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Dissertation 

: L’Etat est-il une institution naturelle ?

Lorsque dans La ferme des animaux de George Orwell, les animaux de la ferme
prennent le pouvoir et créent un nouvel Etat, cet Etat n’a rien de naturel mais est plutôt
l’expression de la volonté des cochons.
L’Etat, avec une majuscule, désigne l’instance politique qui exerce le pouvoir et qui est
chargé d’organiser la vie collective sur un territoire donné. On considère comme Une
institution est à la fois l’action d’instituer, c’est-à-dire d’établir pour la première fois, et un
organisme ou une structure qui gère les intérêts de la collectivité. Dans ce dernier sens l’Etat
est constitué d’un ensemble d’institutions politiques, juridiques, administratives... Enfin on
dit de quelque chose qu’elle est naturelle pour l’opposer à artificielle, produite par l’homme.
L’Etat est-il une institution naturelle ? Cette question nous invite à réfléchir plus
particulièrement sur les origines de l’Etat, sur ses fondements. Elle nous pousse à nous
demander quelles sont les conditions d’apparition d’un Etat ? Pourquoi les hommes
ressentent-ils le besoin d’instituer un Etat ?
Nous nous demanderons tout d’abord si l’Etat est une institution obligatoire dans une
société. Nous analyserons ensuite les arguments en faveur de l’Etat comme institution
naturelle. Nous finirons par nous demander qu’est-ce que l’Etat s’il n’est pas une institution
naturelle.

La question qui nous est posé part du principe qu’il y a un Etat dont on cherche
l’origine. Mais, pour commencer, nous pouvons nous demander si toutes les sociétés
possèdent un Etat. Autrement dit, existe-t-il des sociétés sans Etat ? L’histoire nous donne
l’exemple de sociétés sans Etat. En effet, l’Etat n’existait pas chez les hommes
préhistoriques. De nos jours encore, il existe des peuples qui vivent sans Etat. Ce sont
souvent des tribus isolées. L’anthropologue Pierre Clastres s’est appuyé sur l’étude de tribus,
comme les tribus amérindiennes par exemple, pour montrer qu’il existe des sociétés dans
lesquelles il n’y a pas d’Etat. Selon lui dans ces tribus, il y a un chef mais celui-ci n’a rien à
voir avec un chef d’Etat. Il n’exerce pas les fonctions d’autorité. Comme le dit Pierre Clastres,
« Le lieu de la chefferie n’est pas lieu du pouvoir ». Ce n’est pas le chef qui détient le
pouvoir. Dans ces sociétés primitives il y a donc du pouvoir mais pas d’Etat. Le pouvoir est
réparti entre tous les membres de la société et le chef a pour fonction principale d’apaiser
les conflits entre les membres de la société.
L’apparition de l’Etat est le fruit du hasard. Le passage d’une société sans Etat à une
société avec Etat est la conséquence du « malencontre », du hasard. Par contre, selon lui, le
contraire, c’est-à-dire le passage d’une société avec Etat à une société sans Etat, n’est pas
possible. Le passage ne peut se faire que dans un sens « du non-Etat vers l’Etat, jamais dans
l’autre sens ». Pour les sociétés primitives, ne pas avoir d’Etat est un choix. Ce sont des
sociétés « contre l’Etat » qui luttent donc pour ne pas avoir d’Etat.
L’absence d’Etat est liée à l’absence de classes dans la société. S’il n’y a pas de classes
supérieures qui dominent et commandent les autres et de classes inférieures qui doivent se

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soumettre et obéir, l’Etat n’est pas nécessaire. L’Etat nait de l’opposition entre différentes
classes. C’est ce qui se passe dans les sociétés primitives et c’est ce qui se passerait dans une
société communiste car, comme le montre Engels, l’abolition de la propriété privée mettrait
fin à la distinction entre bourgeois et prolétaires et rend l’Etat superflu. De même
l’anarchisme défend l’idée d’une société sans Etat. S’il n’y a pas de classes dans une société,
il n’y a pas besoin d’Etat.
L’institution d’un Etat n’est donc pas une obligation. Une société peut fonctionner
sans Etat. Alors, si les sociétés primitives vivent très bien sans Etat, pourquoi l’Etat est-il
apparu ?

Pour certains philosophes, comme Aristote, l’Etat est une institution naturelle. C’est
la nature qui est à l’origine de la société et de l’Etat : « toute cité est un fait de nature ». La
cité-Etat est le prolongement du rassemblement de plusieurs villages qui sont eux-mêmes le
regroupement de plusieurs familles. Vivre en société est une tendance naturelle de l’homme
dès sa naissance. C’est naturellement que l’individu vit au sein d’une famille, puis ces
familles se regroupent en villages qui forment la cité s’ils se regroupent. Ces regroupements
successifs ont comme but, au départ, de satisfaire des besoins vitaux mais surtout, comme
l’explique Aristote la cité-Etat « existe pour permettre de bien vivre ». L’Etat a ainsi pour
objectif le bien de tous (et pas seulement de quelques-uns) au travers de lois qui définissent
les règles à suivre et au travers de la mise en place de moyens au service du bien de tous
(tribunaux, police, écoles, hôpitaux…). L’Etat doit permettre aux hommes de vivre heureux.
L’Etat est une institution naturelle car, comme l’affirme Aristote « l’homme est par
nature un animal politique ». Cette phrase d’Aristote souligne que l’homme se différencie de
l’animal par l’adjectif « politique » venant du grec « polis » qui signifie la cité. Il est fait pour
vivre en société c’est-à-dire pour vivre avec d’autres hommes car il ne peut pas s’en sortir
tout seul. C’est dans sa nature. Et l’homme ne peut pas être autre chose qu’un « animal
politique » puisqu’il l’est « par nature ». Il ne peut pas faire différemment. Au contraire celui
qui s’exclut de la cité-Etat est « un être dégradé ou au-dessus de l’humanité » c’est-à-dire
qu’il n’appartient plus au genre humain ou est surhumain comme un dieu par exemple.
L’Etat n’est-il qu’une institution naturelle ? Peut-on décider de façon réfléchie de
mettre en place un Etat ?

Si pour certains l’Etat est une institution naturelle, pour d’autres il est nécessaire
d’instituer un Etat pour donner un cadre aux rapports entre les hommes. Dans ce cas-là, ce
n’est plus la nature mais les hommes qui sont à l’origine de la mise en place d’un Etat. C’est
eux qui décident de façon volontaire de mettre en place l’Etat qui va les gouverner. L’Etat
doit alors garantir les droits de chaque individu ainsi que leur liberté. On retrouve cette
conception de l’Etat chez Hobbes. L’Etat n’est pas, selon lui, une institution naturelle mais le
fruit d’une « convention artificielle », c’est-à-dire d’un contrat. L’homme n’est pas
naturellement sociable, à la différence de l’animal, et c’est par intérêt qu’un Etat est mis en

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place. Hobbes imagine un état de nature où tous les hommes sont une menace pour tous.
Les hommes passent de cet état de nature à l’état civil par un pacte, une convention.
Selon Hobbes, pour qu’une société fonctionne il faut « un pouvoir commun pour
maintenir [les hommes] dans la crainte et pour diriger leurs actions vers l’intérêt commun ».
L’Etat a comme objectif de préserver l’intérêt commun car, naturellement les hommes
auraient tendance à rechercher le pouvoir pour eux et à être violents. C’est parce qu’ils ont
tendance naturellement à se faire la guerre qu’il faut un chef d’Etat qui soit craint. L’Etat est,
selon Hobbes, nécessaire pour maintenir la paix et la sécurité car, selon sa formule célèbre,
« l’homme est un loup pour l’homme », c’est-à-dire que l’homme serait prêt à tout pour
obtenir ce qu’il veut. Il serait même capable de tuer s’il n’existait pas un Etat qui impose ses
lois pour que la violence s’arrête et pour diminuer les conflits. Il faut donc un Etat puissant
pour assurer l’ordre et imposer sa loi. Cet Etat est incarné dans la figure du Léviathan, un
monstre marin surpuissant qui symbolise le pouvoir absolu.

Nous avons ainsi vu que, l’Etat n’est pas forcément nécessaire pour qu’une société
fonctionne. Lorsqu’il y a un Etat, il est, pour certains philosophes, obligatoirement une
institution naturelle, pour d’autres, il est institué par les hommes. Cette dernière conception
de l’Etat semble être celle qui domine dans nos sociétés modernes. L’Etat doit faire face à un
défi qui est de concilier le penchant naturel des hommes à vivre avec d’autres hommes dont
ils recherchent la compagnie tout en maîtrisant leur tendance à s’opposer dans le conflit
pour privilégier leur intérêt particulier. C’est ce que Kant nomme « l’insociable sociabilité des
hommes ».

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