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Bulletin N° 153

Mission
en temps de Crise

Société des Missions Africaines


2021 – Rome
Mission en temps de crise, Bulletin N° 153

© 2021 SMA publications


Image de couverture de Anna Shvets, www.pexels.com

Tous droits réservés


ISBN : 9798732068108
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Les bulletins précédents


N° 143 Mission et dialogue
N° 144 La mission et ses méthodes
N° 145 État 2017
N° 146 Nécrologe 2017
N° 147 Missions et laïcs
N° 148 Préparations à l’assemblée générale 2019
N° 149 Rapport sur l'état de la société
N° 150 Mission, migrations et le ministère de l’exorcisme
N° 151 Synthèse des réponses au questionnaire en préparation à l’AG19
N° 152 Les textes officiels de la 21ème Assemblée Générale de la Société des
Missions Africaines

SMA publications
Società delle missioni africane
Via della Nocetta, 111, Roma 00164, Italia

www.smainternational.info
media@ smainternational.org
Table des matières
Éditorial 5
- S. I. Francis Rozario SMA

Nos Racines
Regards sur la Société des Missions Africaines pendant la
Deuxième Guerre Mondiale
- Jacob Schiméa Senou SMA 13
“Frères d’armes” (1939-1945)
- Roberta Grossi 23
Le Marxisme-Léninisme au Dahomey-Bénin : un défi
pour la Foi Chrétienne
- Michel Bonemaison SMA 29
La vocation missionnaire de Saint Charles de Foucauld
- Andreà Mandonico SMA 39
Colonisation et Cultures 53
- Pierre Saulnier SMA

Notre Vision
COVID-19 et Redécouverte du Ministère de Gardiennage
- François de Paul Houngue SMA 67
Résilience
- James Shimbala SMA 73
Attention aux confrères : Le rôle premier des supérieurs
d’entité
- François du Penhoat SMA 87
Prise en charge des membres
- Fabien Sognon SMA 117
Maison construite pour les tempêtes
- S. I. Francis Rozario SMA 125
Gros plan sur : Aujourd’hui
Mission-inculturation : le défi est renouvelé
- Waldemar Piotr Dziedzina SMA 145
Pendant la crise politique en Côte d’Ivoire en 2002
- Ramon Bernad SMA 157
Inondations aux Nigeria
- Anthony Chukwuemeka SMA 161
Mission au désert pendant la pandémie
- Éphrem Kway SMA 165
COVID -19 - Chemin de conversion
- Paulin Kouassi SMA 171
COVID 19 : Les Problèmes de santé spirituelle et mentale
- P. Maria Anthuvan Dominic SMA 173
La révolution numérique et la formation presbytérale
traditionnelle : défis et possibilités
- Jonathan Malong SMA 181
Où est Dieu dans le covid-19 ?
- Tim Cullinane SMA 195

Les écrits des confrères SMA 207


Ressources SMA 209
Éditorial
Les missionnaires restent à l’intérieur, les chrétiens pieux
s’agenouillent devant les téléviseurs et les désinfectants remplacent l’eau
bénite !!! Beaucoup de choses que nous pensions impossibles sont
devenues la nouvelle norme en raison de la pandémie de COVID-19. Au
fur et à mesure que les gens changent de plans, ils découvrent qu’ils
doivent également abandonner une partie de leur style de vie et
plusieurs de leurs croyances populaires. Certains trouvent l’expérience
accablante et d’autres révélatrice.
Ce bulletin, d’une part, exprime nos nombreuses souffrances,
confusions et angoisses et, d’autre part, tente de faire de cette pandémie
un marchepied et un tremplin pour un avenir meilleur. Nous avons trois
sections : Nos racines, Notre vision et le Gros plan.

Nos racines
Lorsque vous faites face à un nouveau défi comme réaliser des
opérations bancaires via un appareil mobile ou acheter votre premier
désinfectant, vous demandez conseil à quelqu’un qui l’a déjà fait. Notre
humanité a connu des crises majeures. Alors que nous traversons la
pandémie actuelle, nous examinons l’histoire pour voir comment les
gens ont vécu des moments difficiles et ce que nous pouvons apprendre
de leurs expériences.
La Seconde Guerre mondiale, dévastatrice, a profondément
remodelé le monde. Avec l’aide de la Dr Roberta Grossi, notre assistante
archiviste, nous avons repêché les écrits de nos confrères pendant la
guerre. Jacob Senou a parcouru les nombreux manuscrits, les a analysés
et a rédigé l’article « Un regard sur la Société des missions africaines pendant
la deuxième guerre mondiale ». Nous lisons le passé avec l’expérience du
présent pour un avenir meilleur. La méthodologie relie les archives à
Rome, le chercheur à Strasbourg et les lecteurs du monde entier. La
frustration des restrictions à la pandémie semble insignifiante quand

5
Mission en temps de crise

nous lisons des choses comme : « malheureusement, presque tous nos


novices sont tués ou disparus » ! Si nous avons survécu à cela, nous
survivrons à cette pandémie !
Au cours de la même période, la revue « Frères d’armes » éditée par
les séminaristes de Lyon a joué un rôle essentiel afin de tenir vive la
relation entre prêtres et séminaristes au séminaire, dans les missions et
sur le front de guerre. La Dr Grossi parcourt les numéros de la revue
pendant la période 1939-1945 et fait ressortir les thèmes les plus courants
dans les écrits. Il est absolument fascinant de voir comment les prêtres
et les séminaristes ont essayé de comprendre leur vocation, de la relier à
la vie militaire et d’interpréter leur foi à la lumière de tout cela. Les
parallèles établis entre la vie d’un soldat et celle d’un missionnaire, la
place de la dévotion Mariale et la compréhension de la souffrance
méritent tous d’être médités.
Ensuite, nous passons à une crise plus récente au Bénin en raison
de l’idéologie du Marxisme - Léninisme. Le changement politique a
touché tous les aspects de la société. Michel Bonemaison qui a vécu au
Bénin avant, pendant et après la crise rappelle comment les chrétiens et
l’institution de l’Église ont été affectés par le changement politique et
comment, malgré tout, l’Église a continué à être fidèle à sa vocation au
service de l’humanité. Michel attire notre attention sur certains des défis
actuels avec l’avantage de la rétrospection historique.
Ceux qui rejoignent la SMA disent très souvent : « J’ai été attiré par
la simplicité des prêtres SMA ». La vie missionnaire reflète l’incarnation
et trouve son accomplissement dans le fait de se vider de soi et d’aller
vers l’autre. Toute l’Église continue de découvrir la vie exemplaire de
l’humble saint, mort dans le désert du Sahara : Saint Charles de
Foucauld. Andreà Mandonico, notre archiviste et postulateur a
également été le vice-postulateur de la cause de Saint Charles de
Foucauld. Dans son article St Charles de Foucauld et sa vocation
missionnaire, Andreà montre comment la vie de Charles de Foucauld a
touché nos confrères au fil des ans. Nous comprenons mieux ce que nous
appelons le « ministère de la présence » - un concept précieux pour la
génération qui mesure tout en termes de résultats immédiats.
Dans l’article « Colonisation et Cultures », notre célèbre
anthropologue Pierre Saulnier voit la colonisation dans le cadre séculaire
de la migration et de l’installation qui implique des luttes de pouvoir,
l’exploitation économique et la confrontation culturelle. Lorsque deux
groupes de personnes se rencontrent et ne partagent pas une langue
commune, le plus puissant impose son langage pour faciliter la

6
Éditorial

communication, et l’approche est projetée comme une promotion de la


civilisation. La mission se distingue en se déplaçant dans la direction
opposée par l’inculturation où le missionnaire commence par apprendre
la culture et la langue du peuple hôte en signe de respect et
d’appréciation. L’analyse et la présentation de Pierre sont assez
objectives, éducatives et très respectueuses.

Notre vision
La section Notre vision contient cinq articles. François de Paul
Houngue, notre Vicaire Général fait passer un message au nom du
Conseil Général à toute la Société en temps de pandémie. En tant que
missionnaires, nous réalisons notre vocation de gardiens des mystères
de Dieu et de gardiens les uns des autres. Notre vulnérabilité nous aide
à réaliser que nous sommes des créatures et que nous devons être
rattachés à Dieu. Nous sommes également liés les uns aux autres et, par
conséquent, tout le monde doit se soucier du bien de tout le monde.
Nous témoignons de ce message à travers notre vocation missionnaire.
Suite à la décision du Conseil Plénier de 2020, nous avons organisé
la Formation Continue pour tous les Supérieurs d’Entités et leurs
Conseils en septembre 2020 et janvier 2021. Le module de septembre
portait sur « Attention aux confrères missionnaires » et celui de janvier
sur « Attention à la mission ». Trois présentations du module de
septembre sont faites dans cette section sous forme d’articles.
James Shimbala, le Coordinateur du Comité Exécutif de l’ICOF
(Formation Continue Intercongrégationnelle), est une personne
ressource très recherchée sur divers sujets, en particulier sur celui de la
Résilience. La pandémie nous frappe depuis plus d’un an et nous devons
comprendre la capacité humaine de résilience afin non seulement de
rester sains d’esprit, mais aussi de devenir plus forts grâce à ces
épreuves.
Tandis que James parle de « Soins de soi », François du Penhoat et
Fabien Sognon, deux Supérieurs provinciaux expliquent les détails
impliqués dans la prise en charge des membres confiés aux soins des
Supérieurs du point de vue spirituel, psychologique et administratif.
Leurs articles montrent l’évolution des styles de leadership au fil des ans
et les nouveaux domaines émergents où les dirigeants doivent accorder
plus d’attention. Les supérieurs exercent leur leadership et leur
fraternité en même temps. Les principes expliqués ici sont précieux pour
tout le monde puisque nous sommes tous les gardiens les uns des autres.

7
Mission en temps de crise

Dans le dernier article de cette section, « Maison construite pour les


tempêtes », j’essaie d’exprimer une certaine désillusion des chrétiens
quand ils voient jour après jour que des fidèles croyants, des prêtres et
même des évêques succombent à la pandémie. L’article examine de
manière critique diverses interprétations de la bénédiction, de la
punition et de la providence, et montre comment nous sommes des
mandatés et non des ayants droit. La pandémie nous donne l’occasion
de remettre en question et de peaufiner ce que nous annonçons.

Gros plan
Dans la troisième section Gros plan, les personnes partagent leur
expérience et leurs réflexions sur diverses crises en relation avec la
mission.
Waldemar parle du rôle de l’inculturation dans la mission et nous
guide à travers divers défis du monde moderne et différentes manières
de comprendre l’inculturation. Il est intéressant de noter l’accent mis sur
le dialogue et la rencontre des cultures dans un véritable respect mutuel
sans aucun complexe puisque la recherche de la vérité reste la
motivation commune.
Ramon Bernad partage l’expérience de la guerre civile en Côte
d’Ivoire ; Anthony Chukwuemeka partage l’expérience des inondations
au Nigeria ; ensuite Éphrem Kway et Paulin Kouassi partagent
l’expérience de la pandémie actuelle, respectivement dans la mission
désertique de Lodwar et en Égypte.
Dominic Anthuvan écrit sur les problèmes de santé spirituelle et
mentale dus à et pendant la pandémie. En tant que missionnaires, nous
vivons les mêmes défis que tout le monde, et en même temps nous
accompagnons et soutenons les autres. L’article nous invite à être plus
conscients de ce qui se passe et à faire preuve de plus d’ingéniosité pour
devenir plus résilients et afin de trouver des moyens d’atteindre les
nouveaux « plus abandonnés » d’aujourd’hui.
Jonathan Malong, un formateur au Ghana écrit sur la révolution
digitale dans le contexte de la formation. Jonathan met en lumière les
nouveaux types de défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui,
il nous invite à être ouverts aux avantages de la vie digitale et en même
temps à être vigilants pour ne pas compromettre nos valeurs essentielles.
Nous avons donné les derniers mots à la plume d’un sage - Tim
Cullinane. Tim pose la question : « Où est Dieu dans la COVID-19 ? ». Il

8
Éditorial

essaie de peser les aspects positifs et négatifs de cette pandémie pour la


société et offre l’espoir que « tout va bien se passer » !
Je remercie tous ceux qui ont contribué à ce bulletin. En partageant
le fruit de votre étude et de votre réflexion, vous offrez un service très
précieux. Cette publication n’aurait pas été possible sans la générosité
de nombreuses personnes. Je voudrais en nommer quelques-uns : Brice
Afferi, Dominic Wabwireh, Krzysztof Pachut, Sylvère Atta, Michel
Bonemaison et Waclaw Dominik ont participé à la traduction ; Roberta
Grossi a offert un soutien précieux avec son expertise ; et Dolorès
McCrystal a apporté une contribution majeure à la traduction et à la
relecture. Une contribution très importante au bulletin est sa lecture et
son utilisation. En faisant cela, vous atteignez les gens et vous façonnez
le monde. C’est cela être missionnaire !
S. I. Francis Rozario SMA

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Nos Racines
11
Regard sur la Société des Missions
Africaines pendant la Deuxième
Guerre Mondiale

Jacob Schiméa Senou sma

Une histoire humaine s’écoule dans le temps et l’espace, constituée


d’évènements divers, elle est la plupart du temps motorisée par des
rouages qui se remplissent les uns par les autres afin de faire marcher la
machine. C’est avec cette image d’interconnexion que nous jetons un
regard en arrière pour relire l’histoire de la Mission en situation de crise.
Une mission qui bien qu’elle soit essentiellement Missio Dei, s’insère
parfaitement dans l’histoire humaine et s’y déroule. Elle se laisse donc
affecter par les évènements courants en laissant aux hommes
l’opportunité d’une collaboration avec l’esprit divin pour s’y adapter.
Mais encore faudrait-il qu’ils reconnaissent la réalité de la situation
qu’ils traversent et soient ouverts à l’inspiration qui la traverse jusqu’à
eux.
L’histoire retiendra dans tous les temps qu’un des évènements
marquant du siècle dernier fut la deuxième guerre mondiale. Ce fut une
crise énorme de ‘toute l’humanité’ qui alla jusqu’à mettre en question
tout le processus d’humanisation qui est en fait au cœur de toute
évangélisation et de toute mission si cette dernière est une participation
authentique à la mission de Dieu. Nul doute ne surgit de nos pensées
sur cet élément essentiel de la mission évangélique comme mission
d’humanisation quand nous nous rappelons le livre de la Sagesse qui dit
de Dieu : « par ton exemple tu as enseigné à ton peuple que le juste doit

13
Mission en temps de crise

être humain » (Cf. Sg 12, 19). Comme si cet exemple qu’il donna ne
suffisait pas, il finit par envoyer son Fils qui s’incarne afin de montrer
aux hommes comment devenir « image et ressemblance de Dieu »,
divinisation à travers l’humanisation.
Nous n’allons cependant pas ici retracer l’histoire de cette mission
d’humanisation. Ayant reconnu que la deuxième guerre mondiale est
une crise qui s’y est insérée et qui a affecté son cours normal, notre
réflexion dans les lignes qui suivent consistera à placer d’abord le décor,
ensuite à analyser par une traversée des écrits que nous ont laissés les
confrères qui ont vécu cette crise, les défis qui leur ont été posés par la
situation. Puisque la personne humaine a une grande capacité
d’adaptation, nous relèverons les diverses réponses et adaptations qui
étaient les leurs. Après cette démarche, on pourrait pourtant encore se
demander à quoi revisiter cette histoire nous servirait-il ? C’est là la
raison de tout cet exercice : partir de l’histoire pour nous faire repenser
les réponses missionnaires que nous donnons aujourd’hui à la crise
occasionnée par la Covid-19.

1. Contexte
La seconde guerre mondiale ne nécessite pas ici une élaboration de
son contexte dont nous sommes tous plus ou moins informés.
Cependant, par souci de temporalité, nous nous rappelons une limite qui
s’étend de 1939-1945. Cette ignominie qu’a connu l’humanité a plongé le
monde entier dans un désastre indescriptible dont les témoins
n’aimeraient plus la répétition. Les mots de certains de nos confrères
nous le disent. Voilà le témoignage que nous laisse le P. Baron Pierre :
« le 16 Septembre 1943, par quelles angoisses n’ai-je pas passé ! Je me
suis trouvé en plein sous le bombardement et je vous assure que ce n’est
pas gai ! a [sic] <à> dix mètres de moi les deux vicaires de la paroisse ont
été tués dans leur presbytère. Affreux le spectacle que nous donnait
quand ce fut fini, notre quartier ! » 1. Le tableau de la condition générale
de vie tout au moins dans certains pays de l’Europe nous est ainsi peint
à travers cette expérience partagée de Pierre Baron, membre de la SMA.
Pendant la période donnée, la SMA comptait environ 1041
membres 2 en 1939 et environ 1203 membres 3 en 1948 (période au-delà de
notre limite d’étude). Ces membres étaient en mission dans au moins 7

1 P. BARON, Lettre au Supérieur Général, 8 Avril 1945, AMA 11/11 B, n° 11022.


2 Etat SMA (1939).
3 Etat SMA (1948).

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La SMA pendant la deuxième guerre mondiale

pays africains (Dahomey, Égypte, Côte d’Ivoire, Togo, Nigéria, Ghana,


Libéria) avec quelques ouvertures aux États-Unis. Elle avait à sa tête le
P. Maurice Slattery, aidé par les pères [Collins], Bruhat, Hérold, Kennis,
Moylan et Laubé.

2. Défis
Les difficultés posées par l’irruption de la guerre à la gestion de la
Société des Missions Africaines ont été de grande ampleur et aussi de
tous ordres. Elles se sont montrées du coeur du généralat jusqu’aux
missions en passant par la formation qui en a beaucoup souffert. C’est
aussi dans cet ordre que nous allons les examiner.

2.1 Vie interne et administration


Le système administratif nécessite une cohésion qui inclut tout au
moins un temps de permanence entre le supérieur général et les
membres de son conseil général. Les circonstances de la guerre en
avaient décidé autrement pour l’administration Slattery. Il devrait rester
en Irlande avec le P. Collins jusqu’à ce que l’Italie retrouve une neutralité
pour espérer retourner à Rome. Le P. Bruhat à Lyon, le P. Hérold en
Alsace et le P. Kennis en Hollande.
Il est clair que cette séparation qui en même temps fut une solution
trouvée aux difficultés entraine des influences sur les décisions qui
devraient être prises à l’unanimité. Elle était sûrement affectée par la
difficulté liée à la communication contrôlée pendant la guerre que nous
mentionnerons plus tard. Ceci aurait retardé à coup sûr le regroupement
de toutes les voix nécessaires pour établir une décision en ces termes.
Une dérogation était donc donnée par le P. Slattery à ses conseillers à qui
il signait ces mots de la main du P. Collins : « le conseiller en
transmettant les décisions à prendre, exprimera aussi sa propre voix afin
qu’on ait une majorité des voix du conseil. Si pour une raison urgente,
ou de force majeure, le conseiller ne peut attendre la réponse du T.R.
Père Supérieur Général, il est sensé agir avec l’autorité du Supérieur
Général et le consentement requis pour le cas en question. Il
communiquera ces cas au T.R. Père Supérieur Général » 4 .
Ce désir de décentralisation des instances de prise de décisions ne
fut pas seulement celui de l’administration générale. En mission, les
Ordinaires semblaient penser dans la même perspective. De Ouidah, le

4 M. SLATTERY, Lettre au P. Bruhat, 6 Septembre 1939, AMA 11/0 B, n° 40928.

15
Mission en temps de crise

14 Juillet 1944, au nom des Ordinaires du Dahomey et du Togo réunis à


Ouidah pour réfléchir sur les décisions urgentes à prendre pour la
pérennité des missions dans la période de guerre, Mgr. Parisot écrivait
ceci au supérieur général : « avec la permission de la Propagande, ne
serait-il pas possible de subdéléguer certains de vos pouvoirs au R.P.
Kennis, conseiller général, actuellement au Togo, avec mission de régler
sur place avec les chefs de Mission, tous les cas qui sont normalement
du ressort des Provinciaux et du Supérieur Général » 5.
Au regard de ces exemples, à notre entendement, une lueur
apparaît sur les problèmes qui se profilaient à l’horizon dans le cadre
administratif de l’institut et sur les solutions qui y étaient apportées ou
tout au moins suggérées pour y pallier.

2.2 La Formation
La formation demeure un aspect indéniablement important pour la
survie de toute institution qui plus est un institut de vie apostolique ou
une congrégation religieuse. La période que nous évaluons n’est pas
celle dotée de la quiétude nécessaire d’abord pour la formation des
jeunes missionnaires, ni non plus pour la formation des séminaristes qui
étaient dans les séminaires ouverts dans les terres de mission. Le cas du
Dahomey nous le fera comprendre. Cependant puisque le flux de
missionnaires de cette période venait du continent européen qui était
gravement affecté par la guerre, nous allons commencer par nous y
attarder.
Le premier élément qui était un défi à la formation des
missionnaires était la mobilisation. Cette expression était sur toutes les
lèvres comme celle du confinement dans notre crise actuelle. En France,
particulièrement pour la Province de Strasbourg dont nous prenons
l’exemple, remarquable, à cause de sa proximité avec l’Allemagne, la
situation était des moins désirables. Notre témoin principal ici est le
P. Brediger, supérieur provincial qui déplore les conditions dans
lesquelles il est obligé de gérer la province. Il exprime sa tristesse de ne
pouvoir disposer librement des bâtiments qui servaient pour ses
confrères et pour les étudiants puisque la grande partie des locaux est
occupée : le château du Zinswald par les réfugiés, Saint Pierre par des
malades et Haguenau sous le poids des militaires. Cela n’est pas la fin
de ses misères. Il fait une liste de tous les confrères qui sont mobilisés de
Haguenau, de Vigneulles, de Chanly, du Togo et finit par cette phrase

5 L. PARISOT, Lettre au Supérieur Général, 14 Juillet 1944, AMA 12/ 802.02, n° 22809.

16
La SMA pendant la deuxième guerre mondiale

qui semble donner le coup final : « nos séminaristes, en dehors de


quelques Polonais et quelques réformés, sont tous mobilisés » 6. Cette
phrase annonce, pour être précis, presque la fermeture d’une maison de
formation. Il écrira plus tard en 1945 : « malheureusement, presque tous
nos novices sont tués ou disparus » 7. Il n’avait à ce moment pour élèves
et séminaristes qu’un petit reste sur qui il devait compter.
Si la mobilisation dont nous venons de parler a touché les
séminaristes, elle a aussi touché les prêtres qui étaient déjà en mission.
Après avoir montré cette image rapide de la situation en Alsace, faisons
un tour de mémoire historique au Bénin pour découvrir les maux dont
a souffert la formation. Nous sommes au 2 Novembre 1939, de Dassa
Zoumè, Mgr Parisot fait savoir au supérieur général « que sur 43
missionnaires, 20 sont mobilisés ou sont mobilisables ; que c’est notre
séminaire qui est le plus éprouvé par le départ de sept professeurs sur
dix » 8. Le séminaire auquel il fait ici référence est sans doute celui de
Ouidah qui était fondé pour la formation du clergé local. Il n’est pas
nécessaire de faire une autre évaluation de cette situation difficile qu’a
vécu la formation que ce qui se laisse observer par les chiffres que nous
venons de recevoir. Cependant, il est clair qu’une difficulté qui surgit
dans la formation a par voie de conséquence des répercussions sur le
flux de missionnaires qui devrait en sortir.

2.3 La Mission
Dans une réflexion sur les défis lancés par la crise humanitaire aux
missions, il est presque impossible de faire passer quelque point avant
celui du manque de personnel. Presque tous les chefs de mission en
avaient l’expérience. Ceux qui n’en avaient pas, le redoutaient. Les
missionnaires n’étaient même pas suffisants au début pour les
nombreuses tâches pastorales qu’ils avaient à accomplir.
Malheureusement, ils ont vu ces activités missionnaires
considérablement réduites à cause de la mobilisation de certains
confrères pour la cause de la guerre. Les missions de l’ancienne AOF
(Afrique-Occidentale Française) semblaient être les plus affectées par
cette situation. Sans les citer à nouveau, les statistiques de Mgr Parisot

6 G. BREDIGER, Lettre au [Supérieur Général], 21 Septembre 1939, AMA 13/1, n°


12040.
7 IDEM, Lettre à Bruhat, 12 Juin 1945, AMA 13/1, n° 12274.

8 L. PARISOT, Lettre au Supérieur Général, 2 Novembre 1939, AMA 12/ 802.02, n°

22791.

17
Mission en temps de crise

au Bénin pouvaient nous en donner déjà une image. De sa part, il était


obligé d’enseigner à nouveau au séminaire en remplacement de certains
de ses missionnaires mobilisés. Le cas n’était pas trop différent à Lomé
où Mgr Cessou avait déjà fait prévoir aux missionnaires les difficultés
qu’ils traverseraient sous peu à cause de l’absence de certains confrères
valides.
À cela s’ajoutait le fait que les difficultés de voyage imposaient aux
confrères une résidence en mission bien qu’ils étaient en droits d’aller en
vacances. Le rapport des Ordinaires réunis à Ouidah en 1944 nous laisse
percevoir à nouveau ce dont il est question pour la vie des missions. De
sa plume, Mgr Parisot écrivait : « le personnel de toutes les missions est
fatigué. Dans toutes les Missions françaises, les confrères sont presque
partout seuls dans leurs stations et plusieurs Missions ont déjà été
fermées par suite du manque de prêtre. Le vicaire Apostolique de Lomé
a besoin immédiatement de deux missionnaires pour maintenir une
école normale d’instituteurs d’un intérêt vital pour le Togo et le
Dahomey à la fois » 9. Le ton d’urgence de cette lettre commune de ces
évêques ne peut cacher l’urgence du besoin dans lequel se trouvaient les
missions. Cependant le manque de personnel n’était pas la seule
difficulté ; les finances semblaient en souffrir aussi.
Les Missions en cette période se reposaient financièrement encore
plus qu’aujourd’hui sur les dons qui arrivaient des bienfaiteurs
occidentaux et des subventions de la Propaganda Fide. Voilà que la
situation de la guerre ne permettait plus la libre circulation des biens.
Des caisses se sont vues gelées. Faisons un tour en Irlande où le
P. Stephen Harrington nous raconte ce qu’il en était. Nous sommes au
22 Février 1942, dans sa lettre au supérieur général, il écrit : « Money
transactions […] are scrutinised very closely now when concerned with
anywhere abroad […] even for missionary purposes. In this connection I had to
call the Ministry of Finance early in the New Year to make special arrangements
for Liberia. Dr. Collin’s Account in Cork was blocked and he was allowed to get
no money whatever from Ireland » 10.

9 IDEM, Lettre au Supérieur Général, 14 Juillet 1944, AMA 12/ 802.02, n° 22809.
10 S. HARRINGTON, Letter to Father Slattery, 22 February 1942, AMA 14/1, n° 12848.
« Les transactions monétaires sont maintenant très occultées en ce qui concerne
l’étranger […] même pour des buts missionnaires. À ce regard j’ai dû appeler le
ministère des finances tôt cette année pour faire des arrangements spéciaux pour
le Libéria. Le compte du Dr. Collins à Cork a été gelé et il n’était pas autorisé à
recevoir de l’argent d’Irelande » (Traduction personnelle).

18
La SMA pendant la deuxième guerre mondiale

Cette situation n’était pas particulière à l’Irlande mais à tous les


pays qui luttaient contre la fuite des capitaux en vue de préserver tant
soit peu leur économie. Ainsi, Mgr. Strebler pouvait écrire : « au
commencement de Juillet 1940, la préfecture était dans une extrême
pauvreté. La plus grosse partie de notre balance se trouvait retenue en
Europe et ne pouvait nous parvenir, malgré tous nos efforts. Il nous a
fallu faire un emprunt de 50.000 Frs et réduire de moitié le salaire déjà
modique de nos catéchistes et le Viaticum de nos missionnaires » 11. Il ne
serait pas nécessaire de s’attarder encore plus sur les détails qui dressent
le portrait économique des missions en cette période de guerre. Tant il
était difficile d’avoir un flux de missionnaires et d’argent pour la
mission, tant il était difficile d’avoir des informations nécessaires des
missions auprès de ceux qui exerçaient le service du leadership et vice
versa.
La communication était une autre des difficultés majeures pendant
la période 1939-1945. Non seulement les informations sont contrôlées et
censurées de partout, il y avait une difficulté particulière à communiquer
avec Rome. Cette ligne semblait totalement interdite à cause de la
position politique italienne. Il est donc évident qu’un empêchement
pareil retarde les prises de décisions. Quant à ce qui concerne
directement les missions, des mesures d’ordre économiques qui étaient
prises dans certaines colonies avaient des effets sur la communication
dans le sens de la libre circulation des personnes. Au Togo où l’usage de
véhicules utilisant l’essence était interdit pour le transport des
personnes, Mgr Cessou exposait sa peine à continuer ses visites
pastorales. « De ce fait, au point de vue "déplacements" nous voici
revenus à 20 ans en arrière : aux mêmes moyens et lenteurs » 12.
Cependant aucun de ces missionnaires n’était resté inerte devant ces
conditions de mission. À chaque mal, son remède !

3. Réponses et Adaptations
Il est important de mettre ici en exergue quelques points des
réponses qui ont été ceux apportés à la crise que nous venons de
présenter. Le premier, nous l’avions déjà susmentionné est celui de la
délégation en ce qui concerne la gestion de la crise dans l’administration

11 J. STREBLER, Rapport annuel de 1939-1940, 14 Septembre 1940, AMA 13/ 804.07,


n° 29040.
12 J. M. CESSOU, Lettre au Cardinal Fumasoni-Biondi, 1940, AMA 13/802.02, n° 33287,

6.

19
Mission en temps de crise

et dans les prises de décisions. Pour éviter de nous répéter, nous


rappelons simplement que du côté du conseil général et des chefs de
Mission, l’idée première pour pallier la lenteur des prises de décisions
était de donner à chaque conseiller général la capacité de prendre des
décisions urgentes avec consultation nécessaire et d’en notifier plus tard
au supérieur général. Cette décentralisation n’était pas une perte du
pouvoir mais plutôt une réponse idéale aux difficultés liées à la
communication et à la gestion des affaires courantes des provinces et des
missions.
En outre, il était nécessaire en de pareilles circonstances de
renforcer la collaboration. Une collaboration avec effet observable dans
les missions et ce fut ce qu’avait déjà prévu le P. Slattery et son conseil.
Il aurait envoyé une circulaire en 1939, invitant les missionnaires à être
disposés à se déplacer d’une province à l’autre pour venir en renfort aux
confrères qui s’y trouvaient. Ce désir lui fut rappelé par les Ordinaires
du Bénin et du Togo qui en ce moment en avaient besoin. Une suite
d’investigations nous permet de découvrir que certaines de ces mesures
ont été prises et ont vraiment servi à soulager des missions qui étaient
en difficultés, ce toutefois dans la mesure du possible. Nous prenons
exemple du rapport 1939-1940 de Mgr Strebler, Préfet Apostolique de
Sokodé qui nous laisse ce témoignage sur le développement de ses
missions en disant que « grâce aussi à la générosité de son Excellence,
Monseigneur Paulissen, Vicaire Apostolique de Kumasi, qui a bien
voulu mettre à notre disposition un de ses meilleurs missionnaires,
pendant que les nôtres étaient mobilisés, toutes nos œuvres ont été
maintenues, et elles sont plus prospères qu’au début de la guerre » 13. La
collaboration désirée et réalisée entre les différentes entités a porté son
fruit pour la pérennité de la mission. Elle a été en outre soutenue par la
formation des catéchistes qui étaient des aides nécessaires aux
missionnaires qui étaient épuisés malgré leur bravoure.
Cette survie toutefois ne dépendait pas seulement de la présence
d’un personnel mais aussi des moyens financiers. La crise financière de
la Deuxième Guerre Mondiale avait permis de mettre à contribution les
fidèles chrétiens des différentes missions qui se sont généreusement
mobilisés pour la construction de leurs églises et pour des dons aux
missions tant que leurs économies le leur permettaient. Tout ceci
nécessitait une détermination pour faire avancer la mission de Dieu dans

13 J. STREBLER, Rapport annuel de 1939-1940, 14 Septembre 1940, AMA 13/ 804.07,

n° 29040.

20
La SMA pendant la deuxième guerre mondiale

laquelle participent les hommes. Elle semble ne pas être à tous les
rendez-vous, mais, elle apparaît l’une des solutions privilégiées par les
confrères qui ont vécu cette crise.
Le père Aupiais, dans un article intitulé « l’exemple des mobilisés »,
nommait cette détermination la force d’âme. Il relève l’annihilation de
l’individualité et de l’individuation qu’a subi le confrère mobilisé dans
cet espace où il n’est qu’identifié à un "on" commun 14. Pourtant ils ont su
là où ils étaient, revêtir le manteau de l’incarnation missionnaire qui leur
permit malgré leur rang de s’adapter sans plainte à leur condition de vie.
Ils ont appris à garder la foi dans un effacement du "moi" qui ne peut
que nous faire penser au mouvement d’abaissement du Christ lui-même
loué par l’hymne de Ph 2, 6-11. Cet esprit de sacrifice ne peut que nous
projeter dans la crise contemporaine que nous vivons et qui est liée au
virus de la Covid-19.

Le temps présent : conclusion et perspectives


L’étude historique a pour objectif de nous permettre de retracer les
perspectives d’avenir en vivant le présent en conséquence. Depuis la fin
de l’année 2019, le monde entier est traversé par une pandémie dont elle
a du mal à se débarrasser. Pour le président Français Emmanuel Macron,
« nous sommes en guerre » 15 contre un ennemi invisible. Une guerre qui
nous plonge à nouveau dans une crise qui n’est pas totalement
comparable à celle de la deuxième guerre mondiale que nous avons
évaluée mais peut lui faire référence en ce qui concerne les restrictions
économiques, de liberté de mouvements et d’organisations d’activités
missionnaires.
Des réponses diverses ont été cherchées aux différents niveaux
d’organisations de nos missions pour nous permettre de nous adapter à
la situation qui prévaut. Tout au moins, nous avons la chance à notre
époque d’avoir des moyens de communication qui nous permettent
malgré la crise de ne pas être déconnectés les uns des autres et de
pouvoir même organiser notre conseil plénier et bien d’autres réunions
par visio-conférence. Cependant, les réponses apportées par l’ancienne
génération à la crise qu’ils ont vécue peuvent nous permettre, à nous
aujourd’hui, de tracer des perspectives d’avenir vers la décentralisation

14Cf. F. AUPIAIS, "L’exemple des mobilisés", Frères d’armes-Ralliement 2/2 (1940).


15E. MACRON, Adresse aux Français, 16 Mars 2020,
https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/03/16/adresse-aux-francais-
covid19 [consulté le 12/12/20].

21
Mission en temps de crise

de nos institutions sans être pour autant guidés par un débordement du


"moi" de la singularité et de l’isolement.
Cette crise est au contraire l’opportunité, comme c’était le cas pour
celle que nous venons de retracer, d’une organisation plus collaborative
de nos entités ; un effort dont nous avons hérité les fruits, à travers la
pérennisation de la mission à laquelle participe la Société des Missions
Africaines. Elle nous permet de comprendre, quant à notre vie
personnelle, que très peu de choses sont vraiment à inscrire sur notre
liste des "essentiels" dans une culture de l’esprit de sacrifice et de
résilience qui nous permet de ne pas vivre constamment dans la plainte
des différentes misères que nous vivons.
En outre, si nous ne l’avons pas encore compris, nous
comprendrons que l’espace de notre mission n’est pas seulement
localisable dans un espace géographique déterminé mais s’étend
désormais à un immense peuple qui vit dans un espace virtuel
conditionné par le développement technologique. Ce peuple, nous
sommes capables d’atteindre son cœur sans enfreindre aux règles des
divers confinements et restrictions que nous vivons.
Terminons avec les mots de cet hymne qui nous propulse dans
l’avenir de la mission. « Tu es le Dieu des grands espaces et des larges
horizons. Tu es le vent violent qui nous pousse en avant vers le grand large,
comme des grands voiliers. Quand tu souffles en nos cœurs, tu bouscules nos
peurs et nous quittons nos maisons bien fermées pour t’annoncer au monde
entier ». Qu’ils soient à la fois notre prière et notre invitation !

22
“Frères d’armes” (1939-1945)

Roberta Grossi

Un temps de crise
Quel lien entre la Seconde Guerre mondiale et la pandémie que,
dans ces derniers mois, traverse le monde ? Apparemment aucun lien.
Cependant, on peut réfléchir sur la manière dont la SMA a vécu et vit
ces moments à partir du concept de "crise".
Ce regard nous rapproche de la pensée de Michel de Certeau selon
laquelle une lecture du passé est guidée par une lecture du présent 1 et
notre présent est un temps de crise. Du grec krino : séparer, choisir, ce
concept renvoie à une dimension définitive des décisions. En effet, dans
le domaine de la médicine il est lié à l'issue finale d'une maladie, au
moment de suspension entre la vie et la mort. Dans le Nouveau
Testament sa signification semble s'étendre pour englober toutes les
situations de prise de décision, soit de la vie de l'individu, soit la
communauté. Avec les Lumières le terme enregistre une nuance
supplémentaire, liée à la philosophie de l'histoire. On parle donc de
l'histoire comme d'une crise permanente ou du dépassement d'un seuil
temporel. Si bien dans la sphère chrétienne qu'en dehors, une pression
temporelle croissante semble sous-tendre, c'est-à-dire une avance du

1 M. DE CERTEAU, La scrittura della storia, Jaca Book 2008, 30.

23
Mission en temps de crise

temps, un état d'incertitude et d'urgence auquel l'humanité ne peut


échapper 2.
Enfin, dans le sens de rupture, le terme crise peut être compris
comme un moment qui rompt la séquence et la linéarité du temps. Cette
acception est particulièrement intéressante dans ce contexte où nous
voulons proposer quelques réflexions sur la revue « Frères d’armes ». Il
s’agit d’un bulletin rédigé par les séminaristes de Lyon à partir de
Décembre 1909 sous le titre « Frères d’armes, organe mensuel du sou du
soldat ». L'idée était de fournir un soutien spirituel aux confrères prêtres
et séminaristes obligés de conscrire, lorsqu’une loi nationale française de
1904 abolissait tout type de culte dans les casernes militaires.

Favoriser l’identité commune


À partir de novembre 1939 le titre change en « Frères d’Armes-
Ralliement ». En raison du conflit en cours et des éventuelles
répercussions que cette situation aurait pu créer dans la préparation
habituelle le magazine de Lyon est « fusionné » à celui de Strasbourg. De
cette façon, les séminaristes de Lyon et de Rezé essaieraient de publier
au moins une version abrégée.
D'un bref examen des années de guerre 1939-1945, se dégage la
volonté de proposer une ligne éditoriale inspirée de la continuité.
Comment cette idée s'est-elle traduite en pratique ? Quels outils ont été
adoptés ? Il semble clair que la stratégie de base était de maintenir un
lien virtuel et spirituel avec les confrères au front. Ce résultat a été
obtenu de diverses manières.
Sur le plan intellectuel le magazine proposait diverses idées et
interventions pour réfléchir sur des thèmes théologiques et aussi sur des
problèmes missionnaires et politiques.
Sur le plan pratique des biens de première nécessité étaient envoyés
au front en fonction des besoins de chacun, grâce aux ressources
provenant de l'achat du bulletin par les séminaristes. De la même façon,
la revue accueillait les nouvelles : l'adresse des confrères, l’avis de décès
au front, le règlement des aumôniers et des prêtres mobilisés. En plus de
cela et pas du tout en contradiction, la revue informait des progrès des
missions, des nouvelles des collèges encore ouverts et de toutes les
activités de la vie communautaire qu'il était encore possible de mener :
cérémonies, avancées des novices, ordinations sacerdotales, travail dans
les champs pendant les vacances d'été, etc.

2 R. KOSELLECK, Il vocabolario della modernità, Il Mulino 2009, 95-109.

24
Frères d’armes (1939-1945)

Quel était le besoin de raconter la vie ordinaire à cette époque qui


n'avait rien d'ordinaire ? Il fallait maintenir unies les deux parties, les
deux bras de la SMA divisés à cause de la guerre ; un pont virtuel et un
flux d'informations des deux côtés contribuaient à réduire l'écart et la
distance.
Sur le plan spirituel, la revue proposait une série de prières pour les
confrères en guerre, des réflexions sur les textes sacrés et sur la Retraite
Missionnaire du Fondateur. Jean Louis Caer (1910-1946) allait encore plus
loin en envoyant une copie de ce volume au front, où il été lu et très
apprécié. En cette période d'humiliations et de contradictions, les
paroles du fondateur étaient un outil essentiel pour se projeter dans la
vie missionnaire. L'écriture se transforme ainsi en espace de rencontre.
Le texte écrit surmonte les barrières et les frontières il devient le moyen
de regarder vers l'avenir, d'aller au-delà des difficultés et du
découragement de la période pour construire dans la destruction et unir
dans la division. Il comble une absence, établit une continuité et renforce
l'identité de l'ordre en ce moment de crise. Il fallait transmettre l'esprit
communautaire aux confrères et cela n'était possible que par le texte écrit
qui représentait une aide spirituelle concrète. De nombreux sujets étaient
abordés au cours de ces années, mais certains semblent particulièrement
pertinents pour la capacité de garder ensemble l'esprit d'identité.

Des thèmes rassembleurs


· En premier lieu je souligne les réflexions sur la Vierge, source de
consolation et soutien spirituel pour les religieux dans les territoires de
guerre. La vénération de Marie se manifeste comme une spécificité du
missionnaire dont la dévotion semble aller plus loin que celle que les
chrétiens ont pour elle. En effet la Vierge est le guide et l'aide dans la
formation intellectuelle, morale et spirituelle du missionnaire, un
support pour forger le caractère, celle qui l'inspire dans l'apprentissage
des règles et guide sa discipline et son ascèse. Dans le contexte païen où
il travaille ce culte acquiert une plus grande importance puisque la
femme n'est pas l'objet de respect qu’on constate dans le christianisme.
Paul Falcon (1917-1980) dans l’article de juin 1944 « L’Étoile d’une vie
d’apôtre », consacre quelques pages à la vie du fondateur et à sa dévotion
à Marie qui l’accompagnait tout au long de sa vie. La chronique se
déplace sur une double voie : certaines méditations de Brésillac sur la
Vierge par rapport aux étapes les plus importantes de son expérience
personnelle, en tant que missionnaire et le message du fondateur pour

25
Mission en temps de crise

sensibiliser les confrères au culte de la Mère de Dieu. « Réveillons en nous


la tendre piété que nous eûmes pour elle dès notre jeune âge […] C’est à Elle,
n’en doutons pas, que nous devons la vocation sublime qui nous engage à
marcher tout près de Jésus »
· Le deuxième aspect que je veux remarquer concerne la
comparaison de la figure du soldat à celle du missionnaire, récurrent
dans de nombreux articles, dont on souligne l’expérience qui se déroule
"à l'extérieur", au-delà des frontières et liée à la capacité d'ouverture aux
instances des autres. De ce point de vue les nouvelles de l’Afrique étaient
essentielles pour réveiller et préserver chez ceux qui se trouvaient en
guerre, l'espoir du devoir qui les attendait dans l’avenir. En janvier 1942
la revue publie l’article de Gallo « À toi futur jeune de France » dans lequel
le rôle du missionnaire et du soldat est assimilé à celui d'un guide qui
anime et dirige comme un chef. Une tâche délicate pour laquelle on
mettait l'accent sur le processus de formation : « apprendre à sortir de nous,
à nous faire tout à tous, et à oser ». L'auteur ne manquait pas d'ancrer ses
réflexions au climat du temps où chacun était appelé à apporter sa pierre
à l'œuvre de reconstruction nationale contribuant à « redonner une âme à
la France ».
· En troisième point je voudrais aborder ce qui me semble être un
thème dominant parmi les articles de cette période, la tentative du
magazine d'offrir des outils concrets aux membres de la communauté,
des réflexions et des idées pour se préparer aux engagements
missionnaires. En ce sens, les écrits de Francis Aupiais (1877-1945)
peuvent être considérées comme de véritables leçons d'apostolat.
L'article « Unum Ovile » (Septembre-Octobre 1941) développait divers
aspects qui exprimaient bien l'idée de vocation et de vie apostolique que
les deux "branches séparées" de la SMA devaient continuer à poursuivre
ensemble. Exercices et retraite spirituelle, lecture des Constitutions au
réfectoire, prière pour la conversion de l'Afrique constituaient, pour
l'auteur, les éléments nécessaires pour entretenir le sentiment d'union
qui n'aurait jamais dû manquer parmi les confrères. « Être unis dans une
même vocation par le même serment, pour les mêmes fins apostoliques […] Il ne
faut pas cependant que les brebis séparées soient dispersées, ce qui signifie qu’il
ne faut pas qu’elles perdent les liens invisibles qui les tiendront unies entre elles
mieux que toutes les présences visibles ».
Dans son essai de mars 1942 Aupiais examine les considérations de
Pie XI relatives aux peuples africains exposées lors de la réunion de
1928 : « Quand vous retournerez chez vos Africains, vous leur direz que je les
aime pour ce qu’ils sont ». Aimer le peuple africain non par pitié et charité

26
Frères d’armes (1939-1945)

mais pour sa richesse spirituelle et sa bonne foi représente pour Aupiais,


un programme d'action apostolique clairvoyant que tout missionnaire
ne devrait jamais oublier. En Décembre 1942 il remémore l’œuvre
apostolique de François Steinmetz (1868-1952) à l'occasion du
cinquantième anniversaire célébré à Whydah. Surtout, on évoque le
missionnaire pour sa leçon inhérente à la capacité d'être en harmonie
avec les populations africaines et l’aptitude à « s’adapter, rapprocher,
universaliser ». Aupiais soulignait également sa compétence
diplomatique grâce à laquelle il pouvait souvent bénéficier d'un bon
accueil de la part des autorités autochtones, obtenant même la
reconnaissance de son rôle et de son autorité. Tout autre que marginal le
respect des traditions et l'apprentissage de la langue locale qui tenait à
cœur à Steinmetz qui « Apprit le dahoméen (le Fon), pour se faire Dahoméen
parmi les Dahoméens ».
Aborder des thématiques très éloignées du problème de la guerre et
de ses conséquences, s'avère être une habile stratégie du magazine qui
ainsi peut véhiculer des messages de réconfort et de soutien.
Transmettre des nouvelles de la vie quotidienne, les examens, les études,
les activités communautaires, avait pour but de maintenir vivante, chez
les confrères au front, l'espoir de pouvoir un jour regagner une
"normalité" totale. À un niveau plus raffiné, les essais sur des thèmes
plus complexes auraient permis de poursuivre une sorte
d’"apprentissage à distance" pour ne pas interrompre complètement le
lien des jeunes avec la formation, alimentant en même temps l’esprit de
la connaissance et le désir d’être missionnaire.
· Le dernier point que je voudrais examiner répond à la question
relative à la position de la revue face à la guerre. J'ai déjà souligné les
rubriques sur les comptes rendu du front, l’emprisonnement des
confrères et sur les maisons SMA occupées ou touchées par les
bombardements et les destructions. Mais ce que je voudrais surtout
préciser c’est qu'il s’agit, toutefois, d’une "écriture de crise" et que le
thème de la souffrance plane dans tous les numéros du magazine et se
déploie de diverses manières. Le sens du drame de cette époque est bien
exprimé dans l’article d’Avril 1943 du père Joseph Delhommel (1885-
1978), « Souffrance rédemptrice ». Ici l'auteur aborde le thème de la
théologie de la souffrance à partir de l’entrée « Église » du père
Médiebelle du Sacré Cœur de Betharran de Nazareth, dans le
Dictionnaire de la Bible. « Souffrir c’est compléter le Christ, c’est le prolonger,
le remplacer, aux mêmes fins rédemptrices et de la même manière […]. Comme
Paul, tout chrétien a aussi pour vocation, par ses souffrances, de compléter

27
Mission en temps de crise

Jésus-Christ » 3. La souffrance est éducatrice et pour le chrétien elle est


éclairée par la foi ; c'est la foi qui lui permet de prendre conscience de la
raison de la souffrance, « L’homme est un apprenti, la douleur est son
maître ». Elle nous conforme à Jésus-Christ et la Croix est le signe de
notre alliance, de notre collaboration avec lui. Je crois que dans ces lignes
il y a un abrégé indicateur de l’esprit du temps.

Aujourd’hui redonner une Unité à l’humanité


Enfin, revenons au mot crise et à ses liens avec l'actuelle pandémie
de Covid en précisant que la recherche de familiarité avec le passé, bien
que rassurant, n'aide pas à comprendre les urgences et les problèmes du
présent. Le Covid d'aujourd'hui est autre chose que la peste d'hier.
Cependant, on peut réfléchir sur la déclaration du pape « Personne ne se
sauve tout seul » qui me semble particulièrement véridique pour ce qui
concerne l’œuvre du missionnaire. Il traverse le monde entier pour
reconnecter les morceaux d'humanité réaffirmant partout la validité de
son ministère, donc il maîtrise déjà les outils et les moyens nécessaires
pour traduire dans les faits l’appel du pape. Il parait que la revue Frères
d’armes évoluait dans ce sens quand elle cherchait à promouvoir et à
favoriser l’unité d’une communauté séparée et lacérée par les
événements de guerre.

3 A. MEDEBIELLE, Église, corps mystique du Christ, in L. PIROT (éd.), Dictionnaire de


la Bible contenant tous les noms de personnes, de lieux, de plantes, d'animaux
mentionnés dans les Saintes Écritures, les questions théologiques, archéologiques,
scientifiques, critiques relatives à l'Ancien et au Nouveau Testament et des notices sur
les commentateurs anciens et modernes, Supplément II, Letouzey et Ané 1934, 666.

28
Le Marxisme-Léninisme au Dahomey-
Bénin : un défi pour la Foi Chrétienne

Michel Bonemaison sma

L’histoire : conscience et clairvoyance


Dans cet article je ne prétends nullement présenter une analyse de
quelque niveau que ce soit de la période du Marxisme-Léninisme que
nous avons vécu au Dahomey-Bénin dès 1974, ni m’appesantir sur l’une
des différentes phases que nous avons subies. Je propose seulement de
relire, depuis ma lucarne, quelques faits de vie qui pouvaient, en ces
heures aussi délicates que douloureuses, attirer l’attention, interpeller la
réflexion et stimuler l’action individuelle ou commune.

1° Une réunion de jeunes prêtres en 1969


Dès 1965, alors que je suis enseignant au petit séminaire de Parakou,
au Dahomey, ma fréquentation des jeunes français en coopération
d’enseignement dans les lycées d’État, me permet de repérer l’idéologie
marxiste 1 ambiante que d’aucuns apportent dans leurs valises au
« service des jeunes Dahoméens » et … de la Nation.
À l’occasion d’une réunion de « jeunes prêtres », peu après Pâques
1969, nous prenons actes de la réalité et de l’impact d’une telle

1 Le temps de service militaire obligatoire 1961-1963 m’avait permis d’en

apprécier l’influence à l’œuvre chez nombre de mes camarades sursitaires.

29
Mission en temps de crise

philosophie et nous nous demandons si l’on peut mesurer l’avancée de


« l’athéisme » dans les mentalités des jeunes, en particulier des
étudiants suggérant même qu’un recyclage dans ce domaine ne peut
qu’être bénéfique dans les aumôneries !

2° Un slogan : « nous avons choisi, nous n’avons plus le choix »


De retour de congés en septembre ou octobre 1974, à Malanville je
franchis tranquillement le pont sur le Niger et, une fois acquittées les
opérations de douane, je me trouve face à un immense et magnifique
panneau publicitaire ; une nouveauté ! Il y est annoncé tout un
programme politique dans la plus grande clarté de ses slogans :
Le Socialisme est notre guide.
Le Marxisme-Léninisme est notre voie.
Nous avons choisi, nous n’avons plus le choix.
J’allais dire « à bon entendeur salut ! » ou bien « qui potest capere
capiat ! » L’affaire est dans le sac. L’Histoire va parler et ce, pendant dix-
sept ans de dictature.

3° Des constats d’atteinte à la liberté humaine


Il semble que le projet soit de « faire table rase » de toutes les racines
et en particulier de cette histoire récente qui porte le nom de
« colonialisme ». Les étrangers dehors, ainsi sont visés tous ceux qui
représentent une tranche récente de l’histoire de la conquête par les
armes et pour le commerce : « Le colonialisme – à bat ! », « le néo-
colonialisme – à bat ! »
Dieu n’existe pas, donc les expulsions de religieux catholiques et
protestants ont commencé, pas des musulmans bien évidemment car ils
font déjà partie du paysage, même si certaines populations ne sont
arrivées que récemment sur le sol de l’actuelle République-Populaire :
« Les religieux – à bat ! », « les néo-religions, à bat ! »
Par l’école il faut prendre en main toute la jeunesse et la protéger
des influences néfastes des philosophies occidentales, car le Marxisme
vient de plus Haut que les Lumières, sans doute : « l’occultisme - à
bat ! », « le néo-obscurantisme, à bat ! » Je dois dire que l’effort de cette
période a porté un fruit indéniable car la coercition est telle que le
pourcentage d’enfants allant à l’école est énorme, malheureusement les
maîtres sont à la formation idéologique et les enfants aux champs

30
Le Marxisme-Léninisme au Dahomey-Bénin

scolaires pour le bien de la nation. Mais le mouvement sera irréversible


et l’enseignement pourra fleurir. "Alea jacta est ! 2"
Revenons à l’école, lieu où l’on forme les consciences en particulier
au sens civique. Mais là nous avons à faire évidemment à une
destruction de la famille ou du milieu social, à la négation de l’autorité
parentale etc. c’est ainsi que les enfants apprennent à dénoncer (sans
malice de leur part, ce qui interroge à propos de la formation des
consciences,) l’attitude des adultes de leur milieu. Apprentissage à la
pure délation ! Le résultat ? Combien de parents sont interpellés par la
police, de nuit comme il se doit, mis en détention provisoire qui se meut
bientôt en disparition totale. Ne cherchez plus, ils ont été décrétés
nuisibles à la Rép-Pop. « Les carottes sont cuites ! »
On pourrait continuer la litanie utilisée invitant à crier des « à bat ! »
avec le point gauche brandi, sans oublier le néo-colonialisme, le néo-
libéralisme, le néo-régionalisme et tous les « néo » possibles et
inimaginables ; le meilleur est un fruit de l’humour de notre Président
lui-même ; certains ont cru à un lapsus et se sont moqués de lui (les
pauvres), mais il sait très bien ce que signifient la course au pouvoir et le
népotisme qui de toujours rongent les gouvernements en Afrique, (pour
ne parler que de notre continent), à travers la parenté, les partis
politiques, les influences des régions etc. Ainsi à la fin d’un discours
pour achever la litanie des « à bat ! », mêlant avec humour, dans un mot
à lui, l’abus du pouvoir à rejeter et la course partisane à vomir, il s’écrie :
le Néo-potisme et tous de répondre, le point gauche levé : « à bat ! »
Vivrions-nous déjà une heureuse utopie ?
Quand on nage ainsi dans le mensonge, le pernicieux, l’aberration
d’une de ces indéfinissables idéologies utilisées par le Malin, comment
peuvent se positionner les disciples du Christ ? Prendre acte, Réfléchir,
Prier, Agir avec prudence et miser sur la dimension communautaire,
voire ecclésiale ?

L’Église : les chrétiens et ses ministres


Il ne s’agit encore que de petits flashs, faits de vie vraiment personnels.

1° À Bembérékè, 1969-1976
Une attitude présidentielle anachronique. La dernière tournée du
Président en exercice semble être de s’assurer le soutien de toutes les

2 « Le sort en est jeté »

31
Mission en temps de crise

forces militaires de la Nation car peu après son passage chacun de nous,
dans toutes les missions du Nord-Est, nous recevons la visite et du
commandant de gendarmerie et du commandant du camp militaire,
venus confidentiellement, chacun à son tour, nous assurer de la
protection indéfectible des forces de sécurité nationales.
Puis sur le chemin du retour Monsieur le Président et son épouse
s’arrêtent à la maison pour une visite de courtoisie et un moment
d’amitié fraternelle autour « d’une bonne bière fraiche ». Mais il y
convoque aussi Monsieur le Sous-Préfet qui, devant moi, reçoit un
abattage qui me sidère ! et dans la foulée, sont amenés manu militari les
« deux étudiants » de la sous-préfecture Marc en médecine et Roger en
histoire … Après leur départ je me permets de souligner, à notre Ami,
combien je suis consterné par les propos anachroniques qu’il vient de
tenir à la génération montante et je lui dévoile mon amertume à l’égard
des sanctions injustes qu’il leur inflige. Madame abonde dans ce sens :
« Écoute ce que dit le Père ».
Marc s’exile au Togo pour poursuivre en paix ses études de
médecine. Roger n’ira pas en France pour son doctorat. Quelques
semaines plus tard le gouvernement tombe. Il y avait vraiment anguille
sous roche ! Roger devient l’un des grands du nouveau pouvoir qui
bascule, peu après, dans le Marxisme-Léninisme pour libérer le pays
d’un certain nombre d’archaïsmes politiques. Par bonheur nous gardons
d’excellentes relations avec Marc et Roger.
La délation. Le nouveau régime s’installe franchement dans la
dictature, le mensonge, la culture de la haine, et évidemment la délation.
Souvent, entre confrères, nous partageons sur l’influence anti-
pédagogique que ces éléments peuvent avoir sur les enfants et les jeunes.
Et moi-même j’essaye vainement d’attirer l’attention sur un élément, ô
combien néfaste ! de la délation qui déforme tellement les jeunes
consciences. Plusieurs cas de disparition de papa ou de maman m’ont
été signalés à la suite de propos innocents arrachés à leurs jeunes
enfants : interpellation nocturne, et disparition pure et simple. Des
confrères me disent que je galège, j’aimerais tant qu’ils aient raison.
Les homélies. Figurez-vous que nous sommes surveillés, nous
prêtres ! espionnés nous expatriés ! Chacun réagit à sa manière, selon
son tempérament. Mais nous devons être très prudents. L’un de nous
avait l’habitude de se confier tout simplement à un ami avec qui il vivait
un service social merveilleux dans le domaine de la santé (c’est trop
lourd pour cet ami qui, un jour sans le vouloir, a trahi !) Un autre
confrère, des plus minutieux, écrivait mot à mot chacune de ses homélies

32
Le Marxisme-Léninisme au Dahomey-Bénin

et ne s’en éloignait jamais d’un iota (il y a des iota aussi en français !).
Quant à moi me sachant épié, je ne donnais mon opinion et n’esquissais
des conseils qu’en langue locale, ou alors avec beaucoup de courtoisie.
C’est ainsi qu’un jour après l’homélie un monsieur, notre postier, vient
me trouver et me dit : « vraiment si je dénonce ce que tu viens de dire je
serai pris pour un imbécile » et moi de lui rétorquer « dénonce vite, car
l’autre espion a déjà communiqué mon prêche en haut lieu, ne sois pas
en reste ». L’Évangile du jour venait de m’offrir l’opportunité de
remercier la Révolution d’inviter des anciens chrétiens à revenir à
l’Église les mandatant pour écouter et répercuter nos dires par des
rapports circonstanciés.
L’alphabétisation. L’un de nos moyens d’approche du peuple est un
service inédit au Borgou : depuis la colonisation, la scolarisation des
enfants semble avoir rencontré un milieu récalcitrant ; la mission n’a
guère connu plus de succès. Par contre l’alphabétisation des adultes en
langue locale suscite tout de suite beaucoup d’intérêt à tel point que la
Révolution Marxiste s’adjuge le droit de nous interdire de nous en
soucier car elle est assez grande pour prendre le relais, ce qu’elle fait
d’ailleurs fort bien.
Sur l’ensemble du territoire l’Église est spoliée de toutes ses écoles
primaires et de la plupart de ses collèges. Au Nord il nous reste
l’alphabétisation des adultes. La Révolution apprécie avec pertinence
pensant qu’elle est encore un lieu de grande influence, humaine, voire
spirituelle. Elle s’en octroie la propriété ! Mais elle agit sans penser à la
réaction des animateurs-répétiteurs qui, chaque jour ou presque,
continuent de venir apprendre leur leçon auprès de nous les initiateurs,
en toute discrétion. Les apparences sont sauves, l’instruction et
l’éducation suivent leur cours.
Quelles lectures offrir à un peuple qui commence de savoir lire et
écrire, et qui aime ce nouveau moyen de communication ? Grâce au
savoir-faire de la commission nationale de linguistique les nouveaux
alphabétisés peuvent lire un mensuel appelé « Kparo – le héraut », aussi,
avides de lecture, nombreux sont ceux qui maintenant lisent
quotidiennement la Parole de Dieu qui est à leur service par le Nouveau
Testament de Père Léonard ou par la Bible de l’Église Évangélique. Nous
en profitons pour distribuer dans nos communautés des commentaires
des textes liturgiques de chaque dimanche. Les ronéos tournent à fond
dans chaque paroisse ! L’évangélisation prend un nouveau visage. Merci
à Dieu et à la Révolution Marxiste-Léniniste.

33
Mission en temps de crise

2° À Bagou en lien avec Joseph mon voisin 1976-1979


Joseph est mon confrère le plus proche, il dirige le centre diocésain
de formation des catéchistes sis sur la paroisse de Bagou dont je suis
curé. Notre vie fraternelle consiste essentiellement en une mise en
commun critique et régulière de notre perception de la réalité
quotidienne. Jo bénéficie d’une très grande perspicacité et il collectionne
les petits détails apparemment insignifiants qui, réunis, mettent en
évidence toute la conception de l’idéologie ambiante.
L’élection des maires. Pour mieux organiser le territoire, le
gouvernement pense devoir casser l’autorité de la chefferie
traditionnelle et créer de nouvelles structures administratives pour
« remettre le pouvoir au peuple ». Ainsi chaque communauté humaine
doit élire son délégué et chaque commune (nouvellement érigée) va élire
son maire. Les réunions de formation idéologique ne sont pas très
convaincantes et les gens ne comprennent pas grand-chose à ces
élections eux qui sont nés dans le moule de la féodalité.
On devrait passer de la féodalité à la démocratie, c’est le projet
martelé dans tous les discours et par toutes les restructurations du
commissaire du peuple. Alors à qui se confie le peuple pour comprendre
ce que l’on vient de lui rabâcher ? Me voilà conseiller social, mais dans
la plus grande discrétion. Toujours en aparté dans mon salon-bureau-
cuisine, les autres attendent dans la cour comme à confesse, je réfléchis
sur les qualités que doit avoir le futur élu. Finalement tous les délégués
et la plupart des maires sont de l’oligarchie féodale, musulmans ou
païens (il n’y a pas encore de communauté chrétienne sur ce secteur).
Le peuple sera bien guidé et je serai tenu minutieusement au
courant de toutes les avancées de la Révolution. Il me fut rapporté avec
humour cité d’un discours du commissaire du peuple : « Méfiez-vous
du curé, il connait le marxisme mieux que vous et moi, allez visiter sa
bibliothèque et vous comprendrez 3».
Joseph et moi-même devrons tout de même quitter nos paroisses
mais nous échappons à l’expulsion qui a frappé plusieurs consacrés et
consacrées expatriés. Notre évêque, africain, ne se laisse pas intimider et
se rend à la Présidence où après bien des humiliations il s’entend
promettre que plus aucun religieux ne sera expulsé.

3Comme livre de chevet j’avais à cette époque le merveilleux témoignage de Mgr


Seitz : Le temps des chiens muets.

34
Le Marxisme-Léninisme au Dahomey-Bénin

3° À Wenu 1980-1983
Après un temps de retrait j’accueille avec joie la proposition de mon
évêque de venir comme pasteur à Wenu-Kpakeru. Comme tous les
confrères je suis vraiment limité dans mes déplacements pour la visite
des villages éparpillés sur plus de 2000 km². La population est des plus
accueillantes, mais je dois être prudent. Le « camarade chef de district »
(sous-préfet), ne se prive pas à l’occasion de me rappeler les restrictions
imposées par le régime. Comment relever le défi et continuer de visiter
ceux que le Seigneur nous confie et qui, frustrés par les limites imposées
par l’idéologie, aperçoivent un plan de salut à l’écoute de l’éternelle
nouveauté qu’est l’Évangile ?
Une aubaine se présente : le directeur du collège d’État qui s’ouvre
sur le territoire paroissial n’a que deux professeurs ; N’Dali, quoique
carrefour commercial, est encore un petit village peu convoité comme
lieu de travail par les fonctionnaires. Me voilà salarié de l’académie
comme enseignant de français au service d’une classe de 120 élèves de
sixièmes (40 x 3). Mon évêque accepte que je vive une telle forme de
présence auprès de la jeunesse ; considéré comme leur doyen par les
directeurs des petites écoles villageoises, je suis invité à visiter chacun
de leurs établissements ; j’en profite pour me rapprocher des paroissiens.
L’honneur est sauf pour tout le monde ! Je sais que dans le pays d’autres
ont vécu de tels engagements par exemple Jean pour enseigner la
philosophie.
Quarante ans plus tard on retrouve plusieurs de ces jeunes en
responsabilité dans différentes instances civiques et ecclésiales du pays.

4° Rome à Cotonou le 17 février 1982.


Le Cardinal Gantin invite Jean-Paul II à visiter Cotonou, démarche
prophétique ! Depuis Wenu-Kpakeru, ma nouvelle paroisse, c’est à 16
adultes que nous nous rendons en 504 camionnette à la rencontre du
Saint Père. Seuls Saria, sœur ainée de Père Jacques et son neveu Pierre
sont baptisés. Lui est invité à lire une demande de la Prière Universelle
à la messe Pontificale et sa tante reçoit la communion de la main du Pape
Jean-Paul. Tous reviennent avec au plus profond de leur cœur les paroles
de notre « Papa » :
« L’évangélisation doit de même éclairer, purifier et élever
l’ensemble des coutumes et traditions qui imprègnent si fortement l’âme
de vos compatriotes, afin d’en assumer tout ce qui peut concourir à une
vie plus conforme à la foi chrétienne et, en définitive, plus profondément

35
Mission en temps de crise

humaine. Les consciences doivent être aidées avec soin dans ce


discernement : ainsi, affranchis de la peur, les fidèles pourront
progresser dans la paix, en épanouissant le meilleur d’eux-mêmes, avec
les richesses culturelles qu’ils peuvent et doivent garder, mais en
acceptant les exigences et au besoin les ruptures qu’impose l’Évangile.
Ainsi les chrétiens seront vraiment dignes du Christ, gardant la vigueur
du sel ou du levain dans la pâte, et leur foi ne s’affadira pas dans
l’ambiguïté d’un syncrétisme périlleux. 4 »
Au retour nous faisons halte à la grotte mariale de Dassa pour
confier la conversion de notre Pays au Seigneur par l’intercession de
celle qui a dit « Oui » jusqu’au plus intime de ses entrailles. Le visage de
notre paroisse commence à changer, le pays tout entier ressort
« raffermi » de cette visite pastorale, autour d’une immense Assemblée
Eucharistique vécue au stade d’Akpakpa.

5° Monseigneur Isidore de Souza et la Nation


Encore un peu de temps et c’est l’archevêque de Cotonou,
Mgr Isidore de Souza, qui est plébiscité pour guider le pays dans ce
retour à la démocratie. Il préside la Conférence Nationale du 19 au 28
février 1990. Il continue d’accompagner la patrie jusqu’aux élections
présidentielles. Le pays sort de son monolithisme politico-idéologique
mais il se doit de faire une véritable évaluation des carences et des
espérances en jeu. Cela fait trente ans révolus ! Quel bilan, quel avenir ?

Quels défis pour nous aujourd’hui ?


Aujourd’hui, après trente ans de démocratie, y-a-t-il des défis
auxquels l’Église doit s’atteler, en son sein, dans la vie de la Nation, en
lien avec la planète ? Sommes-nous capables de discerner les signes
avant-coureurs des crises qui s’annoncent chez nous comme ils ont
affecté ailleurs l’humanité ? Au-delà du titre, qui nous limite localement
au Bénin, ce questionnement se veut porteur d’interrogations pour toute
autre église locale.
Pour être fidèle à sa mission, l’Église où qu’elle soit, ne peut pas
vivre sur ses lauriers et elle doit s’engager sur le chemin de la réflexion,
remettre sans cesse le labeur sur la planche. Localement elle se doit de

4 Pèlerinage apostolique au Nigeria, au Bénin, au Gabon et en Guinée


équatoriale, Messe, Homélie de Jean-Paul II, Cotonou (Bénin), 17 février 1982.

36
Le Marxisme-Léninisme au Dahomey-Bénin

prendre conscience des lacunes contre lesquelles se heurte l’Église


Universelle, aujourd’hui et dans le monde contemporain : soit le
matérialisme omnipotent, le libéralisme sans borne et, pour elle-même,
les scandales autour de l’argent et de mœurs légères qui toutes
cristallisent un non-respect de la personne humaine. Nul n’est sensé
passer à travers les mailles du filet !

1° Dans ses établissements scolaires et ses aumôneries


Reprenant courageusement sa place dans la société, l’Église au
Bénin œuvre résolument pour le bien de la population au niveau du
développement intellectuel des populations par l’ouverture de très
nombreuses écoles de villages et de quartiers et le développement de
collèges, voire même de facultés catholiques. Mais quelle éducation a-t-
elle la capacité d’y offrir tout en veillant à l’harmonie de l’instruction
dispensée selon les normes gouvernementales ? À qui sont confiées les
aumôneries des établissements publics et quelle formation religieuse,
morale et sociale est proposée à ses agents laïcs et consacrés en charge
de l’Instruction ?
Aussi, à propos du contenu de la formation à dispenser, le Pape
François nous rappelle « que Dieu désire le bonheur de ses enfants, sur terre
aussi, bien que ceux-ci soient appelés à la plénitude éternelle, puisqu’il a créé
toutes choses "afin que nous en jouissions", pour que tous puissent en jouir. Il
en découle que la conversion chrétienne exige de reconsidérer spécialement tout
ce qui concerne l’ordre social et la réalisation du bien commun » 5. Voilà un
premier défi pour la qualité de l’instruction au sein de la Nation.

2° Le service santé tant public que privé


Sous le régime Marxiste-Léniniste les agents de santé chrétiens ont
été très courageux ; en s’organisant ils ont pu éviter la nationalisation de
tout ce que les églises, tant catholique que celles issues de la Réforme
avaient déjà mis en œuvre. La démographie est en pleine croissance et
les différentes églises peuvent continuer longtemps d’assurer une telle
œuvre sociale en partenariat avec l’État.
Mais dans le monde contemporain que d’idées égoïstes mettent en
berne le respect de la vie, de la conception à la vieillesse, et, en danger,
la vérité de Dieu dans la vie humaine à la maison comme à l’hôpital, et

5 FRANCESCO, Exhortation apostolique Evangelii Gaudium (24 Novembre 2013),

4/I, 182.

37
Mission en temps de crise

risquent de casser la famille comme cela est, aujourd’hui, une réalité


navrante en Occident. Saurons-nous discerner à temps les signes avant-
coureurs de ce défi pour l’Évangile en Afrique ? À mon sens beaucoup
se joue en premier lieu au sein de la famille antidote à l’égoïsme, et lieu
de fortification pour une véritable action dans le monde d’aujourd’hui.
Relisons simplement "Amor Laetitia" l’exhortation apostolique de Pape
François sur l’Amour dans la famille ou « La Joie de l’évangile » 2016.

3° Des misères au sein de l’Église et de la malhonnêteté de


ministres
Elles sont nombreuses nos misères ; soyons vigilants à l’égard de la
tiédeur et du laisser-aller qui « rôdent comme un lion cherchant qui
dévorer » ; en éduquant notre affectivité évitons que des scandales ne
ravagent notre famille ecclésiale ; en second lieu le pouvoir par l’argent
au sein de communautés n’est pas qu’une illusion, ni même le népotisme
ou la double vie ! Sommes-nous prêts à relever ces défis, voire à les
précéder ?
Une formation pastorale renouvelée (grâce en particulier au
concours de pères et mères de famille comme cela se fait en bien des
lieux) au séminaire et pour les agents pastoraux pourrait nous faire
prendre mieux conscience des déboires dus à ces misères qui nous
guettent sans cesse au sein de l’Église et chez ses ministres.
La Pandémie avec ses épisodes nous montre bien que les courses
diaboliques au confort égoïste sont toujours d’actualité même si
beaucoup dans le monde vivent lentement une réelle conversion au
« respect de la personne humaine » et un solide retour au « sens du Bien
Commun ». Que pouvons-nous vivre localement en Église ? C’est un
véritable défi pour aujourd’hui, et c’est à nouveau Pape François, héraut
de la Bonne Nouvelle, qui par sa vision de l’actualité, éclairée par les
valeurs de l’Évangile, sait nous guider vers une véritable conversion
pour la plus grande gloire du Seigneur. Lisons et méditons son
encyclique "Laudato Sii", « Loué sois-tu 6» pour discerner ce que nous
pouvons vivre aujourd’hui.

6 FRANCESCO, Encyclique Laudato Sii (24 Mai 2015).

38
La vocation missionnaire de Saint
Charles de Foucauld

Andrea Mandonico sma

Un aspect important lié à la canonisation de Charles de Foucauld –


dont je suis le vice-postulateur – est son ministère sacerdotal parmi les
musulmans. C’est ma profonde conviction, malgré qu’elle soit une idée
assez répandue, que Fr. Charles 1 n’allât pas dans le désert pour vivre

1 1. Charles-Eugene de Foucauld, vicomte de Pontbriand, est nait le 15 septembre


1858 à Strasbourg (France). Orphelin de père et de mère dès l’âge de 6 ans, il fut
confié à son grand-père maternel qui l’a élevé comme « un petit prince ».
Pendant ses études secondaires, il perd la foi. Comme tous les nobles de son
époque, il choisit la carrière militaire à St Cyr, puis à Saumur, en vivant une
jeunesse bien dissipée, sauf l’année où il a exploré le Maroc (1883-1884).
Rentré à Paris fin octobre 1886, il se convertit. Durant un pèlerinage en Terre
Sainte, il découvre le mystère de Jésus vivant à Nazareth : il se sent appelé à
l’imiter tout au long de sa vie. Dans la recherche de cette imitation il entrera à la
Trappe (1890-1897), après il ira comme domestique chez les Clarisses de
Nazareth (1897-1900).
Il rentre en France où le 9 juin 1901 il est ordonné prêtre pour le diocèse de
Viviers (Ardèche). Il ira vivre au Sahara, à Beni-Abbés et après à Tamanrasset.
Le 1° décembre 1916 il fut tué par des pillards sénoussites.
Le 13 novembre 2005 l’Église l’a déclaré Bienheureux et, le 26 mai 2020, le pape
François a signé le décret qui reconnait le II° miracle et donc sa canonisation.
CDF voulait la dernière place et être oublié par tout le monde ; il voulait passer
sur cette terre en silence « comme un voyageur dans la nuit » que personne ne
voit et remarque ! Mais son témoignage évangélique a été si lumineux que

39
Mission en temps de crise

« en ermite », cherchant la « fuga mundi » si chère aux premiers moines 2,


mais y allât pour évangéliser et consacrer toute sa vie à ces frères les plus
pauvres « auxquels manque tout car il leur manque Jésus » 3. Lui-même
l’écrivait à l’abbé Huvelin :
“Depuis quelque temps et cela va chaque jour croissant, ma pensée
ne peut pas se détacher du Maroc, de ses dix millions d’habitants, tous
infidèles, de ce peuple si considérable entièrement abandonné : ni un
prêtre ni un missionnaire. [...] À l’intérieur, dans ce pays grand comme
la France, pas un autel, ni un prêtre, ni un religieux ; la nuit de Noël s’y
passera sans une messe, sans qu’une bouche et un cœur prononcent le
nom de Jésus ; [...] Cette pensée ne me quitte pas...” 4.
Si l’Église nous le propose comme modèle de sainteté – et le Pape
François le cite dans presque tous ses documents et d’une manière
particulière quand il parle non seulement aux évêques, prêtres, religieux
mais aussi aux catéchistes et aux jeunes – qu’est-ce qu’il a à nous
apprendre à nous missionnaires SMA pour le troisième millénaire ?
Quand je suis appelé à parler ou à tenir une conférence sur lui ou
sur un aspect de sa vie et de sa mission, à la fin il y a toujours l’un ou
l’autre qui s’approche pour m’avouer qu’il a été une importante figure
dans sa formation à la vie sacerdotale ou à la vie consacrée. Je crois aussi
qu’entre nous SMA, plusieurs ont été séduits par cette « très puissante
figure de la spiritualité chrétienne » 5 pendant les années de leur
formation.

l’Église aujourd’hui nous le propose comme modèle dans l’imitation et la


‘sequela’ de Jésus.
2 Cf. A. MANDONICO, "Charles de Foucauld : il volto di Cristo nel deserto”, in

Istituto internazionale di ricerca sul volto di Cristo (ed.), Il volto dei volti di Cristo,
Ed. Velar 2002, vol. XVI, 181-191.
3 En fait preuve la lettre du 7 mars 1902 à son ami Gabriel Tourdes et celle à Mgr

Caron du 8 avril 1905 ou encore celle du 22 novembre 1907 à l’abbé Huvelin, son
directeur spirituel. Ce qui fait difficulté, à mon avis, ce n’est pas son intention
mais la nécessité de trouver dans la pastorale la place de Nazareth. Alors, durant
des années, il se dit « moine », « missionnaire », « missionnaire isolé », « moine-
missionnaire ». Il l’écrit au P. Antonin, trappiste, le 13 mai 1911 ; à H. de Castries
le 14 août 1901 ; à son Préfet Apostolique, Mgr Guérin, le 10 juin 1903 et encore
le 2 juillet 1907 ; à sa cousine, Mme de Bondy, le 16 septembre 1905 ; sans oublier
la lettre à Mgr Bonnet, évêque de Viviers, le 28 mai 1904.
4 C. DE FOUCAULD, Huvelin, 205.

5 P. MARTINELLI, Vite meravigliose, Ed. Terra Santa 2018, 115.

40
St Charles de Foucauld

Charles de Foucauld dans la vie de la SMA


Travaillant dans nos archives ici à Rome, j’ai trouvé des écrits qui
nous montrent comment Charles de Foucauld n’est pas passé inaperçu
parmi nous, bien au contraire, même si nous ne l’avons pas imité en
plénitude, il a été une aiguillon dans notre manière d’évangéliser et de
nous adresser aux africains et à leur culture. Je citerai seules quelques
exemples.
a) Peu après sa mort (1916) son influence sur les missionnaires
devenait de plus en plus importante : dans la préface au livre Deux sœurs
noires 6 l’abbé de la Trappe, le P. Chautard, en écrivant une lettre au
P. Aupiais, disait d’avoir eu “un entretien avec le P. de Foucauld, qui se
prépara dans notre ordre à sa sublime vocation en Afrique” 7. Il invite
alors les sœurs à vivre « une vie fortement mixte, où la contemplation
égale au moins l’action ». C’était le style de « vie de Nazareth » du Fr.
Charles de Foucauld 8, que le P. Aupiais, dans sa longue introduction, ne
fera que soutenir et proposer aux sœurs.
b) Pour le centenaire de sa naissance, l’Écho des Missions Africaines de
Lyon (n. 5 - 1958) le propose aux confrères comme « Grande Figure
d’Africain ; Grande figure de Missionnaire ». Le P. Urvoy, après avoir
souligné la chronologie de sa vie, laisse la parole au P. Aimé Roche, OMI,
pour raconter sa vie et l’indiquer comme le grand missionnaire qui « va
bientôt éclater à travers les cinq continents en une étonnante
germination… ». Le long article termine avec quelques phrases de
Charles de Foucauld lui-même. Je retiens uniquement celle-ci qui me
semble très proche de l’apostolat jusqu’au don de la vie de nos premiers
confrères : « Aimons tous les hommes comme les a aimés Jésus, leur
voulant autant de bien qu’il leur en a voulu, leur faisant tout le bien en
notre pouvoir, nous dévouant à leur salut, prêts à donner notre sang
pour le salut de chacun d’eux ».
c) La Province d’Italie en 2002 a tenu la recollection durant sa « mini-
assemblea » sur la spiritualité de Fr. Charles et je crois que beaucoup de
nous se sont retrouvés en elle.
d) En outre, il y a quelques années j’ai prêché une recollection à nos
confrères de Montferrier sur l’évangélisation chez Charles de Foucauld.

6 RELIGIEUSE DE LA SAINTE-FAMILLE DU SACRE CŒUR, Deux sœurs noires, Ed. Librerie


Bloud & Gay 1931.
7 IDEM, 7.

8 IDEM, 17.

41
Mission en temps de crise

Plusieurs d’entre eux m’ont remercié pour avoir donné la possibilité


d’être missionnaires même dans une maison de repos à travers leur
célébration eucharistique, leur sainteté, leur prière, etc 9.

9 Dans l’Article XXVIII du Directoire qu’il écrit pour ses futurs disciples, il fait la
liste des « Moyens généraux et particuliers pour la conversion des âmes éloignées de Jésus,
et spécialement des infidèles ». Pour la conversion des âmes et spécialement pour celle
des infidèles, les frères et sœurs emploieront surtout les dix moyens suivants :
« 1° le Saint Sacrifice de la Messe, en accroissant le nombre des Messes célébrées chez
les infidèles, en faisant appliquer des Messes pour leur conversion, et en priant
dévotement pour cette conversion pendant le Saint Sacrifice ;
2° le Très Saint-Sacrement, en accroissant le nombre des Tabernacles chez les
infidèles, en développant en pays infidèle le culte de la Sainte Eucharistie, et en priant
dévotement devant le Très Saint Sacrement pour la conversion des infidèles ;
3° la sanctification personnelle, car l’âme fait du bien dans la mesure de sa propre
sainteté ;
4° la prière ;
5° la pénitence, c'est-à-dire le sacrifice, l'acceptation des croix envoyées par Dieu et
les actes de mortification volontaire autorisés par le directeur spirituel ;
6° le bon exemple, en étant des modèles de vie évangélique, en faisant voir l'Évangile
dans leur vie, en étant des Évangiles vivants, tels qu’en les voyant on sache ce
qu'est la vie chrétienne, ce qu'est l'Évangile, ce qu'est Jésus ;
7° la bonté, pour se faire aimer et faire aimer tout ce qui est d'eux, leur religion et
Jésus leur Maître ;
8° l'établissement de rapports d'amitié avec les personnes, avec le soin constant
de faire du bien à leurs âmes, allant à ceux qu'on veut convertir et
particulièrement aux infidèles, se mêlant à eux et se liant étroitement d'amitié
avec eux ;
9° l'aide prêtée aux prêtres, religieux et religieuses qui travaillent au salut des
âmes dans le lieu où l'on est, et particulièrement à ceux qui y travaillent à la
conversion des infidèles ;
10° l'aide prêtée aux prêtres, religieux et religieuses qui travaillent au salut des
âmes hors du lieu où l'on est, et particulièrement à ceux qui travaillent à la
conversion des infidèles » C. DE FOUCAULD, Règlements et Directoire (Tome XI et XII
de l'édition intégrale) : (de 1896 jusqu'en 1916), M. BOUVIER (éd.), Nouvelle Cité
1995, 591-592.

42
St Charles de Foucauld

Cardinal Tisserant et la méthode missionnaire


Foucauldienne
J’ai trouvé aux archives une longue lettre du Card. Tisserant, alors
Préfet de la S. Congrégation « Pro Ecclesia Orientali », du 27.04.1939, à
notre Supérieur Général, le P. Maurice Slattery 10.
Dans cette longue lettre (4 pages), le cardinal demande au
P. Slattery de préparer des missionnaires prêts à aller au milieu des
musulmans pour les convertir, car il semble que le temps soit propice.
Pour soutenir sa demande, le cardinal cite la lettre du 25.03.1225 du Pape
Onorio III dans laquelle il demandait aux abbés de Citeaux, Cluny,
Clairveaux, Saint Colombano des religieux pour cet apostolat 11. Le
cardinal est convaincu que malgré que les temps soient changés, l’appel
au ministère parmi les musulmans reste toujours valide. Certes il y a
encore beaucoup de difficultés, mais maintenant on connait davantage
les personnes, leurs us et coutumes, « les choses islamiques », aidés en
cela par la colonisation. Mais il sait aussi que « la préparation des
missionnaires pour la conversion des musulmans est une charge très
délicate, à cause des violentes réactions que facilement peuvent surgir
par les toutes petites imprudences, que les missionnaires peuvent faire
avec les meilleures intentions, très zélés mais très peu illuminés ».
Pour cela le cardinal demande à notre Supérieur Général d’ouvrir
« un collège ou une école […] en territoire musulman, avec une étiquette
semblable à celle de l’Institut des Belles-Lettres arabes de Tunis » 12. Il est
convaincu que « ce collège ou école donnerait aux missionnaires
destinés à travailler parmi les populations musulmanes la formation très
soignée et spécialisée qui est absolument demandée en un tel genre
d’apostolat et qu’on ne peut pas recevoir dans les autres maisons d’étude
ou de formation ». Il termine écrivant : « Si votre congrégation religieuse
ne peut pas ou ne retient pas opportune de fonder un collège ou une
école de ce genre, elle peut envoyer les pères à se former à l’apostolat
parmi les musulmans dans un des instituts déjà existants ou à fonder

10 Cf. E. G. G. TISSERANT, Lettre au Supérieur Général, 1939, AMA 11/8.03.07 n.


27049.
11 Le Cardinal, en suivant l’exemple du Pape Onorio III°, s’adresse aux religieux

car « en vivant sous une règle et conduisant une vie orientée à la perfection, ils
sont les plus aptes à parcourir le monde et y prêcher l’Evangile ‘verbo et
exemplo‘ ».
12 Aujourd’hui PISAI avec son siège à Rome, toujours confié aux Pères Blancs.

43
Mission en temps de crise

dans les régions le plus proches à celles où votre congrégation


missionnaire travaille ».
Après il exhorte : « Ce Dicastère, dans un parfait accord avec la S.
Congrégation de P[ropaganda] F[ide], retient que chaque mission qui a
un nombre élevé de musulmans, devrait avoir un ou plusieurs
missionnaires, donnés à cette charge très délicate avec toutes les
précautions indispensables et selon la méthode établie par les directives
les plus autorisées ».

Quelle est cette méthode ?


Le Cardinal Tisserant 13 propose certaines directives
méthodologiques typiquement foucauldiennes.

1. « Le moment semble arrivé […] de commencer une action


d’approchement et de compréhension destinés à faire tomber les
préjugés des musulmans et à mettre […] leurs âmes en contact avec les
valeurs spirituelles du christianisme ».
Comment ne pas penser à Fr. Charles quand il affirmait que son
œuvre dans le Sahara était de préparer le terrain aux missionnaires qui
viendraient après lui. Le 3 avril 1906 il écrivait à l’abbé Caron :
« Mon œuvre ici n’est qu’une œuvre de préparation, de premier
défrichement : c’est d’abord de mettre au milieu d’eux Jésus, Jésus dans
le Très Saint Sacrement, Jésus descendant chaque jour dans le saint
Sacrifice : c’est de mettre au milieu d’eux une prière, la prière de la Sainte
Église » 14.
Le 29 juillet répondant à R. Bazin, son futur biographe, qui lui
demandait des informations sur les missions catholiques en Algérie,
Charles de Foucauld lui rappelle sa méthode pastorale :
« Les missionnaires isolés comme moi sont fort rares. Leur rôle est
de préparer la voie, en sorte que les missions qui les remplaceront
trouvent une population amie et confiante, des âmes quelque peu
préparées au christianisme, et, si faire se peut, quelques chrétiens » 15

13 Certains se demanderont comment le Cardinal Tisserant connaissait si bien


CDF. Il était le Cardinal protecteur des Petites Sœurs de Jésus et sans doute la
fondatrice, ps Madeleine de Jésus, lui avait transmis cette connaissance.
14 C. DE FOUCAULD, XXV Lettres à l’abbé Caron, 20.

15 R. BAZIN, Charles de Foucauld explorateur du Maroc, Ermite au Sahara, Plon 1923,

442.

44
St Charles de Foucauld

Cette préparation silencieuse pour accueillir Jésus CDF l’a faite par
le « bon exemple », c’est-à-dire, selon ce qu’il écrivait dans le Directoire
pour ses frères, en cherchant d’être toujours « des modèles de vie
évangélique, en faisant voir l'Évangile dans leur vie, en étant des Évangiles
vivants, tels qu’en les voyant on sache ce qu'est la vie chrétienne, ce qu'est
l'Évangile, ce qu'est Jésus » 16.
Ce n’est pas un bon exemple moral mais plutôt un bon exemple
christologique : « Être modèle de vie évangélique, c’est-à-dire de Jésus »
car « le prêtre est un ostensoir, son rôle est de montrer JÉSUS ; il doit
disparaitre et faire voir JÉSUS » 17. Tout de suite après, pour ne pas rester
dans le vague, il ajoute : « M’efforcer de laisser un bon souvenir dans
l’âme de tous ceux qui viennent à moi » 18.

2. « Leur prêcher, de but en blanc, la Trinité, l’Incarnation, les


Sacrements, en certains lieux pourrait constituer la plus grave
témérité et compromettre des siècles d’espérance ».
Fr. Charles, le 6 mars 1908, écrivait à son Préfet Apostolique :
« Prêcher Jésus aux Touaregs, je ne crois pas que Jésus le veuille, ni de
moi, ni de personne. Ce serait le moyen de retarder, non d’avancer, leur
conversion. Cela les mettrait en défiance, les éloignerait, loin de les
rapprocher… » 19.
Il est bien conscient que cette méthode peut durer longtemps, peu
importe : « C’est une œuvre de longue haleine, demandant du
dévouement, de la vertu et de la constance. […] Cela se faisant, les
conversions au bout d’un temps variable, vingt-cinq ans, cinquante ans,
cent ans, viendront d’elles-mêmes, comme murissent les fruits… » 20

3. « La méthode « d’apprivoiser » comme disait Charles de Foucauld,


doit être bien étudiée, pas seulement dans ce qui concerne l’Islam en
général, mais aussi dans les diversités locales qu’il offre aux yeux des
observateurs ».
De son côté Charles de Foucauld déclarait :
« Il faut nous faire accepter des musulmans, devenir pour eux l’ami
sûr, à qui on va quand on est dans le doute ou la peine ; sur l’affection,

16 Ivi, note 9.
17 C. DE FOUCAULD, Carnets de Tamanrasset, 188.
18 Ibidem.

19 C. DE FOUCAULD, Correspondances sahariennes, 605-606.

20 R. BAZIN, Charles de Foucauld, 409.

45
Mission en temps de crise

la sagesse et la justice duquel on compte absolument. Ce n’est que quand


on est arrivé là qu’on peut arriver à faire du bien à leurs âmes. Ma vie
consiste donc à être le plus possible en relation avec ce qui m’entoure et
à rendre tous les services que je peux » 21.
Une amitié qui ne s’impose pas, mais s’offre ; va vers eux, toujours
disponible vers le prochain mais aussi vers tous ceux qui frappent à la
porte, en partageant leur vie ; il priera pour eux ; il deviendra l’ami sûr
et le conseiller recherché pour sa sagesse et son sens de la justice.

4. « Souvent nous avons proclamé comme formule idéale, suffisante et


efficace, cette maxime « Charité et prière ».
a) Charité
Fr. Charles laissait comme idéal de mission à ses héritiers : « Faire
régner JÉSUS et la CHARITÉ, c’est la mission des petits frères du Sacré
Cœur de Jésus, selon leur nom. Ils doivent faire régner JÉSUS et la
CHARITÉ, dans leurs cœurs et autour d’eux » 22. Ils « ne sauvent pas par
la prédication […] mais ils sauvent par la charité, la charité ne voyant en
tout humain qu’un membre de Jésus à combler de biens et à conduire au
ciel, l’immense et universelle charité qui doit rayonner de la
fraternité » 23.
Charité qui, sous sa plume, prend aussi le nom de bonté. Revenant
d’un voyage en France en 1909, Fr. Charles écrit dans son journal les
conseils reçus par l’abbé Huvelin, son Directeur spirituel :
« Mon apostolat doit être l'apostolat de la bonté. En me voyant
on doit se dire : « Puisque cet homme est si bon, sa religion doit être
bonne. » — Si l'on demande pourquoi je suis doux et bon, je dois
dire : « Parce que je suis le serviteur d'un bien plus bon que moi. Si
vous saviez combien est bon mon Maitre JÉSUS » 24.
Bonté qui n’est pas seulement l’occasion pour une bonne action
mais devient style de vie, dimension de toute la vie et non seulement un
fragment de notre temps ou de notre agir.

21 IDEM, 443.
22 C. DE FOUCAULD, Règlements et Directoire, 77.
23 IDEM, 228.

24 Carnet de Tamanrasset, 188.

46
St Charles de Foucauld

b) Prière
Fr. Charles se sentait appelé à imiter Jésus dans sa vie à Nazareth,
là où Jésus avait vécu pendant 30 ans. Il a été, quand-même, Sauveur
dans une manière cachée, c’est-à-dire pas visible aux yeux humains,
mais réellement efficace et divine : la prière a une fécondité apostolique
et elle est une vraie forme d’apostolat, un véritable apostolat. Il écrivait
à Louis Massignon :
« Pensez beaucoup aux autres, priez beaucoup pour les autres.
Vous dévouer au salut du prochain par les moyens en votre pouvoir,
prière, bonté, exemple, etc.… c'est le meilleur moyen de prouver à
l'Époux divin que vous l'aimez : « tout ce que vous faites à un de ces
petits, c'est à moi que vous le faites » ... l'aumône matérielle qu'on fait à
un pauvre, c'est au créateur de l'Univers qu'on l’a fait, le bien qu'on fait
à l’âme d'un pécheur, c'est à la pureté incréée qu'on le fait... » 25.
À ceux qui demandaient comment œuvrer au milieu des Touaregs,
il témoignait :
« C'est l'évangélisation, non par la parole, mais par la présence
du Très Saint Sacrement, l'offrande du divin Sacrifice, la prière, la
pénitence, la pratique des vertus évangéliques, la charité - une charité
fraternelle et universelle partageant jusqu'à la dernière bouchée de
pain avec tout pauvre, tout hôte, tout inconnu se présentant et
recevant tout humain comme un frère bien-aimé » 26

5. « En suivant Pie XI c’est nécessaire de mettre en premier lieu, encore


avant la charité, la connaissance bien approfondie de leur langue, de
leurs croyances, de leurs us et coutumes, de leur culture, en un mot de
l’âme musulmane. […] Si nous arrivons à montrer au musulman
qu’on s’occupe de lui, que nous le connaissons dans sa langue, dans
sa façon de penser, dans ses habitudes traditionnelles et même dans son
folklore, nous pourrons plus facilement enfoncer la porte derrière
laquelle il se cache devant nous. Une connaissance enracinée sur
l’empathie, qui cherche le bien sans cacher le mal, qui essaiera de
découvrir où Dieu a pu préparer le chemin de la grâce et où cette grâce
s’enracine pour élever les âmes ».

25 J. F. SIX, L’Aventure de l’amour de Dieu. 80 lettres inédites de Charles de Foucauld à


Louis Massignon, Seuil 1993, 210.
26 C. DE FOUCAULD, Lettres à Henry de Castries, 84-85.

47
Mission en temps de crise

Charles de Foucauld étudia en profondeur la langue Touareg 27,


justement pour être proche, pour pouvoir exercer sa charité avec
délicatesse, pour dialoguer et pour pouvoir entrer dans l’âme
musulmane des Touaregs. Il sait que l’étude de la langue est la seule
manière, non seulement pour préparer le chemin aux missionnaires qui
viendront après lui, mais surtout pour entrer en contact avec les gens,
convaincu qu’il ne pourra « faire du bien aux Touaregs qu’en parlant
avec eux et en sachant leur langue ».
Il sait qu’en apprenant la langue ils pourront se comprendre mieux,
comprendre leur culture et que cette connaissance créera l’amitié entre
eux, l’amour et tout cela faire naitre l’estime et la fraternité 28. Alors : « Le
temps qui n’est pas pris par la marche et le repos est employé à préparer
les voies, en tachant de lier amitié avec les Touaregs et en faisant les
lexiques, traductions indispensables à ceux qui viendront porter
Jésus » 29.
Donc parmi les musulmans du Sahara, Fr. Charles ne fut pas un
silencieux « ermite » 30 mais un vrai apôtre en créant des liens d’amitié
pour faire connaitre ainsi l’amour de Dieu pour eux et les sanctifier de
la même manière que la Vierge Marie sanctifia la maison de Zacharie en
y portant Jésus.
Le pape François dans le dernier numéro de son Encyclique
« Fratelli tutti » dit que Fr. Charles : « a orienté le désir du don total de sa
personne à Dieu vers l’identification avec les derniers, les abandonnés,
au fond du désert africain. Il exprimait dans ce contexte son aspiration

27 Dans un premier moment il la juge une langue facile, mais au fur et à mesure
qu’il l’étudie, il s’aperçoit de ses difficultés et de sa richesse ; alors, bien conscient
de son importance, il fait appel à des spécialistes et il profitera de toutes les
occasions pour recueillir les poèmes et les contes. Il mettra par écrit des textes
jusque là transmis uniquement par oral et les traduira en français. Il recueillera
aussi 6000 poésies et tout cela lui permettra de composer un dictionnaire touareg
de 4 volumes « œuvre linguistique jugée insurpassable par les berbérologues »
(Hugues D., Petite vie de CDF, 119) et qui fait encore autorité aujourd’hui. Il
travaillera onze heures par jour pendant onze ans et dans des conditions telles
pour faire de son travail une vraie œuvre ascétique. Cf. A. CHATELARD, "CDF
linguista, uno scienziato suo malgrado" Études et documents berbères, 13 (1985)
145-176.
28 Cf. C. DE FOUCAULD, Correspondances Sahariennes, 758-759.

29 C. DE FOUCAULD, Huvelin, 236-237.

30 Cf. L. POIRIER, CDF et l’appel du silence, Mame 1936 ; R. BAZIN, CDF,

explorateur du Maroc.

48
St Charles de Foucauld

de sentir tout être humain comme un frère ou une sœur, et il demandait


à un ami : « Priez Dieu pour que je sois vraiment le frère de toutes les
âmes […] ». Il voulait en définitive être « le frère universel ». Mais c’est
seulement en s’identifiant avec les derniers qu’il est parvenu à devenir
le frère de tous » (287).

6. « Ainsi nous pourrons devenir les amis et parler le langage qu’ils


comprendront, non seulement celui des dictionnaires, mais celui bien
plus subtile et secret de l’esprit ».
À Joseph Hours, un journaliste de Lyon qui avait entendu parler de
lui et de son expérience, et qui lui demande par quel moyen être apôtre
parmi les musulmans, Charles de Foucauld répond :
« Par la bonté, la tendresse, l’affection fraternelle, l’exemple de la
vertu, par l’humilité et la douceur toujours attrayantes et si chrétiennes.
Avec certains sans leur dire jamais un mot de Dieu ni de la religion,
patientant comme Dieu patiente, étant bon comme Dieu est bon, aimant,
étant un tendre frère et priant. Avec d’autres, en parlant de Dieu dans la
mesure qu’ils peuvent porter. […] Surtout voir en tout humain un frère
– vous êtes tous frères, vous avez un seul père qui est aux cieux – voir en
tout humain un enfant de Dieu, une âme rachetée par le sang de Jésus
une âme aimée de JÉSUS, une âme que nous devons aimer comme nous-
mêmes et au salut de laquelle nous (devons) travailler - bannir loin de
nous l'esprit militant. [...] Combien il y a loin entre la manière de faire
et de parler de JÉSUS et l'esprit militant de ceux qui ne sont pas
chrétiens ou mauvais chrétiens, voient des ennemis qu'il faut combattre,
au lieu de voir des frères malades qu'il faut soigner, des blessés étendus
sur le chemin dont il faut être le bon Samaritain. […] Les non chrétiens
peuvent être ennemis d'un chrétien : un chrétien est toujours le tendre
ami de tout humain ; il a pour tout humain les sentiments du Cœur de
Jésus. Être charitable, doux, humble avec tous les hommes : c'est là ce
que nous avons appris de JÉSUS. N'être militant avec personne : Jésus
nous a appris à aller « comme des agneaux parmi les loups », non à parler
avec aigreur, avec rudesse, à injurier, à prendre les armes. « Se faire tout
à tous pour les donner tous à JÉSUS », en ayant avec tous bonté et affection
fraternelle, en rendant tous les services possibles, en prenant un contact
affectueux, en étant un frère tendre pour tous, pour amener petit à petit les âmes
à JÉSUS en pratiquant la douceur de JÉSUS »31.

31 C. DE FOUCAULD, Correspondances lyonnaise, 91-93.

49
Mission en temps de crise

Il y a dans ces conseils non pas seulement l’expérience de Fr.


Charles, mais surtout et aussi une caractéristique fondamentale de
l’évangélisation selon Fr. Charles : il ne nous est pas demandé de faire
des grandes œuvres mais d’être, tout simplement certes, que Dieu passe
par nous pour donner à toute l’humanité sa grâce et son amour.

7. Tout cela « est l’application de la parole de Saint Paul : "Omnibus


omnia factus sum" ».
La réflexion de Charles de Foucauld sur cette parole de Saint Paul
est : « Me faire tout à tous : rire avec ceux qui rient, pleurer avec ceux qui
pleurent, pour les amener tous à JÉSUS. — Me mettre avec
condescendance à la portée de tous, pour les attirer tous à JÉSUS » 32.
Le docteur Hérisson, un médecin militaire, qui passa quelques
semaines avec lui à Tamanrasset et a vu sa familiarité avec les Touaregs,
lui demanda comment agir au milieu d’eux, nous a laissé ce témoignage :
« Il fallait être simple, affable et bon vis-à-vis des Touaregs. […] Être
humain, charitable, être toujours gai. […] Ce rire met de la bonne
humeur chez le voisin, l’interlocuteur ; il rapproche les hommes, leur
permet de mieux se comprendre, il égaie parfois un caractère assombri,
c’est une charité » 33.

Quelle conclusion pour nous missionnaires SMA ?


1. Être des hommes enracinés dans l’Évangile, être, comme le dirait
Charles de Foucauld, des « Évangiles vivants » par une vraie spiritualité
évangélique, des contemplatifs, de l’écoute de la Parole de Dieu, en
sachant que « de cette Parole, il n'est pas maître : il en est le serviteur »
(PDV 26), par la simplicité de la vie et le partage fraternel, la fidélité,
l’amour pour le bien commun, le souci pour les autres, surtout pour les
pauvres, la bonté et le pardon, etc.
2. De Charles de Foucauld nous pouvons apprendre qu’il n’est pas
question de "notre mission" mais plutôt de la mission de Dieu par Jésus
Christ dans l’Esprit Saint. Nous sommes uniquement des instruments
par lesquels Dieu veut être présent au milieu de l’humanité, mais c’est
Lui qui touche le cœur de l’autre, uniquement Lui qui peut convertir le
cœur de l’autre. Nous, par notre présence, par notre prière, dans la
simplicité de notre vie, dans le service et l’amitié fraternelle, nous le

32 C. DE FOUCAULD, Carnets de Tamanrasset, 188.


33 R. BAZIN, Charles de Foucauld, 379.

50
St Charles de Foucauld

rendons présent et nous Lui donnons la possibilité de toucher le cœur de


l’autre.
3. Il me semble que la récente Encyclique du Pape François « Fratelli
Tutti » est plus que jamais très actuelle pour créer une Eglise locale où la
fraternité (ou l’Église-famille) soit vraiment le centre de la vie ecclésiale :
« Chercher Dieu d’un cœur sincère, à condition de ne pas l’utiliser à nos
intérêts idéologiques ou d’ordre pratique, nous aide à nous reconnaître
comme des compagnons de route, vraiment frères » (274). C’est une
réalité existentielle que le Pape François souligne à nouveau : nous
sommes tous frères, personne n’en est exclu ! Le chemin du dialogue
parmi les personnes de différentes traditions religieuses n’est pas
d’aujourd’hui, mais il fait partie de la mission de l’Église de notre temps,
l’Église du Concile Vatican II.
4. Nous devons nous engager davantage dans le dialogue
interreligieux car celui-ci est le chemin de l’EÉglise du III° millénaire,
non pas pour faire de toutes les religions un amalgame mais pour créer
une nouvelle manière de vivre ensemble où le prosélytisme laisse la
place à la liberté et à l’attraction suscitée par de vrais témoins par leur
vie fraternelle. Vivre sa propre identité et sans y renoncer, dans un
monde où il y a plusieurs religions, nous ne sommes pas seulement
appelés au respect mais, pour elles, nous devons aussi commencer avec
tous une relation fraternelle et d’amitié. Je crois que tous les croyants de
n’importe quelle religion, peuvent offrir leur engagement pour bâtir une
vraie fraternité universelle, être des frères universels, sans faire de
différence entre riches et pauvres, noirs et blancs, Nord et Sud… Nous
lisons dans « Fratelli tutti » : « Il est inadmissible que, dans le débat
public, seuls les puissants et les hommes ou femmes de science aient
droit à la parole. Il doit y avoir de la place pour la réflexion qui procède
d’un arrière-plan religieux, recueillant des siècles d’expérience et de
sagesse » (275).
5. A l’intérieur de ce dialogue, cultiver aujourd’hui surtout le
dialogue avec l’Islam. Le PISAI serait bien heureux d’accueillir et de
préparer sérieusement – comme l’écrivait le cardinal Tisserant – ceux
parmi nous qui se sentent appelés à un tel apostolat !

51
Colonisation et Cultures

Pierre Saulnier sma

Nous présentons ici nos réflexions personnelles sur l’anthropologie


culturelle, et l’inculturation dans l’Église Catholique ; nous donnerons
des exemples tirés de notre expérience en France et en Afrique sans
toutefois nous y limiter.
Nous nous situons dans l’histoire contemporaine de la colonisation
et de l’expansion à travers le monde de la civilisation occidentale, tout en
faisant quelques références à l’histoire plus ancienne ; c’est l’objet de la
première partie. La seconde partie définit les termes universitaires
concernant l’anthropologie et la culture ; la dernière traite de
l’inculturation contemporaine, en y incluant l’histoire de la rencontre de
la culture juive avec l’enseignement du Christ dans la primitive Église.

1. La colonisation moderne
« La liberté commence où l’ignorance finit. » V. Hugo

Nous distinguons ici les divers aspects, souvent imbriqués les uns
dans les autres, de la colonisation qui n’est pas une invention des
derniers siècles mais existe depuis des millénaires.
Elle est d’abord de peuplement, telle la migration des Européens en
Amérique qui soumettent les populations autochtones, font sécession
d’avec leur mère patrie, et, importent des esclaves quand la main
d’œuvre locale fait défaut ; l’Afrique en est alors le principal
pourvoyeur. Ou encore l’Algérie à partir de 1830.

53
Mission en temps de crise

Elle est politique quand les pays européens se livrent à une


compétition violente pour se créer un empire. Pour le 19ème siècle, citons
les deux guerres des Boers de 1880 et de 1899 - 1902 en Afrique du Sud,
et celles de l’opium en Chine en 1839 - 1842 et en 1856 - 1860. Crampel 1,
de passage à Cotonou au moment de sa conquête en 1890 par l’armée
française, déclare : « J’ai vu des gens féroces, les nôtres ». Plus tard, de 1928
à 1931, c’est l’insurrection du Kongo-Wara en pays Gbaya dans l’actuelle
RCA ; elle nait des exactions de la colonisation. Ces violences continuent
après la guerre de 1939 - 1945 : Thiaroye (Sénégal) le 1er décembre 1944,
Sétif (Algérie) le 8 Mai 1945 2. Certains n’ont pas oublié et savent nous le
rappeler.
Elle s’accompagne d’une exploitation économique ; certes des
migrants fuient la misère, mais il s’agit aussi de se procurer des produits
dont manque l’Europe ; un peu partout, c’est la ruée vers l’or.
Enfin, elle se veut culturelle. Les colonisés passent alors pour des
sauvages, des barbares, des païens, qu’elle doit civiliser et, le Christianisme
évangéliser. Certains se demandent même si les autochtones
amérindiens ont une âme ! Pendant la première moitié du 20ème siècle, se
créent des « zoos humains » : on trouve à Paris, un espace clôturé avec des
cases grandeur nature et des familles exposées à la vue des visiteurs,
comme dans un zoo animalier 3. Certes les conditions d’existence comme
l’habitat, l’habillement, les soins de santé en Afrique ou ailleurs, il y a un
siècle et encore maintenant en 2020, sont souvent rudimentaires, et
méritent une amélioration. Mais cela permet-il de porter un tel
jugement ?
L’Église Catholique et les Sociétés Missionnaires ne sont pas
exemptes de tout reproche. En novembre 1919, le pape Benoit XV publie
l’Exhortation Apostolique Maximum Illud où il exige que les séminaires
des pays de mission assurent une formation convenable à leurs
étudiants. Puis en Octobre 1926, le pape Pie XI ordonne six évêques
chinois ; Rome pose cette question : pourquoi a-t-il fallu attendre trois siècles
pour trouver des personnes capables de diriger un diocèse quand le pays se
gouverne par lui-même ?

1 Cf. P. KALCK, Un explorateur au cœur de l’Afrique ; Paul Crampel (1864-1891),


L’Harmattan 2000, 63-65 ; F. AUPIAIS, Souvenez-vous. Textes et témoignages, SMA
Sankofa 2018, vol. 11, 73-75.
2 Cf. Émission télévisée de France 2, le 6 octobre 2020, Décolonisations, du sang et

des larmes.
3 N. BANCEL

54
Colonisation et Cultures

Paradoxalement, le changement va venir du colonisateur lui-


même ; il a par nature, le handicap majeur de sa méconnaissance de la
langue et des coutumes ; il ouvre donc des écoles primaires pour former
des interprètes, des secrétaires, puis des écoles supérieures pour des
instituteurs et des soignants.
Auparavant en 1861, à leur arrivée à Ouidah, les pères Borghero et
Fernandez le font pour les enfants des esclaves rapatriés du Brésil et des
métis d’Européens ; l’enseignement s’y fait en portugais. En 1864, le roi
de Porto-Novo leur affecte un terrain où ils construisent une demeure,
une chapelle, une école. Là aussi, l’enseignement se fait en portugais.
Dès 1868, des religieuses arrivent pour s’occuper des filles, et ouvrir un
dispensaire.
Ce que font ces missionnaires, hommes et femmes, dans
l’enseignement et la santé, répond aussi à la demande de la population :
son ouverture au monde avec sa découverte, et le besoin de liberté.
À cette époque, le père Aupiais, lui-même, est pour la civilisation. À
Dakar en 1929, il console (?) ainsi une jeune sage-femme, originaire de
Porto-Novo, affectée en Casamance et désespérée de ne pouvoir
retourner dans son pays près de ses parents : « On vous emploie au travail
de la civilisation, comme si vous étiez civilisés vous-mêmes depuis des
générations » 4. Pour lui, ce travail de civilisation avec celui
d’évangélisation, est un droit et un devoir pour l’Église 5.
Grâce aux écoles, ces soi-disant sauvages atteignent le niveau de
leurs colonisateurs et assurent même de hautes fonctions. En août 1944,
le premier à se rallier au général de Gaulle est un métis Guyanais Félix
Eboué, gouverneur du Tchad ; il entraine à sa suite les autres colonies de
l’AEF. Enfin dans les années 1960, ces pays accèdent à l’indépendance.
Paradoxe encore dans le domaine économique quand des pays
s’approprient des techniques, y ajoutent leur touche personnelle et en
rendent dépendants les pays d’origine.
J’évoque aussi le Béninois Grégoire Ahongbonon qui a fondé
l’Association Saint Camille pour soigner les malades mentaux. Invité par
l’OMS à Sarajevo, et interrogé sur ses résultats, il fait la leçon aux
spécialistes : « Je ne suis qu’un réparateur de pneus. Je crois que vous, vous
voyez d’abord la maladie, en oubliant que ce sont des hommes qui en sont

4 Ibidem, 70.
5 F. AUPIAIS, La civilisation et les excès de la Colonisation, SMA Sankofa 2018, vol. 8.

55
Mission en temps de crise

atteints. Je pense qu’il faut d’abord s’intéresser à la personne avant de savoir


comment l’aider pour la sortir de sa maladie » .
Cependant beaucoup reconnaissent l’altérité culturelle de ces
peuples. Dès 1885, le père Noël Baudin (1844 - 1887) publie des
dictionnaires et une grammaire yoruba. À Dakar en 1936, est créé l’Ifan,
spécialisé dans les cultures africaines. À Paris en 1937, s’ouvre le Musée
de l’Homme, celui-ci pour tous les continents. Cette colonisation marque
ainsi le début moderne de la rencontre des cultures.

2. Anthropologie et cultures
« Il n’y a rien de plus naturel que le culturel ».

Cet adage a le mérite d’opposer en anthropologie nature et culture


et d’affirmer que les lois qui régissent la nature humaine ne se
découvrent que dans l’étude des cultures et civilisations, chacune les
vivant à sa manière.

Définitions
Dans son acception française, l’anthropologie se définit comme
l’étude et la présentation des lois qui gouvernent les personnes
humaines, qui régissent leurs différentes sociétés, qui vivent ces lois
dans leurs cultures respectives.
Certains recherchent une théodicée, une sagesse universelle ; au
risque de paraître relativiste, disons que c’est prendre une voie sans
issue ! Chaque culture a sa vision de Dieu, depuis sa négation pour les
athées, jusqu’à son incarnation pour les chrétiens, elle a sa morale, sa
philosophie, sa sagesse.
À côté de l’anthropologie, on trouve la sociologie ; elle étudie l’être
humain dans sa dimension sociale, qui nait dans une famille insérée
dans un groupe ; toute recherche, a ainsi un aspect social. L’objet de leur
étude étant le même, il peut parfois être difficile de les distinguer.

6 Terre d’Afrique, SMA Strasbourg 9 (2016). Cette thérapeutique vient de faire


l’objet d’un mémoire de master à l’École des Hautes Études de Paris, de la part
d’un confrère Indien, D. Xavier Vincent, mémoire intitulé ‘Questions
anthropologiques liées à la prise en charge des malades mentaux en pays Baatonou (Nord-
Bénin). Étude à partir du centre psychiatrique Saint Camille de Djougou. À noter :
travail effectué par un Indien au Bénin et présenté en France à Paris : excellent
exemple d’interculturalité intercontinentale, Cf. Le Lien sma Lyon 575/10 (2020).

56
Colonisation et Cultures

La linguistique, elle aussi, a un aspect anthropologique pour la


définition des mots et la confection d’un dictionnaire : on ne peut faire
l’impasse de la vision du monde du groupe dont on étudie la langue. Et
si l’on veut étudier un peuple, il est indispensable d’en connaître un tant
soit peu la langue.

La relativité des cultures


Comme tout être vivant, une culture vit, grandit, meurt, ou se dilue
dans une autre à son contact. Chaque culture est ainsi à la fois un absolu
car toute personne s’inscrit dans une communauté qui agit selon ses
propres valeurs, et relative, car à côté, d’autres personnes vivent selon
d’autres.
Ces valeurs entrent en concurrence : un jeune africain fit l’impasse
sur son travail scolaire pendant une année parce que le voyant lui avait
prédit qu’il réussirait à son examen de fin d’année. Le résultat fut
prévisible : il échoua et comprit qu’il lui fallait travailler pour réussir,
autre valeur culturelle. Que de fois au Bénin ou en Centrafrique avons-
nous trouvé des jeunes se présenter à un examen officiel sans avoir suivi
les cours correspondants, comptant sur la chance ! À l’intérieur d’une
culture, surtout au contact d’une autre, il y a aussi opposition entre des
valeurs différentes, ainsi celles entre les attentes individuelles dont la
liberté et les contraintes communautaires, opposition qui la fait évoluer.
Toute culture est éphémère ; nous n’en connaissons maintenant
certaines que par les vestiges architecturaux qu’elles nous ont légués,
telles les civilisations amérindiennes, ou l’Égypte des Pharaons et des
Pyramides.

L’étude des cultures


Les lois anthropologiques se dégagent de l’étude des cultures. C’est
le but de l’ethnographie qui est la description d’une ethnie ou d’un
groupe, aussi bien d’une société traditionnelle, africaine, océanienne que
moderne, comme l’Ordre des médecins. Un second stade est celui de
l’ethnologie qui précise les lois qui gouvernent une ethnie déterminée.
Leur objet d’étude étant le même, il est souvent difficile de les dissocier
ou de séparer ce qui relève de l’une et de l’autre.
Un chercheur, naturellement imprégné de sa culture d’origine doit
en faire abstraction le plus possible et ne pas juger d’après ses codes
personnels ; alors il a l’avantage de voir ce qui différencie la sienne de
celle qu’il étudie. Dans cette optique, une personne qui veut se pencher

57
Mission en temps de crise

sur la sienne doit prendre quelque distance avec elle, se convaincre


qu’elle n’est pas la seule, qu’il en existe d’autres avec le même objectif.
Elle se découvre dans les institutions les plus ordinaires de l’existence :
en étudiant les noms de naissance en milieu gun de Porto-Novo (Bénin),
devant la richesse de ce mode oral de communication, nous avons posé
la question sur le peu d’intérêt porté par des Africains à cette étude ; en
voici la réponse : mais c’est tellement naturel (sic) que nous n’y pensons même
pas.
Des Africains récusent à l’étranger la capacité d’étudier leurs
cultures ; j’ai montré dans mes Mémoires qu’au contraire certains
trouvent pertinent ce qu’un étranger leur en révèle et même se récusent
à préfacer une étude, estimant que cet étranger en est mieux instruit
qu’eux.
Un défaut des ethnographes ou ethnologues, c’est parfois de
survaloriser l’objet de leur étude, comme s’il n’en existait pas d’autres,
tout aussi valables ; certains vont jusqu’à se poser en référence et
interdire à d’autres leur terrain d’enquête.
Un risque encore est de se limiter à la délivrance d’un diplôme ;
même si tout ce qui est dit est juste, il reste toujours à découvrir. Son
obtention n’est pas un aboutissement mais une étape dans la
découverte :
Tant qu’on apprend à travailler, on est jeune.
Si à 20 ans on n’apprend plus rien, c’est qu’on est vieux.
Celui qui se satisfait de son affaire est un vieux .
Pour rendre compte des différents états de la vie des cultures, ces
dernières décennies se sont créés de nombreux termes. Celui d’endo (ou
en) -culturation désigne l’étude et la connaissance de la culture pour un
chercheur, et pour tout enfant qui naturellement nait dans une culture.
Celui d’acculturation concerne le changement de culture, soit d’une
personne, soit d’un groupe, au contact d’une autre. Le terme de
déculturation indique la perte totale ou partielle de sa culture ou de
certains de ses aspects. Dans le chapitre suivant, nous parlerons du
terme catholique d’inculturation.
À Paris, l’École des Hautes Études en Sciences Sociales s’adresse aux
chercheurs qui sans diplôme officiel justifient d’un travail de qualité.

7 Réflexion d’un chef d’entreprise agricole à Châteaubriant (Loire-Atlantique),

Jules Huard (1866-1933).

58
Colonisation et Cultures

Quelques pistes de travail


· La personne humaine : la différenciation des sexes, homme/femme,
leur complémentarité dans leurs différences physiologiques,
intellectuelles, affectives et leur égalité dans cette complémentarité. La
sexualité, la fécondité ou la stérilité féminine et masculine.
· Les relations entre individu et communauté : droits et devoirs de
chacun.
· Les rites autour de la naissance, dont la nomination. Qui choisit et qui
impose le nom ? Les raisons du choix, et son sens.
· L’éducation. Qui s’en charge suivant les sexes ?
· L’initiation. Elle connait de multiples variantes : sociales, religieuses
propos de l’initiation religieuse, il ne faut pas confondre la connaissance
avec la consécration : une personne peut très bien connaitre et
comprendre … sans pour autant être consacrée pour représenter la
divinité.
· Les modes de communication, traditionnelle et moderne : oralité,
écriture, radio et télévision, internet. Chacun avec ses valeurs et ses
limites.
· Les décès et les défunts : mort d’un enfant, d’un adulte, d’un vieillard
mort naturelle ou provoquée ; les rites autour du défunt, de la sépulture.
Le statut des morts et leurs relations avec les vivants. Les relations avec
l’au-delà et une éventuelle religion. Au sujet de la religion, il convient de
distinguer ses fondements de la manière dont elle se vit suivant les
personnes et les cultures.
Le Concile Vatican II dans le Décret sur l’Activité Missionnaire de
l’Église (n°26) a un texte fort explicite sur ce problème pour la formation
des missionnaires : « leur formation doctrinale doit être organisée de telle
manière qu’elle embrasse l’universalité de l’Église et la diversité des nations.
Cela vaut pour toutes les disciplines par lesquelles ils sont préparés à s’acquitter
de leur ministère afin qu’ils aient une connaissance générale des peuples, des
cultures, des religions, tournée non seulement vers le passé, mais aussi vers le
présent. »

59
Mission en temps de crise

3. Christianisme et Inculturation
Le Christianisme ne fait pas exception à ces règles culturelles. Avant
de parler de l’époque contemporaine, nous présentons la manière dont
le Christ et l’Église primitive se sont situés face à la culture juive et aux
nations. Les auteurs du Nouveau Testament vivaient dans cette culture,
avec leur vision du monde visible et invisible, et leur expérience
personnelle du Christ ; chacun en donne un aspect véridique et
complémentaire.

Le Christ et sa culture juive


Quand le Christ devient homme, la tradition chrétienne parle
d’incarnation. Il se déculture alors de sa condition divine et s’en-culture en
naissant juif. Puis après sa mort et sa résurrection, comme homme et
Dieu, il retrouve sa condition originelle ; Saint Paul affirme :
« Il ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu,
mais il s’anéantit lui-même,
prenant la condition d’esclave
et devenant semblable aux hommes…
C’est pourquoi Dieu l’a exalté
et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom »
(Philippiens (2, 6-11)
Les rites importants de la vie du Christ ont une connotation
religieuse et souvent culturelle. En premier lieu, il nait d’une femme
juive, Marie. Le huitième jour, il est circoncis, rite qui renvoie à l’Alliance
de Dieu avec Abraham et le peuple élu (Gn. 17, 10-14) ; il reçoit un nom,
rite à portée plus anthropologique, même si ce nom est révélé à Joseph ;
l’évangile du 1er janvier (Lc 2, 16-21), rappelle ces deux évènements.
Le 40ème jour, comme tous les garçons premiers-nés, il est présenté
au Temple, en souvenir de l’Exode (Ex. 13, 11-13). À l’âge de 12 ans,
devenu religieusement adulte, il accompagne ses parents à Jérusalem
pour la Pâque. Pendant sa vie publique, il continue d’aller à la
synagogue le jour du sabbat.
Dans ses paraboles, il emploie des images tirées de l’expérience de
ses auditeurs, celle du berger, de sa bergerie et de son troupeau, celle du
cultivateur, des semailles et de la récolte, celle du vigneron, de la vigne
et de ses ouvriers. Il compare le Royaume des Cieux à un festin de noces
royales.
Ses miracles renvoient à sa mission de réconciliation de l’humanité
avec Dieu ; pour les Juifs, des maladies, des infirmités graves, comme la

60
Colonisation et Cultures

folie, la lèpre, la cécité sont considérées comme une punition de Dieu :


qui donc a péché pour qu’il soit né ainsi ? (Jean 9) ; dans ce cas précis, le
Christ affirme clairement : « ni lui ni ses parents n’ont péché, mais c’est pour
qu’en lui se manifestent les œuvres de Dieu » (v. 3) ; et il ajoute « Je suis la
lumière du monde ». Au paralysé, il déclare : « Mon fils, tes péchés te sont
remis » ; les assistants s’étonnant qu’un homme puisse comme Dieu
remettre les péchés, il leur répond : il faut « que vous sachiez que sur cette
terre le Fils de l’homme a le pouvoir de remettre les péchés », et il ordonne à
l’homme de se lever, de pendre son grabat et de rentrer chez lui ; ce qu’il
fait.
Alors que chez les Juifs, comme en Afrique, une femme inféconde
est l’objet d’insultes, de moqueries, le nom donné à Jean, le fils
d’Élisabeth et de Zacharie signifie « Dieu fait grâce » et il répond aux
réflexions des voisins qui déclarent que Dieu a manifesté sa miséricorde
envers Élisabeth (Lc 1, 57).
La richesse matérielle est de même considérée comme une
récompense que Dieu accorde aux justes. C’est le problème de Job,
l’homme riche, qui du jour au lendemain perd tous ses biens et qui, face
aux réflexions de ses amis qui l’accusent d’avoir péché, se défend en
criant sa totale innocence ; mais pour lui et son époque, le problème reste
entier, il ne sait pas d’où lui viennent ses malheurs : il est aveugle. Le
Christ ne répond pas à ce sujet ; mais il a des paroles très dures en
maudissant les riches qui se vantent de leurs richesses ; à l’opposé il loue la
pauvre veuve qui dans le tronc du Temple dépose tout ce qu’elle a pour
vivre tandis que l’homme riche se contente de son superflu.
Il se démarque de la loi du sabbat en guérissant ce jour-là. À la
Samaritaine, il déclare aussi : ce n’est plus sur cette colline ou à Jérusalem
que vous adorerez le Seigneur (Jn 4, 20). Or Jérusalem, c’est par excellence
la ville sainte du peuple choisi.
Plus encore, il choisit la fête de la Pâque pour mourir et ressusciter.
Pâque, mémorial du passage de Dieu qui fait disparaitre les premiers-
nés des Égyptiens, de la sortie d’Égypte avec la traversée de la Mer
Rouge qui anéantit l’armée du Pharaon, de l’errance de 40 ans dans le
désert, et de l’entrée finale dans la Terre Promise avec le passage du
Jourdain. Que de passages ! Le Christ à Pâque, passe de la vie terrestre à
la mort, puis avec la résurrection, de la mort à une Vie nouvelle et
éternelle.
Alors il dépasse la culture juive ; beaucoup déjà croyaient à une
résurrection : « je sais qu’il ressuscitera au dernier jour » confesse Marthe à
Jésus devant le tombeau de son frère, Lazare (Jean 11). Mais les Juifs

61
Mission en temps de crise

n’admettent pas la vision béatifique après la résurrection, car pour eux


Dieu est le Tout Autre et nulle personne humaine ne peut l’atteindre.
Le jour de la Pentecôte, l’Esprit-Saint fait saisir l’identité et la
fonction réelles du Christ qui vient non comme un chef qui rétablit la
royauté en Israël mais pour l’univers entier, royauté non matérielle, mais
spirituelle. De plus, les assistants entendent dans leur langue respective
la prédication des Apôtres ; cela signifie que cette parole s’adresse à
chaque culture de l’univers à travers sa propre langue. Il fallut du temps
aux auteurs du Nouveau Testament pour comprendre et assimiler ces
enseignements. Il en sera de même pour la circoncision, la manducation
de certains aliments, les relations avec les païens (cf. Actes chapitres 10
et 11, la visite de Pierre à un centurion romain, et 15, 1-35, les
controverses à Antioche et à Jérusalem).
Nous en arrivons maintenant au terme catholique d’inculturation,
créé vers 1975 ; il désigne la façon dont chaque communauté exprime sa
foi à partir de sa culture. Elle ne concerne pas seulement ceux qui
viennent de se convertir, mais tout chrétien qui doit constamment
s’interroger sur la manière dont il vit l’Évangile aujourd’hui. Elle
demande du temps ; une personne, un groupe, ne peut subitement
changer de regard sur ses valeurs, le sens de son existence, même s’il
admet le bien-fondé d’une évolution jugée positive. Il faut aussi compter
avec ceux qui refusent, parfois violemment, ces changements.
Voici quelques exemples d’inculturation. En liturgie, après le
concile Vatican II, par l’introduction des langues et musiques locales, les
fidèles n’assistent plus mais expriment ensemble leur foi. Pour l’Afrique,
il faut ajouter la danse, et à l’Offertoire l’offrande des produits du terroir.
Pour la catéchèse, Mgr Parisot, vicaire apostolique de Ouidah
préconisait en 1956 de l’axer « sur l’Évangile et sur la lumineuse,
transcendante et attrayante figure de Jésus » . Mais il y a mieux : le père Paul
Quillet, présentant l’abbé Jacques Bio Tané qui s’inspire des techniques
des griots, écrit :
« J’ai assisté plusieurs fois aux sessions de griots que l’abbé Bio Tané
rassemblait. (Il) expliquait l’Évangile en bariba et invitait chacun à exprimer
selon son art ce qu’il avait entendu. Il retenait les plus belles interprétations

8 P. H. DUPUIS, Monseigneur Louis Parisot (1885-1960), Imprimerie Notre-Dame,

1985, 89.

62
Colonisation et Cultures

pour étoffer les émissions religieuses qu’il animait à la radio. Ces émissions
étaient très suivies par les Bariba et les touchaient profondément » 9.
« C’est à sa suite que les confrères sma ont continué à organiser les
sessions de griots… sur les thèmes de la naissance de Jésus, ses paraboles, ses
miracles, la passion et la résurrection … Nous suivions sa méthode pour
expliquer l’Évangile. Nous allions dans (des) villages faire une veillée sur le
thème travaillé. C’étaient des moments intenses d’évangélisation où les gens
semblaient communier pleinement, car c’était dans leur culture et dans leur
langue ».
Excellent exemple d’inculturation de méthode catéchétique, initiée
par un Africain, adoptée par des Européens, pour le bonheur des
auditeurs, qui mémorisent le texte, le méditent, le ruminent, diraient
certains.
Comme sujets de catéchèse, notons les très importants rapports
sociaux : se considérer comme frères (et sœurs), quelle que soit la race,
l’origine. Cela débouche au Bénin sur la création d’associations de
réflexion et d’action comme le CPVCM (Chrétiens pour changer le
monde), fondé à Cotonou par Albert Gandonou, ou de centres de soins
de santé mentale, comme l’Association Saint Camille de Grégoire
Ahongbonon.
Et encore, l’eschatologie et la connaissance de Dieu, du Christ et de
l’au-delà. Parmi les noms de naissance en langue gun à Porto-Novo
(Bénin), j’ai trouvé le nom Mêyisêxue qui signifie « Qui est allé à la maison
de Dieu ? », pour dire que personne n’en est revenu après son décès pour
nous le décrire. Pour moi, cela fait écho à cette déclaration du Christ à
Nicodème (Jn 8, 13) :
Nul n’est monté au ciel
hormis celui qui est descendu du ciel,
le Fils de l’homme qui est au ciel.
C’est là que nous connaitrons Dieu totalement dans un face à face
éternel. Quant à une sagesse universelle, il faut se référer à Saint Paul (1
Cor 1, 17-25).

9 Jacques Bio Tanné, premier prêtre Bariba, ordonné en 1963, décédé le

11.07.2020, Cf. Le Lien, Lyon 9 (2020).

63
Mission en temps de crise

Conclusion : le sens de l’Histoire


Certains ont la nostalgie d’un bon vieux temps, où l’Occident
cherchait à imposer son mode de vie à l’univers. Ce temps est révolu ;
depuis, bien des pays ont accédé à davantage de bien-être, de
connaissances, de techniques diverses. Ils sont capables de se diriger par
eux-mêmes, de participer à la direction d’institutions internationales,
civiles ou religieuses.
Beaucoup de ces anciens colonisés ont migré chez nous, souvent
pour répondre à nos besoins, il convient alors de les accueillir avec
bienveillance et d’apprendre à travailler ensemble. Ils ont acquis des
éléments de notre culture, mais en gardant bien des aspects de leurs
coutumes et ils entendent qu’ils en soient respectés. Il est possible à notre
tour de les découvrir ; à Paris, on peut visiter le Musée du Quai Branly ; la
Société des Africanistes propose conférences, comptes-rendus d’ouvrages,
projections de films. À Nantes, le Muvacan 10 organise des expositions
itinérantes et la Maison de l’Afrique des cours d’apprentissage aux
langues africaines. À Lyon, les Missions Africaines ont créé le Carrefour
des Cultures Africaines dirigé par un Africain. Ce ne sont que quelques
exemples.
Nous vivons maintenant une inéluctable révolution qui s’accélère
depuis quelques décennies. On s’oriente vers une humanité à la fois une
et diverse, où l’on dépend les uns des autres. Se découvrir pour se mieux
connaître, s’estimer et avancer ensemble pacifiquement est une nécessité
qui vaut pour la société civile et pour l’Église.

10 Muvacan : Musée Virtuel des Arts et Civilisations d’Afrique à Nantes.

64
Notre

65
COVID-19 et Redécouverte du
Ministère de Gardiennage

François de Paul Houngue sma

Lorsqu’au début du mois de mars 2020 l’Italie a commencé á


compter ses morts par centaines pour cause de covid-19, lorsque
d’autres pays de l’Occident ont malheureusement emboité le pas à
l’Italie, le monde entier a enfin compris que la couronne du virus SARS-
COV-2, agent de la covid-19 n’est pas seulement réservée aux têtes
chinoises ou iraniennes ou encore à une certaine catégorie de personnes.
Comme une trainée de poudre, la covid-19 s’est répandue sur toute la
planète. L’OMS n’avait pas d’autre option que de déclarer COVID-19
comme une pandémie. En douze mois, ses victimes se comptent par
centaines de milliers. La barre du million de morts a été franchie. Même
si les spéculations vont bon train quant aux efforts qui sont faits pour
juguler la crise, le bout du tunnel n’est pas pour demain, ni pour après-
demain. Bien malin qui pourrait entrevoir pour bientôt la victoire sur ce
fléau planétaire. Selon les prévisions même les plus optimistes, malgré
la demi-douzaine de vaccins disponibles actuellement, il serait illusoire
de présager la fin de cette pandémie pour bientôt. À en croire les
scientifiques et les politiques, rien pour le moment n’augure une
éradication complète de cette maladie. « Nous allons devoir apprendre
á vivre avec le virus SARS-COV-2 encore pendant longtemps. » : c’est la
phrase sur laquelle les experts s’accordent maintenant.

67
Mission en temps de crise

S’il est vrai qu’il parait trop tôt pour tirer les conséquences de cette
pandémie, il n’en demeure pas moins que nous réfléchissions pour tirer
quelques leçons. Toute crise, fut-elle une pandémie, même si elle est
dangereuse, ouvre toujours un vaste champ d’opportunités. COVID-19
n’est pas une exception. De notre point de vue, on peut saisir cette
situation pour revivre deux dimensions essentielles de notre ministère
en tant que missionnaires.

Gardiens des mystères de Dieu


« Que l’on nous regarde donc comme des auxiliaires du Christ et des
intendants des mystères de Dieu » (1 Cor. 4).
Il n’est pas opportun d’étaler ici une liste des maux qui minent notre
société. Il est tout de même impérieux de noter combien avec rapidité et
acuité la société contemporaine devient de plus en plus matérialiste,
consumériste et très peu éprise de Dieu. Ne nous leurrons pas, notre
monde connait une vraie crise de la foi. Une peur de Dieu ou une
indifférence vis-à-vis de Dieu sévit dans le cœur de l’homme
contemporain. La foi qui consiste à se laisser guider par Dieu et sa Parole
semble relever d’un passé lointain. La raison et les idéologies fondées
sur l’absolutisme humain ou un "humanisme athée" prennent
possession de tout l’agir humain. Les conséquences de ce choix ne se font
pas attendre. Cette pandémie, ne serait-elle pas une des conséquences
inévitables de notre façon de concevoir une vie sans Dieu ? La question
vaut la peine d’être posée.
Que constatons-nous avec cette pandémie ? Nous constatons
amèrement que nos certitudes fondées sur les sciences et nos idéologies
volent en éclat. Les verrous de nos systèmes sanitaires sautent. Notre
vulnérabilité est mise á nu ; notre prétention à dominer le monde,
comme un château de carte s’écroule. Un petit virus nous oblige à nous
terrer, assommés par la peur, la peur de la mort. Le Pape François lors
de son message sur la pandémie en mars 2020 dépeint en ces mots la
vulnérabilité humaine ainsi mise á nu : elle (la pandémie) « démasque
notre vulnérabilit et révèle ces sécurités, fausses et superflues, avec
lesquelles nous avons construit nos agendas, nos projets, nos habitudes
et priorités. Elle nous démontre comment nous avons laissé endormi et

68
Redécouverte du Ministère de Gardiennage

abandonné ce qui alimente, soutient et donne force à notre vie ainsi qu’à
notre communaut » 1.
Alors que nous reste-t-il sinon la seule certitude qui vaille, Dieu.
Que nous reste-t-il sinon crier vers Celui qui peut tout ? « Maitre, nous
périssons ; cela ne te fait rien ? » Tel est le cri que les apôtres laissent
jaillir de leur cœur vers Jésus qui est dans la même barque qu’eux,
dormant á l’arrière. Pris dans la tempête alors qu’ils passaient á l’autre
rive, les disciples de Jésus, fins connaisseurs de la mer, pensent s’en
sortir seuls. Mais leurs connaissances seules les emmènent tout droit
dans le gouffre de la mer et ils le savent. Ils vont périr. Un seul recours
leur reste : crier vers le Maitre. Ce qu’ils font lorsqu’ils se rendent compte
de leurs limites.
Comme la tempête, cette pandémie nous met à nu et le constat amer
mais salutaire se fait : l’homme n’est pas la mesure de toute chose.
« L’homme n’est pas un absolu, comme si le moi pouvait s’isoler et se
comporter selon sa propre volonté. Nous sommes des créatures et donc
dépendants du Créateur » 2. Il nous reste à faire un retour et un recours á
notre source. Cette source d’énergie qui nous alimente et nous revigore
n’est autre que le Dieu de Jésus-Christ. Il est plus que jamais nécessaire
que, les messagers de Dieu que nous sommes, nous soyons á l’avant-
garde du mouvement de reconnexion sur cette source d’énergie
intarissable. La crise de la pandémie donne cette opportunité.

Gardiens les uns des autres parce que ‘tous frères’


Une pandémie peut engendrer un mouvement de "sauve-qui-peut".
Dans un tel mouvement, la raison déserte le forum humain et l’instinct
grégaire s’installe, débouchant sur une situation de panique généralisée.
À la faveur de cette pandémie, « le maquillage des stéréotypes avec
lequel nous cachions nos "ego" toujours préoccupés de leur image »
tombe. 3 Mais notre naturel revient toujours au galop et nous rattrape : le
sens d’être interconnectés et gardiens les uns des autres. La personne
humaine est un nœud de connexions. La même sève vitale nous relie les
uns aux autres. La pandémie de la maladie à coronavirus met en exergue
cette interconnexion.

1 PAPE FRANÇOIS, Moment Extraordinaire de Prière en Temps de Pandémie, 27 Mars


2020.
2 N. Diat – R. Sarah, Le soir approche et déjà le jour baisse, Pluriel 2020, 192.

3 PAPE FRANÇOIS, Moment Extraordinaire de Prière en Temps de Pandémie, 27 Mars

2020.

69
Mission en temps de crise

COVID-19 est une nième pandémie dans l’histoire de l’humanité.


Elle ne sera malheureusement pas la dernière. Et des pandémies, des
guerres, la SMA en a connu qui ont marqué son histoire depuis les
origines. Ces temps de crise (pandémies, guerres…) ont souvent été des
terreaux qui ont fait germer des semences de la parole jetée en terre par
les missionnaires. Pendant les temps de crise, les missionnaires SMA se
sont illustrés et ont démontré leur capacité à œuvrer pour le bien des
personnes et des peuples au milieu desquels ils vivaient. À aucun
moment, de manière expresse, des pandémies ou des guerres n’ont
empêché les missionnaires SMA de travailler pour que la sève vitale en
chaque être humain puisse circuler en tous.
Mgr de Marion Brésillac et ses compagnons, les premiers SMA
ayant débarqué sur les côtes Africaines de Freetown, ont été très tôt
emportés par une épidémie de la fièvre jaune qui sévissait en Sierra
Léone. Grâce à la ténacité et l’audace du Père Planque, le navire SMA, á
peine lancé en mer, n’a pas chaviré. Malgré les vents violents contraires
des pandémies, des guerres … les missionnaires SMA n’ont jamais cessé,
et de manière responsable et héroïque, de porter le souci du bien-être
des peuples vers qui ils sont envoyés et du bien-être de leur confrères.
Des exemples d’héroïsme ne relèvent pas seulement d’un passé
lointain. Ils se sont conjugués aussi au passé très récent et se conjuguent
encore au présent. Je n’en veux pour preuve que la décision prise par les
confrères, en majorité jeunes, de rester au Liberia en pleine guerre civile.
En plein pandémie de la maladie à virus d’Ébola, tous les jeunes
confrères en poste au Liberia et en Sierra Leone ont volontairement pris
l’option de rester aux côtés de la population déroutée au milieu de
laquelle ils vivaient. Leur présence était bien active ; de manière
responsable et, motivés par l’Évangile dont ils sont les hérauts vaillants,
ils ont usé de tous les moyens même au risque de leur vie pour prêter
assistance aux nécessiteux. Ils avaient donné un témoignage éloquent
qui a laissé des marques indélébiles dans les annales de l’histoire de ces
deux pays. En 2018, lors de sa visite en Sierra Leone et au Liberia, l’un
des membres du Conseil Général d’alors a entendu plusieurs fois de la
bouche de nombreux chrétiens rencontrés, le récit des témoignages
d’amour fraternel donnés par les missionnaires SMA. « Ceux-là nous
aiment vraiment, disaient-ils des missionnaires SMA. Leur présence au
milieu de nous et leur assistance inconditionnelle pendant la crise de la
maladie à virus Ébola ont parlé plus fort que les homélies dominicales
dans les églises. »

70
Redécouverte du Ministère de Gardiennage

Les temps de crise ou de pandémie offrent l’opportunité de


témoigner pour retrouver ce que la nature humaine á tendance á perdre :
l’homme est un nœud de relations. Ce tissu de relations nous rend
dépendants les uns des autres. De même que tout geste irresponsable
d’un individu peut faire perdre des vies humaines, de même tout geste
bon et responsable d’un individu peut sauver beaucoup de vies.
En ce temps de pandémie, l’heure n’est donc pas au "sauve-qui-
peut" ; l’heure n’est pas à l’enfermement. C’est plutôt l’heure pour
chacun de dire "je suis le gardien de mon frère" et de poser des gestes
qui protègent l’autre et le sauve. Cette pandémie nous frappe ensemble ;
ensemble nous nous en sortirons.
« Comme les disciples de l’Évangile, continue le Pape François,
nous avons ét pris au dépourvu par une tempête inattendue et furieuse.
Nous nous rendons compte que nous nous trouvons dans la même
barque, tous fragiles et désorientés, mais en même temps tous
importants et nécessaires, tous appelés à ramer ensemble, tous ayant
besoin de nous réconforter mutuellement. Dans cette barque nous nous
trouvons tous. Comme ces disciples qui parlent d’une seule voix et dans
l’angoisse disent : "Nous sommes perdus" (v. 38), nous aussi, nous nous
apercevons que nous ne pouvons pas aller de l’avant chacun tout seul,
mais seulement ensemble » 4.
En somme, l’auxiliaire du Christ a le rôle primordial, plus encore
en temps de crise, de rappeler au genre humain sa source qui n’est qu’en
Dieu. Saint Augustin ne dit-il pas que "notre cœur est sans repos tant
qu’il ne demeure pas en Dieu" ? L’auxiliaire du Christ doit sans cesse
rappeler la vocation de l’humanité : aimer l’autre comme son frère, sa
sœur. En d’autres termes, le missionnaire a le devoir de mettre au centre
de son prêche cette double connexion qui caractérise le genre humain :
la connexion à l’autre (le prochain) et la connexion au Tout-Autre (Dieu).
Qu’il soit permis de faire encore écho ici certains propos du Pape
François dans la lettre apostolique Patris corde. Après de longues
réflexions sur la situation de pandémie, le Pape a trouvé juste de lançer
l’année de Saint Joseph qui court du 8 décembre 2020 au 8 décembre
2021. Joseph est doublement "custos" : « Redemptoris custos » et « Ecclesiae
custos ». Il a veillé sur Marie et son Fils Jésus. L’Église étant le "corps
mystique" du Christ, « Joseph ne peut pas ne pas être le Gardien de
l’Église » 5 puisqu’il s’est toujours occupé de Jésus. En ce temps de

4 Ibidem.
5 PAPE FRANÇOIS, Lettre Apostolique Patris corde (8 Décembre 2020), n. 5.

71
Mission en temps de crise

pandémie de la COVID-19, tout chrétien en général et tout missionnaire


en particulier doit s’inspirer du rôle joué par Saint Joseph pour aider
l’humanité à redécouvrir sa Source et sa vocation. COVID donne à tout
messager de la Bonne Nouvelle, à l’instar de Saint Joseph, l’opportunité
d’être doublement "custos" : « gardien des mystères de Dieu » et
« gardien de son frère ».

72
Résilience

James Kulwa Shimbala sma

« Quand tout devient dur, seuls les durs avancent ! »

I. Le phénomène de la résilience
Cet article porte sur la résistance, la capacité à rebondir après avoir
traversé des difficultés qui auraient pu briser une personne. Il est
également question de s'épanouir, non seulement en dépit des difficultés
que nous rencontrons, mais aussi et surtout grâce à elles.
Si vous jetez un œuf au sol, il se cassera ; mais si vous lancez une
balle de tennis sur le même sol, elle rebondit ; plus fort vous la lancez,
plus haut elle rebondira. La balle de tennis est un symbole de la
résilience : les hommes rebondissent à la vie et se portent bien, ou même
s'épanouissent après avoir vécu des événements traumatisants.
Un exemple de personne résiliente est Sainte Joséphine Bakhita.
Elle a vécu de nombreux événements potentiellement traumatisants
comme le fait d'être enlevée de chez elle par des étrangers, d'être
violemment battue et d’être délibérément scarifiée (elle avait 114
incisions délibérément faites par sa maîtresse). Compte tenu des
événements traumatisants qu'elle a vécus, certains psychologues
estimaient que Bakhita aurait dû être psychologiquement effondrée.
Mais au contraire, Bakhita était non seulement bien portante, elle a
apporté le réconfort et la guérison à de nombreuses personnes grâce à sa
présence attentive.

73
Mission en temps de crise

Les événements qui peuvent potentiellement nous briser


aujourd'hui sont nombreux : les enlèvements, la COVID-19 avec les défis
qui l'accompagnent (comme l'isolement, les pertes financières et le
stress), l’excès de travail dû à la pénurie de personnel, la guerre...
Beaucoup de personnes, lorsqu'elles sont confrontées à des
difficultés, accourent vers les leaders religieux, comme les missionnaires.
Ces personnes supposent que les missionnaires sont suffisamment
aguerris pour faire face aux difficultés de leur vie, mais aussi capables
de supporter les difficultés qu'on leur présente.
Le ministère d'entraide, comme celui de l’écoute et de l’assistance
aux personnes traumatisées a été associé à la fragilité de celui l’assistant
en raison du poids des problèmes des autres. C'est ce que l'on appelle le
traumatisme vicariant.
Nous voudrions que nos missionnaires soient résilients pour qu'ils
ne soient pas brisés par leurs propres expériences douloureuses, mais
qu'ils soient suffisamment sains pour soutenir les gens, sans pour autant
être submergés. En plus de leur soutien, les missionnaires résilients
croissent, s'épanouissent et prospèrent malgré l'événement
traumatisant. Ils deviennent des missionnaires plus sages, plus saints et
plus féconds.
Après avoir décrit brièvement les défis qui peuvent nous fragiliser,
et auxquels nous devons être capables de résister, cet article se
concentrera sur les moyens de renforcer la résilience.

II. Les défis auxquels nous devons faire face et pour


lesquels nous devons être résilients
1. Le stress
Un prêtre missionnaire a éclaté en colère lorsque le catéchiste a posé
une question pour obtenir des éclaircissements. La question en elle-
même n'était pas injurieuse, mais c'était la goutte d'eau de trop, celle qui
a fait déborder le vase. Le missionnaire était fatigué et poussé au
maximum de ses capacités par l’excès de travail et d'exigences.
Le stress peut se manifester par des céphalées, de l'irritabilité, des
problèmes d'estomac, de la fatigue, de la confusion, un manque de
concentration, qui ne sont pas expliqués par d'autres causes biologiques.
Le stress est une réaction normale de notre corps et de notre esprit qui
sont poussés au-delà de nos zones de confort. Il peut survenir lorsque
nous sommes submergés par le travail, lorsque nous avons des émotions

74
Résilience

fortes qui nous dépassent, lorsque nous devons faire face à une tâche
pour laquelle nous sentons nos compétences et nos ressources
insuffisantes.
Une vision négative de la situation ou même du stress lui-même
tend à en aggraver les signes et les symptômes.

2. L'épuisement professionnel.
L'épuisement est symbolisé par une pile qui s'est déchargée et donc
inutilisable. Il se caractérise par une fatigue constante, le découragement,
la déception, l’amenuisement de la motivation. Il existe souvent des
maladies physiques causées par la tension émotionnelle, les problèmes
de sommeil, la frustration, la confusion, le cynisme, l'apathie, les piètres
performances et le sentiment de manque d'accomplissement. Les
missionnaires exténués peuvent se sentir malades de la mission.

3. Syndrome de stress post-traumatique (SSPT)


Les signes et symptômes du traumatisme sont diagnostiqués un
mois ou plus après l'événement traumatisant. Ils sont classés en quatre
grandes catégories :
Revivre l'événement traumatique en termes de cauchemars, ou
même lorsque l'on perçoit quelque chose qui rappelle l'événement
traumatisant.
Des sentiments très forts. Le fait de revivre l'événement provoque
des sentiments forts. Par exemple, la colère est vécue comme une rage,
la peur comme une terreur, la tristesse comme une dépression. Certaines
personnes anesthésient leurs sentiments en prenant des substances
fortement addictives ou en les mettant en scène (comme des cris, de la
violence...).
La tendance à éviter les souvenirs. Par exemple, un homme peut
éviter de regarder des feux d'artifice dont les détonations lui rappellent
un vol à main armée avec des coups de feu qui l'ont traumatisé.
Être trop vigilant. Les personnes souffrant de SSPT peuvent être
trop vigilantes, pour éviter d'être à nouveau prises dans un éventuel
événement traumatisant. Cela peut signifier ne pas bien dormir la nuit,
et ne pas pouvoir se concentrer à l'école ou dans les études. Cette
vigilance entraîne d'autres problèmes de santé et de travail.
Des exemples d'événements traumatisants peuvent être des
accidents, des abus, de la violence, des vols, des incendies, des
tremblements de terre, des inondations.

75
Mission en temps de crise

4. Le chagrin dû à une perte


Le chagrin est un ensemble de sentiments intenses et douloureux
associés à la perte d'une personne, d'un statut, d'un lieu, d'un objet qui
était considéré comme très important.
Elizabeth Kubler Ross a remarqué que le chagrin fait partie d'un
processus qu'elle appelle le deuil, qui peut impliquer au moins certaines
des expériences suivantes : le choc, le déni, la colère, la culpabilité, la
tentative de trouver des solutions au problème même s'il a atteint un
point de non-retour, la tristesse, le larmoiement, accepter et poursuivre
sa vie après s’être ajusté à la nouvelle réalité de la perte.
Sans résilience, le chagrin peut conduire à la dépression, au
désespoir, au découragement, voire à des troubles physiques.

5. Conflit malsain dans les relations importantes.


Parmi les actes conflictuels malsains les plus stressants, on trouve
le fait de blâmer, de critiquer, de harceler, de menacer, de se venger, de
juger, de condamner, de prendre des positions antagonistes contre les
autres et de se plaindre.
Nous devons faire preuve de résilience afin de vivre des conflits
relationnels douloureux et pouvoir les transformer en quelque chose
d'utile.

III. Forger la résilience


Les humains sont des êtres rationnels, mais ne se réduisent pas
seulement à cette dimension : nous sommes aussi des êtres physiques,
spirituels, émotionnels et relationnels. La résilience totale doit inclure
toutes ces dimensions.

3.1. La résilience par le soin du corps


Pendant longtemps, les psychologues ont cru que le traumatisme
était avant tout un problème psychologique. Aujourd'hui, Peter Levine
et d'autres experts ont prouvé que le traumatisme est avant tout
corporel. Prendre soin de son corps est essentiel pour développer la
résilience face à un traumatisme. Voyons voir comment on peut y
parvenir.

76
Résilience

3.1.1. Libération naturelle de la tension.


Peter Levine 1 nous conseille de guérir les traumatismes en suivant
les indications du corps. Le corps est tendu lorsque nous avons des
émotions fortes en temps de problème. La tension est l'énergie déployée
pour nous permettre de nous battre, de fuir ou de rester figé 2. Cette
énergie ne disparaît pas une fois le danger passé, elle doit être évacuée
du corps. Le processus naturel est souvent sous forme de tremblements.
Sans ce tremblement, nous pouvons développer un syndrome de stress
post-traumatique.
Voici quelques exercices pour évacuer l'énergie refoulée.
Exercices de libération de la tension (traumatisme) (TRE) 3
Exercices . Je recommande les exercices Pal Dan Gum 4, les

1 P. LEVINE-HEALING, Trauma, Full Audiobook,


https://www.youtube.com/watch?v=PEf9KI4SWM8&t=236s
(Page consultée le 2 Mars 2021).
2 En restant figé, nous sommes paralysés de sorte que nous ne sommes plus une

menace pour notre ennemi et qu'il peut nous laisser tranquilles puisque nous ne
bougeons pas. Rester figé peut également nous aider à nous engourdir ou même
à nous évanouir émotionnellement, afin que nous ne ressentions pas la douleur
émotionnelle de l'événement traumatisant. Dans ce cas, nous pouvons continuer
à survivre, ou même à sauver d'autres personnes. De nombreuses personnes qui
restent figées émotionnellement ne semblent pas être affectées par des émotions
qui affecteraient la plupart des autres personnes. Par exemple, une personne
torturée peut avoir le visage vide et sans expression.
3 Il s'agit d'une série d'exercices que l'on peut faire à la maison. Ils sont

spécifiquement conçus pour libérer les tensions qui peuvent avoir été
emprisonnées dans le corps à la suite d'un traumatisme. Il permet de traiter un
traumatisme sans même avoir à en parler. Bien qu'il soit possible de le faire seul
à la maison, il est conseillé de suivre au moins une formation avec une personne
qui sait comment le faciliter. Vous pourrez ensuite le faire vous-même plus tard,
Cf GLOBAL LEADERSHIP TEAM, Tension & Trauma Releasing Exercises,
https://traumaprevention.com/ (Page consultée le 2 Mars 2021).
4 P. DAL GUM, Capacitar international,

https://www.youtube.com/watch?v=8CFszXEMlHQ (Page consultée le 2 Mars


2021).

77
Mission en temps de crise

prises de doigts 5, l'EFT 6, et d'autres dans le kit d'urgence 7. J'aurais


besoin de plus d’avis théologique et spirituel avant de recommander
certains de leurs exercices comme le tai-chi 8.
3.1.2. Détente musculaire progressive :
Nous suggérons la relaxation en tendant et en relâchant les
différents muscles du corps.
3.1.3. Exercices physiques
Les exercices physiques libèrent non seulement la tension de notre
corps, mais ils nous aident également à sécréter de la sérotonine, une
substance chimique dans notre cerveau qui nous donne du bien-être.
Nous devrions faire au moins 30 minutes d'exercices quatre fois par
semaine.

3.2. La résilience par la spiritualité


Jésus appelle ceux d'entre nous qui sont accablés [stressés,
traumatisés...] à venir à lui et il nous donnera du repos (Mt 11,28-30).
Réfléchissons à la façon dont la religion et la spiritualité sont des facteurs
de résilience.

3.2.1. Signification
Une icône de la résilience par le discernement du sens de la vie ou
de la souffrance est Victor Frankl, un survivant des camps de
concentration. D'après sa propre expérience et en observant les autres, il
a découvert que les gens étaient plus résistants, même aux traitements

5 IDEM, Capacitar international. Fingerholds to manage emotions,


https://www.youtube.com/watch?v=zC7PSJSoCwI
(Page consultée le 2 Mars 2021).
6 IDEM, Capacitar international. Emotional freedom tapping,

https://www.youtube.com/watch?v=_92rfEmXKjA
(Page consultée le 2 Mars 2021).
7 L. CHAMBERLAIN, Capacitar. Emergency tool kit training,

https://www.youtube.com/watch?v=nYepPQwtFds&t=57s
(Page consultée le 2 Mars 2021) ; un document PDF peut être téléchargé de
https://capacitar.org/wp-content/uploads/2020/06/English-EmKit.pdf
8 P. DAL GUM, Capacitar international. Tai chi,

https://www.youtube.com/watch?v=r8QgW7-xXxg (
Page consultée le 2 Mars 2021).
9 HUMAN PERFORMANCE RESOURCES, https://www.hprc-online.org/social-

fitness/family-optimization/progressive-muscle-relaxation-mind-body-
performance-strategy (Page consultée le 2 Mars 2021).

78
Résilience

les plus durs, s'ils avaient une raison de continuer à vivre, un sens à leur
vie. Pour cette raison, Victor avait lui-même un manuscrit qu'il
souhaitait voir publier.
Le sens qu’apporte la résilience doit être plus grand que notre moi
individuel, il doit être positif (pas contre, mais pour, lui). Le sens le plus
grand de la vie se trouve en Dieu et dans son Royaume. Saint Ignace
nous dit que nous sommes créés pour louer, vénérer et honorer Dieu.
Des personnes comme Paul et Jésus définissent même leur identité et
leur but dans la vie en termes de faire la volonté de Dieu. Paul dit que
pour lui, vivre ou mourir, c'est le Christ.
Victor dit que lorsque nous rencontrons la souffrance, nous devons
lui donner un sens : "D'une certaine manière, la souffrance cesse d'être
une souffrance au moment où elle trouve un sens, comme la signification
d'un sacrifice". Il exprime cela par une image : « Ce qui doit donner de
la lumière doit supporter la consumation » Nous voyons souvent cela
chez les martyrs. Ils donnent à leur injuste torture un sens de « martyre »
ou de « témoignage d'amour et de foi en Dieu », et donc ils le supportent
assez bien.
3.2.2. Méditer / contempler consciemment.
Être présent dans l'immédiat, ici et maintenant, corps et esprit,
apporte le calme. Les prières spirituelles et religieuses offrent de bonnes
occasions de se concentrer sur Dieu et sur sa Parole.
3.2.3. Rituels et sacrements
Lorsqu'ils sont célébrés avec foi, les rituels et les sacrements nous
prouvent qu'un état souhaité a été atteint. La confession soulage les
sentiments de culpabilité qui sont courants dans le deuil dû à une perte.
Le sacrement des malades apporte la guérison et la résilience.
3.2.4. Ancrage sur une base plus profonde et solide.
Jésus nous dit que si nous construisons notre vie sur le fondement
le plus profond qu’est sa parole, alors nous serons solidement stables
même lorsque les vents et les tempêtes du traumatisme se déchaîneront
contre nous.
3.2.5. Embrasser la croix
Job a accepté la condition humaine selon laquelle il est né et mourra
nu, et il n'exigera donc pas d’être toujours riche et en bonne santé. Cette
acceptation du potentiel humain face à la pauvreté, la maladie, la
douleur... l'a rendu résiliant. Lorsque nous embrasserons notre croix,
nous n'aurons qu'une seule douleur à supporter, celle qui est inévitable
et qui provient de la condition humaine, comme le deuil. Lorsque nous
refusons la croix, nous souffrons de deux choses : le ressentiment à

79
Mission en temps de crise

l'égard de notre deuil et le deuil lui-même. Nous pouvons donc


développer notre résilience dans différentes manières.
3.2.6. Indulgeant.
Une grande partie de la guérison passe par l'abandon du poison du
ressentiment. Une fois le poison évacué, nous pouvons être
suffisamment en bonne santé pour être résilients. Jésus nous enseigne
cela en pardonnant même aux personnes qui lui infligeaient une mort
injuste et cruelle.

3.3. La résilience par la gestion des sentiments


Lors des événements traumatisants, les gens éprouvent souvent des
sentiments forts et douloureux comme la peur, l'anxiété, l'inquiétude et
la colère. Même si nous méprisons les sentiments et que nous voulons
les oublier, les sentiments sont une partie essentielle de notre vie. Ils sont
pour nous des messagers. Par exemple, la colère nous avertit que nos
valeurs, notre vie, nos biens, nos relations... sont peut-être en train d'être
violés et que nous devons donc les protéger. Les sentiments ne nous
quitteront pas sans qu'on leur ait assuré que nous avons entendu leur
message et que nous y avons donné suite. Ce dont nous avons besoin,
c'est de les gérer, et non de les enterrer. Si nous les refoulons, ils
reviendront comme des rebelles et ruineront notre vie et nos relations.
La colère réprimée revient et attaque le corps de la personne, entraînant
des maladies comme des problèmes cardiaques ou des ulcères
d'estomac. Elle peut également rendre la personne irritable, elle se
mettra en colère pour de mauvaises raisons, contre de mauvaises
personnes, avec une intensité inappropriée. Voyons comment nous
pouvons renforcer notre résilience en gérant nos sentiments.
3.3.1. L'intelligence émotionnelle
L'intelligence émotionnelle est la capacité à être conscient de nos
sentiments, à les nommer, à bien les gérer (au lieu de les laisser nous
contrôler dans l'impulsivité), à comprendre avec empathie les
sentiments des autres et à faire preuve de zèle dans ce que l'on fait.
Daniel Goleman, dans son livre « Emotional Intelligence », affirme que
l'intelligence émotionnelle nous rend plus résilients que l'intelligence
purement académique.
3.3.2. Gérer les sentiments forts
Le stress et les traumatismes ont tendance à provoquer des
sentiments forts comme la rage, la dépression, la peur et la terreur. Ces
sentiments doivent être calmés si nous voulons être résilients. L'un des
meilleurs moyens de calmer les sentiments forts est de faire des exercices

80
Résilience

de respiration 10. Les exercices de respiration consistent à respirer


profondément, consciemment et naturellement.
3.3.3. Partager sainement les expériences difficiles
Raconter ce qui s'est passé lors d'un événement traumatisant peut
être utile pour la guérison et la résilience, mais pas toujours. Il y a des
moments où raconter son histoire peut causer plus de mal que de bien.
Il y a trois choses à prendre en compte lorsque l'on raconte une histoire.
Premièrement, la personne qui doit raconter doit être prête et se
sentir en sécurité. Elle ne doit pas être obligée de raconter son histoire si
elle ne se sent pas prête et en sécurité pour le faire.
Deuxièmement, il faut créer des ressources internes chez le
survivant. Cela peut se faire en racontant en détail certains bons
moments de la vie où le survivant s’était bien senti, mais aussi aimé,
soutenu, protégé... Il est important de saisir les détails et les émotions de
ces moments. Les ressources spirituelles sont encore plus efficaces. Une
façon très importante de créer les ressources internes est de parler du
moment présent, du lieu et de la compagnie, qui sont plus sûrs que ceux
de l'événement traumatisant.
Troisièmement, il doit y avoir des limites claires autour de
l'événement traumatisant. Les événements traumatisants ont tendance à
donner l'impression que la vie ne concerne que le traumatisme, qu'il n'y
a rien d'autre. Notre société actuelle n'aide pas les survivants lorsqu'elle
les réduit à des victimes pauvres et psychologiquement blessées dont la
vie est à jamais fermée. Une écoute attentive devrait aider les survivants
à reconnaître que la vie était belle avant le traumatisme, et à identifier
un moment clé après que le pire de l'événement traumatique soit
raisonnablement passé. Cela permet ensuite de limiter le traumatisme
dans un temps et un espace spécifique. Elle définit les limites de
l'événement traumatique comme ayant un début et une fin.
3.3.4. Processus de deuil
Le deuil dû à une perte entraîne des sentiments que nous avons
décrits au point 1.4 ci-dessus. Le processus de deuil implique
délibérément le temps de la prise de conscience, de décrire, d'exprimer
(en y parlant à quelqu'un ou en écrivant) son expérience, ses sentiments,

10E. COBB, Breathing exercises,


https://www.youtube.com/watch?v=shryho_PqX8 ;
HRV, Resonant Breathing Exercise,
https://www.youtube.com/watch?v=DUbAHGPtNM4&lc=UggUUn5D1aYhDH
gCoAEC
(Page consultée le 2 Mars 2021).

81
Mission en temps de crise

ses pensées, ses actes, son imagination, ses souvenirs, ses styles
relationnels, ses effets sur la santé... à propos de la perte. Lorsque nous
prêtons attention à une expérience particulière de deuil, et que nous
l'exprimons de manière appropriée, cela change, faisant avancer le
processus de deuil, jusqu'à ce qu'il atteigne un point où il ne nous
empêche plus de fonctionner plus ou moins normalement.
Les moyens les plus courants de créer du temps pour le deuil
consistent à dire au revoir aux personnes dont nous nous séparons, à
demander ou à accorder le pardon, à exprimer sa gratitude, à exprimer
son amour, à assister aux funérailles ou à d'autres rituels liés au
processus de perte, à se rendre sur la tombe, à raconter l'histoire et à
exprimer ses sentiments face à la perte.

3.4. La résilience grâce au soutien social


Dieu dit qu'il n'est pas bon pour un être humain d'être seul. Adam
était plus heureux lorsqu'il a reçu une compagne. Même à l'âge adulte,
nous dépendons les uns des autres pour résister et prospérer. Voici
quelques moyens pour renforcer la résilience en recherchant et en
octroyant un soutien social.
3.4.1. Accompagnement
Il est très utile d'avoir quelqu'un avec qui nous pouvons parler de
nos sentiments, de notre expérience, de notre comportement... La
direction spirituelle, les conseils et la psychothérapie sont les moyens les
mieux adaptés pour nous écouter de la manière dont nous nous sentons
le mieux accompagnés dans le processus de renforcement de la
résilience. L'accompagnement des personnes est l'une des activités
pastorales les plus importantes du missionnaire. La formation à la vie
sacerdotale et missionnaire doit inclure des compétences en matière
d'accompagnement, et pas seulement en philosophie et en théologie.
L'accompagnement nous permet de mettre en pratique ce que nous
avons appris en théologie.
3.4.2. Initier/ rejoindre un groupe d'accompagnement
Les groupes de soutien sont composés de personnes qui
s'entraident pour faire face aux difficultés, grandir ou même s'épanouir
malgré les difficultés. Nos communautés doivent aider leurs membres à
devenir plus résilients.
3.4.3. Développer et exercer les compétences sociales
Les compétences sociales telles que saluer, remercier, s'excuser,
avoir de bonnes manières et suivre les règles de l'étiquette permettent
aux autres de nous soutenir plus facilement.

82
Résilience

3.4.4. Donner et recevoir de l'aide des autres


Grégoire Ahongbonon a souffert d'une maladie mentale après un
stress. Il a été soutenu par un missionnaire SMA jusqu'à son
rétablissement. Son état de santé s'est encore amélioré lorsqu'il a
commencé à aider les malades. Il a donc conçu une méthode de
traitement des maladies mentales où les patients reçoivent et donnent de
l'amour. Bien qu'il ne soit pas psychiatre, sa méthode a attiré l'attention
des psychiatres du monde entier qui l'appellent pour des conférences.
3.4.5. Une communication saine
Certaines personnes nous font du mal tout en ayant l'intention
d'être utiles. Une communication saine de nos sentiments, de nos
besoins et de nos pensées fait comprendre aux autres comment nous
aider au mieux.
Une communication saine qui renforce la résilience des parties
prenantes est non violente, ouverte, authentique, assertive, empathique,
aimante, sans jugement, et vise à informer plutôt qu'à culpabiliser
quelqu'un.

3.5. La résilience par une pensée saine


Une pensée malsaine, comme le catastrophisme 11, aggrave le stress
et les sentiments douloureux de traumatisme. Catastropher, c'est voir les
choses d'un point de vue exagérément négatif, en prédisant le pire. Elle
nous fait souffrir de catastrophes qui ne se sont pas encore produites, et
dont la probabilité de se produire est vraiment faible. Certains
catastrophistes peuvent mourir de COVID-19 avant même de le
contracter. Voici quelques moyens de développer notre résilience grâce
à une réflexion saine.

3.5.1. Restructuration de la pensée


Lorsque nous nous surprenons à penser négativement,
subjectivement ou illogiquement, nous devrions restructurer nos
pensées. Nous devrions viser une pensée saine, qui se caractérise par le
fait d'être objective, logique, positive et réaliste.

11 Outre les catastrophes, une liste d'autres pensées malsaines peut être obtenue
à l'adresse suivante : Checklist of cognitive distortions,
https://arfamiliesfirst.com/wp-content/uploads/2013/05/Cognitive-
Distortions.pdf
(Page consultée le 2 Mars 2021).
12 Ibidem.

83
Mission en temps de crise

3.5.2. Discernement appréciatif


Le discernement appréciatif nous aide à nous estimer heureux, en
remerciant Dieu pour ce qu'il nous reste, et nous permet d'être résilients,
sachant que nous avons encore des ressources pour nous aider à gérer
des situations potentiellement traumatisantes. Parmi les ressources les
plus importantes dont nous disposons, il y a la Vierge Marie, notre mère
qui intercède pour nous, même dans les cas impossibles. J'ai trouvé très
utile la neuvaine de Notre-Dame qui défait les nœuds 13.
Le discernement appréciatif nous permet également de poursuivre
un avenir meilleur rêvé, en nous donnant la résilience par l'espoir et
l'enthousiasme.
3.5.3. Comportement qui convainc l'esprit
Il y a des situations où il est bon de s'inquiéter, et même de tenir
compte de nos inquiétudes. Par exemple, lorsque notre ville est sur le
point d'être atteinte par des rebelles qui ont avancé progressivement. Les
inquiétudes sont comme les lumières du tableau de bord qui indiquent
les problèmes éventuels auxquels nous devons faire face. Refuser d'agir
sur des alertes de danger éventuellement réelles peut simplement rendre
l'inquiétude inconsciente, elle se transforme en une anxiété indéfinie, qui
nous épuise encore plus.
Une façon d'agir sur nos inquiétudes est de fabriquer un kit
portable d’état d’alerte de 72 heures. Il est fabriqué avant que le besoin
de fuir ou de se cacher ne se fasse sentir. Comme nous disposons du
matériel nécessaire, nous pouvons avoir l'esprit tranquille lorsque nous
savons que nous pouvons survivre même si nous devons fuir et nous
cacher jusqu'à ce que le danger soit raisonnablement écarté.
Un site officiel du gouvernement Canadien propose des conseils
détaillés et des exemples d'articles à inclure dans le kit 14. Incluez les
articles les plus essentiels comme des médicaments, de l'eau, une lampe
de poche et de la nourriture qui ne se gâte pas.

13 Pour le texte de la neuvaine, Cf


https://mariancentre.org.au/index.php?option=com_dropfiles&format=&task=fr
ontfile.download&catid=48&id=103&Itemid=1000000000000
(Page consultée le 2 Mars 2021).
14 GOVERNMENT OF CANADA, Your emergency preparedness guide,

www.getprepared.gc.ca; Cfr.
https://www.getprepared.gc.ca/cnt/rsrcs/pblctns/yprprdnssgd/yprprdnssgd-
eng.pdf
(Page consultée le 2 Mars 2021).

84
Résilience

Conclusion
La vie est douce, mais elle est souvent épicée par des expériences
amères et aigres. Nous savourons le goût riche de la vie lorsque nous la
prenons avec toutes ses saveurs. Lorsque nous rencontrons les
inévitables épices amères de la vie, nous devons être résilients, pour
pouvoir rebondir dans une vie plus pleine et meilleure, car "ce qui ne te
tue pas te rend fort". Pour être résilient, nous devons prendre soin de nos
pensées, de nos sentiments, de notre corps, de notre esprit et de nos
relations sociales.
Les missionnaires doivent être résilients non seulement pour eux-
mêmes, mais aussi pour mieux servir les personnes avec lesquelles ils
vivent et qu'ils servent.

85
Attention aux confrères : Le rôle
premier des supérieurs d’entité

François du Penhoat sma

Ce texte est le résultat de mon expérience avec ses échecs ou des


sentiments mitigés. J’ai souvent pris conscience à posteriori d’avoir
blessé l’un ou l’autre confrère par ma manière de faire ou de parler. J’ai,
aussi, souvent écouté des confrères et senti qu’ils gardaient un goût
amer, parfois avec un mal profond, à cause de la maladresse d’un
supérieur pour des faits qui ont pu se dérouler il y a longtemps.
Permettez-moi de commencer ce texte par l’éloge de Mgr de Marion
Brésillac fait par le P. Courdioux 1 : « Le fondateur était un homme si affable,
si ouvert, si engageant, qui savait nous enthousiasmer par les exposés sages,
pieux, qu’il nous faisait de ses projets, par la droiture et la franchise avec laquelle
il nous communiquait les bonnes et les fâcheuses nouvelles de notre chère œuvre.
Chacun sentait, pour humble qu’il fut parmi les siens, qu’il avait pourtant sa
part dans l’entreprise commune, qu’il appartenait à une famille dont les
membres mettaient en commun les espérances, les joies et les peines. Il nous
appelait souvent en particulier dans sa chambre, nous interrogeait, nous
encourageait ; en sortant d’auprès de ce cœur de père et d’apôtre, nous nous

1 Rapport confidentiel sur la Société des Missions africaines, présenté à S.E. Cardinal

Caverot, archevêque de Lyon, Avril 1878 in P. GANTLY, Histoire de la Société des


Missions Africaines (SMA) 1856-1907, Vol 1, Karthala 2009, p. 312.

87
Mission en temps de crise

sentions le désir et la force, pour la gloire de Dieu et le salut des hommes, de le


suivre partout aussi bien aux pôles qu’à l’équateur ».
Après un tel éloge et un tel modèle, on se demande ce qu’on peut
ajouter de plus. Il s’agira seulement de voir comment un responsable
d’entité sma peut vivre cet esprit aujourd’hui faisant en sorte que chaque
confrère donne le meilleur de lui-même 2.
Je commence donc par nous resituer dans l’aujourd’hui en voyant
le sens de la Mission sma aujourd’hui, puis je regarde comment les
supérieurs peuvent être attentifs aux confrères pour le bien de la Mission
et enfin, je termine par un regard sur la vie même des supérieurs…

I. Le contexte dans lequel nous nous situons


Poser les pièces du jeu avant d’aller plus loin
Je reprends là une expression de Sainte Thérèse d’Avila. Elle
expliquait à ses sœurs comment avancer dans la vie spirituelle et la
prière et, prenant le modèle du jeu d’échecs, elle disait qu’avant toute
chose, il faut savoir « placer ses pièces » avant de commencer à jouer.
Quelles sont donc ces pièces pour nous et comment les placer ?
Il y a la réalité du monde d’aujourd’hui, celle de l’Église, et enfin de
la SMA même. La question est de faire en sorte que les hommes qui
doivent répondre aux défis qu’on leur demande soient à leur place, se
sentent en capacité de le faire et aient les éléments nécessaires pour
mener à bien le « bon combat ».
La réalité du monde, l’évolution de la pensée de l’Église et sa
manière de concevoir le salut ont changé considérablement depuis le
temps de nos fondateurs ; notre manière de vivre la Mission et d’exercer
une responsabilité dans notre congrégation doit évoluer aussi.
Regardons les traits essentiels de la Mission sma aujourd’hui.

Être missionnaire du fond du cœur


C’est ce que nous dit le fondateur, c’est la base de notre vocation et
de notre vie ; durant notre temps de formation, nous avons vérifié ce
désir d’annoncer l’Évangile à ceux qui ne l’ont pas entendu et il s’est
confirmé petit à petit. Nous avons fait la promesse d’être missionnaire

2 PAPE FRANÇOIS, Lettre Encyclique Fratelli tutti (03 Octobre 2020) 3, 106 :
« réaliser combien vaut un être humain, combien vaut une personne, toujours et
en toute circonstances. »

88
Attention aux confrères : Le rôle premier des supérieurs

ad vitam, ad extra et ad gentes. C’est-à-dire que nous pouvons passer


une partie de notre vie à des tâches administratives ou de formation
mais nous retrouverons notre équilibre naturel dans l’activité
proprement missionnaire.
Une difficulté que n’avaient pas nos devanciers est le contexte
changeant du monde. Nous ne pouvons vivre l’évangélisation
uniformément ; il faut faire preuve d’une vigilance très grande pour voir
les lieux où une présence missionnaire est importante ; il faut faire
preuve également d’une créativité continue pour répondre aux défis qui
se posent.
Le premier rôle du Conseil de l’entité est de faire attention à ce que
cette portion de SMA vive dans une dynamique missionnaire et
d’accompagner chaque confrère pour qu’il apporte sa pierre à ce
mouvement.

Nous sommes une communauté au service d’un projet


commun établi lors de nos assemblées
Je regarde avec envie nos prédécesseurs : ils n’avaient pas à se
tracasser beaucoup de comment vivre la mission. Ils partaient annoncer
le salut éternel tout en sachant qu’ils se « sauvaient » eux-mêmes. On
leur confiait un pays à évangéliser et ils avançaient petit à petit jusqu’à
couvrir le pays…
Aujourd’hui, il est moins évident de savoir où nous devons aller et
comment procéder. Les lieux de la Mission ne sont pas seulement
« géographiques ». Jean Paul II parlait de « nouveaux aéropages » 3 et de
« milieux » à évangéliser. Paul VI soulignait l’importance
« d’évangéliser la culture » 4… Le chantier est immense mais ce n’est plus

3 JEAN PAUL II, Redemptoris Missio (7 Décembre 1990) IV, 37.


4 Cf. PAUL VI, Evangelii Nuntiandi (8 Décembre 1975) II, 19-20 où il écrit : « Pour
l’Église il ne s’agit pas seulement de prêcher l’Évangile dans des tranches
géographiques toujours plus vastes ou à des populations toujours plus massives,
mais aussi d’atteindre et comme de bouleverser par la force de l’Évangile les
critères de jugement, les valeurs déterminantes, les points d’intérêt, les lignes de
pensée, les sources inspiratrices et les modèles de vie de l’humanité, qui sont en
contraste avec la Parole de Dieu et le dessein du salut. Nous pourrions exprimer
tout cela en disant : il importe d’évangéliser non pas de façon décorative, comme
par un vernis superficiel, mais de façon vitale, en profondeur et jusque dans leurs
racines la culture et les cultures de l’homme, dans le sens riche et large que ces

89
Mission en temps de crise

la Propaganda qui nous attribue « une portion de territoire », ce sont nos


assemblées qui prennent des « options missionnaires ». Nous y faisons
des choix et donnons des orientations prioritaires, c’est notre « projet ».
Les Conseils des différentes entités sont chargés de les suivre et de les
développer. Tout ceci se déroule à l’intérieur des diocèses.

Les « projets missionnaires » de nos différentes entités


Nous les faisons dans la prière, en essayant de travailler dans le sens
du Règne de Dieu, là où nous sommes ; c’est un mélange de rêve partagé
avec le Seigneur et de programmation faite selon les méthodes de
planification des entreprises ; on pourrait dire un mélange de divin et
d’humain et il nous faut continuellement veiller à ce que ces projets
restent dans le sillage du Règne de Dieu tel que Jésus l’annonçait.
C’est aussi notre manière de vivre l’obéissance aujourd’hui. Nous
arrivons à un consensus, chacun oriente toutes ses forces vers la
réalisation de ce consensus. Notre fondateur était tracassé par la peur
d’être damné pour n’avoir pas obéi à la volonté divine. À notre époque,
notre souci est que l’annonce du Règne de Dieu aille dans le sens de
l’Évangile et que nos forces s’unissent à celles des autres dans un grand
mouvement de fraternité pour réaliser cette annonce.
Le Règne de Dieu, c’est aussi donner plus d’importance à la
manière de faire plutôt qu’à ce qu’on fait. Il faut que le rêve se concrétise
et colle à la réalité du terrain 5. Dans l’Évangile, nous voyons
continuellement ce va-et-vient de Jésus entre ce qu’il annonce, ce qu’il
vit et fait et ce que comprennent les auditeurs. C’est toute la réalité du
« disciple missionnaire » !
On est passé d’un système d’obéissance verticale à une adhésion
collective à un projet dans la préparation duquel tout le monde a mis
la main à la pâte. Un rôle important de l’équipe qui dirige une entité est
de promouvoir cette adhésion collective.

termes ont dans Gaudium et spes, partant toujours de la personne et revenant


toujours aux rapports des personnes entre elles et avec Dieu. »
5 Cf. PAPE FRANÇOIS, Exhortation Apostolique Evangelii Gaudium (24 Novembre

2013) 2, II, 96, où le pape François rappelle l’importance d’un engagement de


toute la personne jusqu’à la croix pour dépasser nos rêves de grandeur.

90
Attention aux confrères : Le rôle premier des supérieurs

Lanceurs de processus
Le pape François insiste sur le fait que les Instituts religieux doivent
être des « lanceurs de processus » 6, des gens qui entraînent les autres
dans un grand mouvement. Il regrette souvent que nous ayons la
tentation de vouloir couvrir tout un territoire en le dominant, croyant
l’avoir ainsi évangélisé comme au temps de la « chrétienté ».
Nous devons vivre au milieu des gens, qu’ils soient interpellés et
qu’un certain nombre, comme par contagion, rentrent dans notre
manière de faire ou inventent et démarrent autre chose mais toujours
dans le sens de l’Évangile. Ceci amène - 1) d’abord à être tournés vers
l’avenir et - 2) ensuite être attentifs à voir la présence de l’Esprit dans les
autres.
Lancer des processus, c’est aussi savoir se limiter dans le travail
et privilégier les aspects où nous pourrons le mieux possible rendre ce
Royaume présent. C’est aussi être attentifs à ce que font les autres pour
nous situer en complémentarité avec eux.
Le rôle des supérieurs dans ce système c’est d’encourager chacun à
se donner dans le sens et les limites de ce projet…

Au service de l’Église locale


Pour expliquer cet aspect, permettez-moi de faire une caricature de
la manière de faire de bien des Instituts religieux ou missionnaires, vue
du côté du diocèse.
Parfois les instituts viennent dans un diocèse avec leur « projet
missionnaire » qu’ils ont élaboré, ils demandent à le réaliser. Le diocèse
devient ainsi un lieu d’exercice ou d’expérimentation de leur activité,
tout le monde est content mais parfois, au bout de quelques années, ils
décident, sous couvert de « restructuration de la congrégation » de
partir. Il faut souhaiter que la SMA ne fasse jamais cela !
Nous, sma, avons une tradition de service de l’Église et du clergé
local. C’est en travaillant avec les frères diocésains, en se laissant
accueillir par eux et en partageant leur réalité que nous pourrons
réellement apporter notre charisme et les aider aussi à mieux vivre notre

6 PAPE FRANÇOIS, Visite pastorale du Pape François. Rencontre avec les prêtres et les
religieux (25 Mars 2017),
http://www.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2017/march/documents/p
apa-francesco_20170325_milano-sacerdoti.html

91
Mission en temps de crise

mission. Il ne s’agit surtout pas de rentrer en concurrence ou de donner


des leçons ! Quand les hiérarchies locales sont nées, certains de nos
confrères ont dû passer par une étape de purification, comme de
désappropriation de la Mission. Être au service de l’Église locale, c’est
servir sans nous approprier le terrain, sans en être les maîtres. Notre
place et notre rôle seront reconnus dans la mesure où nous apporterons
vraiment cette dynamique missionnaire au diocèse, dans la modestie,
et sans prétention de vouloir « donner des leçons ».
Il y a beaucoup de pistes à utiliser pour continuer ce service du
clergé local tout en gardant cette attitude fondamentale d’une présence
continue, spécifique et humble dans une Église déjà assez constituée.
Les supérieurs veillent à ce dialogue entre le diocèse et la SMA pour
un enrichissement mutuel.

Dans l’internationalité et l’interculturalité


L’internationalité est une dimension constitutive de la SMA. Elle a
été voulue par le fondateur, à cause - 1) du profond sentiment « romain »
en faveur de l’Église universelle qui l’animait, mais aussi - 2) parce qu’il
a vu, en Inde et en voyageant, les dangers une Église liée au pouvoir
politique.
Le P. Planque a cherché à conserver cette vue mais il a eu plus de
mal à la vivre dans la pratique, pour 2 raisons : - 1) il voyait la nourriture
et culture française comme la référence universelle à laquelle chacun
devait se soumettre ; - 2) il n’était pas exempt de préjugés (de par sa
tradition culturelle française) envers les confrères d’origine germanique
ou, à cause d’expériences moins heureuses, envers les Espagnols et les
Irlandais. Les problèmes se sont résolus petit à petit en confiant des
terres de mission différentes à chaque Province, lesquelles coïncidaient
souvent avec les colonies des pays d’origine.
Depuis 1983, un grand effort a été fait pour surmonter l’abîme
culturel qui séparait anglophones et francophones et pour aller vers une
internationalisation vécue concrètement dans des équipes apostoliques
et dans un échange continuel de personnel. Dans un monde où on élève
des barrières, notre témoignage devient prophétique.
Suite à l’Assemblée Générale de 2019, une tendance semble se faire
jour : les entités et les équipes en Mission sont menées par une
association des confrères d’origine de l’entité et d’autres venues des
autres provinces en mission au service de cette entité. Ceci suppose que
ces équipes mixtes privilégient la Mission et l’annonce du Royaume
au delà toute considération ethnique ou de pays. Le danger serait qu’il

92
Attention aux confrères : Le rôle premier des supérieurs

y ait une différence de statut entre les confrères d’origine qui peuvent se
voir instinctivement « propriétaires » de la Mission et de l’entité et ceux
qui viennent d’ailleurs comme « étrangers ». Il y a là un défi énorme
pour les supérieurs d’entité : faire que chacun soit chez lui, que l’on soit
du pays ou non, et que l’on profite de la synergie inhérente à ce système.
On n’apportera jamais assez de soins à réunir tous les confrères
ensemble, à revisiter ensemble le plan d’action de l’entité pour que ça
devienne un projet de tous. C’est un élément fondamental pour que
chacun donne le meilleur de lui-même et pour dépasser des clivages
sous-jacents dans notre inconscient où les uns peuvent se sentir
« propriétaires » de la mission et les autres « étrangers ».
L’interculturalité pour nous devient un signe particulièrement
parlant et un témoignage dans un monde qui établit des frontières. Cette
relation continuelle à la culture de l’autre, du frère qui annonce
l’Évangile avec moi nous permet d’être davantage attentifs à la culture
du peuple au milieu duquel nous nous trouvons : d’une certaine
manière ce sont nos regards croisés sur une culture donnée qui nous aide
à la connaître. Après la connaissance, vient la familiarité et enfin l’amour
de cette culture qui nous la fait regarder avec des yeux d’un membre de
la famille.
Dépasser nos différences de culture ou d’origine touche notre vie
quotidienne et nous oblige à valoriser les autres. Les supérieurs doivent
voir concrètement que les préjugés et les a priori ainsi que les
regroupements par affinité soient dépassés. Cela suppose un travail à la
base pour que les équipes vivent cette internationalité et interculturalité
comme une chance et non un poids et que nous soyons ensuite au service
d’une inculturation vraie.

Une chaîne de missionnaires


Une autre richesse de notre Institut est sa continuité. C’est pour cela
que le Cardinal Barnabo, en 1856, demande à Mgr de Brésillac de
« fonder un institut » pour aller en Afrique. La mission s’est réalisée par
la chaîne ininterrompue d’acteurs. Notre force ce n’est pas un Institut
nombreux ou riche, c’est que nous sommes capables de vivre les
projets de Dieu sans compter le temps, à très long terme en sachant
que d’autres vont le continuer.
Ceci suppose une bonne dose d’humilité, parce que nous nous
voyons davantage dépendants de ceux qui nous ont précédés et
confiants vis-à-vis de ceux qui vont continuer après nous. Mais en même

93
Mission en temps de crise

temps, ça nous donne une grande force pour construire des projets qui
nous dépassent et vont se prolonger après nous.
Cette manière de penser n’est pas naturelle à l’humain, la tentation
est grande de vouloir lancer « son œuvre » en ne pensant pas à l’avenir
mais à sa propre gloire. Le rôle des supérieurs est d’essayer de dépasser
les limites de temps pour nous remettre, avec le Christ, devant un avenir
qui ne nous appartient pas.

La manière d’exercer l’autorité n’est plus celle d’autrefois


On n’est plus au XIX° siècle quand les supérieurs généraux des
instituts (pas seulement le P. Planque !) nommaient et déplaçaient les
confrères. L’obéissance au supérieur faisait partie de l’obéissance et
soumission à Dieu et ouvrait la vie éternelle. L’histoire de la vie
religieuse est pleine de récits de novices dont on teste l’obéissance
jusqu’à l’absurde.
Notre système d’élection donne une légitimité au supérieur mais
c’est en exerçant son ministère de tout son cœur et par ses qualités
naturelles qu’il va gagner une vraie autorité, malgré ses défauts et ses
péchés 7. Le fait d’être « élu pour un temps » est une force : on sait qu’on
a une mission à remplir pour un temps et qu’on retournera à un autre
poste ensuite. Normalement, si on le vit bien, ça nous donne une grande
liberté intérieure et vis-à-vis du regard des autres. Je ne peux
m’empêcher de citer ici cette lettre du P. Planque au P. Courdioux 8 :
Vous ne pouviez m'annoncer une meilleure nouvelle que celle du changement
dans M. Jean Bouche. J'espère qu'il persévèrera dans ses nouvelles dispositions.
En général il faut envers lui plus de patience qu'envers un autre pour le
maintenir dans de justes limites ; mais il y a dans sa foi profonde un préservatif
contre certains écarts, et vous le verrez toujours revenir quand vous
temporiserez. Gardez à son égard et à l'égard de tous une grande longanimité.
Un Supérieur doit plus supporter qu'un autre et souvent ne pas laisser voir les
coups pénibles qu'il reçoit. Au commencement de notre Société je fus un jour
disposé à tout abandonner parce que j'avais trop à souffrir de ceux qui
m'entouraient et que je devais gouverner dans les conditions les plus difficiles
peut-être que j'aie jamais connues ; je m'en ouvris à notre cher et vénéré Mgr de
Brésillac, et j'en reçus des avis qui depuis ce jour, m'ont fait rester à mon poste
à travers bien des luttes. J'ai dû passer sur mille choses depuis cette époque et

7 SMA, Constitutions et Lois, 65.


8 Une lettre du P. Planque au P. Courdioux au sujet du P. Jean Bouche, le 6 juin 1868.

94
Attention aux confrères : Le rôle premier des supérieurs

chaque jour j'apprends davantage combien il est difficile de gouverner. Il faut


maintenir la juste balance et souvent pencher un peu plus du côté d'une
apparence de faiblesse que vers la rigueur. Beaucoup de personnes ont de bonnes
intentions et elles ne prennent pas la bonne route ; redressons-les doucement,
comme l'arbre auquel on met un tuteur, mais ne cassons pas la branche
Le Conseil de l’entité doit souvent faire des choix « politiques »
entre plusieurs options après avoir consulté les avis autorisés ou les
personnes en jeu. L’important est d’être capable d’entraîner l’ensemble
des confrères derrière le choix du conseil et même de ceux qui étaient
contre cette manière de faire. Faire un choix, discerner, nous permet
d’avancer sur un chemin et d’en laisser d’autres qui auraient pu être
valables ; ils n’ont pas été choisis, il ne faut pas regarder en arrière, nous
unissons nos forces derrière celui qui a été choisi.

Une spiritualité sma et de service


La SMA n’est pas rattachée à une spiritualité propre. On peut dire
que nos fondateurs étaient familiers de "l’Ecole française de spiritualité"
par leur formation diocésaine et le contexte de l’Église post révolution
française. Rappelons-nous que le séminaire de Carcassonne était mené
par les lazaristes et que le père Planque faisait partie de la « Société de
Saint Bertin », groupe de prêtres enseignants : tous deux ont eu une
formation cléricale soignée et ont profité de tout le renouveau de l’Église
de France de cette époque. Ils étaient aussi familiers de la tradition
jésuite ; Brésillac fait son discernement avec les jésuites, Le P. Planque
met les sœurs de Notre-Dame des Apôtres sous cette spiritualité parce
qu’il lui semblait « qu’elle était la plus adaptée à la vie missionnaire ».
Mgr de Brésillac voulait que toute la vie de ses frères soit dominée
par le sens de la Mission et un engagement total, ce sens de la Mission
jusqu’au martyre, était l’axe principal de sa spiritualité. Le P. Planque a
beaucoup insisté sur une vie simple, sans fioritures ni ascèse particulière
« parce que les sacrifices de la Mission suffisent comme ascèse » ; au
contraire, il voulait soigner les conditions matérielles de ses confrères.
Aucun des deux n’a voulu ajouter des exercices de piété spéciaux, ils
suivaient ce qui se faisait dans l’Église à cette époque.
Mais ce qui a forgé une certaine spiritualité propre à la SMA dans
l’histoire, c’est la vie et la réalité missionnaire, bien dans le sens de
Mgr de Brésillac : cette chaîne de vies données au service de l’Évangile.
Le fait d’avoir vu mourir plusieurs sœurs et frères, encore très jeunes,
autour de soi, marque une personne et sa relation à Dieu. On peut dire
que, par notre tradition, nous avons une spiritualité du sacrifice comme

95
Mission en temps de crise

l’a souligné le P. Michael O’Shea. Une chose leur rendait ceci plus facile,
c’est qu’ils étaient portés par la mentalité et la spiritualité du temps,
comme un surfeur sur la vague et quand le missionnaire avait pris le
bateau, il était plus ou moins condamné à vivre son engagement ! En
même temps, les premiers missionnaires ont vu comment l’Évangile
changeait la vie des gens et comment les nouveaux convertis se sentaient
renouvelés par la Parole de Dieu.
Aujourd’hui, plusieurs facteurs nous amènent à revoir notre
spiritualité toute en l’appuyant sur cette tradition : nous devons être
ouverts à l’Esprit Saint qui nous guide pour discerner ces lieux de
Mission où nous devons être et agir, nous devons aussi redire un oui
périodique à notre engagement missionnaire : notre vocation repose
beaucoup plus sur un renouvellement continu de notre engagement et
un exercice de la volonté pour aller de l’avant, dans la durée.
Notre spiritualité est celle des disciples de Jésus, nous le suivons
dans son annonce de l’Évangile et nous vivons dans son intimité à cause
du travail de Règne de Dieu ; d’une certaine manière, nous sommes
attachés à lui par le même joug. Le compagnonnage dans l’annonce du
Royaume et avec Jésus est créateur de fraternité. Comme Sma, cette
fraternité vécue au jour le jour se réalise à la frontière des cultures :
« Quand un peuple a inculturé l’Évangile, dans son processus de transmission
culturelle, il transmet aussi la foi de manière toujours nouvelle ; d’où
l’importance de l’évangélisation comprise comme inculturation » 9.
Notre spiritualité se vit dans la relation proche aux autres cultures,
elle suppose de laisser des choses qui nous tiennent à cœur : notre amour
propre, l’orgueil de notre culture ou de notre état clérical, etc. En fin de
compte, là aussi notre spiritualité missionnaire doit être celle de
l’hymne aux philippiens : l’abaissement pour être solidaire et pour
être vrai…
Les responsables sma développent une spiritualité de service et il
est à souhaiter que le fait d’exercer un mandat de supérieur aide à faire
grandir cette dimension. Jésus en est le grand modèle. Nous nous
sanctifions dans le service de nos confrères (1 Co 13, 4-7). Notre lieu de
service, c’est avant tout nos confrères, nous sommes « touchés » quand
l’un ou l’autre est en difficulté, quand nous sommes attaqués sur notre
manière de faire… Mais c’est ainsi que nous vivons un ministère incarné.
Et tout cela, nous le confions au Seigneur qui marche avec nous.

9 PAPE FRANÇOIS, Evangelii Gaudium, 3, I, 122.

96
Attention aux confrères : Le rôle premier des supérieurs

II. Le soin des confrères


Les nominations

· Faire que les personnes « rentrent » dans le projet missionnaire de


l’entité
Dans les entreprises, on embauche une personne selon la fiche de
poste établie. À la SMA et dans la plupart des Instituts religieux, on ne
reçoit pas toujours la personne adéquate pour un travail donné. Parfois,
celui qui a été choisi pour ce travail va s’adapter, d’autres fois, il va
modifier ce qu’on attendait de lui pour que son poste lui corresponde,
etc. les cas de figures sont nombreux et variés.

· Comment choisir la « bonne personne pour le bon poste » ?


Chaque leader d’entité essaie de faire de son mieux pour choisir les
meilleures personnes pour chaque poste à pourvoir et pourtant on voit
souvent des confrères mal à l’aise 10. Souvent, nous avons un plan de
nomination ou de recherche de personnel à long terme qui facilite les
choses mais aucune entité n’est à l’abri de devoir chercher quelqu’un
d’urgence parce qu’un poste indispensable s’est trouvé soudainement
vide.
Regardons plusieurs possibilités (il y en a d’autres) qui reflètent un
malaise :

10 M. DE MARION BRESILLAC, Retraite aux missionnaires, Mendiboure 1985, 104 :


« Que de fois n’entendons-nous pas dire que telle ou telle chose est impossible,
qu’avec des gens tels que ceux que nous les avons, nous ne saurions obtenir telle
ou telle réforme, qu’il est inutile d’essayer même de telle ou telle institution ou
autre choses semblables. Et en effet, tout cela est impossible à un esprit vif,
pétulant, plein d’ardeur et d’impatience. Mais qu’à sa place vienne un homme
doux et tranquille, patient , qui sache avancer quand c’est le temps, qui ne se
sente pas déshonoré quand il devra faire un pas en arrière, un homme qui sache
souffrir l’injure sans qu’il ait à rendre que des bénédictions, un homme qui ne
choque personne et qui ait assez de tact pour comprendre que, lorsque le choc
arrive, c’est au moins le temps de s’arrêter, et souvent de reculer d’un pas et vous
verrez ces montagnes de fer s’amollir au doux contact de sa patience, et, quelque
temps après vous passerez, elles ne seront plus. À la place, vous trouverez un
jardin fertilisé et tout rempli de jeunes plantes qui porteront au sûr des fruits
dans l’avenir, pourvu qu’il y ait à côté d’elles, lorsque s’élèvera une tempête, un
homme patient pour les détourner, sans lutter contre elles. »

97
Mission en temps de crise

Certains ont l’impression d’être à un poste qui « ne sert à rien » ou


ne correspond pas à notre charisme ;
Le confrère se sent manipulé ; il a l’impression d’être un pion que
les supérieurs déplacent à leur guise et qu’on essaie de raisonner avec
des arguments plus ou moins fallacieux ;
Frustration du confrère qui ne se sent pas capable de répondre à ce
qu’on attend de lui ;
Sentiment de jalousie : « pourquoi on me demande de faire ça à moi
alors qu’un tel est tranquille ». Souvent suit une accusation de copinage
ou quelque chose comme ça ;
Frustration de confrères qui ont été brinquebalés au cours de leur
vie et n’ont guère eu un temps assez long de ministère pour se réaliser.
Quand on regarde ces sentiments, - 1) il y en a qui viennent de la
manière de faire la nomination, en réalité, ils ont le sentiment de ne pas
avoir été assez consultés ou valorisés ; - 2) il y en a d’autres qui viennent
de l’inadéquation au poste demandé soit pour une question de
compétence, soit parce qu’il ne s’y sent pas à l’aise.
En même temps, quand on regarde notre expérience sma, on voit
que la plupart d’entre nous, nous avons dépassé nos limites et que la
vie a été un continuel défi pour faire des choses nouvelles, que nous
n’avions jamais faites ou que nous nous serions crus incapable de
faire. Comment trouver l’équilibre entre les limites de quelqu’un et ce
défi à se dépasser ?
Dans l’Évangile, Jésus voit tout le potentiel de la personne en la
rencontrant : c’est vrai quand il appelle ses disciples, c’est encore vrai
avec le jeune homme riche ou Zachée, il projette la personne dans
l’avenir, l’accompagne (expérience de Pierre et des disciples) et la fait
passer par une expérience personnelle profonde qui ouvre à un nouveau
dynamisme. On voit aussi comment Jésus remet continuellement ses
disciples, rongés par l’ambition, à leur place et essaie de les former au
travail de ce projet qu’est le Règne de Dieu.
À partir de là, on peut diviser le soin à apporter aux nominations
en 4 étapes :
Informer et faire participer les confrères au projet missionnaire
de l’entité pour qu’ils s’y sentent impliqués ;
Les écouter avant une possible nomination et tenir compte de
leur opinion ;
Aider le confrère à s’installer dans le poste qu’on lui demande ;
L’accompagner et voir comment lui et le poste évoluent.

98
Attention aux confrères : Le rôle premier des supérieurs

· Faire en sorte que tous les confrères soient impliqués dans le


projet missionnaire de l’entité
Si quelqu’un est bien informé de ce qui se vit actuellement, des
projets d’avenir et qu’il s’identifie avec eux, il sera beaucoup plus
disponible à faire des efforts pour prendre un nouveau poste. Ceci va
plus loin qu’une simple information, c’est un « esprit » à créer dans une
entité.

· Ecouter les confrères et consulter avant les nominations


Quand un confrère est pressenti, ce qui suppose qu’on a vu qu’il
peut remplir ce poste (la tenue des dossiers à jour de chaque confrère est
importante pour cela) il faut parler avec lui, écouter ses désirs et voir
comment apaiser ses peurs, le cas échéant. Faire quelques concessions
(par exemple sur sa date d’arrivée) est toujours bon, c’est un petit signe
qu’on n’est pas intraitable…
Dans cette écoute, c’est bien de faire parler le confrère sur ce qu’il a
fait et repasser avec lui les continuités et ruptures par rapport à ce qu’il
a vécu jusqu’à présent, que cette nouvelle nomination implique.
En le faisant ensemble, on se rend mieux compte aussi de l’effort
qu’il devra faire, on arrive à percevoir ses inquiétudes qui peuvent
ressurgir à d’autres moments.
À partir de là, on peut aussi parler aux confrères de là où il est
destiné et leur donner quelques indications pour l’accueillir au mieux.

· Aider les confrères à s’installer dans leur nouveau poste


Les premières impressions sont importantes pour que quelqu’un
s’installe et se sente rapidement à l’aise. Si le ou les confrères qui
accueillent vont chercher le nouveau venu ou parlent avec lui, ça permet
de se sentir plus en sécurité. Je me rappelle le « vieux » père Arthur
Chauvin (1923-1980) qui, sur le bord du lac Ahémé à Bopa, au Bénin, me
montrait l’autre côté du lac en me disant : « Quand je suis arrivé ici en
1947 l’évêque m’a accompagné jusqu’en face là-bas : puis m’a dit : votre
mission est à Bopa, c’est le village qu’on voit en face, la pirogue est là,
bonne chance ! Et il m’a béni ». Je soupçonne ce confrère d’avoir embelli
l’histoire mais tout de même les temps ont changé ! On peut faire mieux
sans tomber dans un excès d’attention.
Il faut voir les questions pratiques. Souvent, une petite formation
peut aider à trouver sa place, si on doit, par exemple être économe de la
communauté, permettre au confrère de faire un stage en comptabilité

99
Mission en temps de crise

avant, ou bien voir à ce que chacun dispose de moyens de travailler sans


tomber dans un excès.

· Accompagner le nouveau confrère et voir comment lui et le poste


évoluent
Le téléphone et les visioconférences sont utiles mais attention à ne
pas devenir des « supérieurs virtuels ». Quand on va visiter les
confrères, qu’on reste un peu avec eux, qu’on les écoute avec leurs
projets, leurs joies et leurs déceptions, on les connait mieux, on peut les
porter dans la prière et comprendre ce qu’ils font, même si ça ne
correspond pas exactement à ce qu’on attendait d’eux.
En les visitant, on voit aussi comment les fidèles ou les gens des
autres religions entrent en relation avec notre confrère et on peut
l’encourager davantage et d’une manière plus précise.
Si ce confrère est un peu ouvert et dynamique, le travail qui lui est
demandé va évoluer pour coller davantage à la réalité, peut-être
s’étendre avec l’aide de laïcs… Combien il est important de suivre et
d’encourager cela.

· Évaluation après deux ans


Parfois, il arrive qu’on sente une certaine frustration chez un
confrère parce qu’il n’arrive pas à répondre à ce qu’on lui demande. Ça
peut être parce qu’on lui demande plus qu’il ne peut donner (cas
fréquent dans nos entités du Nord où on demande à des confrères âgés
de faire un travail comme s’ils avaient encore 40 ans ou l’opposé, un
jeune à qui on demande plus qu’il ne peut donner…)
Ce peut être aussi suite à une « erreur de casting » : l’exemple
fréquent est de nommer quelqu’un pour faire la comptabilité d’une
équipe alors qu’il n’a aucun attrait ni capacité pour aligner des chiffres…
Laisser deux ans d’acclimatation est un temps raisonnable mais si on voit
qu’il n’arrive pas à réaliser ce qui est demandé, il vaut mieux repenser la
nomination et, éventuellement, lui aménager une porte de sortie
honorable pour qu’il puisse redémarrer ailleurs.
Il arrive aussi que quelqu’un demande à partir parce qu’il ne
s’entend pas avec le ou les autres confrères. Dans ce cas, avant
d’accorder ce départ, il faut tout faire pour résoudre les difficultés et
ramener l’harmonie dans l’équipe…

100
Attention aux confrères : Le rôle premier des supérieurs

· Savoir demander pardon


« Le chef est le tas d’ordure où chacun vient déposer ce qu’il a en trop »
(proverbe africain)
Quand il est manifeste que l’équipe des supérieurs s’est trompée, il
est très important de demander pardon. C’est une manière d’enlever le
poids de culpabilité qui peut peser sur la tête du confrère. Il n’arrive pas
à faire correctement son travail, en assumant, nous, l’erreur de lui avoir
demandé ce travail, on le soulage et on le déculpabilise.

· Regarder le nouveau poste comme le commencement d’un


nouveau morceau de vie
Quand on pense à un nouveau poste pour un confrère, il est bon de
regarder ce que ça représente pour lui (avant l’intérêt de l’entité) et voir
comment cette proposition se situe dans l’histoire de la personne et sur
une longue période. On est passé d’un extrême à l’autre : autrefois, on
avait parfois des confrères qui faisaient toute leur vie dans un petit coin
de brousse ; maintenant, on a souvent du « zapping missionnaire » qui
handicape la réalisation du confrère et le plan missionnaire de l’entité ;
on a des équipes qui sont toujours en train d’apprendre la réalité du
terrain et quand les confrères commencent à la connaître, ils sont
remplacés par d’autres. Il est difficile à un membre sma d’être vraiment
missionnaire et au service d’un diocèse en changeant tous les 2 ans.
Maintenant, si ce confrère est là depuis une dizaine d’années, ce
serait bon qu’il sorte un peu pour prendre du recul, c’est peut-être le
moment de lui proposer un recyclage ou un autre service… Pour
quelqu’un qui a beaucoup bougé, on doit voir comment faire en sorte
qu’il reste à son poste pour faire un vrai travail en profondeur mais aussi
pour son équilibre personnel.

· Mission et bilan missionnaire


Peut-être nous faut-il systématiquement, à certaines grandes étapes
de la vie faire un « bilan missionnaire » de la vie du confrère. Par
exemple, un confrère qui a passé 10 ans en administration ou dans la
formation doit avoir l’opportunité de revenir à un vrai travail plus
pastoral sinon il court le risque de se « dessécher » … Il y a des moments
de la vie où on doit regarder en arrière et recentrer notre vie et notre
ministère sur la mission pour redonner du « souffle » à notre vocation.
C’est au conseil de l’entité d’être vigilant pour proposer quelque chose
pour aider le confrère à se renouveler. Ce « recentrage » demande un
renouveau spirituel et une offre concrète de travail.

101
Mission en temps de crise

Au long de sa vie, on peut espérer que ce confrère va se bonifier


avec l’expérience tant pour le bien de la Mission que son bien personnel.

Le confrère à l’intérieur de l’entité d’origine ou de travail


Souvent, on déplore un manque d’identification de tel ou tel par
rapport à son entité. On peut, par exemple, lui trouver peu
d’enthousiasme à faire un travail pour son entité durant les vacances ou
pour rendre un service ou même répondre à une nomination qu’on
voudrait lui donner. Parfois, le confrère a fait sa vie loin de son entité
d’origine et ne veut plus en entendre parler, d’autres fois c’est parce qu’il
s’y sent mal à l’aise ou que la connexion ne passe pas bien entre celui-ci
et le conseil ou un membre en particulier… Dans ce dernier cas, il faut
s’entendre dans le conseil pour que celui qui a le meilleur contact avec
ce confrère lui parle.
Comment faire face à cela ? La proximité du Conseil est sûrement
ce qui fera le plus pour encourager quelqu’un à se sentir membre de son
entité. Les rencontres de confrères ont aussi un grand rôle à jouer. On ne
doit pas oublier de valoriser le confrère et de lui faire voir le rôle qu’il
joue dans l’entité et ce qu’il apporte, qu’il soit membre d’origine ou
membre incorporé…

Les communautés apostoliques


Une communauté unie est déjà un signe prophétique puissant. Mais
combien de fois nous devons intervenir parce qu’un confrère arrive
d’urgence à la maison provinciale ou appelle au secours parce qu’il ne
se sent pas valorisé, que son responsable le considère comme un moins
que rien, ou pour des questions de jalousie… Parfois, ce sont les
paroissiens eux-mêmes qui attisent les divisions. Si on laisse faire le
« Démon de la division », tous les efforts pastoraux de ces confrères
peuvent être détruits par cette lutte interne.
J’ai le souvenir de 2 prêtres (pas des sma) qui étaient tous les deux
de grands pasteurs, tout donnés à leur travail mais ils ne s’entendaient
pas et la paroisse s’était divisée petit à petit en 2 clans, chacun derrière
l’un des deux. Ça m’a fait mal et m’a paru un immense gâchis : toute
cette capacité d’initiatives de chacun d’entre eux se trouvait bloquée et
réduite à néant par cette guerre civile. Souvent, ce sont des rivalités de
personnes qu’on maquille en options pastorales différentes. Je suis sûr
que l’unité vaut mieux que toute pastorale aussi géniale soit-elle. Ceci

102
Attention aux confrères : Le rôle premier des supérieurs

est aussi vrai avec les différents mouvements d’Église. Soyons des
servants de l’unité.
Dans la pratique, je n’ai pas de recette miracle et je sais que chacun
d’entre nous passe du temps à faire l’unité à l’intérieur de l’équipe, mais
n’était-ce pas déjà comme cela du temps de Jésus où celui-ci a dû
remettre à leur place les fils de Zébédée ou ceux qui voulaient être les
plus grands.
Bien identifier la racine de ces divisions est le premier pas pour
voir comment agir ; écouter et essayer de mettre la paix viennent
ensuite. Séparer l’équipe est le remède ultime mais qui sera souvent vécu
comme un échec même si l’intéressé ou les intéressés vont essayer de
justifier cet échec d’une autre manière.
Le pape François nous dit que « la communauté qui préserve les
petits détails de l’amour, où les membres se protègent les uns les autres
et créent un lieu ouvert et d’évangélisation est le lieu de la présence du
Ressuscité qui la sanctifie selon le projet du Père » 11. Que notre entente,
notre capacité à s’écouter et à demander pardon soient de vrais signes
du Royaume !

Faire l’unité

· À l’intérieur du Conseil de l’entité


Il y a une expérience spirituelle à faire : on est plusieurs confrères
ensemble pour orienter le plan d’action décidé avec les confrères et
s’occuper du bien-être de chacun (et des aspects matériels aussi !). On le
vit avec le Seigneur, mais le fait de voir comment faire au mieux,
comment aider chacun à utiliser ses talents doit amener à vivre une vraie
expérience de fraternité qui va se ressentir dans l’entité.
Il faut d’abord faire l’unité dans le Conseil. Il y a toujours un
« temps d’apprentissage mutuel » ; il faut se connaître et laisser tomber
ses éventuels préjugés sur l’un ou l’autre. Pour bien le faire, il ne faut
pas compter chichement ses efforts afin d’arriver à une certaine
franchise entre les membres du Conseil, en sachant qu’il y a un certain
nombre de choses qui sont internes au conseil et qui ne doivent pas sortir
à l’extérieur (un peu comme des parents ont leur propre niveau
d’échange). Des temps ensemble, sans travail particulier, peuvent aider
à cela.

11PAPE FRANÇOIS, Exhortation Apostolique Gaudete et Exsultate (19 Mars 2019), 4,


145.

103
Mission en temps de crise

Un autre point est la communication des informations. C’est en


ayant les différents aspects de l’information (dans la mesure où ça ne
touche pas une question très personnelle d’un confrère) que chacun peut
apporter sa pierre à l’édifice commun.
En ce qui concerne ce qui touche les personnes, il faut rarement
répondre en profondeur immédiatement : il faut dire qu’on a « entendu
une doléance » et réfléchir comment répondre pour le bien d’un confrère
ou pour faire évoluer une situation.

· Unité dans l’entité


Quand on regarde l’histoire de la SMA, on voit combien d’énergie
a été perdue, à certaines époques, par la division, par des oppositions de
personnes ou idéologiques… Comme il est facile de créer la division et
combien il est difficile de remettre tout à marcher ensemble ensuite !

· La SMA et la famille des confrères


Quand j’étais en Espagne, les familles des uns et des autres se
connaissaient et se retrouvaient. C’est comme une grande famille. Dans
la Province de Lyon, il n’y a pas cette tradition et la relation avec les
familles change beaucoup selon les confrères. Certaines de ces familles
restent très proches de la SMA, même après le décès du confrère,
d’autres se sont éloignées. Dans certains cas, j’ai eu l’impression que
c’était comme si la famille voulait garder le confrère dans son giron
comme si l’appartenance à la SMA lui faisait du mal ; ceci met parfois
notre frère dans une situation difficile.
La réalité est que nous avons deux familles. Les responsables
d’entités peuvent aider les familles à se sentir part de la Mission. Dans
l’Évangile, Jésus dit que « sa famille, ce n’est pas tant la famille charnelle,
mais ceux qui font sa volonté ». Marie est le meilleur exemple d’un
membre de la famille de sang qui devient disciple. Je veux souligner un
aspect : ceci n’est pas seulement important pour l’entité qui reçoit des
bénévoles, bienfaiteurs et aides des membres de la famille, c’est surtout
indispensable pour que le confrère se sente à l’aise et s’épanouisse.
Il nous faut donc prendre les moyens d’expliquer aux familles notre
projet missionnaire (par exemple après les assemblées) et trouver des
moyens pour être en lien avec elles au cours des ans.

Grandes étapes de la vie missionnaire


Les psychologues divisent la vie en grandes étapes et les publicistes
savent proposer quelque chose de différent à chaque âge. Je regarde

104
Attention aux confrères : Le rôle premier des supérieurs

plutôt la relation entre les étapes de la vie et le ministère. Ce qui est


important c’est d’être conscient que les confrères demandent un
regard et un accompagnement différents selon l’étape de leur vie.
Ma division approximative (et arbitraire) comprend 5 étapes :
· Les cinq premières années après l’ordination
· La période de 35 à 50 ans
· La période de 50 à 65 ans
· Le déclin 65 à 80 ans
· La préparation au grand départ (après 80 ans)

· Les 5 ans après l’ordination


C’est une époque de dynamisme et de mouvement mais aussi un
temps-clé. On se croit déjà autonome mais on est très dépendant d’un
modèle. Souvent, on voit chez un prêtre comment il a copié le modèle de
son premier curé ou du confrère qui l’a marqué durant les années de
ministère. Mettre un jeune confrère avec quelqu’un qui saura bien
l’initier à la vie missionnaire est aussi important que tout ce qu’il a fait
durant la formation. C’est le moment où il peut prendre des mauvaises
habitudes, s’embourgeoiser et s’enfermer en lui-même s’il n’y a pas
quelqu’un qui lui donne des défis et l’aide à les relever.
C’est aussi un temps où on aime la vie communautaire mais on
l’oublie facilement, pris par le zèle de la mission. On a le goût de la
prière, le séminaire est encore proche mais on la délaisse facilement pour
un certain activisme. Les supérieurs doivent être attentifs à tout ça et
canaliser les forces.
C’est aussi un temps de fraternité avec les autres confrères et de
visite aux uns et aux autres. Les supérieurs peuvent aider pour qu’au
cours de ces rencontres le jeune frère découvre de nouvelles manières de
faire en pastorale ou autre…
Il faut faire attention, c’est une époque où, par fraternité, on peut
prendre l’habitude de boire plus qu’il ne faut ou se laisser entraîner par
jeu de confrères (sma ou non) à des relations malsaines avec des filles,
abîmant notre témoignage.

· 35-50 ans
C’est une époque de créativité pastorale. On se donne facilement
une image de celui qui « réalise des choses », mais c’est aussi une époque
où on peut être facilement frustré si on ne reconnaît pas son travail ou se
sentir brimé pour une raison ou une autre.

105
Mission en temps de crise

C’est aussi le temps des rivalités faciles… On pense qu’on a de


l’expérience, qu’on domine la situation, on n’est plus un apprenti, on
veut des responsabilités. On tombe facilement dans des discussions de
manière de faire ou idéologiques ou des luttes de territoires avec
d’autres confrères…
Les responsables doivent faire attention à ce que le confrère ne
« sombre » pas dans l’individualisme et une réalisation de soi dans le
travail…

· 50-65 ans
On travaille, on allie capacité de travail et expérience, mais on
théorise facilement, donnant des conseils sans s’engager soi-même… On
peut vivre en roue libre, on peut aussi être un petit dictateur…
L’important est de vivre avec une bonne dose d’humilité pour ne pas
écraser les autres. Il faut aussi aider ces confrères à garder leur
dynamisme et leur créativité dans la vie missionnaire.

· 65-80 ans
Il faut se rendre à l’évidence, on ne peut plus avoir un rôle de
premier plan ; il faut laisser l’initiative aux autres. C’est l’époque où on
se bat avec la technique pour essayer de rester dans le coup.
On peut être d’une grande utilité, « à côté » des jeunes mais il faut
trouver sa place…

· Après 80 ans
C’est l’époque où la dépendance se fait sentir. Les confrères âgés
peuvent facilement paraître exigeants. L’âge fait qu’on a besoin de
sécurité et on demande les choses immédiatement. Les supérieurs
doivent donner aux confrères le sentiment qu’ils sont pris en charge,
qu’ils n’ont pas à se préoccuper de l’avenir. Le sentiment d’inquiétude
et d’incertitude des confrères âgés, s’il n’est pas traité, peut amener un
mauvais climat dans l’entité.
Il y a aussi un accompagnement des confrères âgés à faire pour
qu’ils aient un travail utile selon leurs forces et ensuite une attention
spéciale à leur donner quand ils tombent dans la dépendance qui peut
être totale.

· Au fil du temps
À continuation, je voudrais énumérer les « temps spéciaux » où les
confrères ont besoin d’une attention plus particulière. Mais avant, il faut
dire quelque chose du « temps ordinaire », de ce temps où le confrère

106
Attention aux confrères : Le rôle premier des supérieurs

fait son travail sans faire de bruit et il ne fait pas la « une » des conseils
provinciaux.
Il peut être bon de se donner un objectif de visite régulière des
confrères et d’essayer de s’obliger à le respecter même s’il n’y a rien de
spécial à traiter, ceci pour deux raisons : - 1) ces visites permettent
d’avoir une familiarité avec les confrères sur le terrain, de connaître leur
situation et éventuellement leur difficulté mais aussi, - 2) si quelqu’un
tout à coup crie SOS parce qu’il y a un pépin de santé ou de pastorale ou
de relation avec l’évêque ou bien encore une crise de burn-out, le
supérieur n’est pas un extra-terrestre qui débarque pour cela.

Temps spéciaux
Je vais énumérer plusieurs types de temps spéciaux dans la vie des
confrères, qui méritent une attention spéciale. Mais, le plus important,
c’est que, à chaque fois, on transforme une épreuve en un temps de
croissance pour l’intéressé.

· Années sabbatiques
Nous, les hommes d’Église avons ce privilège que d’aucuns nous
envient : nous pouvons prendre un temps sabbatique et même, on nous
le recommande ! Nos textes (CP 2019) disent que ce temps peut être
demandé par le confrère ou par ses supérieurs.
Dans l’année sabbatique, il y a un aspect de « grande liberté », je fais
un peu ce que je veux… Je prends du temps pour moi, pour voyager, je
vais suivre quelques cours, une retraite, suivre la session ICOF 12, etc.
L’important est d’arrêter, pour un temps, d’être quelqu’un « qui fait »
pour « être » tout simplement ; pour se retrouver avec soi-même, pour
être capable de reprendre un nouveau style de relations avec les autres.
On peut ainsi repartir dans la vie et être assez disponible pour
redécouvrir la présence du Christ à mes côtés qui m’accompagne.
D’une certaine manière, c’est aussi le temps pour « redécouvrir le
monde d’une manière différente » parce que les choses ont évolué
depuis dix ou douze ans et moi j’étais le nez dans le guidon et n’ai pas
vu les changements, mais aussi, parce que moi aussi, j’ai évolué et ma
vie spirituelle doit se remettre au jour…
Le rôle du Supérieur de l’entité est d’aider chaque confrère à
profiter au maximum de ce temps, de l’accompagner discrètement et
surtout de prendre le temps d’être à son écoute pour que ce qui mûrit

12 Inter Congregational Ongoing Formation

107
Mission en temps de crise

dans la personne en année sabbatique puisse se « refléter » à l’extérieur


et que les supérieurs puissent ramener le confrère à sa vie et son
engagement missionnaires. Le risque serait de penser que le confrère qui
est en année sabbatique peut être laissé sans qu’on s’occupe de lui. Au
contraire c’est un moment où nous devons être plus près de lui.

· Santé et maladies
Avant de parler de maladie, je voudrais dire un mot sur la
prévention. Dans les jeunes entités, un nombre grandissant de confrères
ont franchi la cinquantaine. Peut-être faut-il que les supérieurs d’entités
organisent un bilan santé régulier pour ces confrères…. Prendre les
choses à temps peut économiser beaucoup de douleur, de travail et
d’argent.
En cas de maladie, il y a plusieurs aspects dont il faut tenir compte
pour donner un confort moral au malade :
Consulter les personnes compétentes pour évaluer la gravité de la
maladie et voir, selon les moyens dont on dispose, où et comment il sera
le mieux soigné. Bien entendu, tenir au courant l’évêque et le Supérieur
de l’entité d’origine. Penser au temps de récupération, après, pour que
le confrère puisse reprendre des forces avant de retourner à son poste.
Veiller à ce que le travail et ce qui tient à cœur au confrère puisse
continuer et faire en sorte que les confrères de la communauté
apostoliques suppléent au vide créé par la maladie ; ainsi on peut dire
au confrère malade : ne t’en fais pas, ne te tracasse pas, tu es en bonnes
mains, ton travail est couvert par d’autres et tu retrouveras tout quand
tu seras guéri.
L’accompagner, l’écouter, etc. Ce sont des moments privilégiés où
on se fait plus proche des confrères.
Ensuite, il faut tirer parti de la maladie pour en faire un temps de
croissance humaine et spirituelle. On sent sa pauvreté et on est plus vrai
quand on est malade. On a besoin d’être encouragé pour continuer à se
battre pour aller de l’avant mais à partir de notre pauvreté. Proposer au
confrère le Sacrement des malades s’inscrit là-dedans.
Si quelqu’un vit bien un temps de maladie, ce peut être très
bénéfique pour lui et pour tous les confrères et les gens qui vivent autour
de lui : une chose est d’accompagner les malades, autre chose est de se
retrouver de l’autre côté de la barrière…

108
Attention aux confrères : Le rôle premier des supérieurs

Crises
Il y a beaucoup de types de crises qui arrivent et pour lesquelles les
supérieurs doivent agir avec compétence et diligence. Si, dans l’entité et
le diocèse, il y a une bonne ambiance et que les confrères sont suivis, on
peut imaginer qu’on aura moins de crises mais il ne faut pas se croire au-
dessus de ces problèmes.

· Burn out
Ça peut arriver à n’importe qui et souvent à des confrères qu’on
croyait très forts. Tout d’un coup, le confrère « craque », veut tout laisser
tomber et ne sait pas trop où il se trouve.
Le rôle du supérieur est de ne pas s’alarmer, juger la situation, voir
s’il faut un accompagnement spécialisé et surtout « laisser du temps au
temps » tout en étant proche du confrère.

· Tomber amoureux
Ça aussi peut arriver à n’importe qui et à n’importe quel âge ! Ça
peut être un confrère qui se sent mal à l’aise dans son travail ou sa
vocation et qu’une paroissienne veut « aider et consoler » ou bien au
contraire une veuve ou femme éplorée que l’on console.
Comme prévention, les supérieurs doivent rappeler de « faire
attention ». La solidarité entre confrères est importante, parfois par
pudeur ou peur de parler on a laissé un confrère s’enfoncer.
Ensuite, si un confrère tombe amoureux, il n’y a pas de recette
miracle sinon de l’écouter et de l’aider à se sortir au mieux de cette
situation… L’important, sur le long terme, est de l’aider jusqu’à ce qu’il
retrouve la sérénité. Si la crise est temporaire, lui laisser le temps long
dont il a besoin pour se refaire. S’il pense qu’il est mieux pour lui de
quitter la SMA, l’accompagner…
Le déplacer ne suffit pas souvent à résoudre un problème de cet
ordre…

· Crise de ministère
Ça semble être quelque chose de l’époque post conciliaire mais ça
peut arriver encore. Tout d’un coup, un confrère veut arrêter le ministère
pour une raison ou une autre ; il y a toujours un mal être derrière et, se
séculariser est parfois la meilleure manière ou la seule de réconcilier et
réunifier sa vie. Pour les supérieurs, il y a tout un processus
d’accompagnement à faire.

109
Mission en temps de crise

· Pédo-criminalité
J’écoutais, d’une manière distante, ce qui se passait dans d’autres
pays, et, il y a 3 ans la France a été touchée par des scandales à
répétitions. Au niveau de la Conférence des religieux, il y a eu des
journées de formation. J’ai été impressionné, un jour après avoir écouté
l’expérience d’une femme violée par un prêtre au cours d’un repas. Je
comprends mieux la souffrance profonde des victimes maintenant. Mais
j’ai été aussi touché par le récit de provinciaux, dans un groupe de
travail, qui ont eu à accompagner des confrères accusés : c’est un long
chemin de croix que le Supérieur vit au côté de celui qui a commis de
tels faits ; l’accompagnement prend énormément de temps et d’énergie
au provincial.

Soins de la vie spirituelle


Dans cette partie, je veux simplement énumérer des points qui se
trouvent dans nos constitutions et ont été soulignés lors de la dernière
assemblée. Il n’y a rien de bien nouveau. Toutefois il faut noter que nous
sommes dans une époque de recentrage où on redonne de l’importance
aux dévotions traditionnelles : qu’elles soient source d’une plus grande
proximité du Christ.
Le rôle du Supérieur de l’entité, là, est d’alerter inlassablement
les confrères pour qu’ils soignent, personnellement et en
communauté, leur vie spirituelle.

· La prière personnelle
Tous, nous savons qu’il est important que nous ayons tous les jours,
un temps de rencontre personnelle avec le Seigneur. Dans la SMA, il n’y
a rien de stipulé d’une manière précise et chacun le fait comme il le pense
le mieux mais je me demande, si par pudeur ou discrétion, on n’oublie
pas souvent de rappeler aux confrères, très occupés dans le ministère, de
ne pas délaisser cet aspect pour leur bien propre et celui du ministère
lui-même.

· La prière en commun
Il est très facile de laisser la prière en commun… Nos constitutions 13
nous demandent de prier laudes et vêpres en commun dans les
communautés apostoliques.

13 SMA, Constitutions et Lois, 27.

110
Attention aux confrères : Le rôle premier des supérieurs

· La lecture spirituelle
C’est un vieux point d’appui dans notre vie spirituelle qu’on oublie
trop souvent, soit parce qu’on estime ne pas avoir de livre à disposition,
soit parce qu’on n’a pas le temps, soit parce qu’on a, tout simplement,
perdu l’habitude de lire. Et pourtant, c’est un moyen de nous retrouver
et suivre la vie ou la pensée d’un aîné ou un modèle dans la foi qui peut
nous aider à aller de l’avant.

· La confession
Nous sommes tous pécheurs ! L’Église catholique nous offre ce
moyen de nous retrouver nous-mêmes en toute humilité et de relire le
fil rouge de nos fragilités… Profitons-en.

· Temps de reprises
Nous avons beaucoup de possibilités que nous n’exploitons pas
assez : temps de retraite plus ou moins régulière au monastère, session
de l’ICOF, retraite ignacienne, etc. N’hésitons pas à proposer aux
confrères de prendre des temps en dehors de leur ministère pour
pouvoir garder un équilibre de vie.

· La direction spirituelle
On oublie souvent cela quand on est en mission ou bien on ne le
prend pas assez au sérieux. Sainte Thérèse d’Avila disait qu’il est très
difficile d’avoir un bon directeur spirituel ! On peut souvent rappeler à
nos confrères cette nécessité en espérant qu’ils en profiteront pour le voir
vraiment comme un besoin.

· Attention à la chasteté
On la réduit souvent au célibat mais c’est tout l’équilibre de nos
relations qui est en jeu ainsi que notre manière de nous donner aux
autres. Souvent, nous avons beaucoup de relations mais superficielles.
Parfois, c’est un manque de vraie fraternité entre nous ou des soupçons
sur les autres qui nous font nous rentrer en nous-mêmes.
Chasteté et interculturalité sont des dimensions de notre vie qui
touchent notre spiritualité, notre capacité d’entrer en relation avec les
autres et les aspects les plus souterrains et instinctifs de notre personne :
le spirituel et l’humain, dans ce qu’il a de plus basique, se retrouvent
ensemble dans la rencontre avec l’autre différent, de l’autre sexe ou de
l’autre culture. Nous pouvons devenir une personne qui aide les autres
à se sentir mieux ou une personne prisonnière de ses sentiments qui a
peur et se renferme en elle-même…

111
Mission en temps de crise

En même temps, il ne faut pas oublier que la relation à la chasteté


évolue et, j’espère, mûrit avec l’expérience et les ans. La présence d’aînés
dans nos équipes aide à vivre cela comme un processus.
Cultiver une chasteté bien vécue, c’est aussi apprendre la
compassion vraie, « pas une compassion paralysante, timide ou
honteuse comme bien des fois ça nous arrive, bien au contraire » 14, c’est
sentir ce que les autres vivent et se laissent affecter par ces sentiments
sans en être bouleversés mais en les portant au Seigneur. En fin de
compte, c’est un équilibre difficile à tenir mais qui nous aide à être nous-
mêmes, à affermir notre personnalité et à la mettre au service des autres.
Les supérieurs doivent être attentifs à l’ambiance générale des
communautés et à voir comment chacun se donne vraiment « du fond
de son cœur » pour la Mission. Peut-être faut-il créer des espaces de
partage profond où on pourra se dire des choses qui nous feront du bien
aux uns et aux autres en partant d’un texte biblique ou spirituel.

III. La Vie spirituelle des Supérieurs sma


Ce titre paraît bien prétentieux ! Je vais commencer par faire une
liste des tentations des supérieurs telles que je les vois. Bien sûr, cette
liste n’est pas exhaustive ! J’espère qu’elle pourra aider chacun à faire
son examen de conscience.
Ensuite, je vais énumérer quelques vertus à cultiver…

Les tentations du Supérieur


Par rapport à son entité
· Se croire propriétaire et non pas intendant
· Penser qu’on est le seul à avoir l’Esprit Saint
· Vouloir faire une grande œuvre qui perdure
Par rapport aux confrères
· Agir en manipulant l’un ou l’autre
· Vouloir diviser pour régner
· Mentir
Par rapport à soi même
· Dépendre très fortement de l’image qu’on veut montrer de
soi-même
· Vouloir éviter les souffrances et difficultés
· Se laisser vaincre par la lassitude ou la fatigue.

14 PAPE FRANÇOIS, Gaudete et Exsultate, 4, 131.

112
Attention aux confrères : Le rôle premier des supérieurs

Les vertus à cultiver chez les responsables


Je vais juste ébaucher quelques points en renvoyant le lecteur à
l’exhortation apostolique de François « Gaudete et Exsultate » dans ses
quatrième et cinquième chapitres (N° 110 à 177).

· Le discernement
On l’a déjà vu, contempler la réalité dans laquelle nous vivons, voir
les lieux où le Démon agit avec une certaine facilité pour confondre nos
esprits, reconnaître l’action de l’Esprit dans le monde, tout cela demande
une vigilance et un esprit en veille comme le souligne plusieurs fois Jésus
dans l’Évangile ; mais c’est, pour nous, le premier pas pour savoir où
nous situer et comment agir. 15 C’est tout particulièrement vrai pour des
zones que l’on croit, « christianisées », et où ressortent des expressions
très fortes de paganisme, ou bien en Occident (et dans l’idéologie de la
mondialisation) où on fait passer une idéologie pour le bien naturel et
suprême.
Choisir fait partie du travail des supérieurs. Pouvoir le faire avec
une certaine indépendance d’esprit et dans la prière nous permet de faire
un choix avec le sentiment assez fort qu’on va dans le sens de Dieu ; ceci
nous aide à faire que la liberté intérieure soit une liberté d’action. Dieu
nous laisse une grande liberté dans notre action et qu’il appuie les
options que nous prenons, continuellement, il va nous aider à sortir le
bien d’une erreur.
Personne n’a l’Esprit tout seul ! C’est aussi en consultant des
spécialistes pour les domaines que nous ne connaissons pas, et en
réfléchissant ensemble à l’intérieur du Conseil qu’on arrive à faire
quelque chose.
Ceci est particulièrement vrai pour des tas de questions matérielles
ou financières qui sont devenues très compliquées et dépassent nos
compétences, dans la plupart des cas. Savoir s’entourer est tout un art :
un bon chrétien dévoué n’est pas toujours un bon technicien !

· L’humilité
Dans la SMA, beaucoup de choses poussent le supérieur à
l’humilité : la franchise virile avec laquelle les confrères disent leur
opinion ou leur désaccord ; la courte durée d’un mandat pour faire

15Il s’agit d’une application pratique de la médiation des 2 royaumes de Saint


Ignace de Loyola.

113
Mission en temps de crise

quelque chose (pour ne pas parler de la courte durée de notre vie !) ; nos
propres limites …
Et pourtant, la tentation est grande de vouloir faire le « chef », de
montrer notre autorité et croire que nous sommes détenteurs d’un
« pouvoir » … La tentation est forte de vouloir éviter tout ce qui nous
rabaisse.
Bien souvent le Démon nous fait nous croire importants et nous
pousse à manifester cette importance par des signes extérieurs, par notre
manière de parler ou d’agir. Il nous invite à croire que nous sommes plus
clairvoyants que beaucoup et nous égare ainsi. Parfois cet égarement à
regarder les autres de haut, à adopter des postures de juge impitoyable
nous conduit à une certaine violence envers nos confrères.
Humilité et vérité vont ensemble : si nous vivons une humilité
réelle, nous mettrons un climat de vérité dans notre entité et nous
grandirons en humanité, nous-mêmes. L’humilité va avec la croix et on
doit apprendre à se familiariser avec elle : c’est une manière d’être qu’on
apprend petit à petit et dont l’apprentissage durera jusqu’à la tombe.

· La persévérance
Lequel d’entre nous n’a pas eu, un jour ou l’autre d’envie de baisser
les bras, de donner sa démission, ou de partir prendre un autre poste
parce qu’un confrère nous a dit que ce que nous faisions n’avait pas de
sens ou que n’avions pas bien fait quelque chose… Et pourtant, c’est
dans la persévérance que nous servons le Règne de Dieu.
Nous avons le modèle de la persévérance dans le P. Planque : 50
ans de luttes incessantes au service de la SMA pour qu’elle continue et
ne soit pas absorbée par quelque ambitieux, ou ne soit pas le jouet d’un
parti à l’intérieur de la congrégation.
La persévérance c’est d’abord ce combat avec nous-mêmes, nos
faiblesses et nos péchés mais aussi contre le Démon qui veut entraver la
progression du Règne de Dieu. Le Pape François l’explique bien quand
il insiste que le pouvoir du Malin est parmi nous et pour cela a une telle
force destructrice 16. Mais c’est surtout le combat avec le Christ pour que
le Règne de Dieu soit présent.

16 PAPE FRANÇOIS, Gaudate et Exsultate, 5, 160.

114
Attention aux confrères : Le rôle premier des supérieurs

La joie que je vous souhaite


Nous connaissons tous cette phrase de Mgr de Brésillac ! Être
heureux là où le Seigneur nous a placés, être heureux de faire son travail
et de le faire le mieux possible, être heureux d’être avec d’autres frères
et sœurs.
Si nous, supérieurs d’une entité sma, ne sommes pas heureux,
comment rendrons-nous les autres heureux ? L’annonce de l’Évangile
c’est une bonne nouvelle qui se vit et qui se transmet plus par la joie
profonde et tranquille que nous manifesterons plutôt que par de grands
discours.
Attention à la joie simulée ! C’est en vivant l’amour jusqu’au bout
que nous pourrons montrer cette joie vraie et profonde d’une vie unie
au service du Règne de Dieu.
En terminant ce texte, j’ai l’impression d’avoir dit beaucoup de
choses et je me rappelle du proverbe bariba : « la parole sans les actes, ça
ne vaut rien », nul ne peut être parfait. Je sais aussi qu’il y a beaucoup
de manières de faire, c’est à chacun de voir, avec sa propre nature et ses
talents, avec le contexte de l’entité dans laquelle il vit, comment il va faire
en sorte que règne l’harmonie et la joie paisible des missionnaires dans
son entité.
Que le Seigneur accompagne chacun d’entre nous !

115
Prise en charge des membres

Fabien Sognon sma

Je vais commencer en citant le Canon 619 du Code du Droit


Canonique de 1983 : “Les Supérieurs s’adonneront soigneusement à leur
office et en union avec les membres qui leur sont confiés, ils chercheront
à édifier une communauté fraternelle dans le Christ, en laquelle Dieu
soit cherché et aimé avant tout. Qu’ils nourrissent donc fréquemment les
membres de l’aliment de la parole de Dieu et les portent à la célébration
de la liturgie sacrée. Qu’ils leur donnent l’exemple de la pratique des
vertus, de l’observation des lois et des traditions de leur propre institut ;
qu’ils subviennent à leurs besoins personnels de façon convenable,
prennent soin des malades avec sollicitude et les visitent, reprennent les
inquiets, consolent les pusillanimes, soient patients envers tous.” Cette
disposition du droit canonique impose certaines obligations aux
supérieurs en matière de prise en charge des membres. Étant donné que
le bien-être des membres est confié aux supérieurs par Dieu, l’exercice
de cette tâche doit être vu comme un service pastoral. Ce qui veut dire
que le soin à donner aux confrères doit aller au-delà du social ou du
physique. Il doit nécessairement toucher le coté spirituel et le salut des
membres.
Aussi, cette disposition nous amène à mettre un équilibre entre le
leadership spirituel et celui de la bureaucratie. La bureaucratie concerne
les papiers et les travaux administratifs tandis que les services spirituels
se basent sur la vie communautaire en relation avec notre rôle
prophétique d’annoncer le Royaume.

117
Mission en temps de crise

Bureaucratique Spirituel
Pièces d’immigration Retraite
Santé Recollections
Nourriture et boisson Direction Spirituelle
Tyrocinium Livres Spirituels
Vacances Unité Fraternelle
Retraite (cf. AG 19 nos. 53.2-56.2)
Deuil
Crise et Traumatisme

1. Les rôles Bureaucratiques


Je vais m’attarder sur cet aspect étant donné que l’autre aspect
(rôles spirituels) est assez clair. Beaucoup de documents sur le rôle
spirituel des leaders existent pour aider les supérieurs.
Les supérieurs doivent s’assurer de ce qui suit :
· L’entrée des membres dans leurs pays avec le visa exigé
· L’obtention des permis de résidence appropriés
· Le renouvellement annuel (périodique) du permis de résidence
soit fait
· Rappeler aux membres de renouveler leur permis puisqu’ils
peuvent oublier
· S’assurer que les gens soient instruits sur les réalités culturelles
pour éviter le choc culturel, de même sur les sujets particuliers
que tout visiteur doit éviter pour ne pas se mettre dans des
problèmes dans l’avenir
· Expliquer comment les choses sont organisées ainsi que tout ce
qu’un nouveau venu doit savoir dès le premier jour.

2. Santé
La santé est très importante. Les supérieurs ont un grand rôle à
jouer aussi bien dans les soins préventifs que curatifs.
Les soins préventifs sont : les contrôles réguliers ; chaque membre
doit être attentif et connaître sa santé ; ce qu’il peut prendre et qui ne va
pas lui nuire, et ce qu’il aime mais qu’il ne peut pas prendre. Un rappel
particulier à ceux qui ont des problèmes de tension, de cœur, de diabète,
et autres conditions spéciales de santé. Éduquer également les membres

118
Prise en charge des membres

sur certains dangers comme la consommation excessive de l’alcool, la


cigarette, l’alcool au volant. Cet aspect concerne aussi l’assurance de
santé. L’EMI ou autre assurance de santé doit être régulièrement mise à
jour pour ceux d’Afrique et, ceux qui sont en dehors de l’Afrique doivent
être couverts par une bonne souscription d’assurance de santé. Le
supérieur doit collaborer avec l’économe dans la mise à jour de la liste.
Les soins curatifs : Il s’agit ici de porter une attention particulière
aux malades, aux faibles. Quand la maladie survient, les supérieurs
doivent jouer un rôle de leader dans le processus de traitement en
trouvant la structure sanitaire appropriée, en coopérant avec les experts
médicaux pour s’assurer d’une bonne prise en charge. Toutes les entités
doivent avoir un plan financier réaliste pour des cas éventuels. Les soins
de santé peuvent être une des grandes dépenses. Une liste de spécialistes
(dentistes, ophtalmologues, ORL) et d’hôpitaux peut être produite dans
chaque entité pour l’usage des membres car certains services de santé
sont couverts à 100% par EMI tandis que d’autres ne le sont pas.

3. Nourriture et boisson
La nourriture et la boisson sont importantes pour notre survie. Les
membres doivent manger équilibré et être en forme. Il revient aux
supérieurs de s’assurer que les dispositions suivantes sont en place :
Que la communauté offre une bonne nourriture aux membres et,
les supérieurs doivent se renseigner sur l’alimentation quand ils visitent
les communautés et les paroisses. Un repas décent doit être toujours
offert non seulement quand le supérieur est là.
Une évaluation régulière du menu (programme alimentaire) dans
chaque communauté.
Lorsque les supérieurs visitent les communautés, ils peuvent offrir
des stocks alimentaires qui ne sont pas facilement trouvables dans les
milieux ruraux. Ils peuvent également donner du bon vin pour les
célébrations de Noël et de Pâque, comme certains supérieurs l’ont
toujours fait dont je préfère taire les noms ici.

4. Le Tyrociunum et les rencontres régulières


“Le Supérieur de l’Entité organise une initiation aux réalités
historiques, socio-politiques, culturelles et religieuses du pays pour les
membres et associés SMA nouvellement nommés dans son Entité. ” (AG
19 no.147) “Les supérieurs invitent des personnes de la société civile
(sociologues, anthropologues, psychologues, politologues, etc.) pour

119
Mission en temps de crise

aider à comprendre l’actualité changeante du monde afin de réajuster


notre activité missionnaire. ” AG 19 no.158 Ce point concerne la
formation et la remise à niveau des agents pastoraux selon les réalités
changeantes et dynamiques du terrain et du monde. Pour être efficace
dans le ministère, le missionnaire ou l’agent pastoral doit avoir un
contact avec le milieu ainsi que le peuple auprès duquel il a été nommé
pour servir. Ce programme aide le missionnaire à explorer les
différentes étapes de la théologie pastorale que sont : Observer, Juger et
Agir. Un missionnaire en contact avec son Dieu et son environnement,
c’est le meilleur moyen de faire germer et enraciner le Message de Dieu
dans la vie des gens. (Redemptoris Missio 31-38 ; 52-54 ; Pastores Dabo
Vobis 5-7 ; 57-59 ; 71-77 ; 80-81)
Les supérieurs auront aussi à maintenir un contact régulier avec
tous les membres à travers divers moyens de communication… Cela
montre une proximité avec les membres et certaines informations
peuvent circuler en dehors des réunions régulières tout en ayant des
informations sur chaque lieu de mission et sur les confrères.

5. Les vacances
Quand les membres sont en vacances, les supérieurs ont le devoir
paternel de les accueillir. Les membres aussi planifient leur séjour en
collaboration avec les supérieurs. L’allocation est également donnée à
ceux qui sont bénéficiaires.

6. La Retraite
Pour l’heure, nous qui sommes des jeunes entités n’avons pas des
membres à la retraite. Mon partage à ce niveau sera sur l’activation des
plans préparatifs. Notre plan à présent est d’établir un plan progressif
d’exécution pour ceux qui se retrouvent dans ce contexte ; mettre sur
pied des structures adéquates à la vieillesse. Nous pourrons établir un
plan. C’est mieux d’y penser maintenant car la vieillesse est toute
proche. Le secret pour lui faire face avec sérénité, c’est une bonne
planification ; mettre sur pied quelque chose et même faire des projets
sur les 20 années à venir.

120
Prise en charge des membres

7. Deuil
C’est un moment délicat pour les membres, alors ils doivent sentir
l’Amour de la famille SMA. C’est un moment où les supérieurs doivent
être proches du membre éploré.
Quand les membres perdent leurs parents biologiques, un soutien
financier est accordé à la personne selon les coutumes africaines.
· Organiser les confrères pour qu’ils participent aux obsèques
des familles éplorées des membres
· Si possible soutenir les membres de diverses manières. J’ai
personnellement eu à participer aux funérailles des parents
de confrères où je devais présider la messe d’enterrement, et
aux rites d’adieu.
· Si c’est un confrère, prendre les dispositions au plus vite.
· Informer l’évêque du lieu si nécessaire, Faire les démarches
administratives
· Cibler les cimetières au cas où rien n’est défini d’avance.

8. Crise et traumatisme
Les membres peuvent traverser des moments de difficulté
émotionnelle et psychologique dans la mission. Certaines de ces
expériences peuvent êtres dues à la guerre, aux attaques physiques, au
vol à main armée ou, dans des cas extrêmes, à la vie communautaire.
Nous traversons différentes crises de temps en temps. Il y a des
difficultés qui peuvent devenir plus sérieuses et peuvent mettre en
danger notre capacité d’aimer et d’agir. Les responsables ainsi que les
confrères informés doivent donc être proches de l’intéressé pour
l’épauler, le comprendre, anticiper les actions et le rassurer.

À propos de nos confrères


Derrière chaque situation difficile, un confrère peut être en train de
souffrir et nous devons faire l’effort de comprendre : Quelle est la cause
ou ce qu’est-ce a conduit le confrère dans cette situation difficile ? Quelle
a été son histoire personnelle, sa formation, ses relations avec les autres
confrères ? Comment étaient ses ministères personnels, son activité
missionnaire, ses espérances, ses crises, ses luttes, ses victoires, et ses
défaites ? Ce n’est pas facile d’avoir des réponses à ces questions, mais
cela peut aider à comprendre la situation qu’il traverse. Les confrères qui
traversent des difficultés comme déception, épuisement par un travail

121
Mission en temps de crise

donné, la maladie physique, psychologique, affective, difficultés avec la


vie spirituelle ; ont besoin de notre soutien, solidarité et respect enfin
pour les aider à supporter ce lourd fardeau.
Un autre aspect que nous ne devons pas oublier est le type de
confrères que l’on appelle “Présent mais Absent.” Ils sont nommés à un
lieu ou pour faire un travail particulier mais sont spirituellement,
physiquement, émotionnellement absents. Parfois ils ont un impact
négatif sur les autres. Certains vivent dans l’isolement.

Les mesures préventives


Les Supérieurs doivent soutenir les membres en situation difficile
et promouvoir une bonne vie communautaire. Les gens doivent être
orientés pour partager aisément les problèmes sinon, trouver un moyen
pour initier le dialogue avec ces personnes et leur permettre de s’ouvrir.
Entretenir une bonne relation qui ne va pas empêcher quelqu’un de
s’exprimer ou de demander si nécessaire de l’aide. Avoir des moments
récréatifs, le temps pour discuter à table sans offenser quelqu’un.

Les mesures curatives


Les leaders et tous ceux qui sont impliqués dans le traitement et la
prise en charge des membres doivent observer une grande
confidentialité. Chacun a le droit à une bonne réputation. Il ne doit pas
avoir une divulgation de la situation du membre. Les affaires sensibles
doivent être traitées avec discrétion. Celui qui traverse cette situation
doit être mis en confiance pour ne pas avoir honte, ni avoir peur de
s’exprimer sur sa situation. Il doit être mis en confiance grâce à
l’atmosphère dans laquelle il vit.
Une assistance professionnelle doit être trouvée pour le membre.
Les références ou archives sur le traitement du membre doivent être
détruites ou mises en dehors de son dossier personnel. Une fois encore,
nous avons tous droit à une bonne réputation. La discrétion sur les sujets
sensibles doit être gérée avec respect pour les membres.
Les autres crises peuvent inclure divers problèmes moraux.
Certaines formes d’accusations doivent être gérées avec précaution et
respect pour la personne impliquée que ce soit vrai ou faux.
Une chose importante à ne pas négliger est d’avoir des dispositions
financières pour des problèmes imprévus. Ce n’est pas tous qui peuvent
faire face aux frais que cela peut engendrer parfois, mais une bonne
planification financière est la clé pour agir bien à temps quand cette crise

122
Prise en charge des membres

arrive. Parfois, les frais des problèmes peuvent coûter plus chers que les
problèmes de santé habituels, et nous devons être prêts à bien faire face
à cela et à le surmonter.
Les leaders sont invités à apporter ce type de soin (exercer cette
responsabilité) dans un amour fraternel. Cela voudrait dire qu’ils ne
doivent pas utiliser ces opportunités pour faire sentir au confrère qui a
été sauvé d’une situation difficile qu’il a une dette morale envers le
supérieur en tant qu’individu. Une situation pareille, si elle n’est pas
bien suivie pourrait conduire à la dépendance.

123
Maison construite pour les tempêtes

S. I. Francis Rozario sma

De toute notre vie, c’est la première fois que nous sommes


confrontés à une pandémie généralisée qui défie le monde entier et qui
résiste déjà une deuxième année au moment où nous mettons sous
presse ce bulletin. Tout le monde s'efforce de donner un sens à cette
réalité indéniable, inéluctable et incontournable que nous traversons.
Des moments forts pour tester et ajuster nos convictions
fondamentales sur la vie.
Dans la première partie de cet article, nous allons cibler quelques
manières généralement répandues de comprendre et d'interpréter les
malheurs de la vie, les analyser de manière critique et en exposer les
limites. Dans la deuxième partie, nous cheminerons avec Jésus et nous
verrons comment il interprète des événements similaires lorsqu'il les
rencontre. Puis, dans la troisième partie, nous ferons une synthèse des
convictions chrétiennes concernant les tempêtes dans la vie.

1. Donner un sens aux malheurs


Les dangers et les catastrophes qui menacent la vie restent comme
des nuages noirs au-dessus de nos têtes. Nul ne sait quel malheur va
frapper qui et quand. Découvrons donc certaines façons de raisonner,
leurs racines dans l'Ancien Testament et dans les cultures asiatiques et
africaines.

1.1. L'Ancien Testament


La Bible est la parole de Dieu écrite par des auteurs humains telle
qu'ils l’ont comprise. Cela explique non seulement les différences mais
aussi l'évolution de la théologie dans la même Bible. Nous constatons

125
Mission en temps de crise

des changements et une croissance significative dans la compréhension.


Ne vous y trompez pas, une nouvelle compréhension se rapproche des
anciennes sans les remplacer.

Je suis spécial et je ne souffre pas


Abraham, le père de la foi, vit une expérience étonnante, puissante
et révélatrice de Dieu. Il ressent dans son cœur et dans ses tripes l'amour
et la providence de Dieu. Il se rend compte à quel point il est précieux
aux yeux de Dieu. Cela lui permet d'obéir à Dieu avec une confiance
absolue. Il n'a aucun doute, Dieu est à ses côtés. Nous lisons la promesse
de Dieu faite à Abraham dans Genèse 12, 1-3 « Va de ton pays, de ta famille
et de la maison de ton père, dans le pays que je te montrerai. 2Je ferai de toi une
grande nation, je te bénirai et je rendrai grand ton nom. 3Tu seras une
bénédiction : je bénirai ceux qui te béniront, et celui qui te maudira, je le
maudirai, et toutes les familles de la terre seront bénies en toi. » Dieu donne
un ordre dans le premier verset et un certain nombre de promesses dans
les versets suivants. Dieu promet une bénédiction générale pour la vie
d'Abraham au verset 2, puis, nous voyons quelque chose
d'extraordinaire au verset 3 : « je bénirai ceux qui te béniront, et celui qui te
maudira, je le maudirai. » Nous devons certainement approfondir
davantage ce sujet.
La bénédiction commune s’exprime en ces termes : « Bénis soient
ceux qui te bénissent et maudits soient ceux qui te maudissent ». Nous le
voyons dans les bénédictions accordées à Jacob (Gn 27, 29) et à Judas (Nb
24, 9). Notez deux changements majeurs dans la bénédiction d'Abraham.
L'implication personnelle et directe de Dieu est soulignée par
l'utilisation du pronom à la première personne (je bénirai... je maudirai)
qui remplace la forme impersonnelle du dicton populaire (béni soit...
maudit soit).
Le second changement disparaît dans de nombreuses traductions.
Deux verbes différents sont utilisés en hébreu pour désigner la
malédiction. Le verbe utilisé pour celui qui maudit Abraham (qalal) est
beaucoup plus léger, ce qui pourrait se traduire par « mépris, dédain,
manque de respect », et le verbe utilisé pour maudire cette personne
(arar) est très fort. 1 Nous pouvons traduire le verset par « Je maudirai
quiconque te méprise, te dédaigne ou te manque de respect ». Cela

1 G. J. WENHAM, Word Biblical Commentary, Vol. 1, (Dallas: Word, Incorporated,

1987), 276.

126
Maison construite pour les tempêtes

revient à dire : « Je traiterai durement quiconque te touche ». Cette


déclaration témoigne d'un énorme sentiment d'estime de soi.
Abraham se sent investi par cette prise de conscience, et quitte sans
crainte le pays de son père pour s'aventurer vers un territoire inconnu.
Les patriarches partageaient les convictions religieuses d'Abraham.
Abraham, Isaac et Jacob ont vécu longtemps et ont possédé une richesse
enviable constituée de beaucoup d'animaux, de serviteurs et d'esclaves.
De plus, ils avaient de belles femmes. La beauté irrésistible de Sarah et
de Rebecca leur a même valu de graves ennuis (Gn 12, 10-20, Gn 26, 6-
11). Bien que stériles (Gn 16, 1-2 (Sarah), 25, 1 (Rebecca), 29, 31 (Rachel),
elles ont enfanté par une grâce spéciale de Dieu. En bref, les patriarches
avaient tout ce qui était désirable et ne manquaient absolument de rien.
Ils étaient épargnés des malheurs. Nous pouvons résumer l'ensemble de
la compréhension comme suit :
Abraham a été choisi par Dieu comme une personne spécialement
privilégiée.
Il a obéi à Dieu et Dieu l'a béni.
La bénédiction est synonyme de richesse, de longue vie et de
descendance. Tout cela devient possible étant donné que la personne
supposée bénie est épargnée de tous malheurs.

Mon Dieu se bat pour moi et je ne souffre pas


Nous lisons les récits de plusieurs guerres dans l'histoire
deutéronomiste (Josué, Juges, 1, 2 Samuel et 1, 2 Rois). Heureusement,
nous en trouvons peu dans notre lectionnaire. Cela rend la tâche un peu
plus facile pour les prédicateurs. Ce qui dérange le plus dans les détails
macabres et dégoûtants de la guerre, c'est la conviction théologique
sous-jacente. Par exemple, le premier roi d'Israël, Saul, est discrédité non
pas à cause d'un quelconque crime de guerre mais parce qu'il n'a pas
exécuté le roi Agag et n'a pas détruit tout le cheptel d’ovins et le bétail
des Amalécites ! Saul plaide coupable et demande pardon ! Qu'arrive-t-
il alors au roi Agag ? Samuel, le prophète, termine le travail que Saül, le
roi guerrier, n'a pas réussi à faire. Où ? Dans le sanctuaire « devant
l'Éternel à Guilgal » (1 Sam 15, 10-34).
Ce n'est là qu'un des nombreux exemples similaires du soi-disant
« Herem » - « voué à la destruction » (Cf. Lv 27, 28-29, Jos 6, 17 - 8, 26, 1
R 20, 42). Bien qu'il soit horrible et répugnant, il s'inscrit parfaitement
dans la compréhension théologique du discours final de Josué :
« 3vous avez vu tout ce que Yahvé votre Dieu a fait à cause de vous à toutes
ces populations ; c'est Yahvé votre Dieu qui a combattu pour vous. 6Montrez-

127
Mission en temps de crise

vous donc très forts pour garder et accomplir tout ce qui est écrit dans le livre
de la Loi de Moïse, [...] 7sans vous mêler à ces populations qui subsistent encore
à côté de vous. Vous ne prononcerez pas le nom de leurs dieux, vous ne les
invoquerez pas dans vos serments, vous ne les servirez pas et vous ne vous
prosternerez pas devant eux, [...] 12Mais s'il vous arrive de vous détourner [...]
13alors sachez bien que Yahvé votre Dieu cessera de déposséder devant vous ces

populations (…) jusqu'à ce que vous ayez disparu de ce bon sol que vous a donné
Yahvé votre Dieu. » (Josué 23, 3-13)
Décrivons les convictions :
« Notre » dieu protège « notre » peuple. Il n'a rien à voir avec les
« autres » peuples qui ont « leurs » dieux.
Lorsque nous allons en guerre, notre dieu vient avec nous, il se bat
pour nous contre les « autres ». Épargner un ennemi de guerre est une
trahison à dieu qui a assumé sa part de la bataille.
Lorsque nous vainquons, cela montre la grandeur de notre dieu par
rapport aux dieux des autres peuples.
Nous perdons soit parce que les autres dieux étaient plus forts, soit
parce que notre dieu n'est pas venu avec nous. Nous avons dû faire la
guerre seul, sans notre dieu qui s'est fâché contre nous pour une raison
ou une autre. Le plus souvent, cela est dû au fait que certaines personnes
admiraient et suivaient d'autres dieux.
Aussi longtemps que je servirai mon dieu, il se battra pour moi et
je ne souffrirai pas.

Je suis bon, je ne souffrirai pas jusqu'à la mort


Le livre de Job aborde la polémique de la souffrance d'une personne
juste. Job a vécu une vie impeccable et a évité le mal au-delà de toute
norme possible. Il offrait des sacrifices de réparation non pas pour ses
péchés connus ou ceux de ses enfants, mais pour les péchés et
blasphèmes éventuels que ses enfants auraient pu commettre dans leurs
pensées, même pas dans leurs actions. Telle était l'étendue de sa justice.
Un homme avec un tel palmarès ne devrait aucunement souffrir et
pourtant il est dévasté et traverse une terrible agonie. Le livre aborde les
détails choquants et dramatiques des malheurs et du raisonnement des
gens.
À la fin du livre, Job est justifié. Il retrouve la santé et la richesse, y
compris les enfants, de son vivant. Le livre de Job tolère une souffrance
à court terme pour une personne juste et elle est justifiée de son vivant.

128
Maison construite pour les tempêtes

1.2. Quelques interprétations asiatiques et africaines


Asie
Dans toute cette discussion sur le mal, les gens trouvent le sens de
la justice assez intrigant et même inquiétant. La souffrance ne les
dérange pas, pourvu qu'ils y voient une certaine logique. Ils comparent
leurs souffrances avec celles des autres pour comprendre la justice et
l'équité. Par exemple, lorsque tous ceux qui étudient durement
obtiennent de bonnes notes et obtiennent un bon emploi, la souffrance
impliquée ne ressemble pas du tout à une souffrance. Elle peut être
considérée comme un processus normal. Comment se fait-il que certains
souffrent beaucoup plus que d’autres ? En quoi est-ce juste et équitable ?
Y a-t-il une logique derrière tout cela ?
La vie présente différents défis et opportunités pour différentes
personnes en fonction de leur état physique et mental, de leur statut
social et financier, de leur famille, de leurs dons et de leurs limites.
La philosophie indienne croit fermement à la justice et à l'équité et
elle ne voit aucune possibilité de justice dans un seul cycle de vie. Les
gens finissent leur vie entière sans jouir des fruits de leurs vertus et sans
payer de pénalités pour leurs vices. La simple mort ne peut pas remettre
nos comptes à zéro. Les gens doivent se réincarner et avoir plusieurs
cycles de vie jusqu'à ce que tous les comptes soient soldés. L'essentiel est
que chacun doit tôt ou tard payer pour ses actes.
Comment voyons-nous la souffrance dans ce contexte ? Vous
souffrez parce que vous payez pour les péchés de votre vie dernière ou
pour le mal de quelqu'un d'autre dont l'auteur sera puni dans cette vie
ou dans la suivante, et vous serez justifié dans cette vie ou dans la
suivante.

Afrique
De nombreuses cultures africaines aiment profondément la vie
dans sa plénitude et croient que seules les choses bonnes et agréables
sont naturelles et que les choses désagréables sont provoquées par de
mauvaises intentions. Cette conviction dévoile une merveilleuse vérité.
La bonté peut exister par elle-même. Le mal n'est pas nécessaire à la vie.
Le mal lui-même n'a pas d'existence indépendante ; il n'est rien d'autre
que l'absence de bien.
De nombreuses cultures africaines célèbrent la vie et nient
explicitement le fait que la maladie et la mort puissent être naturelles ou

129
Mission en temps de crise

normales. Malgré ce déni, nous n'avons pas d'autre choix que d'affronter
la maladie, les problèmes et la mort jour après jour.

1.3. Les implications sociales de ces convictions


De nombreux chrétiens, de bons chrétiens, y compris des prêtres et
des religieux, partagent et promeuvent les convictions évoquées ci-
dessus. Au-delà d'être insatisfaisantes et inadéquates, ces convictions
sèment des graines toxiques dans la société. Voyons comment.

1. Je suis spécial, et je ne souffre pas, ou je ne devrais pas souffrir


Plus on regarde de près cet état d'esprit, plus il semble effrayant.
Cette croyance rend totalement inconscient de la souffrance des
autres et donne un sentiment de droit, niant tout soupçon d'égalité. On
peut même être fier d'obtenir des avantages au détriment des autres et,
pire encore, on peut remercier Dieu pour cela. Les bons croyants peuvent
se complaire dans une situation désordonnée sans rien faire pour
l'améliorer simplement parce qu'ils ne sont pas directement touchés.
Une route peut être mauvaise et causer régulièrement des accidents, et
cependant, les gens peuvent remercier Dieu pour leurs voyages en toute
sécurité sans être scandalisés par la mort régulière de personnes.
Ces mêmes personnes se sentiront terriblement scandalisées
lorsqu'elles seront confrontées aux conditions auxquelles tout le monde
est confronté. De nombreux chrétiens ont été choqués et scandalisés
lorsqu'ils ont appris que des prêtres et des évêques ont succombé au
virus Corona.
N'est-il pas puéril, insensible et égoïste de souhaiter être le seul à
être épargné et traité de manière privilégiée ? Les convictions infantiles
semblent inoffensives chez les enfants et s'avèrent terriblement
dangereuses chez les adultes. Fondamentalement, ce sentiment d’ayant
droit va à l'encontre de la solidarité, de l'égalité et de la compassion - des
éléments essentiels pour construire une société en tant que famille.

2. Le Dieu de mon peuple se bat pour nous et je ne souffre pas


Cette idée présuppose le polythéisme. Il y a beaucoup de dieux. Le
dieu de chaque groupe protège et prend soin de son groupe. Nous
sommes constamment en guerre avec d'autres groupes pour obtenir plus
de pouvoir, de richesse et d'influence. Je suis fidèle à mon dieu et mon
dieu m’est fidèle.
Si nous creusons les dessous des guerres et des conflits entre
personnes de religions différentes ou même entre différentes confessions

130
Maison construite pour les tempêtes

chrétiennes, nous découvrirons les principaux ingrédients de cette


conviction.
La violence active contre d'autres personnes peut être tolérée et
même célébrée comme une expression de loyauté, d'engagement radical
et de piété envers « un dieu ». Beaucoup donnent même leur vie en
combattant les opposants qui servent d'autres dieux. Tous les groupes
fanatiques le montrent fièrement. Ces soldats de première ligne, quel
que soit le groupe, se sentent abandonnés et poignardés dans le dos
lorsqu'ils entendent dire que « leur » dieu peut aimer d'autres
personnes.
Les guerres entre pays, groupes et confessions religieuses ne
peuvent jamais se terminer tant que les gens partageront cette
conviction, même s'ils ne l'expriment pas clairement.

3. Je suis juste, et je ne souffre pas jusqu'à la mort


Cette conviction comprend la vie comme étant le temps entre la
naissance et la mort et présume que tous les résultats du match sont
réglés avant la fin du jeu malgré les hauts et les bas de la partie. Bien
qu'elle promeuve l'importance des vertus, elle ne reflète pas la réalité
plus que tout autre vœu pieux.
Le Job de la bible a des enfants et de la richesse après sa
réhabilitation. Combien de parents vivent et meurent aujourd'hui en
pleurant amèrement sur la tombe de leurs enfants ! Des innocents
souffrent et meurent dans la misère sans jamais être vengés et de
nombreux malfaiteurs jouissent du luxe et des hommages même à leurs
funérailles.
Toute cette notion de justice dans la vie s'effondre lorsqu'on la met
à l'épreuve de la simple expérience quotidienne. Les gens se sentent
déçus et désillusionnés. Certains concluent même que les vertus n'ont
pas d'importance.

4. Prenez le nombre de vies que vous voulez et payez pour vos actions
Cet état d'esprit rend les gens carrément responsables de leurs actes
et les oblige à rendre des comptes. Les vertus se concrétisent et les
mauvaises actions se retournent contre eux. La mort n'est pas la fin de la
vie, mais seulement la fin d'un de ses nombreux cycles.
Cette conviction favorise une vie vertueuse, mais on peut se sentir
suffisant et mépriser les autres. Je suis en bonne santé et riche, grâce à ce
que j'ai fait dans ma vie précédente. Vous êtes misérable et pauvre à

131
Mission en temps de crise

cause de votre malheur dans la dernière vie. Il n'y a pas de place pour la
compassion.
Elle tolère l'injustice et le trop de misère trop longtemps. Pourquoi
rendre la vie des autres meilleure puisque la nature elle-même
équilibrera les choses avec le temps ?
Absolument aucune place pour le pardon ! La vie fonctionne
comme une machine et elle ne connaît pas d'exceptions. On récolte ce
que l'on sème.

5. La souffrance et la mort ne sont pas normales


Comme expliqué précédemment, cette vision du monde montre
une approche globalement positive de la vie en général. Il s'agit
également d'un vœu pieux qui ne correspond pas à la réalité que nous
voyons tous les jours.
Nier la mort et les malheurs ne les retire pas de la vie humaine. Pour
garder cette idéologie intacte, les gens se battent pour trouver un bouc
émissaire pour chaque souffrance. D'une part, cela rend les faibles
encore plus vulnérables et aptes à être accusés (ils sont les seuls à ne pas
se défendre) et d'autre part, cela donne une fausse satisfaction à toute la
société. Une fausse satisfaction, car tout le monde sait au fond que cela
ne résout en rien les vrais problèmes qui sont en fait plus complexes et
plus importants. Trouver un bouc émissaire, revient à étaler un tapis sur
une fissure, c'est mettre un terme à la vision troublante d'un problème
sans vraiment le résoudre.
Les implications et les conséquences logiques que nous avons
examinées jusqu'à présent appellent une autre vision, un autre état
d'esprit, une métanoïa.

2. Comment Jésus a-t-il réagi aux souffrances et à


la mort des hommes ?
La vision de Jésus ressort clairement de sa réaction à divers
événements de la vie et de ses enseignements.
Jésus offre de nouvelles perspectives par la façon dont il affronte les
malheurs de sa propre vie et de celle des autres et il remet ouvertement
en question certaines convictions traditionnelles.

Événements
Accidents et calamités : Les journaux et les chaînes de télévision ne
cessent de rendre compte des accidents et des décès. Jésus aussi reçoit

132
Maison construite pour les tempêtes

des nouvelles très inquiétantes de diverses sources. Les gens lui parlent
de Galiléens tués par Pilate, très probablement dans le temple. Il est
certain que les gens ont interprété l'événement de bien des façons. Jésus
réfute une interprétation cachée et demande aux gens : « Pensez-vous que,
pour avoir subi pareil sort, ces Galiléens fussent de plus grands pécheurs que
tous les autres Galiléens ? » (Lc 13, 2) Jésus parle des victimes comme des
personnes qui ont « souffert » et non comme des individus qui ont été
« punis pour leurs péchés » ou qui ont été « abandonnés par Dieu ».
Certains ont pu penser que Dieu n'était pas intervenu pour les sauver de
la cruauté de Pilate parce qu'ils venaient de Galilée (le nord) et non de
Judée où se trouve Jérusalem.
Jésus fait référence à une autre calamité qui semble s'être produite
à Jérusalem même : la chute de la tour de Siloé, tuant dix-huit personnes.
La mention de cette calamité neutralise la supériorité de Jérusalem sur
la Galilée. Ensuite, dans l'interprétation, Jésus répète qu'ils n'étaient pas
plus pécheurs que les autres.
Remarquez ici une nuance importante. Jésus ne nie pas la croyance
générale selon laquelle les péchés apportent la souffrance mais, en même
temps, refuse de mépriser les victimes, refuse de conclure qu'elles ont
souffert parce qu'elles sont de pires pécheurs ; il nie catégoriquement le
crédit que les gens s'attribuent pour ne pas souffrir comme les autres.
Ceux qui n'ont pas été tués par Pilate ou par la chute de la tour de Siloé
n'ont absolument aucune raison de se féliciter ou de se considérer
comme vertueux.
La maladie : Examinons deux exemples qui montrent l'attitude de
Jésus et de son entourage face à la maladie.
Premièrement, la guérison de l’aveugle-né. Les disciples
demandent à Jésus : « Rabbi, qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu'il
soit né aveugle ? » (Jn 9, 2) Cette question affirme que le péché de
quelqu'un a causé la cécité de l'homme et ne cherche qu'une précision -
à qui appartient le péché. En réponse, Jésus déclare que « ni cet homme ni
ses parents n'ont péché ».
Deuxièmement, la guérison d'un paralytique. Tout en le guérissant,
Jésus lui dit, à la surprise des pharisiens et des scribes, « Tes péchés sont
pardonnés » (Lc 5, 20-24) avant de lui ordonner de se lever et de rentrer
chez lui. Jésus montre un lien réel entre le péché et sa condition. Le
pardon et la guérison deviennent synonymes dans la question que Jésus
pose aux scribes et aux pharisiens : « Qu'est-ce qui est le plus facile, de dire :
« Tes péchés te sont pardonnés » ou de dire : "Lève-toi et marche ? » (Lc 5, 23).

133
Mission en temps de crise

L’autre endroit où Jésus dit : « Tes péchés sont pardonnés », c'est à la femme
repentante qui a oint ses pieds » (Lc 7, 48).
Jésus ne considère pas la souffrance comme une punition méritée
par un pécheur, qui peut amener à mépriser la personne qui souffre et à
apaiser sa propre conscience de n'avoir offert aucun soutien. C'est
comme dire : « Il est juste et équitable que tu souffres, parce que tu payes
pour tes péchés. Je veillerai à ne pas devenir comme toi. Merci de m'avoir
donné une leçon ». Jésus voit la souffrance « causée » par une vie de
péché. Cette petite nuance fait toute la différence. Lorsqu'une personne
pécheresse réalise à quel point elle souffre à cause de sa vie de pécheur,
elle désire un changement. La conversion du mode de vie devient non
seulement une possibilité d'espoir, mais aussi l'option la plus pratique et
la plus sensée. Le pardon devient une libération. Tout péché mène à
l'esclavage et à la souffrance, mais toute souffrance ne vient pas de ses
propres péchés.
Dans les cas ci-dessus, Jésus libère le paralytique et la femme de la
souffrance et du péché en offrant son pardon. L'aveugle-né a, lui aussi,
connu beaucoup de souffrances et Jésus ne les relie à aucun péché. Jésus
a aussi de la compassion pour l'aveugle, il entre en action et lui offre une
vie meilleure.
La mort : Les Écritures nous donnent un aperçu de la réaction de
Jésus face à la réalité de la mort dans deux cas - le fils de la veuve de
Naïm et Lazare. Dans le premier cas, ni le mort ni sa mère ne sont
nommés. Il est probable que Jésus ne les connaissait pas
personnellement. Le second est un ami cher à Jésus. Nous connaissons
le nom du défunt et celui de ses sœurs. Le fils anonyme et l'ami cher sont
tous deux confrontés à la même réalité : la mort. Dans les deux cas, Jésus
est profondément ému de compassion ! Regardez cette réponse
émotionnelle de Jésus. Il est ébranlé. Dans le cas de la mort de Lazare,
Jésus savait déjà ce qu'il allait faire et c'est pourquoi il a tardé à monter
à Béthanie (Jn 11, 4-6). Malgré cela, lorsqu'il voit les gens pleurer, il est
profondément troublé et pleure.
Dans ces deux occasions, nous ne voyons pas Jésus accuser les
morts ou les autres de leur mort. Il fait face à la réalité, partage la douleur
des personnes en deuil et est profondément ému par la compassion.
La vie du Christ : Regardez la vie personnelle du Christ lui-même,
il n'entre pas dans la catégorie des personnes bénies et privilégiées selon
l'ancienne conception. Il ne possédait pas beaucoup de richesses ni
d'animaux. Il n'avait pas une grande maison. Il menait la vie très
ordinaire de la majorité. Dans la société où les veuves se trouvaient au

134
Maison construite pour les tempêtes

bas de l'échelle, il comptait sa propre mère parmi elles. Il a été victime


de fausses accusations et d'un assassinat. Bien qu'on lui ait dit avec
raillerie « Sauve-toi si tu es fils de Dieu » (Mt 27, 40), il a fini par mourir
sur la croix.

Enseignements
Nous avons vu la réponse de Jésus à diverses situations - accidents,
maladie et mort. Certaines de ses réactions choquent les uns et
scandalisent les autres. Elles ébranlent naturellement les convictions
conventionnelles fondamentales. Examinons maintenant ses
enseignements, dans lesquels il établit clairement un paradigme
différent dans son ensemble.

Dieu, le père de tous, pas le chef d'un club d'élite


Dans la première partie, nous avons vu la notion de « peuple de
Dieu » où Dieu se bat contre ceux qui veulent nuire à son peuple. Selon
cette notion, la vertu la plus importante est de ne pas être contaminé par
les autres et d'être fidèle au dieu protecteur, en gardant tout ce qui les
distingue des autres. Même à l'époque de Jésus, les Juifs souffraient sous
l'occupation romaine et le peuple priait pour que Dieu combatte leur
cause contre les Romains. Beaucoup priaient pour un messie par lequel
Dieu les libérerait.
Jésus brise ces rêves et ces attentes en changeant tout le cadre. Tout
d'abord, il ne considère pas le changement politique comme sa mission
ou sa priorité. Ensuite, il parle de Dieu non pas comme du protecteur de
son peuple contre ses ennemis, mais comme d'un père qui prend soin de
« chaque être ». Il nourrit les oiseaux du ciel qui ne sèment ni ne récoltent
(Mt 6, 26), « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et fait pleuvoir
sur les justes et sur les injustes » (Mt 5, 45). Si telle est l'identité de Dieu,
alors non seulement il est inimaginable que Dieu détruise les opposants
du peuple, mais cela devient aussi une obligation pour les disciples
d’«aimer leurs ennemis et de prier pour ceux qui les persécutent » (cf. Mt 5,
44). La logique qui sous-tend tout cela montre que chacun est un enfant
de Dieu. Il n'y a plus de place pour un statut, des privilèges et des droits
spéciaux. Je ne peux obtenir aucune faveur de Dieu au détriment des
autres.
Que signifie donc être disciple du Christ ? Jésus demande à ses
disciples d'imiter, de refléter et de ressembler à Dieu comme les enfants
imitent, reflètent et ressemblent à leur père.

135
Mission en temps de crise

Lorsque mon garde du corps ne connait personne en ville, il mettra


en pièces quiconque me fera du mal. Et s'il est étroitement lié à tous les
habitants de la ville, y compris ceux que je n'aime pas ? L'inclusion des
autres signifie la dilution de ses droits. Cette notion apporte un
sentiment massif de perte et même d'indignation que nous voyons chez
les Scribes, les Pharisiens, les ouvriers de la première heure (« Tu les as
rendus égaux à nous » Mt 20, 12) et le frère aîné du fils prodigue (Lc 15,
30).

Serai-je épargné de la souffrance ? Certainement pas !


Une fois que l'idée de Dieu comme garde du corps personnel contre
les autres ne tient plus, il demeure une question urgente. Serai-je
épargné de la souffrance ? Faisons face à la réponse choquante du
« Non ». Jésus ne promet pas qu'il nous épargnera la souffrance. Au
contraire, il garantit la souffrance à ses disciples (Mt 24, 9-14).

Attendez-vous à des tempêtes et vous avez le pouvoir d'y faire face


Comment imaginez-vous un disciple du Christ – une personne
enveloppée dans un manteau et vivant dans un bunker pendant la
tempête ? Non, les disciples ressemblent à la maison construite sur un
rocher qui sans crainte, fait face à la tempête. Cette maison est frappée et
battue par les vents et les inondations, mais elle tient bon - non sans
meurtrissures (cf. Mt 7, 24-25).
Tout d'abord, Jésus affirme que les tempêtes dans la vie, en plus
d'être inévitables, sont aussi à prévoir et même à choisir volontairement
parce que les options les plus faciles que nous rencontrons dans la vie
mènent à la destruction. « …mais étroite est la porte et resserré le chemin qui
mène à la Vie » (Mt 7, 13-14). Par conséquent, la vie quotidienne normale
d'un disciple ressemble à un passage par une porte étroite.
Deuxièmement, à plusieurs reprises il dit aux disciples qu'il n'y a
pas de raison de paniquer. Ils sont très bien armés pour faire face à tout.
(Mc 13, 11).
Il est certain que lorsque les gens choisissent d'abord l'option
difficile, ils deviennent comme des soldats résistants. Outre la force
intérieure, la confiance et la résilience que nous tirons de cet état d'esprit,
Jésus promet son soutien direct lorsque nous faisons face à des tempêtes
et à des batailles. Le Père céleste connaît nos besoins (cf. Mt 6, 32), écoute
nos prières et pourvoit à tous nos besoins (cf. Jn 16, 23-24). L'Esprit Saint
est avec nous comme un guide et un accompagnateur (cf. Jn 16, 7-13).
La ligne de fond – « N'ayez peur de rien. Vous êtes bien armés ».

136
Maison construite pour les tempêtes

Quelle bonne nouvelle étonnante ! Un sentiment de sécurité et de


confiance totalement différent !
L’être humain donne le meilleur de lui-même lorsqu'il se sent en
confiance et en sécurité, et il montre son côté ignoble et sordide lorsqu'il
se sent menacé et en situation d’insécurité.

Attitude envers les personnes battues et meurtries


Les vents continueront de souffler et les tempêtes de frapper. Qu'en
est-il des personnes abattues, totalement meurtries ? Nous voyons un
enseignement clair dans la parabole du bon Samaritain. Le pape François
fait une observation très intéressante dans la récente encyclique « Fratelli
tutti » lorsqu’il dit que la parabole commence par une victime et que le
vol a déjà eu lieu. Pas de détails sur le crime pour nous distraire.
Comment allez-vous réagir ? Aider la victime qui est par terre ou passer
par là ? (Cf. art. 72-74)
Jésus fait passer la compassion et l'action concrète avant tout. Pas
de place pour les jeux de reproches ou les analyses académiques qui
deviennent souvent des excuses pour éviter la compassion et l'action.

Cadre de vie
Pour ceux qui considéraient la mort comme une perte ultime, Jésus
enseigne de ne pas avoir peur de ceux qui ne peuvent que tuer le corps
(Mt 10, 28) ! Cet enseignement minimisait la peur de la mort et mettait
l'accent sur la vie éternelle. En évoquant cela, Jésus se faisait l'écho non
pas de la pensée des livres écrits pendant la période de la conquête, mais
de ceux écrits pendant les moments d'exil et de persécution comme les
livres de Daniel et de Maccabées.
Nous voyons la vie comme une réalité éternelle, la mort comme une
porte et l'acceptation de la souffrance comme une expression de courage
et de fidélité. Ces paramètres restent inchangés, même lorsqu'il n'y a pas
de persécution d'une nation par une autre et même lorsque nous
réalisons que nous formons tous une famille.
En plus d'entendre les enseignements de Jésus, les disciples ont fait
l'expérience du Christ glorieux ressuscité et de la présence fortifiante du
Saint-Esprit dans leur vie.

3. La grâce (Amazing : grâce)


Nous avons vu dans la première partie le désir humain de ne pas
souffrir et comment diverses notions sur Dieu soutenaient ce désir.
Chaque conviction évoquée ci-dessus a certainement eu à l'origine

137
Mission en temps de crise

certaines expériences spirituelles et, en même temps, nous constatons


plusieurs problèmes et incohérences lorsque nous les poussons au-delà
d'une certaine limite.
Jusqu'à aujourd'hui, nous rencontrons les différentes idées et la
structure de pensée dont nous avons parlé dans la première section.
Dans la deuxième partie, nous avons vu comment Jésus a placé la
souffrance, la moralité et les conséquences de ses actes dans le cadre
général de la vie.
Dans cette dernière partie, nous allons garder le bébé et ne jeter que
l'eau du bain. Les idéologies n'évoluent que lorsqu'elles sont identifiées,
articulées et remises en question. Si de nombreuses convictions
religieuses sont basées sur certaines expériences spirituelles
personnelles réelles, nous devons analyser soigneusement les
conclusions que les gens ont tirées de ces expériences et essayer de faire
émerger une compréhension chrétienne cohérente basée sur la vie et les
enseignements de Jésus-Christ.

1. Je suis spécial et précieux comme tout le monde


Les gens font très clairement l'expérience de l'amour, de l’attention
et de la protection de Dieu à différents moments clés de leur vie. Ces
expériences, sans équivoque les submergent de joie et de gratitude. La
déformation se produit lorsqu'ils concluent que l'amour qu'ils ressentent
est un privilège qui ne leur est accordé qu'à eux, car ils sont spéciaux.
Cela change l'attitude envers les autres. Nous devons utiliser avec
précaution des expressions telles que « peuple élu » et « peuple de
Dieu ».
L'envie d’« être spécial » vient de notre « limite ». Nous mesurons
tout et nous considérons que tout est limité. Quelqu'un me promet de la
glace et je veux immédiatement connaître la quantité afin de pouvoir
prévoir combien de personnes inviter et elles se sentiront spéciales. La
perception et les calculs humains présupposent que les ressources sont
« limitées » et que ceux qui sont spéciaux reçoivent une plus grande part.
Avec des ressources limitées, nous creusons soit profondément soit
en largeur, nous obtenons soit beaucoup d'articles bon marché, soit
seulement quelques articles coûteux, nous faisons de nombreuses
connaissances ou quelques amis proches. Nous pensons naturellement
en termes de possibilités qui s'excluent mutuellement.
Dieu n'est pas limité - mystère pour la compréhension humaine !
Dieu peut creuser large et profond et peut maintenir la qualité et la
quantité ensemble. Dieu peut vous aimer profondément et

138
Maison construite pour les tempêtes

personnellement et en même temps aimer tous les autres avec la même


profondeur sans compromettre votre part d'attention.

2. La souffrance humaine et le jugement moral


Tout le monde s'accorde à dire que les gens font beaucoup de
bonnes et de mauvaises choses. Tout le monde est également d'accord
pour dire que nous souffrons tous. Les gens diffèrent largement dans la
façon dont ils relient la souffrance aux péchés et aux vertus.

La souffrance fait partie de la vie


Certaines personnes souhaitent et rêvent naïvement d'une vie sans
aucun soupçon d'inconfort ou de difficulté. En plus d'être infantile et
irréaliste, une telle attente s'avère même malsaine. Ceux qui considèrent
les difficultés et la souffrance comme faisant partie de la vie ont un
avantage plus grand puisqu'ils sont prêts à relever des défis et à les
transformer en tremplins. Ils rebondissent avec confiance chaque fois
qu'ils sont frappés par quelque chose.
Nous traversons des douleurs sans aucune référence aux péchés et
aux vertus. Le travail acharné, les attentes, les déceptions, les échecs et
nos limites naturelles sont autant de formes et de sources de souffrance
qui n'ont rien à voir avec les péchés et les vertus. Ce sont des éléments
essentiels de la vie humaine. Par conséquent, bien que les péchés
conduisent à la souffrance, toute souffrance n'est pas une conséquence
des péchés. La personne qui souffre n'est ni victime d'une offense
commise par quelqu'un, ni un délinquant puni.
En voyant l'aveugle né, les disciples de Jésus lui demandent : « Est-
ce à cause de ses péchés ou de ceux de ses parents qu'il est aveugle ? »
Nous entendons plusieurs versions de cette question dans notre vie
quotidienne tel que : « C'était un homme si bon, mais pourquoi cela lui
arrive-t-il ? Sommes-nous confrontés à cette pandémie en guise de
punition pour nos péchés ? Est-ce parce que j'ai dormi pendant la longue
homélie de dimanche dernier que mon club de football préféré a perdu
le match ? »
Bien que certains de ces éléments puissent nous aider à améliorer
un certain aspect de notre vie, le contexte diffuse soit un sentiment de
culpabilité, soit un ressentiment envers les autres. Il déforme également
l'image de Dieu.
Les défis, les difficultés et les souffrances font partie de la vie. Nous
les affrontons avec confiance, nous nous soutenons mutuellement avec
compassion et nous continuons à aller de l'avant.

139
Mission en temps de crise

Pas d'impunité
Le péché mène à la souffrance et à la mort. Par exemple, la
gloutonnerie conduit à l'obésité et aux crises cardiaques. Outre ces
conséquences naturelles, les péchés attirent la souffrance du système
juridique car ils enfreignent les contrats sociaux. Celui qui vole, perd son
emploi, va en prison et doit faire face à plusieurs conséquences qui ont
un impact sur sa vie quotidienne. Certaines personnes réussissent à
esquiver le système juridique !
Dieu intervient-il pour punir les péchés et quand cela se produit-
il ? Comment comprenons-nous la justice à partir des enseignements du
Christ ?
Jésus parle clairement de responsabilité pour notre vie et il n'y a
certainement aucune notion d'impunité pour qui que ce soit. Ceux qui
ont reçu plus rendront davantage de comptes. Jésus parle du Père céleste
qui récompense ceux qui prient et font l'aumône en secret, enseigne sur
le roi qui récompense ses serviteurs qui ont bien géré ce qui leur a été
confié. Dans la même ligne, Jésus parle de pleurs et de grincements de
dents pour ceux qui n'ont pas su gérer ce qui leur a été confié. Par
conséquent, les bonnes et les mauvaises actions ont des conséquences
agréables et désagréables venant de Dieu.
Les vertus et les vices, même ceux qui sont invisibles aux yeux de
la société, ont leurs conséquences dans le cadre plus large de la vie y
compris la vie après la mort. Bien que la peur du châtiment soit un piètre
facteur de motivation pour faire le bien, le concept d'impunité a un
énorme potentiel pour le mal.

Pas de karma non plus, mais la grâce


Les conséquences de nos actes ne sont pas aussi mécaniques que
l'idée de karma (heureusement !). Nous sommes confrontés ici au
mystère de la grâce (Amazing : grâce) qui laisse place au pardon et à
l'espoir d'une vie meilleure et d'un nouveau départ. Pas d'impunité et
pas de karma. Que nous reste-t-il ?
La justice et la miséricorde.
En d'autres termes, la responsabilité et la magnanimité.
La vérité et l'amour.

3. L'endurance et la providence
L'une des rencontres pastorales les plus courantes et les plus
stimulantes est celle qui a lieu avec une personne malade. Certains des

140
Maison construite pour les tempêtes

malades pour lesquels nous prions se portent mieux, d'autres


poursuivent le combat avec une grande force intérieure et d'autres
encore succombent. Presque tous les agents pastoraux se demandent
donc pourquoi prier dans certaines situations - demander la guérison ou
la force de supporter la douleur ou la grâce d'accepter la mort
imminente.
Ce dilemme expose une autre zone grise de la foi. Dieu nous donne-
t-il des solutions aux problèmes ou la force de les affronter ? Voyons-
nous Dieu comme un médecin en blouse blanche ou comme un
entraîneur avec un sifflet ?
Prier uniquement pour la guérison et constater que la condition du
malade ne s’améliore pas entraine une désillusion des personnes qui
souffrent et à un sentiment d'échec chez les agents pastoraux.
Tout le monde mourra d'une manière ou d'une autre. Les gens ont
besoin de suffisamment de force pour mener le combat avec espoir. La
prière les rend résiliant. Même Jésus est passé par la passion et nous
demande de prendre notre croix et de le suivre. Nous avons également
parlé de l'importance de passer par la porte étroite plus haut. Dans ce
cas, la prière est réduite à un simple renforcement de l'endurance ! Elle
conduit alors à l'agnosticisme et à l'autonomie.
Dans de nombreux cas, la prière résonne comme le « cri de détresse
d'une personne », comme celui de Hagar dans le désert. Elle a été
chassée, elle n'a ni foyer ni protection. Son fils unique est sur le point de
mourir dans le désert. Elle appelle à l'aide. Comme Hagar, les gens
ressentent la providence de Dieu dans une réponse divine au cri
désespéré des moments les plus vulnérables. Cette grâce étonnante
retient ceux qui tombent de la falaise de la vie et relève ceux que la
société a abandonnés.
La foi en Dieu ne signifie pas la simple croyance en l'existence de
Dieu. Le diable connaît l'existence de Dieu avec plus de certitude que
n'importe quel saint (Cf. Jacques 2, 19). La foi n'est-elle pas la confiance
dans l'amour tendre, la supervision attentionnée et la mystérieuse
providence de Dieu ?
Dieu nous donne la force d'être résiliant et d'affronter les moments
difficiles et, en même temps, il intervient pour apaiser, pour guérir et
pour soulager d’une douleur ou d’un fardeau. Pensez-vous en termes de
l'un ou de l'autre ? Les deux sont-ils compatibles ? Imaginez Dieu en
blouse blanche avec un sifflet !

141
Mission en temps de crise

4. Où est la vraie fête ?


Dieu nous a donné la vie. Où est-elle et quand la vivons-nous ?
Si nous considérons la vie comme le temps entre notre naissance et
notre mort, alors certains diront qu'il vaut mieux manger, boire et se
réjouir autant que possible. Ils considèrent la souffrance comme une
nuisance et la mort comme la plus grande déception et le plus grand
désastre.
Certains croyants considèrent la vie après la mort comme la vie
réelle et principale. Par conséquent, soit ils méprisent la vie actuelle, soit
ils ne s'y engagent pas pleinement. Ils supportent tout ce qui est mauvais
en attendant d'entrer dans le monde parfait - le paradis.
Considérez la vie actuelle comme la vie réelle qui se poursuit pour
l'éternité après notre mort avec les conséquences de la vie actuelle.
Engagez-vous pleinement dans le monde. Faites preuve de compassion,
rendez le monde meilleur pour tous et relevez tous les défis qui se
présentent à vous. La souffrance fait partie de la vie, et la mort, avec tout
ce qu'elle implique, devient une porte vers l'étape suivante.

Conclusion
La vérité !
La toute simple vérité.
Les douleurs et les tempêtes rythment la vie.
Vous êtes mandaté mais vous n'êtes pas un ayant droit.
Affrontez la vie et rendez-la meilleure pour tout le monde.
Nous formons une famille inclusive et non un club exclusif.
Dieu est avec nous comme un père, un coach et un soignant.
La vie continue même bien après la mort.
Les vertus et les vices importent.
La prière fonctionne.
Amen.

142
Gros plan sur : Mission en
temps de crise aujourd’hui

143
Mission-inculturation :
le défi est renouvelé

Waldemar Piotr Dziedzina sma

Comprendre l'inculturation
Le concept même d'inculturation n'est pas facile à définir, chacun
peut le comprendre de différentes façons, par conséquent, par souci de
clarté, nous voulons retenir ce que l'encyclique Redemptoris Missio dit au
n°52 :
“l'inculturation « signifie une intime transformation des authentiques
valeurs culturelles par leur intégration dans le christianisme, et l'enracinement
du christianisme dans les diverses cultures humaines ». C'est donc un processus
profond et global qui engage le message chrétien de même que la réflexion et la
pratique de l'Église. Mais c'est aussi un processus difficile, car il ne doit en
aucune manière compromettre la spécificité et l'intégrité de la foi chrétienne.”
Nous pouvons nous référer également à l'exhortation post-
synodale Ecclesia in Africa de saint Jean-Paul II, qui est extrêmement
importante pour nous missionnaires ; le Pape dit que l'inculturation a
deux dimensions : « d’une part "une intime transformation des authentiques
valeurs culturelles par leur intégration dans le christianisme" et, d’autre part,
"l’enracinement du christianisme dans les diverses cultures" » (EA 59).

145
Mission en temps de crise

Ces textes montrent clairement que l'inculturation est un processus


d'échange créatif entre une culture donnée et l'Église, qui « incarne
l’Évangile dans les diverses cultures et, en même temps, elle introduit
les peuples avec leurs cultures dans sa propre communauté » (RM 52).
Grâce à ce processus, l'Église devient universelle et, en même temps,
s'enrichit de nouvelles formes d'expression, elle apprend à connaître et
à exprimer encore mieux le mystère de Jésus.

Trois éléments d'inculturation


Ce processus montre avant tout la nécessité de rapprocher
l'Évangile de la culture pour se pénétrer et s'enrichir mutuellement. De
nombreux théologiens notent que l'Évangile n'est pas présenté comme
une simple révélation, mais il nécessite un vêtement culturel approprié.
D'où le diagramme en trois éléments du processus d'inculturation. Il est
composé de la culture locale représentée par la communauté locale, de
l'Évangile et d'un envoyé par l'Église. Il y a une interaction mutuelle
entre le prédicateur de l'Évangile, la culture et la communauté locale. La
tâche du prédicateur est de pénétrer dans la communauté locale, et donc
dans la culture qui le pénètre également. En pratique, c'est la disparition
de sa propre culture, dont il est « un produit », et l'entrée dans une
culture inconnue avec l'Évangile. Le point suivant de l'encyclique
missionnaire citée ci-dessus appelle et recommande en particulier aux
missionnaires des différents pays et des différentes Églises particulières
de s'engager activement dans la vie sociale et culturelle de ceux auprès
de qui l'Église les a envoyés : « en surmontant les conditions
environnementales de leur origine. Ainsi, ils doivent apprendre la
langue de la région dans laquelle ils travaillent, connaître les
manifestations les plus significatives de la culture locale, découvrir ses
valeurs dans l'expérience directe » (RM 53). Lorsqu'on tient compte du
fait que la culture locale doit enrichir l'Église, le rôle du missionnaire est
irremplaçable dans le processus d'inculturation.

Double caractère
L'inculturation commence par l'écoute, mais elle s'applique aux
deux parties prenantes du processus. De cette écoute naît le dialogue. Il
doit être caractérisé par une ouverture mutuelle, une preuve de
dépassement des préjugés, de l'intolérance, des malentendus, des

146
Mission-inculturation

soupçons, et non par une forme de capitulation ou d'irénisme . En tant


que missionnaires, nous bougeons beaucoup, en changeant de région,
de pays et même de continent. Nous avons probablement entendu de
nos confrères un tel terme "ici c’est l'Afrique, pas l'Europe, vous êtes dans
tel ou tel pays, oubliez d'où vous venez, etc." Des tels mots, qui pourraient
autrement sembler justes, sont en fait un mur impénétrable. Cette
attitude est une manifestation de l'exigence d’arracher les racines
culturelles de quelqu'un qui arrive dans une autre culture, sans aucune
ouverture ni empathie de la part de ceux qui y vivent. Une telle approche
ne sert ni le dialogue, ni la compréhension ni la confiance mutuelle.
En tant que missionnaires ad gentes, ad extra, ad vitam, nous
participons constamment au processus d'inculturation, que cela nous
plaise ou non. Ce processus est permanent, car les cultures sont en
constante évolution, ce qui nous oblige à adopter une nouvelle approche,
qui s’exprime dans l’esprit du dialogue. De cette manière, l'inculturation
sera un processus qui crée une opportunité pour consolider la présence
du christianisme dans le monde et dans les cultures, et nous permettra
de nous préparer aux défis que l'avenir nous posera.

Adaptation
L'inculturation est un processus d'incorporation de la vie
chrétienne et du message dans un espace culturel donné. Si ce processus
n’aboutit pas aux changements de la culture donnée alors on ne peut pas
parler d'inculturation, mais seulement d'une adaptation superficielle.
C'est l'une des difficultés et des menaces qui pèsent sur le processus
d'inculturation.
Souvent, quand on parle d'inculturation, on parle vraiment
d'adaptation. Pour que ce processus se déroule correctement, il ne doit
pas s'arrêter à l’adaptation mais il doit aller plus loin et plus
profondément. Il doit toucher les personnes et les communautés sujettes
à l'inculturation. Par conséquent, il doit inclure tous les membres d'une
communauté donnée. Il ne peut exclure personne de ce processus.
L'Incarnation de la Parole de Dieu consistait à devenir membre
d'une communauté concrète, une communauté existant dans le temps et

1Irénisme - (grec - paix, harmonie, sécurité) dans la théologie chrétienne,


une vision visant à éliminer la rupture confessionnelle et à réaliser l'unité en
développant les fondements de la doctrine chrétienne d'une manière qui
permettrait à toutes les dénominations chrétiennes de l'adopter au prix de
concessions doctrinales.

147
Mission en temps de crise

dans l'espace. Cela nous oriente vers une attention particulière à la


formation solide et en profondeur des chrétiens comme notre fondateur,
Melchior de Marion Brésillac, l'a maintes fois souligné. Il est impossible
de mener à bien le processus d'inculturation sans les chrétiens indigènes
qui ont une connaissance adéquate de leur propre culture. Dans un tel
processus, la foi n'est pas façonnée par quelqu'un de l'extérieur. De cette
manière, l'annonce de l'Évangile devient un outil critique qui appelle à
la conversion et, à se débarrasser de tout ce qui dans la culture s'oppose
à la dignité humaine et à la liberté.
Si l'inculturation s'arrête au niveau de l'adaptation, il n'y aura ni
transformation ni conversion. Sans changer la culture, on peut
seulement dire que l'Évangile a été adapté, accepté et absorbé par la
culture, mais n'a pas développé un lien profond et fort avec elle. Alors
l'inculturation ne s'est pas développée, elle n'est restée qu'une
adaptation. Sans développer ses principes, elle a raté un échange mutuel
- de l'Évangile à la culture et de la culture à l'Évangile.
Ce processus comporte le risque d'exigences, de limitations, de
tensions et de résistances, et dans le pire des cas aussi le risque de
syncrétisme avec la religion de la culture évangélisée. Une certaine
décentralisation de l'autorité de l'Église est également une source de
préoccupation. Dans le processus d'inculturation, les Églises mères sont
en charge des Églises locales. Le danger ici réside dans la fascination
induite par l'inculturation pour l'histoire et dans le renforcement de
l'autorité locale, déclenchant l'impérialisme culturel et religieux. Sans un
certain regard critique, il peut y avoir un risque de distorsion du
processus d'inculturation - aliénation de sa propre culture ou de son
appropriation idéologique. Une inculturation inappropriée asservira
l'Évangile, en fera un prisonnier de cette culture.

Laïcisme
Suivant l’enseignement du pape Benoît XVI, le laïcisme ou la
sécularisation et avec eux le relativisme, sont une menace non seulement
pour l'inculturation, mais pour la foi en général. Il est à noter que le
relativisme dérive du laïcisme et le suit. Ces deux tendances sont décrites
par le Pape comme dangereuses. En tant qu'idéologie, le laïcisme
cherche à séculariser la vérité, les valeurs et les principes chrétiens. Ce
courant tente de détacher ces valeurs du fondement qui est la révélation
de Dieu. Son but est de séparer Dieu, qui s'est révélé en Jésus, des valeurs
dont il est le fondement. Ce courant cherche un soutien dans la raison,

148
Mission-inculturation

relativisant ainsi les valeurs. Par conséquent, la théologie utilise


aujourd'hui le terme de « la spiritualité de la table suédoise ». Chacun
choisit les règles qui lui convient. Elles ne sont pas exigeantes, elles
n'entraînent pas de changement d'habitudes et leur application dépend
de la situation. Cette idéologie non seulement diminue mais rejette
catégoriquement la vérité transcendante. La révélation de Dieu, et donc
aussi la foi chrétienne, est remise en question à travers des discussions
apparemment rationnelles menées dans de nombreuses universités,
dans les médias et dans l'espace public plus large.
Le pape Benoît XVI a identifié des personnes et des milieux qui
offensent la tradition, falsifiant la parole du Christ pour priver l'Évangile
de la vérité. Car cette vérité est trop exigeante et peu commode pour
l'homme moderne. Nous voyons un penchant très fort vers un
relativisme omniprésent. Ceci également dans le domaine de la foi dont
la vérité devrait être considérée comme dépendante de la situation
historique et de la libre appréciation de chacun. Pour éviter ces attitudes,
les croyants doivent être vigilants et confronter constamment leurs
convictions à l'Évangile et à la tradition de l'Église. Ceci est d'une grande
importance pour la prédication car la transmission de la vérité intégrale
peut ouvrir à l'adhésion au Seigneur crucifié et ressuscité pour le salut
de tous. L'homme moderne a besoin de Dieu qui donne un sens à sa vie.
D'un autre côté, le relativisme relativise tout à tel point qu'il est
difficile de distinguer le bien du mal. L'homme, menacé par le laïcisme
et le relativisme a plus que jamais besoin de Dieu, de Jésus et de la
communauté de l'Église. Tout cela peut le conduire à la réconciliation et
à l'unité.

L'aréopage du continent numérique


Il s'agit d'une autre menace pour le processus d'inculturation car
l'inculturation ne peut être séparée de la culture. Aujourd'hui, nous
avons affaire à la cyberculture. Les papes de ces dernières années étaient
ouverts pour aborder le sujet des réseaux sociaux. Ceci malgré des
nombreux risques et dangers causés par l'existence du monde
numérique. Saint Jean-Paul II a vu l’internet comme un outil
d'évangélisation.
Certains phénomènes propres au monde numérique et virtuel sont
une menace réelle pour l'inculturation. Citons ici FOMO (anglais fear of
missing out) - la peur de manquer des informations importantes) comme
un exemple parmi d’autres. Le MOMO Challenge est un phénomène

149
Mission en temps de crise

contre lequel la police met en garde depuis un certain temps. C'est une
menace pour les personnes qui utilisent WhatsApp. FLAMING (ardent,
flamboyant), un phénomène lié au discours de haine et de trollage. Il s'agit
de déclencher délibérément la discussion afin de susciter des émotions
fortes et négatives chez les autres utilisateurs. Ce ne sont que quelques
exemples parmi tant d’autres.
De nombreux phénomènes négatifs du monde virtuel sont devenus
un défi pour l'inculturation. Le pape Benoît XVI a décrit tous ces sites de
réseaux sociaux comme un continent numérique, tandis que Le pape
François a clarifié ce concept en ces termes : « Le grand continent
numérique n'est pas seulement technologie, mais il est formé d’hommes et des
femmes concrets qui portent avec eux ce qu’ils ont au fond d’eux-mêmes, leurs
espérances, leurs souffrances, leurs angoisses, la recherche de ce qui est vrai,
beau et bon » . Par conséquent, nous pouvons conclure que les réseaux
sociaux sont des espaces d'échange de pensées, de préférences et de
points de vue. L'enseignement des Papes montre un glissement de la
compréhension du continent numérique comme outil à sa vision comme
espace. Ce changement de compréhension est également devenu, en
s’ajoutant aux nombreux dangers, un défi pour entrer dans cet espace
avec l'Évangile.

Émigration
L'émigration n'est pas mauvaise en soi. Dans la Bible nous trouvons
des arguments pour et contre. Dieu, choisissant Abraham, l'a appelé à
sortir de son pays. C'est un appel spécifique non tellement à bouger d’un
lieu mais un appel au bien et à la liberté. La sortie des Israelites d'Égypte
peut également être considéré comme une émigration vers la libération.
Le commandement de Jésus : allez dans le monde entier et proclamez
l'Évangile à chaque créature (Mc 16, 15), invite à partir. Être missionnaire
inclut en quelque sorte le fait d'être un migrant. L'émigration peut aussi
être l'exil, le bannissement. Pendant des siècles, la peine d'exil était
considérée presque comme une peine égale à la mort. L'émigration peut
causer des souffrances et cela se voit dans l'exemple de l'exil, de la
déportation ou du soi-disant « nettoyage ethnique » de toute sorte.
Une immigration excessive crée de graves problèmes pour un pays
donné avec l'admission et l'intégration des nouveaux arrivants. Le
monde contemporain devient de plus en plus petit, l'émigration laissée

2 PAPE FRANCOIS, Discours du Pape François aux participants à l’Assemblée Plénière

du Conseil Pontifical des communications sociales (21 Septembre 2013) n. 3.

150
Mission-inculturation

à elle-même est un élément aux multiples facettes qui peut être


dangereux. La crise migratoire a ouvert le champ aux activités de
désinformation. La tension et les émotions qui accompagnent le
problème de la migration, ainsi que la possibilité d'utiliser les médias
sociaux, créent une large zone d'exposition à la manipulation. Un facteur
important est la médiatisation des attaques terroristes grâce aux
nouveaux médias et aux moyens de communication modernes, tels que
les réseaux sociaux, où toute personne disposant d'une connexion
internet active est un journaliste qui rapporte l'incident. De ce fait,
chaque attaque terroriste est un événement d'une importance colossale.
Le rang du terrorisme dans la perception sociale est devenu le plus élevé.
Les attentats terroristes spectaculaires de l'État islamique à Paris, Nice,
Bruxelles, Manchester, Londres, Barcelone et Berlin ont rendu la crise
migratoire généralement associée à la menace de nouvelles attaques. La
peur ne favorise pas l'accueil des réfugiés, et ceux-ci ne veulent pas
s'assimiler et ils créent leur propre communauté et leur propre monde.
On parle de plus en plus de ghettos dans les grandes villes occidentales.
L’existence des différences culturelles et religieuses n'est pas sans
importance ici. C'est un défi énorme et une menace pour le processus
d'inculturation, car le groupe de destinataires de la Bonne Nouvelle
devient trop diversifié, alors que la communauté locale a le plus souvent
besoin d'une ré-évangélisation.

Multiculturalisme
La définition même du terme signifie un ensemble de doctrines qui
répondent au défi de la diversité. Leur objectif est d'instaurer un ordre
social fondé sur la reconnaissance et la séparation des droits des groupes
minoritaires. Cela signifie des exceptions légales pour divers groupes
(par exemple le droit à l'abattage rituel des animaux pour les
représentants d'une minorité musulmane ou juive), le droit à une
autonomie limitée, le soutien de l'État à l'éducation organisée par les
minorités et enfin aucune politique d'assimilation forcée.
Il y a une différence entre le multiculturalisme et le
pluriculturalisme. Ce dernier est une excellente occasion de voir la
dignité de la personne humaine et permet d’aboutir à un accord au
niveau international. Pour qu'une communauté existe, il faut connaître
les différences entre nous afin de pouvoir se respecter les uns les autres.
Si nous ne voyons pas ces différences, il n'y aura aucun respect. Dans le
multiculturalisme, la différence est floue. Il y a un énorme impact du

151
Mission en temps de crise

politiquement correct qui s’y faufile. Un mélange excessif de cultures fait


que des cultures données perdent leur expressivité et leur caractère
distinctif. Le dialogue des cultures, des religions et des nations est de
plus en plus difficilement vu comme un moyen de façonner les relations
interpersonnelles.
Compte tenu des conditions propices à l'éducation interculturelle,
nous pouvons distinguer deux types de sociétés : la société favorisant la
formation d'attitudes fermées et la société ouverte à l'altérité. Ces types
de sociétés s'accompagnent de deux modèles d'identité opposés : fermé
et ouvert. Une identité fermée est considérée comme la propriété
d'individus qui connaissent généralement peu leurs éléments
identitaires, mais manifestent un lien émotionnel fort avec eux et y sont
fortement attachés. En discuter à leur sujet est assez difficile. Ils ne sont
pas non plus très ouverts pour accepter des éléments d'une culture
étrangère. Ils ont tendance à créer et à perpétuer des stéréotypes et des
préjugés envers les autres. Ils les traitent comme des étrangers qui les
menacent. Ils constituent un terrain fertile pour la formation d'attitudes
ethnocentriques et chauvines.
En revanche, les attitudes définies comme une identité ouverte
concernent les personnes qui connaissent généralement bien leurs
éléments, sont capables de les expliquer aux autres et d'en discuter. Ils
sont ouverts aux autres, assimilent facilement leur mode de vie et se
livrent à des activités avec eux sans craindre de perdre leur propre
identité. Plus l'acceptation de son identité est grande et sa conscience
plus complète, plus l'ouverture à l'autre, aux autres, sans crainte de
perdre son identité, est grande. L’ouverture vers la formation de cette
identité - dynamique, mature et cohérente, permet de surmonter les
limites de l'identité fermée - émotionnellement instable, peu sûre d’elle-
même et craintive ainsi que ses reliques.
Le multiculturalisme est extrêmement exigeant. Les personnes
mûres avec une identité claire et mature, en bonne santé mentale et
capables d'altruisme peuvent le supporter. Sa condition est donc la
maturité des cultures qui composent cette multiplicité. L'homme ne peut
créer son identité et sa personnalité que dans les conditions d'une
certaine influence minimale de l'environnement culturel. La menace ne
vient pas directement de la diversité, mais du manque de micro-culture
qui permet de répondre à cette multiplicité, de s'y retrouver, et de
construire, au moins, des horizons clairs de référence. L'identité ouverte
a besoin d'une micro-culture familière, grâce à laquelle elle peut

152
Mission-inculturation

façonner correctement la réalité dynamique et diverse de l'existence


humaine.

L'indifférentisme
L'indifférence religieuse et le développement de la religiosité
individualisée défient l'Église plus que l'athéisme avec son déni de
l'existence de Dieu. Contrairement à l'athéisme théorique, qui contient
une certaine pensée et un certain concept de moralité, l'indifférentisme
s'exprime comme une indifférence totale à tous les principes et valeurs
objectifs. Il les relativise et tente de faire sombrer les questions
métaphysiques inhérentes à l'âme et à la conscience humaine. Il traite la
religion comme quelque chose de peu d'importance, de superstition ou
de luxe. Une telle attitude gagne de plus en plus de partisans avec
lesquels le dialogue est presque impossible.
Malheureusement, on insiste beaucoup sur la nécessité d'annoncer
la Bonne Nouvelle à ceux qui n'ont pas eu l'occasion de connaître Jésus,
au détriment de ceux qui sont devenus indifférents. Les difficultés pour
la communication en sont probablement la cause. Cependant, le
processus d'inculturation doit également inclure ces personnes afin
d’être complet et crédible. C'est un grand défi des temps modernes.
Il est sans doute beaucoup plus facile d'évangéliser ceux qui
cherchent Dieu et sont ouverts à son action que ceux qui ne s'en soucient
pas. La première façon d'atteindre ces personnes avec le message de
l'Évangile est de les remarquer et d'essayer d'établir des relations
personnelles. Le dialogue évangélisateur avec une personne indifférente
doit tenir compte de son bien et de la vérité qui le concerne.
Au début, ce dialogue ne doit pas être une activité pastorale. Lors
des premiers contacts avec des personnes indifférentes, la surexposition
de la dimension religieuse peut provoquer leur fermeture complète et
même leur hostilité. Dans ce cas, l'inculturation prend donc un caractère
quelque peu individuel. Cardinal Joseph Ratzinger souligne que :
L’évangélisation n'est pas simplement une forme de parole,
mais une forme de vie : vivre dans l'écoute et la voix du Père...
Cette forme d'évangélisation de forme christologique et
pneumatologique est aussi, en même temps, ecclésiologique : le
Seigneur et l'Esprit construit l'Église, communique à travers

153
Mission en temps de crise

l'Église. L'annonce du Christ, l'annonce du Royaume de Dieu


suppose l'écoute de sa voix dans la voix de l'Église.
Une menace pour l'inculturation sera également le mode de vie de
ceux qui en sont responsables, c'est-à-dire nous-mêmes. Ce style de vie
doit refléter la foi professée. Les missionnaires doivent se rappeler que
pour être un instrument d'évangélisation dans la main de Dieu, toute
leur personnalité doit naturellement rayonner une certitude basée sur
Dieu et sur la foi.
Pour cette raison, cardinal Ratzinger nous rappelle que la première
étape consiste à faire en sorte que la voix de Dieu soit entendue et
comprise. Le but du prédicateur n'est pas de se mettre au centre de
l'attention, mais de servir le bien de l'homme. Cela exige du prédicateur
qu'il ait une attitude de renoncement à soi-même et qu'il s'offre au Christ
dans une autre personne.
Cardinal Ratzinger enseigne qu'il ne faut pas parler d'inculturation,
mais de rencontre des cultures. Pour certains, l'inculturation suppose
une foi dénuée de culture, qui entre dans une culture religieusement
indifférente, ce qui conduit à la rencontre de deux sujets étrangers et à
leur synthèse. Selon lui, une telle rencontre est impossible, car la foi ne
peut exister sans culture, ni la culture ne peut être dépourvue d'éléments
religieux. Sur le chemin de l'inculturation ainsi comprise, des divisions
trop profondes pour être dépassées font un obstacle supplémentaire.
L'aliénation de l'homme ou son indifférence est également une
menace qui entrave sa capacité à connaître et le sépare de la vérité, et
donc de l'Évangile qui est proclamé.

En guise de conclusion
Je propose comme conclusion la prière tirée de l’encyclique du Pape
François « Fratelli tutti » (287). Que ses paroles nous encouragent dans
nos efforts, malgré les difficultés, pour l'implantation de l'Évangile dans
des nouveaux milieux de vie.
Seigneur et Père de l’humanité,
toi qui as créé tous les êtres humains avec la même dignité,
insuffle en nos cœurs un esprit fraternel.
Inspire-nous un rêve de rencontre, de dialogue, de justice et de paix.
Aide-nous à créer des sociétés plus saines
et un monde plus digne,

3 J. RATZINGER, Discours aux catéchistes et aux enseignants de religion, (10.12. 2000).

154
Mission-inculturation

sans faim, sans pauvreté, sans violence, sans guerres.


Que notre cœur s’ouvre
à tous les peuples et nations de la terre,
pour reconnaître le bien et la beauté
que tu as semés en chacun
pour forger des liens d’unité, des projets communs,
des espérances partagées. Amen !

155
Pendant la crise politique
en Côte d’Ivoire en 2002

Ramón Bernad sma

La crise de 2002
Mon expérience se situe à partir du 17 Septembre 2002, au moment
où éclate le soulèvement politico-militaire en Côte d´ivoire. Le pays reste
coupé en deux. Pendant les premières semaines il n´y a pas de
communications, pas de nouvelles, pas de transport de personnes ni de
commerce entre les deux zones. On a perdu le contact avec les diocèses,
les confrères, les paroisses et avec la population de Bouaké, Katiola,
Korhogo, Odienné, ainsi qu’une partie de Daloa, Man et Bondoukou. On
voit arriver à Abidjan des milliers de déplacés de ces zones qui racontent
les atrocités subies ; les familles d´Abidjan les accueillent à bras ouverts.
Dans mon bureau, bien installé comme curé de Sainte Bernadette à
Marcory, je vois arriver des anciens paroissiens qui me racontent dans
quelles conditions dramatiques et tragiques ils ont dû tout laisser à
Bouaké : maisons, véhicules, et marcher à pied sur 120 kms jusqu`à
Yamoussoukro, j´ai vu leurs pieds enflés avec des blessures et j’ai
entendu le récit de leur marche à travers les broussailles, traqués par les
rebelles.
J´ai senti la peur et la misère de ce peuple et j´ai été ému. Au fond
de moi j´ai entendu comme une voix qui m´interpelait à faire quelque
chose, à venir en aide à ces frères et sœurs dans le besoin. Avec quelques
membres de notre CARITAS paroissiale on a organisé deux petits
convois jusqu’à Yamoussoukro où se trouvaient, sous des tentes, des
milliers de déplacés. On avait loué le minibus de notre Séminaire SMA

157
Mission en temps de crise

d´Ebimpé et on a apporté 300 baguettes de pain, 300 boîtes de sardines,


300 seaux, 300 nattes et autant de savonnettes, des médicaments pour les
premiers soins. On a pu descendre à Abidjan 25 femmes, enfants et
vieillards qui étaient démunis.
Le P. Jacques Noirot SMA qui était le Directeur National de
CARITAS Côte d´Ivoire m´a invité à intégrer le “Comité de Crise de
Caritas” qui se créait et c’est avec cette équipe restreinte que j´ai pu
effectuer 14 voyages au delà de la ligne de démarcation : Bouaké,
Katiola, Korhogo, Boundiali, Odienné, Vavoua, Man, Danané, Zouhan-
Hounien, Toulepleu. Chaque voyage durait autour de 5 - 6 jours. On a
pu réconforter des confrères SMA, des prêtres, religieux-es qui ont fait
le choix de rester au milieu de la population souffrante et humiliée, on a
pu exfiltrer dans nos convois des personnes qui étaient comme otages
dans la zone rebelle : évêques, prêtres et laïcs. On a pu acheminer des
fonds pour payer les instituteurs de l´enseignement catholique et autres
personnes, envoyer du courrier etc. Des centaines de tonnes de
nourriture ont pu être distribuées ainsi que des médicaments pour
soulager la souffrance de la population.

Les inspirations
Ces voyages ont servi à adoucir les visages durs des deux
belligérants qui nous voyaient aller et revenir sains et saufs. Cela a servi
aussi à rehausser l´image de l´Église engagée dans la CARITAS et à
générer un mouvement de solidarité des paroisses du Sud envers les
diocèses du Nord ravagés par le passage des rebelles.
Au début du conflit l´Église a pensé à un conflit religieux du Nord
musulman et du Sud chrétien, nos constats ont servi à l´identifier comme
un conflit politico-militaire. On a désamorcé la bombe inter-religieuse.
Cette action a été l´occasion de lancer l´idée de créer des équipes
mobiles de missionnaires. Que ceux-ci soient déployés dans des zones à
risque, de conflit pour aider et remplacer des confrères qui vivent des
situations d´angoisse, de peur et de danger le temps pour ceux-ci de se
refaire une santé physique et morale, avant de retourner à leurs anciens
postes. Ce serait une équipe de missionnaires volontaires, capables de
vivre dans des zones à risque et pour une durée bien déterminée.

La crise de COVID - 19
L´actuelle situation de Corona Virus nous a interpellé aussi. À la
maison provinciale d´Abobo-Doumé on a vu la possibilité d´aider les

158
Pendant la crise politique en Côte d’Ivoire

personnes qui avaient des difficultés pour se protéger contre le Corona


Virus, on a ciblé la partie la plus démunie, ceux qui vivent dans des cours
communes. Avec le concours de la CARITAS paroissiale et de REST-
COR on a pu distribuer 90 seaux avec des gels hydro-alcooliques, et 1200
masques. Ce qui a servi à soulager, dans un premier temps, une
population et à les sensibiliser pour prendre des mesures hygiéniques et
de protection communautaire face au COVID19.

Conclusion
Devant ces différentes situations de détresse, L´Église doit rester
toujours en état d´alerte, ne pas regarder à côté, voir la réalité en face, ne
pas se dérober, ne pas rester indifférent, ne pas avoir peur de se lancer
sur des chemins inconnus. Le Seigneur sera notre guide et notre soutien.

159
Inondations aux Nigeria

Anthony Chukwuemeka sma

De toute ma vie, je n’ai jamais expérimenté de catastrophe naturelle,


ni connu ce que les gens appellent inondation. Je ne pouvais en parler
qu’avec les restes de l’eau dans ma rue après une forte averse, mais cela
n’a jamais été proche de la réalité principale des inondations que j’ai
subie en 2012. Cette expérience m’a fait apprendre à apprécier les
souffrances des gens dans les régions du monde comme Guangzhou,
Mumbai, Kolkata et de nombreuses autres villes au Nigéria, y compris
Aboh et Oko, toutes deux situées dans l’État du Delta au Nigéria, où les
inondations annuelles semblent être une nouvelle norme.
Au Nigeria, les pluies atteignent habituellement leur point
culminant dans les mois de juin à octobre. En raison de ce phénomène
naturel, de nombreux endroits, en particulier les cours d’eau, reçoivent
des surplus d’eau. Le Grand Fleuve Niger devient inondé. Ses eaux
coulent vers chaque ruisseau local, rivières, étangs et système
d’irrigation artificiel. Cela regénère les animaux aquatiques et aide
l’agriculture. Il y a plus d’eau pour les plantes et plus pour les animaux,
les animaux de pâturage y compris. La saison des pluies est toujours une
saison heureuse, nous n'avons jamais connu l’échec des pluies ; c’est
pour nous une preuve de l’Amour constant de Dieu, même lorsque nous
sommes indignes.
En 2012, cependant, les pluies sont arrivées comme d'habitude. Les
gens ont apprécié la nouvelle saison des pluies, et les activités agricoles
ont par conséquent commencé. En juillet, les gens ont commencé à

161
Mission en temps de crise

remarquer la forte averse inhabituelle et continue ; il y avait l’espoir


qu’elle pourrait bientôt s’arrêter. Mais elle ne s’est pas arrêtée. À la mi-
juillet, les terres de nombreuses villes de l’intérieur commençaient déjà
par perdre leur souffle en raison de l’augmentation du niveau d'eau dans
leurs régions. Du sud jusqu’à la ceinture médiane, l’augmentation du
niveau d’eau constituait déjà une menace. Les gens ont été forcés de
quitter leurs maisons à cause des inondations, nous avons commencé à
en subir les conséquences.
En août, plus de 30 000 personnes étaient déjà déplacées. Maisons
et ponts détruits. Fermes submergées et vie aquatique exposée à des
conditions défavorables. La situation devenait incontrôlable et elle fut
bientôt déclarée catastrophe nationale. En septembre, le réservoir de
Lagdo au Cameroun a laché de l’eau, ce qui a ajouté au problème actuel
et les inondations se sont accrues de façon illimitée.
Au total, environ 30 des 36 États du Nigéria ont été touchés et plus
de 2 millions de personnes ont été déplacées. Les plus touchés étaient les
agriculteurs car ils ne pouvaient plus recevoir les fruits de leur labeur.
C’était vraiment un moment difficile ; les humains, les animaux
terrestres, les animaux aquatiques semblaient courir pour leur chère vie
sur les chemins de la vie.
Nous n’avons jamais connu une telle situation au niveau national,
alors le gouvernement a fait de son mieux pour adopter les meilleures
mesures pour sauver son peuple. De nombreux marchés ont été inondés.
Les écoles, les églises et autres organisations sociales n’ont pas été
épargnées. Les institutions religieuses ont jugé nécessaire de collaborer
également avec le gouvernement parmi d’autres institutions pour gérer
la catastrophe. Les églises voisines ont accueilli des personnes déplacées.
Elles ont répondu à leurs besoins et ont essayé de leur remonter le moral
car certaines de ces personnes déplacées étaient déjà découragées en
raison de leur grande perte.
Ma paroisse était devenue une lueur d’espoir pour les habitants de
la zone connue sous le nom de Cable Point à Asaba, dans l’État du Delta.
L’inondation avait ses rives à deux pas de la paroisse. De nombreuses
personnes vivant dans cette région ont été touchées et il incombait à la
paroisse de s’occuper d’eux. La communauté paroissiale les a accueillis.
Les jeunes de la paroisse ont également été très utiles car nous avons
tous essayé de faire en sorte qu’ils se sentent chez eux. La plupart de ces
personnes étaient des musulmans ; nous avons fait de notre mieux pour
les accueillir tous, quelle que soit leur orientation religieuse. Après les

162
Inondations aux Nigeria

messes, les paroissiens étaient encouragés à se montrer généreux envers


eux, ce petit acte de charité contribua grandement à les soutenir.
En tant que paroisse, nous avons sacrifié une grande partie de notre
temps et de nos ressources pour mettre ces personnes déplacées à l’aise.
Nous avons permis la liberté religieuse, et avons fourni de la bonne eau
et, la sécurité. Les jeunes ont donné de leur temps pour rendre souvent
visite à ces personnes, s’assurer qu’elles étaient à l’aise et les encourager.
Nous avons prié avec eux et partagé des expériences de vie intéressantes.
Ils se sont joints à nos messes et ils se sont sentis les bienvenus.
Après la catastrophe, nous avons réalisé que nous avions gagné
plus que nous n’aurions jamais imaginé. Avec le peu que nous avons
fait, un grand lien s’est créé, favorisant ainsi une relation interreligieuse
plus forte entre nous, même après la catastrophe. L’incident nous a fait
comprendre que nous pouvons tous aider quelle que soit notre situation.
Cela nous a permis de comprendre que le sacrifice consiste vraiment à
donner quand vous n’avez pas. Dans cette situation, nous ne partagions
plus l’évangile avec des mots, nos actions parlaient plus fort que les mots
auraient pu le faire. Enfin, la déception engendrée par le déluge est
devenue une bénédiction en ce qu’elle a renforcé les relations entre les
groupes.
Cette expérience nous a amenés à prendre conscience que nous
pouvons tous être les gardiens de notre frère. Nous pouvons toujours
aider une personne confrontée à de grandes difficultés. Au cours de cette
pandémie de COVID-19, nous pouvons et devons toujours être les
gardiens de nos frères, avec notre communication constante avec eux,
malgré même la distanciation sociale. Nous pouvons les assurer de nos
prières et de l’amour par les appels téléphoniques, les courriers
électroniques et autres moyens qui ne nécessitent pas de présence
physique. Nous croyons que notre prière est un cadeau non quantifiable,
nous pouvons l’offrir si c’est tout ce que nous pouvons nous permettre.
Qui sait si notre prière, nos bons vœux, notre attention et notre amour
peuvent être une main salvatrice pour quelqu’un qui se noie dans cette
situation de COVID.

163
Mission au désert pendant la
pandemie

Éphraim Kway sma

Les effets de la pandémie covid-19 à la paroisse


« St. Peter, de Lorugum »
La paroisse « St. Peter » de Lorugum se trouve dans le diocèse de
Lodwar, au Kenya, à 60 km de la ville de Lodwar. Cette zone est semi-
désertique avec très peu de pluie chaque année et parfois pas de pluie
du tout sur deux années consécutives.

Activités économiques
En raison de la nature du climat, la plupart des gens sont des
bergers et ils élèvent des animaux comme les moutons, les chèvres, les
chameaux et les ânes. Quelques personnes se livrent à une agriculture
modeste, cultivant principalement du sorgho et du mil.
Pour survivre, nous dépendons des secours alimentaires de Caritas
Lodwar, du gouvernement du comté, des ONG et d’autres bienfaiteurs.
Ce type d’aide n’arrive que de temps en temps, généralement tous les
trois à quatre mois pour être précis.

Conflit le long des frontières et les attaques d’animaux


Le comté de Turkana fait frontière avec l’Ouganda à l’ouest,
l’Éthiopie au nord, le Soudan du Sud à l’est et avec le West Pokot au sud.
Pendant de nombreuses années, ce comté a subi des meurtres, des
attaques, des viols, des raids, etc. de la part de ses voisins. De nombreux

165
Mission en temps de crise

jeunes ont perdu la vie en se battant pour la sauvegarde de leurs


animaux. Nous sommes reconnaissants au gouvernement kényan qui a
employé des troupes et des policiers à certains moments pour réduire
tous ses meurtres, même si nous continuons de subir des flambées de
violence de temps en temps et que nous perdons souvent, à la suite de
ses attaques, des membres de notre église.
Le diocèse de Lodwar, en collaboration avec la Conférence des
évêques catholiques du Kenya, a lancé un programme appelé
ÉVANGÉLISATION TRANSFRONTALIÈRE afin de diffuser le message
du Christ et les valeurs évangéliques le long des frontières pour mettre
fin à tous ces meurtres.

Effet du coronavirus dans cette paroisse


La pandémie de la Covid-19 nous a pris complètement au
dépourvu. La plupart des gens viennent à l’église pour écouter la parole
de Dieu et obtenir beaucoup de consolation quant à leur lutte
quotidienne et leurs misères. Ce fut un coup dur pour la plupart d’entre
nous ici lorsque le gouvernement a fermé tous les lieux de culte et
imposé le couvre-feu nocturne. Ce que nous faisons normalement dans
cette paroisse, c’est d’obtenir un peu de maïs ou des haricots et de le
partager avec les personnes âgées, malades et marginalisées des villages.
Chacun reçoit au moins une tasse de maïs ou de haricots. Ils font bouillir
la nourriture avec du sel et la mangent pour survivre. Toutes ces
personnes n’étaient alors pas autorisées à venir au presbytère ou à
l’église pour de tels services et prières. Beaucoup d’entre eux ont été
affectés psychologiquement. Dans le processus, nous avons perdu
certaines personnes, non pas à cause du coronavirus, mais à cause de la
faim et des problèmes d’ordre psychologique.

Réponse de l’Église aux défis


1. En tant qu’agents pastoraux dans ce lieu, la première étape que
nous avons prise a été de rester au côté de la population. Nous étions
toujours disponibles pour assister à tout appel de visite aux malades ou
enterrement et aussi pour leur offrir un soutien spirituel et
psychologique.
2. J’ai organisé mes catéchistes de manière à effectuer des visites
à domicile afin d’identifier tous ceux qui étaient très malades pour que
nous puissions leur offrir les sacrements nécessaires en vue de renforcer
leur espérance dans le Seigneur.

166
Mission au desert pendant la pandemie

3. J’ai travaillé de concert avec l’établissement de santé diocésain


présent ici pour rendre visite et soigner tous ceux qui avaient besoin de
soins médicaux. Nous avons également encouragé les membres de leur
famille à nous informer en cas de faim ou de maladie grave. Les sœurs
travaillant dans cet établissement étaient très coopératives.
4. J’ai pu contacter mes frères SMA dans les paroisses urbaines
pour obtenir de l’aide. Ils ont répondu positivement en nous fournissant
de la nourriture, des vêtements, des désinfectants et des lavabos.
5. Dans cette paroisse, nous entretenons de bonnes relations avec
nos agents des forces de sécurité. J’ai pu obtenir leur permission pour la
célébration de l’Eucharistie et pour la prière dans certaines familles
chaque fois qu’elles le demandaient. Nous ne voulions pas leur refuser
l’Eucharistie, mais nous avons essayé de suivre les directives du
Ministère de la Santé et les Protocoles de la Covid-19.

Nouvelles avenues pastorales


Lorsque le gouvernement a finalement autorisé l’ouverture des
églises et autres lieux de culte, nous avons fait de notre mieux pour
respecter les directives données. Parfois, nous avons organisé
l’Eucharistie sous un arbre afin de maintenir une distance sociale.
Nous avons également fait plus de visites aux familles, organisé
plus de célébrations de l’Eucharistie et de prières dans les petites
communautés chrétiennes et plus d’adoration et de chapelets après
l’Eucharistie et d'autres activités spirituelles au cours de la semaine afin
d’encourager les gens à prier davantage et à se tourner de plus en plus
vers Dieu.
Nous avons également pris conscience du besoin naissant
d’assistance et d’accompagnement que veulent les gens. Parfois, même
avec peu ou prou de nourriture, nos gens ont envie de parler à quelqu’un
ou d'être écoutés, et nous essayons de créer du temps pour cela et même
d’impliquer un conseiller professionnel, du couvent proche.

Résultats de la réponse de l'Eglise


Le diocèse de Lodwar par l'intermédiaire de Caritas a fait ce qui suit
afin d’aider les gens pendant cette pandémie ;
1. Ils ont organisé des ateliers et des séminaires afin de former
tous les agents pastoraux du diocèse sur la manière d’aider les gens à
arrêter la propagation de ce virus.

167
Mission en temps de crise

2. Ils ont nommé une personne de contact dans chaque paroisse


qui a été formée et qui signalerait immédiatement s’il soupçonnait que
quelqu’un présentait des symptômes du virus de la Covid-19.
3. Caritas Lodwar a pu obtenir de la nourriture de bienfaiteurs et
la partager entre toutes les paroisses. Il était de la responsabilité de
chaque paroisse de partager cette nourriture en conséquence.
4. Les bureaux de PMU et PMC 1 dans le diocèse ont accordé
beaucoup d’attention aux enfants et aux jeunes qui n’étaient pas
autorisés à assister à l’Eucharistie ou à se rassembler pour chanter et faire
des répétitions de chorale. Ils ont été encouragés à suivre l’Eucharistie
en ligne dans la mesure du possible, à organiser des prières familiales,
des prières individuelles et à un partage individuel de la parole de Dieu.
5. J’ai pu avoir accès aux villages les plus reculés pour rencontrer
les habitants de nos stations secondaires et prier avec eux, partageant de
la nourriture, des vêtements et des médicaments avec ceux qui n’allaient
pas bien. Les gens se sentaient mieux et appréciaient le soin que l’église
leur fournissait.

Leçons de coronavirus
Il est vrai que le coronavirus nous a pris à l’improviste. Les églises
ont été fermées de façon inattendue. Il a été très difficile de gérer notre
paroisse pendant cette période, mais nous avons tiré quelques leçons de
cette expérience ;
1. Il est toujours bon d’avoir des économies sur le compte de la
paroisse, même minime, car cela peut aider dans une situation comme
celle-ci afin de continuer à gérer la paroisse.
2. En tant que prêtre missionnaire, je me devais d’essayer d’être
plus mobile et toucher les gens de tous les coins de la paroisse afin de
leur donner un message d’espoir.
3. J’ai essayé d’approfondir ma foi et de faire plus confiance à
Dieu afin d’être comme cette maison qui a été bâtie sur le roc. Aucune
force naturelle n’a pu la secouer.
4. Il est bon de prier davantage et d'augmenter mon temps avec
le Seigneur dans la méditation, la lectio divina, l'adoration et la lecture
des Écritures.

1 PMU – Pontifical Missionary Union (Union Pontificale Missionnaire), PMC –

Pontifical Society of the Holy Childhood (Œuvre Pontificale de la Sainte


Enfance)

168
Mission au desert pendant la pandemie

5. Il est toujours bon de travailler main dans la main avec le


conseil paroissial, le conseil de l’église, la branche diocésaine de Caritas
et d’autres agences afin que, dans des situations comme celle-ci, nous
puissions travailler ensemble comme une équipe.
De manière générale, le coronavirus a affecté la vie de tout le monde
dans la mesure où les gens viennent à l’église avec beaucoup de peur.
Nous avons maintenant du travail supplémentaire qui est de conseiller
les gens et de leur donner le message d’espérance du Seigneur.
Que Dieu aide nos scientifiques à découvrir un vaccin contre cette
maladie.

169
COVID -19 - Chemin de conversion

Paulin Kouassi sma

Cette année a été une année particulièrement difficile. Tant nous


avons été éprouvés physiquement, moralement et spirituellement par la
pandémie du Covid-19. Sans exagération le monde était devenu un
tombeau ouvert pour certains et une prison à ciel ouvert pour d’autres.
C’est dans cet esprit que nous avons vécu et continuons de vivre
cette réalité du Covid - 19. Nous sommes passés de la non-existence de
cette pandémie, car pour beaucoup, c’était simplement une invention
liée à plusieurs raisons. Mais très vite, nous devions faire face à la réalité
quand nos proches ont été affectés et mourraient en cascade. Et là, la
peur a pris le dessus. Désormais, tous tentent par tous les moyens
possibles, des plus imaginatifs au plus ridicules.
Du point de vue de l’Église en général et de l’Égypte en particulier,
nous avons été durement touchés. La perte de beaucoup de nos prêtres
(tous rites confondus) et de nombreux chrétiens. Pour bon nombres de
familles, cela a été une expérience douloureuse. La foi des uns et des
autres a été véritablement affectée, au point où beaucoup se
demandaient où est Dieu en tout cela ? Nous a- t-il abandonné ?
Qu’avons-nous fait pour mériter cette malédiction ? Ou encore est-ce la
fin du monde ?
Malgré ces doutes et l’affaiblissement de la foi pour certains, nous
avons pu ressortir quelques choses de positifs en observant le
comportement des uns et des autres.
Cette pandémie a ramené beaucoup de nos frères et sœurs à l’Église
et a relevé la tiédeur de la foi pour certains. Malgré la fermeture de nos
édifices religieux, il y a un engouement pour la recherche de Dieu. Nos

171
Mission en temps de crise

églises étaient prises d’assaut quand il y avait une petite possibilité de


messe. Et là où très souvent, ils se faisaient prier pour venir à l’église,
c’est eux même qui appelaient dans l’espoir d’avoir une messe. L’église
était devenue pour beaucoup la seule espérance et le seul remède
possible.
La prise de conscience de la prière personnelle a pris tout son sens
chez de nombreux chrétiens. Eux qui très souvent disaient, nous ne
savons pas prier ! Ou encore très paresseux dans la prière. La réalité est
que la prière à la maison a pris tout son sens et son importance.
Un autre élément aussi important est que cette pandémie a permis
de rapprocher beaucoup de famille. Nous sommes devenus plus
solidaires me disait une dame. Beaucoup ont appris à redécouvrir la
grâce et l’importance de la famille.
Et enfin, il s’est développé une charité concrète vécue auprès des
uns et des autres. Nous avons brisé les barrières, on se sent tous frères.
Le soutien aux autres est devenu un réflexe naturel.
Avec un large sourire de ce papa, que je n ‘oublierai pas de sitôt, le
Covid -19 m’a ramené sur le chemin de Dieu. Dieu est vraiment vivant,
il est plus grand que tout, concluait-il en larme.
Que Dieu nous vienne en aide, en ce moment où nous vivons cette
nouvelle vague. À qui irions-nous Seigneur ? Tu as les paroles de la vie
éternelle (Jn 6).

172
COVID 19 : Les Problèmes de santé
spirituelle et mentale

P. Maria Anthuvan Dominic sma

« Vous dire l’effet de ce double coup de foudre sur mon âme c’est
impossible. L’épidémie d’ailleurs, la plus forte dont on ait souvenance
depuis 27 ans, n’est pas passée et presque tous les Européens
succombent. Un de ces jours on enterrait l’évêque protestant. En ce
moment, j’ai un des frères malade. Il n’est donc pas impossible que
M. Reymond et moi suivions de près ceux que nous pleurons et la
mission de Sierra Leone sera alors aussitôt finie que commencée (…).
Quoi qu’il en soit, priez pour que la sainte volonté de Dieu s’accomplisse
en nous et par nous, comme en dehors de nous. À Dieu ».
La mort des deux prêtres a vraiment été un choc pour Mgr Marion
De Brésillac. Il ne savait pas quoi en faire ni quoi faire ensuite. Il était
perplexe quant à la nouvelle mission. Sa seule source d'espérance était
de s'appuyer sur la Providence de Dieu. L'histoire se répète. Le monde
entier a connu la pire pandémie de tous les temps. Jusqu'à présent, le
nombre de personnes décédées à cause du coronavirus est bien
supérieur à 1 620 654 dans le monde et 72 735 019 ont été touchées
jusqu'à présent (Worldometer, 14 décembre 2020). Dans la SMA, 35
membres ont perdu la vie à cause de cette pandémie.
Alors que nous vivons tous dans l'anxiété, la dépression et avec un
comportement agoraphobe, nous pouvons dire que la présence du
coronavirus et les changements qu'il a provoqués dans notre vie
quotidienne sont particulièrement difficiles à gérer. Nous nous
retrouvons avec un ensemble de questions à savoir : quand est-ce que

173
Mission en temps de crise

cela prendra fin ? Nos proches et nous, serons-nous protégés ? Dans


quelle mesure cela affectera-t-il davantage notre mission ? Quand est ce
que Dieu nous sauvera ? La pandémie a remis en question certaines de
nos valeurs fondamentales. Elle a démoralisé notre mission et ses
activités. Nous nous posons constamment des questions à savoir : que
ferons-nous de tout cela ? Qui sommes-nous sans les projets de notre
vie ? Nos valeurs et notre identité en tant que missionnaires ont-elles
changé à la lumière de la pandémie ?
La pandémie actuelle constitue une menace importante pour notre
prospérité et remet en question notre sentiment de bien-être. Ce n'est pas
un pandémonium qui affecte uniquement notre santé physique, mais il
menace aussi notre bien-être mental et émotionnel. L'incertitude,
l'imprévisibilité et la perte de contrôle créées par le COVID-19
s’imprègnent de tous les aspects de nos vies. C'est une crise mondiale
qui engendre la peur et l'insécurité massive, et tout ce que nous tenions
auparavant pour acquis, comme sûr, n'est plus le cas, n’est plus sûr. Les
défis de la pandémie ont le potentiel de nous piéger dans un état sans
fin d'anxiété, de panique et de dépression. En tant que missionnaires,
comment pouvons-nous résister face à cette crise et comment réagir
positivement à la crise ?

1. Réaction psychologique à la pandémie


La pandémie de coronavirus peut être stressante et provoquer de
l’anxiété en chacun de nous. Surtout dans le cas des missionnaires qui
voyagent d’un endroit à l’autre, ce phénomène mondial peut provoquer
un stress sans fin et une anxiété écrasante chez ces derniers. Les valeurs
fondamentales de la vie communautaire apostolique sont en jeu. Les
maisons de formation ont eu à prendre des mesures drastiques afin de
sauvegarder les valeurs de la vie communautaire tout en mettant en
œuvre des mesures de sécurité sanitaire. La distanciation sociale dans
les maisons de formation a engendré certaines mesures comme le
nombre restreint des membres lors des rassemblements et l’annulation
de plusieurs activités comme le sport communautaire. Bien que des
formes plus simples et plus courtes de célébration liturgique soient
toujours organisées, nous cachons parfois la peur et l’anxiété constante
derrière nos masques. Les craintes incontrôlées et omniprésentes dans
nos diverses maisons de formation et lieux de mission concernant la
santé et le souci de protéger les autres, en particulier lors de la
manifestation de certains symptômes liés à la pandémie, sont certaines

174
Les Problèmes de santé spirituelle et mentale

réactions psychologiques qui se traduisent par des symptômes


psychosomatiques, physiques, comportementaux et émotionnels. Par
exemple, une image de dessin animé est devenue virale. La photo
représente des animaux errant librement dans les rues pendant que les
êtres humains restent à l’intérieur du zoo et sont visités par les animaux.
C’était une image amusante mais qui portait un message très important.
L’isolement social est lié à un sentiment d’incertitude pour l’avenir,
tandis que l’ennui et la solitude sont directement liés à la colère, la
frustration et les souffrances liées aux restrictions de quarantaine. Même
si toutes les sorties restent annulées, les ouvriers doivent être empêchés
de venir travailler, les maisons de formation ou les communautés
paroissiales sont forcées de proposer des mesures alternatives pour faire
face à la situation actuelle. Des travaux majeurs comme cuisiner,
entretenir le jardin, faire les courses avec des mouvements restreints ou
réduire le budget comme réduire la quantité de la viande ou encore
changer le menu pour pouvoir s’adapter aux produits consommables
faits maison sont certaines des mesures qui doivent être prises. En
conséquence, la frustration, la colère et la tension parmi les membres
sont des symptômes émotionnels et comportementaux courants qui
surgissent très souvent.
Certains des symptômes comportementaux comprennent
également une faible motivation à travailler et aussi le désengagement
des pratiques religieuses et spirituelles. Les fonctions cognitives et la
prise de décision sont souvent altérées en raison d’un niveau élevé
d’anxiété et de peur. Par exemple, lorsqu’un étudiant est testé positif au
coronavirus, cela crée une nouvelle panique parmi les étudiants ainsi
que dans l’équipe de formation. Des questions s’enchainent à savoir que
devons-nous faire ? Devrions-nous tous être en quarantaine ? Quelle est
la démarche à suivre ? Très souvent il existe deux manières de réagir
dans ce genre de cas. L’un est de paniquer au point que tout le monde
devrait être renvoyé chez lui et fermer la maison communautaire ou
l’autre extrême est de négliger ou minimiser la présence et la gravité du
virus. Dans les deux cas, le cours de l’action est extrême et aggrave la
panique et l’anxiété omniprésente ou l’alexithymie, ce qui signifie ne
rien ressentir ou s’engourdir. Un plan d’action plus équilibré et calme
est le plus nécessaire pendant cette pandémie.
Au fur et à mesure que de nouvelles mesures sont introduites – en
particulier la quarantaine et ses effets sur les activités, les routines ou les
moyens de subsistance habituels – les niveaux de solitude, de
dépression, de consommation nocive d’alcool et de drogues devraient

175
Mission en temps de crise

également augmenter. Les changements dans les habitudes de sommeil


ou d’alimentation et la difficulté à dormir ou à se concentrer sont
également considérés comme certains des problèmes liés au
comportement.
Afin de lutter contre la propagation du COVID-19, nous
transformons chaque réunion ou cours en conférences virtuelles et en
cours en ligne. Même si elles sont très rentables et s’organisent sans
aucune infrastructure, les impacts de l’évolution de la technologie et de
son utilisation excessive pendant la pandémie mondiale sont alarmants.
Certains rapports de temps d’écran dans notre téléphone nous montrent
une augmentation de l’utilisation de l’activité de réseautage social à
200% afin de rester connecté avec nos proches. Bien que certaines
applications telles que Zoom, G Meet et Google Class soient devenues
efficaces pour gérer les classes et les réunions, il existe un risque élevé
de comportement de nomophobie, c’est-à-dire accro aux téléphones ou
de surutilisation des téléphones. Au milieu de la crise pandémique,
l’interaction entre hommes, la connexion face à face courent un risque si
élevé que rester dans le monde réel perde ses valeurs alors que le monde
virtuel prend plus d’importance. D’une certaine manière, cela réduit
l’efficacité de l’apprentissage et des interactions humaines. Les étudiants
des maisons de formation sont encouragés à se soumettre constamment
à un autocontrôle de l’utilisation du téléphone et d’Internet afin de ne
pas en être accro.

2. L’impact psychologique de la quarantaine


Cette situation liée au COVID-19 montre clairement que les
individus ne sont en grande partie et émotionnellement pas préparés à
faire face à des mesures extrêmes de confinement et de quarantaine. Les
étudiants ou les confrères mis en quarantaine en raison de l’infection
doivent être traités avec beaucoup de soin et de discrétion au sujet des
infections afin d’éviter la stigmatisation et la discrimination. Comment
sommes-nous conscients des impacts psychologiques de la
quarantaine ? Dans quelle mesure sommes-nous les mieux équipés pour
faire face aux impacts psychologiques de la quarantaine ?
Voici un rapport de l’OMS sur une prévalence plus élevée de sujets
présentant des symptômes psychologiques, des troubles émotionnels,
une dépression, du stress, des altérations de l’humeur et de l’irritabilité,
de l’insomnie, des symptômes de stress post-traumatique, de la colère et
de l’épuisement émotionnel parmi ceux qui ont été mis en quarantaine.

176
Les Problèmes de santé spirituelle et mentale

Notamment, la peur, la colère, l’anxiété et l’insomnie, la confusion, le


chagrin et l’engourdissement ont été identifiés comme des réponses
psychologiques supplémentaires à la quarantaine. Des changements de
comportement à long terme tels que le lavage des mains réguliers et la
distanciation sociale ainsi qu’un retour tardif à la normalité même après
plusieurs mois après la quarantaine ont également été signalés.
Ainsi, la période de quarantaine semble avoir des conséquences
psychologiques importantes et dysfonctionnelles sur la santé mentale de
l’individu non seulement à court terme mais aussi à long terme. Il faut
veiller à ce que les étudiants ou confrères qui ont été en quarantaine ne
souffrent d’aucun des symptômes psychologiques détectés ci-dessus,
mais qu’ils soient plutôt aidés et soutenus pour avoir une quarantaine
sans stress.
En raison des mouvements restreints, cette année, une partie de
l’ordination sacerdotale a dû avoir lieu non pas dans les lieux d’origine
des candidats, mais là où ils se trouvaient. J’ai été témoin de non
seulement des sentiments éprouvés par une famille qui n’a pas pu
assister à l’ordination sacerdotale de leur fils, mais aussi de celles des
confrères qui n’ont pas pu être auprès de leur proches pour les vacances.
Et cela peut susciter des sentiments de frustration et de colère. Comment
gérer ces sentiments ?

3. Les défis de l’évangélisation et des activités


missionnaires
Au milieu de cette pandémie, il est extrêmement crucial d’admettre
le fait que le COVID-19 a non seulement eu des impacts psychologiques,
sociaux et émotionnels, mais aussi spirituels. Le combat spirituel peut
aussi prendre plusieurs formes : sentiments de colère, d’abandon ou
d’être puni par Dieu ; crainte qu’un traumatisme puisse refléter le travail
du diable ou des forces démoniaques ; des doutes sur la foi religieuse ;
questions sur le sens ultime et le but de la vie ; le non-respect des valeurs
morales. On peut s’attendre à ce que la pandémie de COVID-19
déclenche un bon nombre de questions religieuses et existentielles
profondes. La distanciation sociale a en quelque sorte impliquée la
distanciation spirituelle également. Nous nous trouvons dans un
dilemme moral pour amener les personnes là où est Dieu ou pour
amener Dieu là où sont les personnes. De nos jours, avec l’aide de la
technologie, des messes en ligne, des prières, et des retraites sont
organisés afin d’accompagner les fidèles dans leur chemin de foi afin de

177
Mission en temps de crise

leur rappeler que Dieu marche avec eux et parmi eux et qu’ils ne sont
pas abandonnés. Pourtant, les questions suivantes posent un réel défi à
notre mission :
• Quel est l’impact des activités religieuses virtuelles sur la santé
mentale et sont-elles aussi efficaces que leurs homologues en direct ?
• Quel rôle la prière et les autres pratiques religieuses jouent dans
la gestion du COVID-19 et quelle est l’efficacité de cette stratégie ?
• Dans quelle mesure les pandémies comme le COVID-19,
intensifient ou diminuent les croyances religieuses ?

4. Facteurs de protection et
ressources de bien-être spirituel
Il est très important et crucial que nous trouvions des ressources
saines, protectrices et spirituelles pour combattre le COVID-19. Il est
évident que les interventions religieuses et spirituelles jouent un rôle
crucial dans cette crise de santé publique. L'Église a découvert des
manières novatrices et les plus modernes de se connecter spirituellement
aux fidèles. Aux personnes qui ont perdu les membres de leur famille et
leurs amis, l'Église fournit des conseils, un refuge, de l'espoir et un
rajeunissement à ceux qui en ont besoin. La crise du COVID-19 nous
appelle tous à comprendre, tirer des leçons, réfléchir et redéfinir la
priorité de tous les aspects de notre vie - le physique, le mental et le
spirituel. En créant plus de groupes de soutien et en créant une prise de
conscience, nous devons aider les gens à être plus résistants. L'Église doit
ouvrir sa porte à son peuple afin de véhiculer des informations plus
appropriées, pertinentes et justes pour lutter contre la pandémie. Nous
devons lui apporter un soutien afin de faire face aux symptômes
psychosomatiques, émotionnels et comportementaux. Nos confrères qui
sont dans les régions du monde les plus touchées par le COVID-19
doivent recevoir un soutien en ligne qui les aide à vivre cette période de
difficultés.

5. Le rôle des interventions missionnaires en


période de COVID19
Premièrement, en tant que missionnaires et porteurs de la Bonne
Nouvelle du Salut, nos interventions missionnaires au cours de cette
pandémie consistent à attendre dans l'espérance, à attendre la Venue du
Sauveur Jésus-Christ qui nous rachètera tous et apportera vie et lumière

178
Les Problèmes de santé spirituelle et mentale

au monde entier. Notre intervention missionnaire doit ramener les gens


à l'Église et à adorer le Christ Sauveur comme les mages l'ont fait, en
apportant avec eux non seulement leurs dons, mais aussi toute leur vie,
leurs luttes, leur humanité fragile et leur histoire de long voyage
fastidieux. De même, notre intervention missionnaire doit être guidée
par l'étoile de l'espoir auprès des personnes traumatisées et encore
stigmatisées par les souvenirs de leur infection. Notre vie doit être un
témoignage vivant de la promesse du Christ venu en puissance pour
racheter le monde.
Deuxièmement, nous devons travailler avec une force, un zèle et un
courage apostolique renouvelés pour commencer toutes les activités
pastorales qui sont en quelque sorte en sommeil et pour renforcer les
valeurs ecclésiologiques de la communion comme le culte
communautaire, la formation de la foi et des communautés chrétiennes.
Troisièmement, une attention particulière doit être accordée aux
plus vulnérables et aux personnes âgées de la société, les identifier et
leur administrer des soins pastoraux et psychologiques et aussi à ceux
qui souffrent beaucoup de solitude et de peur. L'arrivée des vaccins a
déjà apporté des échos aux revendications morales de l'Église, car les
vaccins en provenance des États-Unis ont un lien avec des lignées
cellulaires provenant de tissus prélevés sur des avortements. Nous
continuons d'être la voix de l'Église pour dire que la distribution des
vaccins est impartiale et que, les plus vulnérables et les pays n'ayant pas
accès aux soins primaires de base qui en ont besoin, devraient avoir la
priorité.
Enfin, à travers notre prédication et nos séances à diverses
occasions à toutes les catégories de la communauté, nous devons
entamer un processus de restructuration cognitive ; cela signifie que
notre famille a des valeurs traditionnelles et humaines et que nos besoins
humains fondamentaux de soutien, d'amour, d'appartenance, de
sécurité et d'acceptation sont menacés. Nous avons construit un
mécanisme de défense très solide, une clôture autour de nous. Nous
avons développé certaines distorsions cognitives dues à cette situation
sans précédent provoquée par la pandémie. Par exemple, le sentiment
d'insécurité, la paranoïa, la peur excessive menant à un comportement
agoraphobe, l’exagération de tous les événements et situations sont
quelques-unes des distorsions cognitives développées en essayant de
faire face à la pandémie.
La restructuration cognitive est une technique thérapeutique par
laquelle nous identifions et prenons conscience des schémas de pensée

179
Mission en temps de crise

qui sont destructeurs et autodestructeurs et commençons à les


supprimer et à les restructurer afin de vivre une cognition positive saine.

Conclusion
Le Pape François dans sa récente Lettre encyclique, intitulée Fratelli
Tutti, parle de la pandémie. Il écrit : « Certes, une tragédie mondiale
comme la pandémie de Covid-19 a réveillé un moment la conscience que
nous constituons une communauté mondiale qui navigue dans le même
bateau, où le mal de l’un porte préjudice à tout le monde. Nous nous
sommes rappelés que personne ne se sauve tout seul, qu’il n’est possible
de se sauver qu’ensemble. C’est pourquoi j’ai affirmé que « la tempête
démasque notre vulnérabilité et révèle ces sécurités, fausses et
superflues, avec lesquelles nous avons construit nos agendas, nos
projets, nos habitudes et priorités. […] À la faveur de la tempête, est
tombé le maquillage des stéréotypes avec lequel nous cachions nos ego
toujours préoccupés de leur image ; et reste manifeste, encore une fois,
cette [heureuse] appartenance commune […], à laquelle nous ne
pouvons pas nous soustraire : le fait d’être frères ». Le pape François vise
à promouvoir une aspiration universelle à la fraternité et à l'amitié
sociale. La pandémie de Covid-19, révèle le Pape, « a éclaté de façon
inattendue ». Mais l'urgence sanitaire mondiale a permis de démontrer
que « personne ne peut affronter la vie de manière isolée » et que le
moment est vraiment venu de « rêver, alors, en tant que famille humaine
unique » dans laquelle nous sommes « tous frères et sœurs ». Nous
pouvons combattre cette pandémie comme une seule famille humaine.
Notre rétablissement en tant que société de Covid-19 nécessite la
promotion d'une culture authentique et positive d'amour, de guérison,
de prise de conscience, de compréhension et de respect.

180
La révolution numérique et la formation presbyterale

La révolution numérique et la
formation presbytérale
traditionnelle : défis et possibilités

Jonathan Malong sma

Lorsque le grand séminaire diocésain où nos étudiants vont pour


les études a été fermé à la mi-mars 2020, à la suite d'une directive
présidentielle qui ordonnait à tous les instituts tertiaires de fermer sans
limite, afin de lutter contre le mortel virus de la corona, il m’est apparu
fortement que la distinction autrefois claire entre le « sacré et le profane»,
« le spirituel et le profane » était floue. Après tout, les paroisses, maisons
de retraite et autres lieux de culte étaient tous fermés aussi bien que les
restaurants, bars, marchés et autres lieux publics.
J’ai toujours pensé et cru, jusqu’au jour de la directive
présidentielle, au caractère spirituel et à l’identité spéciaux des
séminaires, des centres de culte et des maisons de formation. Lorsqu’il
n’y avait aucune considération concernant les « centres spirituels », que
ce soit un séminaire ou une communauté paroissiale, il était clair que la
crise pandémique était le microcosme d’une réalité plus vaste, à savoir
le mondialisme et la vie numérique, qui ont envahi et continuent
d’envahir l’autrefois « stable », et imperturbable formation sacerdotale
traditionnelle.
La pandémie a sans aucun doute accru notre dépendance à l’égard
des ordinateurs, des téléphones, de la télévision et d’autres gadgets
électroniques. Plus que cela, elle a inauguré une atmosphère de peur et
de suspicion que je n’avais jamais connue auparavant. Pour la première

181
Mission en temps de crise

fois, nous ne pouvions pas nous considérer simplement comme des êtres
humains ou des frères et sœurs, mais comme des porteurs potentiels
d’un virus mortel. Un simple geste de poignée de main, une salutation
SMA avec la tête, etc. ont disparu.
Bien que sous le même toit, nous étions loin les uns des autres car
tout contact physique devenait dangereux. Les nouvelles des médias
conventionnels et des médias sociaux n’ont fait qu'accroître la peur et la
suspicion qui règnent. Les « réunions en ligne », les « conférences en
ligne », ou les « achats en ligne », rarement entendus, sont devenus la
norme du jour au lendemain. Doit-on renvoyer les séminaristes chez eux
pour continuer leur formation en ligne ? C’était à la fois une option dont
on pouvait rire et qu’on pouvait considérer inimaginable étant donné
que nous n’étions pas préparés à la nouvelle réalité.
Bien que la vie ait connu une certaine forme d’évolution depuis
l’antiquité, l’avènement de la vie numérique façonne les vies, les cultures
et les valeurs avec une rapidité jamais connue auparavant dans l’histoire
de l’humanité. Nous assistons probablement à une réalité encore en
cours.
Cet article se propose d’examiner l’impact de la révolution
numérique (dans le contexte de la crise actuelle) sur la formation
sacerdotale.
À la lumière de la crise actuelle, qui inaugure une nouvelle
normalité de « vie en ligne », dans quelle mesure affecte-t-elle la
formation des jeunes gens à la prêtrise ou quelles bénédictions apporte-
t-elle à la préparation des futurs prêtres missionnaires ?
Nous proposons d’aborder cette étude en utilisant partiellement la
méthode pastorale. Il y aura un aperçu descriptif de l'évolution
historique de la formation sacerdotale pendant certaines périodes
importantes de crise dans l’Église, y compris la crise actuelle. Nous
tenterons également d'analyser certains moments « répugnants ». Enfin,
à partir de notre longue enquête et analyse, nous suggérerons quelques
pistes pour vivre la « nouvelle normalité » en coopération avec Dieu
dans l’accompagnement et la préparation des futurs ouvriers à sa vigne.

182
La révolution numérique et la formation presbyterale

Partie I : Un aperçu historique de la formation


sacerdotale - Kairos dans le chaos
Période non structurée : du berceau du Nouveau Testament à
Trente.
Lorsque la SMA affirme avec audace que « l’objectif premier de la
formation est d’aider les gens à grandir en tant que "disciples du Christ"
et de les aider à aider les autres à faire de même », 1 la société s’aligne
sur une solide tradition qui remonte au Christ lui-même. Il n’est pas
étonnant que le document affirme en outre que « l’enracinement dans le
Christ est le point de départ d’un voyage missionnaire ». 2
Au début de son ministère avec l’appel des disciples, Jésus a voulu
que ses collaborateurs et futurs successeurs soient autour de lui ou soient
en contact étroit avec lui pour qu’ils portent des fruits durables (cf. Jn
15). Dans les évangiles, nous voyons Jésus qui se promène comme un
simple prédicateur, mais le contenu énigmatique de ses paroles, de son
caractère et de ses actes contraint les gens à abandonner leurs métiers,
leur profession et leur famille pour être avec lui. C’était typique des
grands hommes de Dieu à Son époque et, cela, remontant même à
l’Ancien Testament. Des disciples, volontaires, se déplacent avec leur
Maître ; ils restent là où Il reste (cf. Jn 1, 38-39), ils mangent ce qu’Il
mange (cf. Lc 22, 7-16), ils apprennent de Lui à prier (Lc 11, 1-2) ; ils
observent comment Il parle et noue des relations avec les gens, ils
apprennent comment Il gère les crises (cf. Mt 14, 22), ils observent son
comportement, ils posent des questions sur son enseignement et essaient
d’être comme Lui dans leurs paroles, leur caractère et leurs actes. En
voulant et en désirant être comme Jésus et en restant avec Lui, les
disciples deviennent comme Lui. Il n’est pas étonnant que les premiers
disciples aient été appelés « chrétiens » - parce qu’ils vivaient comme le
Christ.
En bref, ce genre de formation des disciples était hautement non
structuré, informel et indéfini. Cependant, il ne manquait en aucun cas
de contenu, de puissance ou de pertinence. Ce qui était essentiel, c’était
le contact et la configuration des disciples avec leur enseignant - être

1 Cf. COMITE SMA DE FORMATION, “Notre vision de la formation sma pour


aujourd’hui” in Mission et Dialogue, SMA Bulletin N° 143, SMA Publications
2015, 61-78.
2 Ibidem.

183
Mission en temps de crise

avec lui. Les disciples ont aussi eu des crises mais ils savaient exactement
où se trouvait la solution (cf. Marc 4, 35-41).
Les Apôtres de Jésus auraient à leur tour leurs propres disciples.
Les épîtres du NT nous fournissent de nombreux exemples
d’instructions données à de tels disciples (cf. 1 Pierre 5, 1-4). Le
Catéchisme de l’Église catholique l’appelle à juste titre « succession
apostolique » - la transmission non seulement de l’autorité
ecclésiastique, mais aussi d’un modèle et d’un mode de formation
sacerdotale.

La contribution des Pères de l’Église : le lien entre le mode de


vie sacerdotal et le mode de vie monastique
Nous savons très peu de choses sur la formation des prêtres avant
le quatrième siècle. Ce qui est incontestable, c’est l’enthousiasme et la
montée de la vie monastique. Désenchantés et indignés de « la vie
mondaine de certains évêques et prêtres, qui, libérés du danger de la
persécution, sont devenus saturés par la souillure des poursuites
mondaines en politique et en finance » 3, de nombreuses personnes
désireuses de servir Dieu ont opté pour la vie monastique.
Grégoire de Nazianze et Saint Jean Chrysostome sont deux grandes
figures qui ont défendu la fusion du style de vie sacerdotal-monastique.
Le dernier a succédé au premier et a continué à faire progresser le
processus de la formation sacerdotale dans son œuvre bien célèbre :
«Traité du Sacerdoce ».
Connu pour son éloquence, et pour cela surnommé « la bouche d’or
- Chrysostome », la source de son influence sur son troupeau était plutôt
son amour ardent des Saintes Écritures et son amour des âmes. Il a
affirmé un jour : « Un seul homme enflammé de zèle suffisait à réformer
tout un peuple » 4.
Dans son dialogue avec son ami Basile dans le « Traité du
Sacerdoce», Jean Chrysostome a exalté le sacerdoce au-dessus de la vie
monastique, d’où le besoin de la plus grande fidélité au milieu du chaos
de l’époque.
Jean Chrysostome avait probablement à l’esprit un prêtre fidèle
lorsqu’il a dit qu’« un seul homme » était nécessaire pour réformer le

3 P. MOLAC, “Historical Overview of the Evolution of the Formation of


Candidates to the Priesthood”, Seminary Journal 13/3 (2013) 7-19.
4 Cf. ST J. CHRYSOSTOM, Sermon to the People of Antioch 5,12.

184
La révolution numérique et la formation presbyterale

peuple. Dans le livre III du même ouvrage, il résume ainsi la dignité du


sacerdoce :
Les prêtres doivent être purs comme les anges, car le péché d'un
prêtre en blesse beaucoup, ce dont il sera tenu responsable.
Les prêtres doivent être détachés de l’argent… « Un prêtre doit être
dans le monde mais pas du monde ».
Ainsi, pour lui, le prêtre a besoin de surpasser le moine en vertu,
mais en aucun cas le prêtre ne doit construire un mur autour de lui : « il
doit être dans le monde mais pas du monde ». La place du prêtre n'est
donc pas seulement sur une montagne pieuse isolée mais aussi dans le
monde chaotique. Je suppose que les candidats à la prêtrise ont été
formés avec cette réalité à l’esprit.

La crise médiévale et la formation sacerdotale


La crise médiévale a duré jusqu'à la Réforme. Certains historiens le
décrivent comme « l’âge sombre » de l’Église. En ce qui concerne la
formation sacerdotale, ce qui a émané comme signes d’espérance, c’est
l’émergence des écoles cathédrales et des universités scolastiques. Des
centres d’études sacerdotales se sont développés dans diverses
cathédrales sous le contrôle et la direction des évêques.
En fait, le troisième concile du Latran a décidé que : « l’Église de
Dieu, étant obligée en tant que Mère bonne et aimante de subvenir aux
besoins spirituels et temporels des pauvres, se doit de fournir des
ressources à ses enfants privés de la capacité d’apprendre, lire et
progresser dans l’étude ; elle ordonne donc que chaque école cathédrale
ait un maître et un enseignant pour instruire gratuitement les employés
et les élèves pauvres » 5.
Même avec cet effort crucial, il convient de noter que « les capacités
académiques des prêtres moyens n’étaient pas à la hauteur du ministère
à accomplir » 6. Cela ne signifie cependant pas qu’il y avait un manque
total de prêtres formés. Au crédit de cette époque, nous devons
reconnaître la vulgarisation de la studia et de la lectio divina, développée
par des moines et des religieuses, qui a ensuite été largement utilisée par
les scolastiques.
Lorsque la mise en œuvre des décrets du quatrième concile du
Latran fut retardée dans de nombreux royaumes, il y eut l’émergence de
grands leaders charismatiques - « les spirituels » qui prirent des

5 Cf. P. MOLAC, “A Historical Overview”.


6 Ibidem.

185
Mission en temps de crise

initiatives personnelles et élaborèrent des programmes pour la


formation des prêtres. Parmi ces personnages, on peut citer Pierre de
Bérulle.
La principale préoccupation de Pierre de Bérulle était de former un
clergé instruit, moralement droit, pastoralement sensible et zélé. Une
partie des objectifs de la fondation de la populaire École française de
spiritualité était de parvenir à cela. Les domaines prioritaires pour lui
comprennent : « un sens de la grandeur et de l’adoration de Dieu ; une
relation avec Jésus vécue principalement à travers la communion avec
ses états […] une grande dévotion à l’Esprit Saint » 7.
On voit ici encore, comme à l’époque patristique, des réformes au
milieu du chaos.
Bien que la Révolution française ait presque détruit tout ce qui est
chrétien en France, de nombreux prêtres et missionnaires formés dans
l’esprit de l’École française de spiritualité se sont révélés être de grands
missionnaires pieux dans les Amériques et dans d’autres parties du
monde. Nous pouvons affirmer que dans la période la plus sombre de
la vie de l’Église, où la formation sacerdotale universelle était encore
majoritairement non structurée et moins définie universellement, il y
avait encore de grandes initiatives à différents niveaux et par différentes
personnes pour s'assurer que les candidats au sacerdoce étaient
configurés au Christ. Des efforts ont déjà été faits pour uniformiser les
programmes et la méthode de supervision. Les candidats à la prêtrise
ont commencé à vivre dans un seul bâtiment près des cathédrales.
C’était le début d’une véritable formation au séminaire, que le Concile
de Trente inaugurerait.

Période structurée : Trente et la formalisation de la formation


sacerdotale
Les crises médiévales ont persisté et ont finalement éclaté menant à
la Réforme. Les abus cléricaux en étaient certainement quelques-uns, en
particulier « le manque de prêtres formés et l’affaiblissement de la
confiance des fidèles dans le leadership de l’Église catholique » 8. Il n’est
pas surprenant que l’une des décisions majeures prises au Concile de

7 Cf. VINCENTIAN ENCYCLOPEDIA, P. de Berulle,


https://famvin.org/wiki/B%C3%A9rulle,_Pierre_de#The_French_School_of_Spi
rituality (Accessed on March 2, 2021).
8 P. MOLAC, “A historical Overview”,

186
La révolution numérique et la formation presbyterale

Trente ait été d’assurer une formation plus structurée et holistique des
candidats à la prêtrise.
En effet, les crises sont parfois des Kairos. Une approche et une
attitude rigoureuses à l’égard de la formation du clergé au niveau
universel ont sans doute commencé avec le Concile de Trente.
Entre autres, le Concile a pris des décisions importantes concernant
les séminaires 9 :
Chaque cathédrale et église métropolitaine était obligée d’avoir son
propre séminaire.
Les séminaires régionaux étaient encouragés dans les petits
diocèses ou les diocèses pauvres.
Le Concile a défini un programme répondant aux besoins de son
temps, comme la littérature, les sciences humaines, les Écritures, la
dogmatique, la morale, la pastorale, … etc.
Les efforts consentis par Trente étaient sous peu remis en cause par
l’ingérence de l’État au cours des deux siècles qui suivront. Les
monarques européens devinrent puissants et, influencés par l’ambiance
du nationalisme, voulurent la formation du clergé avec quelques
règlements d’État. Dans certains cas, ils ont insisté sur la formation des
prêtres tant dans les séminaires que dans les universités, système qui a
duré jusqu’au XXe siècle dans certains endroits.
De ce bref aperçu historique, nous pouvons constater qu'il n’y a
jamais eu de temps dans l’histoire où la formation des prêtres s’est
déroulée sans défi ni sans crise. Comme vu ci-dessus, certaines crises ont
été des kairos lorsque des réformes rigoureuses et des initiatives
individuelles ont sauvé la situation. Nous l’avons vu avec saint Jean
Chrysostome à l’époque patristique, avec les scolastiques à l’époque
médiévale, pour l’Église universelle à Trente et avec d’autres initiatives
audacieuses de pieux chrétiens comme Pierre de Bérulle.
Aujourd’hui, nous sommes à l’aube d’une grave crise d’une autre
nature, sans précédent dans l’histoire. Comment pouvons-nous y
répondre à la lumière de l’expérience passée et qu’est-ce que
l’ingéniosité d’aujourd’hui peut offrir ; voilà nos principales
préoccupations exprimées dans la seconde partie de cet article.

9Cf. SEMINARY OF CHRIST THE KING, http://sck.ca/priestly-formation/history-of-


priestly-formation/ (Accessed on March 2, 2021).

187
Mission en temps de crise

Deuxième Partie : La Crise Actuelle


et la Formation Sacerdotale
La pandémie mondiale actuelle a un impact à la fois négatif et
positif sur la formation traditionnelle. D’une part, il y a un assaut sur les
structures du séminaire (ses structures visibles et invisibles) avec une
forte tentative d’efforts sévères faits à la configuration des candidats au
Christ en les remplaçant par un recours excessif à l’électronique et aux
gadgets. D’autre part, il existe une abondance de ressources et
d’informations utiles en un seul clic.
Cette section évaluera les effets de ces deux réalités sur la formation
sacerdotale.

Formation sans Frontières


La nature de la formation des jeunes depuis l’avènement de la
révolution numérique ne peut être décrite que comme sans frontières.
Le mondialisme et la vie numérique n’ont aucun respect pour les murs
ou les frontières physiques ou idéologiques. C’est un monde
d’informations illimitées avec peu ou pas de contrôle. De nombreux
domaines de la vie sont aujourd’hui affectés dans chaque société, y
compris les maisons de formation.
En 2018, au Pew Research Center, certains experts ont partagé leurs
expériences sur l’impact de la vie numérique 10. L’un d’eux a décrit son
expérience qui peut être en symbiose avec la plupart d’entre nous qui
travaillons dans une enceinte fermée : « Nos communications
personnelles se font maintenant pour la plupart avec des textos et des
courriels, plutôt que par téléphone ou en tête à tête. Je prends l’habitude
d’envoyer un e-mail à un collègue à deux portes de mon bureau plutôt
que d’organiser une réunion… Je crains aussi que les médias sociaux
comme Facebook, Twitter, etc. n’augmentent l’anxiété sociale » 11. Si les
adultes et les experts luttent de cette manière, alors imaginez ce que
vivent les jeunes.

10 Cf. PEW RESEARCH CENTRE,


https://www.pewresearch.org/internet/2018/07/03/the-negatives-of-digital-life/
(Accessed on March 2, 2021).
11 Ibidem.

188
La révolution numérique et la formation presbyterale

Étranges Camarades de Maison


Une des activités que je chérissais en tant que séminariste était les
jeux en salle, joués ensemble certains soirs. C’était une bonne avenue
pour créer des liens en tant que frères. D’après mon expérience
personnelle en tant que « formateur » maintenant, il semble que les
étudiants préfèrent passer du temps sur des ordinateurs ou des
téléphones. Cela crée une situation d'être-ensemble sans aucune réelle
rencontre les uns avec les autres. Dans une recherche menée auprès de
jeunes au Ghana, il a été constaté que la raison la plus importante pour
l’utilisation des médias sociaux chez les jeunes est le besoin d’amitié
(68%), suivi du besoin d’apprendre et de découvrir de nouvelles choses
(48%). Plutôt que de cultiver cette amitié à travers des rencontres avec
de vraies personnes, physiquement proches, cette amitié est plutôt
recherchée comme un mirage dans un monde virtuel souvent sans
possibilité de rencontre. Le protocole Covid-19 avec son insistance sur la
distanciation sociale ne fait qu’aggraver toute possibilité de contact et de
rencontre entre personnes. La conséquence est que nous finissons par
être des étrangers sous le même toit.

Aveuglé par la Dépendance


Le Pew Research Center a également constaté que les jeunes passent
en moyenne cinq heures par jour sur les réseaux sociaux. Partageant son
expérience, David Ellis Ph D (directeur de cours du Département
d’études en communication de l’Université York à Toronto) a déclaré :
«Il y a plusieurs années, je suis entré dans ma classe de quatrième année
et, dans un accès de pique, j’ai annoncé que je confisquais le téléphone
de tout le monde pendant les trois heures entières. J’ai ensuite augmenté
la mise en interdisant tous les appareils numériques au profit du stylo et
du papier. Des révélations inhabituelles ont émergé depuis lors, y
compris des résultats heureux de cette désintoxication numérique. Les
étudiants de mes cours sont là pour apprendre sur les
télécommunications et les technologies Internet. À première vue, cela
semble être une combinaison parfaite : les natifs hyper connectés du
numérique acquièrent plus de connaissances sur le numérique. Si
seulement. La triste vérité est qu’ils souffrent d’une grave dépendance
comportementale qui les rend pratiquement incapables de faire
attention à leurs instructeurs ou camarades de classe » 12.

12 Ibidem.

189
Mission en temps de crise

Cependant, ces mesures drastiques ont été fructueuses. Selon lui,


«Au début des cours... certains abandonnent même plutôt que de
souffrir de l’indignité d’être hors ligne pendant toute une classe.
Pourtant, à la grande surprise de tout le monde, la rédemption arrive à
presque tout le monde. En un mois, je reçois des réactions enthousiastes
quant à la sensation d’être privé de téléphone. Les notes s’améliorent,
ainsi que la qualité de la discussion en classe. Certains étudiants
rapportent que c’est la première fois qu’ils peuvent se concentrer sur les
éléments du cours. Ou, c’est le seul cours dans lequel ils ont appris
quelque chose » 13.
Ce défi est également vécu au séminaire. Les mesures qu’il a prises
peuvent être appliquées dans une maison de formation si le besoin
l’exige. La qualité du temps, la présence humaine et la rencontre avec
Dieu et les uns avec les autres sont gravement affectées par la
dépendance numérique. Même si la vie numérique offre des possibilités
illimitées d’accès aux informations et aux ressources du monde entier,
contrairement aux siècles précédents où l’information était rare et
inaccessible dans de nombreuses institutions, aujourd’hui, les jeunes ont
encore beaucoup de mal à choisir ce qui est essentiel pour eux-mêmes
au milieu d’informations et d’options illimitées. Comme le recteur d’un
grand séminaire s’est écrié un jour : « Ils viennent au séminaire déjà
formés » ce qui signifie ils sont au séminaire mais ne sont pas formés par
les programmes du séminaire mais par d’autres choses en ligne.
Contrairement aux premiers siècles, lorsque les disciples savaient
vraiment auprès de qui s’asseoir pour être correctement encadrés, le
monde numérique est totalement amoral et n’offre aucun choix crédible.
En fait, la philosophie sous-jacente est que tous les choix sont bons. En
fin de compte, les jeunes sont livrés à leur sort sans s’enraciner dans quoi
que ce soit de solide. Cela pose certainement un grand défi à la formation
traditionnelle dont le but, comme nous l’avons vu, à chaque siècle ou
crise, est de configurer les séminaristes au Christ et de les enraciner dans
le Christ.

Pas Complètement Sombre


Il ne fait aucun doute que la révolution numérique est venue pour
durer. Pour qu’elle change ainsi profondément la vie, cela implique
qu’elle a quelque chose de presque indispensable qu’elle apporte à
l’existence humaine ; sinon, les humains l’auraient expulsé comme un

13 Ibidem.

190
La révolution numérique et la formation presbyterale

virus du système. Certains autres experts ont partagé des expériences


positives de la vie numérique. Par exemple, Louis Rosseto, ancien
rédacteur en chef de Wired Magazine, l’a exprimé ainsi : « La technologie
numérique est si vaste aujourd'hui qu’elle englobe presque tout. Aucun
produit n’est fabriqué aujourd’hui, personne ne bouge aujourd’hui, rien
n’est collecté, analysé ou communiqué sans qu’une « technologie
numérique » en fasse partie intégrante. Cela témoigne de la « valeur »
écrasante de la technologie numérique. Elle est si utile qu’en peu de
temps, elle fait partie intégrante de toutes nos vies. Cela n’arrive pas
parce que cela rend nos vies misérables » 14. De nombreux autres experts
parlent de la même manière. La technologie numérique touche tout en
nous.
Je peux attester avec force que sans le numérique, le séminaire (où
j’enseigne) n’aurait pas terminé son année académique pendant le
confinement en raison de la pandémie. Incapables de nous rencontrer
physiquement dans les salles de classe pour des conférences ou des tests
d’évaluation, nous avons eu recours à des conférences en ligne et même
effectué des examens en ligne. Les résultats ont également été publiés en
ligne. La technologie numérique a été d’une aide formidable.
Cependant, les exercices académiques ne représentent probablement
que 25% de l’ensemble du processus de formation. La seule mention de
« formation en ligne des séminaristes » me fait peur. La présence
physique est nécessaire pour la formation initiale. À mon avis, cela fait
partie des limites de la technologie numérique.
Dans la dernière partie, nous proposons d’analyser brièvement ce
dont nous devons être conscients considérant la « nouvelle normalité »
dans laquelle nous vivons.

14Cf. PEW RESEARCH CENTRE,


https://www.pewresearch.org/internet/2018/07/03/the-positives-of-digital-life/
(Accessed on March 2, 2021).

191
Mission en temps de crise

Conclusion : alors que faisons-nous face à la pandémie


et à la « nouvelle normalité » ou « la grande
réinitialisation » ?
S’en tenir à la vision chrétienne de la vie
La révolution de la technologie numérique n’est qu'une technique
améliorée pour faire des choses avec des outils plus à jour. Par exemple,
cela nous aide certainement à communiquer facilement mais pas
nécessairement mieux. Et si les outils et techniques eux-mêmes
devenaient des barrières à la communication, nous éloignaient les uns
des autres, etc. ? Ainsi donc, l’homme doit certainement affirmer sa
supériorité sur les choses créées et les soumettre sous ses pieds et non
l’inverse.
Pour les chrétiens, la vie est bien ordonnée. En adhérant à l’ordre
divin, l’homme atteint la plénitude. La vision chrétienne de la vie est
toujours celle-ci : Dieu le Créateur d’abord. Il doit être loué, adoré,
écouté et obéi. Telle est la boussole des croyants pour la vie. Comme un
poisson qui ne peut survivre ou être séparé de l’eau, Tertullien dirait que
nous, chrétiens, sommes « de petits poissons, à l’exemple de notre
Poisson, Jésus-Christ ... Nous n’avons pas non plus de sécurité en aucune
façon que de demeurer en permanence dans l’eau » 15. Pour les premiers
chrétiens, la séparation d’avec le Christ, ou d’avec Dieu, était la même
chose qu’un poisson hors de l’eau. Certains chrétiens aux États-Unis ont
réaffirmé cette année encore cette déclaration audacieuse lors de leur
conférence 16 : « Christ ou Chaos », « Dieu ou rien » comme proclamait le
sage cardinal Sara Robert dans son livre 17.
En effet, il y a des inquiétudes et il est nécessaire de souligner ce
principe éternel parce que la vie numérique ne nous aliène pas, non
seulement les uns aux autres, comme nous l’avons vu, mais nous sépare
presque de Dieu. Un gouffre entre les humains et Dieu se met en place
subtilement mais avec force. Cela est clairement perçu au fur et à mesure
que la pandémie se déploie et que notre dépendance à la technologie

15 Cf. J. MALONG, Keys to the Sacred: Explaining Some Ancient Christian Symbols,
Magic Print 2014, 2.
16 Conference organized by the editior-in-chief of the Remnant, M. MATT,

https://www.cfnews.org.uk/christ-or-chaos-challenging-the-new-world-order/
(Accessed on March 2, 2021).
17 Cf. R. SARA, God or Nothing: A Conversation on Faith with Nicola Diat, Ignatius

Press 2015.

192
La révolution numérique et la formation presbyterale

numérique augmente. Se rassembler pour adorer Dieu devient difficile


ou impossible dans certains cas. Les croyants sont invités à « adorer en
ligne ». Nous savons tous que le culte en ligne n’est pas différent de
regarder un match de football à la télévision. Par conséquent, quelle que
soit l’utilité d’une technique, nous devons veiller à ce que rien ne
remplace Dieu ou ne s’interpose entre nous et Dieu. Ce serait le chaos.
Se rencontrer physiquement pour adorer Dieu ensemble est à mon avis
indispensable. Si cela signifie se cacher dans les « catacombes » pour le
faire, qu’il en soit ainsi. C’est une question de vie ou de mort.

Les experts n’ont pas toujours tort


Dans la mesure où nous continuerons à utiliser nos téléphones pour
la communication, etc., nous ne pouvons pas être des étrangers sous le
même toit. Les conseils d’experts tels que David Ellis (évoqués plus
haut) peuvent être pris au sérieux. Par exemple, au lieu d’envoyer un
SMS ou un message WhatsApp à un frère à la porte d’à côté, il est plus
avantageux d’aller frapper et d’échanger physiquement quelques
plaisanteries. Une tasse de café ensemble serait une excellente idée.
Toutes les communications ne peuvent pas être exprimées avec de
simples textes ou messages. Nous manquons beaucoup quand nous ne
nous rencontrons vraiment pas du tout. Il est peut-être temps d’affirmer
notre identité plus fermement que jamais, comme Saint Paul nous y
exhorte : « Ne modélisez pas votre comportement en fonction du monde
contemporain » (Rm 12, 2). Nous ne pouvons tout simplement pas vivre
comme le reste du monde ou suivre aveuglément. Il est important de
discerner la volonté de Dieu dans chaque situation. L’exemple de saint
Jean Chrysostome, que nous avons vu plus haut, est un autre bon
exemple. Face à la crise du matérialisme, de la corruption et de
l’indiscipline de son temps, il a discerné et conclu à juste titre que pour
la survie du sacerdoce il y avait un besoin de mélanger la formation
sacerdotale avec la vie monastique. Il fallait sauver l’identité sacerdotale
par tous les moyens possibles des courants adverses de l’époque. Il ne
suivait pas les courants. Le résultat de son initiative existe encore
aujourd’hui.

Nous sommes faits pour l’enracinement


Le changement constant et rapide de tout ce qu’apporte la
révolution numérique est une réalité avec laquelle nous luttons tous. Les
jeunes sont peut-être plus vulnérables que les autres. Que l’on soit dans

193
Mission en temps de crise

un environnement paroissial, en charge de projets, ou que l’on soit dans


une maison administrative, ou dans une maison de formation, les jeunes
ont une exigence majeure à les aider à faire face aux difficultés et à
grandir. En bref, le besoin de mentorat. Cela implique une conversation
honnête ensemble, obtenir des encouragements ou de l’appréciation,
être corrigé avec amour et inquiétude, et surtout donner un exemple
inspirant de vie personnelle. Tout cela exige une présence de qualité avec
Dieu et, les uns avec les autres. Cela ne peut être offert qu’en
approfondissant notre confiance dans la Parole de Dieu (comme ce fut le
cas pendant la crise médiévale) et, les sacrements. Comme les disciples
qui ont géré leur crise en courant vers leur Maître (Jésus) alors que leur
bateau coulait, notre Supérieur général nous propose aujourd’hui la
même solution lorsqu’il s’est adressé à la Société au plus fort de la
pandémie mondiale. Certainement, « Vers qui irons-nous sinon vers toi,
ô Seigneur... » Jean 6, 68.

194
Où est dieu dans le covid-19 ?

Où est dieu dans le covid-19 ?

Tim Cullinane sma

"C'était le meilleur des temps, c'était le pire des temps,


c'était l'âge de la sagesse, c'était l'âge de la folie,
c'était l'époque de la croyance, c'était l'époque de l'incrédulité,
c'était la saison de la Lumière, c'était la saison des Ténèbres,
c'était le printemps de l'espoir, c'était l'hiver du désespoir".
(Charles Dickens : Le conte de deux cités).

L'histoire du « Conte des deux cités » se déroule à la fin du XVIIIe


siècle sur fond de Révolution française et nous parle aujourd'hui alors
que nous essayons de vivre, sur fond de "révolution covide-19".
En décembre 2019, des responsables chinois ont notifié à
l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) l'apparition d'un virus,
jusque-là inconnu, dans la ville de Wuhan, en Chine centrale. Depuis
lors, des cas de ce coronavirus, appelé covid-19 par l'OMS, ont été
signalés aux quatre coins du monde. Le virus a stupéfié tout le monde
par la rapidité de sa transmission et la mondialisation de son impact.
Au moment où j'écris ces lignes, début décembre 2020, il a touché
64,5 millions de personnes dans le monde et plus de 1,49 million de
personnes sont mortes. Les chiffres pour l'Afrique sont de 2 2 millions
de cas de virus avec 53 670 décès.
Le virus a changé tout notre mode de vie. Le port du masque, que
nous associions autrefois aux villes polluées d'Asie, est désormais
obligatoire dans les magasins et les transports publics. La distanciation

195
Mission en temps de crise

sociale est la nouvelle norme. Les déplacements sont limités aux


déplacements essentiels. Les magasins qui ne vendent pas d'articles de
première nécessité, les bars et les centres de divertissement sont fermés.
Les gens sont encouragés, dans la mesure du possible, à travailler à
domicile. Les rassemblements de masse sont interdits et les visites au
domicile d'autres personnes sont sévèrement limitées. Cela a de graves
conséquences sur la santé mentale et physique, en particulier des
personnes âgées et des personnes vivant seules.
La participation aux messes publiques n'est pas autorisée ou est
limitée à un petit nombre de personnes. La messe par internet est
devenue la nouvelle norme. Dans certains endroits, les églises ne sont
ouvertes que pour la prière privée.
Les visites dans les hôpitaux sont fortement limitées et les
personnes meurent seules sans le soutien de leur famille et de leurs amis.
La participation aux funérailles est également très limitée.
Le virus, comme l'épée de Damoclès, est suspendu au-dessus du
monde entier. Il ne respecte pas les personnes, qu'elles soient riches ou
pauvres, de religion ou de couleur. Nous sommes tous également
vulnérables. Comme les habitants de l'arche de Noé, nous sommes
enfermés et nous ne savons pas quand les eaux du déluge se retireront
et nous permettront de retrouver de nouveaux modes de vie normaux.
Ici, à la maison SMA de Blackrock Road, à Cork, nous avons été
bloqués à divers degrés depuis la mi-mars. Notre communauté est
composée de plus de 40 membres répartis en trois groupes. Un groupe
d'actifs, un groupe en soins infirmiers, et un groupe de plus de 70 ans
qui sont comptés comme vulnérables. Le virus nous a durement
touchés : 17 membres ont été testés positifs ainsi que 4 membres du
personnel, tous présentant des symptômes à des degrés divers, certains
légers, d'autres nécessitant une hospitalisation et une entrée dans l'unité
de soins intensifs et une personne sous respirateur pendant trois
semaines.
Il serait négligent de ma part de ne pas reconnaître le travail
héroïque accompli par notre personnel qui nous a fidèlement soutenus
en ces temps difficiles malgré les dangers qui pèsent sur leur propre
santé et celle de leurs familles.
Il y a eu trois décès dus au virus dans la communauté sans que l'on
puisse leur dire adieu et assister à leurs funérailles comme nous le
souhaiterions. Nous sommes désormais libres de la présence du virus
dans la communauté. Nous faisons de notre mieux pour contrôler sa
propagation, avec une vigilance constante, en assainissant, en prenant

196
Où est dieu dans le covid-19 ?

des distances sociales, en restant à la maison sauf pour le sport et les


voyages essentiels et en imposant de sévères restrictions aux visiteurs.
Dans ce contexte, une question se pose immédiatement : que nous
dit le virus ?
Ou, pour les chrétiens : Que nous dit Dieu à travers les
bouleversements, la douleur et même la mort que le virus nous a apportés ?
Écoutons-nous ce qu'il nous dit ?
Jésus a parlé de l'importance de lire les signes des temps : Au
crépuscule, vous dites bien : « Demain, il fera beau, car le ciel est rouge. » Ou
bien, à l’aurore « Aujourd’hui, on aura de l’orage, car le ciel est rouge sombre».
Ainsi, vous savez reconnaître ce qu’indique l’aspect du ciel ; mais vous êtes
incapables de reconnaître les signes de notre temps (Matthieu 16, 2-3).
C. S. Lewis a écrit dans son livre : « Le problème de la douleur et c'est
une période de douleur pour beaucoup de gens, physique et mentale. La douleur
insiste pour qu'on s'en occupe. Dieu nous chuchote dans nos plaisirs, parle dans
notre conscience, mais crie dans nos douleurs. C'est son mégaphone pour
réveiller un monde sourd. »
Dans la même veine, il existe un livre intitulé Le Dieu des surprises
du jésuite Gerry Hughes, qui a été très populaire il y a quelques années.
S'appuyant sur le principe ignatien de trouver Dieu en toutes choses et en
l'occurrence dans la pandémie du coivid-19, Hughes nous met au défi
de « regarder les faits (covid-19). Les faits sont bons et Dieu est dans les faits ».

Effets négatifs du virus


À première vue, les faits ne semblent pas être très réjouissants. En
mars 2020, à Bergame, dans le nord de l'Italie, 4500 personnes sont
mortes des suites du coronavirus. Les images montrant des véhicules
militaires transportant des centaines de cercueils se sont répandues dans
le monde entier, alors que les gens étaient témoins de la tragédie à
laquelle les Bergamasques étaient confrontés. Ces images montraient au
monde entier la force dévastatrice du virus.
Avant que nous soyons frappés par le virus, le monde semblait
fonctionner comme une machine bien huilée. L'année 2019 s'est achevée
sur un succès économique et financier en Europe et en Amérique du
Nord. Puis, au premier trimestre 2020, tout a changé. En deux mois, des
centaines de milliers de personnes sont mortes, beaucoup d'autres ont
été infectées et l'économie qui semblait inébranlable a été étouffée ou du
moins est tombée en plein déclin. Les grandes entreprises ont été
confrontées à des défis sans précédent et des déficits historiques ont été

197
Mission en temps de crise

annoncés. Les personnes qui ne pouvaient pas travailler pendant la


pandémie risquaient de perdre leurs revenus et de se retrouver au
chômage si les entreprises faisaient faillite.
L'imposition de mesures d'isolement social a eu de graves
conséquences sur la santé mentale, en particulier pour les personnes
vivant seules, et plus encore si elles avaient des problèmes de santé
préexistants. On s'est largement rendu compte que la "normalité" à
laquelle nous étions habitués était très anormale car elle n'offrait aucune
sécurité et ne constituait pas une défense raisonnable contre les attaques
provenant d'un être microscopique - un simple virus.

Effets positifs
Cependant, tout n'a pas été négatif. L'impact du virus nous a
rendus, ou du moins certains d'entre nous, plus conscients de nos limites
et de notre mortalité. Un petit virus qui tient le monde à sa merci a
dissipé l'illusion que nous sommes maîtres de nos vies et que par nos
propres efforts nous pouvons nous rendre invulnérables.
Nous recevons la même leçon que celle que nous avons reçue lors
de l'effondrement des tours jumelles le 11 septembre 2001. En étant
témoins de cet incident, nous sommes passés du sentiment de sécurité et
d'invulnérabilité à la certitude que nous ne sommes pas capables, malgré
tout ce que nous avons accompli, d'assurer notre propre sécurité et celle
de nos proches.
Nous avons eu le temps de remettre en question les hypothèses qui
sous-tendaient notre ancien mode de vie et de reconsidérer notre propre
foi et notre pratique spirituelle. Beaucoup ont connu un rythme de vie
plus lent et ont eu le temps de discerner ce qui est important et ce qui ne
l'est pas dans leur ancien mode de vie. Nous en sommes réduits à nous
demander si nous avons besoin de tous ces voyages internationaux, de
cette vie urbaine à forte densité, de ces achats habituels et de ces longs
trajets. Pour beaucoup, c'est une chance inespérée de redécouvrir des
valeurs et des modes de vie différents. Beaucoup parlent d'un sens
renouvelé de la famille, d'une appréciation du pouvoir du contact avec
les autres et des choses simples de la vie, comme la beauté de la nature.
Le verrouillage a mis les églises dans une situation sans précédent
dans les temps modernes. Dans tout le pays, les lieux de culte ont été
fermés pendant des semaines, parfois même pour des prières privées.
Un sondage a été réalisé en Irlande par l'Institut Iona peu après le
verrouillage total du pays, le 28 mars. Un millier de personnes ont été

198
Où est dieu dans le covid-19 ?

interrogées, avec des réponses aux questions suivantes, provenant de


toutes les classes de la société et de différentes régions du pays.
« Avez-vous prié plus ou moins ou de la même manière que d'habitude
pendant le confinement ? » 18% ont prié plus. 43% ont dit qu'ils ne priaient
pas, 37% ont prié comme d’habitude, 2% ont prié moins.
À la question « Pour quoi avez-vous prié ? », les réponses étaient les
suivantes : famille 87%, amis 57%, services de santé de première ligne
42%, remerciements à Dieu 40%, soi-même 30%.
Lorsqu'on leur a demandé d'énumérer les effets positifs de
l'isolement, les gens ont répondu : nous valoriserons davantage la
famille 85%, et les personnes âgées 75%, nous serons plus spirituels 31%.
Dans un article du 7.11.2020 Christopher Lamb, le correspondant
au Vatican du magazine catholique anglais The Tablet, cite le Pape
François qui dit que les gens sont appelés, après le dur test de la
pandémie, à être des croyants plus vrais et de plus authentiques
chrétiens et il cite le Pape : « Ne vous présentez pas à la messe si vous ne
ressentez pas le besoin de la miséricorde de Dieu et que vous êtes simplement un
perroquet chrétien qui récite les mots de la liturgie mais ne parle pas à ses
parents ou ne rend pas visite aux malades ».
La pandémie va-t-elle conduire à une Église plus authentique et
moins nombreuse ? Seul l'avenir nous le dira.

Vers une société plus solidaire


Il y a des signes de la pandémie, qui conduisent à une société plus
solidaire. Dans son encyclique Fratelli Tutti, le pape François déclare :
« Dans le monde d’aujourd’hui, les sentiments d’appartenance à la même
humanité s’affaiblissent et le rêve de construire ensemble la justice ainsi que la
paix semble être une utopie d’un autre temps. Nous voyons comment règne une
indifférence commode, froide et globalisée, née d’une profonde déception qui se
cache derrière le leurre d’une illusion : croire que nous pouvons être tout-
puissant et oublier que nous sommes tous dans le même bateau. » (n° 30).
Mais ce n'est pas tout. Sur le plan positif, il déclare : « La pandémie
récente nous a permis de distinguer et de valoriser de nombreux hommes et
femmes, compagnons de voyage, qui, dans la peur, ont réagi en offrant leur
propre vie. Nous avons pu reconnaître comment nos vies sont tissées et
soutenues par des personnes ordinaires qui, sans aucun doute, ont écrit les
événements décisifs de notre histoire commune : médecins, infirmiers et
infirmières, pharmaciens, employés de supermarchés, agents d’entretien,
assistants, transporteurs, hommes et femmes qui travaillent pour assurer des

199
Mission en temps de crise

services essentiels et de sécurité, bénévoles, prêtres, personnes consacrées... »


(n° 54).
La pandémie nous met au défi de changer et d'être une société plus
solidaire : « Disons-le, nous avons progressé sur plusieurs plans, mais nous
sommes analphabètes en ce qui concerne l’accompagnement, l’assistance et le
soutien aux plus fragiles et aux plus faibles de nos sociétés développées. Nous
sommes habitués à regarder ailleurs, à passer outre, à ignorer les situations
jusqu’à ce qu’elles nous touchent directement. » (n° 64) « Le monde existe pour
tous, car nous tous, en tant qu’êtres humains, nous naissons sur cette terre avec
la même dignité. Les différences de couleur, de religion, de capacités, de lieu de
naissance, de lieu de résidence, et tant d’autres différences, ne peuvent pas être
priorisées ou utilisées pour justifier les privilèges de certains sur les droits de
tous. Par conséquent, en tant que communauté, nous sommes appelés à veiller
à ce que chaque personne vive dans la dignité et ait des opportunités appropriées
pour son développement intégral. » (n° 118).
Lors de son audience générale du 19 août 2020, le pape François a
déclaré : « De nombreuses personnes veulent revenir à la normalité et
reprendre leurs activités économiques. Certes, mais cette « normalité » ne
devrait pas inclure les injustices sociales et la dégradation de l’environnement.
La pandémie est une crise et on ne sort pas pareils d’une crise : nous sortons
meilleurs ou nous sortons pires. Nous devrions sortir meilleurs pour améliorer
les injustices sociales et la dégradation de l’environnement. Aujourd’hui, nous
avons une occasion de construire quelque chose de différent. Par exemple, nous
pouvons développer une économie de développement intégral des pauvres, et
non d’assistanat. En disant cela, je ne veux pas condamner l’assistance, les
œuvres d’assistance sont importantes. » Il poursuit en disant que cette
pandémie est un appel à la conversion, une opportunité de changer les
structures du monde qui permettent aux situations injustes de perdurer.

L'exemple de Jésus
En écrivant sur Jésus et la souffrance, le diplomate et poète français
Paul Claudel a dit : « Jésus n'est pas venu pour expliquer la souffrance. Jésus
n'est pas venu pour enlever la souffrance. Il y avait de la souffrance dans le
monde avant que Jésus ne vienne et après qu'il était parti. Ce qu'il a fait, c'est
d'être avec nous dans notre souffrance. » Dans son ministère public, Jésus a
continuellement cherché à trouver ceux qui étaient malades. Quand
Jésus voyait une personne dans le besoin, les évangiles nous disent que
son cœur était ému de pitié et qu'il faisait de son mieux pour l'aider. Il est
un modèle pour la façon dont nous devons prendre soin des autres

200
Où est dieu dans le covid-19 ?

pendant cette crise : avec des cœurs émus par la pitié. En tant que
chrétiens, en période de pandémie, nous pouvons trouver du réconfort
dans le fait de savoir que lorsque nous prions Jésus, qui est très proche
de nous, nous prions quelqu'un qui nous comprend non seulement parce
qu'il est divin et qu'il sait tout, mais aussi parce qu'il est humain et qu'il
a fait l'expérience de toutes choses.

Réflexion biblique sur le covid-19.


Dans un article paru dans le magazine Time fin mars 2020, le
spécialiste des Écritures N. T. Wright déclare que « certaines personnes, en
parlant du covid-19, nous diront pourquoi Dieu nous fait cela. Une punition ?
Un avertissement ? Un signe ? Ce sont des réactions impulsives dans une
culture qui a adopté le rationalisme : tout doit avoir une explication. Mais
supposons que ce ne soit pas le cas ? Et si, après tout, il y avait des moments
comme ceux que T. S. Eliot a reconnus au début des années 1940, où le seul
conseil est d'attendre sans espoir, parce que nous espérons la mauvaise chose ?
Ce que nous devons faire, soutient Wright, c'est retrouver la tradition biblique
de la complainte. La lamentation, c'est ce qui arrive quand les gens demandent
"Pourquoi ? " et n'obtiennent pas de réponse. »
« À ce stade, dit Wright, les Psaumes, le recueil de cantiques de la
Bible, retrouvent tout leur sens. « Pitié, Seigneur, je dépéris ! - dit le sixième
psaume - Seigneur, guéris-moi ! Car je tremble de tous mes os, de toute mon
âme, je tremble. » - « Pourquoi, Seigneur, es-tu si loin ? - demande
plaintivement le psaume 9b – « Pourquoi te cacher aux jours d'angoisse ? »
Et ainsi, ça continue : Combien de temps, Seigneur, vas-tu m'oublier, combien
de temps, me cacher ton visage ? (Ps 12). Et, d'autant plus terrifiant que
Jésus lui-même l'a cité dans son agonie sur la croix : Mon Dieu, mon Dieu,
pourquoi m'as-tu abandonné ? (Ps 21).
Oui, ces poèmes sortent souvent à la lumière quand la fin approche,
avec un sens nouveau de l'espérance et de la présence de Dieu, non pour
expliquer le malheur mais pour rassurer. Mais parfois, ils vont dans
l'autre sens. Le psaume 88 commence par célébrer la bonté et les
promesses de Dieu, puis il change soudainement de direction et déclare
que tout a horriblement mal tourné. Et le psaume 87 commence dans la
misère et se termine dans les ténèbres : « Tu éloignes de moi amis et
familiers ; ma compagne, c'est la ténèbres. »
Wright poursuit en disant que le mystère de l'histoire biblique est
que Dieu se lamente aussi. Certains chrétiens aiment à penser que Dieu
est avant tout quelqu’un qui sait tout, qui est responsable de tout, qui est

201
Mission en temps de crise

calme et qui n'est pas affecté par les troubles de son monde. Ce n'est pas
l'image que l'on trouve dans la Bible. Dieu a été affligé jusqu'au plus
profond de son cœur, déclare la Genèse, à cause de la méchanceté
violente de ses créatures humaines. Il a été dévasté lorsque sa propre
épouse, le peuple d'Israël, s'est détournée de lui. Saint Paul parle de
l'Esprit Saint gémissant en nous, comme nous gémissons nous-mêmes
dans la douleur de toute la création.
« En tant que chrétiens, dit Wright, nous ne nous lamentons pas très
bien. » Quand je suis en deuil, Jésus est en deuil en moi et le Saint-Esprit
est en deuil en moi (cf. Romains 8). Face à la pandémie, ce que j'essaie de
faire, c'est de penser et de ressentir la situation des gens que je connais
dans le monde entier : soit des amis à moi, soit des gens que j'ai vus à la
télévision, qui sont en phase terminale, des camps de réfugiés sordides,
et je prie avec les psaumes de lamentation en essayant de les embrasser
dans l'amour de Dieu. Cela ne fait donc pas partie de la vocation
chrétienne de pouvoir expliquer ce qui se passe et pourquoi. En fait, cela
fait partie de la vocation chrétienne de ne pas être capable d'expliquer -
et de se lamenter à la place, d'où émerge une nouvelle sagesse.
En réponse à Wright, Andy Davis du Southern Baptist Theological
seminary à Durham, aux États-Unis, adopte un point de vue différent. Il
affirme que Wright soutient que la Bible n'a pas de réponse ultime à ce
virus et que plutôt que d'essayer de trouver une réponse dans la Bible,
nous devrions suivre les psalmistes dans une lamentation sans espoir.
« Wright cite T. S. Eliot : « Le seul conseil est d'attendre sans espoir, parce que
nous espérons la mauvaise chose." Mais la Bible, écrit Andy Davis, a été écrite
pour nous donner de l'espoir. L'espoir chrétien brille le plus quand tous les
espoirs terrestres vacillent et s'éteignent. Mieux qu'Eliot, les chrétiens ont
l'Écriture, qui leur enseigne ce qu'il faut espérer. Les espoirs terrestres sont
souvent anéantis parce qu'ils ne sont pas ancrés dans des informations réelles
sur l'avenir, mais seulement dans des bons vœux et de beaux rêves. Les chrétiens
savent exactement ce qu'il faut espérer. Nous avons été clairement instruits par
la Parole prophétique de Dieu, et nous devrions donc être rayonnants d'espoir -
une conviction inébranlable que l'avenir est indescriptiblement brillant. »
« Le Christ est parmi vous, lui, l’espérance de la gloire ! » ( Col 1, 27).
Davis a raison de dire qu'en tant que chrétiens, nous devrions être
rayonnants d'espoir, mais il est injuste envers Wright et le Psalmiste. Les
psaumes de lamentation peuvent commencer par la lamentation mais ils
se terminent généralement par la louange et l'espérance, bien que le
Psaume 87 soit une exception car une personne crie avec foi vers un Dieu
qui semble être sourd à sa supplication. Prenez par exemple le psaume

202
Où est dieu dans le covid-19 ?

21. La première partie du psaume est pleine de lamentations, « Mon


Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné.... Des fauves nombreux me
cernent, des taureaux de Basan m'encerclent. Des lions qui déchirent et
rugissent ouvrent leur gueule contre moi. » Mais vers la fin, le ton change
alors que Dieu répond à son cri, « glorifiez-le, vous tous, descendants de
Jacob, vous tous, redoutez-le, descendants d'Israël. Car il n'a pas rejeté, il n'a
pas réprouvé le malheureux dans sa misère ; il ne s'est pas voilé la face devant
lui, mais il entend sa plainte. Tu seras ma louange dans la grande assemblée. »
La lamentation n'est pas un mode de prière que la plupart d'entre nous
pratiquent car nous avons tendance à réprimer nos sentiments, surtout
les sentiments négatifs et nous sommes réticents à les exprimer aux
autres ou à Dieu.

L'espoir au cœur de la pandémie


Dans une période d'anxiété et d'incertitude, avec le covid-19,
comme l'épée de Damoclès, suspendue au-dessus de nos têtes, il y a un
poème du poète irlandais Derek Mahon intitulé Tout va bien se passer qui
contient un message d'espoir. Bien que le poète admette que les
difficultés et la mortalité font partie de la vie : « Il y aura de la mort, il y
aura de la mort mais il n'est pas nécessaire d'en parler. »
La souffrance et la mort ne sont pas toute l'histoire. Bien que nous
n'essayions pas d'esquiver la réalité de covid-19 et de ses conséquences
sur nos vies, d'autres pandémies comme la peste noire 1346-1353, la
grande peste de Londres 1665-1666, la grippe espagnole 1918-1920,
lorsque les églises dans certaines parties du monde ont été fermées
pendant toute une année, sont arrivées et reparties. Il en sera de même
avec le covid-19 aussi, car comme le dit le poète
« Le soleil se lève malgré tout et les villes lointaines sont belles et
lumineuses … Tout va bien se passer. »
Où est Dieu en cette période de pandémie ? La réponse est : il est
partout si nous avons des yeux pour voir.
Dans le sourire chaleureux d'un vieil ami vu virtuellement, disparu et
maintenant réuni.
Dans la larme d'un membre de la famille qui a perdu un être cher... peut-
être leur seul.
Dans les mains d'une infirmière qui a quitté la sécurité de sa maison pour
s'occuper d'un étranger.
Dans la résilience d'un employé de magasin d'alimentation qui comprend
la nécessité de la nourriture ;

203
Mission en temps de crise

Dans les soins d'un médecin qui vit un ministère d'espoir. Dans les mots
des écritures sacrées proclamés dans la foi, au chevet d'un malade, pour la
dernière fois.
Dans le parent qui a peur de l'incertitude de l'avenir de son enfant. Dans
la douleur d'un foyer pour sans-abri et des personnes qui nous montrent le sens
de la confiance dans la providence.
Dans le cœur des personnes qui se sont tenues sur leur porche à Pâques
pour applaudir une minute en soutien à tous les travailleurs de la santé du
monde entier.
Dans la peur d'un résident isolé d'une maison de retraite. Dans le chant
des oiseaux qui annoncent chaque jour nouveau,
Et dans la majestueuse primevère violette qui jaillit du sol. Dieu est très
certainement ici.
Un Dieu qui voyage, guérit et nous aime tendrement. Amen
(Alex Garvey).

Le jour de Noël 1939, dans une période de peur et d'incertitude, au


début de la seconde guerre mondiale, le roi George VI d'Angleterre s'est
exprimé sur la radio BBC pour donner un message de réconfort à son
peuple. « Une nouvelle année est à portée de main, a-t-il déclaré, Nous ne
pouvons pas dire ce qu'elle nous apportera. Si elle apporte la paix, combien nous
serons tous reconnaissants. Si elle nous apporte la poursuite de la lutte, nous
resterons imperturbables. »
Il a ensuite cité le poème de Minnie Haskins La porte de l'année
(1908) :
J'ai dit à l'homme qui se tenait à la porte de l'année :
Donnez-moi une lumière pour que je puisse marcher en toute sécurité vers
l'inconnu.
Et il répondit : Sors dans les ténèbres, et mets ta main dans la main de Dieu.
Ce sera mieux que la lumière, et plus sûr qu'un chemin connu.

Pensées et sentiments
Le virus suscite en chacun de nous une variété de pensées et de
sentiments : peur, anxiété, inquiétude, tristesse, joie, gratitude, espoir,
désespoir, repli sur soi-même, ouverture aux autres, sentiment d'être
seul, isolé, déprimé. Nous devons remettre en question toutes ces
pensées et tous ces sentiments. Certains de ces sentiments viennent de
Dieu, par exemple la joie du retour d'un frère après des semaines passées
dans l'unité de soins intensifs.

204
Où est dieu dans le covid-19 ?

D'autres ne viennent pas de Dieu, par exemple l'anxiété excessive


qui nous replie sur nous-mêmes comme si nous étions seuls au monde
et l'avenir sombre et morne, sans véritable sentiment de la présence de
Dieu avec nous dans la pandémie. Nous avons des choix à faire : soit
d'écouter les pensées et les sentiments qui viennent de Dieu et nous
élèvent, soit d'écouter les pensées et les sentiments qui ne viennent pas
de Dieu et nous rabaissent. Un bon test des pensées et des sentiments est
de se demander : cette pensée ou ce sentiment m'apporte-t-il la paix de l'esprit
et me fait-il avancer vers Dieu et les autres ? Si c'est le cas, il est probable
que cela vienne de Dieu.
Au moment où j'écris ces lignes, début décembre 2020, je regarde
par la fenêtre de ma chambre. Les arbres sont nus, aucun oiseau ne
chante sur leurs branches, le sol est gelé par un gel précoce et l'obscurité
enveloppe le paysage, reflétant mon humeur à divers moments depuis
qu'un visiteur indésirable, covid-19, est entré dans notre maison.
Un certain nombre d'entre nous ont été victimes du virus, mais tout
le monde a été touché d'une manière ou d'une autre, mais ce n'est pas
tout. La nature et les arbres que je peux voir de ma fenêtre sont un
excellent professeur. Le printemps arrivera dans quelques mois avec des
jours de plus en plus longs, les arbres s'animeront de feuilles, les oiseaux
chanteront sur leurs branches et des nouvelles positives concernant un
vaccin contre le virus arriveront au début de la nouvelle année.
Notre foi, ainsi que la nature, nous dit qu'après l'hiver du virus, un
printemps post-virus viendra et comme le dit Derek Mahon, « tout va
bien se passer ».
En attendant, nous devons patienter en silence, en suivant les
conseils du gouvernement et des autorités sanitaires et en nous
appuyant sur la prière, les soins mutuels et la parole de Dieu :
« Écoutez-moi, cœurs obstinés qui êtes loin de la justice ! Ma justice, je l’ai
fait approcher : elle n’est pas loin, et mon salut ne tardera pas. » Is 46, 12-13.

205
Les écrits des confrères SMA
J. BONFILS, Être avec Lui. Le prêtre, consacré et Pasteur, Parole et silence
2020
B. BOUCHEIX, Monseigneur Boucheix, Créer 2021
D. CORRIGAN, Dromantine through the year. Its seasonal beauty
photographed, SMA Publications 2020
D. DISSOU, L’auto conscience de soi et la responsabilité de l’être-dans-le-
monde chez J. de Finance. Thèse de Licence en Philosophie, Université
Pontificale Grégorienne, Rome 2020
M. GUETOU, The divine plan of salvation and human response. Thèse de
Licence en Écriture Sainte at the Institut Pontifical Biblique, Rome 2020
J.-M. GUILLAUME, Bernard Bardouillet sma, 2020
J.-M. GUILLAUME, La SMA en Inde, 2020
J.-M. GUILLAUME, Les Actes des Apôtres. Introduction et commentaire,
2020
J.-M. GUILLAUME, Marc, Paulines 2020
R. MANDIROLA, La gioia di seguirti. Lettura meditata della Lettera ai
Filippesi, EDB 2020
A. MANDONICO, Mio Dio come sei buono. La vita e il messaggio di
Charles de Foucauld, LEV 2020
P. MCCAWILLE, Leaving a legacy in Lagos, OLREC 2021
P. SAULNIER, 60 ans de vie missionnaire, SMA publications 2020
B. SEMPLICIO, À l’écoute d’une retraite, Erga 2020
B. SEMPLICIO, Mgr de Marion Brésillac fondateur “de fait” de la SMA,
2020
SMA (IRLANDE), The life of M. de Marion Brésillac, SMA 2020

207
Mission en temps de crise

L. SNIDER, Discepoli missionari. esperienza spirituale e progetto di


riforma in “École apostolique” di Mons. Paul Pellet, sma (1859-1914),
Thèse de Licence en Théologie Spirituelle, Triveneto - Padova 2020
X. VINCENT, Questions anthropologiques liées à la prise en charge des
malades mentaux en pays baatonu (nord Benin). Étude à partir du centre
psychiatrique saint Camille de Djougou. Thèse de Licence en
Anthropologie, EHESS Paris 2020

208
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