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UCAD FASEG

MASTER 1 ECONOMIE

COURS D’ECONOMIE DE L’EDUCATION

Pr MOUHAMADOU LAMINE DIAL

2017 – 2018 1
INTRODUCTION GENERALE

2
L'économie de l'éducation a pour
objet principal l'analyse économique
de l'acquisition, la conservation et
l'utilisation des connaissances
attachées aux individus.
3
La première question que pose
implicitement cette définition est de
savoir à quelles fins les individus
acquièrent ces connaissances. On
peut en distinguer au moins trois :
4
•accroître son stock de savoirs
(fondamentaux ou pratiques), tout en
formant son jugement personnel et en
développant des méthodes de travail ;
c'est la dimension "intellectuelle" de
l'éducation.
5
•comprendre la société, ses valeurs,
ses normes, sa culture (pour s'y
intégrer, ou, éventuellement, la
rejeter) ; c'est la dimension "sociale"
6
•acquérir des compétences
monnayables sur le marché du
travail ; c'est la dimension "
économique".
7
Il est clair que l'analyse économique
est essentiellement concernée par
cette troisième dimension, ce qui ne
veut pas dire que les deux autres
seront totalement absentes de nos
propos.
8
Si cette définition met un accent
privilégié sur l'individu, il n'en demeure
pas moins que l'éducation concerne,
en fait, l'ensemble des agents
économiques :
9
• les ménages, c'est à dire l'individu en tant
qu'élève ou étudiant, puis en tant qu'actif
après son entrée sur le marché du travail,
ainsi que, plus généralement, sa famille, en
tant « qu'institution » éducative ou variable
d'environnement dans le processus éducatif
10
•l'entreprise, en tant que demandeuse
de personnel qualifié (c'est à dire
possédant un certain niveau
d'éducation susceptible d'être mis en
œuvre dans les processus productifs),
11
mais aussi comme participant à l'offre de formation, soit
par l'intermédiaire du système de l'apprentissage, soit par
l'intermédiaire de l'expérience professionnelle que sa
main d'œuvre acquiert en son sein, soit encore par les
diverses contributions (financières ou autres) qu'elle
apporte au système éducatif

12
• l'Etat, en tant qu'offreur de formation dans le
cadre du système éducatif qu'il gère et/ou qu'il
contrôle (en vue, précisément de permettre aux
individus d'acquérir des connaissances, de leur
permettre une intégration sociale et
économique),

13
et plus généralement en tant
qu'acteur essentiel dans la
définition de ce qu'il est
convenu d'appeler la politique
éducative.
14
L'éducation se trouve donc
nécessairement au cœur du
fonctionnement de l'économie, ce qui
autorise l'économiste à en faire un
champ d'analyse de sa discipline

15
(ce qui n'interdit pas au sociologue, au
psychologue, au spécialiste de science
de l'éducation ou à l'historien de faire
de même).

16
De fait, même si le développement de cette branche
de la science économique est relativement récent,
le survol de la pensée économique montre que
l'éducation a toujours été un thème présent, sans
doute trop discrètement, dans la réflexion des
économistes. Mais il fait apparaître un certain
nombre de thèmes de réflexion que nous
classerons en trois groupes.
17
Le premier thème (essentiel) développé dans
la littérature est celui du capital humain :
l'éducation est un capital pour les individus
(et la collectivité), qu'il convient d'évaluer et
auquel on peut associer des coûts, des gains
et donc une rentabilité.

18
Dans cette logique, on note le rôle
important de l'origine sociale des
individus dans leurs comportements
éducatifs (poursuite ou non des études, "
choix" des filières).
19
Le deuxième concerne les
problèmes posés par l'organisation
et le fonctionnement du système
éducatif.
20
Le dernier groupe thématique est plus disparate,
chacun des thèmes n'ayant été, dans la plupart
des cas, qu'effleuré. On y recense les divers effets
de l'éducation sur la croissance, le progrès
économique, les comportements individuels, etc...
Ce qui conduit à se poser la question de
l'intervention (souhaitée ou non) de l'Etat dans le
domaine éducatif
21
En fait, nous disposons là de l'essentiel des
thèmes de réflexion qui constituent le champ de
l'analyse contemporaine de l'économie de
l'éducation et qui, pour plus de clarté, peuvent
s'articuler sur quatre axes principaux : la demande
d’éducation, l’offre d’éducation, la politique
éducative et la relation éducation – croissance
économique – développement.
22
CHAPITRE I
LA DEMANDE D’ÉDUCATION

23
L’analyse économique de la demande
d’éducation s’est développée dans un
cadre microéconomique, sur la base de la
TCH.

24
I – Capital humain et demande de
formation initiale
L'accumulation de connaissances dans le cadre
restreint de la formation initiale est un acte
d'investissement, donc que l'éducation est un
capital, auquel on peut associer une rentabilité,
qui, elle-même, va déterminer le comportement
de demande des individus.
25
A) L’éducation : un capital

L'éducation possède un ensemble de


caractéristiques qui font que l'on est en droit de la
considérer comme un capital au sens économique
du terme, mais présentant cependant quelques
caractéristiques spécifiques.
26
1) Acquisition et coût

En premier lieu, l'éducation (définie comme


les connaissances accumulées par les
individus dans le cadre scolaire) doit être
acquise, et cette acquisition engendrera des
coûts, directs, indirects et d'opportunité.
27
a) Les coûts directs

Il s'agit des coûts liés directement à la


poursuite des études, à savoir les droits
d'inscription pour l'année d'étude
envisagée
28
Ces coûts ne sont pas spécifiques de la
poursuite des études, engendrés par celles-ci.
S'il avait décidé de ne pas poursuivre d'études
pour entrer sur le marché du travail, l'étudiant
aurait eu à supporter ces coûts (certainement
plus élevés, en outre).
29
C'est toute la différence entre la dépense
supportée lors de l'inscription (droits
universitaires + cotisations) et le coût de
l'année d'étude (droits universitaires
uniquement)
30
b) Les coûts indirects

Viennent s'ajouter aux coûts directs


quelques dépenses spécifiques liées aux
études : achat de livres, de polycopiés, de
papeterie, parfois de matériels liés aux
disciplines enseignées.
31
Par contre les dépenses de nourriture, de
logement, d'internat, ou de transport, n'ont pas
à être intégrées dans le coût de la formation,
dans la mesure où elles devraient de toute
façon être supportées si l'individu ne
poursuivait pas ses études.
32
De la même façon, les autres dépenses courantes
(habillement, dépenses culturelles, de loisir, sorties
amicales, santé, abonnements téléphoniques et/ou
internet, assurances, impôts, cotisations à des
associations,…) ne doivent pas être intégrées dans les
coûts indirects. Il en va évidemment de même pour les
dépenses occasionnelles d'équipement (téléphone,
ordinateur, logiciel, équipement de loisir ou ménager
33
Dans un souci de rigueur, il conviendrait en fait
de comparer le budget courant d'un étudiant et le
budget d'une personne de même âge qui a choisi
de ne pas poursuivre ses études afin de savoir si,
en moyenne, le fait de poursuivre des études
engendre des dépenses courantes (ou
d'équipement) supplémentaires.
34
Dans l'affirmative, il faudrait alors inclure le
supplément de dépenses dans le coût indirect des
études. Si, à l'inverse, on constatait que les dépenses
engagées par les étudiants sont plus faibles (ce qui
est possible en matière de nourriture par exemple
dans la mesure où ils ont accès au restaurant
universitaire), il conviendrait, au contraire, d'intégrer
ce différentiel dans les gains liés aux études.
35
c) Le coût d’opportunité

A ces coûts directs et indirects (au demeurant


peu élevés pour une inscription à l'université), il
convient d'ajouter le coût d'opportunité des
études c'est-à-dire les revenus auxquels
l'étudiant renonce à cause de la poursuite des
études. 36
Dès lors, il faudra évaluer les flux de
revenus qu'aurait obtenu l'étudiant s'il
s'était arrêté au niveau inférieur (revenu
d'un bachelier dans le cas d'une
comparaison maîtrise - bac par
exemple).
37
On peut rapprocher la notion de coût
d'opportunité, lié au temps consacré aux
études, à celui de détour de production.
Cette notion, que l'on doit à l'économiste
autrichien BOHM-BAWERK (1899), est
essentielle pour la définition du capital.

38
Et, de fait, en s'éduquant on crée, moyennant une
dépense de temps (le "détour" des études, auquel
est lié le coût d'opportunité), un bien (les
connaissances, le capital éducatif ou plus
généralement humain) dont on peut supposer qu'il
accroît la productivité de l'individu. Toutes les
caractéristiques définies par Böhm-Bawerk sont
bien présentes dans l'éducation.
39
2) Génération d'un flux de revenu

Dans la mesure où l'éducation accroît la


productivité du travail de l'individu, son
accumulation va engendrer, comme pour tout
capital, un flux de revenus supplémentaires (les
suppléments de salaire espérés durant la vie
active)
40
Nous retrouvons ici la conception
Fisherienne du capital selon laquelle le
capital est un stock dont provient un
flux de revenu.(FISHER ; 1906)
41
A ce niveau on peut retenir éventuellement les
gains de l'individu pendant les études, mais ce
qui est fondamentalement en jeu, ce sont les
suppléments de revenus obtenus
ultérieurement sur le marché du travail grâce à
l'investissement intellectuel réalisé. 42
a) Pendant les études

En nous inspirant de la classification de


ABBOUD et CAZENAVE (1983), on distinguera :
• les ressources en espèces : revenus du travail
pendant l'année universitaire, revenus du
travail pendant l'été
43
•les autres aides en espèces d'origine
privée : contrats de pré-embauche,
prêts privés (notamment bancaires)
44
• les aides publiques en espèces :
bourses , contrats publics de pré-
embauche, d'honneur)
45
• les aides familiales en espèces soit non affectées
(argent de poche) soit affectées (logement,
transport, habillement, prises en charge
directement par la famille), peuvent être aussi
considérées comme des gains pour l'étudiant
dans la mesure où l'on peut supposer qu'il n'en
aurait pas bénéficié s'il était entré dans la vie
active ; mais si l'on raisonne au niveau familial, le
gain est évidemment compensé par le coût à la
charge des parents.
46
Rappelons qu'il est envisageable d'y ajouter
quelques gains complémentaires que
procure le statut d'étudiant en matière de
nourriture (dont l'avantage sera évalué par
la différence entre le prix moyen d'un repas
traditionnel et le prix d'un repas au
restaurant universitaire),
47
de logement (pour les étudiants
bénéficiant d'une chambre en cité a
priori moins onéreuse qu'un logement
traditionnel).

48
b) Pendant la vie active
Une fois les études terminées,
l'investissement intellectuel va
commencer véritablement à porter ses
fruits. Il permet d'obtenir des emplois plus
qualifiés et donc mieux rémunérés que
ceux que l'étudiant aurait obtenu s'il avait
interrompu ses études plus tôt.
49
Le gain correspond alors au différentiel de
revenu obtenu sur l'ensemble de la vie
grâce à cet investissement supplémentaire.
Pour l'évaluer, il faut donc connaître le profil
de revenus auxquels peut prétendre
l'étudiant qui s'arrête à un certain niveau
(de référence) et le profil correspondant au
diplôme final envisagé
50
c) Reproductibilité

Comme le capital technique mis en œuvre


dans un processus productif traditionnel, le
stock de connaissance, capital humain, est
aussi soumis à une "usure" : l'oubli et
l'obsolescence des connaissances.
51
L'expérience professionnelle et le "recyclage"
(par la formation continue en particulier)
permettent alors de réparer cette usure et de
maintenir ou d'accroître le montant de capital
humain initial (tout comme le capital technique
fait l'objet d'un amortissement). Le capital
humain est donc reproductible, ce qui confirme
sa nature "capitalistique".
52
d) Les caractéristiques spécifiques
du capital éducatif

Le capital éducatif possède des


caractères spécifiques : son
illiquidité et des caractéristiques
d'un bien de consommation.
53
Ici s'arrête le parallélisme parfait entre
capital éducatif et capital traditionnel. Le
capital éducatif possède en effet des
caractères spécifiques qui font que
l'assimilation ne peut être totale. De façon
générale, on peut dire que la spécificité de
ce bien est qu'il est, par nature,
indissociable de l'individu qui l'a accumulé.
54
En d'autres termes, l'appropriation de ce
capital est totalement privative. Plus encore, il
est totalement illiquide : l'individu ne peut s'en
défaire. Il vend les services de son capital sur
le marché du travail et évidemment pas son
capital lui-même. 55
On ne peut non plus faire abstraction des
caractéristiques "non capitalistiques" du
capital éducatif. En effet, comme le note
SCHULTZ (1963), sa possession, son
utilisation ou son acquisition procurent,
sans nul doute, des satisfactions non
monétaires.
56
Il peut s'agir du prestige et de la position
sociale attachés à la profession ; il peut
s'agir des satisfactions purement
intellectuelles (culture générale, accès à
une meilleure connaissance du monde
sous toutes ses formes, ...) que procure un
niveau d'éducation élevé.
57
Dans un cas comme dans l'autre, l'individu
retire de la possession de ce bien une
utilité sur plusieurs périodes (ensemble de
sa vie active ou de sa vie physique) ;
l'éducation est donc aussi un bien de
consommation durable.
58
N'oublions pas non plus le motif de "
jouissance" selon lequel les individus
désirent poursuivre des études pour le plaisir
de le faire (ou du moins pour les avantages
qui leur sont associés) ; auquel cas ce bien
est aussi, et enfin, un bien de consommation
courante
59
Enfin, l'analyse microéconomique récente a
introduit l'idée que l'éducation acquise
permet à l'individu d'être plus efficace dans
bon nombre d'activités non marchandes, en
particulier dans les activités qualifiées de "
domestiques".
60
En d'autres termes, l'éducation
accumulée serait donc aussi une "bien
de production domestique" de nature "
capitalistique", mis en œuvre dans
toute une série d'activités individuelles
non rémunérées.
61
Néanmoins, il est clair que ces
caractéristiques supplémentaires ne
doivent pas conduire à remettre en
cause le caractère
fondamentalement capitalistique de
l'éducation.
62
B) Le principe de rentabilité
Dans la mesure où la poursuite des
études est considérée comme un
investissement, il est possible de lui
associer un taux de rendement ou
de déterminer sa valeur actuelle
nette. 63
1) Définition du taux interne de rendement de l'investissement
éducatif

Nous définirons d'abord le taux interne


de rendement associé à une année
d'étude supplémentaire, puis sur
plusieurs années.
64
a) Taux interne de rendement sur une
année

Imaginons un étudiant qui vient d'obtenir sa


licence et qui s'interroge sur l'opportunité
de poursuivre ses études une année
supplémentaire pour obtenir sa maîtrise.
65
S'il interrompt ses études au niveau
licence il obtiendra un flux de revenu
évalué à L0 l'année suivant la licence, L1
l'année suivante, L2 l'année suivante, etc..
.
66
S'il poursuit ses études une année
supplémentaire, il subira pendant cette année
des coûts évalués à la somme des coûts
directs et indirects (D0) et du coût
d'opportunité correspondant aux salaires
perdus pendant l'année (L0).
67
Les années suivantes (dans la mesure où il s'arrête au
niveau maîtrise) il obtiendra un flux de revenus évalué
à M1 la première année (au lieu de L1 s'il s'était limité à
la licence) M2 la deuxième année, etc... Les gains nets
correspondant à son investissement seront donc de :
• M1 - L1 à l'année 1
• M2 - L2 à l'année 2, etc...
68
Le coût de l'investissement étant de D0+L0
= C0, on définira le taux interne de
rendement de l'investissement que
représente l'année de maîtrise comme le
taux d'actualisation qui égalise la valeur
actuelle des gains nets et le coût de
l'investissement ; soit r tel que :
69
70
où T est le nombre de périodes
correspondant à l'espérance de vie de
l'individu. Soit plus généralement r tel
que :

71
b) Taux interne de rendement sur plusieurs
années de formation
Le taux, r, que nous venons de calculer est le taux
de rendement de la maîtrise par rapport à la
licence. Autrement dit c'est un taux marginal,
correspondant à un investissement unitaire (une
année d'études). Il est évidemment possible
d'effectuer des calculs analogues sur plusieurs
années d'études. 72
Par exemple, on peut calculer le taux de
rendement de la maîtrise par rapport au
baccalauréat et non plus par rapport à la licence.
En notant Bi le flux de revenu d'un bachelier, Mi
celui du diplômé de maîtrise et Di les coûts
correspondant à ce diplôme , le taux de
rendement, r, sera (sur la base de quatre années
d'études) tel que :
73
74
Plus généralement, pour un investissement
correspondant à N années d'études, on aura

où Ct sont les coûts directs et d'opportunité


correspondants, et Rt le différentiel de revenu
obtenu

75
2) Définition de la valeur actuelle nette
Plutôt que de chercher à calculer le taux de
rendement (ce qui pose quelques problèmes
d'ordre purement mathématiques), on peut, plus
simplement, définir, à partir des mêmes
données de bases sur les revenus et les coûts,
la valeur actuelle nette associée à un diplôme
(par rapport à un diplôme de référence) 76
En reprenant l'exemple initial (comparaison
maîtrise - licence) on évaluera d'abord la
valeur actuelle des flux de revenus
correspondant à la licence, soit :

77
où i est le taux d'actualisation choisi arbitrairement
pour le calcul. Puis on évaluera la valeur actuelle
correspondant à la maîtrise, soit :

de laquelle il convient de soustraire les coûts


directs (D0).
78
Dès lors la valeur actuelle nette sera :

Notons qu'en utilisant cette méthode, le coût


d'opportunité (L0) est introduit automatiquement ;
en l'ajoutant aux coûts directs, D0, on retrouve
évidemment le coût total C0.
79
En portant en ordonnée le temps et en
abscisse les revenus associés aux
diplômes de licence et de maîtrise on peut
déterminer très simplement la valeur nette
de l'investissement par le truchement du
graphique suivant

80
81
La valeur nette est égale à la différence
entre la surface comprise entre les deux
profils Mt et Lt à partir de la date t1 et la
surface (L0+D0).
82
Si l'on envisage le calcul de la valeur
actuelle nette d'un diplôme se préparant
sur N années, on obtiendra :

83
c) La notion de taux de rendement "global"
Dans une perspective assez différente, il faut enfin
évoquer la méthode de MINCER, fondée sur
l'estimation d'une équation de régression dont le
coefficient directeur donne, à certaines conditions,
une estimation d'un taux de rendement de nature
différente, dans la mesure où il n'est pas calculé sur
un diplôme, mais sur des diplômes de différents
niveaux à l'intérieur d'un parcours. 84
On calculera par exemple le taux de
rendement de l'enseignement secondaire,
ou de l'enseignement supérieur (ou de telle
filière disciplinaire de l'enseignement
supérieur). C'est en ce sens que nous
l'appellerons taux "global".
85
Pour simplifier le raisonnement on suppose que
les coûts directs des études sont négligeables.
Dès lors, le coût d'une année d'étude sera égal
au seul coût d'opportunité correspondant au
revenu du diplôme inférieur, soit pour la 1ère
année :
C1 = Y0

86
Cet investissement engendre un revenu
supérieur Y1

où r est le taux de rendement de


l'investissement. Si l'on prolonge ses études
d'un an, il en coûtera :
C2 = Y1 87
et le gain sera (si l'on admet que r est
constant) :

88
Au bout de S périodes, on aura :

en approximant Ln (1+r) par r (dans la mesure où r est


petit).

89
Connaissant YS et S on pourra donc estimer r. Il
est donc clair que la logique du calcul n'est pas
du tout la même que pour l'évaluation classique
du taux de rendement présenté dans le premier
paragraphe.
90
Dans ce cas (classique) il faut disposer d'un
échantillon d'individus qui ont tous effectué
les mêmes études (à la même date si l'on
raisonne sur des séries chronologiques, à
des dates différentes si l'on raisonne en
coupe transversale).

91
• Dans la méthode de Mincer, il faut disposer d'un échantillon
• d'individus ayant (par rapport à un niveau initial) effectué des études
de durées différentes.

92
• Dans le premier cas, on obtiendra, par
exemple, le taux de rendement de la
maîtrise de gestion par rapport au
baccalauréat (ou toute autre référence) ;
93
• dans le deuxième cas, obtiendra le taux de rendement
des études supérieures dans la filière gestion (ou des
études supérieures en général) sanctionnées par des
diplômes de niveaux bac+1, +2, +3,...., par rapport au
baccalauréat (ou toute autre référence). C'est donc
bien une évaluation plus "globale" que nous propose
Mincer

94
C) La demande d’éducation

Si l'on se réfère à la théorie traditionnelle de l'investissement, il


est possible de déduire, à partir du taux de rendement ou de la
valeur actuelle, le comportement de demande d'investissement.
Après en avoir rappelé les principes généraux, nous verrons qu'il
serait difficile de l'appliquer telle quelle à l'éducation. Nous
proposerons alors une version « atténuée » de la théorie qui
permettent de rendre compte des comportements effectivement
observés.
95
1) La théorie pure de l'investissement en
échec
La question qui se pose est de savoir si l'on
peut transposer purement et simplement la
théorie traditionnelle de l'investissement en
économie marchande (l'entrepreneur désireux
d'accroître ses capacités de production, ou le
ménage désireux d'investir dans l'immobilier) à
la sphère éducative. 96
a) Principes généraux de la théorie de
l'investissement

De façon générale, si l'on utilise la méthode du


taux interne de rendement, la démarche de
l'investisseur rationnel en économie marchande
consiste à comparer le taux associé au projet:
97
• soit au taux de rendement d'un projet d'investissement
alternatif
• soit au taux d'actualisation moyen de l'économie (reflet du
rendement moyen de toutes les opportunités de placement)
• soit à un taux subjectif fonction des caractéristiques propres
du "décideur".
Si le taux calculé pour le projet est supérieur au taux de
référence, l'investissement peut être retenu.

98
Si l'on utilise la méthode de la valeur actuelle nette,
une fois le taux d'actualisation choisi par l'investisseur,
ce dernier peut raisonner soit :
• comparativement à d'autres choix d'investissement,
et retenir le projet dont la valeur actuelle est
maximale
• dans l'absolu, retenir le projet si sa valeur actuelle
nette est positive (les gains espérés étant
supérieurs aux coûts).
99
En principe les deux méthodes sont équivalentes.
Autrement dit le taux de rendement sera égal au taux
d'actualisation quand la valeur nette sera juste nulle. On
investira à partir du moment où le taux de rendement
est supérieur au taux d'actualisation et par conséquent
à partir du moment où la valeur actuelle devient positive.

100
Dès lors, la procédure de choix du niveau
d'investissement se déroule en trois temps
• On calcule pour les différents projets d'investissement le
taux de rentabilité
• On classe les différents projets par ordre décroissant de
rentabilité
• On introduit alors le taux d'intérêt de référence (taux du
marché, taux correspondant à des projets alternatifs, taux
d'actualisation du plan, taux d'actualisation subjectif) et l'on
retient tous les projets dont la rentabilité est supérieure à ce
taux 101
Il en résulte en particulier que
l'investissement entrepris est fonction
décroissante du taux d’intérêt : c'est la
fonction traditionnelle de demande
d'investissement.
102
b) Application à l'éducation

La transposition pure et simple de la démarche que


nous venons de présenter à la demande d'éducation
consisterait à procéder de la façon suivante :
• On calcule pour les différents niveaux d'éducation le
taux de rentabilité correspondant (taux calculés pour
le brevet, le baccalauréat, le DEUG, etc...)
103
• En supposant que le taux de rendement
baisse au fur et à mesure que les études
se prolongent, on obtiendrait une courbe
décroissante de même nature que celle
concernant l'investissement "traditionnel".
104
• On confronterait alors ce profil au taux
d'actualisation de référence pour déterminer la "
quantité d'éducation" demandée par l'individu. Il
poursuivra ses études jusqu'au point où le taux
de rendement sera égal au taux de référence.

105
Il en résulte que, plus le taux d'actualisation de
référence est élevé, moins l'investissement humain est
important (car relativement moins rentable que les
autres opportunités de "placement"). La demande
d'éducation serait donc, comme toute demande
d'investissement, fonction décroissante du taux
d'intérêt si celui ci est choisi comme taux
d'actualisation. 106
La faiblesse majeure de cette démarche est que rien
n'assure, bien au contraire, que les taux de rendement
sont décroissants en fonction de la durée des études.
En effet, il est démontré que le taux de rendement des
études supérieures est en général plus élevé que celui
des études secondaires. Par conséquent la démarche
traditionnelle est inadaptée. Elle conduira au mieux à
des solutions multiples pour un taux de référence donné.

107
Par ailleurs, aboutir à une demande de
formation initiale qui dépendrait
essentiellement du taux d'intérêt, de
considérations purement financières, au sens le
plus strict du terme, semble bien simplificateur
s'agissant d'une décision de ce type. La stricte
logique de la demande d'investissement paraît
caricaturale. 108
2) Une version "atténuée" de la théorie de
l'investissement
Nous postulerons que le choix de l'individu repose sur
un double principe :
• comparaison (implicite, "tout se passe comme si")
du taux de rendement des différents cursus (définis
par la filière et la durée du diplôme) qui s'offrent à
l'individu à un moment donné, ce qui lui permet de
sélectionner le plus rentable d'entre eux 109
• comparaison du taux (maximal) associé à ce
meilleur cursus au taux d'actualisation "subjectif"
de l'individu, c'est à dire le taux de rendement
minimal "qu'exige" (plus ou moins
consciemment) l'individu pour un
investissement de ce type.

110
Ce taux est d'autant plus élevé que l'individu
manifeste une préférence subjective pour le
présent (ou dévalorise le futur, en sur-valorisant
inconsciemment les coûts immédiats et en
sous-valorisant les gains futurs)
111
Dans ces conditions on peut alors prédire que :
• plus le taux de rendement d'une filière sera élevée
relativement, plus elle sera demandée
• si le taux de rendement d'une filière augmente
relativement, elle attirera plus de candidats

112
La bousculade à la porte des écoles
commerciales, le succès des filières
professionnalisées, montrent clairement que les
individus raisonnent bien en termes de revenus
futurs et donc, implicitement, en termes de taux
de rendement.
113
A contrario, la sensibilité du recrutement de
certaines filières destinant à l'enseignement ou
aux concours administratifs à la "conjoncture"
(si l'économie ralentit, si le chômage s'accroît,
les effectifs montent, si l'économie repart, ils
baissent), indiquent bien que les étudiants
réagissent rationnellement à des perspectives
de gains faibles ou forts.
114
En d'autres termes la théorie du capital
humain ne dit rien d'autre que les étudiants
et leurs familles, sont de toute évidence
sensibles aux coûts (directs et
d'opportunité) et aux bénéfices attendus
des études (perspectives de débouché)
qu'ils envisagent d'entreprendre.
115
La valeur du taux de rendement intervient
donc implicitement dans la stratégie des
étudiants et de leur famille. Une élévation
du taux de rendement, résultant d'une
augmentation des gains espérés et/ou
d'une baisse des coûts, a un effet incitatif.
116
La théorie du capital humain est donc une
théorie "solide" dans la mesure où elle
permet de rendre compte d'un ensemble
diversifié de faits objectifs. Même si, des
modèles alternatifs ont été proposés, cette
théorie n'a jamais été réfutée.
117
Cela tient sans doute au fait, d'une part
qu'elle repose sur une idée fondamentale et
difficilement contestable que l'éducation est
un investissement et que, d'autre part, bon
nombre d'observations empiriques
confirment cette intuition 118
Cela ne veut pas dire qu'elle puisse
expliquer tous les comportements, ou que
la demande d'éducation n'est qu'une
demande de capital humain. L'éducation a
d'autres dimensions qui nécessitent des
analyses complémentaires.
119
II - Remise en cause et élargissement de la
théorie du capital humain

La théorie du capital humain telle que nous


l'avons présentée n'est pas exempte de critiques
qui, sans la détruire, appellent au moins une
réflexion et un approfondissement de l'analyse.
On insistera d'abord sur le caractère partiel de
l'analyse traditionnelle.
120
Nous présenterons ensuite les remises en
cause plus fondamentales que nous
proposent les théories du "signal" et de la
consommation. Nous envisagerons enfin un
élargissement du champ de l'analyse au delà
de la seule formation initiale. 121
1) Le caractère partiel de la théorie traditionnelle du
capital humain

La théorie du capital humain (TKH) postule que les


individus se fondent sur le taux de rendement pour
prendre leurs décisions. Il est tout à fait évident que
certains éléments non pris en compte dans cette
approche sont susceptibles d'avoir une influence
notable sur la décision de l'individu : les éléments non
monétaires, familiaux, l'incertitude.
122
a) La dimension non monétaire de la
décision

Le calcul du taux de rendement sur lequel


repose implicitement la décision de l'individu
est fondé sur les différentiels de salaire
auxquels il peut prétendre. Il est clair que
d'autres éléments peuvent intervenir.
123
De façon générale, toutes les caractéristiques non
monétaires de l'emploi (statut, responsabilités,
indépendance, prestige, stabilité...) interviennent
certainement dans l'évaluation des bénéfices
associés à un emploi. Il conviendrait alors de les
intégrer dans le calcul à côté du salaire pour aboutir à
un taux de rendement "élargi".
124
La tâche n'est pas aisée mais n'est pas
impossible : il faudrait en fait évaluer quel
revenu compensatoire demanderaient en
moyenne les individus pour renoncer à tel ou tel
avantage non monétaire. En l'absence de cette
intégration, il est donc clair que le taux de
rendement calculé est partiel. 125
b) La dimension familiale du choix

L'analyse proposée dans la section précédente


n'est pas toujours très claire sur le cadre de
raisonnement. Calcule t'on le taux de rendement
(privé) pour l'étudiant considéré isolément ou
pour l'ensemble étudiant + famille ?
126
Dans une perspective totalement "égoïste", où
la référence est l'étudiant seul, il est clair que
dans la majorité des cas, il ne subit aucun
coût direct ou indirect dans la mesure où
toutes les dépenses liées à ses études sont
prises en charge par ses parents.

127
Plus encore, il économise sur les dépenses
courantes (logement, habillement, nourriture,…)
qu'il aurait eu à financer s'il était entré
directement sur le marché du travail. Par contre
il subit bien le coût d'opportunité de ses études.
Quant aux gains ultérieurement acquis sur le
marché du travail, ils seront bien évidemment
acquis intégralement par l'étudiant. 128
Les parents, de leur côté, supportent l'intégralité des coûts liés
aux études, tout en percevant éventuellement des allocations
familiales jusqu'au 20 ans de l'étudiant. Ils ne subissent pas le
coût d'opportunité et ne retirent aucun gain monétaire lors de
l'entrée de leur enfant sur le marché du travail. Pour eux, il n'y a
pas investissement au sens strict, même s'ils estiment que
c'est bien un investissement pour leur enfant, d'où leur
comportement "altruiste".
129
Dans la mesure où l'on peut estimer qu'en matière
éducative la décision est souvent prise en commun
entre les parents et l'étudiant, en "consolidant" les
coûts et les gains des uns et des autres, on retrouve
bien les déterminants du taux de rendement présenté
précédemment, qui est donc plus un taux de
rendement "familial" (étudiant + parents) que
strictement individuel (étudiant). 130
Mais on peut aussi conclure que, dans la mesure où
ce sont les parents qui financent, tout en ne percevant
aucun gain monétaire, les dépenses engagées (même
non spécifiques) sont bien des coûts, qu'ils n'auraient
pas à supporter si leurs enfants ne poursuivaient pas
d'études ; dès lors les dépenses liées aux études
peuvent constituer un véritable obstacle pour les
familles à ressources modestes.
131
c) L'incertitude dans les choix

Il est clair, comme nous l'avons noté, que le


risque d'échec scolaire n'est pas la seule
incertitude qui plane sur la décision de
l'individu. Les perspectives de gains à la
sortie du système éducatif sont, elles aussi,
aléatoires. 132
Il s'avère donc que l'investissement en capital
humain résulte fondamentalement d'une
décision prise dans un contexte d'incertitude,
d'information imparfaite, et donc à rationalité
limitée, comme toute décision d'investissement.
133
B) Les théories du signal, remise en cause de la
théorie du capital humain ?

Le deuxième point d'interrogation concerne la


liaison éducation - revenu, élément central de la
théorie du capital humain, dont la logique est sans
doute plus complexe que le modèle de base peut
nous le faire croire.
134
Dès lors, on peut envisager une remise en
cause de cette liaison, c'est ce que nous
proposent les théories du "signal". Toutes
s'interrogent sur l'impact de la formation
initiale sur la productivité des individus.
135
La question cruciale qui se pose est de
savoir pourquoi on rémunère mieux les
individus dont les diplômes sont les plus
élevés..
136
La théorie du capital humain suppose en effet qu'il
existe une double liaison : éducation – productivité
– rémunération. L'éducation, par nature, transmet
des connaissances utiles et qui vont donc accroître
l'efficacité productive de l'individu, ce qui justifiera
alors une rémunération supérieure dans la mesure
où cette rémunération est liée à la productivité du
travailleur. 137
Cette dernière liaison repose sur le modèle
néoclassique traditionnel qui suppose que
l'entreprise maximise son profit (défini par la
différence entre son chiffre d'affaires et les coûts
de facteur) ce qui conduit à l'égalisation classique
entre salaire réel et productivité marginale dans le
cas concurrentiel et à la proportionnalité entre
salaire et productivité dans les autres cas. 138
S'opposant de façon plus ou moins nette à
certains égards, à cette thèse implicite, un
certain nombre de théories alternatives ont été
proposées que, par commodité, on classe sous
l'appellation générale de "théorie du signal" (ou "
théorie du filtre").

139
1) Les thèses proposées

Elles reposent sur les notions de signal, de formation


interne, de filtre, d'aptitude et d'attitude. C'est SPENCE
(1973) qui pose la première pierre de l'édifice. Pour lui,
le problème central est que l'employeur ne connaît pas
la productivité de l'individu qu'il va recruter.
140
Il n'en connaît que quelques
caractéristiques les unes inaltérables
(comme le sexe, la race, l'âge...) qu'il
appelle "indices », les autres contrôlables
par l'individu, en particulier le niveau
d'éducation, qu'il appelle "signaux".
141
En fonction de son expérience passée,
l'employeur va associer telle combinaison
d'indices et de signaux à tel niveau de
productivité et donc de rémunération. Par
exemple, en moyenne, un diplômé de telle
école, de sexe masculin et de tel âge a
atteint tel niveau de productivité
142
L'individu perçoit donc tel salaire, non pas
parce que sa productivité est, grâce à ses
études, de tel niveau, mais parce qu'il
possède le "signal" qui permet à
l'employeur de le classer dans telle
catégorie et de penser qu'il peut le
rémunérer à ce taux.
143
THUROW (1975) aborde le problème en termes
de "concurrence pour l'emploi". Dans cette
nouvelle perspective, ce ne sont pas les
travailleurs qui sont productifs mais l'emploi
qu'ils occupent. Il s'agit alors d'adapter l'individu
à cet emploi, ce qui nécessite une "formation" à
l'intérieur de l'entreprise.
144
Thurow estime que le coût de cette formation
interne (essentiellement d'opportunité) est plus
faible pour les individus éduqués ; dès lors,
l'entreprise cherchera en priorité des individus à
haut niveau de diplôme pour des emplois
nécessitant une formation interne importante et
dégageant donc une productivité plus élevée et
les rémunérera plus. 145
Ceci étant, SPENCE (et THUROW, de façon moins claire
il est vrai) ne remet pas en cause le fait que l'éducation
améliore la productivité de l'individu. Avec ARROW
(1973), le pas décisif est franchi puisque cette fois
l'éducation est considérée simplement comme le moyen
de donner un label à l'individu, révélant qu'il possède un
certain niveau d'aptitude (et de motivation).

146
Ces aptitudes (de type plutôt scolaire )
étant fortement corrélées (mais pas
confondues comme dans la théorie du
capital humain) avec la capacité productive,
les employeurs vont accepter de les
rémunérer à un plus haut niveau.
147
A la limite, l'éducation n'a donc aucun effet
direct sur la productivité mais indique que
l'individu doit être capable d'être plus efficace
dans son emploi ; elle n'ajoute pas de valeur à
l'individu, elle ne fait que la garantir pour le futur
et sert donc à "filtrer" les individus susceptibles
par la suite d'avoir une meilleure productivité.
148
Un nombre non négligeable de formations à
caractère "technique » ou "professionnalisé" ont,
de toute évidence, un impact immédiat sur la
productivité des individus qui, de ce fait, seront
immédiatement opérationnels dès leur entrée
dans la vie active (exemple BTS, licences
professionnelles etc.) 149
Si Arrow insiste sur les aptitudes individuelles
que révèle l'institution scolaire, GINTIS (1971)
raisonne en termes d'attitudes. Pour lui, l'école
valorise et développe les attitudes d'ordre et
d'obéissance qui seront appréciées et
recherchées par l'employeur dans la mesure où
l'organisation technologique est marquée par la
notion de hiérarchie (donc d'obéissance) et de
division du travail (donc d'ordre).
150
L'entreprise rémunérera mieux les individus
éduqués car c'est une garantie pour elle qu'ils
seront conformes au moule idéal, et donc plus
efficace.

151
On retrouve en filigrane les thèses de
BOURDIEU et PASSERON (1970) pour qui
l'école est avant tout le lieu idéal de la "
reproduction sociale" où la sélection se fait
en fonction du système de valeurs de la
classe dominante (et en particulier du
patronat).
152
On peut aussi rattacher à ces raisonnements la
théorie de la dualité du marché du travail
proposée par DOERINGER et PIORE (1971).
Dans la mesure, en effet, où certains individus,
pour des raisons diverses n'ont pas les
diplômes nécessaires, n'ont pas la "carte de
visite" qui leur permet d'accéder aux emplois
rémunérateurs,
153
Ils vont alors être condamnés à végéter dans le
segment dit "secondaire" du marché du travail :
emplois précaires, déqualifiés, sans perspective
de formation interne. Seuls les diplômés peuvent
avoir l'espoir d'entrer sur le segment "primaire"
du marché.

154
b) La robustesse de la théorie du capital
humain
Ces approches en terme de filtre ou de signal ne
remettent pas vraiment en cause la théorie standard
du capital humain. Elles sont, comme le note BLAUG
(1976) beaucoup plus complémentaires que
concurrentes de cette théorie. Elles permettent de
rendre compte bien plus des pratiques de recrutement,
alors que la théorie du capital humain s'attache au
comportement de demande de formation. 155
De toute façon, même si l'éducation n'a
aucun effet sur la productivité (ce dont on
peut douter à moins de définir cette notion
de façon très étroite), elle reste un "
investissement" rentable, car elle permettra
de traverser le filtre et d'acquérir le signal
qui conduit aux emplois rémunérateurs. 156
Il y a, en fait toutes raisons de penser que la
formation initiale aura en général un double
effet : un effet de productivité plus ou moins
élevé selon la nature du diplôme (à tendance "
généraliste" ou professionnalisé auquel cas le
diplômé aura acquis des compétences réelles
et immédiatement utilisables dans son emploi)
et qui justifie donc une rémunération supérieure,
157
et un effet de signal plus ou moins fort
(selon les caractéristiques et la réputation
du diplôme, selon l'expérience qu'ont les
employeurs de ce diplôme).
158
La liaison éducation-revenu est sans doute
plus complexe que la théorie élémentaire
ne le suppose, mais elle existe. Dès lors
rien n'interdit de calculer la rentabilité de
l'opération. La logique de capital humain
n'est aucunement remise en cause. 159
C) L'accumulation de capital humain pendant la vie
active

La théorie standard que nous avons présentée ne doit


pas enfin conduire à penser que la formation initiale est
le seul mode d'accumulation de capital humain. Cette
accumulation se poursuit pendant la vie active dans le
cadre de l'expérience professionnelle, de la formation
continue et de la validation des acquis de l'expérience.

160
1) L'expérience professionnelle
L'expérience professionnelle est la première
source d'accumulation de capital humain
pendant la vie active. Les analyses
empiriques (en particulier de MINCER) le
montrent clairement. Encore faut-il
distinguer expérience "générale" et
expérience "spécifique". 161
a) Les "fonctions de gains" de MINCER

Le point de départ de ces tests empiriques est


constitué par les travaux de MINCER (1974) qui
propose de tester l'équation :

162
où W est le salaire réel observé, N est la
durée des études et E le nombre d'années
d'expérience professionnelle
(éventuellement complétés par des
variables quadratiques pour tester
l'hypothèse de productivité marginale
décroissante) 163
La logique de cette relation est que l'activité
professionnelle accroît les compétences de
l'individu et donc son capital humain (sans
doute plus dans sa dimension "savoir-faire" que
savoirs plus abstraits, ce qui justifie une
augmentation progressive de sa rémunération.
164
Dès lors, plus l'individu progresse dans sa
carrière, plus l'impact du diplôme initial devrait
s'atténuer au profit de l'expérience (à moins
cependant que ce diplôme ait un "signal"
particulièrement fort)
165
b) Expérience professionnelle générale et
spécifique chez Becker

A la base de la réflexion théorique sur


l'expérience professionnelle acquise par l'individu
dans l'exercice de son emploi, se trouvent les
travaux de BECKER (1975), qui sont en fait à
l'origine du renouveau de l'économie de
l'éducation.
166
Il est d'ailleurs remarquable que Becker mette
l'expérience au premier rang dans les processus
d'accumulation du capital humain, la formation
scolaire n'étant évoquée qu'en second lieu.
167
Son propos est d'analyser le processus
d'accumulation, qu'il appelle apprentissage "sur le
tas » (on the job training), qui se déroule pendant
la période initiale de la vie active pendant laquelle
l'individu se familiarise avec son emploi, et
l'entreprise.
168
Son ambition est de déterminer qui, in fine, paie ce
type de formation, tout en justifiant la concavité des
profils de rémunération pendant la vie active. Ceci
l'amène à distinguer deux cas : ou l'expérience
acquise est dite "spécifique", et elle ne peut être
dispensée puis valorisée que dans l'entreprise où
travaille l'individu, ou l'expérience est dite "générale" et
l'individu pourra utiliser son savoir-faire dans
n'importe quelle autre entreprise.
169
Dans les deux cas, cette expérience entraîne une
augmentation de la productivité du salarié et son
salaire va suivre cette évolution. S'il s'agit d'une
expérience "générale", il sera égal à la valeur de la
productivité marginale ainsi acquise, dans la mesure
où le salarié se trouve en position de force vis-à-vis de
l'employeur qu'il peut menacer de quitter.
170
S'il s'agit de formation spécifique, le salaire
sera inférieur à la productivité marginale
acquise car cette fois le salarié est en
position de relative faiblesse.

171
Dans les deux cas, l'entreprise cherchera à égaliser
l'ensemble des coûts engagés sur le salarié (salaire
initial pendant la période de formation, coûts directs
de formation éventuels, coût d'opportunité
correspondant à la production "perdue" des salariés
de l'entreprise qui consacrent une part de leur temps
au nouvel arrivant, puis salaires versés pendant la vie
active) à l'ensemble des recettes résultant de l'activité
de l'individu (productivité pendant la période initiale,172

puis productivité pendant la vie active) soit :


173
Dès lors si la formation est générale, l'entreprise
rémunérant le salarié à sa productivité ne réalise
aucun gain et le salarié supportera le coût de la
formation par une amputation de son salaire (W0 =
PM0-k). Si la formation est spécifique, les coûts
seront partagés entre employeur et salarié puisque le
premier réalise cette fois un gain ; le salaire initial sera
donc relativement plus élevé
174
Au total, le profil de gain sera (pour une
augmentation de productivité supposée
équivalente) plus "aplati » en cas d'expérience
spécifique (salaire initial plus élevé, mais
salaires ultérieurs inférieurs à la productivité)
qu'en cas d'expérience générale (salaire initial
faible, mais salaires ultérieurs égaux à la
productivité).
175
2) La formation continue
La formation continue constitue la deuxième voie
classique d'accumulation de capital humain pendant
la vie active. La caractéristique essentielle de la
formation continue au sens strict est qu'elle fait l'objet
d'une demande duale. Pour le salarié, les gains sont
multiples Pour l'entreprise, si les coûts sont
clairement définis la définition des gains est plus
délicate. 176
La différence entre la formation continue et
l'expérience sur le tas est qu'elle implique une
interruption partielle ou totale de l'activité du
travailleur. Il suit des séquences plus ou moins
longues de formation (au sens strict), soit dans le
cadre même de l'entreprise, soit, le plus souvent,
dans le cadre d'institutions spécialisées (privées
ou publiques).
177
a) Qui demande quoi ?

La caractéristique essentielle de la formation continue


au sens strict est qu'elle fait l'objet d'une demande
duale pour reprendre l'expression de BORDAGE (1990).
Le salarié est demandeur car la formation continue
est pour lui un investissement humain, tout à fait
comparable à une reprise ou une poursuite d'études,
susceptible de lui apporter un supplément de
qualification et donc de revenus futurs. 178
Mais l'employeur est lui aussi demandeur (au
moins au niveau d'une demande "dérivée") car
la formation continue de ses salariés lui
permettra d'améliorer les rendements et
l'organisation générale de la production et de
dégager des bénéfices supplémentaires.
179
La question se pose de savoir si ces deux
demandes sont convergentes ou non. Selon
Bordage, les salariés auraient plutôt tendance à
demander une formation de type "général" (au
sens Beckerien), c'est-à-dire monnayable dans
n'importe quelle entreprise,
180
alors que les employeurs auraient
tendance à préférer une formation "
spécifique" qui, à l'inverse, contribuerait à "
attacher" plus solidement le salarié à
l'entreprise.
181
Dans le même ordre d'idée, les salariés seraient
plus à la recherche d'un "signal", d'une
certification (et donc de formations
diplômantes qui leur permettront d'être
clairement reconnus) alors que les entreprises
seraient plus demandeurs de capital humain, de
savoir-faire précis (et donc de formations
qualifiantes).
182
A une époque où les entreprises cherchent
aussi des personnels adaptables et
relativement généralistes et où les individus
cherchent au même moment à affiner leur
spécialisation ou à acquérir une seconde
compétence, il n'est pas certain que l'opposition
soit aussi brutale. 183
184
c) Le partage des bénéfices et des coûts

Pour le salarié, les gains sont multiples. Ils devraient, en


toute logique, être principalement monétaires puisque le
salarié, en principe, a acquis une qualification
supérieure. Si cette revalorisation n'intervient pas
immédiatement, le salarié est au moins en droit
d'espérer des perspectives de carrière plus
intéressantes.
185
L'expérience pratique prouve qu'en fait,
cette double liaison n'est que rarement
observée ; rares sont les salariés ayant
suivi une séquence de formation qui
bénéficient d'une promotion ou même de
promesses de promotion 186
La formation joue plus le rôle d'une protection
contre la détérioration relative du statut
(menacé par l'arrivée de nouveaux salariés plus
diplômés, ou par l'évolution des techniques).
Elle répond aussi au besoin de "reconstituer" un
capital (qui se dévalorise) pour le maintenir à
niveau, ce qui ne justifie pas un supplément de
rémunération. 187
Elle peut engendrer aussi des gains non
monétaires appréciables liés aux
connaissances générales acquises ou à
l'intérêt nouveau que le "formé" peut
prendre à sa tâche. Elle permet enfin
d'envisager une mobilité professionnelle (à
condition de quitter l'entreprise). 188
Pour ce qui concerne les coûts subis par le
salarié, tout dépend évidemment de la prise
en charge plus ou moins complète des
coûts directs de formation par l'entreprise
et du maintien plus ou moins partiel du
salaire pendant la période de formation. 189
Pour l'entreprise, si les coûts sont clairement
définis (participation aux frais de formation et/ou
prélèvement obligatoire de 1,2 % sur la masse
salariale, plus le coût d'opportunité
correspondant à la perte de production
occasionnée par l'absence du salarié) la
définition des gains est plus délicate.
190
Si, après leur formation, la rémunération des
individus étaient automatiquement réajustée en
fonction de leur nouvelle productivité, les gains
pour l'entreprise seraient nuls (le supplément de
productivité étant compensé par une hausse
des coûts salariaux d'un montant équivalent)
compte non tenu des coûts liés à la formation
(participation financière de l'employeur et coût
d'opportunité). 191
Pour que l'entreprise réalise un gain (normal si
elle a subi un coût) il faut donc que l'évolution
des salaires soit inférieure à celle de la
productivité, ou plus précisément que l'écart
(inéluctable en régime non-concurrentiel sur les
marchés des biens et du travail) entre
productivité et salaire s'accroisse à la suite de
la formation. 192
Dès lors, la solution la plus simple est de ne
pas modifier le salaire après formation,
donc de ne pas répercuter (même
partiellement) le gain de productivité sur le
salaire, ce qui est souvent le cas.
193

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