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La Princesse de Clèves, Madame de La Fayette
Introduction :
Pour commencer, Mme de la Fayette s’attache dans cette première partie de l’extrait à décrire le
physique exceptionnel de Mlle de Chartres. De ce fait, dès la première phrase, on relève le champ
lexical de la vue avec les termes « parut » et « yeux » renvoyant bien aux mœurs de la Cour, où les
apparences sont d’une très grande importance. Mais surtout cette beauté est qualifiée de parfaite dans
une société où les individus sont déjà eux même d’une profonde qualité. Or l’arrivée de Mlle de
Chartres est un véritable évènement à la Cour, pourtant accoutumé à rencontrer des personnages
d’exceptions, comme le souligne l’emploi de l’adjectif superlatif épithète « parfaite » qui confirme le
caractère presque irréel de cette personne. Ainsi, par l’emploi du passé simple renforcé par l’adverbe
« alors », on comprend que cette entrée en scène est théâtralisée. De plus, il est important de noter que
la description de Mlle de Chartres n’est pas précise. Effectivement, elle est uniquement désignée par le
biais d’une métonymie sur sa beauté. A la fin de l’extrait, le narrateur vient apporter quelques
caractéristiques comme la « blancheur de son teint », « ses cheveux blonds » ainsi que « ses traits
réguliers » (lignes 25-26). Malgré ce flou autour de son physique, Mlle de Chartres nous apparaît
d’ores et déjà comme une femme extraordinaire, une vraie héroïne de roman. Pour résumé, l’auteur
introduit son personnage par le regard. Elle nous offre un portrait qui passe par la vision admirative
des personnages de la Cour pourtant habituée aux belles personnes.
Dans cette partie de l’extrait, nous découvrons l’exceptionnelle méthode d’éducation utilisée par Mme
de Chartres consistant à rendre la vertu aimable. Enseigner ce qui est bien et mal est le fait d’une
instruction normale. Néanmoins ne pas imposer ces valeurs sous une forme coercitive en cherchant
notamment à développer une liberté d’esprit, ne pas présenter la vertu comme une obligation, pour en
faire un penchant naturel chez sa fille. Tout cela sort du champ ordinaire des préoccupations courantes
en matière d’éducation et en particulier pour l’éducation des filles. Cette idée est renforcée par la
gradation des termes « esprit », « beauté », « vertu » et « rendre aimable ». Ainsi, cela permet de faire
de Mme de Chartres une vraie pédagogue.
La suite du récit développe cette idée qui tient à cœur à Mme de la Fayette. La phrase met en valeur
l’opposition entre les façons de faire habituelle avec le premier sujet « la plupart des mères » et la
singularité des propos de « Madame de Chartres » sujet au singulier. Madame de Chartres prend le
contrepied des mœurs de l’époque en témoigne l’utilisation du présent gnomique « s’imaginent »
(ligne 9) qui généralise le propos, en éludant les questions délicates, réel acte pédagogique comme le
souligne l’adverbe « souvent » (ligne 11) qui montre non seulement qu’il faut parler mais aussi
répéter. On peut décrire Madame de Chartres comme très honnête et très psychologue car elle ne
cherche pas à masquer la réalité à sa fille, elle ne passe pas sous silence les charmes de l’amour
agréable par exemple. Ainsi elle établit une relation de confiance avec sa fille en faisant appel à sa
capacité de réflexion, de discernement et à sa raison. On voit ici l’importance de la parole dans cette
formation avec notamment des verbes à l’imparfait de l’itératif démontre que la pédagogie nécessite la
répétition. La phrase se poursuit très claire dans sa construction, avec l’énumération des mots qui sont
les conséquences de l’amour hors mariage tel que « tromperies » ou « malheurs domestiques » (lignes
13-14). Et ces mots énumérés sont selon l’auteur imputable aux hommes « des hommes ». De ce fait,
Madame de La Fayette brosse au tableau assez désespérant du vice des tourments, des agitations, des
malheurs entrainés par ses amours hors mariage. D’un autre côté, cette thématique du tourment
s’oppose avec celle de la quiétude dans les lignes suivantes. En effet il y est question « d’éclats et
d’élévation » dont on remarque un rythme binaire sous forme de gradation. Ainsi Madame de Chartres
propose à sa fille un idéal moral supérieur, de gloire, sublime en accord avec son rang social et c’est ce
que lui a offert la nature.
Différentes expressions laissent présager un destin hors du commun. A son arrivée par exemple, le
vidame est surpris de « la grande beauté de mademoiselle de Chartres » (ligne 24). Mme de Chartres,
sa mère, consciente des qualités exceptionnelles de sa fille, ambitionne un mariage tout aussi
exceptionnel comme le suggère l'expression « elle ne trouvait presque rien digne de sa fille » (ligne
22). Tout cela suggère que Mlle de Chartres est appelée à une union prestigieuse. Le mariage est en
effet évoqué directement ou indirectement à plusieurs reprises dans ce portrait. De fait, le titre du
roman annonce qu'elle deviendra « princesse de Clèves », titre de très haut rang dans l'aristocratie.
Cependant ce portrait de Mlle de Chartres fait apparaître son tout jeune âge : elle est d'une « extrême
jeunesse » (ligne 21). Sa présentation à la cour se décide dans sa « seizième année » (ligne 23).
Malgré l'excellente éducation que lui a donnée Mme de Chartres, elle n'a pas d'expérience de la vie
mondaine, pas plus qu'elle n'a d'expérience des tentations de l'amour. Elle dégage ainsi une forme
d'innocence et de fragilité liée à sa méconnaissance concrète de la cour et des passions qui s'y jouent
car elle n'en a eu qu'une approche théorique par le biais de sa mère, ce qui ne saurait suffire à la
protéger. Mlle de Chartres sort ainsi d'un cadre protecteur pour être plongée dans les méandres des
intrigues de cour.
Mlle de Chartres est donc promise à une union prestigieuse mais malgré ses qualités exceptionnelles,
elle reste jeune et inexpérimentée de la vie mondaine. Les exigences de l'amour conjugal que sa mère
oppose à l'amour-passion suggèrent qu'elle sera tenaillée, déchirée entre son sens indéfectible de
l'honneur et l'amour impossible qu'elle éprouvera pour le duc de Nemours tel un dilemme dans la
tragédie.
Conclusion : Ce portrait de Mlle de Chartres laisse présager un destin exceptionnel car il la
présente comme l'incarnation de la perfection par sa « beauté parfaite », son appartenance à la haute
noblesse reflétant sa noblesse de cœur, sa pureté et sa vertu qui lui viennent de l'éducation
irréprochable qu'elle a reçue de sa mère. Sa mère, Mme de Chartres, a donné toute son énergie et sa
sagesse pour la préparer à la vie de cour et l'inculquer les valeurs de l'« honnête femme ». Elle est donc
appelée à un mariage d'exception. Cependant, son jeune âge, sa fragilité, son manque d'expérience à la
vie mondaine et les exigences de l'amour conjugal opposé à l'amour-passion par sa mère annoncent
plutôt un destin tragique à l'héroïne.
Ouverture possible : Ainsi le choix de la vertu paraît motivé par le souci de sa réputation et de sa
gloire. Mme de Lafayette semble illustrer ici ce que La Rochefoucauld écrit tout au début de
ses Maximes (1664):
« Nos vertus ne sont, le plus souvent, que des vices déguisés »
Maxime 1 : Ce que nous prenons pour des vertus n’est souvent qu’un assemblage de diverses actions et de divers
intérêts, que la fortune ou notre industrie savent arranger ; et ce n’est pas toujours par valeur et par chasteté que
les hommes sont vaillants, et que les femmes sont chastes.