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OCTOBRE-NOVEMBRE 2014

MONDE

Le keiretsu nouveau
de Toyota est arrivé
Toyota prouve que des relations plus efficaces avec les
fournisseurs peuvent accélérer la production et stimuler
l’innovation. par Katsuki Aoki et Thomas Taro Lennerfors
HBRFRANCE.FR

Monde
PHOTO : ROMEO GACAD/AFP/GETTY IMAGES/NEWSCOM

Le keiretsu nouveau
de Toyota est arrivé
Toyota prouve que des relations plus efficaces avec les fournisseurs
peuvent accélérer la production et stimuler l’innovation. par Katsuki
Aoki et Thomas Taro Lennerfors
Octobre-novembre 2014 Harvard Business Review 1
MONDE

ÉVOLUTION DU KEIRETSU DE TOYOTA


1939
Deux ans après sa création,
1949
Création de Nippondenso
1954
Toyota adopte une approche de
Toyota crée une association de (aujourd’hui Denso, premier type «  juste-à-temps » («comme au
fournisseurs, au départ dans fournisseur de Toyota et supermarché ») pour le stockage
le simple but d’échanger des deuxième fabricant de pièces et la gestion des pièces, qui prévoit
informations. En quelques automobiles dans le monde), le réapprovisionnement de celles-ci
décennies, le constructeur issu d’une scission de Toyota. seulement une fois qu’elles ont
automobile s’est servi de cette été consommées. En dix ans, cette
association pour éduquer les approche est devenue la méthode
fournisseurs sur les technologies kanban de contrôle de la
de fabrication et la façon production et a été par la suite
d’améliorer leur activité. adoptée par les fournisseurs de
la société.

C ertaines des plus grandes entreprises


japonaises doivent leur succès non
seulement à la technologie et à l’ex­
pertise en matière de processus, mais aussi à
un facteur trop souvent négligé : ces dix
système dans sa précédente version. Après
avoir visité 39 usines automobiles et 192
­fabricants de pièces détachées au Japon et
dans le reste du monde, nous pensons que
le  système d’approvisionnement actuel de
­ eiretsu tel qu’il est pratiqué par Toyota
k
rompt avec cette tradition sur quatre points :
• Au lieu de s’approvisionner exclusive­
ment auprès d’entreprises avec lesquelles le
groupe entretient des relations à long terme,
­dernières années, elles ont peu à peu trans­ Toyota est l’un des plus grands avantages Toyota se fournit également sur le marché
formé leurs relations fournisseurs en un dont il dispose. mondial, notamment auprès de mégafour­
­outil permettant d’innover plus rapidement En nous appuyant sur l’examen détaillé nisseurs dont les opérations rationalisées
tout en réduisant radicalement les coûts. du constructeur japonais, nous allons dé­ leur permettent de proposer des prix très
Bienvenue au nouveau keiretsu, une version crire comment le nouveau keiretsu diffère bas. Cela lui offre la possibilité de s’approvi­
moderne du traditionnel système japonais du modèle traditionnel et quels en sont les sionner de manière flexible et à faible coût.
de relations clients-fournisseurs. nombreux enseignements pour les entre­ • En fixant des objectifs de prix aux four­
A son apogée, ce système (qui consiste prises des marchés développés et émergents nisseurs de longue date, Toyota étudie les
pour les acheteurs à entretenir des relations qui cherchent à innover rapidement tout en tarifs proposés par de nombreuses entre­
étroites avec leurs fournisseurs) était le réduisant les coûts. prises mondiales, ce qui contribue égale­
chouchou des écoles de commerce et faisait ment à limiter les coûts.
envie aux fabricants du monde entier. En L’ancien et le nouveau • Au lieu d’acheter des pièces détachées,
Occident, malgré quelques tentatives de keiretsu chez Toyota Toyota demande à ses fournisseurs de lui
création de partenariats sur ce modèle, Le keiretsu traditionnel se caractérisait par procurer des systèmes intégrés de compo­
l’augmentation de la production dans les des relations obligationnelles fondées sur sants. Cela permet d’élaborer des produits
pays à bas salaire a rapidement placé le coût la  confiance et la bonne volonté (dans cet de  grande qualité tout en réduisant les coûts
au centre des préoccupations. Aujourd’hui, article, nous nous concentrerons sur le et la durée de développement.
pratiquement aucune entreprise occidentale ­keiretsu vertical, qui relie les fabricants et les • Toyota encourage ses fournisseurs à
ne rêverait d’investir dans des relations four­ fournisseurs, et laisserons de côté le keiretsu améliorer leur capacité à fournir ces sys­
nisseurs qui nécessiteraient trop d’attention. horizontal, qui se caractérise par des parti­ tèmes intégrés et à entreprendre le dévelop­
Beaucoup supposent probablement que le cipations croisées entre des entreprises pement de produits durant la phase de
keiretsu est mort lorsque les fabricants ­regroupées autour d’une banque). Cela planification.
­japonais ont mis en place des stratégies de contraste nettement avec les relations de Dans le même temps, Toyota reste très
réduction des coûts à l’occidentale. pleine concurrence qui prévalent en Occi­ fidèle au keiretsu traditionnel :
Mais certains constructeurs automobiles dent, et qui sont régies par la plus grande • Malgré les demandes exigeantes du
nippons ont réinventé et fait revivre le kei- clarté contractuelle possible. constructeur automobile, ses relations
retsu. Toyota en est un exemple parfait. Nos Dans le monde du keiretsu traditionnel, restent basées sur la confiance, la coopé­
recherches suggèrent que, mis à part ses un fabricant d’équipements entretient des ration et le soutien éducatif aux fournis­
­récents problèmes de qualité, Toyota a énor­ relations exclusives de longue date avec seurs. Le niveau d’engagement et d’assis­
mément gagné de son nouveau keiretsu. Ses des  fournisseurs clés, entreprises dans les­ tance mutuelle est peut-être même plus
relations fournisseurs sont dorénavant plus quelles il détient souvent des parts impor­ important que dans les années 1980.
ouvertes, internationales, et axées sur les tantes. Ce fabricant achète des pièces déta­ • Les contrats régissant les relations sont
coûts, tandis que l’entreprise a renforcé la chées (pas des systèmes) à des prix peu ambigus et caractérisés par des énoncés gé­
confiance, la collaboration et le soutien compétitifs souvent basés sur ce qu’il avait néraux et des objectifs non contraignants.
­éducatif qui faisaient la renommée de ce payé la fois précédente. Mais le nouveau Par exemple, au lieu d’insister sur des prix
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Années 1970
Toyota met en place des groupes
1989
Toyota crée une association
1991
Eclatement de la bulle économique
2000
Toyota adopte une stratégie
d’étude autonomes avec les de fournisseurs aux Etats-Unis au Japon. Affecté par des ventes d’achat radicalement différente et
fournisseurs, afin que ces derniers (la Bluegrass Automotive nationales en perte de vitesse, commence à sélectionner ses
puissent utiliser son système Manufacturers Association, ou Toyota met l’accent sur la réduction fournisseurs sur la base de prix
de production pour améliorer la BAMA) pour desservir ses des coûts. cibles mondialement compétitifs.
qualité et la productivité. nouveaux centres de production
dans ce pays.

spécifiques ou sur des réductions de prix qui ont fait pression en faveur de nouvelles Toyota’s Long Drive », « HBR » édition améri­
chaque année tout au long d’un contrat, réductions de coût. caine, juillet-août 2007). Ce plan visait à
comme le font généralement les construc­ Le keiretsu a commencé à perdre de son ­sélectionner les fournisseurs sur la base de
teurs occidentaux, Toyota annonce quelles éclat. Vu à travers la lunette de la valeur ac­ prix cibles compétitifs à l’échelle mondiale,
réductions annuelles de coût il espère obte­ tionnariale, il était devenu onéreux et dé­ dans le but de réduire les coûts de 30% en
nir sur toute la durée d’un contrat – et le modé. En 1999, Renault est devenu l’action­ trois ans. Le plan prenait également en
groupe en partage les avantages en permet­ naire majoritaire de Nissan et a nommé compte un avantage concurrentiel que les
tant aux fournisseurs qui parviennent à mégafournisseurs étaient en train de déve­
­offrir ces réductions de maintenir leurs prix
pendant un certain temps.
Toyota compte sur lopper, en l’occurrence la capacité de four­
nir des systèmes de composants sophis­
• Plus spécifiquement, les entreprises ses fournisseurs pour tiqués au lieu de simples pièces détachées.
­japonaises encouragent leurs partenaires à
ne faire que ce qu’on leur demande et rien
aller plus loin : c’est- Dans le cadre de son plan CCC21, Toyota a
commencé à exiger de ses fournisseurs
d’autre. Toyota compte sur ses fournisseurs à-dire développer de qu’ils améliorent leurs capacités pour
pour aller plus loin, à savoir connaître et nouveaux procédés, ­produire ces systèmes à valeur ajoutée.
­satisfaire les demandes des clients, contri­ Toyota a ainsi pu atteindre son objectif de
buer au développement de procédés inno­
repérer et corriger les réduction des coûts, et le nombre de pièces
vants, repérer et corriger les erreurs et erreurs, et s’efforcer détachées achetées séparément a baissé.
­s’efforcer de respecter les délais.
de respecter les délais. Mais il serait inexact de considérer que le
plan CCC21 a introduit le principe de pleine
Après la bulle concurrence à l’occidentale. Au cours des
Le nouveau keiretsu est né d’une crise qui a Carlos Ghosn, l’un de ses dirigeants, à la tête deux dernières décennies, l’association des
touché l’ensemble de l’industrie automobile des opérations de la firme japonaise. Ce fournisseurs de Toyota (kyohokai) n’a relati­
japonaise. Au début des années 1990, les ­dernier a rapidement lancé le « Nissan Revi­ vement pas évolué : entre 1991 et 2011, moins
constructeurs automobiles occidentaux ont val Plan » afin de réduire les coûts de 20% en d’une vingtaine d’entre eux l’a quittée (sur
lancé des programmes de réduction dras­ trois ans. Carlos Ghosn déclara à la presse 200). Entre 1991 et 2010, le ratio moyen
tique des coûts et ainsi dopé la croissance que le keiretsu de Nissan n’avait pas bien ventes-dépendance (part de leur chiffre
des mégafournisseurs comme Magna, John­ fonctionné, et la société a par la suite vendu ­d ’affaires réalisé auprès de Toyota) de
son Controls et Valeo. Afin de conserver leur les participations qu’elle détenait chez la 44  fournisseurs est resté stable à environ
avance, les constructeurs automobiles plupart de ses fournisseurs. Les relations 80%, même lorsque le constructeur a élargi
­nippons se sont également tournés vers ces fournisseurs à la japonaise se rapprochaient son portefeuille de sous-traitants.
gros fournisseurs. de plus en plus du modèle occidental. La société a également aidé de nom­
En outre, l’éclatement de la bulle écono­ En l’an 2000, alors que les pressions breux fournisseurs à satisfaire ses nouvelles
mique japonaise a créé une période de concurrentielles s’intensifiaient et que ses exigences. Au lieu de les abandonner au
­stagnation qui s’est poursuivie jusqu’aux dirigeants exigeaient une croissance mon­ profit de concurrents proposant des prix
« décennies perdues » du pays. Avec la baisse diale rapide, Toyota a lancé une stratégie plus bas, Toyota les a aidés à entreprendre
des ventes et des profits, certains construc­ d’approvisionnement complètement des améliorations opérationnelles, en orga­
teurs ont recherché des capitaux en s’ou­ ­nouvelle baptisée « Construction of Cost nisant des « groupes d’étude » et en leur en­
vrant aux investissements des entreprises Competitiveness for the 21st Century », ou voyant des ingénieurs chargés de les aider à
étrangères comme Renault, Ford et Daimler, CCC21 (lire à ce sujet l’article « Lessons from améliorer l’efficacité et la qualité tout en
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baissant leurs prix. Lorsque la firme nip­ sées avec les fournisseurs à des stades de r­ eprésentants de plusieurs départements
pone délaisse un fournisseur sur un modèle développement plus précoces. Pendant de de  Toyota, notamment la conception, la
particulier en raison d’un problème de prix, nombreuses années, l’entreprise a géré la production, la qualité et les achats. Ces
elle s’efforce de maintenir leur relation en plus grande partie du développement de ses ­r éunions permettent d’éviter un écueil
lui proposant par exemple de fournir des propres systèmes internes. Mais en 2004, ­f réquent dans d’autres sociétés, au sein
pièces pour d’autres modèles. après la fusion de trois de ses firmes keiretsu ­desquelles même si les responsables achats
Même après l’adoption du CCC21, les (Toyoda Boshoku, Araco et Takanichi) en acceptent une proposition de changement
contrats conclus entre Toyota et ses fournis­ vue de créer une entreprise capable de four­ de conception de la part d’un fournisseur,
seurs sont restés ambigus et peu explicites, nir des composants intérieurs complets (une cette modification peut par la suite être re­
l’accent étant mis sur la bonne volonté et la fusion dans laquelle Toyota aurait joué un fusée par les ingénieurs du constructeur.
confiance. Cela est particulièrement notable rôle crucial), le constructeur a intégré la Dans le système Toyota, les décisions sont
dans les collaborations nécessitant une nouvelle entité, baptisée Toyota Boshoku, prises collectivement par l’ensemble des
conception produit novatrice. Les dirigeants dans le processus de développement participants à la réunion.
de Toyota expliquent que la société exige de ­produit, au stade de la planification. Toyota a également mis en place un pro­
ses fournisseurs de bien comprendre ses Peu de constructeurs sont aussi ouverts gramme permettant aux experts des four­
processus et ses objectifs de production et que Toyota aux idées des fournisseurs ou nisseurs de travailler aux côtés des concep­
qu’elle est convaincue que ces connais­ aussi bons dans l’intégration de celles-ci. La teurs de Toyota pendant des périodes
sances ne peuvent être transmises par les société attend de ses fournisseurs de sys­ pouvant aller de six mois à trois ans. Ce pro­
seuls dessins de conception. tèmes qu’ils contribuent à améliorer la gramme, qui insiste sur le principe de « faire
bien du premier coup », encourage la com­
munication dès les premiers stades de déve­
La capacité d’apprentissage d’un fournisseur loppement afin de réduire ensuite les ajuste­
ments nécessaires. Conjugué aux réunions
est essentielle pour votre compétitivité future. obeya, cela a permis de réduire les délais de
Les fournisseurs disposés à comprendre développement de trois ans à un peu moins
d’un an, en fonction de la complexité du
les causes profondes de leurs erreurs sont projet. La mise au point de la petite voiture
les plus susceptibles de s’améliorer. bB n’a par exemple pris qu’un an environ ; le
modèle a été lancé au Japon en 2000 et son
Formation : le style Toyota conception des produits, en réfléchissant successeur, le Scion xB, est apparu aux
Toyota cherche à alimenter un réservoir de par exemple à la manière d’incorporer des Etats-Unis quelques années plus tard.
« connaissances tacites » pour ses fournis­ matériaux plus légers sans sacrifier la soli­ Toyota a également développé des rela­
seurs, grâce à l’échange d’expériences pro­ dité. Pour la Corolla Fielder, un modèle tions de type keiretsu à l’étranger. En 1992, la
fessionnelles, notamment en matière de vendu au Japon, Toyota Boshoku et Toyota société a fondé le Toyota Supplier Support
­résolution collective des problèmes, en ont conjointement développé un nouveau Center pour aider les fournisseurs améri­
­recourant à la méthode des essais et des système intérieur avec des sièges arrières cains à apprendre le système de production
­erreurs. Cette formation sur le tas, qui est rabattables en un clic. Autre exemple : Toyota. En 1997, elle a créé le Toyota Europe
tout aussi culturelle que technique, encou­ ­Advics, une société née de l’activité freins de Association of Manufacturer, un regrou­
rage les fournisseurs à être attentifs aux Toyota et de trois de ses fournisseurs, afin pement d’environ 70 entreprises qui se
­problèmes, aux anomalies et aux opportuni­ d’élaborer des systèmes de freinage com­ ­retrouvent dans des groupes d’étude. Enfin,
tés durant tout le processus d’élaboration et plets. En 2001, les améliorations apportées l’équipe européenne de suivi des pièces
de production des pièces. Alors que les fabri­ par Advics à la conception et à l’achat de (SPTT), composée de spécialistes des achats,
cants occidentaux ne se contentent parfois produits ont permis de réduire de 30% le de la qualité, de la conception, de la produc­
de vérifier les documents que lorsqu’ils coût des systèmes de freinage antiblocage tion et d’autres fonctions, rend visite aux
­inspectent les usines de leurs fournisseurs, (ABS) pour les voitures Noah et Voxy. fournisseurs pour les aider à introduire la
Toyota contrôle toujours les lieux de travail Dans le cadre de son processus de déve­ fabrication de nouvelles pièces.
et les produits (c’est le principe « genchi loppement produit, Toyota met à disposi­ A l’étranger, la société a tendance à être
genbutsu », littéralement « aller à la source »), tion des locaux qui facilitent la coopération plus explicite dans sa communication
ce qui confirme l’importance d’être présent avec et entre les fournisseurs. Ces derniers qu’elle ne l’est au Japon, en établissant
lorsque des problèmes surgissent. peuvent être invités à des réunions appelées des  règles plus claires et des spécifications
Depuis une dizaine d’années environ, « obeya » (littéralement « grande salle »), plus détaillées. Les principales caractéris­
Toyota a noué des collaborations plus pous­ ­durant lesquelles ils travaillent avec les tiques du nouveau keiretsu semblent se
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Pourquoi le keiretsu dure-t-il ? Les keiretsu sont bien ancrés au


Japon pour plusieurs raisons :

COÛT Le fabricant évite les QUALITÉ Le fabricant compte INNOVATION Avec le soutien « ANSHIN » Ce concept,
coûts cachés des contrats sur l’engagement et l’expertise du fabricant, les fournisseurs qui signifie « tranquillité de
d’approvisionnement de type de ses fournisseurs et a ainsi innovent en matière de produits l’esprit », assure à un
occidental, notamment confiance dans la qualité des et de procédés, notamment, fournisseur le maintien des
cette réticence systématique, composants. C’est essentiel dans le cas de Toyota, en relations avec le constructeur,
tant chez les fabricants dans la production en juste- apportant des améliorations tant qu’il effectue des efforts
que chez les fournisseurs, à-temps : si un constructeur dans les systèmes de siège et réels pour aider ce dernier.
à identifier les causes profondes automobile devait tester dans les freins ABS. Cette stabilité profite
des problèmes dans la chaîne chaque pièce, il ne pourrait pas également aux constructeurs.
d’approvisionnement, conserver une production
de peur d’apparaître fautifs. rationnelle régulière et des
stocks minimaux.

transmettre, notamment le genchi genbutsu. ont parfois des difficultés à livrer les pièces Après le redressement de Toyota à la
Lorsque nous avons visité les usines Toyota les plus simples et les moins chères sur les suite de la crise de 1991, les profits n’ont
aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, ainsi que marchés émergents. C’est pourquoi Honda a cessé d’augmenter. Le ratio résultat d’ex­
celles d’Aisin, de Denso et d’autres fournis­ récemment annoncé une politique d’achat ploitation consolidé/chiffre d’affaires est
seurs, les managers nous ont expliqué qu’ils ouverte : dans les pays émergents, la société passé de 5,1% en 1991 à 8,5% en 2003, et à
récompensaient les ingénieurs qui saisissent s’approvisionne davantage auprès de méga­ 9,3% en 2007. Toutefois, l’entreprise a été
l’esprit « à la source », car ce sont ces ingé­ fournisseurs et de fournisseurs locaux. On frappée par la récession mondiale de 2008,
nieurs qui pilotent la mise en œuvre du pourrait arguer que le succès récent de Nis­ ainsi que par le séisme et le tsunami de 2011
­système de production Toyota. san en Chine (où le constructeur a dépassé
Les relations fournisseurs de Toyota sont Toyota et Honda en termes de croissance du
plus proches du keiretsu traditionnel que chiffre d’affaires) résulte de cette priorité à
Les fabricants
celles des trois autres grands constructeurs l’ouverture dans les procédures d’achat. Si japonais de pièces
automobiles japonais, mais Nissan et Honda
ont tout de même conservé quelques as­
une relation fournisseurs est trop exclusive,
il est difficile de s’ouvrir à de nouveaux
détachées exigent de
pects de ce modèle traditionnel. Après s’être sous-traitants. Et les contrats contraignants leurs ouvriers qu’ils
occidentalisé sous Carlos Ghosn, Nissan a de peuvent être pesants pour les fournisseurs travaillent la nuit pour
nouveau modifié son approche en 2004, en et leurs employés : les fabricants japonais de
annonçant une nouvelle politique d’achat pièces détachées exigent de leurs ouvriers
satisfaire les demandes
correspondant à une réévaluation du kei- qu’ils travaillent la nuit pour satisfaire les des constructeurs
retsu. La société a accru ses investissements
chez un grand fournisseur et, avec de nom­
demandes des constructeurs.
Pour autant, l’essence du keiretsu s’est
automobiles.
breux autres, continue de baser ses rapports avérée durable, en grande partie parce qu’il
sur la bonne volonté et la confiance. Son n’existe pas de coûts cachés comme en Oc­ (ratio de 2,5% en 2011). En plein ralentisse­
programme d’envoi d’ingénieurs dans les cident. Ces coûts cachés proviennent essen­ ment é ­ conomique est survenue l’affaire des
usines des fournisseurs pour collaborer à tiellement de la dissimulation des causes accélérateurs fous en 2009-2010, qui a
des projets d’amélioration des procédés est des problèmes dans la chaîne d’approvi­ obligé Toyota à rappeler 9 millions de véhi­
un exemple de pratique de keiretsu. Honda sionnement, les ­fabricants comme les four­ cules dans le monde (selon un rapport du
se base aussi sur la confiance et la bonne nisseurs essayant d’éviter d’être accusés. Au gouvernement américain, le problème pro­
volonté plutôt que sur des dispositions sein d’un keiretsu, les fabricants et les four­ venait des pédales d’accélérateur qui se
contractuelles et a mis en place des activités nisseurs col­laborent pour détecter les ­bloquaient ou se coinçaient sous le tapis).
de formation des fournisseurs. En 2010, tou­ causes d’un p ­ roblème. Et livrer des sup­ En conséquence, Toyota a pris des mesures
tefois, la firme a annoncé une réduction du ports pédagogiques aux fournisseurs est afin d’améliorer sa réactivité aux plaintes
nombre de ses fournisseurs (division par rentable pour les constructeurs, car, in fine, des clients et d’accélérer la prise de déci­
presque deux dans certaines catégories), cela réduit leurs coûts et les prix qu’ils fac­ sion. En 2010, la société a révisé ses normes
une décision contraire à l’esprit du keiretsu. turent. Les niveaux élevés d’engagement, de qualité pour les pièces, en s’appuyant,
d’inventivité et d’expertise des fournisseurs paraît-il, sur les suggestions des fournis­
Une pratique tenace contribuent à la compétitivité du construc­ seurs. Elle leur a également demandé
Le nouveau keiretsu est loin d’être parfait. teur (voir ­l’encadré ci-dessus, « Pourquoi le d’améliorer leur gestion de la qualité dès la
Les fournisseurs qui recherchent la qualité keiretsu dure-t-il ? ») phase de conception, en menant avec eux
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Conseil aux entreprises qui veulent créer leur ressources humaines et le développement.
La capacité d’apprentissage d’un fournisseur
keiretsu : « Pensez à court terme et à long terme est essentielle pour votre future compétiti­
en même temps. Dites à vos fournisseurs que vité. Les fournisseurs disposés à comprendre

vous envisagez des relations à long terme, mais les causes profondes de leurs erreurs sont les
plus susceptibles de s’améliorer.
seulement s’ils sont compétitifs aujourd’hui. » • Tissez des relations personnelles entre
votre société et vos fournisseurs, et pas
­seulement au niveau de la direction, mais
des activités conjointes à cette fin. Aux bore avec eux afin d’être efficace et de limi­ aussi entre les employés. Rencontrez vos
Etats-Unis, après un recul entre 2009 et ter les coûts. Elle a, par exemple, développé fournisseurs. Créez des groupes d’études
2011, les ventes en volume ont repris en avec plusieurs fournisseurs de longue date communs. Faites travailler vos managers
2012. D’après l’étude de J.D. Power sur la fia­ une technologie pour imprimer des motifs avec les ingénieurs dans les ateliers des
bilité des véhicules, le  nombre de problèmes sur les tables en panneaux de fibres de sa ­fournisseurs. Ces mesures accéléreront la
entre 2009 et 2013 a diminué de 13 % pour série Lack. résolution des problèmes et créeront une
Toyota, 44 % pour Lexus et 39 % pour Scion, Voici quelques conseils pour les entre­ atmosphère grâce à laquelle les fournisseurs
ce qui suggère que  la qualité d’ensemble prises qui cherchent à créer leur propre oseront faire des suggestions.
s’est améliorée (grâce en partie aux contri­ ­modèle de keiretsu : • Si vos fournisseurs enregistrent des
butions des fournisseurs). • Apprenez à penser à court terme et à contre-performances, voyez ce qu’il est
long terme en même temps. Dites à vos four­ ­posible de faire pour changer la situation.
Elaborer son propre keiretsu nisseurs que vous envisagez des relations Pensez en termes de développement plutôt
Malgré ses défauts, le nouveau keiretsu offre à  long terme, mais seulement s’ils sont que de changement. Donnez-leur des occa­
un cadre utile aux entreprises qui cherchent ­compétitifs aujourd’hui – et travaillez avec sions de montrer comment ils pourraient
à enrichir leurs relations fournisseurs et à en eux pour y parvenir. Encouragez-les à vous s’améliorer.
tirer un avantage à long terme. En effet, considérer comme un partenaire à long • Faites participer vos fournisseurs au
­malgré la prévalence de l’approche de pleine terme, par exemple en les informant de vos développement de nouveaux produits (invi­
concurrence en Occident, on observe un attentes en termes de réductions de coût, tez leurs ingénieurs à travailler dans vos
­regain d’intérêt pour les relations de type mais aussi en leur montrant comment les équipes de développement) et mettez en
keiretsu. Ainsi, quelques constructeurs avantages seront partagés. place des activités d’amélioration des procé­
mettent en place des programmes d’appro­ • Connaissez vos fournisseurs. Si vous ne dés dans leurs usines. Cela augmentera
visionnement hybrides avec la participation comprenez pas leurs procédés, vous ne votre compétitivité dans toute la chaîne
de groupements de type keiretsu. pourrez contribuer à les améliorer. Au lieu d’approvisionnement.
Dans certaines industries européennes, de sous-traiter tous les composants, créez
les fournisseurs deviennent très fidèles aux des coentreprises pour les plus importants DE PLUS EN PLUS, la phase décisive de la
fabricants et contribuent à améliorer leurs d’entre eux. Et visitez les ateliers de vos compétition se déroule entre les chaînes
chaînes d’approvisionnement. En Suède, fournisseurs. d’approvisionnement plutôt qu’entre les
par exemple, le constructeur Scania (ca­ • Instaurez la confiance avec vos fournis­ entreprises elles-mêmes. Les constructeurs
mions et cars) organise des ateliers pour seurs. Indiquez clairement que cette relation occidentaux qui veulent améliorer leurs
­aider les fournisseurs à se familiariser avec le les aidera à améliorer leurs opérations et à relations fournisseurs doivent retenir les
système de production Scania, caractérisé devenir plus compétitifs. Soyez le client avec points clés des partenariats de type keiretsu :
par l’amélioration en continu et la produc­ qui ils ont envie de travailler. soutien, coopération, confiance et bonne
tion agile. Le système d’approvisionnement • Trouvez l’équilibre entre communica­ volonté. Ces éléments sont cruciaux, même
de Scania présente d’autres caractéristiques tion explicite et communication implicite. dans un environnement hypercompétitif et
du keiretsu : les fournisseurs s’identifient à la Trop d’explicite peut provoquer de la mé­ obnubilé par les coûts, car ils réduisent les
société qui, à son tour, s’efforce de les rendre fiance, et trop d’implicite des malentendus. coûts cachés caractéristiques des relations
plus compétitifs à l’échelle mondiale (bien • Créez un portefeuille de sous-traitants de pleine concurrence. 
qu’elle ne détienne pas de participation). et identifiez ceux qui méritent le plus de pro­
Ikea aussi envisage ses relations fournis­ gresser (vous ne pourrez les aider tous). Katsuki Aoki est professeur associé
seurs sur le long terme et s’efforce de bâtir Quels sont ceux qui ont le potentiel de deve­ à la School of Business Administration
des partenariats engagés reposant sur des nir compétitifs à l’échelle mondiale ? Attri­ de l’université Meiji de Tokyo. Thomas Taro
Lennerfors est professeur associé en ingénierie
avantages mutuels. La société délègue d’im­ buez-leur des notes en fonction de critères industrielle et management à l’université
portantes tâches aux fournisseurs et colla­ tels que la qualité, le coût, la livraison, les d’Uppsala, en Suède.
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