le
contrat et pour sa formation à tout usage dont elles avaient connaissance ou auraient dû avoir
connaissance et qui, dans le commerce international, est largement connu et régulièrement observé
par les parties à des contrats de même type dans la branche commerciale considérée”.
Dans le premier cas, les usages seront considérés comme intégrés au champ contractuel, tandis que
dans le second cas, il y aura application en raison d’une supposition : celle que les parties étaient au
courant des usages que l’on entend leur appliquer.
N.B. : il ne s’agit pas d’une reconnaissance, à cet article 9, § 2, de la juridicité de la lex mercatoria.
Le fondement de l’application des usages reste en effet la volonté contractuelle des parties, à laquelle
la Convention fait expressément référence.

50) Interprétation.
S’agissant de l’interprétation – et des difficultés qui lui sont propres – de la Convention, l’article
7 prévoit deux cas de figure.
S’agissant tout d’abord des stipulations ambiguës, le paragraphe premier prévoit que “[p]our
l’interprétation de la présente Convention, il sera tenu compte de son caractère international et de la
nécessité de promouvoir l’uniformité de son application ainsi que d’assurer le respect de la bonne foi
dans le commerce international”.
L’objectif de cette stipulation est d’éviter que les juges, invités à interpréter la convention, aient
recours à leurs propres conceptions nationales. Les notions contenues dans la Convention sont
autonomes.
Pour faciliter cette interprétation “uniforme”, et pour pallier l’absence d’une juridiction
supranationale, le secrétariat de la CNUDCI a élaboré un recueil des décisions rendues en application,
notamment, de la CVIM. Ce recueil, appelé CLOUT (Case Law On Uncitral Texts), est accessible en
ligne, gratuitement.
S’agissant ensuite des lacunes, le paragraphe second prévoit que “[l]es questions concernant les
matières régies par la présente Convention et qui ne sont pas expressément tranchées par elle seront
réglées selon les principes généraux dont elle s’inspire ou, à défaut de ces principes, conformément à
la loi applicable en vertu des règles du droit international privé”.

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Ces directives sont utiles, mais posent difficulté. Si certains principes généraux, tel celui de la bonne
foi, peuvent être aisément identifiés dans la Convention, d’autres ne sont, au mieux, qu’implicites
(obligation de coopération, e.g.). En outre, le recours aux règles du droit international privé et donc, in
fine, le recours à la loi interne d’un État, ne peut manquer de porter atteinte à l’uniformité
d’interprétation de la CVIM, pourtant recherchée.

2. Formation du contrat

51) Consensualisme.
Aux termes de l’article 11 de la CVIM, “Le contrat de vente n’a pas à être conclu ni constaté par
écrit et n’est soumis à aucune autre condition de forme. Il peut être prouvé par tous moyens, y
compris par témoins”.
Autrement dit, le contrat de vente internationale de marchandises est en principe régi par le principe
du consensualisme (sauf exceptions : CVIM, art. 12).

52) Offre et acceptation.


Étant donné que la CVIM ne régit pas les conditions de validité d’un contrat de vente internationale,
seul l’échange des consentements intéresse la formation du contrat.

L’offre est ainsi régie par les articles 14 à 17 de la CVIM, tandis que l’acceptation est régie par
les articles 18 à 24.
Définie par l’article 14, § 1er, l’offre s’entend d’une “proposition de conclure un contrat adressée à
une ou plusieurs personnes déterminées”. Encore faut-il qu’elle soit “suffisamment précise” et qu’elle
“indique la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation” (ibid.).
Définie par l’article 18, § 1er, l’acceptation consiste en “[u]ne déclaration ou autre comportement du
destinataire indiquant qu’il acquiesce à une offre”. Le texte ajoute que “[l]e silence ou l’inaction à
eux seuls ne peuvent valoir acceptation” (ibid.).

53) “Battle of the forms”.


En cas de contradiction entre les conditions générales de vente (CGV) et les conditions générales
d’achat (CGA), l’on a affaire à ce que la pratique appelle une “bataille des formulaires” ou battle of
the forms.
L’article 19 de la CVIM pourrait être suivi à fin de régler cette difficulté, mais la Cour de cassation
s’y est refusée (Cass. civ. 1re, 16 juil. 1998, n° 96-11.984 : Bull. civ. I, n° 252). Cette neutralisation de
l’article 19 peut être approuvée, car la mise en œuvre en pratique aboutirait le plus souvent à
consacrer la last shot rule, ou règle dite du “dernier mot”. Or, ce “dernier mot” est en pratique très
contingent, et ne peut que conduire à des contestations réciproques.

3. Exécution du contrat

54) Généralités.

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L’exécution du contrat invite à s’intéresser prioritairement aux obligations des parties. Celles-ci sont
prévues expressément par la CVIM aux articles 30 et suivants (les articles 25 à 29 prévoyant des
dispositions générales).
Plus précisément, les obligations du vendeur figurent aux articles 30 à 34. Les articles 35 à
44 gouvernent les questions de conformité des marchandises et droits ou prétentions des tiers, tandis
que les articles 45 à 52 prévoient les moyens dont dispose l’acheteur en cas de contravention au
contrat par le vendeur.
Les obligations de l’acheteur figurent aux articles 53 à 60, et consistent essentiellement à payer le prix
(CVIM, art. 54 à 59) et à prendre livraison des marchandises (CVIM, art. 60).
Les articles 61 à 65 prévoient, en écho aux stipulations des articles 45 à 52, les moyens dont dispose
le vendeur en cas de contravention au contrat par l’acheteur.

B. Les Incoterms

55) Généralités.
Les Incoterms, acronyme de l’expression International Commercial Terms, sont des termes se
présentant sous la forme d’initiales, et prévoyant les conditions dans lesquelles le transfert des risques
entre vendeur et acquéreur doit opérer, ainsi que la répartition entre eux du coût du transport et de
celui des formalités administratives devant être accomplies.
Publiés essentiellement sous l’égide de la Chambre de Commerce internationale (CCI), ces
Incoterms sont régulièrement révisés. La dernière version date de 2020.

Bien que très utilisés, ces Incoterms demeurent facultatifs. Leur utilisation doit donc être
expressément prévue par les parties. En pratique, la seule insertion des initiales pertinentes dans un
contrat suffira à les rendre applicables.
N.B. : attention toutefois à bien indiquer, en pratique, l’année et l’organisme de référence, car la CCI
(ou ICC, en langue anglaise) n’est pas la seule à en publier (cf. également les Revised American
Foreign Trade Definitions (RAFDT)), sans oublier les révisions successives de ces publications.
Par exemple, il est recommandé de préciser “FOB – ICC 2020”.

56) Répartition en groupes.


Au titre de l’édition 2020, l’on dénombre 11 Incoterms, lesquels sont applicables soient pour tout
mode de transport (7 au total), soit uniquement pour le transport maritime ou fluvial (4 Incoterms).

● Pour les premiers, l’on dénombre les Incoterms suivants : EXW, FCA, CPT, CIP, DAP, DPU,
DDP.

● Pour les seconds, il s’agit des Incoterms FAS, FOB, CFR et CIF.

Ces Incoterms sont toutefois classifiés en 4 groupes.

57) Groupe E.
Au sein du groupe E (Départ), l’on dénombre le terme EXW (Ex Works), soit au départ de l’usine.

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58) Groupe F.
Au sein du groupe F (Transport principal non acquitté par le vendeur), l’on dénombre les termes FAS,
FCA et FOB.

● FAS (Free Alongside Ship) : le vendeur doit livrer la marchandise le long du navire (ce qui
implique le dédouanement des marchandises à l’exportation par le vendeur).

● FOB (Free on Board) : la livraison se fait à bord du navire ou du bateau (le dédouanement des
marchandises à l’exportation, de même que la manutention, sont donc à la charge du vendeur).

● FCA (Free Carrier) : la livraison se fait à l’origine, entre les mains du transporteur désigné
par l’acheteur.

59) Groupe C.
Au sein du groupe C (Transport principal acquitté par le vendeur), l’on dénombre les termes CPT,
CFR, CIF et CIP.

● CPT (Carriage Paid To) : le port est payé jusqu’à un certain point (par le vendeur).

● CFR (Cost and Freight) : le coût et le fret (prix du transport) sont pris en charge, pour un
transport maritime ou fluvial, par le vendeur.

● CIF (Cost Insurance and Freight) : le coût, l’assurance et le fret sont pris en charge par le
vendeur, à l’occasion d’un transport maritime ou fluvial. Par rapport au terme CFR,
l’assurance se greffe donc ici en plus, à la charge du vendeur.

● CIP (Carriage and Insurance Paid To) : le transport et l’assurance de la marchandise sont pris
en charge par le transporteur (applicable à tout mode de transport) jusqu’au lieu de destination
convenu.

60) Groupe D.
Au sein du groupe D (Arrivée), enfin, l’on dénombre les termes DAP, DPU et DDP.

● DAP (Delivered at Place) : la marchandise doit être livrée au lieu de destination convenu avec
l’acheteur, mais c’est à ce dernier de la décharger.

● DPU (Delivered at Place Unloaded) : semblable au terme DAP, ce terme se distingue de ce


dernier en ce que lieu de livraison est celui de l’acquéreur, et non celui convenu (par
hypothèse, différent du lieu d’établissement de l’acquéreur).

● DDP (Delivered Duty Paid) : “jumeau négatif” du terme EXW, ce terme prévoit que la
livraison doit se faire auprès de l’acquéreur, et que c’est au vendeur d’assumer le transport et
les frais afférents à la livraison, notamment le coût des formalités de dédouanement à
l’importation.

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