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Mai 1998
La réforme législative du droit des sociétés est le produit de la volonté des décideurs d'inscrire
le Maroc dans le nouveau système économique mondial. Ainsi, sont nées de ce contexte deux
lois :
ç la loi n°17-95 relative aux sociétés anonymes (publiée au Bulletin Officiel n°4422 du17
octobre 1996) ;
ç la loi n°5-96 régissant les sociétés en nom collectif, les sociétés en commandite simple ou
par actions, les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés en participation (publiée au
Bulletin Officiel n°4478 du 1er mai 1997).
Parmi les nombreuses innovations de ces deux nouvelles lois, il en est une majeure qui
consiste à assurer plus de transparence dans la vie des affaires. Elle vient abroger les anciens
textes ( dahir du 11 août 1922, modifié et complété par les dahirs en dates des 18 juin 1927,
14 novembre 1931, 12 novembre 1945, 22 novembre 1947 et 26 janvier 1955) relatifs aux
sociétés commerciales de droit marocain. Ces textes souffraient notamment par leur caractère
peu dissuasif et ne traitaient que des infractions particulières, telles que la distribution de
dividendes fictifs, la surévaluation des apports en nature, dont certaines n’étaient sanctionnées
que d’une amende de 5 à 10 dirhams.
Les nouvelles dispositions viennent compléter et renforcer l’arsenal existant des textes relatifs
à la sanction des infractions et délits en matière de droit des affaires. Citons par exemple, le
code pénal de 1962 qui prévoit des infractions telles que l'abus de confiance ou l'escroquerie,
ou d'autres textes spécifiques qui concernent des domaines particuliers tels que la législation
des impôts, la bourse des valeurs, etc. …
Le présent article a pour objectif de ne traiter que les infractions relatives au fonctionnement
de la société.
Après avoir étudié le cas des personnes ayant vocation à être pénalement responsables dans
chaque type de société (1), cet article exposera les infractions les plus fréquentes rencontrées
dans la vie des affaires (2).
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Avant de parler des dirigeants, il nous faut dresser un inventaire des sociétés afin de
circonscrire le périmètre des fonctions, des responsabilités et subséquemment du dispositif
pouvant s’appliquer aux dirigeants en cas de commission d’infraction.
En premier lieu, il est intéressant d’établir une distinction entre les sociétés anonymes à
conseil d’administration et une société anonyme à directoire.
Dans les sociétés anonymes de type classique, c'est en principe le président du conseil
d'administration qui est chargé de la direction générale. Il est en conséquence la personne
pénalement responsable.
Cependant, les principales infractions au droit des sociétés prévues par la loi n°17-95 (abus de
biens sociaux, distribution de dividendes fictifs, présentation de comptes non-fidèles,
absences de comptes annuels, ....) visent non seulement le président mais aussi les membres
du conseil d'administration et les directeurs généraux, administrateurs ou non (article 373 de
la loi 17-95 relative à la société anonyme).
Dans les sociétés comportant un directoire et un conseil de surveillance, les peines prévues
pour les administrateurs, présidents et directeurs généraux des sociétés anonymes de type
traditionnel sont applicables, aussi bien aux membres du directoire qu'aux membres du
conseil de surveillance puisque la loi relative aux sociétés anonymes ne fait pas le distinguo
entre la fonction de contrôle (conseil de surveillance) et la fonction de gestion (directoire).
Néanmoins, la pratique française1 en cette matière nous laisse penser que les membres du
conseil de surveillance seront eux aussi poursuivis, s'ils se sont comportés comme des
dirigeants de fait, ou s'ils ont agi comme co-auteurs ou comme complices d'une infraction :
par exemple, s'ils ont autorisé ou couvert un délit réalisé par les membres du directoire .
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Telle a été la position du juge français qui a sanctionné la complicité de présentation de bilan inexact retenu à
l'encontre du président du conseil de surveillance : ce président savait que le bilan minorait considérablement
le déficit de la société (CA Paris, 15 février 1979).
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Dans les sociétés en nom collectif, les sociétés en commandite simple ou par actions, les
sociétés à responsabilité limitée et les sociétés en participation, ce sont les gérants qui sont
responsables de la gestion de la société. Les sanctions pénales prévues par la loi n° 5- 96 du
13 février 1997 pèsent donc sur ces derniers.
La règle est identique dans les SARL à associé unique : les sanctions pénales envisagées par
la loi pour le gérant de la SARL s’appliquent de la même manière au gérant de la SARL à
associé unique.
Ainsi, bien qu’étant par définition l’associé unique, le gérant d’une SARL à associé unique
peut être condamné pour abus de biens sociaux s’il détourne, à son profit, des biens
appartenant à la société.
Que se passe-t-il si ces sociétés commerciales sont dirigées par plusieurs gérants? La Cour de
Cassation française a été amenée à statuer sur le cas de cogérants de SARL et a retenu une
responsabilité pénale collective. Cette solution est certainement transposable en cas de gérants
dans les autres sociétés commerciales.
Du fait des impératifs de temps et de gestion, les dirigeants de grandes sociétés commerciales
sont amenés à déléguer de plus en plus leurs prérogatives, et par la même occasion, leurs
pouvoirs. Ainsi, en cas d’infraction à la législation en vigueur relative aux sociétés
commerciales, qui est pénalement responsable de ces infractions ?
Le législateur a innové en faisant subir le même sort aux dirigeants de fait que celui prévu
pour les dirigeants de droit ayant commis des infractions.
En effet, l’article 374 de la loi n°17-95 sanctionne pénalement les dirigeants de fait, c'est-à-
dire toute personne qui directement ou par personne interposée, exerce la direction,
l'administration ou la gestion de la société sous le couvert ou aux lieu et place des
représentants légaux. Les sanctions applicables sont celles prévues pour les membres des
organes d'administration, de direction ou de gestion.
Le même principe est repris par l’article 100 de la loi n° 5-96 qui prévoit que les dispositions
du titre «des infractions et des sanctions pénales » visent : « les gérants de sociétés objet de
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la présente loi, seront applicables à toute personne qui, directement ou par personne
interposée, aura en fait, exercé la gestion de ces sociétés sous le couvert ou aux lieu et place
de leurs représentants légaux. »
Il est bien entendu que la responsabilité du dirigeant de fait n’efface en rien celle du dirigeant
de droit.
Il est permis de se poser la question de savoir si le traitement réservé aux dirigeants de droit
est également applicable aux gérants de fait ?
La réponse doit être affirmative car le gérant, qu’il soit de fait ou de droit, exerce les fonctions
les plus importantes au sein de la société qu’il représente.
La doctrine confirme cette analyse :« La qualité de gérant de fait est caractérisée par
l’immixtion dans les fonctions déterminantes pour la direction générale de l’entreprise,
impliquant une participation continue à cette direction et un contrôle effectif et constant de la
marche de la société en cause » (Bulletin Joly 1987, p. 719).
Notons que la direction de fait, tout comme la gérance de fait est l’application de la théorie de
l’apparence valable dans toutes les législations. Celle ci veut que «l’erreur commune fait le
droit ».
Ainsi, en vertu de cette théorie, une société peut être engagée par toute personne non habilitée
régulièrement, si les tiers avec qui cette personne a traité ont légitimement cru que celle ci
disposait des pouvoirs nécessaires.
Les personnes qui sont donc pénalement responsables sont aussi bien les dirigeants de droit
que les dirigeants de fait. Mais de quoi sont-ils responsables? Quels sont les principaux
risques liés à leurs fonctions de chefs d’entreprise auxquels ils sont exposés ?
L’infraction, une fois découverte, se caractérise généralement par une présentation de comptes
non- fidèles (2.1) ou un délit d'abus de biens et de pouvoirs (2.2).
Toute société de capitaux, quelle que soit sa forme, sa taille, son activité ou le nombre de ses
associés, est tenue d’avoir une comptabilité. Il découle de cette obligation que le mode
comptable de détermination du résultat social est devenu depuis l’adoption de la nouvelle loi
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comptable de 1992, le seul admissible. Désormais, pour les autres branches de droit, tout
renvoi à la notion de résultat ne pourra plus se faire que par référence au résultat social tel que
défini par le droit comptable.
Ainsi, la comptabilité est renforcée dans son rôle de moyen de preuve aussi bien entre
commerçants de petite surface que pour les grandes entreprises. Elle est aussi un moyen
d’information des associés, des épargnants, des salariés et des tiers en général.
C’est pourquoi les lois n°17- 95 et n°5-96 sanctionnent pénalement les dirigeants qui, même
en l'absence de toute distribution de dividende, auront sciemment publié ou présenté aux
associés des comptes annuels ne donnant pas, pour chaque exercice, une image fidèle du
résultat des opérations de l'exercice, de la situation financière et du patrimoine à l'expiration
de cette période, en vue de dissimuler la véritable situation de la société.
ç Des comptes annuels ne donnant pas une image fidèle du résultat des opérations de
l’exercice, de la situation financière et du patrimoine de l’entreprise.
L’image fidèle des comptes fait en général référence à la notion de comptabilité régulière
et sincère. La régularité se définit comme la conformité à la règle comptable et la
sincérité signifie que les comptes doivent être élaborés avec loyauté et bonne foi1 .
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La loi comptable prévoit même que lorsque l’application de bonne foi d’une règle comptable ne suffit pas à
faire refléter l’image fidèle, le chef d’entreprise peut y déroger.
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ç Une intention coupable : l'auteur doit avoir agi sciemment. L’auteur du délit doit avoir agi
en connaissance de cause, c’est à dire en sachant que les comptes annuels présentés ou
publiés, ne donnaient pas une image fidèle du résultat des opérations de l’exercice, de la
situation financière et du patrimoine de la société. La jurisprudence française a ajouté que
cette connaissance de l’inexactitude des comptes doit exister non seulement pour les
auteurs du délit (dirigeants sociaux), mais également pour leurs complices (commissaires
aux comptes, comptables d’entreprise).
Toutes ces infractions à la législation relative aux sociétés commerciales sont prévues par le
législateur marocain, mais ce dernier ne les a pas définies. Est-ce une omission ou une volonté
de laisser les juges des nouveaux tribunaux de commerce faire un effort jurisprudentiel en la
matière ?
Quelle que soit la réponse, nous nous reporterons à la doctrine et à la jurisprudence française
pour saisir les contours de ces infractions, puisqu’elles sont la source d’inspiration de nos
textes relatifs aux sociétés commerciales.
2.2.1. Définitions
Ce délit vise les dirigeants qui, de mauvaise foi, auront fait des biens ou du crédit de la
société, un usage qu'ils savaient contraire à l'intérêt économique de celle-ci à des fins
personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils étaient
intéressés directement ou indirectement (article 384, alinéa 3 de la loi n° 17- 95 et article 107
de la loi n°5- 96).
La doctrine française estime que l'usage abusif des biens concerne tous les actifs de la société,
les biens meubles ou immeubles, les biens corporels ou incorporels, les fonds sociaux, les
créances, etc. Il s'agira par exemple du prélèvement fait par le dirigeant dans la caisse sociale
pour payer ses dépenses personnelles, du paiement par la société d'amendes d'un dirigeant.....
Il est bien entendu, pour que le délit existe, l'usage abusif doit porter sur des biens affectés au
patrimoine de l’entreprise.
S'agissant de l'abus de crédit de la société, la doctrine française vise aussi bien la renommée
de la société que sa capacité à emprunter. Seront notamment considérés comme abusifs,
l'usage de la signature sociale par l'acceptation d'effets de complaisance ou la garantie de la
société pour des dettes personnelles du dirigeant. Dans le même ordre d'idées, constitue, par
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Ce délit vise les dirigeants qui, de mauvaise foi, auront fait des pouvoirs qu'ils possédaient
et/ou des voix dont ils disposaient en cette qualité, un usage qu'ils savaient contraire aux
intérêts économiques de la société, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société
ou entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement (article 384,
alinéa 4 de la loi n° 17- 95 et article 107 de la loi n° 5- 96).
Or, comme pour le délit précédent, la loi ne détermine pas les éléments constitutifs de l'abus
de pouvoirs ou de voix. Nous nous reportons donc une seconde fois à la jurisprudence
française afin de cerner les contours de ces deux notions.
L'abus de pouvoirs est généralement présenté comme l'abus par le dirigeant social des
prérogatives issues de son mandat social. Dans bien des hypothèses, l'abus de pouvoirs
recouvre l'abus de biens sociaux. En effet, le dirigeant qui commet un abus de biens ou de
crédit de la société le fait inéluctablement en commettant un abus de pouvoirs.
Toutefois, le fait pour le législateur d'avoir également visé l'abus de pouvoirs permet de
poursuivre certains comportement qui échapperaient à l'abus des biens ou de crédit. Il en est
ainsi du dirigeant qui refuse de conclure un marché pour le compte de l'entreprise en orientant
le cocontractant vers une autre entreprise où il est intéressé. Il en est de même pour le
dirigeant qui conclut un marché pour se faire attribuer personnellement une commission.
L'abus de pouvoirs est également utile pour réprimer les simples abstentions: un dirigeant qui
omet de réclamer les sommes dues par une société dans laquelle il a des intérêts.
En revanche, il y a abus de voix dès qu'il y a usage excessif par le dirigeant des procurations
de vote qui lui ont été adressées.
Cet usage abusif peut être caractérisé par un acte d'appropriation, qu'il résulte d'un acte
juridique (contrat, emprunt...) ou d'un acte matériel (utilisation d'une voiture de la société,
d'un appartement ...).
Il n'est pas nécessaire qu'il y ait appropriation volontaire et définitive. Une simple utilisation
ou un usage temporaire suffisent pour caractériser ce délit. C'est la solution retenue par la
jurisprudence française qui a condamné des administrateurs qui avaient réglé les honoraires
de leur conseil avec des fonds de la société. Ils ont remboursé par la suite la société. Ils ont été
néanmoins condamnés au titre de l'abus de biens sociaux.
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ç le dirigeant a agi sans dissimulation : la transparence n'excuse pas l'abus de biens sociaux ;
ç l'acte a été approuvé et entériné par les associés, le conseil d'administration, le directoire
ou le conseil de surveillance.
La jurisprudence française retient l'abus de biens sociaux même si la société n'a subi aucun
préjudice. Il suffit que le dirigeant expose l'actif de la société à un risque de perte, peu importe
si l'opération s'achève bien (c’est- à- dire qu’elle n’a eu aucune répercussion néfaste sur le
capital social).
Le délit n'est constitué que si le dirigeant a agi à des fin personnelles ou pour favoriser une
autre entreprise dans laquelle il est, directement ou indirectement, intéressé.
Le dirigeant de cette société demande alors une intervention en sa faveur auprès du ministre
du Commerce extérieur et règle, avec les fonds de la société, une première facture de 100 000
francs établie par l'intermédiaire. En réponse à l'intervention de ce dernier, l'Etat limite sa
demande de remboursement à 5 millions de francs et le dirigeant honore une seconde facture
d'un montant de 660 000 francs également établie par l'intermédiaire. Ces factures, qui
mentionnaient divers études réalisées, ne correspondaient, en réalité, à aucune prestation
réelle.
A cet égard, nous relevons d'autres exemples moins médiatisés mais très révélateurs du risque
pénal qui peut peser sur les dirigeants de la société anonyme.
ç Un président du conseil d’administration qui se fait rembourser des frais fictifs par la
société avec l'assentiment du conseil d'administration ;
ç Un dirigeant qui perçoit des redevances sur la cession de brevets alors que les dépenses de
recherche et de construction des prototypes ont été supportées par la société :
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2.2.3. Des sanctions pénales des infractions relatives à l’abus de biens sociaux, de crédit, de
pouvoirs ou de voix :
Bien que ces infractions soit prévues aussi bien pour les sociétés anonymes que pour les
autres sociétés commerciales et dans les mêmes termes, les sanctions applicables sont
différentes.
S’agissant des sociétés anonymes et des sociétés en commandite par actions, les peines
maximales qui pèsent sur les dirigeants reconnus coupables de l’un de ces délit sont lourdes,
comparées à celles qui sont encourues par les dirigeants des autres sociétés commerciales. En
effet, ils sont passibles d’un emprisonnement de un à six mois et une amende de 100.000 à
1.000.000 dirhams ou l’une de ces deux peines seulement.
En revanche, les dirigeants des autres sociétés commerciales encourent une peine moindre en
cas d’infraction à la gestion de la société. Ils sont passibles d’un emprisonnement de un à six
mois et/ou une amende de 10.000 à 100.000 dirhams.
Comment expliquer un tel écart concernant les amendes des sociétés de capitaux et celles des
autres sociétés commerciales, puisque le minimum des premières est le maximum des
dernières ? Il nous semble que le législateur a voulu sanctionner sévèrement les dirigeants de
sociétés de capitaux du fait du rôle moteur qu’elles sont appelées à jouer dans l’économie
nationale puisque ce sont les seules structures juridiques adéquates aux grandes entreprises.
De plus, ce sont les seules sociétés qui peuvent être introduites en bourse. Il s’agit donc de
bien veiller aux intérêts des épargnants et des investisseurs.
CONCLUSION
Les nouveaux textes relatifs aux sociétés commerciales passent au crible toutes les infractions
susceptibles d’être commises par les dirigeants de ces sociétés. Ils répondent aux standards
internationaux, et les nouveaux juges des tribunaux de commerce veilleront à leur bonne
application.