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Ennaji, M.
M. Ennaji
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2Bien avant le Protectorat, des transformations décisives ont été enregistrées dans la campagne
marocaine sous l’impact conjugué de facteurs internes et d’autres d’origine extérieure. Les lignes
qui suivent ont pour objet de s’interroger sur les implications de l’ouverture du Maroc au
commerce international notamment dans le monde rural. Quelle furent les modalités d’insertion
de l’économie paysanne dans le circuit dominé par le capital étranger ? Quel fut le rôle du capital
marchand à ce niveau ? Enfin quelles furent les incidences de ce processus sur la politique de l’Etat
en milieu rural ?
3La présente contribution se limite à l’examen de quelques aspects des questions soulevées. Nous
examinerons en premier les crises de subsistances sous le règne de Ḥassan 1er qui nous semblent
plus aiguës et plus étendues dans le temps qu’on ne le pense généralement. Nous aborderons par la
suite le problème de l’endettement paysan avant de conclure par l’examen de la réaction du
Makhzen aux transformations en cours dans le monde rural.
2 Miege (Jean-Louis) ; supra, pp. 385-387. Voyez cette description d’une intensité dramatique,
faite (...)
4L’avènement de Mawlay Ḥassan en 1873 intervient au sein d’une conjoncture de relative accalmie
et de prospérité consécutive à la terrible crise de 1867-69 qui avait ravagé le pays, mais en 1877, ce
cycle s’interrompait, le niveau des récoltes fut inférieur à la moyenne et obligea à des importations
de grains dans le nord du pays. Les moissons furent très mauvaises en 1878 sous les effets
conjugués de la sécheresse et des sauterelles. Très vite les prix grimpèrent, la disette s’installa1. Le
flot des populations campagnardes vers les villes grandit, gens faméliques accourus à la recherche
d’une bouchée de pain. Le terrain était favorable aux épidémies qui ne tardèrent pas à se
manifester. Aux gens décédés par inanition, allaient s’ajouter ceux emportés par le choléra, la
variole et la typhoïde. Des scènes effroyables s’étalaient au grand jour, que des observateurs
étrangers et locaux ont décrit2.
4 al Amin Al-°arbi b.°ali ad-Darqâwî/Ḥassan Ier (08.09.1296/26. 08.1879) B.H (C. 18).
5 Ḥassan Ier/sa°id b.Faraji (09.02.1296/02.02.1879) B.H (C. 18). Le Dahir en question avait été
prom (...)
8 Ahl Angâd/Ḥassan Ier « nulle pluie n’est tombée dans notre région cette année, écrivent-ils, le bé
(...)
12 Mawlây °Omar/Ḥassan Ier (13.01.1301/14.11.1883) B.H (C. 88). Ḥassan Ier/Ûmanâ’ Essaouira
(27.01.13 (...)
13 Ḥassan Ier/Mûḥammad b. °abdasslâm Amqšad (07.01.1301/08.11.1883) B.H. Il faut dire que les
documen (...)
5Des signes d’amélioration apparurent selon J.L. Miège à l’été 1879. L’épidémie s’éteignait et des
pluies abondantes tombaient en automne. L’Etat suspendit les secours qu’il avait consentis aux
plus miséreux3. Mais la population demeurait très affaiblie. Dans le Doukkala où le bétail avait été
en grande partie décimé, seuls les plus pourvus avaient pu reconstituer quelques têtes, alors que la
majorité des ruraux en restaient démunis4. Depuis 1878, le sultan avait interdit d’abattre les
femelles des troupeaux, spécialement ovins et bovins, en vue de faciliter la reconstitution du
cheptel5. Les temps restaient difficiles, comme le soulignent avec insistance les correspondances
makhzéniennes6. Les échanges très anémiés sur les marchés urbains tardent à se relever7. Durant
l’année 1880, l’oriental reste très éprouvé et souffre de sécheresse8. L’année 1881 fut mauvaise et
1882 calamiteuse. La sécheresse était générale, le cheptel durement frappé. Les processions de la
faim reprenaient de nouveau. Les fellahs étaient aux abois9. En 1883, la situation demeurait
terrible, les prix des grains élevés. La récolte était médiocre dans le Rharb10. Dans le sud, chez les
Sraghnas, les Mesfioua, les Ouzguita dans le Haouz, les récoltes furent encore moindres qu’en
188211. La sécheresse continuait à sévir dans le Sous et le Rif12. Mais en général, la situation était
meilleure par rapport à l’année passée13.
20 Ḥassan Ier/Awlâd mawlây °ali aš-šarif (18.01.1301/19.11.1883) B.H (K. 516). La disette ne prit
fin (...)
6L’année 1884 ne s’annonçait pas heureuse. En novembre 1883, l’eau était si rare à Fès, que farine
et pain s’y faisaient rares, car peu de moulins fonctionnaient ; les jardins d’Etat à l’extérieur de la
ville accaparant l’eau à leur profit14. En janvier les pluies tardaient encore à venir. Dans l’oriental,
les prix sont chers et les gens fort endommagés par la sécheresse15. On sollicitait du Mahzen
l’envoi de grains plus abondants dit-on sur les marchés des Doukkala16. Dans le Rif, la disette
règne17. On demande l’autorisation de vendre l’alfa car « les gens sont dans le plus grand besoin
»18. En février même chez les Doukkala, on craint le pire si la pluie ne vient pas soulager la
population19. Dans le Tafilalet, la disette aggrave les troubles inter-tribaux, le sultan est dans
l’obligation d’assurer par une aide la subsistance des Chorfa20.
22 Il en est de même chez les Sraghna, les Mesfouia, les Ouzguita alors qu’on espérait de bonnes
réco (...)
28 Û°ali b.al-Ḥâjj, amin al-Mûstafâd de Rabat/Ḥassan Ier (28.09.1301/22.07.1884) B.H (C. 43).
29 Ḥassan Ier/Mawlây Mûḥammad b.°Omar, naqib des chorfa à Salé (08.11.1301/30.08.1884) B.H.
31 Beaucoup de décès dont deux sœurs du sultan Ḥassan Ier et un petit-fils. Ḥassan Ier/My Slimân
et M (...)
34 sa°id al-Majjâṭi/Hassa’n Ier (13.07.1302/28.04.1885) B.H (C. 178) Mûḥammad b. alYazi al-
Maskini/Ḥa (...)
7Quelques temps après, des pluies importantes sont signalées, qui donnent lieu à des réjouissances
dans nombre de régions21. Mais les récoltes se révèlent en deça des espérances. Seuls les plus
riches, qui ont pu durant les crises aiguës maintenir et accumuler des moyens de production
purent en profiter. A Chichaoua et ailleurs, les paysans dit-on très affaiblis, n’ont pu blaver qu’une
partie de leurs terres. De plus, n’ayant pu réfectionner leurs canaux d’irrigation, ils se sont
contentés de labours en zone bour. A cela s’ajoutait, le manque de semences et la disette au
moment des labours22. Dans le Tadla, où l’année 1883 fut mauvaise, le manque d’animaux de trait
constitua un obstacle des plus grands à l’extension des superficies cultivées23. Chez les Doukkala
le bas niveau des récoltes explique que le prélèvement fiscal ne soit pas à la hauteur de ce qui était
prévu, « et cela parce que peu de gens ont labouré chez nous écrit un témoin. Et ces derniers n’ont
que peu labouré en raison du retard des pluies cette année »24. En Chaouia, les Ziaida font savoir
au sultan que depuis 1878, cela fait six ans qu’ils n’ont pas labouré25. Peu de labours sont aussi
signalés chez les Zerahna et les Branès ainsi que dans le Rif26. La faiblesse du mouvement des
échanges après les récoltes est une preuve supplémentaire de leur insuffisance. En juillet la viande
est chère à Casablanca et les ressources des habitants sont faibles27. A Rabat, les marchés des
bestiaux sont mal fournis28. La sécheresse va encore aggraver la situation du bétail. L’eau se fait
rare en effet. A Salé on se plaint au sultan « du péril et du désespoir survenus aux gens du fait de la
soif, du dessèchement des puits et de la quasi-disparition des abreuvoirs »29. Même problème à
Fès, où douze seulement des soixante douze moulins hydrauliques de la ville continuent à
fonctionner30. Dans le Tafilalet, une épidémie est mentionnée qui emporte nombre de gens parmi
les plus aisés31. L’année est meilleure en 1885. Les pluies sont abondantes du sud au nord. Les
prix baissent dans des régions jusque-là très touchées par les sécheresses consécutives. Ainsi en
est-il pour le Rif32 le Haha33 et le Sous, à l’exception dans ce dernier cas des Chtouka où les rats
dévastent les récoltes34.
35 °Abdassâdaq b.Aḥmad/Ḥassan Ier (26.11.1302/06.09.1885) B.H.
8Pour les régions de Tanger et de Tétouan, les moissons sont insuffisantes et l’approvisionnement
en grains s’impose35. Dans le Rharb, les pluies abondantes ont causé des dégâts dans les cultures
et les prix restent élevés depuis Mai à l’été36. Les troupeaux sont encore loin d’être reconstitués,
leurs prix demeurent hauts au cours de l’année dans le Haouz.
9La reprise amorcée se prolonge en 1886, année d’une prospérité remarquable selon les sources
européennes37. Mais ce jugement ne saurait être appliqué à l’ensemble des régions, ni à celui des
couches sociales. Dans le nord par exemple, aux environs de Larache, la cherté est grande au cours
du printemps. L’année dit-on est chère et « les gens ont vendu en totalité ou en partie leurs biens.
Certains ont pris la fuite »38. Chez les Haïaïna, les prix sont fort élevés en juillet39. La paysannerie
pauvre dans nombre de régions restait prisonnière des difficultés. Le niveau de la production
n’étant pas lié uniquement, il est vrai, de façon automatique aux conditions naturelles.
10En 1887 la sécheresse de novembre à fin février affecte les céréales dans le sud, mais l’année est
prospère dans le nord40. Effectivement les prix sont encore chers en mars dans le Haouz41. La
récolte y est moindre qu’en 1886 en raison de la faiblesse des précipitations, du manque d’eau dans
les séguias ; les rendements sont bas42. Dans le Doukkala aussi, les moissons ne sont pas
bonnes43. Mais des exceptions existent même dans le nord, chez le Béni Hsen où l’on signale la
rareté des grains44.
60 Ennaji, Pascon, op. cit. doc. 231 (05.10.1308/13.05.1891) Pour le Sous al-Adna : Mûhtas-sib
Rûdâni (...)
61 Les Ûmâna’ des Chiadma/Ḥassan Ier (01.03.1892) B.H (C. 113) (22.08.1307/13.04.1890) B.H
(K. 195) ° (...)
66 Mûḥtassib de Marrakech/Ḥassan Ier (27.11.1309/23.06.1892) B.H (K. 193). Même sur les
domaines du M (...)
67 Le Chaykh aṭ-Ṭwîri/Ḥassan Ier (18.10.1308/27.05.1891) B.H (K. 468). Les Ûmana de az-
Zirâwi/Ḥassan (...)
68 Les Ûmanâ’ et chyoukh des Mediouna/Ḥassan Ier (21.11.1308/28.06.1891) B.H (K. 468).
71 Les A°rab de Rabat/Ḥassan Ier (27.12.1308/03.08.1891) B.H chose qui leur est refusée (le
report) c (...)
74 Ḥassan Ier/L’ensemble des caïds des Haiaïna (14.01.1309/20.08.1891) B.H (K. 708).
11Le cycle prospère s’affirme en 1888. Les récoltes sont bonnes45. Dans le Haouz affecté par la
sécheresse l’an passé, l’activité marchande est de plus en plus animée. Les derniers marchés ruraux
abandonnés depuis 1878 reprennent de nouveau46. A la fin de l’année de mauvaises récoltes sont
cependant annoncées chez les Sraghna suite à la sécheresse47. Dans le nord, les kholt se plaignent,
malgré l’abondance des pluies, de faibles moissons48. Si la tendance générale se prolonge en 1889
et 1890, cette dernière année voit les signes précurseurs de l’affaissement de la production. Le
bétail n’avait pas eu suffisamment de temps pour se reconstituer totalement. Sa situation était en
plus aggravée par l’exportation vers l’Europe49 à laquelle s’ajoutait son écoulement clandestin en
Algérie. L’interdiction d’abattre les femelles, notamment bovines, était encore maintenue en cours
par l’Etat50. Dans l’oriental, chez les Angad l’année 1890 avait connu la sécheresse51. Dans le
Haouz, celle-ci qui se maintient jusqu’au printemps avait durement frappé les camélidés52.
Jusqu’en Avril, la situation demeurait très difficile dans le Sous53. Les récoltes en souffrirent54.
Les récoltes d’olives furent en deçà du niveau enregistré en 1889 dans le Haouz, mais aussi à
Chichaoua et chez les Sraghnas55. En août les grains atteignirent des prix élevés dans le Saïs56. La
crise en fait va débuter l’année suivante de façon très inégale selon les régions, avec l’invasion des
criquets. Mais déjà en octobre 1890, celle-ci débute dans le Sous et le haha57 où la campagne
agricole 1890-1891 sera mauvaise58. Dans le Sous écrit-on « Dieu (qu’il soit adoré et glorifié) a fait
s’abattre les criquets sur ces régions. Ils sont venus à bout de la totalité des récoltes d’orge, des
arbres et des pâturages. On ne voit plus rien sur le sol. Le bétail est affamé au point d’être
exterminé par les décès »59. En mai, les gens étaient « très affligés de la sécheresse et de la disette.
Que Dieu apaise les frayeurs des musulmans »60. Chez les Chiadma aussi, des pertes importantes
furent enregistrées dans les troupeaux61. Dans le Haouz, bon nombre de régions sont
endommagées par le fléau, aux environs même de Marrakech62 chez les Touggana63 les
Guedmioua64, chez les Sraghna65 ; les récoltes d’olives y seront particulièrement touchées66.
Même les Doukkala ne sont pas épargnés, les moissons y seront en effet faibles67. En Chaouia,
seuls les Médiouna semblent très sérieusement affectés68. A Rabat, les environs de la ville sont
envahis par les criquets et leurs rejetons. Les gens consentent à verser des prix élevés afin que leurs
propriétés en soient débarassées69. Les moissons d’ailleurs y sont mauvaises, les gens endurent de
grandes difficultés. On compte surtout sur le ravitaillement en grains de la Chaouia, mais celui-ci
est dirigé de préférence sur Casablanca70. Les A°rab demandent le report des obligations fiscales
en attendant des temps meilleurs. Ils fuient leurs terres pour le voisinage immédiat des Zaër dont
des fractions ont échappé aux déprédations71. Chez les Béni Hsen, les Sehoul et les Zemmour la
même insuffisance des récoltes céréalières est soulignée72. Le phénomène est similaire chez les
Zaiane où les décès sont importants dans le bétail73. Chez les Haiaïna c’est la troisième mauvaise
année consécutive74.
76 Les prix sont chers dans le Rharb : az-Zirâwi et ad-Dlîmi/Ḥassan Ier (01.07.1309/31.01.1892)
B.H ( (...)
77 al-Amin al-hmar al-Bû°zîzi/Ḥassan Ier (01.06.1309/02.01.1892) B.H (K. 468). le caïd al-
Bû°zizi/Ḥas (...)
12Il semble donc que la prospérité ne se maintint pas générale jusqu’en 1891-1892 ainsi que le
laissent penser les sources européennes75. L’année 1891 inaugure pratiquement le nouveau cycle
de difficultés. La situation va s’aggraver l’année suivante qui s’ouvre par une période de cherté
quasi-générale. Le makhzen met son grain en vente76. Les criquets rasent les pâturages dans
plusieurs régions. Des Doukkala on conduit les troupeaux vers la Chaouia où subsistent indemnes
quelques prés77.
78 dans l’oriental : al-hâjj as-Sahbi al-Mahyâoui/Ḥassan Ier (17.02.1310/10.09.1892) B.H (C. 367)
et (...)
13Le niveau des récoltes en baisse depuis 1891 continue à se dégrader. Les populations ne sont plus
en mesure d’acquitter les prélèvements de l’Etat78. De nouveau, des paysans désertent leurs
terroirs chez les tribus les moins épargnées, notamment les Haiaïna79. Chez les Zerahna, des
villages entiers se dépeuplent80. La mahalla en expédition dans le nord déjà infestée par la petite
vérole, souffre du manque aigü d’approvisionnement, les désertions y deviennent fréquentes et les
simples soldats se nourrissent de mendicité81. En 1893, la cherté ne désarme pratiquement pas le
long de l’année. La liste des régions affectées par la sécheresse et les criquets s’allonge82. De
nouveau les gens n’avaient pour nourriture que l’herbe des champs83. La disette élargissait son
aire préparant le champ aux épidémies84.
15La société marocaine au cours de la deuxième moitié du xixe siècle est très touchée par
l’endettement.
85 Ayache (G.) ; « Aspects de la crise financière au Maroc après l’expédition espagnole de 1860 ».
in (...)
16Si l’on a disserté sur les conséquences désastreuses de la dette forcée de l’Etat précolonial sur
l’économie du pays85, l’endettement des particuliers a peu attiré l’attention. Or le crédit a
constitué une arme formidable d’insertion de l’économie marocaine dans le cadre de l’économie
mondiale capitaliste86. C’est par son biais qu’une paysannerie tournée essentiellement vers une
production de subsistance, a été contrainte d’écouler une grande partie de sa production vers le
marché afin de régler ses dettes. Plus même, le crédit a joué un rôle essentiel dans la
transformation accélérée des rapports sociaux en permettant une concentration de la propriété. La
pénétration étrangère même limitée aux ports, a trouvé des conditions propices pour prolonger
son action par ce biais très loin à l’intérieur du pays. Des facteurs multiples ont facilité cette action.
92 Miege ; op. cit. t. III p. 30. et Mûḥammad b.al-mqaddam al-Bûhâri as-Sûri/Ḥ Ier
(15.03.1301/14.01. (...)
95 Les Umanâ’ des Ûlâd Bouaziz/H Ier (20.05.1303/24.02.1886) B.H (C. 86).
99 Les Ûmanâ’ du caïd al-Maḥjûb al-GalIûli/Ḥassan Ier (18.10.1301/11.08.1884) B.H (C. 30).
101 En fait la concurrence faite aux notables locaux par les juifs n’est pas étrangère à ce cri. °ali (...)
102 Ennaji (Mohammed) et Tozy(Mohammed) ; « La Prison au xixe siècle » Lamalif (186) mars
1987 pp. 38- (...)
105 Ḥassan Ier/at-Tayyab b. Hîma (24.10.1301/17.08.1884) B.H (C. 180) al°arbi b.hida ar-
Raḥâli/Ḥassan (...)
18Le crédit capitaliste qui ne se présentait ici dans une zone en voie de satellisation que sous la
forme de capital marchand et usuraire, épousa aussi les formes traditionnelles de prêt, notamment
le rhan. Celui-ci fut une des armes sûres de pénétration même dans les régions très éloignées des
ports104. Cette insertion graduelle des réseaux traditionnels dans les circuits du capital permit une
pénétration insensible de la société et de l’économie, pénétration dont on ne mesura la gravité
qu’au moment où ses conséquences commencèrent à voir jour sous l’aspect de l’appropriation des
terres par des étrangers. On comprend dès lors l’insistance avec laquelle l’Etat a réitéré à plusieurs
reprises l’interdiction du rhan105. L’interdiction ne fut pas toujours suivie d’effet. Ainsi à
Marrakech, on alla même à certains moments difficiles, jusqu’à interdire l’accès des femmes au
mellah de la ville afin de limiter plus sûrement la pratique106. Dans les marchés ruraux, sous une
apparence de fixité et de continuité, le juif habituel prêteur jouait en fait un rôle tout à fait inédit. Il
devenait un rouage de la percée capitaliste dans le pays107. Mais ni les crises agricoles, ni la
pression fiscale ne suffisent à notre avis pour expliquer l’ampleur du phénomène de l’endettement.
Une question centrale à laquelle il convient de répondre, se pose ici, quel fut le rôle des couches
dominantes des campagnes dans cette pénétration ?
108 107bis Selon Pascon (P.) qui affirme après le dépouillement du dossier MANNESMAN C° « il
n’y avait (...)
19Nous avons souligné le rôle des crises de subsistance dans l’endettement de la paysannerie ainsi
que celui de la pression fiscale dans l’aggravation des difficultés et donc dans le maintien constant
des masses rurales dans le besoin. Mais la pénétration du crédit très loin à l’intérieur du
pays110807bis ne pouvait assurément se faire de façon aussi rapide sans que les rapports sociaux
dominants ne s’y prêtent. Dans ce contexte, les pouvoirs locaux, caïds et autres agents subalternes,
ont joué un rôle de premier plan. Ils ont constitué la courroie de transmission et les agents moteurs
de l’insertion de l’économie paysanne, par le biais du crédit, dans l’aire capitaliste.
109 Ûmana’ des Ûlâd °Ammrane (Doukkala)/Ḥassan Ier (16.09.1302/29.06.1885) B.H (C. 183).
110 Ûmana’ al-Mustafâd/Ḥassan Ier (30.03.1301/29.01.1884) B.H. (C. 56).
111 Ḥmida b.°ali/a°mâra b.°Abdassâdaq (10.07.1291/23.08.1874) B.H. (C. 4). Il s’agit ici de al-
Jirrâri (...)
21A côté de cette action directe dans la commercialisation des produits, ils intervenaient aussi de
façon indirecte dans la monétarisation de l’économie rurale par une alliance intime avec le capital
usuraire. Cette fonction leur permettait de drainer plus discrètement, une fraction du surplus
agricole en dehors du canal makhzénien, à leur profit et à celui du capital étranger. Ce phénomène
prit une réelle ampleur sous le règne du sultan sidi Mûḥammad b.°Abdarraḥmân.
113 Dans le Doukkala en 1864. Voir Doc. n° 367 (14.05.1281/15.10.1864) B.H (K. 47).
22Le procédé était très simple. Le caïd contractait une dette considérable auprès des commerçants
étrangers, en usait pour son propre besoin et la répercutait quant au paiement sur la tribu. Au
début des années soixante, le pouvoir central est très alarmé de l’étendue de cette pratique113. En
1866, le sultan écrit à son fils Mawlây Ḥassan : « Nous avons reçu ta lettre au sujet de ce qu’ont
entrepris les caïds Mûḥammad b.al-Ḥassan at-Tizguini et Ḥassan al-Gargûri comme intrigues avec
les représentants des chrétiens, ainsi que les prêts à intérêt qu’ils ont contractés auprès d’eux et
dépensés dans la satisfaction de leurs passions selon ce que tu as mentionné. Ils se proposent de
faire recouvrer ces créances par les hommes du commun (al°âmma), comme ils en ont porté une
partie à la charge des notables contre leur gré. Tu mentionnes que le caïd as-Sarqâwi a entrepris
pire qu’eux encore en la matière »114. Quelque temps après, le détail circonstancié de l’action de
celui-ci parvint au sultan qui en accuse réception : « Nous avons reçu ta réponse à l’ordre que nous
t’avions donné d’enquêter sur les nouvelles qui nous étaient parvenues de l’action abominable
entreprise par le caïd °allâl as-Sarqâwi avec les chrétiens. Tu as mentionné que cela est vrai et
qu’ils sont partis de chez lui avant l’aïd. Il t’est parvenu aussi que ce qui faisait l’objet de leur
association a pris fin. Ils ont réalisé avec lui un profit considérable dans le crédit qu’ils ont fait à sa
tribu, dans le change du doublon où ils l’ont trompé, ainsi que dans la promesse d’une part sur le
gain réalisé avec la tribu et à laquelle ils ont fini par surseoir. Tu as rapporté qu’il a contraint
certains parmi ses frères, au cours de cet aïd, à contracter des prêts à intérêt au mellah de l’ordre
de 10.000 mitqâl »115. Le cas des autres caïds est pratiquement similaire. al-Gargûri avait une
dette de 27 500 ryal, dont 2500 auprès des français et 25 000 auprès des anglais. Le taux d’intérêt
est très élevé, car la dette anglaise mentionnée provient d’un prêt de 4 000 ryal116. La tribu devait
en faire les frais. Le caïd at-Tizguini dont la tribu avait déjà pour coutume de vendre aux étrangers
la récolte d’olives sur pied, était redevable d’un montant de 7 500 ryal. Montant « qu’il a fait
témoigner à la charge des notables de la tribu, alors que certains d’entre eux n’ont pas assisté et
personne parmi la totalité n’a dépensé un seul dirham à son profit »117. L’alliance du capital
usuraire et des pouvoirs locaux est donc on ne peut plus nette. Elle illustre de façon claire que les
mécanismes économiques à eux seuls sont loin de rendre compte de l’ampleur du phénomène de
l’endettement et de la saisie rapide du surplus paysan par le capitalisme, sans la complicité des
rapports sociaux en place. Cette alliance allait porter une menace sérieuse à la cohérence de
l’appareil de l’Etat, ainsi qu’en rend compte le sultan très alerté par le rôle joué par les caïds : «
Nous avons cru, jusque là, que vous étiez les agents du makhzen, administrant sous ses ordres
dans le prélèvement et le versement comme agit l’incapable sous le contrôle de son tuteur, car les
gouverneurs ont un mandat limité. Mais voilà que vous vous révélez au service d’autres par votre
agissement »118. Convaincu que les sermons à eux seuls étaient inopérants en pareil cas, la
question n’étant autre que l’accès au partage du surplus, le makhzen décida d’ouvrir une ligne de
crédit sur ses propres fonds au profit des caïds afin de les détourner de l’association avec le capital
étranger. C’est une tradition de votre père, écrit le chambellan à Mawlây Ḥassan, afin de les sevrer
(sic) de cette vilaine habitude de contracter des dettes et de les répercuter sur les tribus119. L’ordre
aussi fut édicté, de mettre aux arrêts les °Ummâl convaincus de telles pratiques. Mais la sévérité
des mesures ne parvient point à mettre un terme à une tendance portée par l’évolution de
l’économie et de la société. De l’aveu même du sultan, aux prescriptions et remontrances « les gens
n’ont guère prêté attention, et cet état des choses les a conduits à se ruer vers les commerçants
chrétiens, à contracter auprès d’eux des dettes très lourdes, inconscients quant à l’issue à laquelle
pareille chose pouvait conduire avec eux »120. Les mesures de pouvoir central pour contrecarrer et
contenir le phénomène de l’endettement, ne se limitent pas aux quelques actions ponctuelles
énumérées. Elles sont bien plus nombreuses et relèvent d’une stratégie d’ensemble qui mérite
d’être examinée dans le détail121. Le problème est en effet d’une importance considérable, sa
gravité qui fut ressentie aux premières heures fut, à notre avis, une des causes essentielles de la
réorganisation des pouvoirs locaux dont l’un des objectifs consistait à limiter les prérogatives du
caïd.
122 Ibid.
23L’essentiel pour nous, à ce niveau, est de souligner que non seulement la pratique ne prit pas fin,
mais qu’à l’inverse elle s’étendit. Faute de pouvoir l’enrayer, le makhzen tentera désormais de
prévenir et de limiter ses conséquences, notamment au niveau de l’appropriation des terres par les
étrangers à la suite de l’expropriation des débiteurs insolvables122. Sous le règne suivant, celui de
Ḥassan 1er, l’endettement forcé des tribus par le biais caïdal se renforça et se généralisa. A l’image
de la bourgeoisie citadine, des hauts dignitaires de l’Etat, les caïds entendaient bien, pour leur part,
s’inscrire dans le procès d’accumulation capitaliste en cours.
124 Aḥmad b.al-ḥâjj as-Sarrâḍi/Ḥassan Ier (08.07.02.1892) B.H Dans cette tribu des environs de
Casabla (...)
125 Chez les Doukkala, « les gens de condition modeste se sont endettés à cause de l’oppression
des go (...)
126 al-°arbi b.al-Ḥassan Ier (23.08.1301/18.06.1884) B.H (C. 57). °Abdarraḥmân b.Mûḥam-
mad/Ḥassan Ier (...)
127 Chez les Frouga dans le Haouz : °abbâs b.Dâwûd/al-ma°ţi b.al-°Arbi (11.09.1309/09.04.1892).
A El K (...)
130 Tel ce cousin du gouverneur d’une tribu des Doukkala qui accumula une fortune considérable
« il s’ (...)
131 Demande d’intervention pour nomination contre 100 ryal au ministre aṣ-Ṣanhâji par Aḥmad
b.°allâl a (...)
132 Versement de 1000 ryal : laḥcen B.Aḥmad al-aûdi (à Skhirate) Ḥassan Ier
(16.08.1311/22.02.1894) B. (...)
133 aḥmad b.bûziyân al-Bû°lâwi/Ḥassan Ier (12.08.1301/07.06.1884) B.H (C. 52). Aḥmad b.al-
makki b.al-M (...)
24Relevons quelques exemples à titre d’illustration, car les Archives du Makhzen fournissent une
information très riche dans ce domaine. Voici un caïd, al-Hâfidi qui a pressuré sa tribu « au point
qu’il l’a entraînée à la ruine. La plupart des gens ont pris la fuite et le reste s’est mis sous la
protection des juifs. Sa circonscription égalait dans le passé la tribu des Abda entière et les tribus
du Haouz, alors que maintenant il n’en reste pas grand chose. Il les a chargés de dettes envers les
commerçants des nations étrangères et a livré une reconnaissance des dettes à leur charge au
commerçant Georges. Ses hommes ainsi que ceux des commerçants font la tournée des souks avec
leurs tentes, harcelant les chyoukhs et les hommes du commun pour le règlement des créances
dont il les a chargés »123. Chez les Médiouna et les Ûlâd Ziyane, le caïd et les Ûmana’ « ont imposé
à la tribu des sommes considérables que le caïd a accaparées dans leur totalité. Le montant en
question avait été acquis à titre de prêt de la part des commerçants étrangers de Casablanca, une
partie à 50 %, une autre à 33 %. Et le reste contre la vente des récoltes sur pied. Les musulmans
sont chargés de dettes, le crédit d’une année se mêlant à celui d’une autre, et vont à leur perte du
fait des créances que leur engendrent leurs gouverneurs. J’ai aussi informé notre maître au sujet
des notaires du port précité, de leur grand nombre et de leur propagation dans les boutiques. Ils
témoignent pour les commerçants étrangers sans que nul les y autorise »124. Les caïds usaient de
tous les procédés pour acculer la tribu à l’endettement. Le prélèvement abusif dénué de tout aspect
légal venait renforcer les conséquences néfastes de la pression fiscale du centre poussant les sujets
dans les mailles du capital usurier afin d’acquitter les obligations125. L’établissement de faux actes
était un moyen expéditif et fort usité126. Bon nombre de notaires y trouvaient un gain facile et
assuré et n’hésitaient pas à mettre leurs plumes au service de l’agent d’autorité127. L’intercession
pour un prisonnier était l’occasion d’inciter la famille à s’endetter, car les bonnes grâces ne
tardaient pas à se manifester à la vue du numéraire128. Cette opération était souvent montée de
toutes pièces en commun accord, entre l’agent d’autorité et les prêteurs. Ces derniers ayant jeté
leur dévolu sur un bien, incitaient le caïd à incarcérer le propriétaire afin d’intercéder en sa faveur
et d’établir un acte de créance à sa charge pour le montant nécessité par son élargissement129. De
plus, les caïds exerçaient aussi directement l’usure, par l’entremise de leurs proches130. Nul
mystère donc à ce que la dette pénètre les pores de la société. Le pouvoir caïdal sous la pression de
sa propre dynamique et de la conjoncture dominante s’est parfaitement inséré dans le réseau du
capital, et a constitué le nœud d’articulation de ce dernier avec la société rurale. L’investiture du
caïd en fait inaugure le cycle de l’endettement que les préalables à la nomination annoncent déjà.
En effet, une vénalité des offices s’est installée sous le règne de Ḥassan Ier. Le postulant veille à
s’assurer le concours favorable des hauts dignitaires par des cadeaux en espèces131. Le poste
attribué, une certaine somme contractée à titre de prêt est versée d’avance à l’Etat132. Le
remboursement se fera à la charge de la tribu. Si bien qu’aux reproches qu’adresse l’Etat aux
pouvoirs locaux concernant l’endettement, une réplique de leur part unanime fait écho : ce sont les
obligations vis-à-vis du centre qui acculent à l’endettement133. La chose n’est vraie qu’en partie, il
faut le dire, mais la question ne réside pas à ce niveau. Force, par contre, est de constater que les
rouages de l’appareil de l’Etat se sont prêtés à la pénétration du crédit. Sans parler des prêteurs
nationaux d’origine urbaine dont l’alliance avec les commerçants européens est notoire, il suffit de
souligner les liens même qu’entretenaient les grands commerçants juifs avec l’appareil de l’Etat,
comme agents d’affaires des grands dignitaires134.
135 Lazarev (G.) ; « Aspects du Capitalisme agraire au Maroc avant le Protectorat ». A.A.N. 1975.
CNRS (...)
27On assiste à la formation d’une classe de grands propriétaires fonciers d’origine diverse certes
(citadins, ruraux), recouvrant des statuts différents : zaouias, chorfas, bourgeoisie urbaine, hauts
dignitaires, caïds, notables. Mais cette concentration de la propriété ne saurait être dissociée,
différenciée car elle s’inscrit dans le sillage de l’économie capitaliste mondiale. Cependant plus que
d’un capitalisme agraire dont il est prématuré de parler il s’agit d’un mouvement de privatisation
dont les procédés relèvent encore de l’aire précapitaliste. Ces derniers sont au fond d’une nature
violente caractéristique des méthodes d’accumulation primitive du capital mais avec des
divergences essentielles : l’absence d’une classe d’entrepreneurs dynamiques dans les campagnes
et une stagnation technique. Mais cette panoplie de moyens féodaux est une nécessité pour
désagréger les rapports communautaires dont la dissolution par les rapports marchands s’avérait
insuffisante. Malgré la nature précapitaliste des procédés de concentration des terres et
d’exploitation de la main d’oeuvre le mouvement quant à sa portée ne peut être dissocié de la
pénétration capitaliste ainsi que nous avons tenté de le montrer pour une de ses composantes :
l’endettement.
136 Aḥmad b.Hammû Hašmût al-Hâhi/Ḥassan Ier (26.03.1301/25.01.1884) B.H (C. 31) le Qâdi û
Sallâ/Ḥassan (...)
28De multiples exemples dans diverses régions peuvent l’illustrer, le phénomène de l’endettement
a constitué une cause essentielle de ce mouvement de concentration des terres, par l’expropriation
d’une fraction de la paysannerie dans une situation d’insolvabilité. On relève ainsi dans le Haha le
cas d’un amin al Hâjj °Abdarraḥmân qui a acheté le douar de °ali û Harrâz, celui de Mûḥammad
b.°ali ainsi que ceux de al°arb ûjâ et °abdasslâm avec toutes leurs terres melk, comme il a acquis
d’autres propriétés dans une autre localité. Le procédé d’acquisition est simple : avances sur
récoltes, rhan, association jusqu’à l’éviction du débiteur insolvable de sa propriété, avec le soutien
pas toujours désintéressé du qadi et des notaires de la région136. La situation des tribus se prêtait
en effet à ce genre de pratique aux moments difficiles. Ainsi beaucoup de gens des Haha s’étaient, à
la suite de la famine(1878-82) qui avait dévasté la région, installés à Essaouira et de là vendaient
leurs propriétés aux éventuels acquéreurs137. En dehors donc des contraintes consécutives à
l’endettement, les calamités naturelles avaient acculé les ruraux à vendre parfois librement leurs
terres qu’ils n’étaient pas en mesure d’exploiter138. Certaines cessions dans un univers
profondément meurtri, n’étaient pas sans rappeler les procédures d’acquisition des terres dans le
haut moyen âge européen. Ainsi Ḥassan 1er écrit à un agent des Aït Tâmer « Tu nous a informés
que des gens de votre tribu demandent à céder au Makhzen leurs terres qu’ils continueront à
exploiter contre une part de la récolte ; cela en raison de leur manque de ressources et de
l’impuissance où ils sont de les faire valoir »139. La conjonction du crédit et des crises de
subsistances a permis aussi l’émergence d’une grande propriété dans d’autres régions. Ainsi chez
les Abda, on mentionne le cas d’une famille Oulad at-Tadlâwi, originaire du Tadla. Ils avaient
quitté les Abda du temps de My °Abdarraḥmân suite aux exactions des gouverneurs se réfugiant
durant deux ans chez les Ahmar, puis sont revenus s’installer chez les Msâbih « se prétendant des
leurs, et se sont mis à leur accorder des prêts. Ils se sont appropriés environ le tiers des terres des
Chali et la même chose chez les Shaym » Ils y possèdent environ quinze maisons et quarante
attelées de labour (800 ha). Ils ont acquis la terre de la tribu surtout au cours des disettes
écoulées140.
146 Les gouverneurs des Hyaïna/Ḥassan Ier (09.01.1309/15.08.1891) B.H (C. 423).
29Dans le Haouz, la même tendance est relevée. Chez les Sektana « la majeure partie des terres a
été appropriée par les gens de Tamesloht et de Marrakech à vil prix au moment de la cherté »141.
Les Chyoukh des Tidrâra se plaignent au sultan de la faiblesse de leur tribu et du fait que les A°râb
Rehmna se sont appropriés leurs terres, notamment celles des lignages éteints et ce
progressivement au cours de la disette142. Chez les Mejjat et les Oulad Mta° « la plupart des terres
sont passées aux mains des gens des zaouias et des tribus environnantes par des ventes
complètement possessoires et par des actes de rhan ». Ils leur avançaient des grains et de l’argent à
titre de prêt avec un intérêt de 66 %143. Dans le nord du pays, l’étendue du phénomène a déjà été
soulignée144. Chez les Beni Malek et Sofian, on mentionne un groupe du nom de Oulad °ali sur les
rives du Sebou dont les membres « ont cédé par vente la propriété de leurs terres au cours de
l’année de sécheresse »145. Chez les Hyaïna, une partie de la tribu a vendu ses terres en 1891 vu les
difficultés rencontrées durant trois années successives de sécheresse146.
30En 1894 alors qu’une nouvelle crise allait s’installer de nouveau dans les campagnes on avisait le
visir al-Jam°î que le moment était opportun pour l’acquisition à bas prix de champs d’oliviers ou
autres147.
148 °abdarraḥmân as-Samgui/Ḥassan Ier (16.10.1309/14.05.1892) B.H (C. 98).
151 ûmanâ’ et chyoukh des oulad Ziyane/Ḥassan Ier (15.03.1303/22.12.1885) B.H (C. 82).
31A côté de ces acquisitions par appropriation des terres gagées par des débiteurs insolvables ou
simplement par des ventes auxquelles les propriétaires se trouvaient acculés, le mouvement de
concentration des terres se renforce par les acquisitions opérées sous la contrainte. Ainsi le
Goundafi « s’est arrogé chez les gens de l’Unein tout leur bétail, leurs effets et s’est approprié leurs
terres »148. Chez les Neknafa, les chyoukhs emprisonnent les gens de modeste condition dans les
matamores, jusqu’à ce qu’ils les dépossèdent de leurs biens et leur fassent vendre leur melk149.
L’établissement d’un acte de cession laissait penser à une vente librement consentie. On enfermait
l’homme dans la matamore jusqu’à épuisement, par la suite on l’amène en présence de notaires
pour conclure dûment la vente. Les notaires partis, on reprend de force la somme versée au
vendeur150. Dans la Chaouia, les caïds Mediouni et Beršid protégeaient les meurtriers en
contrepartie de la cession de leurs propriétés151.
155 On interdit aux qadis ruraux de rendre des jugements concernant les transactions avec les
commerça (...)
32Le phénomène de concentration des terres vu son ampleur et la destabilisation qui s’ensuivit
dans le cadre des communautés tribales, a affecté le rapport de l’Etat au monde rural. L’Etat a
tenté d’endiguer le mouvement, de le circonscrire en édictant un certain nombre de mesures
restrictives. C’est ainsi qu’un dahir de Ḥassan 1er interdisit les ventes des terres irriguées chez les
Rehamna, la cession des terres bour n’étant permise qu’à la condition que ces terres circulent au
sein de la tribu et ne soient pas cédées aux étrangers à celle-ci152. Mais dans la pratique la
procédure d’annulation des transactions effectuées se révélait difficile153. Cette décision royale à la
même époque semble même revêtir un caractère général et s’adresser à l’ensemble des
communautés154. Des tentatives eurent lieu dans le même sens par la limitation des attributions
des qadis et notaires ruraux qui devaient selon les instructions du pouvoir se référer aux qadis
urbains pour la conclusion des transactions relatives au crédit et à la cession des terres155. Mais
faute de pouvoir enrayer la tendance, l’Etat tentera d’inscrire son action dans la nouvelle
conjoncture économique et sociale.
L’impôt devrait être établi sur la base du patrimoine de chaque contribuable, à partir d’un
recensement préalable et non plus comme avant déterminé d’avance et réparti entre les différents
groupements fiscaux sans discrimination entre les niveaux de fortune. Dans ce sens un inventaire
devait être dressé chaque mois donnant l’effectif de la population, le relevé des biens et des
propriétés ainsi que le nombre des associés aux commerçants chrétiens et des étrangers à la tribu.
Les ûmanâ’ et les chyoukh assistés par le caïd devaient veiller à l’exécution de cet inventaire, et
informer des membres de la tribu qui recourent à l’endettement ou à l’association avec les
chrétiens et leurs protégés. Les notables de la région doivent les assister aussi dans l’exécution de
ces opérations.
Le texte fixe aussi les rétributions des caïds et des autres agents. Après l’estimation du
prélèvement, l’équivalent du tiers de cette somme destinée aux caisses de l’Etat doit être prélevé en
sus et distribué entre les agents : une moitié pour le caïd et l’autre moitié, à partager de façon égale
entre ûmana’ et chyoukh156.
34Cette tentative de réforme de la fiscalité tire son origine immédiate des problèmes et difficultés
rencontrés auprès des tribus à l’occasion des prélèvements. Des transformations notables avaient
été enregistrées dans ces regroupements au cours de la deuxième moitié du xixe siècle.
L’appauvrissement de la paysannerie souligné de façon explicite dans le texte précité de Ḥassan 1er
s’opposait à la prolongation de l’ancien système. Sans parler des révoltes contre l’impôt devenues
monnaie courante, notons simplement la résistance passive des ruraux par la fuite. Celle-ci est
engendrée essentiellement par la lourdeur de la pression fiscale, des exactions caïdales et le
harcèlement des débiteurs par les créanciers.
157 Bû°azza al Hanši/Hasan Ier (03.06.1309/04.01.1892) B.H (C. 390) al°arbi ûld ba
Mûhd/Ḥassan Ier (23 (...)
158 Mûhd b. al-°arbi az-Ziyâdi/Ḥassan Ier (?.05.1301/mars 1884) B.H (C. 56).
161 Aḥmad b. al-°arbi al-Mediyûni/Ḥassan Ier (28.09.1302/11.07.1885) B.H (C. 69) ûmanâ’ et
chyoukh des (...)
164 A la suite du Tertib on s’enquiert du retour des paysans qui avaient déserté leur village. b. Mlik
(...)
36On voit donc nettement que la réforme du Tertib ne relève pas simplement d’un souci égalitaire.
Certes le calcul de l’impôt sur la base du patrimoine, a pour objectif d’alléger relativement le
fardeau des plus pauvres et à augmenter de ce fait la production164. La réforme intervient en effet
à la clôture d’une période très dure de sécheresse et de famine, qui a créé un cadre propice à
l’abandon des terroirs, à la cession des terres à bas prix, au renforcement des pouvoirs des
puissants et à la marginalisation de la paysannerie. Mais sa portée est en réalité plus grande. C’est
une tentative d’intervention dans les rapports de production en pleine mutation. Elle dénote la
volonté de l’Etat de réaménager son appareil et sa règlementation sur l’évolution des structures
agraires. L’axe essentiel en est la légitimation et par suite la consolidation de la propriété privée.
Ces textes précédents demeuraient très en-deçà de l’évolution des structures économiques et
sociales, car ils s’adressaient à des groupements responsables en tant que tels de l’acquittement des
redevances à l’Etat, sans prendre en compte la différenciation traversant les collectivités. Or
désormais ces ensembles sont rongés par de multiples facteurs dont la résultante est la nette
privatisation des terres en cours. L’Etat ayant tenté auparavant d’endiguer le mouvement sans
résultat tangible, va désormais essayer de s’y adapter, « il nous est parvenu – écrit le sultan – que
les tribus avoisinant les ports, à la suite de la succession de ces années de disettes qui sont venues à
bout de tout ce qu’elles possédaient qu’il soit apparent ou caché, se sont empressées de vendre
leurs biens et leurs terres d’une manière absolue sans égard ni formalités. Elles se sont accordées à
les céder, sans se conformer à la loi comme dans le cas de leur vente des terres des exilés qui se
sont éteints, ou avec un acte dûment établi mais à vil prix sans respect des conditions imposées par
le législateur. Elles les ont cédées aux étrangers à leurs tribus, tels que les juifs, les tûjjar
musulmans et chrétiens ainsi qu’à leurs protégés, tous gens ne s’acquittant pas des charges fiscales
afférentes à ces biens. Ces charges dès lors se trouvent répercutées sur le reste des tribus ce qui
conduit au départ et à l’exil de ces derniers de leurs régions et entraîne des pertes pour le trésor des
musulmans »165. D’où la nécessité en quelque sorte de « détribaliser » l’impôt dont la base devient
la propriété « Celui qui s’approprie la terre, doit payer en fonction de sa production »166.
167 ûmanâ’ des Oulad Frej/Ḥassan Ier (26.07.1301/22.05.1884) B.H (C. 35).
169 Voir note n° 155. et Touzani ; al-ûmanâ’ fi°ahd mawlay al-Ḥassan al-awûl. Rabat p. 149 et
suivante (...)
170 Les familles traditionnellement dominantes sont sérieusement remises en question par les
nouveaux (...)
173 ûmanâ’ et chyoukh des Oulad Ncir/Ḥassan Ier (25.01.1303/03.11.1885) B.H (C. 77).
177 « Il a tué chez les Ourika le chaykh Hûsayn b.al-Ḥâjj, des Aït Salmân par empoisonnement le
chaiyk (...)
37L’action de l’Etat ne s’est pas cependant limitée à adapter l’appareil fiscal à la nouvelle
configuration de la propriété ; l’Etat affrontait aussi une crise plus profonde de régulation des
rapports sociaux dont un aspect essentiel est le partage du surplus au niveau national. Dans les
conditions nouvelles d’une ouverture du pays au marché mondial, on assiste non seulement
comme nous avons tenté de le montrer à des tentatives d’alliance économique des pouvoirs locaux
avec le capital marchand et usuraire, mais aussi à une montée des notables ruraux enrichis dans
cette nouvelle conjoncture167. La dérive des pouvoirs locaux menaçait de remettre en cause l’unité
même de l’Etat, c’est essentiellement ce contexte à notre avis qui explique, dans la logique d’un
appareil d’Etat en voie de se renforcer, le fractionnement des circonscriptions caïdales en unités
plus réduites afin de mettre un frein à la puissance accrue et destabilisatrice des caïds et d’adapter
l’appareil local aux nouvelles modalités de prélèvement fiscal qui nécessitent un suivi constant de
l’évolution des patrimoines. Cette tendance très sensible déjà sous le règne de Sidi Mûḥammad b.
°Abdarraḥmân va prendre toute sa dimension avec Ḥassan 1er. Ce dernier substitua selon Erckman
aux dix huit grands commandements qui existaient autrefois un nombre considérable de petits
groupes dirigés par quelques trois cent trente caïds168. D’autre part des Chyoukh et des ûmanâ’
sont nommés par le sultan sur proposition du caïd afin de veiller non seulement aux opérations
fiscales, mais aussi en vue de limiter l’arbitraire caïdal et de signaler toute transgression aux
directives du pouvoir central169. Ce réaménagement des pouvoirs locaux trouve donc son origine
dans l’évolution en cours de la société rurale qui se caractérise par la montée des notables et la
marginalisation de la paysannerie. En multipliant les caïds, en renforçant l’effectif des chyoukh et
des ûmanâ’ et en appelant à la participation des notables, le pouvoir central légitime et officialise la
nouvelle élite rurale. Il consolide de la sorte son assise sociale dans les campagnes par l’intégration
de la couche des notables dans les rouages de l’Etat et par la même occasion tente de contrecarrer
les velléités de résistance de la jma°a au prélèvement abusif dénué désormais de son fondement
canonique. Il institutionnalise de la sorte la compétition entre les chefs potentiels locaux, tactique
dont l’objectif visible est de juguler la consolidation des pouvoirs locaux. Mais cette compétition est
destinée à n’avoir d’autres lieux d’expression que le champ même du pouvoir makhzénien, la
légitimation de l’ascension sociale et l’accès au partage du surplus ne saurait plus se faire en dehors
de cet espace étatique. Ce qui donne lieu à une concurrence très vive au sein de l’élite, concurrence
se traduisant entre autres par la vénalité des Offices auxquels seuls les plus puissants peuvent
accéder170. Mais la compétition prend aussi des formes de luttes parfois sanglantes. Ainsi on
assiste du côté des pouvoirs en place, notamment du caïd à une offensive en règle contre les
notables. Nous avons déjà mis en relief l’imputation d’une partie des dettes contractées par les
caïds à la charge des notables171. Cet endettement forcé aboutissait souvent à l’incarcération des
concernés et donc à l’élimination d’une partie des concurrents potentiels172. L’incarcération des
notables pouvait d’ailleurs intervenir sous divers motifs et devenait un phénomène courant,
comme l’attestent les correspondances des chyoukh et des ûmanâ’ au sultan173. Le caïd des Beni
Arous à peine investi, met aux arrêts dix sept grands de la tribu et les expédie à la prison de
Tanger174. L’expropriation de leurs biens par la violence était de même usitée par les pouvoirs
locaux175. Enfin l’élimination physique était un moyen plus expéditif de se débarrasser des
notables. C’est le cas du Goundafi dans l’Unayn176. C’est aussi le cas chez les Ourika avec le caïd
al-Qorši177. Dans les plaines atlantiques proches des représentants européens, les nouveaux
notables recouraient contre ce genre de pratiques à la protection étrangère. Dans la région d’El
Jadida le Gouverneur mentionne que « la plupart des notables sont des associés et des protégés
des commerçants »178. L’ascension sociale pouvait se prévaloir ici d’une autre légitimité en
empruntant le créneau du capital étranger.
38En fin de compte, comme nous le voyons, la réforme prônée par l’Etat dépasse largement le
niveau fiscal proprement dit et vise en fait la maîtrise sociale, politique et économique des
campagnes. Elle vise à battre en brèche les vélléités d’indépendance « économique » des pouvoirs
locaux et leur ouverture sur le capital marchand étranger, comme elle vise à éliminer les réseaux de
drainage du surplus paysan installés au profit du capital marchand et donc à monopoliser en
grande partie ce surplus au profit du trésor public. Le règne de Ḥassan 1er est profondément
marqué par cette contradiction entre ces forces centrifuges et la volonté centralisatrice de l’Etat.
Mais les forces en jeu, dépassaient les possibilités de récupération du Makhzen très affaibli. La
régulation sociale qui dans le passé, se faisait de façon presque naturelle dans le cadre de la
succession de périodes de crises et de prospérité, par la reconduction des anciens rapports de
production, n’avait plus cours du fait de l’intervention de facteurs exogènes de nature à modifier
les bases de la reproduction sociale. Avec l’insertion progressive de l’économie paysanne dans le
réseau du capital marchand et usuraire, l’instance économique acquiert de plus en plus de force et
implique des transformations décisives dans les structures agraires. Les modalités de partage du
surplus au sein des couches dominantes sont remises en cause. A côté du circuit makhzénien de
ponction et de distribution du surplus, un nouveau circuit dominé par le capital étranger se
développe. L’action de régulation de l’Etat confinée essentiellement au politique et au juridique se
révèle étriquée, le contrôle de l’espace social passant désormais par la maîtrise de l’économique.
C’est ce qui explique l’échec du Makhzen dans sa tentative de restreindre les implications de la
pénétration marchande étrangère et d’étouffer la montée des grands caïds.
39L’alliance qui se fera jour dans les temps qui viennent entre les « seigneurs de l’Atlas » et les
autorités coloniales n’est donc nullement fortuite ou d’origine conjoncturelle. Elle découle des
changements structurels qui se sont opérés dans l’économie et la société marocaine. On l’a vu, dès
les premiers temps de l’ouverture du pays au commerce international, les pouvoirs locaux ont
facilité l’accès du capitalisme à l’économie paysanne. Malgré la refonte spatiale des
circonscriptions caïdales et les tentatives de juguler le glissement des pouvoirs locaux au profit du
capital, l’Etat à plus ou moins long terme n’y est pas parvenu.
Notes
2 Miege (Jean-Louis) ; supra, pp. 385-387. Voyez cette description d’une intensité dramatique,
faite par un clerc dans le haha : « Louange à Dieu, que Dieu comble de bénédictions notre maître
Mûḥammad ainsi que ses proches et ses compagnons. Au cours de l’an 1295 (1878), il y eut une
disette très dure et une sécheresse incroyable, que Dieu nous maintienne en paix et en parfaite
santé. Il n’y avait ni nourriture, ni grains. La sécheresse s’étendit à l’ensemble des régions, du
Sahara au Sous et au Haha, au pays du Rharb, à Marrakech et l’ensemble du Haouz, jusqu’à Oujda
et Tanger ainsi qu’à toutes les montagnes et régions. La faim fit périr les troupeaux. Dans toutes
ces régions, il n’y eut point de labours du fait du manque de pluie. Durant cette année, les gens ne
labourèrent pas. Ils prirent la fuite vers les montagnes et les sources d’eau. Puis celles-ci se
desséchèrent hormis quelques points très rares. Le mûdd d’orge atteignit vingt cinq onces au
comptant et cinq ryal ou plus pour la vente à terme. Le blé était encore plus cher ainsi que les fèves
et le maïs. La plupart des gens succombèrent d’inanition. On mangeait les charognes, le fourrage
tel que les troncs de palmiers et l’herbe. La faim et la cherté devinrent si dures que les gens se
dévoraient les uns les autres. Ils s’attaquaient entre eux, coupaient les routes. Les cadavres des
mourants traînaient en chemin sans que personne ne les mette en terre, et devenaient les proies
des bêtes féroces. Les gens n’avaient plus d’égards pour leurs proches, ni les enfants pour leurs
pères. La faim stupéfia à un tel point les gens, qu’ils s’ignorèrent les uns des autres, chacun ne se
préoccupant que de soi. La mort faucha une grande partie de la population. La disette se prolongea
jusqu’en 1879, puis la pluie tomba ». La disette prit fin surtout grâce aux importations de grains.
al-Mûḥtâr as-Sûsî ; al-Ma°sûl, tome XIX p. 13.
4 al Amin Al-°arbi b.°ali ad-Darqâwî/Ḥassan Ier (08.09.1296/26. 08.1879) B.H (C. 18).
5 Ḥassan Ier/sa°id b.Faraji (09.02.1296/02.02.1879) B.H (C. 18). Le Dahir en question avait été
promulgué avant cette date. Dans une autre lettre les caprins sont aussi concernés, al-
Milûdi/°abdallah b.Aḥmad (27.03.1296/21.03.1879) B.H Z.12607 V.16 Doc 76.
8 Ahl Angâd/Ḥassan Ier « nulle pluie n’est tombée dans notre région cette année, écrivent-ils, le
bétail est perdu. Pour cette raison, les pauvres d’entre nous ont fui en Algérie. Les gens sont dans
une grande frayeur. Nous implorons de Dieu le salut ». (10.02.1297/23.01.1880) B.H (C. 19).
al-°arbi al Walšiki/Ḥassan Ier (09.02.1297/22.01.1880). Selon Miège, en 1880, les récoltes ne
furent pas satisfaisantes du fait de la pluie qui les avait noyées, op. cit. tome III, p. 394.
12 Mawlây °Omar/Ḥassan Ier (13.01.1301/14.11.1883) B.H (C. 88). Ḥassan Ier/Ûmanâ’ Essaouira
(27.01.1301/28.11.1883) B.H (K. 348).
13 Ḥassan Ier/Mûḥammad b. °abdasslâm Amqšad (07.01.1301/08.11.1883) B.H. Il faut dire que les
documents provenant du pouvoir central et de ses agents locaux concordent rarement dans
l’évaluation des récoltes. Rien de plus logique en fait, l’enjeu n’était autre que le montant des
prélèvements fiscaux !
20 Ḥassan Ier/Awlâd mawlây °ali aš-šarif (18.01.1301/19.11.1883) B.H (K. 516). La disette ne prit
fin qu’en juin 1884, moment où les aides aux chorfa furent suspendues. Ḥassan ler/Umana’ Dar
A°dyel (03.09.1301/27.06.1884). B.H.
22 Il en est de même chez les Sraghna, les Mesfouia, les Ouzguita alors qu’on espérait de bonnes
récoltes. Mawlây °Otman/Ḥassan Ier (28.02.1301/29.12.1884) B.H. al-°arbi b.Haddi/Ḥassan Ier
(21.08.1301/16.06.1884) B.H.
28 Û°ali b.al-Ḥâjj, amin al-Mûstafâd de Rabat/Ḥassan Ier (28.09.1301/22.07.1884) B.H (C. 43).
29 Ḥassan Ier/Mawlây Mûḥammad b.°Omar, naqib des chorfa à Salé (08.11.1301/30.08.1884) B.H.
31 Beaucoup de décès dont deux sœurs du sultan Ḥassan Ier et un petit-fils. Ḥassan Ier/My Slimân
et My Rašîd (27.08.1301/22.06.1884).
34 sa°id al-Majjâṭi/Hassa’n Ier (13.07.1302/28.04.1885) B.H (C. 178) Mûḥammad b. alYazi al-
Maskini/Ḥassan Ier (09.08.1302/21.06.1885) B.H (C. 193).
49 Miege ;
60 Ennaji, Pascon, op. cit. doc. 231 (05.10.1308/13.05.1891) Pour le Sous al-Adna : Mûhtas-sib
Rûdâni/Ḥassan Ier (11.03.1309/15.10.1891) B.H (K. 468). Nadir Ahbâs Târûdânt/Ḥassan Ier
(01.02.1310/25.08.1892).
61 Les Ûmâna’ des Chiadma/Ḥassan Ier (01.03.1892) B.H (C. 113) (22.08.1307/13.04.1890) B.H
(K. 195) °abdassâdaq b.Mûḥammad ar-Ragrâgui/Ḥassan 1er (25.07.1309/24.02.1892) B.H (C.
431).
66 Mûḥtassib de Marrakech/Ḥassan Ier (27.11.1309/23.06.1892) B.H (K. 193). Même sur les
domaines du Mahzen pourtant mieux entretenus et plus pourvus en eau : as-Sûgtâni/Ḥassan Ier
(16.06.1309/17.01.1892) B.H (K. 195). Près des Sraghna aussi chez les Anetifa : an-Nitifî/Ḥassan
Ier (26.08.1310/15.05.1893) B.H (C. 200).
67 Le Chaykh aṭ-Ṭwîri/Ḥassan Ier (18.10.1308/27.05.1891) B.H (K. 468). Les Ûmana de az-
Zirâwi/Ḥassan Ier (18.07.1309/17.02.1892) B.H (C. 430). az-Zirâwi/Ḥassan Ier
(06.12.1309/02.07.1892) B.H (K. 193) ; al-Bû°zîzi/Ḥassan Ier (16.06.1309/17.01.1892) B.H (K. 195)
; al-Bû°zîzi et b.Darqâwi/Ḥassan Ier (28.05.1308/30.12.1891 ) B.H (K. 468) ; at-Trî°i/Ḥassan Ier
(12.05.1309/14.12.1891) B.H (K. 468).
68 Les Ûmanâ’ et chyoukh des Mediouna/Ḥassan Ier (21.11.1308/28.06.1891) B.H (K. 468).
71 Les A°rab de Rabat/Ḥassan Ier (27.12.1308/03.08.1891) B.H chose qui leur est refusée (le
report) car rétorque-t-on leurs silos sont pleins ! Les Zaêr semblent épargnés en partie par les
criquets, notamment les Bani Abid. al-Jirâri/Ḥassan Ier (02.12.1308/09.07.1891) B.H (K. 468).
74 Ḥassan Ier/L’ensemble des caïds des Haiaïna (14.01.1309/20.08.1891) B.H (K. 708).
76 Les prix sont chers dans le Rharb : az-Zirâwi et ad-Dlîmi/Ḥassan Ier (01.07.1309/31.01.1892)
B.H (K. 195) de la région de Tanger : Mûḥammad b.rašid al-Ḥasani/Ḥassan Ier
(01.09.1309/30.03.1892) B.H (C. 432) dans le Haouz : at-Takni/Ḥassan Ier
(09.06.1309/10.01.1892) B.H (K. 195).
77 al-Amin al-hmar al-Bû°zîzi/Ḥassan Ier (01.06.1309/02.01.1892) B.H (K. 468). le caïd al-
Bû°zizi/Ḥassan Ier (19.01.1309/17.05.1892) B.H.
78 dans l’oriental : al-hâjj as-Sahbi al-Mahyâoui/Ḥassan Ier (17.02.1310/10.09.1892) B.H (C. 367)
et autres. Chez les Doukkala : °agdalqâder b.Qâsem ar-Ragrâgui/Ḥassan Ier
(28.11.1309/24.06.1892) B.H (C. 341). Chez les Médiouna : Aḥmad b. al-°arbi al-madiouni/Ḥassan
Ier (01.09.1310/19.03.1893) B.H (C. 368).
85 Ayache (G.) ; « Aspects de la crise financière au Maroc après l’expédition espagnole de 1860 ».
in Etudes d’histoire marocaine Rabat 1979 pp. 104-105.
92 Miege ; op. cit. t. III p. 30. et Mûḥammad b.al-mqaddam al-Bûhâri as-Sûri/Ḥ Ier
(15.03.1301/14.01.1884) B.H (C. 59).
94 Notamment chez les Ûlâd Amrân : Mûḥammad b. bûš°ayb al-Halfi (16.10.1309/14.05.1892) B.H
(C. 91).
95 Les Umanâ’ des Ûlâd Bouaziz/H Ier (20.05.1303/24.02.1886) B.H (C. 86).
101 En fait la concurrence faite aux notables locaux par les juifs n’est pas étrangère à ce cri. °ali al-
Masfiwi/al-ḥâjj Sa°id b. Faraji (06.03.1309/10.10.1891). B.H.
102 Ennaji (Mohammed) et Tozy(Mohammed) ; « La Prison au xixe siècle » Lamalif (186) mars
1987 pp. 38-40.
105 Ḥassan Ier/at-Tayyab b. Hîma (24.10.1301/17.08.1884) B.H (C. 180) al°arbi b.hida ar-
Raḥâli/Ḥassan Ier (22.12.1309/18.07.1892) B.H.
108 107bis Selon Pascon (P.) qui affirme après le dépouillement du dossier MANNESMAN C° « il
n’y avait pas un seul caïd, moqqadem de zaouia ou personnage important du Haouz de Marrakech,
qui ne soit débiteur de la firme allemande » Archives du Protectorat, Créances Mannesman, étude
de J.H de la Borde du 19 avril 1924. in Le Haouz t. III p. 417 n. 66.
109 Ûmana’ des Ûlâd °Ammrane (Doukkala)/Ḥassan Ier (16.09.1302/29.06.1885) B.H (C. 183).
111 Ḥmida b.°ali/a°mâra b.°Abdassâdaq (10.07.1291/23.08.1874) B.H. (C. 4). Il s’agit ici de al-
Jirrâri qui sera nommé caïd des Ûlâd Jerrâr dans le Sous après la première harka de Mawlay
Ḥassan en 1882.
113 Dans le Doukkala en 1864. Voir Doc. n° 367 (14.05.1281/15.10.1864) B.H (K. 47).
122 Ibid.
124 Aḥmad b.al-ḥâjj as-Sarrâḍi/Ḥassan Ier (08.07.02.1892) B.H Dans cette tribu des environs de
Casablanca, non seulement le phénomène était fortement exagéré, mais l’intervention européenne
remettait constamment en cause l’existence même d’un pouvoir d’Etat. Voyez à titre d’exemple,
l’arrogance avec laquelle un groupe de vingt protégés font la tournée des douars avec l’appui du
caïd Beršid. Les gens devant cet étalage de puissance et d’impunité furent convaincus que le seul
moyen d’échapper à l’exaction fiscale et à l’endettement, était la protection. Le trouble causé à
l’occasion ne prit fin qu’à la suite de l’envoi par le sultan d’un katib pour les assurer de la sécurité
de leurs biens. al-°arbi b.Mûḥammad al-Medyûni/Mûḥammad b. al-°Arbi
(21.03.1301/20.01.1884). Est-ce déjà une annonce prématurée de la faillite de l’Etat ? De toute
façon l’alliance entre agents locaux et capital dans la région saute aux yeux, du caïd aux agents
subalternes. Tel ce chaykh avec son frère protégé qui ont choisi un certain nombre de gens des
Souâllam et autres « les ont chargés de fortes dettes afin qu’ils soient en leur pouvoir comme des
esclaves ». Driss b.Mûḥammad as-Sâlmi/Ḥassan Ier (08.05.1303/12.02.1886) B.H.
125 Chez les Doukkala, « les gens de condition modeste se sont endettés à cause de l’oppression
des gouverneurs » .al-amin al-°arbi b.°ali ad-Darqâwi/Ḥassan Ier (08.09.1296/26.08.1879) B.H (C.
18).
126 al-°arbi b.al-Ḥassan Ier (23.08.1301/18.06.1884) B.H (C. 57). °Abdarraḥmân b.Mûḥam-
mad/Ḥassan Ier (17.11.1305/26.07.1888) B.H (C. 81).
127 Chez les Frouga dans le Haouz : °abbâs b.Dâwûd/al-ma°ţi b.al-°Arbi (11.09.1309/09.04.1892).
A El Ksar el Kebir : le cadi de la ville /Ḥassan Ier (18.01.1303/27.10.1885) B.H (C. 77).
130 Tel ce cousin du gouverneur d’une tribu des Doukkala qui accumula une fortune considérable
« il s’adonnait à l’usure par l’entremise des juifs ». Les Ûmanâ’ et Chyoukh des °Aounate/Ḥassan
Ier (12.10.1301/05.08.1884) B.H (C. 59).
131 Demande d’intervention pour nomination contre 100 ryal au ministre aṣ-Ṣanhâji par Aḥmad
b.°allâl ad-Dûblâli (15.06.1306/16.02.1889) B.H Fonds as-Ṣanhâji.
132 Versement de 1000 ryal : laḥcen B.Aḥmad al-aûdi (à Skhirate) Ḥassan Ier
(16.08.1311/22.02.1894) B.H (C. 130). Le créancier européen harcèle le nouveau promu à
pressurer au plus vite la tribu afin de régler sa dette. C’est le cas d’un caïd des Zaër qui a des
difficultés vu l’état préjudiciable où il trouve la tribu : °abdalqâder b.al-Ḥâjj as-Za°ri/Ḥassan Ier.
(08.08.1301/03.06.1884) B.H Remarquons que la pratique ne soulève plus aucune contestation.
La vénalité traverse l’appareil local et central ; un chaykh nommé fait une avance au caïd de 50 ryal
touchée auprès des juifs : °abdasslâm b. Mûḥammad/Ḥassan Ier (02.06.1303/08.03.1886) B.H (C.
121).
133 aḥmad b.bûziyân al-Bû°lâwi/Ḥassan Ier (12.08.1301/07.06.1884) B.H (C. 52). Aḥmad b.al-
makki b.al-Mûhtâr/Ḥassan Ier (12.07.1302/27.04.1885) B.H (C. 71).
134 Miege (J.L.) ; op. cit.. III p. 29, n° 3.
135 Lazarev (G.) ; « Aspects du Capitalisme agraire au Maroc avant le Protectorat ». A.A.N. 1975.
CNRS p. 65.
136 Aḥmad b.Hammû Hašmût al-Hâhi/Ḥassan Ier (26.03.1301/25.01.1884) B.H (C. 31) le Qâdi û
Sallâ/Ḥassan Ier. (28.02.1301/29. 12.1883) B.H (C.33).
146 Les gouverneurs des Hyaïna/Ḥassan Ier (09.01.1309/15.08.1891) B.H (C. 423).
151 ûmanâ’ et chyoukh des oulad Ziyane/Ḥassan Ier (15.03.1303/22.12.1885) B.H (C. 82).
155 On interdit aux qadis ruraux de rendre des jugements concernant les transactions avec les
commerçants, les étrangers et les juifs. in Mûḥtar as-Sûsi al Ma°sûl t ; 18 p. 194-195.
156 Ḥassan Ier/Ḥmida b. al-makki al-Mûhtâri (?.08.1301/juin 1884) B.H (C. 33).
157 Bû°azza al Hanši/Hasan Ier (03.06.1309/04.01.1892) B.H (C. 390) al°arbi ûld ba
Mûhd/Ḥassan Ier (23.04.1301/21.02.1884) B.H (C. 41) al°Alami, °Issa b. aš-Šrif ; Nawazil Ms 2622
B.H.
158 Mûhd b. al-°arbi az-Ziyâdi/Ḥassan Ier (?.05.1301/mars 1884) B.H (C. 56).
161 Aḥmad b. al-°arbi al-Mediyûni/Ḥassan Ier (28.09.1302/11.07.1885) B.H (C. 69) ûmanâ’ et
chyoukh des Mediouna/Ḥassan Ier (05.10.1310/22.04.1894) B.H (C. 439).
164 A la suite du Tertib on s’enquiert du retour des paysans qui avaient déserté leur village. b. Mlik
b.Bû°ziz/Mûhd b. al-°Arbi (08.08.1301/03.06.1884) B.H (C. 58).
167 ûmanâ’ des Oulad Frej/Ḥassan Ier (26.07.1301/22.05.1884) B.H (C. 35).
169 Voir note n° 155. et Touzani ; al-ûmanâ’ fi°ahd mawlay al-Ḥassan al-awûl. Rabat p. 149 et
suivantes.
170 Les familles traditionnellement dominantes sont sérieusement remises en question par les
nouveaux seigneurs de guerre ( Pascon P. ; le Haouz... I p. 307). On assiste aussi à une circulation
plus rapide des élites au niveau des pouvoirs locaux, la disgrâce et la destitution deviennent plus
courantes, autant de moyens pour mieux tenir en main la nouvelle configuration sociale. Ainsi face
aux caïds en place, on oppose les ûmanâ’, les chyoukh. L’Etat précapitaliste largement sous-intégré
est à la recherche d’une cohérence par l’élimination au niveau local des chefs semi-féodaux d’antan
qui gouvernaient par délégation et bénéficiaient d’une large autonomie. La politique
makhzénienne tente aussi de s’associer les notables les plus en vue, tous gens qui par ailleurs
profitent d’immunités, d’exonérations et de divers avantages consentis par l’Etat. On constitua de
même un corps des caïds destitués, qui quoique mis à l’écart sont pourvus de terres et de droits
d’eau. (voir à titre d’exemple la liste des caïds destitués bénéficiant de concessions d’eau dans le
secteur de Tamesguelfet dans le Haouz. Aḥmadû Malak/Ḥassan Ier (19.08.1308) sans doute en vue
d’éviter la fomentation de troubles mais aussi le glissement de cette catégorie vers l’association
avec le capital étranger. En fait l’intégration plus grande des notables visée par l’Etat est demeurée
limitée car l’étroitesse du surplus engendre une compétition vive et déplace le champ de celle-ci
hors de l’espace makhzénien par les révoltes où le recours à la protection.
173 ûmanâ’ et chyoukh des Oulad Ncir/Ḥassan Ier (25.01.1303/03.11.1885) B.H (C. 77).
176 Arrif Ahmed ; Compétition caïdale et procès d’intégration d’un canton montagnard : L’Unayn
A.A.N. 1983. CNRS p. 356.
177 « Il a tué chez les Ourika le chaykh Hûsayn b.al-Ḥâjj, des Aït Salmân par empoisonnement le
chaiykh Lahcen b.Barsat, chez les Aït Ouallal le chaykh °Abdarraḥmân par empoisonnement, le
chaykh Mûḥammad b. Bella, le sayyid Mûḥammad b. Afqir, chez les Aït Irrân le sayyid Aḥmad
Nakdûn, le chaykh Mûhd b. Brâhim... ». Lettre des Aït Salmân, Aït Maâl Aït Ouallil et Aït Irrân à
Ḥassan Ier. Doc. sans date. B.H (C. 128).