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d'Extrême-Orient
Maspero Henri. Contribution à l'étude du système phonétique des langues thaï. In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-
Orient. Tome 11, 1911. pp. 153-169;
doi : https://doi.org/10.3406/befeo.1911.2678
https://www.persee.fr/doc/befeo_0336-1519_1911_num_11_1_2678
Par M. H. Maspero,
Pensionnaire de l'École française d'Extrême-Orient.
(*) On a discuté souvent sur l'orthographe à donner à ce mot, thai avec aspiration
ou lai sans aspiration. La question est pourtant très simple et ne méritait pas tant
d'efforts. Il s'agit d'un mot à ancienne sonore initiale, qui en siamois, laotien et tai noir,
s'écrit encore dai. Comme on le verra plus loin, les dialectes du Sud (siamois et laotien)
ont changé les anciennes sonores en sourdes aspirées, tandis que les dialectes du Nord
(shan, tai noir, tai blanc, thô, dioi) les transformaient en sourdes non aspirées. Il résulte
de là que l'ancien mot dai a abouti naturellement à t'ai en siamois et en laotien, et à
tai en shan et dans les dialectes tonkinois ; il ne me paraît pas exister en dioi.
Les deux formes thai (t'ai) et tai sont donc également correctes, et le choix entre les
deux implique seulement une préférence pour les dialectes septentrionaux ou les
dialectes méridionaux. — Dans cet article, j'emploie le mot thai pour désigner l'ensemble
des langues de ce groupe, et le mot tai quand il s'agit des tribus de ce nom (Tai noirs,
Tai blancs).
(2) A titre de renseignement, voici la liste sommaire des principaux ouvrages
employés :
io Langue siamoise. Pallegoix. Dictionarium linguce thai sive siamensis,
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La seule des langues thai dont le système phonétique ait fait l'objet d'une
étude approfondie est tout naturellement la langue siamoise, qui est la plus
anciennement connue et la plus importante du groupe. On sait que l'écriture
siamoise, qui fut créée de toutes pièces en 1284 de notre ère (4), comporte
quarante-trois consonnes, alors que la prononciation moderne ne compte que
vingt sons réellement différents. Si on laisse de côté la série des six cacumi-
nales avec los deux sifflantes palatale et cacuminale, qui ne s'emploient
régulièrement que dans les mots pâli, et hors cela, ne sont en siamois que des
variantes orthographiques élégantes des dentales et de la sifflante dentale
communément employées (2) ; si on rejette également les deux lettres n l et t
h créées il y a une cinquantaine d'années pour la transcription des mots
européens, il n'en subsiste pas moins une grande différence entre le nombre
des signes écrits et celui des sons prononcés. Fr. Mùller (3) a fait de cette
singularité d'écriture une étude courte, mais approfondie, qui malgré quelques
erreurs de détail (1) est certainement exacte dans son ensemble.
Il est cependant un problème important que Mùller n'a pas résolu. On sait
qu'il existe dans l'écriture siamoise trois caractères qu'il est malaisé de classer
exactement. Ce sont les lettres ai, fl, U, que l'on transcrit d'ordinaire d, d, b. Les
cacuminales n'étant en siamois que des variantes orthographiques des
dentales et n'ayant aucune valeur propre, il faut écarter de suite le premier
signe: ces trois lettres ne figurent que deux sons différents. Elles présentent
ceci de remarquable que, malgré leur prononciation qui les rapproche des
sonores, elles doivent être considérées comme des occlusives sourdes; en effet,
dans cette langue où le ton du mot est commandé dans une large mesure par le
fait que l'initiale est sourde, sourde aspirée, ou sonore, elles imposent aux mots
qui les ont pour initiale le même ton que les sourdes correspondantes (2).
considérables: en siamois, en laotien et dans les dialectes tonkinois, les tons sont marqués par
des signes placés sur ou sous la voyelle, tandis qu'en dioi et en shan, ils sont marqués
par des chiffres placés à la suite du mot. De plus les signes ou chiffres utilisés ne
servent pas à marquer les mêmes tons d'une langue à l'autre: pour le laotien, on a adopté
les signes de la transcription siamoise; pour les dialectes du Tonkin, on a préféré ceux
de la transcription annamite (quôc-ngiF) : il en résulte qu'un même signe, le point placé
sous la voyelle (a), sert dans le siamois et le laotien à indiquer le ton le plus élevé de
la série, tandis qu'en tai noir et en thô, il sert à noter le ton le plus bas. Les chiffres
employés en dioi et en shan ne concordent pas davantage.
II m'a paru nécessaire d'adopter un système unique. Rejetant la notation par signes
qui est toujours compliquée et d'ailleurs devient insuffisante dès que le nombre des tons
augmente, j'ai adopté la notation par chiffres. Les tons des langues thai répondent à
trois inflexions de la voix : égale, montante, descendante. Un quatrième ton est
caractérisé par une interruption brusque du souffle; il n'existe ni en siamois, ni en laotien,
mais est fréquent en dioi, en shan et dans les dialectes tonkinois ; d'après les définitions
qui en sont données, il parait analogue au nang annamite; je le désignerai du nom de
rompant. Ces, quatre tons peuvent se prononcer à deux hauteurs différentes; mais
le ton rompant supérieur n'a été encore rencontré dans aucun dialecte, et le ton égal
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a de plus une troisième forme, qui est intermédiaire entre le ton égal élevé et le
ton égal grave. Voici le tableau des concordances entre ma notation et la notation
habituelle.
SIAMOIS SHAN TAI NOIR TAI BLANC THÔ DIOI
Í supérieur a1 a a 4 ... á á ai
Egal. j moyen a a a 3 a a a al
\ inférieur ai à ai ... ... à ď2
..Montant. . . . (l supérieur «2 á a \ á ... a a4
( .inférieur
' . a.2 ... ... ... a, a, «4
^Descendant. {( supérieur a* ... ... â ... ... a?>
. ~, .
{ intérieur a.à a ... a a ал
nRompant. . . (< supérieur a4 ... ... ... ...
r . ' .
.
( inférieur пц ... a 5 a a a a5
Tous les tons sont donc affectés d'uu chiffre spécial, sauf le ton égal moyen qui n'en
porte aucun. Les tons du laotien sont pareils à ceux du siamois; il est du reste peu
utile de s'en occuper, car dans le dictionnaire de Cuaz où je les ai pris, ils sont assez
sujets à caution: voir ce que dit l'auteur lui-même dans l'introduction de son Lexique,
p. XII. En général, pour toutes les langues, la description des tons manque de
précision; et il est possible par suite que la place que je donne à quelques-uns dans ce
tableau soit inexacte. Le fait est de peu d'importance, puisque je ne traite jamais du
système tonique d'un dialecte déterminé, et qu'il s'agit toujours de séries de
correspondances qui restent exactes, quels que soient les noms donnés à chacun des tons.
Pour les mots shan, M. Cushing marque toujours à la suite des tons le degré
d'ouverture des lèvres ; il est nécessaire de le noter en effet quand les mots sont donnés dans
l'écriture originale, puisqu'il modifie la prononciation des signes écrits des voyelles ;
mais il était inutile de le faire ici, puisque, les mots étant donnés en transcription, la
voyelle employée est une indication suffisante. — Les mots ahom ne portent aucune
indication de ton ; les tons des mots de ce dialecte, aujourd'hui perdu, sont ignorés.
Cf. Grierson, Notes on Ahom, p. 8.
(*) Millier rejette le nom de palatales comme impropre, et désigne cette classe sous
le nom de dentales mouillées. Il est possible qu'actuellement la prononciation siamoise
ait véritablement abouti à la dentale. Mais il n'est pas douteux qu'originairement il
s'agissait d'une palatale. L'évolution paraît avoir été pareille à celle qu'a subie depuis
le XVIIe siècle le ch annamite ; celui-ci toutefois n'est pas encore devenu dental.
(2) Lautsystem der siamesischen Sprache, p. 75,
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(!) L'écriture des Tai noirs m'est connue par deux ouvrages : i° le Hwng-hoa dia
dit chl Ш Vu Ша Щ; fïfe> description de la province de Htrng-hoa composée dans les
premières années de la période ttr-âurc. Ce livre contient un vocabulaire assez étendu,
mais peu utilisable, étant donnée la difficulté que présente toujours la transcription
des mots étrangers en caractères chinois, et des spécimens d'écriture. — 2° l'Etude
de la langue tai du commandant Diguet. Le fait que l'auteur s'est donné la peine de
reproduire les mots tai dans l'écriture indigène, à côté de la transcription qui figure
la prononciation actuelle, donne une valeur particulière à cet ouvrage. Cette écriture,
d'origine birmane, mais évidemment introduite par l'intermédiaire de l'écriture
laotienne, et qui doit par conséquent remonter aux environs du XVIrt et du XVIIe siècles,
comporte deux séries complètes de consonnes, les unes hautes, les autres basses ; les
aspirées elles-mêmes sont ainsi divisées, mais dans ce cas, la consonne basse,
introduite dans l'alphabet par symétrie, est inusitée dans la pratique et ne se rencontre que
dans quelques mots étrangers. Or la série haute comporte un & et un ? qui
correspondent au b et au d des autres langues thai, tandis que le 6 et Je / de la série basse
correspondent à w et à /. Toutefois le / de la série haute (que je transcrirai ici /)
répond aussi parfois au hl du siamois et du laotien. La préfixation d'un h à l'initiale
pour en modifier le ton est d'ailleurs un procédé connu de cette écriture, car la série
haute des nasales est formée de cette façon.
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exemple), ils sont représentés d'une façon toute différente à la fois de celle des
sonores et de celle des sourdes (').
Le tableau suivant montrera nettement la régularité de ce phénomène.
(I) Si on classe les dialectes thai a ce point de vue, ils ne divisent en trois groupes:
I-a/Transformation des sonores en sourdes aspirées. Í Siam.
b/Conservation du d et du h- ( Laos.
f Tonkin : (Tai noirs,
II-a/Transformation des sonores en sourdes non aspirées. 1 Tai blancs, Thô).
b/Conservation du d et t. j Chine : Dioi.
[ Assam : Ahom.
III-a/Transformation des sonores en sourdes non aspirées. $ Birmanie: Shan.
b/Transformation du ď et Ь en m et l (n). ( Khamti.
Cette division répond, dans l'ensemble, à la répartition géographique ; toutefois il
faut remarquer la position singulière du dialecte ahom, qui, bien que situé à l'extrème-
Ouest du domaine linguistique des langues thai, et côte à côte avec les langues du <
3e groupe (Khamti), appartient néanmoins, à ce point de vue, au 2e groupe, celui des
langues du Nord-Est. D'autre part le tai noir occupe une place intermédiaire entre
le groupe shan et le groupe tonkinois, car il a conservé intact le b comme celui-ci,
mais transformé au moins partiellement le d en / comme celui-là.
Ce classement me paraît préférable à celui qui répartit les dialectes suivant la
manière dont ils ont traité les liquides initiales précédées d'un préfixe asyllabique. La
chute delà liquide est un phénomène général commun à tous les dialectes: le siamois,
bien qu'il en ait moins ressenti les effets que les autres, Га pourtant subi aussi, et sa
comparaison avec l'ahom, qui a gardé un aspect archaïque, donne des résultats intéressants".
AHOM SIAMOIS
Rayon de miel p -run bien-, (abeille)
Être gelé k'-run k'eň.2
Cheveu p'-rum p'ôm
Revenant, démon p'-ri p'i
Boire k-lin kïn
Dent k'-riu k'iau.^
Buffle k'-rai gwai (k'wai)
Oeuf k'-rai k'ait
Toutefois le siamois a généralement conservé ces liquides, ainsi que l'ahom, tandis que
le laotien, qui les écrit encore, ne les prononce plus; les dialectes du Tonkin et de la
Chine les ont également perdues. Les dialectes thai, à ce point de vue, se partagent
aussi en trois groupes, mais ces groupes sont constitués de façon différente:
I — Conservation de la liquide précédée d'un préfixe. s
II — Chute de la liquide, qui est remplacée par un i ou un è \ Dialectes tonkinois,
formant diphthongue avec la voyelle du mot. ( Dioi.
III — Chute pure et simple de la liquide. \ Shan.
Laotien.
On voit que ce classement a le grave défaut de séparer complètement le laotien du
siamois pour le rapprocher du shan. Or le laotien, que Ton a parfois traité, à tort je
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Ь (Siamois U)
Siamois Laotien Ahom S HAN Tai noir Tai blanc Thô Dioi
Ъа- ba1 ba'
Epaule bai bai mat ba-s
Feuille bai bai bail тао'ъ boo" bffW baw bao-
Village batii ban-j, ban mân barií ba tio Ьащ Ьащ
Mince baň ban mafia taň baň bah ban
Quelques bani bah m a fi bau'
Ьапз
Léger bâo bâo maui bad bao
bol
{boi bo bu hoi
Ne... pas
l bau mau\ дао bao
ho' bo' Ьо{
Source, mine boi boi mawi
Lotus bu a bua tïlOi bita
Aveugle bodi bot i mawt\ bo ř boř boř
В (Siamois
P (Siamois il)
crois, de dialecte du siamois, en est extrêmement proche, tant par le vocabulaire que
par le système phonétique. Il semble bien que siamois et laotien soient les deux dérivés
modernes d'un dialecte unique, parlé par les tribus qui, vers le XIIIe et le XIVe siècles,
s'emparèrent les unes de la plaine du Mé-nam, les autres de celle du Mé-không, et
différencié à une époque relativement récente. Un phénomène qui sépare des dialectes
aussi étroitement apparentés sur tous les autres points ne peut être adopté comme base
de classement. Au reste, des comparaisons minutieuses entre les vocabulaires des langues
thai permettront seules d'établir un classement définitif.
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Siamois
pak1 рак1 pa1
Bouche paki paki pak
Tourner pan1 pân pan1
pâni pins pâni pin
Partager pân pân pan pân pân pân pan'
àRainette
- \ \A 1 11 vliv tâ-paU pat1
pah
ращ paô' pou1
Souffler pâo\ pao pol
Gâteau, pain pens pân peih peih piň
Poisson pla pla (pa) pla pa* pa pèa pia pia
pïk pit (Pí) pïk, pïk1
Aile pi ki piki
В (Siamois ç\)
D (Siamois VI)
Ventre doň (ťoň) doň (ťoň) toň taw ň doňs (toň) toňi toň/, tons
Endroit di3 (ťl) ti ti ti tU ti
taň1 daňA
di (ti)
Route (ťqň) taň taňs tans
daň (ťaň)
daň1 (ťqň) daň1
daň (ťaň)
taň taň1 de ň3 (taň) taň
Tout (ten) tans
ta1 tâih
Perdrix kâda(kât a )da (ťa)
Cendre dâos (ťao) dao3 (ťao) .... >••■ dao (taô) tous taôo tau
Plier en deux dbb\ (ťob) dobi (ťob) .... tup, tap* topa, tap
T (Siamois fi)
ta ta*
Œil ta ta ta2 ta (ťa) ta
Ramper tâi{ tail tâÛ
Sous tah .... tail taii tao-i to-u*i too- * ....
Mourir tai tai tai tak tai (t'ai) (ťai) ta i
Broyer tam ta m tâm tâm
fík1 tâk* ta к1 tâk1 tak1
Puiser tâk\ ta ki ....
Etablir táni taň3 tan taň ta ni .... ....
Plein těm těm tim tïrriî têm têm těm ....
tin'
Pied tin tin tin tînt tin tin tin
Numérale des
animaux tua to tu to tu tu tUO*\
Ces correspondances régulières dans toutes les langues de la famille (') me
paraissent prouver suffisamment qu'il s'agit là de sons anciens tout à fait
différents du d et du b sonores. Mais on vient de voir que le shan les représente
toujours par / et m : on pourrait supposer que cette langue a conservé ici la
forme ancienne, et que le â et le Ь des autres langues thai dérivent l'un d'un
ancien / et l'autre d'un ancien m. L'examen du système des correspondances de
tons entre les langues thai montre qu'il n'en est rien. Mais avant d'en donner la
démonstration, il est nécessaire d'exposer ce que sont ces correspondances.
Les systèmes de tons des divers dialectes thai, bien qu'ils soient semblables
dans leurs grandes lignes, présentent de nombreuses différences de détail. Celui
du dioi, qui est très développé, compte huit tons (2) ; le tai noir en a six ; les
autres langues ont cinq tons, mais ces tons ne sont pas les mêmes partout : le
siamois et le laotien n'ont pas le ton rompant ; de leur côté le shan et le thô n'ont
pas de ton descendant.
Ces divergences montrent qu'à une certaine époque le système des tons a
subi dans chaque langage une série de perturbations. La perte de trois des huit
tons dans presque tous les dialectes a amené un remaniement général semblable
à celui qu'ont subi dans des circonstances analogues les dialectes chinois
septentrionaux : à mesure que certains tons disparaissaient, les mots qui en étaient
affectés se répartissaient entre un ou plusieurs autres tons. Les détails de cette
évolution n'ayant pas été identiques dans tous les dialectes, il en résulte qu'un
1on ancien du thai commun est représenté aujourd'hui par des tons différents
dans chaque langage, ou (ce qui revient au même, mais a l'avantage d'être
directement saisissable) qu'un mot affecté d'un ton quelconque dans une langue
thai, porte, dans les autres langues thai, un ton pareil ou différent, qui est
strictement déterminé, pour chacune de ces langues, par les conditions mêmes de
son évolution ; la correspondance des tons est aussi régulière que celle des autres
-éléments phonétiques.
Si on institue une comparaison des tons dans les langues thai, on constate
de suite qu'à un ton particulier d'une langue donnée correspondent, dans les
autres langues, des tons différents suivant que la consonne initiale du mot est
(l) Autant qu'on peut le reconnaître, elles s'observent aussi dans les dialectes de
Hai-nan. Je relève dans Madrolle, loc. cit., p. 10, les deux mots suivants, qui
appartiennent à celui des Sai du centre de l'île:
Sai Siamois Dioi
Etoile. dao dao dao
Terre. den dïn din
Ces deux mots étant uniques, il est difficile d'en tirer une conclusion sûre.
(2) En distinguant le ton montant supérieur et le ton montant inférieur, dont les
PP. Esquirol et Williatte reconnaissent l'existence séparée, mais qu'ils confondent,
dans leur notation, pour des raisons pratiques. Cf. Dictionnaire dioi-français, Notions
de Grammaire, p. IX.
B. E. F. E.-O. T. XI. — 11
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Ce tableau naturellement ne vaut que pour les mots terminés par une voyelle
ou par une nasale ('). Les mots à occlusive finale forment dans les langues thai,
comme dans les dialectes chinois, une catégorie à part au point de vue des tons.
Ils ne sont pas, il est vrai, différenciés au point de former un groupe ayant un
ton spécial. Ils ont néanmoins une caractéristique qui les distingue des autres
mots : le petit nombre de tons différents qu'ils peuvent prendre. Dans tous les
dialectes sauf le shan, si leur initiale est haute ou moyenne, ils ne peuvent avoir
qu'un seul ton ; il en est de même avec une initiale de la série basse, dans le
groupe des dialectes du Nord-Ouest (dioi, tai noir, tai blanc, thô) ; mais dans
ce cas les dialectes du Sud (siamois et laotien) distinguent deux tons suivant
que la voyelle est longue ou brève (1). En shan la différence entre les mots à
occlusive finale et les mots à voyelle ou à nasale finale est moins tranchée :
le seul ton où on ne puisse jamais les rencontrer est le ton montant ; mais aux
quatre autres tons, égal supérieur, égal moyen, égal inférieur et rompant (il
n'y a pas en shan de ton descendant), ils sont également nombreux.
vibration durant une implosion qui n'est jamais suivie d'explosion, ne ferme pas la
syllabe. Il est curieux qu'on ait reconnu le fait pour les semi-voyelles w ou y, et non
pour les nasales; mais il est certain que dans le siamois âaw (transcr. dao) ou le shan
law (transcr. lau), « étoile », et dans le siamois gam (k'âm) ou le shan k'âm, « or »,
les éléments w et m jouent exactement le même rôle. La répartition en deux catégories
toniques des mots des langues thai (mots terminés par une voyelle ou une nasale d'une
part, mots terminés par une occlusive sourde de l'autre) serait donc imputable, en
définitive, au fait que la syllabe est ouverte dans le premier cas, et fermée dans le
second.
(l) Ce cas est remarquable, car il est le seul, à ma connaissance, où la quantité de la
voyelle et le ton soient ainsi en concordance régulière. En général, dans les dialectes
thai, aussi bien que dans les dialectes chinois et qu'en annamite, la quantité de la voyelle
et le ton du mot sont choses absolument distinctes qui n'exercent aucune influence
l'une sur l'autre. Mais il n'est pas sûr que ce cas particulier déroge véritablement à la
règle ordinaire. Les dialectes du Nord-Ouest (Chine et Tonkin) confondent les deux
tons. D'autre part, le shan est d'accord avec le siamois pour distinguer deux tons ;
mais bien qu'il y ait concordance à ce point de vue entre les deux dialectes, la quantité
de la voyelle n'a en shan aucune importance: on trouve des mots à voyelle longue et
des mots à voyelle brève dans les deux tons. La comparaison avec les dialectes du
Tonkin et du Sud de la Chine permettrait seule de déterminer la quantité de la voyelle
en thai commun. Malheureusement la quantité est insuffisamment notée dans presque
tous les dialectes autres que le siamois. Du moins peut-on constater une grande variété
entre les diverses langues: si le mot qui signifie « dérober» (siamois râk) a bien la voyelle
brève dans tous les dialectes, le mot «ongle» (siamois lëb, shan rïpk) et le mot «oiseau»
(siamois nok, shan nok) ont la voyelle longue en tai noir {lëp, nok)', et le mot «racine»,
qui a la voyelle longue en siamois (rak), en tai noir, en tai blanc et en dioi, l'a brève
en shan (hâk). A mon avis, la différence de la quantité de la voyelle dérive en siamois
d'une évolution de la voyelle distincte de celle du ton, et spéciale au siamois et au
laotien, puisqu'en shan, où il y a également deux tons correspondant exactement à ceux
du siamois, aussi bien que dans les dialectes de la Chine et du Tonkin, où les deux
tons sont confondus en un, la quantité de la voyelle diffère souvent de celle qu'on
trouve en siamois et laotien.
- 165 -
sonores correspondantes ; les traitements différents que subissent ces trois sortes
d'occlusives dans les diverses langues les distinguent nettement les unes des
autres. Quant à la valeur exacte de ces deux consonnes spéciales, des
expériences précises, qu'il est impossible de faire à Hanoi, permettraient seules de
s'en assurer. Etant données leurs caractéristiques, j'inclinerais à y voir des
■douces non sonores : cette hypothèse expliquerait à la fois leur prononciation
et leur influence sur le ton.
Quoi qu'il en soit de cette hypothèse, il reste établi qu'il a existé en thai
commun, avant la séparation des langues modernes, en dehors des aspirées,
trois sortes d'occlusives dentales et labiales, la première sonore, la seconde
sourde et la troisième intermédiaire entre la sourde et la sonore, mais rentrant, en
ce qui concerne l'influence exercée sur le ton, dans la catégorie des sourdes.
La disparition des anciennes sonores a considératjfement modifié ce système.
Dans la prononciation actuelle, les dialectes méridionaux (siamois et laotien) et
orientaux (tai noir, tai blanc, thô et dioi), ont encore conservé la distinction des
sourdes et des demi-sourdes. Dans les dialectes occidentaux (shan, khamti (*),
etc.) cette dernière distinction elle-même s'est effacée par la perte complète
des demi-sourdes. Le système ne s'est conservé complet que dans les écritures
siamoise, laotienne et des Tai noirs, grâce à la tradition orthographique. Dans
toutes les autres langues thai, le ton seul en a gardé quelques traces.
APPENDICE.
Les exemples suivants permettent de se rendre compte du système des
concordances des tons.
i° Mots terminés par une voyelle ou par une nasale.
Siamois Shan Tai noir Tai blanc Thô Dioi
Consonnes hautes.
Fendre p'ay p'a{ fa- fa1 p'a{ pal
Charbon ťani ťan\ ťarí2 ťan1 ťaiV tan1
Oeuf k'âii k3ai[ k'âi1 kia'O
Croiser k'ivaii k'wâi1
(i)On trouvera dans le même volume du Linguistic Survey of India (Mon-khmer and
Siamese-chinese family) des vocabulaires d'un groupe de dialectes thai parlés en Assam
et apparentés de très près au shan ; le khamti est le plus important et le mieux connu de
ces dialectes (grâce à la grammaire de Needham (Outline grammar of the tai (khâmtt)
language as spoken by the Khâmtts residing in the Neighbourhood of Sadiya, with
illustrative Sentences, Phrase-book and Vocabulary, Rangoon, 1893). Je n'ai utilisé
aucun d'eux dans ce travail parce que, pour aucun d'eux, les tons ne sont notés, et aussi
à cause de leur extrême ressemblance avec le shan. Voir la liste comparative des mots
de ces dialectes dans le Linguistic Survey of India, loc. cit. p. 214 et suiv.
- 167 —
.
Nous râo гомз, lo Из Qaui
Nid raň haň1 han* laň i raň i eorti
Besace dah (t'ai) ..... tek tai
Enclume dans (t'àn) taň (taň-s)
Morceau dons (t'en) (ton') ton ton
Père 603 (p'o) pâw bo (po) po роч po
Nuit gam-è (k'àm) k'âm gâm (kâm) k'âm kâm% ham
Arqué gums (k'ùm) kom
Engourdi mwaii (mwài) mwcri mai
Vêtir гшггз (nuň) мй à nuň
Lancer gwaňz(k>ivaň) kaň» kweňv
Prix ga% (k'à) ka 2a'è ка
Dette ni-з (ni) ni no-3 nk nk (nř)
On remarquera les affinités toniques des consonnes hautes et des consonnes
moyennes. En réalité il n'y a pas là deux systèmes différents de correspondance,
comme entre les moyennes et les basses. Les sourdes et les sourdes aspirées
ont les deux tons inférieurs de leur groupe identiques dans tous les dialectes.
Seul le ton supérieur diffère également dans tous les dialectes. Il faut noter
aussi que la série correspondant au ton descendant siamois est toujours la
même, quelle que soit l'initiale, en shan et en thô.
Des correspondances irrégulières comme les suivantes s'expliquent par
l'adjonction d'un préfixe sourd ou aspiré :
Siamois Shan Tai noir Tai blanc Thô D101
Vin Ш03 la и loû% loui lâôz laiř
Arbalète nas .... hna^ пач na% nwt
2° Mots à occlusive finale (!).
Siamois Shan Tai noir Tai blanc Thô Dioi
Consonnes hautes et moyennes.
S'épanouir mawki bêôk1
Cru âib\ lïp1 âip^ dip1 eip1
lip
Légume p'âki fâk pêâk{ p'iâh piak1
0) Pour la chute de l'occlusive gutturale finale en dioi après une voyelle longue,
voir Huber, BEFEO, IX (1909), 396. Un cas analogue se produit également en tai noir,
où le к final tombe régulièrement lorsque la voyelle est longue. Dans aucun des deux
dialectes le ton ne subit de modification par ce fait.
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Consonnes basses.