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NDR n° 45 – mars 2020

NOTE DE RECHERCHE

LE PROCESSUS DE PAIX EN CASAMANCE :


ENTRE PRÉSENTS ÉQUIVOQUES
ET FUTURS POSSIBLES

Mouhamadou Al Mokhtar Niang

Mouhamadou Al Mokhtar Niang est titulaire d’un Bachelor en Ingénierie Financière à l’Institut Africain
de Management du Sénégal et termine un Master II en Sciences Politiques option géostratégie à l’Institut
Supérieur de Management au Sénégal. Project Officer au Centre pour le Dialogue Humanitaire basé
à Genève, il a travaillé pendant cinq à la gestion et la résolution du conflit en Casamance en tant que
facilitateur désigné auprès des acteurs. Actuel représentant de Thinking Africa au Sénégal il s’intéresse aux
questions de prospectives, médiations et d’analyse des enjeux de paix et sécurité en Afrique.

Institut de Recherche et d’Enseignement sur la Paix


www.thinkingafrica.org • contact@thinkingafrica.org
RÉSUMÉ IDÉES MAJEURES
Le conflit en Casamance est l’un des plus vieux Le conflit en Casamance dure et les processus de
du continent, il tire en longueur et verse dans un éter- négociation passe et se ressemblent tous. Parmi les
nel recommencement, une bifurcation prospective est principaux facteurs bloquants il y a la culture du posi-
plus que jamais nécessaire afin d’entrevoir son futur tionalisme entre les deux belligérants, l’un est pour
sous différents synopsis. Du point de vue des négo- une indépendance, l’autre pour la sauvegarde d’une
ciations deux approches s’entrechoquent/ s’opposent intégrité territoriale. C’est deux postures minent le
actuellement ; la première pose la réunification du conflit depuis fort longtemps.
MFDC comme condition sine qua non à de sérieuses L’approche pragmatique de l’état qui consiste à
négociations pour une sortie définitive du conflit. Là négocier avec une faction en attendant que les autres
ou d’autres y voit la quadrature du cercle et militent soient prêtes est loin de faire l’unanimité. Beaucoup
pour des négociations séparées avec chaque faction craignent que cette énième négociation débouche sur
pour aboutir à un accord global et inclusif. Cette note des accords non applicable puisque non inclusifs. Ces
tente de décrypter les comportements actuels et posi- derniers voudraient comme condition sine qua non à
tions des acteurs directs afin de mettre en exergue les ses négociations une réunification du MFDC.
divergences internes qui subsistent entre eux. À l’aune
des outils de la prospective, cette analyse propose des L’historique du conflit nous édifie sur le fait que
pistes de réflexions, mais surtout des scénarii futu- tous les processus allant dans le sens d’une unification
ristes pour les dix à quinze prochaines années. du MFDC comme objectif de départ ont tous échoué.
L’exercice du jeu des influences qui consiste à
CONTEXTE
déterminer la locomotive ou le leader caché d’un
Au moment où l’Afrique s’embourbe dans des groupe donné (acteur en conflit en au conflit de niveau
enjeux géopolitiques et géostratégiques majeurs, force II) nous renseigne que bien qu’une approche pragma-
est de constater que le conflit en Casamance vieux de tique serait la plus judicieuse dans ce cas de figure,
37 ans, tarde à connaître une issue heureuse. Fait mar- n’empêche qu’il ne reste pas moins pertinent de consi-
quant, quatre ans déjà que les Sénégalais étaient appelés dérer la volonté Des rebelles combattants afin d’entre-
à se prononcer par référendum, le 20 mars 2016, pour voir un dialogue fructueux et partagé de tous.
ou contre le projet de révision constitutionnelle proposé À défaut de cela nous assisteront à la lumière des
par le président Macky Sall. Alors que nombre d’obser- méthodes de la prospective appliqué au données col-
vateurs/de la population/de Sénégalais s’agitent autour lectés à la réalisation de quatre scenarii :
des principaux changements introduits par ce nouveau
1. Un premier scénario qui met en exergue le bas-
texte, aucun débat ne fait allusion à la situation en
culement du rapport de force en faveur de l’État et au
Casamance. Personne dans la classe politique ni dans
détriment du mouvement des forces démocratique en
les media ni au sein même de la société civile casaman-
Casamance et envisage une sortie de crise basée sur
çaise n’a eu à évoquer ce sujet. C’est dire à quel point ce
la transformation du conflit d’un stade politique à un
sujet semble/paraît circonscrit à un effritement certain.
stade purement sécuritaire.
Le temps a réussi en presque quatre décennies à vider
2. Un deuxième qui fera l’objet d’une tentative
la question des ses hommes mais aussi un peu de sa
d’inversion des tendances observées sur le premier,
substance. Plusieurs accords ont été signé entre l’État
C’est-à-dire un retour des années sombre du conflit
du Sénégal et le MFDC, plusieurs rencontres inter-
comme un éternel recommencement.
MFDC, aucun n’a eu l’effet escompté. Le processus de
3. Un troisième scénario qui ressemble à quelques
paix actuel si tant est qu’il existe souffre d’un manque
de clarté pour certain, d’incohérence et de temporalité détails près au premier sauf à la seule différence, il
pour d’autre. Ce qui fait que le conflit tarde à connaître n’envisage aucun accord de paix de prévu, mais uni-
une issue heureuse. Pourquoi cet état de fait ? D’aucun quement d’un essoufflement du mouvement allant
ont convoqué le manque de volonté ou de stratégie au jusqu’la reddition des troupes combattantes du MFDC
niveau des politiques, et la dislocation du MFDC en 4. Et enfin une quatrième qui expose les principaux
plusieurs factions ce qui rend encore difficile les choses. risques ou faiblesse de la stratégie du pourrissement et
De toute évidence l’État de Sénégal du Sénégal a engagé ses conséquences possibles sur le terrain.
depuis 2012 des négociations avec une seule des quatre
factions du MFDC et jusque-là aucune annonce specta- PROBLÉMATIQUE
culaire n’en est ressortie. Voici le contexte dans lequel Existe-t-il des blocages ou divergence de vue dans
cette note s’inscrit. le processus de paix actuel en Casamance ?
2
Le MFDC demande l’indépendance comme posi- dépendance comme position de départ, or les repré-
tion de départs, les représentants de l’État du Sénégal sentants de l’État du Sénégal se sont toujours dits prêts
se disent prêt à tout négocier sauf l’indépendance. Ces à tout négocier sauf l’indépendance. En quoi ces deux
deux postures minent-ils le processus ? postures minent-elles le processus de paix depuis le
La stratégie de dialogue actuelle de L’État du Séné- début du conflit ? Au-delà des postures, la stratégie de
gal fait-elle l’unanimité ? négociation actuelle de l’État du Sénégal n’est-elle
Quand est-il du comportement des acteurs aux pas en cause aussi ? Quand est-il du comportement
conflits, de leurs positions actuelles face à la situation ? des acteurs aux conflits notamment les facilitateurs, de
Et il possible de dégager aux regards de la prospec- leurs positions actuelles face à la situation ?
tive des scénarios susceptibles de nous renseigner sur Depuis l’accord de cessez-le-feu de 1991, la Casa-
les enjeux futurs du conflit en Casamance ? mance vit dans une situation de ni guerre, ni paix,
marqué tantôt par des piques de violence tantôt par
MOTS CLÉS une accalmie. Cet état de fait cyclique ouvre-t-il des
Négociation – Facilitation – Prospective – Proces- possibilités de lectures prospectives du conflit ? Aussi
sus de paix – Casamance – Prospective – Sénégal est-il possible de dégager du scénario susceptible de
nous renseigner sur les enjeux futurs ?
INTRODUCTION Un tel exercice apparaît plus que jamais indispen-
Au moment où le monde s’enlise dans des enjeux sable dans un processus aussi complexe et vieux. Voilà
géostratégiques majeurs, force est de constater que le ce que l’on se donne comme objectif à travers cette
conflit casamançais vieux, de 37 ans, tarde à connaître note d’analyse.
une issue heureuse.
CARTOGRAPHIE DES ACTEURS
Le conflit casamançais, qui a démarré le 26
décembre 1982, est qualifié dans sa phase actuelle, Les acteurs en Conflit, c’est-à-dire touchés
de « conflit de basse intensité ». Il évolue en dents de directement par le conflit.
scie avec des pics de violences cycliques et oppose À ce jour il existe quatre factions au sein du MFDC :
le Mouvement des Forces Démocratiques de Casa- 1. Front Nord : fidèle à Sidy Badji, ce groupe dirigé
mance (MFDC) et les forces de défenses et de sécuri- par Fatoma, successeur de Lamarana Sambou contrôle
tés de l’État du Sénégal. À ce jour les chiffres officiels le nord-ouest du département de Bignona et ne répond
parlent de plus de trois à cinq mille morts et de huit d’aucune aile politique. Ce groupe longtemps consi-
cent victimes de mines. déré comme traitre au sein même du MFDC, car ayant
Dans la perspective d’une résolution définitive du collaboré avec l’ennemi, d’après certains membres du
conflit, des initiatives et mesures de confiance se sont Mfdc.
multipliées de part et d’autre depuis l’accession au 2. le Front Sud-Ouest : établi à cheval entre le sud
pouvoir du président du Sénégal Macky Sall. du Sénégal et la Guinée Bissau, dans l’extrême sud-
C’est dans cette dynamique que se situe l’ouverture ouest de la région, jadis fidèle à l’Abbé Diamacoune
de dialogue en 2012 entre d’une part l’État sénégalais et après son décès à Ousmane Tamba établit en suisse ;
et la faction de Salif Sadio sous l’égide de St Egidio, Cette faction est dirigée par César Atoute Badiate.
et d’autre part l’accalmie notée dans le sud depuis un 3. le Front Sud Est : situé entre le sud-est du Séné-
certain temps avec l’intervention de facilitateurs sur gal et la Guinée Bissau, fidèle à Nkrumah Sané basé
le terrain. en France, il est dirigé par Ibrahima Compass Diatta. Il
Ni le MFDC ni l’armée sénégalaise ne semblent regroupe en son sein des représentants sur le plan local
en mesure de remporter une victoire nette. Du côté basés à Bignona (Sénégal).
du premier, même si l’idée d’une indépendance de la 4. les « radicaux » du Front Nord : installés au
Casamance en tant que but ultime a progressivement nord-est de Bignona et dirigés par Salif Sadio. C’est
et au fil des ans trouvé échos auprès de la majorité à ce jour la seule Faction qui négocie avec l’État du
des factions, il n’en demeure pas moins que les « pour- Sénégal, représenté par le comité Adhoc, à travers une
quoi du comment » d’une sortie de crise restent flous à médiation menée par la communauté de ST Egidio.
tous les niveaux. Sociologiquement le MFDC est une Négociation qui se présente aux yeux des autres Fac-
organisation multi céphale après la mort de l’Abéé tion comme une trahison.
Diamancound, non pyramidale, divisée en plusieurs Du côté de l’État, depuis l’accession de Macky Sall
entités ou factions à tendance soit radicales soit modé- à la Magistrature suprême, a été créé un comité Adhoc
rées, incapable de parler d’une seule et même voix. chargé des négociations et de toutes les questions liées
Dans les rencontres le MFDC a souvent demandé l’in- au conflit en Casamance.
3
Les acteurs au conflit, impliqué mais pas directement s’affronter sur des positions alors que la négociation
de niveau II, Mandatés et/ou acceptés classique voudrait que l’on négocie sur des intérêts
Outre ces deux belligérants, nous notons la pré- ou sur les motivations mais pas sur des postures.
sence de facilitateurs mandatés par le maquis et/ou Selon Roger Fisher 2001 (21-33) « plus on expose
acceptés par l’État sénégalais. clairement une position, plus on la défend contre les
Le Cardinal Adrien Sarr et l’Imam Fansou Bodian attaques, plus on s’y attache ». L’histoire des négo-
ont tous deux étés mandaté depuis 2013 par César ciations internationales nous édifie sur des acteurs
Atoute Badiate et acceptés par L’État du Sénégal en Étatiques, qui ont eu souvent recours à cette posture,
tant que facilitateur. et à chaque fois qu’il en était ainsi les négociations
Le groupe dirigé par Le Ministre Robert Sagna échouaient. Il s’agit notamment du cas opposant les
(Groupe de Réflexion pour la paix en Casamance) et État Unis et l’URSS durant les périodes de la guerre
le Centre pour le dialogue Humanitaire basé à Genève froide. L’exemple donné par Roger Fisher sur des
interviennent également en tant que Facilitateurs négociations portant sur l’interdiction des expériences
auprès de trois factions exceptée celle de Salif sadio. nucléaires du temps de Kennedy est très parlant. « Les
Toujours dans le même ordre d’idée, il existe un pourparlers achoppèrent sur une question délicate :
seul médiateur à heure actuelle, il s’agit de la commu- combien d’inspections annuelles de leur territoire
nauté de Saint Edigio, mandaté depuis 2012 par une respectif l’URSS et les États-Unis devraient-ils autori-
partie du maquis, en l’occurrence la faction de Salif ser aux équipes d’experts chargées d’enquêter sur les
Sadio et acceptée par l’État du Sénégal. secousses sismiques suspectes ? L’URSS finit par être
Il est indéniable qu’il existe pléthore d’acteurs en d’accord pour trois inspections annuelles. Les États
dehors de ceux-là, on peut citer les pays voisins, les Unis n’en exigeaient pas moins de dix par année et
nombreuses associations de la société civile et même les pourparlers s’interrompirent là. Chacun restant
les personnes ressources au sein des populations. sur sa position ». Ces pourparlers échouèrent sans
Néanmoins notre étude se limite à l’interaction propre que personne à aucun moment ne se soit préoccupé de
aux seuls acteurs qui sont soit mandatés soit acceptés mettre au point un protocole d’inspection permettant
par les parties en conflits. de concilier les intérêts des deux nations. N’est-ce pas
le même phénomène qui est de mise dans ce processus
ANALYSE DES ACTEURS ET JEU DES INFLUENCES nous concernant ? En effet, la posture du Sénégal et
du MFDC s’est illustré au fil des années par un entre-
À l’heure ou beaucoup de questions techniques
choquement de deux positons antinomiques ; l’une des
liées au processus de paix en Casamance restent sans
parties se disant prête à négocier que sur les condi-
réponse et suscitent jusque-là une myriade de posi-
tions de l’indépendance et l’autre partie se disant prête
tions aussi divergentes que variées, un exercice axé
à tout négocier sauf l’indépendance. Totalement inef-
sur la compréhension des interactions des acteurs afin
ficace, les postures des deux parties campent sur des
de mettre en lumière les points d’accords ou de désac-
positions extrémistes dans l’idée d’augmenter leurs
cords apparaît naturellement opportun.
chances d’aboutir à des accords qui leur soient favo-
Le conflit en Casamance reste un conflit atypique
rables. Ce climat ne laisse aucune place au dialogue
et complexe. Il existe à ce jour beaucoup d’interve-
mais plutôt à l’affrontement des volontés et à la dété-
nants tant officiels qu’officieux, directes comme indi-
rioration des relations ne donnant aucune chance au
rectes. Chacun avec sa lecture sa compréhension et ses
compromis. L’État du Sénégal qui n’avait que vingt
solutions. Mais qu’en est-il des acteurs directs ? À leur
années d’existence au lendemain du déclenchement
niveau, même s’il est indéniable et unanime auprès
du conflit, n’a jamais osé envisager à aucun moment,
de tous qu’il faille négocier, afin d’entrevoir une paix
un processus de dialogue portant sur une éventuelle
définitive, des divergences existent tout de même à
remise en cause de la souveraineté territoriale. Dans
certain niveau.
son livre Momar Coumba Diop  1 nous édifie sur cela.
En effet, même si la stratégie d’Abdoulaye Wade, suc-
LES BLOCAGES ET DIVERGENCES INTERNES AUX
cesseur d’Abdou Diouf, fut plutôt différente, il n’en
ACTEURS
demeure pas moins que la posture de l’État sur le sujet
LE Positionalisme des acteurs en conflit de l’intangibilité des frontières est restée la même et
(L’État du Sénégal, Le MFDC) inchangée. Réaffirmant ainsi que tout est négociable
Nombreuses sont les négociations, qui se tiennent sauf l’unité nationale et l’intégrité du territoire.
soit sur une durée longue, soit n’aboutissent tout
simplement pas pour cause de positionalisme. Cette 1. Le Sénégal sous Wade, par Momar Coumba Diop, edi-
notion consiste dans un processus de négociation, à tion karthala, à la page 218
4
Idem avec l’actuel président du Sénégal, Macky En 2012 déjà le président Macky Sall, en fin connais-
Sall, qui à l’issue d’un conseil de ministre décentralisé seur du dossier, tend publiquement la main au MFDC
à Ziguinchor, région sud de Sénégal, déclare accepter et entame des négociations avec Salif Sadio, l’un des
la main tendue de Salif Sadio. Néanmoins, il ajoutera chefs radicaux du maquis sous l’égide de St Egidio
que les négociations doivent se faire dans le maintien de <<Relativement au processus de paix en Casamance,
l’intégrité territoriale. 2. Beaucoup d’observateurs sou- je réitère mon engagement à la recherche d’une paix
lignent le fait que cela reste une stratégie d’étouffement définitive dans cette région. Nous tendons la main à
ou d’asphyxie de la part de l’État du Sénégal, qui vise toute personne ayant des propositions fiables. Je tends
justement à ne pas envisager une issue du conflit décou- aussi la main aux combattants du MFDC, notamment
lant de négociations.  3Du côté du MFDC, les mêmes ceux du front nord de Salif Sadio. « >> 6 Pouvait-il en
réflexes sont employés depuis le début du conflit. être autrement ? Quand une des quatre factions la plus
radicale, la plus organisée, déclare un cessez-le-feu uni-
Ce point de blocage, vieux comme le conflit, a pour latéral et accepte d’aller à la table de négociation à tra-
conséquence directe la transformation de la crise en vers une médiation ?
Casamance d’un conflit politique à un conflit dicté par Cette approche très pragmatique de l’État du Séné-
la violence 4. Que faire dans ce cas de figure ? D’après gal, n’est pas vue d’un bon œil puisqu’aux yeux de cer-
certains, l’alternative ou la solution serait d’engager tains, elle vise plus à diviser le MFDC, qu’à mener à
des processus de négociations qui traiteront les moti- un règlement définitif du conflit. Six années plus tard,
vations ou les intérêts et non les positions. lors d’une intervention dans les medias et alors même
que le Sénégal négocie toujours avec la faction de Salif
LE CADRE DANS LES NÉGOCIATIONS, Sadio, l’un des facilitateurs, en l’occurrence M. Robert
POMME DE LA DISCORDE ENTRE L’ÉTAT Sagna déclare « Nous avons l’accalmie et l’accord des
DU SÉNÉGAL ET LES FACILITATEURS combattants du Mouvement des Forces Démocratiques
Dans une négociation et selon William Zartman 5, de la Casamance (MFDC) pour engager le dialogue.
un processus passe nécessairement par trois séquences Ce dialogue que le Chef de l’État Macky Sall a annoncé
(Diagnostic, formule, détails) : dès son arrivée au pouvoir ». Mais, a-t-il précisé : « il est
1. Celle du diagnostic qui se manifeste par l’identi- essentiel que le MFDC se mette ensemble et s’entende
fication du problème à négocier, pour parler d’une seule voix » 7. Visiblement Monsieur
2. Une formule qui fait référence au cadre adéquat Sagna pose la réunification inter-MFDC comme condi-
au sein duquel ils inscrivent leur arrangement et tion préalable à des négociations abouties et sérieuses.
3. enfin des détails c’est-à-dire les modalités dans Cette déclaration reste un signal fort de désaccord sur
lesquelles s’engagent les discussions. l’approche qui consiste à négocier avec les factions
S’agissant du diagnostic actuel tout le monde s’ac- du MFDC séparées. Même son de cloche noté dans la
corde sur bon nombres de points, notamment que le société civile. Dans un entretien publié sur le site de
conflit tire en longueur, les populations ont un ras-le- Oustaf du 18/01/2018 Bruno Sonko chercheur et spé-
bol général, la situation n’arrange pas grand monde et cialiste de la question renchérie « J’ai toujours milité
il est temps d’en finir. La grande question sur laquelle pour une unification d’abord du MFDC. Mais actuel-
tout le monde bloque reste le comment ? Comment lement, l’État a une démarche différente. Autrement dit,
aller à la paix et avec qui ? Quels interlocuteurs ? Voici il négocie de manière séparée avec Salif Sadio (chef
ce sur quoi, MFDC, État du Sénégal et facilitateurs d’une frange du MFDC, localisé près de la Gambie).
butent depuis un bon bout de temps et n’hésitent pas à J’estime que l’État mise sur le résultat final. Alors
afficher leur désaccord. est-ce que cette stratégie est opportune ? Difficile d’en
juger pour l’instant. Mais l’unification du MFDC est un
préalable afin que l’État puisse parler à un interlocu-
2. http://www.rfi.fr/fr/afrique/20120628-senegal-macky- teur unique. » 8 Que signifie tout cela ? Les uns seraient
sall-accepte-main-tendue-salif-sadio, consulté le 2 février
2020
3. Le conflit en Casamance : ce que disent les armes, Jean 6. https://www.pressafrik.com/face2face/Paix-en-Casa-
claude Marut, Karthala, 2010 mance-Macky-Sall-tend-la-main-au-MFDC_a21.html
4. (Le conflt en casamance : ce que disent les armes)., Jean consulté le 17/01/2020
claude Marut, Karthala, 2010, 7. https://www.pressafrik.com/Drame-de-Bofa-Bayote-
5. Wiliam Zartman, « Negotiation as a Joint Decision-Ma- %E2%80%8BRobert-Sagna-magnifie-le-professionna-
king Process », in W. Zartman, The Negotiation lisme-des-forces-de-defense-et-de-securite_a178370.html
Process. Theories and Applications, Sage Publications, consulté le 12/01/2020
Beverly Hills, 1977. 8. https://ouestaf.com/crise-casamancaise-mediations-
5
pour un gel total des négociations déjà entamé afin de Situation similaire en 2005, lors de négociation
s’adonner à réunir, une énième fois, toutes les factions officielle à Foudiougne des pourparlers ont encore
du MFDC. Les autres quant à eux militent pour deux été mené en parallèle entre les factions du MFDC
canaux de négociation, soit simultané, soit successif dans le seul but de les aider à s’unir « Foundiougne
afin d’aboutir à la formule : négociation séparée, puis va permettre au MFDC d’approfondir son travail de
accord global. Ceci nous amène à nous poser la ques- systématisation et de formulation des revendications
tion de savoir, en quoi la primauté de la réunification de toutes les composantes de la Casamance. Parallè-
du MFDC est-elle un gage de réussite dans le règle- lement à ce travail, le MFDC va poursuivre son action
ment définitif du conflit ? Que nous dit l’historique visant à fédérer toutes ses sensibilités. » Arguait M.
du conflit par rapport à cette question ? Il faut souli- Badji un des responsables du MFDC 10. Quelque mois
gner le fait que nombreux sont ceux qui pensent aussi plus tard, ladite rencontre n’eue pas lieu pour cause
que la question de l’unification du MFDC est claire- « Une aile dite dure du MFDC en l’occurrence « le
ment la quadrature du cercle qui plomberait à jamais front sud » allait demander le report des Assises de
le processus, connaissant les velléités et divergences Foundiougne II à une date ultérieure pour se donner
profondes qui subsistent au sein du MFDC depuis le le temps de se préparer ». 11
début du conflit. Du côté des combattants, bien qu’il y ait eu des
Négocier ou attendre que le MFDC se réunisse et tentatives de réconciliation dans le passé, la dernière
parle d’une seule et même voix ? Voici un deuxième en date reste celle de 2015. Nourris par les échecs du
point d’achoppement qui subsiste entre les acteurs passé, les combattants des trois Factions Sud celle de
directs. Diakaye (dirigée par Assambane), de Sikoune ( dirigé
par Compass) et de Akintahia dirigée par César ont
UN CERCLE D’APPRENTISSAGE INEXISTANT OU exprimé leur souhait de cesser tout contact avec le
L’ÉTERNEL RECOMMENCEMENT monde extérieur (médiateurs et facilitateurs) afin de
L’heuristique du conflit nous édifie sur le fait que se concentrer sur une réunification inter- MFDC sans
l’idée d’une réunification du MFDC, encadrée ou non condition et tout ceci avec leurs propres moyens. Ces
par l’État, ne date pas d’hier. Les rencontres ou assises retrouvailles avaient pour but ultime d’instaurer un
de (Banjul I et II) 1999 et 2001 sous les offices ou la commandement unique et vertical au sein des com-
garantie de la Gambie, de la Guinée Bissau, de repré- battants. Trois ans de discussions leur ont permis de
sentants mandatés du Sénégal et de la France étaient constater un échec cuisant.
exclusivement dédiées à cela. Ces assises étaient Nous voyons clairement qu’au même titre que l’aile
tenues dans le seul but de réunifier le MFDC afin de politique, l’unification des combattants reste aussi un
parler d’une seule et même voix. Toutes ont échouées problème insoluble ayant pour cause des dissensions
pour cause de divergences internes, de ruptures, de tra- profondes et des guerres de leadership entre les chefs.
hisons, de crimes et accusations mutuelles, des luttes Aucun n’acceptera de se faire diriger d’autant qu’ils se
de pouvoir entre radicaux et modérés, entre aile poli- sont eux-mêmes fait la guerre.
tique et aile combattante. Prenons l’exemple rapporté par M. Mané, jour-
En juin 2001, lors d’une nouvelle réunion de l’aile naliste sénégalais, concernant les deux principaux
politique à Banjul. Pour sortir du blocage… : l’abbé chefs ennemis Salif Sadio et César Atoute Badiate. Il
Diamacoune quitte le poste de secrétaire général déclare à ce propos que « Depuis avril 2006, les rap-
pour celui de président ; il fut remplacé par Jean-Ma- ports entre Salif Sadio et César Atoute Badiate frisent
rie Biagui, un modéré basé en France ; Badji et ses l’animosité. Avec le soutien de l’armée Bissau-Gui-
hommes ont à nouveau occupé des fonctions impor- néenne, César et ses hommes lancent une vaste opéra-
tantes. Mais la lutte s’est poursuivie : le statut de la tion contre le quartier général du maquis. Mais, avant
présidence (d’honneur ?) de l’abbé a été discuté ; la chute de Baraka Manjoka, Salif Sadio et ses troupes
celui-ci s’est allié avec Biagui, qui a démissionné pour plient bagages et rejoignent le front nord. Depuis lors,
protester contre le blocage exercé par le camp de SIdy les deux hommes sont devenus les meilleurs ennemis
Badji. l’Abbé l’a alors confirmé dans son poste, tandis du monde. Salif pardonnera-t-il un jour cet affront de
que Sidy Badji s’est autoproclamé secrétaire général la part d’un des sujets qui a tout fait pour avoir sa
du MFDC en novembre 2001. 9.
10. http://archives.aps.sn/article/5695?lightbox[width]=75
tous-azimuts-et-accords-de-paix-jamais-respectes consulté p&lightbox[height]=90p, consulté le 18/01/2020
le 12/01/2020 11. https://ouestaf.com/crise-casamancaise-mediations-
9. https ://www. cairn. info/revue-politique-africaine-2003- tous-azimuts-et-accords-de-paix-jamais-respectes/,
3-page-101.htm consulté le 15/01/2020 consulté le 18/01/2020
6
peau ? Rien n’est moins sûr. Les retrouvailles entre le agissements du MFDC dans le bon sens (négocia-
chef d’état-major général du maquis et celui qui se tion) ou dans le mauvais sens (reprise des hostilités)
considère aujourd’hui comme le commandant en chef influencent tous les autres acteurs même l’État. Tous
du maquis entrent depuis lors dans le cadre de la fic- les acteurs directs dépendent de leur capacité à tirer les
tion… militaire » rapporte M. Mane journaliste. 12 autres soit vers le haut afin d’entrevoir un règlement
Il poursuit « toute tentative d’unification de l’aile définitif du conflit ou vers le bas ce qui poussera le
militaire du mouvement irrédentiste risque de se heur- conflit à s’éterniser comme c’est déjà le cas.
ter à la boulimie du pouvoir de Salif Sadio. » Ce que nous révèle cette étude s’avère un indica-
Nous venons de démontrer que toutes les tentatives teur probant. Il confirme deux hypothèses : qu’il est
d’unifications tant des côtés de l’aile politique que des impératif de se focaliser en premier sur les factions de
côtés de l’aile combattante se sont soldées, soit par des combattants afin de faire bouger les lignes du centre
redistributions des cartes, soit par des divisions encore vers la périphérie, même si cette option n’est pas gage
plus profondes. Plus les années passent plus nous assis- de paix définitive.
tons à un effet multiplicateur de groupe déjà existant. Deuxièmement, il faut prendre en compte les exi-
gences d’unification des trois factions laissées en
QUELLE APPROCHE POUR UN CONSENSUS ? marge. L’approche qui consiste à se couper de l’aile
Deux formules s’entrechoquent/s’opposent au sein politique et parler directement avec l’aile combat-
des acteurs en conflit et au conflit dans le processus de tante (approche utilisée avec la faction de Salif Sadio)
paix en Casamance. Les uns seraient pour une option s’avère être pragmatique, mais révèle des insuffi-
déjà testée : une réunification du MFDC préalable à sances, puisqu’elle n’engage aucunement l’écosys-
toute négociation, les autres poussent pour des négo- tème qui gravite autour de ces derniers. Elle alimente
ciations séparées, soit simultanées, soit successives la rumeur « du diviser pour mieux régner », source
afin de parvenir à un accord global et inclusif. d’éternel recommencement.
Une étude axée sur la question du jeu des influences En définitive, toutes ces démarches stratégiques
ou tablier des pouvoirs, nous a permis de classer les envers les combattants visant l’obtention d’un accord
acteurs directs (État, MFDC, facilitateurs) par rapport seront décisives, néanmoins elles se révèleront insuf-
à l’influence exercée et l’influence reçue. Cet outil fisantes pour modifier durablement la situation sur le
vient en complément à l’analyse faite plus haut et per- terrain. De nombreuses études montrent que la seule
met de déterminer l’option à considérer en fonction obtention d’un accord de paix ne suffit pas à résoudre
des résultats qui mettent en lumière, l’acteur qui revêt un conflit de manière définitive, cela doit s’inscrire
la fonction de locomotive du groupe. dans un temps long  13 Et les pléthores d’accords signés
L’exercice consiste à donner une note d’apprécia- entre des représentants du Sénégal et ceux du MDFC
tion sur la motricité (capacité à assurer le mouvement, confirment cette thèse.
à tirer soit vers le haut ou soit vers le bas) et par consé-
• Accords de Toubacouta le 20 mars 1991
quence la dépendance (relation de subordination de
entre Marcel Basséne du collectif des députés
solidarité ou de causalité) de tout un chacun dans le
originaires de la Casamance et le MFDC. Ces
groupe des acteurs. Le jeu consiste alors à examiner
accords servaient à préparer les accords de
si l’acteur A entraîne les variables ou les acteurs B, C,
Cacheu.
D, E… et quelle est l’intensité de cette relation. Autre-
• Accords de Cacheu (Guinée Bissau) le 31mai
ment dit, cela nous permet de déterminer son degré
1991 à Cacheu, tout d’abord, il faudrait signaler
d’influence ou de dépendance par rapport aux autres.
que les insuffisances de cet accord sont de plu-
La réponse à cette question nous aide à considérer les
sieurs ordres :
positions des uns et des autres afin de dégager une
• Le 26 décembre 1999, un accord de cessez-
solution basée sur les résultats obtenus.
le-feu à Banjul.
Les résultats obtenus nous ont démontré que l’ac-
• Le 24 mars 2001, le gouvernement et les
teur qui présente le plus fort taux ou indice de motri-
rebelles se rencontrent pour « finaliser » l’accord
cité s’avère être le MFDC. Cela peut se comprendre
de paix signé le 16 mars.
dans la mesure où nous sommes dans un conflit de
• Le 30 décembre 2004, un nouveau cessez-
basse intensité, donc de menace non permanente. Des
le-feu est signé entre le Ministre de l’Intérieur
Ousmane Ngom et Diamacoune Senghor
12. http://www.walf-groupe.com/rebellion-en-casa-
mance-lunification-du-maquis-un-handicap-a-la-paix-defi-
nitive/, consulté le 19/01/2020 13. (Rosoux, 2002, p. 251-255).
7
L’État et le MFDC doivent revoir leur posture de Ce constat remonte malheureusement depuis fort
départ et ouvrir un dialogue basé sur les intérêts et longtemps et entre dans le cadre d’une réforme du sec-
motivations. Ceci les poussera au rapprochement et teur de la sécurité au Sénégal, avec l’octroi d’arme-
leur permettra d’envisager une sortie de crise par la ment de dernière génération d’une part ; et d’autre part,
négociation. pour les forces de défenses et de la sécurité (FDS), il
Pour des accords inclusifs et applicables, la média- s’agit d’un renforcement via une formation continue
tion devra intégrer les populations, la société civile et des ressources humaines.
les pays voisins. La politique de l’État-sous le régime du Parti Socia-
L’État devra donc communiquer sur sa démarche, liste qui consistait à infiltrer le MFDC en employant
et doit publiquement encourager les assises inter-fac- des méthodes classiques, cooptations et coercitions,
tion sans y participer. Ceci enverra un signal fort à empêchant ainsi le « durcissement » et la hiérarchisa-
l’endroit des laissés-pour-compte qui y verront la tion du mouvement a fait ses preuves puisque sur le
marque de volonté affiché d’aller vers des solutions terrain on peut facilement constater le résultat.
pérennes. Nul ne sait si réellement le MFDC continue de
bénéficier d’un arsenal de guerre capable de rivaliser
L’AVENIR DU CONFLIT EN CASAMANCE avec les FDS sénégalaises et de constituer une sérieuse
menace.
LES FUTURES POSSIBLES
Ce qui reste sûr et officiel est que le MFDC demeure
Cet exercice peut s’avérer théorique mais se révèle profondément divisé, avec des ressources humaines,
assez précis pour explorer la réalité. Comme dans matérielles et financières à bout de souffle et un projet
toute recherche, cette exploration ne se déroule pas peu attractif pour la nouvelle génération portée par un
selon un plan d’actions donné et un scénario réglé à désire d’ouverture et moins sensible aux idéologies.
l’avance, mais il est plutôt le résultat incessant d’un L’objectif tacite de l’État du Sénégal fut d’abord
va-et-vient constant entre application de concepts de ne pas reconnaitre ce mouvement irrédentiste à sa
théoriques et discussions avec tous les représentants juste valeur mais ensuite à lui imposer une disparition
de tous les groupes d’acteurs en conflit et au conflit sur latente sans laisser de trace. Il faut dire que le mouve-
une période de quatre ans. ment n’a jamais réellement existé en tant que structure
la démarche s’appuie essentiellement sur une pyramidale organisée avec à sa tête un Chef civil, diri-
démarche prospective, qui passe par la collecte, le ras- geant une aile armée de combattants obéissants à un
semblement puis le croisement, de tendances multi- commandement unique, avec un projet politique clair
ples portant aussi bien sur les évolutions passées que bénéficiant d’une population acquise à sa cause.
sur ses hypothèses pour le futur. Avec cette stratégie d’usure, Il suffirait seulement
Nous avons été amenés à effectuer un travail préli- d’un isolement politico-économique et d’un étouffe-
minaire de recueil de données nécessaires auprès des ment efficace en délimitant son champ d’action dans
acteurs directs du conflit dans le cadre de rencontres et l’espace avec une forte pression législative en matière
d’échanges, puis nous les avons appliqué aux étapes- de lutte contre la déforestation et autre trafic illicite,
types de la prospective à savoir ; l’analyse des inter- ainsi qu’un redoublement d’une forte pression sécuri-
férences et jeu des influences, la délimitation d’un taire, afin d’assister dans la durée à un étouffement et
système, l’identification des variables clés, et enfin, un essoufflement du MFDC.
nous avons balayé le champ des possibles pour déga- Le président Nasser déclarait à cet effet en juin
ger des représentations partagées du futur. 1969 dans le cadre de la guerre d’usure israélo-arabe
Notons bien que le but d’un exercice prospectif de juillet 1967 - août 1970 « Je ne peux envahir le Sinaï
entend particulièrement annoncer la collision de l’ice- mais je peux casser le moral d’Israël par l’usure. »  14
berg, pour précisément l’éviter. que dans la stratégie de pourrissement, c’est la durée
dans l’agression qui compte.
Scénario I : Une Stratégie d’usure ou la loi du plus Cette stratégie vise à fatiguer l’adversaire dans la
fort durée, à le démoraliser par toute une série d’actions,
dont aucune n’est décisive.
Les décennies passées furent marquées par des
Nous ne pouvions entendre au début du conflit de la
annonces faisant état de la poursuite du programme de bouche d’un combattant ou d’un membre du MFDC,
réarmement et de renforcement de capacité des Force
de défenses et de sécurité du Sénégal impliquant un 14. https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d%27u-
renouvellement constant des ressources et matériel de sure_dans_le_conflit_isra%C3%A9lo-arabe consulté le
guerre. 20/02/2020
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une expression quelconque de fatigue ou de renonce- car la réussite d’une telle stratégie nécessite un isole-
ment des troupes. Or, aujourd’hui, bon nombre d’élé- ment total et un contrôle permanant de son sujet.
ments mettent en exergue ce caractère d’épuisement, En somme, ce premier scénario met en exergue le
de lassitude et ce besoin d’en finir une bonne fois. basculement du rapport de force en faveur de l’État au
Cette situation de fait est partagée de tous : « les détriment du mouvement des forces démocratique de
combattants sont fatigués » ainsi s’exprimait le car- la Casamance.
dinal Adrien Sarr, facilitateur mandaté de la Faction Dans le deuxième scénario, cette situation fera
de César Atoute Badiate. Plus le temps passe, plus le l’objet d’une tentative d’inversion, ainsi que d’une
maquis est fatigué. Ceci imprime-t-il un rapport de analyse des velléités qui pourront être engendrées
force en faveur de l’armée sénégalaise ? comme conséquences.
Ce basculement asymétrique des rapports va de
pair avec la mise en œuvre d’une politique de dévelop- Scénario II : Un éternel retour ou le chien qui se mord
pement discriminatoire à l’endroit de la Casamance. la queue ?
Politique de développement soutenu dans le cadre de La situation de l’armement des belligérants et plus
l’acte 3 de la décentralisation (un processus de renfor- particulièrement du MFDC, a toujours constitué un
cement de la décentralisation et de l’autonomisation élément déterminant dans les pics de violences obser-
des régions) qui sur son volet économique, fusionne vés dans les différentes phases qui ont traversés les
les plans de développement en pôles régionaux. conflits. Les relations entre le Sénégal, la Gambie et la
À ce sujet, la création du PPDC (Projet Pôle de Guinée Bissau sont très complexes, malgré la néces-
Développement de la Casamance) en est l’exemple le sité de collaboration, ces trois pays nourrissent une
plus concret comme pour prendre le taureau par les méfiance avérée.
cornes et éteindre le feu par le bas. Dans les années 80, le manque de collaboration des
Une politique de désenclavement de la région avec pays voisins du Sénégal a occasionné une circulation
la réalisation de nombreux ouvrages et facilitation dans accrue des armes en provenance de ces pays vers la
le domaine aérien maritime et terrestre dédiée à rallier Casamance avec la complicité plus ou moins directe
le Sud au Nord du pays apporte une réponse concrète à des autorités locales. La rébellion en Casamance est
l’une des préoccupations majeures des populations. En une ressource stratégique dans le jeu politico-mili-
cela, la réalisation du Pont de Farafegnie qui traverse taire de la Guinée-Bissau et de la Gambie. D’aucuns
la Gambie, la création d’une ligne aérienne fiable qui disent que le MFDC a eu à jouer, de près ou de loin, un
desserre la région et la finition de la route national 6 en rôle important sur l’échiquier politique, allant jusqu’à
sont des exemples probants/marquants garantir la sécurité d’un régime au pouvoir. La posi-
Au vu de tout cela, nous pouvons bel et bien affir- tion passive de la Guinée-Bissau ne traduit-elle pas la
mer que la stratégie du pourrissement 15 appliquée face cachée d’une position activement officieuse ? De
depuis le début du conflit s’appuie sur trois leviers : tout temps, les combattants du MFDC ont été utilisés
- Réarmement (Forces de défenses et de sécurités) par les acteurs politico-militaires de la Guinée-Bis-
accru et hardi dans l’optique de dissuader et mettre la sau dans le jeu du contrôle du pouvoir. On se rappelle
pression. encore l’apport déterminant des combattants pour la
- Développement et désenclavement de la région prise de pouvoir par la junte en 1999, bénéficiant de
Sud pour persuader les populations locales. l’armement sophistiqué en échange. Ces étapes sont
- Dialogue et accueil des combattants désireux de toujours marquées par une montée de la violence faite
déposer les armes dans des plans de DDR (Démobili- d’attaques entre les éléments du MFDC et ceux de
sation – Désarmement et Réintégration). l’armée sénégalaise.
Dissuasion, persuasion et recasement, voilà les Idem du côté de la Gambie, vers la fin de l’année
trois maîtres-mots de la stratégie de l’État sénégalais. 2010, l’affaire dite « des armes iraniennes » saisies au
Toute porte à croire, comme le démontre ce premier Nigeria à destination de la Gambie est venue relancer
scénario, que si aucun dialogue politique n’est engagé le débat de la position de ce pays vis-à-vis du MFDC.
par les parties au conflit, ces trois éléments seront tout Grosso-modo, ce scénario met justement l’accent
le temps de mise dans ce conflit qui s’éternise. sur une possibilité de réarmement du MFDC avec un
Cette hypothèse justifie la mise à l’écart des pays soutien à l’international par le biais des pays voisins.
voisins et de la sous-région dans le processus de paix
Un repositionnement fort des combattants mettrait
15. (Marut ; 2010 : Le conflit en Casamance, ce que disent ipso facto en scène l’aile politique et plus particulière-
les armes : page 170) ment ceux de la diaspora par l’impulsion d’un leader
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qui saisirait cette opportunité pour asseoir une légiti- un changement brutal de régime s’engagent à aider le
mité au sein du mouvement et de la population. Sénégal dans la résolution définitive du conflit selon les
Cette évidente mise en lumière, nous pousse à modalités de l’État du Sénégal. Modalités qui passent
affirmer avec force qu’il suffirait juste d’une mise par une bonne collaboration transfrontalière, un dur-
en échec de la politique de développement dans la cissement des contrôles aux frontières, une bonne
durée, d’un manque de soutien et de collaboration coopération sous_régionale SENE-GUINEE-GAM-
des autorités des pays voisins, d’un changement de BIENNE en matière de circulation d’arme légère,
commandement, d’une possibilité/ouverture vers un de trafic de bois et de chanvre, principales sources
de réarmement et une radicalisation du maquis pour de revenu du MFDC. Un commandement du maquis
que l’on assiste à une résurgence des périodes les plus qui ne peut plus assurer la subsistance de centaines
sombres du conflit. Il est vrai que les chances minimes de troupes, se retrouve dans une situation difficile à
de voir ce scénario se réaliser s’amenuisent, car bon gérer avec un sérieux problème d’approvisionnement
nombre de voyants sont au vert avec une accalmie cer- en nourriture notamment.
taine. Il suffit juste de constater les visites de mission Ce troisième scénario ressemble à quelques détails
diplomatique, accompagnée des autorités administra- près au premier, excepté que dans celui-ci, il n’y aura
tives sans escorte militaire pour nous renseigner sur aucun accord de paix de prévu, mais uniquement la
cette accalmie et la paix qui s’installe progressivement reddition des troupes combattantes du MFDC. Cette
dans la zone. situation sera d’autant plus normale aux yeux des
Mais l’instabilité politique qui règne dans les pays populations, qui de moins en moins affichent un sou-
voisins demeure un signal fort et peut être considérée tien à la rébellion. À défaut d’une stratégie de pour-
comme un élément déclencheur. Sans un réel projet
rissement, qui aboutirait par un énième accord, voilà
politique, sans une connexion avec des réseaux dés-
celle qui permettra au conflit de mourir d’une belle
tabilisateurs liés au trafic de drogue ou au terrorisme,
mort. Il n’y a pas meilleure option pour un État que
le mouvement pourra être contenu puisque livré à lui-
de résoudre un conflit sans signer d’engagement ni à
même, telle une proie blessée par un lion.
avoir à en supporter les coûts. Imaginons que l’État
L’ouverture au dialogue passera par la stabilité
sénégalais profite de cette situation pour booster l’éco-
politique des deux États voisins.
nomie de la région par d’énormes investissements en
L’implication ou non des pays voisins est un indi-
infrastructure, la réponse économique fera aussi son
cateur fort dans la stratégie du gouvernement sénéga-
effet.
lais. Cette condition obligera par moyen de pression à
L’armée sénégalaise maintient la pression en mul-
accélérer le processus de réconciliation entre les fac-
tipliant ses contrôles et mouvements de persuasions.
tions MFDC sous l’égide d’une médiation et les pous-
sera à venir à la table de négociation. Par ricochet, l’aile politique intérieure du MFDC
change d’approche et parle d’une approche politique
Scénario III : Une accalmie loin d’être paisible ? et non armée du conflit.
Au préalable notre exposé décrit un scénario avec
Scénario IV : l’harmatan ou la tempête du sahel
une situation de paix du fort imposée au faible, une
esquisse du deuxième schéma fait état de la possibi- Ceci dit un quatrième scénario ne pourra que
lité de résurgence des périodes sombres du conflit. découler des trois premiers. Tant que la stratégie du
Aux yeux des observateurs avisés, la stratégie pourrissement partielle ou complète sera en vigueur,
du Sénégal repose sur le fait que le MFDC, au fil le problème demeurera entier et le risque de vulnéra-
du temps, perd son caractère menaçant. Il ne repré- bilité et de déstabilisation restera constant. Cette partie
sente ni une menace pour la population, pour des expose les principaux risques ou faiblesses de la stra-
raisons démographiques, ni une menace pour l’inté- tégie du pourrissement.
rêt de l’État. Pire, il ne bénéficie d’aucun soutient Nous ne nous sommes jamais posé la question de
solide des institutions étrangères. C’est dire que la connaître l’impact de cette stratégie sur la population
vision qui sous-tend cette stratégie ressemble à une qui installe un risque de révolte latent pour les autori-
démarche de pourrissement pour que le MFDC se tés sénégalaises. Le refus de la domination ou soumis-
disloque progressivement. Plus l’État du Sénégal sion est-il un mythe ou la réalité ? La revendication
développe la région moins la population adhère aux indépendantiste a-t-elle des soubassements fondés ?
idéaux de base du mouvement. Cette région du Sénégal est-elle différente des autres,
Imaginons qu’avec cette situation l’État sénégalais d’où une nécessité de lui octroyer un statut spécial ou
trouve ses alliés au sein des pays frontaliers, qui avec bien opter pour donner davantage un contenu politique
10
à l’acte III de la décentralisation ? Existe-t-il dans le par le Programme des Nations Unies pour le Dévelop-
subconscient des Sénégalais un clivage Nord/Sud ? pement) montrent que le phénomène djihadiste est en
Les populations ont été les premières victimes de grande partie lié à la pauvreté. Si L’État sénégalais ne
ce conflit d’une part et de l’autre, si le MFDC existe traite pas la question en priorité comme l’annonçait
toujours c’est en grande partie grâce à une base, un déjà le candidat Macky Sall, les bandes frontalières
écosystème favorable et des ressources d’abord au Nord et au Sud de Ziguinchor peuvent bel et bien
humaines disponibles et qui partage peu ou prou ses faire l’objet de convoitise de groupes malintentionnés
idées. Autant de questions qui prouvent que le règle- et prêts à faire mal à la sous-région pour malheureuse-
ment classique du conflit pour aboutir à une paix défi- ment un bon bout de temps.
nitive reste la meilleure solution. En plus de prendre
en compte les revendications des parties en conflits, CONCLUSION
il passe par un dialogue social qui prendra en charge En définitive cette note démontre que la situation
toutes ses questions susmentionnées, pour faire place actuelle ne laisse présager aucun dénouement sur la
à une paix des cœurs et des consciences de manière base d’un processus inclusif, malgré la volonté affi-
définitive. Bon nombre d’observateurs déclarent que chée des deux parties. Il existe pléthore de blocages
le Sénégal ne peut clamer une victoire militaire car internes au processus à différents niveaux et jusque-là
n’a jamais pu défaire les combattants sur le théâtre des irrésolus. L’État du Sénégal et le MFDC doivent
opérations, en inversant les choses. Ainsi, on peut affir- négocier sur les intérêts et motivations et non sur des
mer avec force que la faiblesse de l’armée du Sénégal positions. Militer pour une réunification du MFDC,
réside dans la topographie de la région sud. Bien que comme point de fixation préalable à toute négociation,
cela puisse paraître hypothétique, tout mouvement de sans en dégager les contours/pourtours demeurent
déstabilisation qu’il soit djihadiste ou narcotrafiquant contre-productif. L’État du Sénégal négocie pour le
peut utiliser cette faille avec l’aide de la population, moment avec une seule faction (celle de Salif Sadio),
bien sûr pour poser des problèmes à l’armée sénéga- mais devra aussi être en mesure, avec l’appui de ses
laise comme l’a si bien fait le MFDC. partenaires, d’ouvrir un deuxième canal de dialogue
Les zones transfrontalières de la Sénégambie afin d’intégrer les factions laissées pour compte. Un
et plus particulièrement la zone Sud sont des zones accord incluant toutes les parties (au conflit et en
de « non-droit » Avec les conséquences de la guerre conflit) y compris les composantes de la population les
Libyenne et les incidents au Nord Mali, il y a un réel plus exposées serait salutaire dans ce cas. Néanmoins,
risque de circulation des armes ou mouvement djiha- le problème demeure entier car ces parties au conflit
diste qui pourrait transiter par la Mauritanie ou par et en conflit, de par leur inertie donne l’impression de
l’Est du Sénégal en direction de la Sénégambie pour s’accommoder de cette situation de ni paix ni guerre.
alimenter la rébellion casamançaise. De ce fait, le conflit est condamné à une mort natu-
Alek Ould Cheikh, un djihadiste mauritanien, relle et progressive, basculant un peu plus de la crise à
condamné à mort en 2011 et évadé de Nouakchott une situation conflictuelle vers une question purement
depuis le 31 décembre, a été arrêté en Guinée Conakry sécuritaire de droit commun.
après avoir franchi la frontière en provenance de Gui- À l’issue de cette note recherche prospective, la
née-Bissau, titrait la VOA à la une de son journal du lecture que nous pouvons proposer des dix prochaines
20 JANVIER 2016, pourquoi aller se réfugier en Gui- années du conflit en Casamance se précise à la lumière
née Bissau ?  16 du premier scénario précité. Cette suite s’envisagera
En 2015, Le procureur général de la Guinée Bissau, donc sans annonce spectaculaire, à moins d’une situa-
Antonio Sedja Man, faisait cette déclaration au cours tion de profonde rupture, qui plonge le Sénégal vers
d’un séminaire sur le terrorisme et le crime organisé de menaces plus sérieuses, favorisées directement ou
tenu à Bissau « Il existe « des soupçons de recrutement indirectement par ce terreau fertile du conflit casaman-
de jeunes Bissau-guinéens pour rejoindre les groupes çais.
terroristes ». 17 L’espoir demeure de mise car dans tout conflit
Il existe donc bel et bien un risque de contagion ou dispute, les parties sont généralement jugées
pour la sous-région. Des enquêtes menées récemment selon leurs capacités à finir les choses. Il est d’usage
même dans l’art classique de la guerre, d’envisager
16. https://www.voaafrique.com/a/un-djihadiste-maurita-
une nécessaire stratégie de sortie de crise d’après les
nien-evade-arrete-en-guinee-/3154436.html
17. https://news.sen360.sn/actualite/menace-djihadiste- manuels de stratégies.
les-peurs-du-procureur-general-de-guinee-bissau-456112. Justement ce conflit quarantenaire souffre énor-
html consulté le 23/02/2020 mément de cette inertie qui ne mène qu’à un éternel
11
recommencement. Ceci dit « une bonne prévision n’est Jean-Claude MARUT, Le conflit de Casamance,
pas celle qui se réalise mais plutôt celle qui conduit à Ce que disent les armes, Karthala, 2010.
l’action. » 18 Momar-Coumba Diop, Le Sénégal sous Wade,
Karthala, 2013.
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