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Les relations entre les distributeurs et les consommateurs sont pour une large part
soumises aux règles particulières du Droit de la consommation, codifié par la loi n°93-
949 du 26 juillet 1993, dont l’influence est incontestable.
On signalera dans les développements qui suivent quelques dispositions parmi les plus
marquantes.
Egalement interdite, la vente « à prix abusivement bas » mérite une attention
particulière dans la mesure où elle constitue, au même titre que certaines ententes et
abus de domination, une pratique anticoncurrentielle illicite (V. supra) avec, en outre, la
particularité de ne pouvoir bénéficier d’un rachat (V. infra). La prohibition des offres ou
pratiques de prix de vente abusivement bas (dits « prix prédateurs ») a été introduite
dans l’ordonnance de 1986 (Or. 1986, art. 10-1) par la loi Galland du 1 er juillet 1996 et
est aujourd’hui édictée par l’article L. 420-5 du Code de commerce. La condamnation
autonome de cette pratique et non plus, comme dans le passé, au titre des ententes ou
abus de position dominante, est destinée à prévenir les tentatives d’élimination de
concurrents par des prix de vente très inférieurs aux prix de revient. Complément de
l’interdiction de la revente à perte (V. supra), la prohibition ne s’applique pas aux
produits revendus en l’état, excepté les enregistrements sonores sur supports
matériels (C. com., art. L. 420-5 al. 4). La pratique n’est condamnable qu’après réunion
de plusieurs conditions : - devra être démontré le caractère anormalement bas du prix
du produit : le prix de vente devra donc être anormalement bas au regard des coûts de
production, de transformation et de commercialisation, ces derniers comportant
impérativement tous les frais résultant des obligations légales et réglementaires liées à
la sécurité des produits ; - l’offre ou la vente devra avoir été réalisée auprès d’un
consommateur, c’est à dire « toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent
pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou
agricole » (C. conso, art. Liminaire); - la pratique devra avoir pour objet ou effet
d’éliminer d’un marché ou d’empêcher son accès à une entreprise ou l’un de ses
produits. Le marché pertinent devra, donc, au préalable être déterminé (V. supra) ; - en
dernier lieu, le lien de causalité entre cette élimination et le recours à des prix
anormalement bas devra être établi. Outre des mesures conservatoires (V. C. Com.,
art. L. 464-1), l’Autorité de la concurrence pourra prononcer contre les auteurs d’offres
ou de ventes à prix abusivement bas les sanctions pécuniaires prévues pour les
pratiques anticoncurrentielles (V. supra). Cependant, aucune sanction pénale ne
pourra être prononcée à l’encontre de la personne physique poursuivie (V. C. Com.,
art. L. 420-6).
A la différence des rapports entre professionnels (V. Module 3, NC 2), le refus de vente
ou de prestation de service opposé par un professionnel à un consommateur demeure
condamnable. Initialement prévue par l’ordonnance du 1er décembre 1986, la
prohibition était reprise depuis 1993 par l’article L. 122-1 du Code de la consommation,
et depuis 2016 par l’article L. 121-11. Sauf motif légitime (indisponibilité du produit ;
mauvaise foi du demandeur ; comportement injurieux du demandeur), le refus expose
son auteur aux peines d’amende prévues pour les contraventions de la 5e classe (C.
consom., art. R. 132-1 : 1500 euros pour une personne physique, 7500 euros pour une
personne morale), et, au plan civil, à réparer le préjudice causé.
Une liste indicative de clauses pouvant (pouvant seulement) être regardées comme
abusives si elles satisfont les conditions de l’article L. 212-1 a par ailleurs été édictée
par l’article R. 212-2 du Code de la consommation.
Le pouvoir d’intervention du juge n’est cependant pas limité à la liste des clauses
déclarées abusives et interdites et s’exerce par conséquent sur des clauses qui, bien
que non visées par le Code, peuvent être qualifiées d’abusives au sens de l’article L.
212-1 du Code de la consommation.
Ainsi :
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Dijon, 26 juin 2018), que, par contrat du 23 septembre
2013, la société civile immobilière Pela (la SCI) a confié à M. B..., architecte, la
maîtrise d'oeuvre complète de la construction d'un bâtiment à usage professionnel, le
contrat prévoyant que, même en cas d'abandon du projet, pour quelque raison que ce
soit, les honoraires seraient dus et réglés en totalité au maître d'oeuvre ; que, la SCI Pela
ayant abandonné son projet, M. B... l'a assignée en paiement d'une somme
correspondant à l'intégralité des honoraires prévus au contrat ;
Attendu que M. B... fait grief à l'arrêt de déclarer abusive la clause insérée dans le
contrat de maîtrise d'oeuvre, d'en prononcer la nullité, de rejeter sa demande en
paiement formée sur le fondement de cette clause et de limiter le montant de ses
honoraires, alors, selon le moyen :
1°/ qu'est un professionnel toute personne morale qui agit à des fins professionnelles ;
qu'en retenant que la SCI Pela n'avait pas conclu le contrat de maitrise d'oeuvre en
qualité de professionnelle, cependant qu'elle constatait elle-même que la SCI Pela «
a[vait] pour objet social l'investissement et la gestion immobiliers, notamment la mise
en location d'immeubles dont elle a fait l'acquisition », de sorte que la construction du
bâtiment, en vue de laquelle était conclu le contrat de maîtrise d'oeuvre, relevait de son
activité professionnelle et poursuivait des fins professionnelles, la cour d'appel a violé
l'article liminaire du code de la consommation, ensemble les articles L. 212-1 et L. 212-
2 du même code ;
2°/ qu'est un professionnel toute personne morale qui agit à des fins professionnelles ;
qu'en retenant, pour conclure que la SCI Pela avait conclu le contrat de maîtrise
d'oeuvre en qualité de non-professionnel, que le domaine de la construction faisait appel
à des « connaissances ainsi qu'à des compétences techniques spécifiques qui sont
radicalement distinctes de celles exigées par la seule gestion immobilière », quand seule
importait la finalité professionnelle poursuivie par la SCI, la cour d'appel a violé l'article
liminaire du code de la consommation, ensemble les articles L. 212-1 et L. 212-2 du
même code ;
3°/ qu'en toute hypothèse, ne sont pas abusives les clauses qui ne visent qu'à assurer le
caractère obligatoire du contrat ; qu'en retenant que la clause prévoyant que « même en
cas d'abandon du projet, pour quelque raison que ce soit, les honoraires seront dus et
réglés en totalité au maître d'oeuvre », était abusive, quand une telle clause ne faisait
que sanctionner l'inexécution du contrat par le maître de l'ouvrage, la cour d'appel a
violé l'article L. 212-1 du code de la consommation ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant relevé que la SCI avait pour objet social
l'investissement et la gestion immobiliers, et notamment la mise en location
d'immeubles dont elle avait fait l'acquisition, qu'elle était donc un professionnel de
l'immobilier, mais que cette constatation ne suffisait pas à lui conférer la qualité de
professionnel de la construction, qui seule serait de nature à la faire considérer comme
étant intervenue à titre professionnel à l'occasion du contrat de maîtrise d'œuvre
litigieux dès lors que le domaine de la construction faisait appel à des connaissances
ainsi qu'à des compétences techniques spécifiques distinctes de celles exigées par la
seule gestion immobilière, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que la SCI n'était
intervenue au contrat litigieux qu'en qualité de maître de l'ouvrage non professionnel, de
sorte qu'elle pouvait prétendre au bénéfice des dispositions de l'article L. 132-1 du code
de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14
mars 2016 ;
Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que la clause litigieuse avait pour conséquence de
garantir au maître d'œuvre, par le seul effet de la signature du contrat, le paiement des
honoraires prévus pour sa prestation intégrale, et ce quel que fût le volume des travaux
qu'il aurait effectivement réalisés, sans qu'il n'en résultât aucune contrepartie réelle pour
le maître de l'ouvrage, qui, s'il pouvait mettre fin au contrat, serait néanmoins tenu de
régler au maître d'œuvre des honoraires identiques à ceux dont il aurait été redevable si
le contrat s'était poursuivi jusqu'à son terme, la cour d'appel a retenu à bon droit que
cette clause constituait une clause abusive ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le
président en son audience publique du sept novembre deux mille dix-neuf.
Et :
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, suivant acte du 3 avril 1995, la société Electricité de France
(la société EDF) a consenti à M. L..., salarié de la société, et à son épouse (les emprunteurs) un
prêt relevant du dispositif d'aide à l'accession à la propriété, soumis à la loi n° 79-596 du 13
juillet 1979 relative à l'information et à la protection des emprunteurs dans le domaine
immobilier, en vue de financer l'acquisition de leur habitation principale, remboursable en deux
cent quarante mensualités ; que, le 1er janvier 2002, M. L... a démissionné de l'entreprise ;
qu'après avoir fait application de la clause de résiliation de plein droit du contrat de prêt en cas
de cessation d'appartenance du salarié à son personnel, la société EDF a assigné les emprunteurs
en paiement de diverses sommes ;
Attendu que, selon le premier texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-
professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de
créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre
les droits et obligations des parties au contrat ;
Attendu que, par arrêt du 19 mars 2019 (C-590/17), la Cour de justice de l'Union européenne
(CJUE) a dit pour droit que :
1) L'article 2, sous b), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les
clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce
sens que le salarié d'une entreprise et son conjoint, qui concluent avec cette entreprise un contrat
de crédit, réservé, à titre principal, aux membres du personnel de ladite entreprise, destiné à
financer l'acquisition d'un bien immobilier à des fins privées, doivent être considérés comme des
« consommateurs », au sens de cette disposition ;
2) L'article 2, sous c), de la directive doit être interprété en ce sens que ladite entreprise doit être
considérée comme un « professionnel », au sens de cette disposition, lorsqu'elle conclut un tel
contrat de crédit dans le cadre de son activité professionnelle, même si consentir des crédits ne
constitue pas son activité principale ;
Attendu que, pour dire que la résiliation de plein droit du contrat est intervenue le 1er janvier
2002 et condamner les emprunteurs à payer à la société EDF une certaine somme, augmentée
des intérêts au taux contractuel de 6 % l'an à compter de cette date, sauf à déduire les sommes
postérieurement versées, ainsi qu'une somme au titre de la clause pénale augmentée des intérêts
au taux légal à compter de la même date, l'arrêt retient que c'est en sa seule qualité d'employeur
et au regard de l'existence d'un contrat de travail le liant à M. L... que la société EDF lui a
octroyé, ainsi qu'à son épouse, un contrat de prêt immobilier, que cette société n'est pas un
professionnel au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation, quand bien même il
existerait en son sein un département particulier gérant les avances au personnel, et que les
emprunteurs n'ont pas la qualité de consommateurs au sens de ce texte ;
Attendu que, pour exclure le caractère abusif de la clause stipulant la résiliation de plein droit du
prêt consenti à un salarié et à son épouse en cas de rupture du contrat de travail, l'arrêt énonce
que cette clause s'inscrit dans un contrat qui présente des avantages pour le salarié et équilibre
ainsi la clause de résiliation de plein droit ;
Qu'en statuant ainsi, alors que, prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de prêt pour une
cause extérieure à ce contrat, afférente à l'exécution d'une convention distincte, une telle clause
crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du
consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement et à
une modification substantielle de l'économie du contrat de prêt, la cour d'appel a violé les textes
susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 septembre 2014, entre les
parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi du chef du caractère abusif de la clause de résiliation prévue à
l'article 7 du contrat de prêt immobilier consenti le 17 mars 1995 par la société EDF à M. et
Mme L... ;
Renvoie la cause et les parties devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, autrement
composée, mais seulement pour qu'elle statue sur les autres points en litige ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à la SCP Potier de La Varde,
Buk-Lament et Robillot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, la somme globale de
3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera
transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président
en son audience publique du cinq juin deux mille dix-neuf.
L’Avenir le dira.