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Commentaire composé du poème « À une passante »

Pr. Samira Etouil

« À une passante » est un poème de Charles Baudelaire, faisant partie des « Tableaux

parisiens », du recueil Les Fleurs du mal. Ce poème présenté dans la forme classique du

sonnet fixe est la révélation d’un moment de rencontre furtive avec une passante. La soudaine

apparition de la femme marque de son passage le ton du poème. De quelle manière et en

utilisant quelle esthétique le poème fixe l’image évanescente de cette parution ? Pour

répondre à cette question, nous allons étudier les expressions de forme et de fond relatives au

mouvement dans « la scène » poétique. Dans un deuxième temps, nous disséquerons le

portrait de la femme insérée dans le cadre urbain et en dernier, nous analyserons les

significations symboliques du thème du passage.

Le poème est scindé en deux moments majeurs qui, du côté formel, sont conservés

dans la structure du sonnet, opposant les quatrains aux tercets. Les strophes de quatre vers

ralentissent le mouvement tandis que les tercets produisent une allure plus accélérée, qui crée

une impression d’agilité. La répartition binaire concerne également le parallèle d’un moment

de contemplation et la description du mouvement. Celui-ci est relatif à l’apparition de la

femme. Au premier abord, la passante est rendue à son étrangeté. Une inconnue présentée

dans l’instantanéité du passage. Cet instant est entouré d’une méditation, un commentaire où

le poète décrit l’ambiance générale, analyse les effets subjectifs et émotionnels provoqués par

l’apparition pour finalement s’adresser à l’inconnue qui marque de son passage ses affectes.

Son profil est imprimé dans la mémoire.

Cette opposition crée la dynamique autour de deux temps. Le premier est relatif à la

scène bruyante de la rue, rendue par un champ lexical spécifique, composé des mots suivants :

« assourdissante » et « hurlait » (v.1). Les allitérations en « r » et les assonances en « u » et


« ou » imitent les sonorités de la rue, dures par les « r », stridentes avec le « u » et graves avec

le « ou ». Cet effet sonore est accentué par le hiatus, entre le « e » et le « a » dans le vers de

présentation, « La rue assourdissante autour de nous hurlait ». Le double hiatus entraine une

difficulté de prononciation, associant deux voyelles qui se rencontrent à la fin et au début de

mots qui se suivent. Il rend la phrase difficile à prononcer, entraine une articulation complexe,

augmente la rugosité du vers et introduit une inégalité rythmique. Tous ces effets sonores et

rythmiques représentent l’ambiance hostile de la rue. Par contre, l’apparition de la passante

est révélée dans les vers dominés par l’allitération en « s » qui est douce et sifflante : « Une

femme qui passa, d’une main fastueuse » (v.3). Le passage de la phonétique dure à la

phonétique douce (du 3e et 4e vers) marque un aspect supplémentaire du mouvement dans le

poème.

La passante est présentée à travers un portrait physique et moral. La femme présente

des traits d’élégance aristocratique, composés des éléments suivants.

La métonymie de « la main fastueuse » et la synecdoque du « feston » et de

« l’ourlet ». Ce sont des figures de style pour lesquelles la main est prise pour la personne et

les détails de la couture pour l’habit et l’allure générale de la passante. L’image poétique

procède par allusion en harmonie avec l’apparition de la femme qui n’est pas encore saisie

totalement et globalement. Les allures de la femme connotent également la perfection

physique évoquée par la silhouette élancée et par le corps sculptural.

Le portrait moral présente des indices d’ambivalence qui consistent en un va-et-vient

entre douceur et cruauté. La douceur de la femme passante est touchante. Sa beauté est totale.

Ces qualités sont extrêmes. Ce qui provoque un sentiment de crainte chez le poète. De même,

les ambivalences sont rendues dans des antithèses, confrontant « œil » et « ciel », « éclair » et

« nuit », dans le vers 8, et des oxymores dans « La douceur qui fascine et le plaisir qui tue ».
En plus, la symétrie, entre l’idée de plaisir et de mort, reprend les oppositions chères à

l’esthétique baudelairienne. À la suite de ces ambivalences, la femme est à la fois Éros et

Thanatos. Elle donne la vie et en même temps, elle est meurtrière.

La rencontre de la femme est vécue comme un événement quasi surnaturel. D’abord,

c’est une femme presque divinisée, c’est-à-dire comparée à Dieu. Ce statut lui est réservé par

le rapprochement avec une statue. Elle a un pouvoir un peu maléfique. Ensuite, la passante est

l’incarnation d’un idéal de caractère inaccessible. Cela implique deux états. L’un est relatif au

narrateur lui-même (le poète) qui se présente en un être hypersensible, agressé par la rue, la

foule et les bruits. Le deuxième état est relatif à la passante qui, par opposition, présente des

traits d’élégance et d’aisance. Si on compare les deux qualités, nous aurons deux tableaux

contrastés, mettant en confrontation d’un côté, une personne crispée, en proie à des

hallucinations, et de l’autre, nous avons la femme détendue, en possession de la réalité.

L’allégorie présente l’éphémère et l’évanescent, propres au temps, produits en

symbole de la femme qui passe. La jeune femme disparaît pour laisser derrière elle le

souvenir de son passage. La complicité amoureuse tant souhaitée n’a pas eu lieu en

s’adressant à la femme à la deuxième personne, « Ô toi que j’eusse aimée… » (v.14).

L’apostrophe tend à compenser l’absence définitive de la femme aimée. On constate comment

le poète construit dans l’imaginaire le mythe d’un amour réciproque et partagé. Cet état est

exprimé par des symétries syntaxiques, des oxymores : « éclair et nuit », « renaître et

éternité », « ailleurs et ici », « j’ignore et puis tu sais ». Tout ceci montre que l’histoire de la

passante est moins une anecdote réaliste qu’une allégorie du temps qui passe et de l’idéal

inaccessible.
À l’issue de ce commentaire, il est évident que le poème fait la part belle à l’esthétique

de l’éphémère pour fixer l’image furtive de la femme. La forme brève du poème autant que le

sonnet reprennent la notion du passage sur un fond constant, réalité controversée de la vie et

de sa logique. Le geste et le mouvement sont théâtralisés dans une scène qui reprend les

symboles de l’espace urbain, pour les rattacher à la sensibilité personnelle et intime du poète.

L’idéal baudelairien émerge ici dans une nouvelle représentation de l’être humain,

influencé par son environnement. Sur ce point, la volonté et le pouvoir composent une

dialectique que nous pouvons traiter en filigrane pour expliquer l’impossibilité de posséder

son destin. L’imagination poétique pose la question de l’environnement, de la cité, en rapport

avec les mouvements complexes de l’extérieur et de l’intérieur.

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