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La théorie de l'histoire
Guy Dhoquois
Dhoquois Guy. La théorie de l'histoire. In: L'Homme et la société, N. 75-76, 1985. Synthèse en sciences humaines. pp. 95-99.
doi : 10.3406/homso.1985.2190
http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1985_num_75_1_2190
GUY DHOQUOIS
scientifique,
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dont
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L'auteur
l'histoire.
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dequi
l'histoire
par
les nature
rend
ou presque
théorie
Ne nous laissons pas abuser par le fait que les faits historiques
ne peuvent nous apparaître qu'enchâssés dans un discours, dans
une narration d'origine littéraire qui les sélectionne et les pondère
différemment. La science historique est dans le vrai même si elle
ne produit que des romans vrais (1). Son caractère romanesque
ne doit pas nous faire oublier ses critères de vérité. Cet arbitraire
n'est que relatif et peut être analysé. La nébulosité littéraire, climat
de toute uvre historique, ne doit pas dissimuler qu'une masse
énorme de faits historiques est avérée. Ils ne peuvent être niés par
personne.
Que certains détails de la campagne de Russie posent problème
ne peut faire oublier que Napoléon a été jusqu'à Moscou et a été
obligé d'en repartir rapidement. Que les programmes scolaires
privilégient l'édit de Ville rs-Cotteret aux dépens de la bataille de Mari-
gnan ne doit pas faire oublier que la bataille et l'édit ont bien eu
lieu. Que le concept de révolution industrielle ait été mal analysé,
parfois idéalisé d'une façon qu'on peut trouver nocive, ne doit pas
faire oublier qu'un certain nombres d'innovations techniques ont
eu lieu en Angleterre au XVII le siècle et que leur impact a été
considérable.
Cette première intervention du concept nous introduit à la
théorie dans l'histoire, spécialité pernicieuse, quoique très généralement
pratiquée, car elle ne se connaît pas elle-même ; elle ne s'analyse
pas elle-même, avec quelque rigueur, comme activité théorique en
restant par rapport à elle-même à un stade non critique dans
l'impossibilité, au moins relative du point de vue scientifique d'établir
une étiologie, un réel enchainement des causalités. Elle est
généralement réduite à des corrélations structurales, plus descriptives
qu'il ne serait abstraitement souhaitable. La théorie nous résume
la façon dont les choses fondamentales se sont passées, elle ne nous
dit pas au fond pour quelle raison. ,
La connaissance historique n'est pas une science exacte. En dépit
d'efforts récents elle reste peu quantitative. La théorie de l'Histoire
n'est pas une science exacte.
Le fait, révolutionnaire, de mettre l'Histoire sur ses jambes, due
en grande partie à Engels et à Marx, ne veut en aucune manière
dire qu'elle ne soit que ces jambes, ni même qu'on tienne là la
causalité fondamentale.
On ne répétera jamais assez à quel point le saut dans le concept
comporte une dose irréductible d'arbitraire, dose qu'on ne peut
que partiellement analyser car cette analyse se fait avec des concepts
épistémologiques qui comportent eux-mêmes une dose d'arbitraire.
Il n'y a pas de méta-théorie de l'Histoire.
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2)11 n'y a aucune raison à priori pour qu'un être humain accepte
d'être aliéné par un système social quelconque.
Le primat de l'éthique ne doit en aucune manière nier le primat
de l'esprit scientifique l'enfer historique est pavé de bonnes
intentions- l'esprit scientifique comporte en lui-même une éthique,
en particuUer celle de ne pas confondre l'idée, et encore moins
l'idéal, avec le fait.
L'éthique théorique invite elle-même à recourir constamment
d'une part à la vérification empirique et d'autre part à la
vérification conceptuelle qui cherche sans cesse à améUorer la rigueur
et la cohérence du raisonnement, en sollicitant les critiques dans
un esprit de tolérance et de franche discussion. Il ne faut jamais
tomber dans des travers qui sont hélas du dernier commun :
1) Ignorer les autres, passés et présents, afin de se persuader qu'on
fait du nouveau.
2) Ignorer les fait gênants -Une variante du premier défaut est de
caricaturer la position des autres pour mieux la détruire, croit-on.
A propos du second je dirais que c'est surtout les fait gênants qu'il
ne faut pas ignorer.
Le noyau éthique, toujours présent, ainsi se réduit. Le choix
éthique à priori reste comme en toute activité scientifique le moteur
de la réflexion, mais celle-ci tend à s'en rendre indépendante. En
théorie de l'Histoire elle n'y réussit que partieUement et c'est là où
elle continue à flirter avec la philosophie.
Cependant, à la différence de la philosophie, du moins sous ses
formes classiques qui subordonnent l'homme et son histoire à un
principe éternel à priori, la théorie cherche à réduire au minimum
son noyau éthique, donc philosophique.
Un exemple : à l'instar de certains philosophes, le théoricien
se met sur la berge d'où on ne voit jamais passer le même fleuve.
Mais, mieux que beaucoup de philosophes, il sait que cette attitude
est illusoire, que le fleuve de l'histoire ne comporte pour l'être
humain aucune berge, et qu'il a bien de la chance s'il garde la tête
hors de l'eau.
Un autre exemple : l'histoire théorique ne peut être en dernière
instance que celle de la production parce que l'histoire, directement
concurrente, des idéologies n'est pas historique en son fond à elle
seule car toute idéologie se déroule dans un temps mythique, en un
éternel présent. La théorie de l'Histoire proscrit l'éternel. Ceci
ne veut pas dire que les idéologies n'aient pas puissamment modifié
la production qui les modifiait, ni qu'au delà de la théorie on ne
puisse croire à l'éternel.
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NOTES
(1) Selon l'expression de P. Vgyne
(2) Cf. mes propositions, succinctes, dans l'article Baroque et classicisme», l'Homme
et la Société, No73-74 - 1984
(3) Je ne peux renvoyer ici qu'à mes propositions de classification combinatoire dans
«Critique du Politique», Ed Anthropos, Paris 1983
(4) Nous sommes singulièrement redevables à M. Rubel de nous l'avoir rappelé avec
force en pleine période «stalinienne» en France. Cf. son K. Marx Essai de biographie
intellectuelle, Paris, Rivière - 1957.