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HENRI CAMBEFORT ET L’INJECTION DES SOLS


Par Thibault Badinier et Youssef Abboud, membres jeunes du Comité Français de Mécanique des Sols
et de Géotechnique (CFMS Jeunes), avril 2022
L’injection des sols est un ensemble de techniques permettant l’amélioration des sols à distance en termes
de résistance ou de perméabilité par l’incorporation dans le sol d’un liant remplissant la porosité du sol.
Henri Cambefort est l’une des figures les plus importantes ayant participées au développement de ces
méthodes.

Injection des sols, principes et utilisations


“L’injection consiste à introduire dans le terrain (sol ou roche), sous forme ‘’liquide’’, un matériau
susceptible d’occuper la porosité, afin de réduire la perméabilité et d’améliorer la cohésion.” (AFTES 2006)
L’injection consiste donc à modifier le sol en disposant de clapets s'ouvrant sous la pression
remplaçant l’espace des vides inter-particulaires d’injection et permettant ainsi le passage du
par un liant formant à terme une matrice coulis.
imperméable et plus résistante. Ce type de
technique est attesté pour la première fois en
1802 sous l’impulsion de Charles Berigny, qui
réalise, dans le port de Dieppe, des injections de
coulis de mortier, lui permettant de renforcer les
fondations des écluses. Par la suite, la méthode
se révèlera déterminante dans les années 1920-
1930, époque durant laquelle de nombreux
chantiers de grands barrages sont conduits à
travers le monde. En effet, la méthode des
injections permet en occupant la porosité du sol
par un coulis, de réduire sa perméabilité et de
rendre étanche les couches de sols sous les
barrages, opération sans laquelle l’écoulement de
l’eau sous le barrage rendrait leur fonctionnement
impossible. Aujourd’hui, les injections sont
réalisées dans de nombreux projets et se
déclinent en différentes méthodes : injection de
calquage, injection de compensation, injection de
compensation, jet grouting, etc. Le processus d’injection est contrôlé par quatre
Le traitement d’un sol par injection dépend paramètres principaux : le volume d’injection, la
d’abord de la nature du sol, mais aussi de la pression, le débit et l’ordre des phases d’injection.
profondeur de l’injection et du type de coulis La pression et le débit sont deux paramètres liés
utilisé. La méthode actuelle consiste à réaliser dont la maîtrise est importante pour le mode
des forages régulièrement espacés permettant d’injection et qui sont fixés en fonction de la
d'atteindre les couches de sol à injecter. Elles profondeur et de l’état de contrainte du sol. On
peuvent être espacées entre 1 m et 10 m selon la distingue alors les injections par imprégnation qui
perméabilité et le type de sol. conservent la structure du sol et qui nécessitent
des pressions relativement faibles et les
Par passe successive, le coulis est ensuite injecté injections par claquage pour lesquelles la
sous pression via les forages à l’aide d’une pression utilisée est suffisamment importante
pompe. L’injection peut être réalisée directement pour déstructurer le sol. L’injection d’imprégnation
via les parois du forage, dans le cas d’une roche est alors plus facile en profondeur ou les
fissurée par exemple. Mais, dans la plupart des contraintes géostatiques sont plus importantes
sols, le forage d’injection est équipé de tubes à tandis qu’à faible profondeur le risque de
machettes qui sont des dispositifs de tube claquage est plus important.

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Les progrès dans les méthodes d’injection sont répandus sont les gels de silice qui sont formés
fortement liés à l’évolution du produit utilisé pour par la réaction de solution de silicate de soude et
l’injection. Tout comme les premiers coulis qui d’acide. D’autres coulis existent notamment des
étaient des mortiers, les coulis à base de ciment formulations à base de résines chimiques.
sont encore très répandus aujourd’hui. Selon le Historiquement, d’autres matériaux ont également
type de sol, les coulis de ciment sont additionnés été utilisés tels que l’asphalte sur le barrage de
à de divers produits. Dans le cas de l’injection de Hales Bar.
roche fissurée ou de grave très grossière par
Les méthodes d’injection des sols étant
exemple, des mélanges ciment, bentonite et
aujourd’hui largement répandues, elles ont fait
sable pourront être utilisés. Dans le cas de sol
l’objet d’une recommandation publiée par
plus fin comme des sables, on préfèrera par
l’AFTES en 2006 et rédigée par le groupe de
exemple des mélanges de ciment ultra fin (sur-
travail 8 sous la direction de M. Chopin. Une
moulu) et d’adjuvants chimiques permettant une
nouvelle version de celle-ci sera publiée au cours
meilleure mise en suspension dans l’eau et la
de l’année 2022. Avant cela, elle avait fait l’objet
défloculation des particules. Les coulis à base de
de premières recommandations également
produits chimiques sont quant à eux plus chers,
publiées par l’AFTES en 1975 (mise à jour en
mais permettent l’injection des sols plus fins. Ils
1987), et la publication d’un ouvrage de référence
ont permis également de compléter l’étanchéité
“Injection des sols” (en deux volumes) par Henri
réalisée par un coulis de ciment. Les plus
Cambefort.

Henri Cambefort (1912-1995)


Henri Cambefort, né en 1912, est considéré les travaux de fondation : tubes à manchettes
comme l’une des figures les plus importantes pour les injections, parois moulées, barrettes et
pour les méthodes d’injection des sols, bien qu’il boues de forage, gels à base de silicate,
n’en soit pas l’inventeur. ancrages réinjectables, préchargement
atmosphérique, carottier à triple enveloppe,
micromoulinet pour la mesure des courants d’eau
dans les forages, etc. Il travaillera dans de
nombreux pays, en commençant par la France
sur le chantier du barrage de Castillon, en
passant le Maghreb ou le Mexique.
Durant sa carrière, il était reconnu pour son
expertise. Il était réputé pour accorder une
importance particulière à l’expérience, à
l’observation et au travail de terrain, davantage
qu’à la théorie et au travail mathématique.
Il fut enseignant à l’École Spéciale des Travaux
Publics de 1949 à 1975. De façon atypique, il y
décrit des cas de chantiers sur lesquels il est
intervenu, notamment des cas de barrages et de
travaux d’injection comme sur les chantiers du
Il est diplômé en 1936, Ingénieur Civil de l’École barrage d’Assouan ou de Tachkent, mais
Nationale des Ponts et Chaussées. Il commence également des travaux de stabilisation des sols
alors sa carrière à la Compagnie Nationale du ou de renforcement de rochers.
Rhône, après un passage au Laboratoire du Il est l’auteur de nombreux ouvrages de
Bâtiment et des Travaux Publics. Il intègre en références dont la plupart ont été traduits dans de
1943 la société SEC, qui deviendra Solétanche nombreuses langues dont l’espagnol, le russe,
en 1948, où il finira sa carrière en 1975. Il y l’allemand et le japonais :
devient directeur technique à partir de 1946.
Henri Cambefort fut à la base de la plupart des • Forages et sondages (1955, réédité en 1966) ;
techniques mises au point à cette époque pour • Reconnaissance des sols et fondations
spéciales (1963) ;
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• Géotechnique de l’ingénieur (1970) ; sols concernés, ainsi que les différents matériels
• Introduction à la géotechnique (1971). et types de coulis. Dans le second volume, il
présente de nombreux cas d’études ou les
En particulier, il est l’auteur de l’ouvrage “Injection
injections ont permis l’étanchement ou la
des sols (en deux volumes)” (édition Eyrolles,
consolidation de roches fissurées et d’alluvions,
1964). Il décrit dans le premier volume les cas
mais aussi des cas d’usage dans la maçonnerie
d’application des méthodes d’injection, la théorie,
et pour la mise à niveau et la compensation des
les principes utilisés, mais il y détaille également
tassements.
les aspects techniques selon les objectifs et les

Barrage de Serre-Ponçon, un chantier remarquable


Ce barrage est emblématique dans l’histoire de 1897 et 1909 pour diverses raisons techniques.
l’injection des sols. Outre sa hauteur inédite et En 1919, le projet est relancé sous l’impulsion de
l’échelle des travaux d’injection allant jusqu’à l’ingénieur des Ponts et Chaussées Ivan Wilhelm.
100m de profondeur, il s’agissait de la première
12 campagnes de sondages ont été alors
utilisation de l’injection avec des tubes à
réalisées jusqu'en 1927. Elles ont permis de
manchettes.
mettre en évidence les difficultés liées au
L’ouvrage s'inscrit dans le cadre de contexte géotechnique. Le substratum rocheux,
l’aménagement hydraulique de la Durance et du situé à plus de 100 m de profondeur, est
Verdon. L’idée de construire un barrage sur la surmonté d’une couche d’alluvions grenues de
Durance est apparue durant le 19ème siècle, en nature hétérogène. La perméabilité élevée des
particulier suite à la crue exceptionnelle de mai alluvions (entre 10-3 à 10-4 m/s) et leur grande
1856. Le but de la construction d’un tel barrage épaisseur conduit à écarter la solution de barrage
est d’amortir les fortes crues de la rivière et de en béton nécessitant un sol de fondation plus
résoudre le problème de manque d’eau en résistant. La solution de barrage en terre
période de sécheresse. L’idée de ce barrage est compactée a été retenue pour la première fois en
lancée et abandonnée à plusieurs reprises entre Europe occidentale.

Un concours pour la construction a été ouvert par base, le tout pour une retenue d’eau de l’ordre de
EDF en 1948. Le projet de barrage retenu est un 1200 millions m3. La construction débute en 1952
barrage en terre compactée de 124 m de hauteur, et se termine en 1958.
de 600 m de longueur et de 650 m de largeur à la
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La mise en place de cette solution a nécessité ● Un forage est réalisé, dans lequel est inséré un
d’étanchéifier la vallée alluvionnaire par un rideau tube à manchettes. Le tube est scellé dans le sol
d’injection mis en place dans les 100 m afin d’éviter que le coulis remonte sous l’effet de
d’alluvions. Cette solution a permis d’éviter les la pression d’injection à travers l’espace entre le
infiltrations et les érosions internes qui pourraient tube et le sol.
altérer la stabilité des fondations de la digue. Un tube à manchettes est un tube (en métal ou
en PVC) lisse à l’intérieur et perforé tous les 30 à
L’injection sur une hauteur si importante a
40 cm. Au niveau de chaque perforation, des
nécessité la mise au point de techniques
anneaux avec des fentes, appelés manchettes,
d’injection adaptées, permettant des injections à
sont installés. Ces anneaux jouent le rôle de
très haute pression, une réinjection par tranche,
clapets.
ainsi que la fabrication de coulis fins qui ne se
● L’injection est réalisée du bas jusqu’en haut à
décantent pas trop vite sur la hauteur injectée.
l’aide d’un flexible d’injection muni d’un obturateur
Les injections ont été réalisées par Solétanche
pour empêcher la remontée du coulis dans le
avec des tubes à manchettes. Il s’agit de la
tube.
première utilisation de cette technique. Cette
● À chaque profondeur, l'injection est effectuée
dernière, mise au point par Solétanche, est
en deux phases : une phase d’injection d’un
adaptée pour l’injection des terrains meubles.
coulis bentonite ciment pour remplir la
L’injection suivant cette technique se déroule en
granulométrie grossière, suivie d’une phase où
plusieurs étapes :
est injecté un coulis plus pénétrant pour remplir la
granulométrie plus fine.

Les injections ont été réalisées sur une surface Les mesures ont permis de confirmer l’utilité de
de 4200 m², sur une largeur variable entre de ces injections. L’écoulement maximal mesuré à
15m en profondeur et 35 m à la connexion avec travers l’écran d'étanchéité est de 25 L/s et la
le barrage. Elles ont nécessité 10 000 tonnes de perméabilité horizontale des alluvions a été
ciment laitier finement broyé et 20 000 tonnes réduite à un ordre de grandeur de 2∙10-7m/s.
d’argile d’Apt. Le volume d’alluvions traiter est
estimé à 100 000 m3.
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Interview : Michel Chopin


Après un début de carrière, notamment chez sols, le fait de sceller un tube à manchettes isole
Solétanche sous la direction d’Henri Cambefort, la fissuration et pour la retrouver, on est obligé de
Michel Chopin travaille actuellement dans la passer en force ce qui conduit à surfracturer ces
société KF International SA et poursuit des sols. Et cette sur-fracturation est souvent nuisible,
activités de conseil sur les ouvrages n’est pas utile tout au moins. De plus, c’est une
géotechniques spéciaux. Il est reconnu méthode qui conduit à faire des travaux
aujourd’hui comme un expert de l’injection des d’injection à des pressions qui intègrent des
sols et des roches et dirige le groupe de travail de pertes de charge élevées et du coup qui sont mal
l’AFTES en charge des recommandations sur le maitrisés. Alors, on a développé depuis plus de
sujet. trente ans, le multi-packer system (MPSP), qui
utilise le tube à manchettes équipé de sacs
Youssef et Thibault : Pour vous, en quoi les
extensibles (des séparateurs injectables) à une
méthodes d’injection des sols est
distance que l'on fixe à l’avance, et qui permet
particulièrement intéressante dans le cadre
d’injecter, en direct sans coulis de scellement,
des travaux géotechniques ?
des tranches de 2 m, 3 m ou 5 m. Cette méthode
Michel : Pour moi, l’utilité de l’injection est de, à permet de mieux gérer les pressions d’injection et
distance, transformer les propriétés du sol, d’en de contrôler le régime de débit, qui lui va être
changer la perméabilité, d’en améliorer le module majoré par rapport à l’injection limitée d’un tube à
de déformabilité, y compris même pour certains manchettes. C'est une méthode qu’on a encore
massifs rocheux. Donc c’est une opération qui est largement développée récemment dans le terrain
relativement facile à faire et qui permet, par parisien, en particulier dans les marnes et
rapport à d’autres méthodes invasives ou qui caillasses où il n’est pas génial d’utiliser un tube à
nécessitent de l’excavation, de pouvoir à l’avance manchettes sellé. D’une part, l’utilisation du coulis
transformer les conditions de sol, et ainsi réaliser remplit les discontinuités que l’on souhaitait traiter
des ouvrages dans des conditions de faisabilité avec un coulis différent et d’autre part, passer le
tout à fait acceptables. coulis de gaine va conduire à surfracturer les
Youssef et Thibault : De votre point de vue, marnes et crée des pertes de charge trop élevées
quels sont les progrès majeurs des méthodes et ne permet pas d’arriver à trouver une pression
d’injection des sols depuis le début de votre de refus techniquement valide. Donc, avec le
carrière ? multi-packer system, on arrive à traiter des sols
entre 5 bars et 7 bars, alors qu’au tube à
Michel : Les progrès de l’injection se subdivisent manchettes, il est fréquent d’utiliser des pressions
en trois parties. Premièrement, une partie de 10 bars et plus. Ça fait une énorme différence
technique de forage. Au cours des 40 dernières en termes de qualité de traitement et en termes
années les techniques de forage ont de quantité et de délais. Parce que si vous
sensiblement évolué. On arrive aujourd’hui à utilisez un paramètre de pression, ça va vous
disposer de machines qui permettent de façon amener à injecter des quantités, à recycler, et à
très économique et très productive de réaliser reprendre des injections à plusieurs reprises. Ces
des forages tubés, qui permettent de passer des choix sur les quantités et les pressions d’injection,
terrains difficiles avec des performances bien relèvent typiquement de la conception des
améliorées. Également, l'enregistrement des travaux d’injection.
paramètres de forage est devenu une habitude,
un mode de traitement et un mode d’information La dernière mise au point sur le matériel, ce sont
très utile. les systèmes auto-foreurs, mais qui sont souvent
des prototypes. Il existe des systèmes d’injection
Deuxièmement, au niveau du matériel, selon qui peuvent être embarqués dans des systèmes
l’idée d’Henry Cambefort, qu’il partageait avec G. auto forants et qui permettent en une seule
Rodio, le développement de la méthode du tube à opération de mettre en place l’équipement de
manchettes a permis d’équiper et de réaliser des forage, d’injecter, tout ça à travers un sas, donc
travaux d’imprégnation dans les sols granulaires c’est assez intéressant quand vous avez des
et les sols non cohérents. Ce qu’on peut regretter pressions d’eau.
par contre, c’est l’utilisation des tubes à
manchettes dans des sols cohérents. Dans ces
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Enfin, en termes de matériaux, je vois trois sujets. les gens ne parvenaient pas à maîtriser les
D’abord, l’arrivée des ciments ultrafins qui a conditions d’injection parce qu’ils ne tenaient pas
permis de traiter des sols fins au-delà des limites compte des contraintes géostatiques. Or, c’est un
que l’on connaissait par le passé, à des valeurs paramètre de base dans l’injection qui va définir
de l’ordre de 10-4 m/s. Ça a permis de remplacer la possibilité d’injecter ou non à un niveau donné.
le gel de silice dur qui était utilisé dans les Le même sol de même perméabilité est peut-être
années 70/80 et qui était sensible à un injectable à 50 m ou 100 m de profondeur, mais il
phénomène de synérèse. Il est lié à la rétractation ne l’est plus quand on arrive à 10 m, car les
des ions siliciques dès lors qu’ils sont injectés en contraintes horizontales sont tellement faibles
masse. En cas de claquage, le gel de silice dans que les matériaux ne s’imprègnent pas dans la
ces claquages va disparaitre en 3/4 semaines et porosité du sol et forme un claquage tout
vous allez retrouver une perméabilité simplement, donc ce sont des travaux en pure
grandissante. Deuxièmement, dans les années perte. Et c’est toujours une problématique
90, on a abandonné les gels de silice à récurrente sur certains chantiers aujourd’hui.
durcisseur organique et on a parallèlement
Youssef et Thibault : Un exemple remarquable
développé des nano-silices, qui n’ont rien de
de chantier où l’injection des sols a été
commun avec les gels de silicate, qui sont des
déterminante dans la réussite du projet ?
ions siliciques purs qui sont en émulsion et qui
sont rompus par une solution saline. On utilise ce Michel : Le chantier typique dans lequel des
matériau depuis les années 2000 – 2005 puisque matériaux typiques ont constitué une avancée
ce matériau coûtait à l’époque une fortune. technologique et un sujet d’intérêt, c’est le tunnel
Lorsqu’on injecte des sols, c'est problématique, du Lötschberg en Suisse. C’est le premier tunnel
puisque l’on injecte 30% de porosité, mais de ferroutage qui a été mis en service en 2007.
lorsque l’on injecte des roches ça va beaucoup Ce tunnel du Lötschberg a été réalisé de manière
mieux puisque l’on n’injecte pas plus de 3% de assez intéressante techniquement. Il y avait un
porosité. Enfin, les résines et les polyacrylates sujet : c’était l’attaque sud à la fenêtre de Ferden.
ont été largement développés dans les années Il y a un accident géologique qui est un
90. On n’utilise pas souvent ce type de matériaux, rebroussement des liasses du Trias qui sont
sauf dans des cas particuliers. Par exemple, subverticales à l’émergence des Alpes. Dans cet
lorsqu’on veut faire des noyaux étanches dans le accident, il y a une exploitation en surface d’eau
sable fin, on peut très bien imaginer un système minéralisée (source thermale). Cette production
bilinéaire avec des lignes de silicate et une ligne thermale est alimentée par une zone contenue
centrale en acrylate ou polyacrylate. dans cet accident. Et le tunnel traverse cet
Youssef et Thibault : Comment diffèrent les accident à deux reprises à 150 m d’intervalle.
techniques d’injection dans les différents Les contraintes environnementales imposées par
pays ? l’exploitant de la source thermale, et par la justice
Michel : La différence entre la vision franco- étaient de ne prélever au maximum que 2 L/s sur
européenne et américano-canadienne de l’ensemble de ces deux accidents. Alors, il a fallu
l’injection, c’est presque aussi différent que le faire des investigations à l’avancement du tunnel
pressiomètre Menard et l’essai SPT dans la pour détecter la position des accidents et
géotechnique. La technologie qu’ils utilisent avec l’importance de l’aquifère, et traiter ces
un circuit de return line n’est pas facile à saisir. discontinuités qui étaient subverticales. Pour
Lors de l’injection, on fait un circuit retour pour atteindre cet objectif de 2 L/s max, on a fait donc
que la pression ne monte pas trop, pour que l’on ces travaux de traitement avec des forages de
n’ait pas un refus de blocage à la pompe. Cette longue distance équipés de stand pipes
technologie n’est pas dans notre façon d’obtenir métalliques et il a fallu atteindre une perméabilité
le refus et d’apprécier le traitement à l’injection. de 5∙10-8 m/s, ce qui n’est pas très courant. Pour
Ce n’est pas très efficace et c’est quelques fois y parvenir, on a injecté la fissuration avec une
assez contreproductif. J’ai une idée sur ce série de liants ultra fins puis en complément un
système qui à mon avis demeure perfectible, par coulis à base de nano silice. C’était la première
rapport à ce que nous faisons nous. application faite avec de la nano silice en grande
échelle. L’opération a tout à fait donné
Claude Caron s’est aperçu, et c’était déjà une
satisfaction : le système mis en place s’est révélé
démarche d’Henri Cambefort, que bien souvent
très efficace et fonctionne toujours.
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Youssef et Thibault : De votre point de vue, en Michel : Il manquait très clairement quelques
quoi Henri Cambefort a joué un rôle choses dans les recommandations de 2006.
déterminant dans le développement et la
Tout d’abord, il faut noter que les travaux
démocratisation de la technique ?
d’injection constituent un ouvrage géotechnique
Michel : Henri Cambefort a été l’un des premiers spécial aux termes de la norme. Ils sont faisables
à faire une opération de vulgarisation qui dans certaines conditions qui doivent être définies
consistait à organiser la réflexion de conception à à l’avance, précisées et évaluées au stade de
partir des éléments factuels, d’une analyse très l’Avant-Projet Sommaire. Au moment où le Maître
soignée des données et des mesures faites in d’Ouvrage (MOA) commence à regarder son
situ et du comportement de l’injection. Il est l’un projet et évaluer sa faisabilité, il est obligé de
des premiers à avoir tenté de rationaliser le regarder son impact environnemental. Et si on
comportement de l’injection par une application s’aperçoit que, pour que la construction de
numérique et il a été largement aidé dans cette l’ouvrage soit faisable, on va interférer dans des
tâche par Brillant qui a essayé d’extraire tout ce niveaux qui nécessitent des injections, cette
qui était possible de l’hydraulique souterraine partie de travaux doit être intégrée à l’ouvrage, sa
pour s’en servir et essayer d’interpréter le conception et faisabilité doivent être vérifiées.
comportement et donner des exemples du
Si ce n’est pas faisable, il faut gérer ce risque
comportement des liants hydrauliques pendant
chez le MOA au moment des études préalables
leur injection.
ou des études de l’Avant-Projet Sommaire. Cette
On peut aussi largement rappeler que Cambefort approche de risque est associée à l’établissement
a travaillé sur l’injection des milieux fissurés. Il y a d’un journal de risques. Ce journal doit être
beaucoup d’applications dans son ouvrage qui communiqué au Maître d’Œuvre (MOE) au
permettent d’expliquer comment on peut moment de la contractualisation avec les bureaux
s’affranchir du traitement des fissures, du d’étude, pour que chacun prenne conscience de
frottement résiduel et de perte de charge l’état d’avancement de la gestion de risques,
résiduelle en fissuration notamment en ce qui concerne l’injection et le
risque environnemental en général. Ensuite, cette
Donc, ce livre est assez intéressant car il a
approche continue d’être gérée pendant toute la
permis de vulgariser mais aussi d’expliquer
période d’études : Avant-Projet, projet, DCE. Au
beaucoup de choses et de donner des éléments
moment de la contractualiser avec l’entreprise,
mathématiques et numériques capables de
celle-ci devra se positionner pour refuser,
supporter des opérations d’injection (des sols et
contester ou accepter ce journal de risques.
des milieux fissurés) et d’expliquer comment on
peut les organiser, les concevoir et les arrêter et La raison pour laquelle on essaie de créer ce
s’en satisfaire. cheminement est simple. C’est que si la gestion
de risques est vue à chaque étape de la
Une autre contribution de Cambefort, c’est
contractualisation entre le MOA, le MOE et
l’introduction du tube à manchettes.
l’entreprise, on va pouvoir établir avec elle un
Enfin, après sa retraite, Cambefort a publié dans contrat dans lequel la rémunération est
les annales de l’IBTP, comme par exemple subdivisée en trois parties. La première partie,
«Injections des sols et ses limites», qui est un principale, semi forfaitisée, correspond à des
travail réalisé avec Claude Caron. Dans ce travail, quantités données. La deuxième partie,
il y a une théorie sur la façon de prédire la rupture secondaire, correspond à des quantités
du sol en fonction des contraintes. Cette théorie supplémentaires dans le cas où celles-ci sont
permet de prédéterminer des conditions nécessaires compte tenu des variables
d’injectabilité des produits dans les sols fins à environnementales. La troisième partie est une
partir seulement d’un régime de débit calculé en partie flexible qui permettra la rémunération des
tenant compte des contraintes géostatiques. études supplémentaires, des changements de
Youssef et Thibault : Une nouvelle version des matériaux ou de matériel en cas de conditions
“Recommandations de l’AFTES relatives à la particulières qui seraient manifestées et qu’on
conception et la réalisation des travaux n’avait pas démontré, trouvé ou identifié pendant
d’injection des sols et des roches” rédigée les études.
sous votre direction sera publiée en 2022. Pour ce qui est de l’opération elle-même :
Quelles sont les nouveautés de cette version? l’injection, ses caractéristiques, son extension et
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sa qualité doivent être précisément définies dans en compte ces paramètres améliorés dans le
le projet. Si on a recours à une méthode design.
d’injection, c’est pour obtenir des caractéristiques
Il reste actuellement la partie technique qui est en
différentes du terrain naturel. Si on a besoin d’une
fait une reprise de l’ancienne recommandation qui
perméabilité donnée, il faut le préciser et
constitue une règle de l’art. Cette partie va être
s’assurer que tout au long du projet que les
mise à jour et puis organisée un peu mieux au
moyens qui sont mis en œuvre sont appropriés
niveau de la présentation des arguments pour
pour obtenir ce résultat. Y compris que le MOE,
que ça soit plus facile à lire.
au moment où il fait son design, ait bien
conscience des moyens qu’il faudra mettre en Par ailleurs, l’organisation de la recommandation
place pour atteindre ces résultats et garantir les est totalement différente que la précédente : elle
objectifs (nécessité de matériaux et matériels non est organisée en 6 chapitres, plus une annexe
standards par exemple). technique. Le document est organisé comme une
opération ou un projet : vous entrez avec
On va essayer de pousser dans ce sens pour
l’acquisition des données au niveau du MOA, les
éviter que le Maître d’Ouvrage ait peur des
préoccupations du MOA avec son Avant-Projet
travaux d’injection dans un projet (à cause de
Sommaire et ses objectifs, ainsi que le partage du
l’incertitude au niveau du temps nécessaire pour
risque. Puis vous avez la MOA avec toute sa
ces travaux et leur utilité) et que l’ingénieur ne
partie études et la manière dont est élaboré le
tienne pas compte des injections dans ces calculs
projet de traitement. Ensuite, vous avez la
par sécurité, parce qu’on n’est pas sûr si on a une
contractualisation avec tout ce qui a pour que
homogénéité du traitement. On finit parfois par
chacun comprenne bien quels sont ses
laisser faire des travaux auxquels personne ne
engagements et ses responsabilités. Puis vous
croit vraiment, sans savoir vraiment pourquoi
avez la partie travaux avec tout ce que
puisqu’on n’a pas défini un objectif précis à
comportent la préparation et la réalisation des
atteindre.
travaux, le documentaire nécessaire, les
Il faut donc arriver à sortir de cette problématique contrôles appropriés à chacun des objectifs
qui n’a pas de sens technique ni financier. Donc, recherchés. Et enfin, l’annexe qui permet d’avoir
pour en sortir, il faut clarifier la faisabilité et toute la partie technique en une seule place avec
clarifier la manière dont on peut imaginer une des tableaux et graphes. Donc, c’est un
amélioration des sols et comment on peut la changement radical par rapport à la précédente.
prendre en compte aussi. Cela fait bien partie de
D’autre part, on a bien sûr des retours
la discussion avec le MOE en termes de design
d’expériences permanents sur toutes sortes
et avec le MOA en termes de conception initiale
d’opérations qu’on pourrait inclure dans les
pour son projet, et ce pour éviter des éventuels
recommandations qui visent à éviter des
bouleversements des programmes et coûts des
catastrophes et surtout éviter une mauvaise
travaux et par la suite du projet.
perception de la conception des travaux. On va
Voilà pourquoi c’est important de savoir au départ tirer profit comme on fait souvent chaque fois
si on a lieu de choisir telle ou telle méthode, qu’on publie une recommandation de quelques
pourquoi on l’a choisie, quels sont les objectifs et expériences fâcheuses pour éviter que ça se
comment les contrôler pour être sûr de prendre reproduise.

Références
La conception et la réalisation des travaux d'injection des sols et des roches. (AFTES 2006), Tunnels et
ouvrages souterrains, (194-95), 70-149.
Cambefort, H. (1964). Injection des Sols, Part I and Part II. EyroIIes
Rock Grouting and Diaphragm Wall Construction, 1st Edition - February 1, 1989, Author: J. Verfel
Grouting Deep Alluvial Fill in the Durance River Valley, Serre Poncon Dam, France, Marcel Haffen,
Engineering Geology Case Histories Number 4, Geological Society of America, Volume 4
Barrage de Serre-Ponçon. Gap (Hautes-Alpes). France (1960).
https://www.soletanche-bachy.com/fr/solutions/techniques/etanchement/injections

Contribution française au Projet Time Capsule 8


a

Réparation et renforcement des fondations (guide STRRES)

Remerciements
Un grand merci à Michel Chopin pour sa participation et pour ses réponses à nos questions.

Contribution française au Projet Time Capsule 9

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