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Entretien avec
le Dr Pierre-Jean Touboul*
Le Doppler continu

■ P. Niclot**
P. Niclot

L ongtemps après les cardiologues, les neurologues vasculaires ont compris tout l’intérêt de
P.-J. Touboul

savoir manier l’examen ultrasonore des artères cérébrales. L’un des pionniers, depuis 25 ans, est
Pierre-Jean Touboul. Il a formé des générations de cardiologues, bien avant que les neurologues
ne découvrent son enseignement, notamment au travers du DIU neuro-vasculaire dont il est l’un
des maillons forts. Pierre-Jean Touboul a très tôt compris que l’examen ultrasonore était l’outil
indispensable, le stéthoscope du cerveau, qui permet en quelques minutes d’expertise de
connaître l’état hémodynamique intracrânien, de découvrir une occlusion ou une sténose de l’un
des axes artériels majeurs du cerveau. Le matériel s’est considérablement amélioré, miniaturisé,
et nous pouvons dès à présent équiper nos stroke team d’appareils de Doppler continu et
transcrânien et même d’échographes portables. Dans cet entretien avec Philippe Niclot, Pierre-
Jean Touboul souligne l’intérêt du Doppler continu, étape indispensable d’un examen ultrasonore
bien conduit, sémiologie désormais souvent malheureusement ignorée par la plupart des
ultrasonographistes au profit du Doppler pulsé. Il nous explique pourquoi cet examen est utile
au neurologue.
P. Amarenco, rédacteur en chef

* Services de neurologie,
hôpital Lariboisière et hôpital Bichat, Paris.
** Service de neurologie et centre d’accueil
et de traitement de l’attaque cérébrale,
hôpital Bichat, Paris.
Philippe Niclot : Quels sont les principes phy-
siques sur lesquels repose le Doppler continu ?
Pierre-Jean Touboul : Le Doppler continu est
une méthode de recueil de l’information hémo-
dynamique des vaisseaux reposant sur l’effet
Doppler. L’effet Doppler est la variation entre
les fréquences des ondes émises et rétro-diffu-
sées induite par le déplacement d’un réflecteur.
Dans son application médicale, le réflecteur est
le globule rouge. La relation qui lie la vitesse
circulatoire à l’effet Doppler est : ∆F = KV
cos(θ), où ∆F représente la variation de fré-
quence générée par effet Doppler, V la vitesse
circulatoire et θ l’angle formé par l’axe du vais-
seau et celui du faisceau d’ultrasons. Plus la
vitesse circulatoire est élevée, plus l’effet
Doppler est important et le son produit est
aigu ; inversement, une vitesse circulatoire
basse génère un son grave. L’émission et la
réception du faisceau d’ultrasons nécessaire au
recueil de cette variation sont réalisées par une
sonde dont la fréquence est le plus souvent de
4 MHz.
P.N. : Quel type d’informations apporte-t-il sur
la circulation artérielle ?
P-J.T. : Les informations que cette méthode
procure sont très nombreuses, on peut schéma-
tiquement les classer en informations qualita-
tives et quantitatives.
◆ Qualitatives :
– la présence d’un flux permanent caractéris-
tique d’un vaisseau à destinée cérébrale. Ce
flux est le flux diastolique que l’on doit perce-
voir sur les artères carotides commune
(figure 1) et interne et sur l’artère vertébrale, et
qui varie de 15 à 30 cm/s. Ce flux est un indica-
teur fiable des résistances d’aval. Il est utilisé

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Figure 1. Vitesse diastolique normale (21 cm/s) de l’artère carotide commune. Index de résistance
également normal de 0,75 ((81-21)/81).
Figure 2. Accélération (150 cm/s) sans turbulence
à l’origine de l’artère carotide interne. En coupe
transversale (échotomographie Doppler), le degré
de sténose est d’environ 75 % en surface.
dans le calcul de l’index de résistance évalué au
niveau des artères carotides communes :
IR = V systolique – V diastolique/V systolique ;
– le sens circulatoire permet de vérifier la
conservation du sens physiologique de la circu-
lation d’un segment artériel (ophtalmique, ver-
tébrale) ;
– la détection d’anomalies acoustiques ou gra-
phiques caractéristiques d’un flux turbulent. Les
turbulences peuvent traduire la présence d’une
sténose fonctionnelle (inadaptation du diamètre
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au flux qui le traverse), ou organique (inadapta-
tion du flux au diamètre qu’il traverse).
◆ Quantitatives : les vitesses circulatoires dias-
toliques, systoliques et moyennes peuvent être
selon les pathologies diminuées ou augmen-
tées. Elles sont habituellement comparées au
côté opposé présumé sain.
P.N. : Quel est l’apport du Doppler continu
dans la détection et la quantification des sté-
noses carotides athéroscléreuses ?
P-J.T. : Le Doppler continu est une méthode
sensible et spécifique de détection des sté-
noses hémodynamiques :
– les sténoses carotides inférieures à 65 % en
surface ne modifient pas significativement les
vitesses au niveau de la sténose, en amont, ou
en aval ;
– les sténoses de 65 à 80 % ne donnent habi-
tuellement que des modifications localisées à
la sténose (accélération > 140 cm/s) (figure 2) ;
– les sténoses supérieures à 80 % entraînent
habituellement des modifications significatives
(diminution, amortissement, inversion) du
signal ophtalmique ;
– au-delà de 90 %, l’index de résistance aug-
mente, traduisant la présence d’un obstacle
hémodynamique sévère sur la voie carotide.
Cette sémiologie simple permet d’évaluer, avec
une sensibilité et une spécificité supérieures à
80 %, le degré des sténoses de l’artère carotide
interne.
P.N. : Quels sont ses avantages et ses limites
par rapport au doppler pulsé ?
P-J.T. : ◆ Avantages : le Doppler continu pro-
cure des valeurs reproductibles, tandis que les
variations inter- et intra-individuelles obtenues
par le Doppler pulsé sont importantes. Ces
variations s’expliquent par les nombreux para-
mètres réglables que met en jeu le doppler
pulsé, ce sont : la fréquence Doppler, le volume
d’échantillonnage, l’angle de tir, la profondeur
réglable du volume d’échantillonnage.
◆ Limites : toutefois, le codage couleur du
Doppler pulsé est un énorme avantage de ce
mode puisqu’il permet la visualisation du sang
circulant et, de ce fait, une meilleure délimita-
tion des interfaces paroi-lumière artérielle.
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Figure 3. Accélération (172 cm/s) et turbulences (➝) d’une sténose serrée de l’artère sous-clavière prévertébrale.
P.N. : Quel est l’apport du Doppler continu
dans le diagnostic et le suivi des dissections
carotides ?
P-J.T. : ◆ Dans le diagnostic : le Doppler
continu permet de détecter une accélération de
l’artère carotide interne sous-pétreuse, qui est
parfois le seul signe conduisant à des examens
plus poussés. En effet, l’examen échographique
visualise mal cette région. Cet examen permet
également d’évaluer le retentissement hémody-
namique d’amont (index de résistance) et
d’aval (amplitude et sens de l’artère ophtal-
mique) de l’obstacle hémodynamique com-
plexe induit par la dissection.
◆ Dans le suivi : le Doppler continu est un exa-
men simple et facile permettant de suivre la
“guérison” de l’hématome de paroi, à partir de
l’amélioration des signes d’amont (IR), des
signes directs (accélération) et des signes
d’aval (ophtalmique).
P.N. : Quel est l’apport du Doppler continu
dans la détection et la quantification des sté-
noses de l’ostium vertébral ?
P-J.T. : L’ostium vertébral est une structure vas-
culaire difficile à analyser par échographie, le
Doppler pulsé ne permet pas d’en améliorer
significativement la qualité. L’avantage du
Doppler continu dans ce cas est de permettre
un enregistrement en V0, V1, et V3 de l’artère
vertébrale. Les anomalies constatées doivent
être concordantes pour porter ce diagnostic.
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◆ En V0 : accélération de la vitesse diastolique
et systolique.
◆ En V1 : persistance de cette accélération.
◆ En V3 : amortissement ou encoche proto-
systolique.
Le seul diagnostic différentiel est la sténose
serrée de l’artère sous-clavière prévertébrale
qui peut induire les mêmes anomalies verté-
brales au stade d’hémodétournement poten-
tiel. Dans ce cas, seule la manœuvre d’hyperhé-
mie du membre homolatéral permet, lorsqu’elle
est négative (absence de modifications de la
vertébrale homolatérale), de s’assurer qu’il
s’agit bien d’une sténose de l’artère vertébrale
et non sous-clavière (figure 3).
P.N. : Quels signes au Doppler continu amè-
nent à suspecter la présence d’une sténose
artérielle intracrânienne ?
P-J.T. : Une des limites du Doppler continu est
l’inaccessibilité à la circulation intracrânienne. Le
diagnostic de sténose intracrânienne ne peut
pratiquement jamais être porté sur le seul exa-
men Doppler continu des vaisseaux cervicaux.
Dans quelques cas rares, une asymétrie des
index de résistance constatée au niveau des
artères carotides communes peut faire suspecter
la présence d’une occlusion d’une artère caro-
tide ou sylvienne intracrânienne du côté où l’in-
dex est le plus élevé. Toutefois, la sensibilité et la
spécificité de cette sémiologie sont trop faibles
pour pouvoir être utilisées pour ce diagnostic.