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Effet de nuit

Le terme « eau-forte » désigne une technique de gravure utilisée notamment par les peintres
tels que Dürer ou Rembrandt. L’usage du mot comme titre de la seconde partie du recueil se
comprend ainsi comme une comparaison délibérée avec le travail du peintre : Verlaine nous
donne à voir un croquis (c’est-à dire une esquisse à grands traits). Il cherche à traduire en
poésie un « effet de nuit » c’est-à dire la perception visuelle d’une scène nocturne.

Le titre est sous la forme d’un syntagme nominale composé d’un substantif «effet » et d’un
syntagme prépositionnel complément du nom « de nuit ». « Effet » est un terme polysémique.
D’après le titre de la seconde partie du recueil « eau-forte », « effet » peut signifier deux
choses : l’une « impression produite » dans une périphrase verbale «  faire effet » peut
signifier «  frapper » en rapport avec les sensations, l’autre «  impression esthétique
recherchée par l’emploi de certaines techniques ».

Le dernier élément du titre est placé à l’attaque du poème dans le syntagme nominal « La
nuit », « nuit » dans un sens dénotatif signifie l’obscurité, l’ombre et les ténèbres par
opposition au jour, mais un sens connotatif dans l’usage littéraire, elle suggère le fait de ne
pas voir, de ne pas comprendre ou de ne pas sentir. Ceci plonge le lecteur d’emblée dans la
perspective picturale du clair/obscure et de l’indétermination. La structure concise de ce
syntagme se dédouble dans un effet de parallélisme syntaxique avec le syntagme «  la pluie »
qui lui est juxtaposé. La progression se fait du passage d’un syntagme nominal à un autre. Le
substantif « plaine » qui renvoie à une précision spatiale est ,à l’instar du syntagme précédent
« la nuit », introduit par un article défini «  la ». cette détermination s’oppose à l’article
indéfini « un » qui précède le substantif «  ciel » . l’adjectif «  blafard » qui signifie «  d’un
teinte pâle et sans éclat » ou «  blanc et décoloré » qualifie le ciel et instaure la notion
d’imprécision . le syntagme nominal dont « ciel » est le noyau est étendu et s’étale par
enjambement sur 3 vers. La syntaxe du groupe nominal s’élargie au-delà de l’espace du vers
et l’inscrit ainsi dans une sorte d’immobilité ou de dilatation de l’image dans le temps. Il y a
une opposition syntaxique et rythmique avec les deux syntagmes du début de vers premier ( 2
, 2 , 8 ) . ce syntagme nominal étendu a mis à part l’adjectif qualificatif épithète «  blafard »
une autre expansion, c’est la proposition subordonnée relative «  que déchiquette/ De flèches
et de tours à jour la silhouette/ D’une ville gothique au lointain gris »

Le verbe « déchiquette » est le premier verbe d’action introduit dans le poème. Il a pour sujet
« la silhouette d’une ville gothique ». le substantif « silhouette » qui signifie ombre projetée
dessinant nettement un contour ou bien une forme qui se profile en noir sur un fond clair est
mis à la rime. Ceci met en valeur le côté imprécis de la scène dont le poète veut rendre
compte. A l’exception de « cauchemar » , tous les titres d’eau-forte renvoient au vocabulaire
artistique- évident dans « marine », « effet de nuit » et « croquis parisien » . Il surgit dans le
vers 3 « d’une ville gothique éteinte au lointain gris » auquel il faut donner le sens technique
«  dont les couleurs claires sont atténuée ».
Le complément du nom « d’une ville gothique » ajoute une précision spatiale et esthétique.
En effet l’adjectif « gothique » renvoie à la fois à une architecture bien précise qui prône les
jeux sur la lumière du soleil grâce aux vitraux et à un époque bien déterminée à savoir celle
du Moyen Age. « au lointain gris » ce syntagme prépositionnel introduit l’idée de distance et
de profondeur doublée de l’adjectif chromatique « gris » qui renforce l’aspect flou et qui fait
écho à l’adjectif « blafard ». « de flèche et de tours » ces deux syntagmes prépositionnels
coordonnés sont le complément de moyen du verbe « déchiquette » , la personnification de la
« silhouette d’une ville gothique » englobe quelques éléments constitutifs de cette ville : « la
flèche » est un comble pyramidal ou conique d’un clocher. La « tour » est un bâtiment
construit en hauteur dominant un édifice ou un ensemble architectural. Ces deux éléments
supposent la verticalité et la proximité avec le ciel. «  à jour » , ajour , petite ouverture laissant
passer le jour, ajouré : percé orné de jours . « percer » qui signifie dans un sens propre « 
trouer » et dans un sens figuré « blesser » est remplacé dans la locution « percer à jour » par
« déchiqueter » qui veut dire «  déchirer irrégulièrement en petits morceaux et qui suppose
plus de violence que le verbe « percer ».

Cette personnification implique que la ville dans cette atmosphère confuse et flou donne
l’impression de déchirer le ciel avec les pointes des bâtiments.

« la plaine », retour à l’usage des syntagmes nominaux concis au début du vers 4. La
ponctuation suppose un rapport implicite entre le début du vers et sa suite. La phrase
introduite par le syntagme nominal « un gibet de pendus rabougris secoués par le bec avide
des corneilles » s’étend sur 4 vers. Ce syntagme est introduit par un article indéfini à l’instar
du syntagme nominal du premier vers. « Gibet » signifie fourche patibulaire où l’on exposait
les cadavres des suppliciés. La même idée des formes acérées et tranchantes se réitère dans ce
vers. Le sème de la mort apparait explicitement avec le syntagme nominal « pendus » qualifié
avec l’adjectif « rabougris » qui suppose une maigreur morbide ce qui accentue encore plus le
caractère sinistre de la scène décrite. Le recours à l’Hypallage dans l’expression «  secoués
par le bec avide des corneilles » pourrait renvoyer au poème de François Villon « la ballade
des pendus » . le participe présent «  dansant » coordonnée aux syntagmes précédents avec
« et » installe l’action dans la durée ce qui s’oppose au sémantisme du substantif « gigue » qui
est une danse qui consiste en mouvements rapides de jambes sur un rythme vif. L’adjectif « 
nonpareilles » souligne l’aspect extraordinaire voire fantastique de la danse. « Tandis que »
suggère l’opposition dans la simultanéité. Ceci correspond au regard du poète qui observe sur
le même plan deux actions différentes. La deuxième action est «  leurs pieds sont la pâture des
loups ».

Le sème des objets coupants est repris avec le substantif « épine » précédé par l’adjectif
indéfini «  quelques ». ces « épines » ne sont pas qualifiées quantitativement « buissons » et
dont la localisation par rapport à l’espace n’est pas définie « épars ». Le substantif « houx »
qui signifie un arbuste à feuilles aigües, luisantes et coriaces est traité de la même manière. Ce
qui est en revanche mis en valeur par l’enjambement et présenté à l’attaque du vers 9, c’est
l’impression que ces végétations laisse sur l’imagination du poète «  dressant l’horreur de leur
feuillage à droite et à gauche ». les précisions spatiales coordonnées «  à droite et à gauche »
mime le déplacement du regard du poète qui ne retient que l’impression morbide du paysage.
La métaphore exprimée par « l’horreur de leur feuillage » renforce l’effroi suggérée par la
scène entière. Le cadre acquière alors les caractéristiques de la scène qui y a lieu. Le participe
présent «  dressant » souligne encore plus la menace inspirée des formes affilées et fait écho à
la verticalité des flèches et des tours du début du poème.

Le substantif « Fouillis » qui désigne l’ entassement d’objets disparates réunis pêle-mêle est
qualifié avec l’adjectif qui ajoute une nuance chromatique «  fuligineux » et qui rappelle la
suie de part la couleur noirâtre . Cela véhicule l’idée de confusion et de désordre qui
s’accentue avec le complément du nom « d’un fond d’ébauche » dans un premier temps avec
le substantif «  fond » qui donne une dimension de profondeur à la description et dans un
deuxième temps avec le terme « Ébauche » qui signifie la première forme encore imparfaite
que l’on donne à une œuvre artistique . la dimension picturale est prononcée mais l’image
reste floue . L’indication spatiale « sur » traduit l’agencement de la description.

L’adverbe « puis » qui exprime une succession aux yeux de l’observateur, se trouve précédé
de la conjonction de subordination « et » qui suggère un souci de progression par rapport aux
éléments décrits au préalable sont séparés par une virgule du reste de la phrase qui s’étend sur
les 4 derniers vers du poème. Ceci saccade le rythme du vers 11 et met en évidence
l’importance de la séquence qui va suivre. Cette séquence reprend à priori le schéma du
syntagme nominal étendu. Avec le syntagme « trois livides prisonniers » , le poète introduit
les premières précisions quantitatives avec le numéral « trois » qui s’oppose aux indéfinis
« quelques » et « plein de.. » et qualitatives avec « livides » qui veut dire  pâle et blême. Le
rejet de la subordonnée relative « qui vont pieds nus » insiste sur cette information de détail
qui contraste avec l’imprécision du paysage décrit.

Le rythme ascendant du vers 13 (3, 4, 5) mime la progression de la marche des


« pertuisaniers » (…) La violence suggérée tout au long du poème progresse en crescendo et
culmine à la chute du poème avec le substantif « averse »

Le poète antique Horace préconisait l’imitation des peintres dans une formule latine restée
célèbre «  ut pictura poesis » ( « tu feras ta poésie comme un peintre » . le poème de Verlaine
est volontiers descriptif : les sensations oculaires y dominent et organisent la peinture qui
progresse selon le regard du poète et non suivant le déroulement d’une action. C’est la
description progressive de l’arrière plan aux détails, qui structure le poème intitulé « effet de
nuit ». Le regard de Verlaine laisse voir des paysages intérieurs troublés. Le mouvement
confus de silhouettes dans la pluie témoigne de cette confusion intérieure : les peintures
verlainiennes fixent de manière impressionniste des formes et de couleurs sans préciser la
nature des objets décrits.

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