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Explication de l’extrait de L’Acacia de C.

Simon
Introduction : L’Acacia de Claude Simon est une œuvre appartenant au Nouveau roman qui
se caractérise par un refus du roman traditionnel retraçant le parcours d’un personnage et la
primauté accordée à la conscience. Dans ce passage, le narrateur nous relate les perceptions
d’un « il » soumis à une situation extrême : une attaque militaire durant la seconde guerre
mondiale.

Lecture

Le passage comporte 3 mouvements

1. La situation du personnage « il » (l. 3) : du début à automate (l.6)


2. Analepse et mémoire : de « de sorte qu’il ne pourrait[…]» (l. 6) à « […]quand il
aura le temps […] (l. 11)
3. L’attaque vécue : de « […] pour le moment il est […] à la fin du passage.

La problématique pourra être la suivante : Comment est rendue la perte de conscience de


soi de l’individu à la guerre ?

Le premier mouvement commence par un point de repère dans le temps « il est peut
être huit heures du matin ». Cependant, le modalisateur « peut être » indique l’incertitude et
place le lecteur dans une situation inconfortable. Le temps est soumis à la perception du
personnage. Pas de certitude. Car « depuis longtemps, la notion d’heure a perdu toute
signification » et pour cause c’est que le temps rythme les besoins vitaux de l’homme : se
nourrir et se reposer mais ces besoins ne sont pas respectés. La conscience de l’être n’a plus,
pour se repérer dans le temps, que le fait que « la nuit les avions n’attaquent pas » La
référence aux attaques aériennes situe le contexte et donne une indication précieuse au lecteur.
Le « il » dont il est question est soumis à une situation extrême. Le groupe prépositionnel « de
toute façon » renforce l’effet produit par l’information donnée : trois jours sans presque
manger et, pour ce qui est du sommeil, il n’est plus en état de le distinguer de l’état de veille.
Le personnage est alors comparé à un somnambule « se mouvant à la façon d’un
somnambule » et la métaphore qui associe sa marche à celle d’un automate « les muscles se
contractant et se détendant d’eux-mêmes, commandés par des réflexes d’automate » montre
que ce « il » n’a plus le contrôle de son corps, ne le domine plus. Le délitement du personnage
rend, par l’effacement même de la conscience de soi, l’état dans lequel les privations de
nourriture, de sommeil, imposées par la guerre plongent l’individu. La focalisation interne
permet au lecteur de plonger dans la conscience de l’être dont on suit le périple.

Le second mouvement commence par une subordonnée de conséquence « de sorte


qu’il ne pourrait pas dire si ça a été sa raison, sa volonté ou quelque instinct animal qui l’ont
fait se relever et se mettre tout à coup à courir. » L’analepse nous fait remonter le temps. Le
temps verbal qui change puisqu’on passe au passé composé « a été » nous renvoie vers un
moment antérieur, un moment où il a fait une chute et a dû se relever. La tentative d’analyse
du pourquoi de la réaction : la raison, la volonté ou le réflexe animal est vaine « il ne pourrait
pas dire » Le conditionnel nous plonge davantage encore dans l’incertitude. Remarquons que
le réflexe animal étant mentionné en dernier et précédé par une conjonction de coordination
qui implique la fin de l’énumération, c’est l’explication que le lecteur reçoit comme étant la
plus probable. Le narrateur nous fait remonter encore dans le temps puisqu’il va évoquer
toujours au passé composé l’évanouissement qui a suivi la chute et précédé la course. Nous
avons ensuite des précisions concernant l’espace dans lequel évolue le « il ». L’endroit est
d’abord mentionné par la forme négative « ce que l’on ne pourrait pas appeler exactement un
champ de bataille » et entre parenthèses, comme un ajout du narrateur (le carrefour de deux
chemins vicinaux au milieu de blés en herbe et de prairies en fleurs) Ces indications créent un
contraste saisissant entre la situation que vit le personnage qui craint pour sa vie, flirte avec la
mort et la nature qui renait puisqu’il s’agit de champs de blé en herbe et de fleurs. L’espace
porte en lui, en outre, une indication temporelle : c’est le printemps. Espace et temps semblent
se télescoper dans la conscience du « il ». Le lecteur s’aperçoit alors du mouvement dans le
temps qu’implique le souvenir « tout ce dont il se souvient (ou plutôt ne se souvient pas - ce
ne sera que plus tard, quand il aura le temps »Cette prolepse indique aussi un changement de
focalisation : nous passons en focalisation omnisciente car le narrateur nous renseigne sur
l’après, le futur du personnage. Il y aura un moment où il se remémorera cet instant. Cela
implique par conséquent sa survie. Cette considération du narrateur brouille les pistes : on ne
sait plus s’il s’agit d’un roman ou d’un récit qui transpose du vécu et donc présente un rapport
avec le texte autobiographique puisque nous avons une réflexion sur le fonctionnement de la
mémoire qui modifie la réalité du vécu. C’est toute une poétique de la mémoire qui est
suggérée.

Dans le troisième mouvement, introduit par « pour le moment » (l. 11) le lecteur
revient à la focalisation interne et au présent pour vivre avec le « il » ce qu’il affronte. Nous
avons alors une succession de verbes d’actions qui mettent en avant l’énergie déployée par le
personnage « occupé à surveiller le paysage» mis en relief par le complément circonstanciel
de manière « avec précaution », « estimer la distance » précisé par la subordonnée relative
explicative « qui le sépare de la prochaine haie », « il fait passer par-dessus sa tête la bretelle
de son mousqueton », « ouvre la culasse », « la fait basculer » et « la retire » L’énumération
des verbes suggère la multiplicité des tâches, multiplicité qui est accentuée par « tandis que »
qui implique que les tâches sont faites en même temps, sont concomitantes. A toutes ces
tâches va s’ajouter son observation de l’avancée du contingent de soldats présenté en une
métaphore filée comme un monstre, un animal fantastique. La description de la colonne de
cavaliers est organisée de façon à suggérer l’avancée, le mouvement. D’abord des « ombres
encore pâles et transparentes, la métaphore filée est construite grâce à l’introduction
progressive d’éléments qui complètent : la comparaison des chevaux dont les jambes sont
distendues par les rayons de soleil, donnant l’impression qu’elles sont « comme montées sur
des échasses », l’oxymore « elles semblent bouger sans avancer » accentue l’impression
d’étrangeté. La description se précise encore et apparait l’image des « sauterelles » puis le
mouvement des « dos voutés, les bustes oscillant d’avant en arrière » et la tête « tournant sur
la droite » fait penser à une chenille géante qui avancerait dans le matin (il nous est précisé
« au sortir de la nuit ») Cela crée un univers fantasmagorique effrayant qui va connaitre son
climax à la fin du passage puisque tout se précipite. Les connecteurs temporels «puis,
soudain » introduisent la perturbation que constitue l’attaque attendue dans cet univers assez
effrayant mais qui surprend malgré tout, la surprise étant rendue plus sensible par l’adverbe de
manière « soudain ». L’énumération qui suit suggère la violence « les cris, les rafales de
mitrailleuses, la tête de la colonne refluant, d’autres mitrailleuses alors sur l’arrière… » Le
désordre de l’énumération suggère parfaitement la confusion générée par l’attaque. On
remarque l’utilisation du participe présent « battant en retraite, somnolant, tournant, refluant,
prenant, se mêlant, se heurtant » qui nous plonge au cœur de l’action. Utilisés pour rendre
l’action, ces participes semblent vider l’action de toute volonté individuelle. L’utilisation de
la virgule alors qu’elle est rare dans le reste du texte met ici en relief l’énumération et suggère
la fragmentation. Cela insiste sur le chaos. Le lecteur a l’impression que l’être dont il est
question ressent intensément tout ce qui l’entoure sans parvenir à être lui-même, à se
rassembler.

Conclusion :

Ainsi, le danger présent du début du passage à la fin sous la forme d’évocation


d’attaques de l’aviation ou de rafales de mitrailleuses vide l’être humain de la conscience
nécessaire à la compréhension de son environnement et à une action véritablement consciente.
Toute action héroïque devient alors vraisemblablement impossible puisque si elle avait lieu,
elle ne serait due qu’à un réflexe animal de survie. La fin du héros serait donc liée à la fin du
personnage. On peut se demander si cette écriture n’est pas finalement une écriture réaliste
puisqu’elle retranscrit fidèlement les perceptions de l’être déstructuré par la situation extrême
qu’il doit affronter. La guerre apparaît alors comme le lieu de la déshumanisation la plus
complète.

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