A. Beitone, L. Lorrain, C. Rodrigues, La dissertation de science économique © Dunod, 2019.

Entraînement à la dissertation de science économique

Sujet 4

Peut-on, en accord avec J.-A. Schumpeter, considérer que

« l’histoire de la théorie économique est l’histoire de l’opposition
entre deux paradigmes majeurs : celui de l’analyse réelle et celui de
l’analyse monétaire » ?
Janvier 2020

1. Se préparer à la rédaction

1.1. L’enjeu du sujet

La formulation du sujet est de nature clairement théorique. En choisissant la référence de
l’économiste autrichien J. A. Schumpeter dans un argumentaire qu’il développe dans Histoire
de l’analyse économique en 1954, il s’agit de mettre en évidence un débat central de l’histoire
de la pensée économique. Il ne fait aucun doute que cette controverse, quant à la place de la
monnaie dans l’analyse économique comme simple « voile jeté » sur l’économie réelle et les
échanges ou, au contraire, comme monnaie active à l’origine de la création des richesses ou
des crises, a été présente dans l’histoire de la discipline. Selon Schumpeter, cette controverse
est structurante et conduit à un débat scientifique ouvert. L’enjeu du sujet consiste donc à se
demander si, plus de 70 ans plus tard, elle est toujours d’actualité ou si, au contraire, on
assiste à la constitution d’un savoir économique convergent sur cette question.

1.2. Le cadrage du sujet et les concepts clés

- On entend par paradigme de l’analyse réelle la partie de la théorie économique qui
s’appuie sur le postulat du primat des variables réelles de l’économie, à savoir l’activité
de production ainsi que la distribution des richesses principalement dans le cadre de
la coordination marchande (les prix relatifs des produits constituant une composante
centrale du système économique). Dans cette approche, la monnaie n’est qu’un voile
jeté sur la réalité économique, elle est neutre, ce qui implique que l’essentiel de
l’analyse économique porte sur la question de la coordination par le marché et les
conditions, dans ce cadre, d’une affectation optimale des ressources. Le second
paradigme, appelé celui de l’analyse monétaire par Schumpeter et dans lequel il
s’inscrit de lui-même, prend appui sur l’hypothèse selon laquelle la monnaie est une
institution centrale dans les économies qui sont principalement fondées sur la
coordination par le marché. Elle est l’institution qui rend possible le fonctionnement
du marché. À ce titre, elle est fondamentalement active (elle se situe aux origines de
l’activité de création mais aussi de distribution des richesses). Il en découle qu’on ne
peut pas penser le système économique indépendamment de la monnaie (refus de la
dichotomie) et que le temps et les anticipations mises en œuvre par les agents sont
des variables fondamentales.
- Le sujet comporte une dimension historique du point de vue de l’histoire de la pensée
économique. Il semble pertinent de commencer cette étude avec les premiers écrits

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d’économistes classiques (ceux de D. Hume et A. Smith sur la neutralité de la monnaie,

par exemple) ou encore avec la célèbre controverse du Bullion Report en Angleterre
en 1810. Toutefois, ce recours à l’histoire de la pensée ne doit pas reposer sur une
seule exigence formelle. Il doit nourrir la réflexion consistant à se demander si ce débat
est toujours ouvert et prépondérant aujourd’hui. Par exemple, comment la théorie
économique compose-t-elle avec l’héritage de la domination de la pensée monétariste
de M. Friedman dans le contexte actuel de globalisation financière ? Comment la
théorie économique a-t-elle pu tirer les leçons de la crise mondiale de72008 du point
de vue du statut de la monnaie ? Comment la théorie économique enfin rend-elle
compte des débats actuels relatifs à la régulation prudentielle à l’égard des banques
systémiques ou à la poursuite au début 2020 des politiques monétaires non
conventionnelles par les grandes banques centrales dans un contexte où les taux
d’intérêt sont au plus bas ?

1.3. La construction de la problématique

On peut s’appuyer sur une démonstration en trois temps :
- L’opposition entre économie réelle et économie monétaire est incontestablement une
opposition fondatrice dans l’histoire de la pensée économique.
- À partir de l’entrée dans la seconde mondialisation dans les années 1970 jusqu’à la fin
de la période de la « Grande modération », on assiste à un renouvellement significatif
du débat : les théories de la monnaie active sont marginalisées et les modèles produits
par l’école de Chicago et la nouvelle macroéconomie classique servent de cadre de
référence pour penser la place de la monnaie dans l’économie.
- Cependant, la crise de 2008 n’a pas seulement été un choc pour l’économie mondiale,
elle est également à l’origine de bouleversements à l’œuvre au sein de l’analyse
économique. Malgré les controverses scientifiques anciennes, il est possible d’affirmer
que celle-ci produit aujourd’hui des travaux convergents. Ainsi, l’idée que la monnaie
est endogène et active s’impose pour la courte et la moyenne période, ce qui implique
une régulation institutionnelle ambitieuse alors qu’elle fait aujourd’hui largement
encore défaut, tandis que, sur le long terme, le principe de la neutralité de la monnaie
semble s’imposer sous réserve là encore que des dispositifs efficaces permettent
d’inverser le processus d’hypertrophie de la finance qui alimente depuis plusieurs
décennies l’instabilité financière.

Sitographie
Extrait de L’économie mondiale 2016 – CEPII, « Les politiques monétaires non
conventionnelles » :
http://www.cepii.fr/PDF_PUB/em/2016/em2016-03.pdf
Revue de l’OFCE, 18 décembre 2019, « La BCE a-t-elle perdu la tête ? » :
https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/la-bce-a-t-elle-perdu-la-tete/
Revue de l’OFCE, 2019, « Politique monétaire, les banques centrales face à l’absence
d’inflation » :
https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/7-155OFCE.pdf
Revue de l’OFCE, 2019, « Banques centrales, changement de ton » :
https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/8-162OFCE.pdf

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Revue de l’OFCE, 2018, « Normalisation de la politique monétaire de la BCE » :

https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/11-158OFCE.pdf
Revue de l’OFCE, 2018, « Vers un nouveau rôle des banques en zone euro » :
https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/13-158OFCE.pdf
Une conférence de P.-C Hautcœur (2012) sur le rôle des banques centrales dans les crises
financières :
http://ses.ens-lyon.fr/ses/articles/preteur-en-dernier-ressort-too-big-to-fail-et-sanction-des-
banquiers-speculateurs-quelques-lecons-de-l-histoire-157853
Une conférence J.-P. Pollin sur les politiques monétaires après la crise de 2008 :
http://ses.ens-lyon.fr/ses/articles/quelle-politique-monetaire-apres-la-crise--157856
Une fiche sur le sujet : « La création monétaire produit-elle toujours de l’inflation ? » :
https://medias.dunod.com/document/9782200621889/Fiche-concours-Chapitre-1-II-
Creation-monetaire.pdf
LAKOMSKI O., 2006, Le crédit et le capitalisme : la contribution de Schumpeter à la théorie
monétaire :
https://www.cairn.info/revue-cahiers-d-economie-politique-2006-2-page-241.htm
LAKOMSKI O., 1999, La monnaie comme comptabilité sociale chez Schumpeter :
https://www.persee.fr/docAsPDF/cep_0154-8344_1999_num_35_1_1265.pdf
AGLIETTA M., L’économie mondiale 2003 – CEPII, « Le renouveau de la monnaie » :
http://www.cepii.fr/PDF_PUB/em/2003/em2003-08.pdf
ARTUS P., « Le débat autour de la théorie monétaire est passionnant » :
https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/05/17/patrick-artus-le-debat-autour-de-la-
theorie-monetaire-moderne-est-passionnant_5463530_3232.html
BLARDONE G., « La théorie monétaire moderne libère de la peur de l’endettement » :
https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/08/18/gilbert-blardone-la-theorie-monetaire-
moderne-libere-de-la-peur-de-l-endettement_5500417_3232.html
Stephanie Kelton, une représentante de la « nouvelle théorie monétaire » :
https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/06/03/stephanie-kelton-l-economiste-
heterodoxe-de-bernie-sanders_5470566_3232.html