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Nature juridique du fonds de commerce

Qu’est ce qu’un fonds de commerce ? Quelle est sa nature juridique ? Sur ces questions, les opinions de la doctrine et de la jurisprudence sont partagées, et les
discussions à cet égard ne manquent pas d’importance.
En effet, bien qu’étant une entité incontournable dans le monde du commerce, le fonds de commerce semble difficile à définir. Alors que le législateur français
n’a jamais réussi à en esquisser une définition claire, le législateur marocain s’est borné à l’approcher de manière purement descriptive lorsqu’il a règlementé
les diverses opérations le concernant. C’est ainsi que le titre premier du livre II du code de commerce se contente dans les articles 79 et 80, de le définir et
d’énumérer les divers éléments, tous de nature mobilière, qui sont susceptibles de le composer. Ainsi, l’article 79 définit le fonds de commerce comme étant :
« un bien meuble incorporel constitué par l’ensemble des biens mobiliers affectés à l’exercice d’une ou de plusieurs activités commerciales »
C’est un ensemble, une union de plusieurs éléments exploitée entre les mains du commerçant, qui lui permet de constituer et de retenir sa clientèle qui est, non
seulement, l’élément majeur du fonds de commerce mais aussi et surtout, sa finalité. L’article 80 du code de commerce le montre bien lorsqu’il affirme que
« le fonds de commerce comprend obligatoirement la clientèle et l’achalandage ».
Ce même article dispose ensuite que « le FC comprend aussi, tous autres biens nécessaires à l'exploitation du fonds tels que le nom commercial, l'enseigne, le
droit au bail, le mobilier commercial, les marchandises, le matériel et l'outillage, les brevets d'invention, les licences, les marques de fabrique, de commerce et
de service, les dessins et modèles industriels et, généralement, tous droits de propriété industrielle, littéraire ou artistique qui y sont attachés ».
Cette définition permet d’avoir une vision statique du fonds de commerce, fondée sur une nette distinction entre les biens inclus dans le fonds et ceux qui en
sont exclus. Etant considéré comme un bien meuble incorporel, les immeubles dans lesquels le fonds de commerce est installé sont exclus de sa composition.
Dans le même sillage, étant donné que le droit marocain, à l’instar du droit français, a jusqu’à présent refusé de reconnaître la personnalité juridique à des
groupements de biens pour réserver cette possibilité aux groupements de personnes, le fonds de commerce n’a pas de personnalité juridique. Il s’agit d’une
universalité de fait. La conséquence est l’exclusion des créances, des dettes et des contrats qui demeurent attachés à la personne de l’exploitant, hors de la
composition du fonds.
Reste que cette conception demeure critiquée par de nombreux auteurs qui présentent le fonds de commerce comme étant une universalité de droit qui
constitue un patrimoine d’affectation, c'est-à-dire un ensemble de biens et de dettes formant un tout reconnu par le droit. En d’autres termes, d’après cette
théorie, le commerçant aurait deux patrimoines : son patrimoine civil et son patrimoine commercial représenté par son fonds de commerce.
Ceci pousse à se poser la question suivante : Quelle est la véritable nature juridique du fonds de commerce ?
La réponse à cette question exige de notre part une analyse minutieuse de la notion de fonds de commerce à travers les théories et les débats doctrinaux (I) ,
avant de nous attarder de manière tout aussi intéressée sur des éléments pour une approche nouvelle de la notion de fonds de commerce (II)

I) La conception classique de la nature juridique du fonds de commerce

Classiquement, la nature juridique du fonds de commerce est abordée en deux principaux axes : d’une part, en tant que bien meuble incorporel (A) et d’autre
part, en tant qu’universalité (B).
A) Le fonds de commerce : un bien meuble incorporel
L’article 79 du Code de commerce dispose : « le fonds de commerce est un bien meuble incorporel constitué par l’ensemble de biens mobiliers affectés à
l’exercice d’une ou de plusieurs activités commerciales ».
D’après cet article, il est à constater, tout d’abord, que le fonds de commerce a une nature mobilière exclusivement mobilière, ce qui exclut donc les
immeubles. Le principal argument avancé justifiant cette exclusion réside dans la nécessité d’une publicité foncière. La vente d’un fonds de commerce étant
une vente mobilière, elle serait incompatible avec les règles de publicité en vigueur pour les immeubles. Toutefois, cette mise à l’écart conduit à des solutions
paradoxales. En effet, lorsque le commerçant n’est que locataire des murs, le droit temporaire d’occupation de l’immeuble (bail commercial) dont il bénéficie
est transmis avec le fonds. Dès lors que le commerçant est propriétaire de l’immeuble, le droit d’usage des lieux est exclu du fonds. Alors que dans ce dernier
cas, l’entrepreneur a consenti un investissement plus lourd (comprenant l’immeuble) au service de son activité, son fonds de commerce a moins de valeur que
lorsqu’il n’est que locataire.
A la nature mobilière du fonds de commerce vient s’ajouter celle incorporelle. En effet, étant composé d’éléments hétéroclites, à la fois corporels (mobilier
commercial, marchandises, matériel et outillage) et incorporels (clientèle, achalandage, marques, brevets, autorisations administratives d’exploiter, droit au
bail…), le fonds ne peut être lui-même qu’un meuble incorporel. Ainsi, la nature incorporelle du fonds exclut l’application de la règle « en fait de meubles, la
possession vaut titre ». Cette règle signifie que le possesseur de bonne foi acquiert instantanément la propriété du bien meuble considéré, il est ainsi dispensé
d’apporter des justifications de sa propriété. Or cette règle ne peut s’appliquer qu’aux biens susceptibles de détention matérielle. Par conséquent, l’acquéreur
d’un fonds de commerce, même de bonne foi, peut être exposé à l’action en revendication du véritable propriétaire, si le vendeur n’en était pas lui-même le
légitime propriétaire.
B) Le fonds de commerce : une universalité de droit ou de fait ?
Dire que le fonds de commerce est une universalité signifie que le fonds est une entité juridique à part, indépendante des éléments qui la composent  .On
distingue en général deux catégories d’universalités : les universalités de droit et les universalités de fait.
L’universalité de droit signifie que tout l'actif répond du passif, c'est-à-dire que le paiement de toutes les dettes est assuré aux créanciers du commerçant par
l'ensemble de ses biens et créances. Il s'agit-là du droit de gage général que le droit positif reconnaît à tout, à savoir celui de se faire payer sa créance sur tout
bien du débiteur.
L’universalité de fait, quant à elle, est simplement un ensemble de biens qui ne détermine l’apparition d’aucun passif propre.
La question est de savoir si le fonds de commerce est une universalité de droit ou s’il s’agit d’une universalité de fait ?
L’union qui existe entre des éléments de nature différente a conduit certains auteurs à présenter le fonds de commerce comme une universalité juridique qui
constitue un patrimoine d’affectation ; en d’autres termes, d’après cette théorie, le commerçant aurait deux patrimoines : son patrimoine civil et son patrimoine
commercial représenté par son fonds de commerce.
Certains auteurs, comme Valéry, ont proposé de faire de la maison de commerce une sorte de personne morale qui serait propriétaire du fonds. D’après lui, il y
aurait lieu de faire la distinction entre la maison de commerce, sujet de droit, et le fonds de commerce, objet de droit. La maison de commerce serait douée de
la personnalité morale, tandis que le fonds de commerce comprendrait l’ensemble des valeurs investies dans l’exploitation commerciale et constituerait un
patrimoine d’affectation dont le titulaire serait la maison de commerce personne morale.
Cette théorie a été retenue par le droit allemand où elle a été poussée à l’extrême car le fonds de commerce a, selon ce droit, une véritable personnalité morale
avec toutes les conséquences juridiques qui en découlent.
La théorie de l’universalité juridique ne correspond pas, en droit français et en droit marocain, au principe de l’unité du patrimoine, selon lequel une personne
ne peut avoir qu’un seul patrimoine englobant tous ses droits et toutes ses obligations. Il en résulte qu’un commerçant ne saurait avoir, à côté de son
patrimoine personnel, un patrimoine commercial séparé. Ainsi, le fonds de commerce ne constitue pas une universalité de droit, un patrimoine distinct de celui
de son titulaire, mais un ensemble de biens faisant partie du patrimoine du titulaire du fonds et entrant dans le gage général de ses créanciers. Aussi, le fonds
de commerce n’a pas la personnalité morale car en cas de cession du fonds, l’acheteur n’acquiert que l’actif et n’est pas tenu du passif.
Puisque l’idée de l’universalité juridique n’a pas été retenue, la plupart des auteurs et la jurisprudence ont qualifié le fonds de commerce comme étant une
universalité de fait.
II) Des éléments pour une approche nouvelle de la nature juridique du fonds de commerce

Cette approche nouvelle de la nature juridique du fonds de commerce est basée, d’une part, sur des critiques intéressantes (A) et d’autre part, sur des
propositions pertinentes (B).
A) Des critiques intéressantes
Voir dans le fonds de commerce une universalité de fait et un bien meuble incorporel peut paraitre, à première vue, comme étant une libération des
nombreuses interrogations formulées quant à sa nature juridique. Toutefois, nombreux sont ceux qui adoptent, à cet égard, des positions plus réticentes.
- Quant à la notion d’universalité de fait
La notion d’universalité de fait du fonds de commerce a connu plusieurs détracteurs parmi lesquels Ripert qui souligne que cette notion non admise par le droit
ne se réfère à aucune catégorie juridique et, partant, à aucun régime juridique spécifique. Aussi, comme le souligne le professeur Pedamon dans son analyse du
fonds de commerce, la notion d’universalité de fait est en définitive inutile, car elle sert seulement à établir que le fonds de commerce « est un  ensemble de
biens dont certains peuvent être transformés, modifiés, ajoutés…en fonction des décisions du commerçant et de l’évolution de la conjoncture ».
De surcroit, peut-on vraiment parler d’universalité au sujet du fonds de commerce alors qu’il est affirmé que chaque élément conserve son propre statut
juridique, spécialement à l’occasion de la vente du fonds.

Par ailleurs, le régime des suretés réelles, tel qu’il est organisé par la loi pour le fonds de commerce met à mal son caractère universel  ; en effet, lorsqu’il est
constitué sur un fonds, le nantissement est assis sur les seuls éléments présents au jour de son inscription  ; les éléments qui intègrent par la suite le fonds sont
exclus de l’assiette, ce qui éveille un doute sur la véritable fongibilité des éléments telle qu’elle devrait logiquement découler d’une universalité de fait.
Enfin, une personne qui, en vendant un fonds de commerce, inscrit un privilège sur celui-ci, ne bénéficie pas d’une grande indivisibilité sur tous les éléments
du fonds : lors de la vente, des prix distinct doivent être fixés respectivement sur les marchandises, le matériel et les éléments incorporels, et le privilège du
vendeur s’exerce séparément sur les prix de revente de chaque catégorie d’éléments. Ce mécanisme dit «   du fractionnement du privilège » représente, une
nouvelle fois, une atteinte à la nature universelle du fonds de commerce.

- Quant au caractère exclusivement mobilier du fonds de commerce


Sur ce point, il est à relever, tout d’abord, que le régime juridique du fonds de commerce emprunte nombre de ses dispositions au droit immobilier. Il en est
ainsi non seulement de la cession du fonds de commerce qui suppose que soit accomplie une publicité qui ressemble à celle requise en matière immobilière
mais encore des opérations de crédit sur fonds de commerce. Le nantissement ressemble, en effet, beaucoup à une hypothèque, à tel point qu’il est possible de
voir dans le nantissement une véritable hypothèque mobilière plutôt qu’un simple gage. De la même manière, le fonds de commerce pourrait, très bien, faire
l’objet d’un véritable usufruit et non seulement d’un quasi-usufruit comme des biens meubles.
Ensuite, l’exclusion des immeubles de la composition du fonds de commerce a pour conséquence de pénaliser l’exploitant dans sa recherche de crédit, car ses
éventuels bailleurs de fonds ne peuvent asseoir leurs garanties sur une assiette commune regroupant le fonds et l’immeuble : fonds d’exploitation et immeuble
s’excluent l’un de l’autre et disposent chacun de leur propre régime.
Enfin, cette dissociation entre l’immeuble et le fonds provoque des difficultés lors de la vente de l’un ou l’autre des éléments. En effet, l’exploitant qui
souhaite rester propriétaire de l’immeuble a la faculté, mais n’a pas l’obligation de consentir un bail commercial à l’acquéreur.

B) Des propositions pertinentes


A la lumière de ces observations, une partie de la doctrine a émis des propositions consistant en deux possibilités d’analyse très différentes l’une de l’autre.
- La théorie négatrice du fonds de commerce 
Cette théorie, qui fut mise en avant par George Ripert, propose d’éliminer la notion même de fonds de commerce en la limitant à l’existence de l’une de ses
composantes à savoir la clientèle.
Théoriquement, l’idée négatrice du fonds de commerce permet de l’écarter du droit positif où celle-ci se heurte à de multiples difficultés, des difficultés qui se
traduisent par l’impossibilité de définir parfaitement les contours de la notion de fonds de commerce.
Or, sur le plan pratique, l’idée de réduire le fonds de commerce à un droit sur la clientèle présente l’inconvénient d’écarter la notion de fonds de commerce, qui
est amplement utilisée par la jurisprudence, ce qui suppose que la notion de fonds de commerce a une existence pratique.
Par ailleurs, cette négation ignore l’utilité pratique que présente la notion de fonds de commerce dans le monde des affaires en le réduisant à la seule existence
d’une clientèle en laissant de côté un nombre considérable de points de droit aussi éminents que la clientèle. En effet, l’existence d’une clientèle se fait par le
biais de la réunion des éléments composant le fonds de commerce sans lesquels, celle-ci n’aurait pas existé.
Pour ces raisons, la notion de fonds de commerce ne devrait pas être considérée comme un élément isolé. Ainsi, faudrait-il la rattacher à d’autres notions de
droit contemporain : celles de l’entreprise et de l’exploitation.
- Le fonds de commerce : élément d’exploitation commerciale
Bien que l’entreprise ne soit plus écartée par les juristes parce qu’elle est considérée aujourd’hui comme une notion juridique aux contours bien définis, celle-
ci ne pourrait pas remplacer le concept de fonds de commerce. Cette impossibilité tient au fait que la notion d’entreprise soit trop large par rapport à la
précision que présente le fonds de commerce. En effet, le fonds de commerce contient l’idée d’une exploitation commerciale que l’entreprise ne peut pas
cerner puisqu’elle peut avoir des activités commerciales comme elle peut avoir des activités civiles, ce qui pousse vers une autre analyse plus proche du
concept du fonds de commerce à savoir l’exploitation.
L’exploitation réside dans la réunion d’un objet et d’un sujet. Elle est à la fois les pouvoirs qu’a un sujet sur un bien déterminé et la reconnaissance des
résultats obtenus.
L’exploitation résout des problèmes éminents rencontrés dans l’étude des éléments composant le fonds de commerce.
D’abord, par sa nature, l’exploitation n’est ni un meuble ni un immeuble et peut, à ce titre, comporter des biens mobiliers et immobiliers.
Ensuite, les contrats qui sont indispensables à la poursuite de l’exploitation peuvent être transmis en même temps que le fonds de commerce.
Aussi, au-delà des contrats, devront être transmis tous les éléments, même ceux qui ne présentent aucune importance. La condition à respecter serait de
transmettre tous les éléments nécessaires à la survie et au développement du fonds de commerce.
Enfin, cette conception assurerait la pérennité du fonds de commerce, puisqu’en insérant les immeubles dans la cession de fonds de commerce, cela permettrait
d’éviter toute dissociation entre le fonds de commerce et l’immeuble dans lequel il est exploité. Ajoutons à cela que le fonds de commerce continue, dans de
telles conditions, à exister et à se développer indépendamment de la personne de l’exploitant.

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