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(C.O.C.C.)
Sous la direction des Professeurs
Isaac Yankhoba Ndiaye,
J. Jean-Louis Corréa et Abdoul Aziz Diouf
(C.O.C.C.)
Vol. 2
© L’Harmattan-Sénégal, 2017
10 VDN, Sicap Amitié 3, Lotissement Cité Police, DAKAR
http://www.harmattansenegal.com
senharmattan@gmail.com
senlibrairie@gmail.com
ISBN: 978-2-343-13981-4
EAN: 9782343139814
REQUIEM POUR LE COCC1 ?
Papa Talla FALL
Agrégé des facultés de droit
Université Cheikh Anta Diop de Dakar
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droit hérité de la France5, ils ont adapté celui-ci à nos réalités6 tout en étant
ouverts à nos coutumes, au droit classique musulman7 et à des droits étrangers8.
Le droit sénégalais est sans conteste marqué par le pluralisme juridique9.
Ainsi, en ce qui concerne le COCC, objet de cette réflexion, il n’a pas été
une reproduction aveugle du Code civil français10 même si, comme un auteur
l’a écrit, « par son esprit de fondation et son influence ultérieure, le Code civil
ne fut pas une codification ordinaire »11. D’ailleurs, sur certains points, le
COCC a été même en avance sur le Code civil français de l’époque12.
Une certaine philosophie anime ce code13. C’est que le législateur sénégalais
a cherché à asseoir une véritable législation dédiée à la croissance économique
mais aussi et surtout à l’unité du droit des obligations14. Il promeut ainsi l’unité
du droit civil et du droit commercial même si cette entreprise n’est pas absolue15.
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relations juridiques en donnant toute sécurité au créancier » (R. Decottignies, « Réflexions sur
projet de code sénégalais des obligations », op. cit., spéc., p 175.
16 M. Terré et Mme Outin-Adam ont écrit poursouligner que « codifier est un art difficile », D.
1994. Chron. 99.
17 JORS n° 3624 du 31 août 1963, p 1204 et s.
18 JORS n° 3843 du 29 août 1966, p 1069.
19 JORS n° 4511 du 16 août 176, p1237 et s.
20 JORS n° 5096 du 21 décembre 1985, p 553 et s.
21 JORS n°5796 du 18 avril 1998, p 233.
22 JORS n° 5797 du 14 avril 1998, p 249.
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23 Sur la notion d’intégration juridique, voir J. Issa-Sayegh, « L’intégration juridique des Etats
de la zone franc, Penant 823, p5 ; Penant 824, p 125 et s. ; L’OHADA, « Intégration dans les
pays de la zone franc », Revue dejurisprudence commerciale 1999, p 237 et « Quelques
aspects techniques de l’intégration juridique :l’exemple des Actes uniformes de l’OHADA »,
Revue de droit uniforme 1999-1, p 5 et s ; P.-G. Pougoué, « Doctrine OHADA et théorie
juridique », Revue de l’ERSUMA, n° spécial Novembre-Décembre 2011, p 9, ohadata D 12-
32 ou http://revue.ersuma.org/numero-special-novembre-decembre/doctrine/Doctrine-
OHADA-et-theorie, encore en ligne le 13 mars 2017 à 11h 30.
24 En 1993, adoption du traité de Port Louis portant création de l’OHADA et en 1994, naissance
de l’UEMOA qui produisent des règles matérielles applicables dans l’Etat partie.
25 Par exemple, OHADA (Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique),
l’OAPI (Organisation africaine de la propriété intellectuelle) et la CIMA (Conférence
interafricaine des marchés d’assurance).
26 Par exemple l’UEMOA (voir note 32 pour la signification du sigle).
27 En raison de la portée abrogatoire des actes uniformes et de certains textes de l’UEMOA.
28 Sur le fondement de cette disposition, le Conseil des ministres de l’OHADA a eu l’occasion
d’étendre le domaine des matières devant faire l’objet d’un acte uniforme. Par exemple, le 15
décembre 2010, le Conseil des ministres décida d’inclure le droit des obligations
contractuelles dans le programme d’harmonisation.
29 Infra deuxième partie de ce texte.
30 C’est le titre de l’article de R. Sefton-Green, « Les codes manqués », RTD civ 2005, p 539 et
s.
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I. - L’AGONIE DU COCC
La notion d’agonie renvoie «au moment précédent immédiatement la mort ».
Elle est synonyme de « dernière heure », « derniers moments »31.
Dès lors, le COCC vit-t-il ses derniers instants ?
La question mérite d’être posée eu égard à deux raisons cumulatives. Il s’agit
de la dispersion des textes ayant le même objet (B) mais aussi et surtout du
phénomène de l’externalisation de la production normative (A).
31 Le Larousse la définit comme le moment qui précède immédiatement la mort. Au sens figuré,
il renvoie, selon lui, à « fin » ou « déclin ».
32 Toutes les parties du COCC ont fait chacune l’objet d’une loi (voir l’introduction).
33 A. Sall, « Le juge national et la publication des traités : à propos del’invocation du traité de
l’OHADA devant les juridictions sénégalaises », EDJA n° 42, p 71 et s.
34 Voir art. 98 de la Constitution de 2001.
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l’occurrence de l’article 2 sur les actes de commerce, l’article 224 alinéa 2 sur
la prescription, des articles 392 à 429 (39 articles) sur la vente du fonds de
commerce, des articles 473 à 495 (24 articles) sur les intermédiaires de
commerce, des articles 584 à 615 (33 articles) sur le bail commercial49, des
articles 616 à 638(24 articles) sur la location-gérance du fonds de commerce,
de l’alinéa 2 de l’article 765 qui prévoyait que « toutes les autres sociétés
sont commerciales par leur forme et régies par des textes spéciaux », des
articles 824 à 926 (104 articles) sur les garanties des créanciers, de toute la
loi 85-40 portant quatrième partie du COCC sur les sociétés commerciales et
le groupement d’intérêt économique (article 1078 à 1561).Toutes ces règles
sont désormais définitivement abrogées.
A côté de celles qui disparaissent définitivement, il y en a d’autres qui
sont partiellement neutralisées. Dans la même loi 98-21 du 26 mars 1998
portant abrogation et modification de certains articles du Code de commerce
et du Code des obligations civiles et commerciales, on peut relever la
confirmation de l’abrogation partielle des articles 264 à 371 COCC (109
articles) qui ne constituent plus que le droit commun de la vente. C’est parce
que la vente commerciale est désormais régie par les articles 202 à 288 (88
articles) de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général.
Au total, on peut noter que plus de 900 articles, dont l’ensemble des
dispositions de la loi 85-40 portant quatrième partie, du COCC ont été abrogés.
La problématique de la loi nationale abrogatoire. Au-delà du constat de
l’abrogation de plusieurs dispositions du COCC, on peut se poser la question
de savoir si la loi abrogatoire 98-21 du 26 mars 1998 était nécessaire. En
d’autres termes, l’entrée en vigueur d’un acte uniforme de l’OHADA
n’emporte-t-elle pas abrogation automatique de toutes les dispositions
nationales antérieures qui lui sont contraires ?
L’article 10 du traité de l’OHADA prévoit en effet que « les Actes
uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats parties
nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou
postérieure »50.
A première vue, on peut être tenté, en se fondant sur cette disposition,
d’avancer l’idée selon laquelle un acte uniforme n’a pas un effet abrogatoire des
dispositions nationales contraires. L’interprétation consisterait à retenir que
l’article 0 du traité ne fait que paralyser seulement les dispositions antérieures
49 Le bail commercial est devenu bail professionnel à la faveur de l’entrée en vigueur de l’Acte
uniforme révisé relatif au droit commercial général (S. Sissouma, « Le bail professionnel (en
espace OHADA), un mécanisme de veille juridique) permanente », Revue Cames/S.J.P. n°
000/2014 (2e Semestre), p 81 et s).
50 On retrouve pareille disposition dans des traités comme celui de l’UEMOA. Voir, par
exemple, article 6 Traité de L’UEMOA qui dispose que : « les actes arrêtés par les organes
del’Union pour la réalisation des objectifs du présent Traité et conformément aux règles et
procéduresinstituées par celui-ci sont applicables dans chaque Etat membre nonobstant toute
législationnationale contraire antérieure ou postérieure ».
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contraires, lesquelles restent dans l’ordonnancement juridique de l’Etat partie.
Par voie de conséquence, ces dispositions nationales restent à l’état de veille
tant que demeurera en vigueur l’acte uniforme incompatible.
Certes, une telle argumentation est séduisante. Mais, à notre avis, elle fait
fi de deux éléments essentiels. Le premier est que la neutralisation du droit
interne par un acte uniforme concerne aussi bien le droit présent que celui
postérieur audit acte. Il en résulte que l’article 10 du Traité, qui pose la
primauté du droit de l’OHADA sur le droit interne, ne pouvait, à notre sens,
être rédigé autrement. Car, une abrogation ne peut affecter que le droit qui
lui est antérieur51. Dès lors, la règle posée par l’article 10 du Traité devrait
être comprise comme posant à la fois l’abrogation des dispositions
nationales contraires et le principe de l’interdiction de toutes dispositions
nationales postérieures antinomiques.
Le second élément - et c’est l’argument massue - relève de l’examen des
dispositions transitoires des actes uniformes déjà adoptés, voire révisés. On
remarquera aisément, que par rapport au droit national antérieur, il est
question soit d’abrogation par l’objet soit, seulement, d’abrogation des
dispositions antérieures contraires.
Pour le second type d’abrogation, on retrouve l’article 257 de l’ancien
Acte uniforme du 10 avril 1998 portant organisation des procédures
collectives d’apurement du passif qui dispose que : «sont abrogées toutes les
dispositions antérieures contraires à celles du présent Acte uniforme (…)».
Il y a également l’article 150 de l’ancien Acte uniforme portant
organisation des sûretés du 17 avril 97 qui dispose que « sont abrogées
toutes les dispositions antérieures contraires à celles du présent Acte
uniforme (…) ».
Parmi les exemples d’abrogation par l’objet, on peut citer l’article 336 de
l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de
recouvrement et des voies d’exécution, lequel dispose que « le présent Acte
uniforme abroge toutes les dispositions relatives aux matières qu’il concerne
dans les Etats parties. ».
Il en est de même de l’article 112 de l’Acte uniforme du 24 mars 200052
portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises. Il en
est également de même de l’article 919 de l’Acte uniforme du 17 avril 1997
relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt
économique.
Toutefois, il faut signaler le fait que le premier acte uniforme relatif au droit
commercial général est silencieux sur les rapports de ce nouveau droit avec les
dispositions antérieures. L’article 289, seule disposition finale, n’évoque ni
l’abrogation par l’objet ni celle des dispositions contraires antérieures.
51 L’abrogation est « la suppression d’un texte juridique par l’adoption d’une nouvelle
disposition qui le remplace pour l’avenir » (en ce sens, R. Cabrillac, Dictionnaire du
vocabulaire juridique 2017, LexisNexis, 2016).
52 Cet Acte uniforme a été révisé en 2017 à Brazzaville.
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Dans les actes uniformes révisés, il n’est évoqué que l’abrogation des actes
uniformes objet de la révision. C’est ce que l’on peut constater à travers
l’article 919 de l’Acte uniforme révisé, du 30 janvier 2014, relatif au droit
des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique qui ne
fait référence qu’à l’abrogation de l’Acte uniforme de 1997. C’est le cas
également de l’article 306 de l’Acte uniforme révisé de 2010 relatif au droit
commercial général, lequel dispose, sans équivoque, que « le présent Acte
uniforme abroge l’Acte uniforme du 17 avril 1997 portant sur le droit
commercial général »53.
C’est dire donc qu’un acte uniforme de l’OHADA a bel et bien un effet
abrogatoire vis-à-vis du droit national54. La loi 98-2 a donc un caractère
superfétatoire. Beaucoup de dispositions internes, notamment du COCC, ont
disparu avec l’avènement des premiers actes uniformes de l’OHADA.
D’ailleurs, ce caractère superflu des lois abrogatives nationales a été déjà relevé
par la Cour commune de justice et d’arbitrage saisie d’un avis par le
Gouvernement de la Côte d’Ivoire55.
En définitive, on peut observer que l’externalisation de la production
normative est un véritable danger à la survie du COCC. Toutefois, elle est loin
d’être la seule menace. Le COCC est également exposé à la dispersion des textes
ayant le même domaine de prédilection.
B. - la dispersion des textes
Il s’agit ici de poser le problème avant d’apporter des exemples qui
confirment la réalité de la dispersion des textes relevant du domaine des
matières classiquement régies par le COCC.
Position du problème. Outre l’externalisation des sources du droit, le
COCC subit également les contrecoups de la dispersion des textes. La force du
COCC résidait, traditionnellement, dans le fait qu’il est un véritable code.
C’est un code qui a été élaboré dans la logique de la codification classique
dite « réelle » ou « matérielle ».Comme le code de type napoléonien, il « est une
œuvre créatrice et de rénovation de l’ensemble d’une matière, qui réunit, sous
une inspiration commune, des règles traditionnelles et des règles nouvelles en
53 L’article 257 de l’Acte uniforme révisé en 2015 et portant organisation des procédures
collectives d’apurement du passif vise également l’abrogation de l’ancien Acte uniforme ayant
le même objet.
L’article 227 de l’Acte uniforme révisé portant organisation des sûretés dispose que : « le
présent Acte uniforme, qui abroge l’Acte uniforme portant organisation des sûretés du 17 avril
1997, n’est applicable qu’aux sûretés consenties ou constituées après son entrée en vigueur. »
54 Voir, en ce sens, La portée abrogatoire des Actes uniformes de l’OHADA sur le droit interne
des Etats parties, Revue Burkinabé de droit n° 37, p 52 ; notre ouvrage, Sécurité des
investissements et cohérence de l’ordre juridique. La problématique de l’application des
normes OHADA dans l’ordre interne, EUE 2013, p 52 et s.
55 CCJA, Avis 001/2001/EP du 30 avril 2001, Recueil de jurisprudence de la CCJA, n°
spécialjanvier 2003 p 74 et s.
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56 J.-L. Bergel, Méthodologie juridique, 2e éd, Thémis droit, PUF 2001, p 396.
57 J.-L. Bergel, Méthodologie juridique, 2e éd, Thémis droit, PUF 2001, p 356.
58 B. Lecourt, « Réflexions sur la simplification du droit des affaires », RTD com 2015, p 1 et s,
n° 44.
59 N. Molfessis, « Les illusions de la codification à droit constant et la sécurité juridique », RTD
civ. 2000 p 186 et s.
60 C. Kessedjian, « Codification du droit commercial international. De la gouvernance
normativepour les relations économiques transnationales », Recueil de cours, 2002, Martinus
Nijhoff, p 99.
61 C. Kessedjian, op. cit.
62 Voir, par exemple, R. Cabrillac, « Recodifier », op. cit.
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63 Acte uniforme du 15 décembre 2010 relatif au droit des sociétés coopératives, JO OHADA,
n° 23 du 15 février 2011.
64 Telles qu’elles résultent de la loi n° 98-19 du 26 mars 1998.
65 Loi n° 98-21 du 26 mars 1998, précité.
66 JORS n° 6404 du 26 avril 2008, p 395 et s.
67 En France, c’est le nouvel article 1365 du Code civil, tel qu’issu de l’ordonnance de 2016, qui
prend la peine de définir l’écrit en l’étendant à tous les supports autres que le papier (M. Fabre-
Magnan, Droit des obligations, 1. Contrat et engagement unilatéral, 4e éd. A jour de la
réforme de 2016), Thémis 2016, p 240, n°210.)
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81 Voir art. 14 du Traité, lequel reconnaît à la CCJA une compétence exclusive en matière de
recours en cassation lorsque la décision querellée est du domaine des actes uniformes de
l’OHADA.
82 CCJA, Arrêt n° 057/2015, Pourvoin° 091/2012/PC du 14/08/2012, Affaire : Moctar Maciré
Diakité C/ Salifou Bengaly, Sociétéd’ingénierieenénergiedite Sinergie SA du 27 avril 2015,
Ohadata J -16-57.
83 C’est pourquoi le professeur Issa-Sayegh suggère que la CCJA doit également être la
gardienne à la fois de l’unité du droit harmonisé et celle du droit national (J. ISSA-SAYEGH,
« La fonction juridictionnelle de la Cour commune de Justice etd’Arbitrage de l’Organisation
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également ouvert à l’adhésion de tout autre Etat non membre de l’OUA invité à
y adhérer du commun accord de tous les Etats parties ».
C’est ainsi qu’on retrouve des Etats non francophones dans l’OHADA. Il en
est ainsi de la Guinée Bissau et de la Guinée équatoriale qui sont des Etats
lusophones.
Toujours est-il que le 15 décembre 2010, le Conseil des ministres de
l’OHADA avait décidé d’inclure le droit des obligations contractuelles dans
le programme d’harmonisation. Mais la question n’est pas encore tranchée
en raison de la difficulté de choix d’une approche irréprochable87.
En premier lieu, faut-il un droit commun des contrats ou un droit des contrats
spéciaux ? Faut-il un acte uniforme ou opter en faveur de lois uniformes pour
ne pas dépouiller les juridictions nationales statuant en cassation ?
Les lois uniformes permettent de respecter la souveraineté des Etats et
d’éviter l’éviction des juridictions nationales statuant en cassation. C’est que
l’expansion du domaine des actes uniformes de l’OHADA a pour corollaire un
dessaisissement des juridictions nationales statuant en matière de cassation.
D’ailleurs, celles-ci se sont offusquées de cette situation.
C’est lors d’un colloque tenu en juin 2006 à Lomé par l’Association africaine
des Hautes juridictions francophones (AA-HJF) sur le thème « Rapports entre
juridictions de cassation nationales et la CCJA de l’OHADA : bilan et
perspectives d’avenir »88.
Une loi-type à transposer au plan national serait beaucoup plus favorable
pour les défenseurs des cours suprêmes nationales89. C’est que lorsqu’il s’agit
d’une loi uniforme, il n’y a pas non seulement dessaisissement des parlements
nationaux – lesquels procèdent à la transposition du droit communautaire – mais
aussi corrélativement, il y a maintien des compétences des cours suprêmes
nationales statuant en matière de pourvoi en cassation.
Si elle peut satisfaire les « souverainistes », cette méthode présente
néanmoins le danger de remettre en cause l’interprétation uniforme des règles
communautaires.
87 C. D. Sossa, « Pour une harmonisation du droit des contrats dans les pays membres de
l’OHADA », Semaine juridique, éd. G. n°4, 25 janvier 2016, doct., p 101 et s. ; J. Jehl, « Droit
uniforme OHADA : entre consolidation et nouvelle avancée sur le droit des obligations », op.
cit.
88Les recommandations de ces hauts magistrats ont fait l’objet de larges commentaires lors de la
« réunion des forces vives de l’OHADA tenue les 8, 9 et 10 novembre 2007 à Douala au
Cameroun.
89 PH. TIGER, « Les relations entre la Cour commune de justice et d’arbitrage et les
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Une menace réelle sur ce qui reste du COCC. Le secrétaire permanent de
l’OHADA, le professeur Cossi Dorothée SOSSA, a eu à déclarer dans une
chronique publiée dans un numéro de la Semaine juridique Ed. G. de janvier
201690, avoir reçu le 9 novembre 2015 de l’UNIDA91 un avant-projet
portant droit général des obligations contractuelles dans l’espace OHADA.
En même temps, l’OHADA est en train d’explorer la faisabilité et
l’opportunité de légiférer sur certains contrats d’affaires : crédit-bail,
affacturage, etc.
Cet avant-projet, sous la houlette de la Fondation pour le droit continental,
transcende le droit des affaires. Il porte pratiquement sur tout le droit des
obligations, de la preuve et de la prescription. Il traite des sources de l'obligation
(titre I) : contrats, quasi-contrats, délits et quasi-délits. Il envisage ensuite le
régime de l'obligation (titre II) : les modalités de l'obligation, la cession des
obligations, le droit à exécution, l'extinction des obligations, la prescription et
la preuve des obligations. En outre, il prévoit des dispositions relatives aux
conflits de lois en matière d'obligations92.
L’aboutissement d’une telle initiative entraînerait la remise en cause de la
première partie du COCC et parachèverait la fin du COCC tel qu’il a été conçu
par le législateur sénégalais.
A supposer même qu’à la place d’un Acte uniforme, on opte en faveur de la
technique des lois uniformes, l’unité du code serait toujours remise en cause.
La nécessité d’un droit des obligations harmonisé. L’opportunité d’une
harmonisation du droit des obligations ne fait pas l’ombre d’un doute eu égard
que cette matière représente le droit commun. Et, la Commune de justice et
d’arbitrage de l’OHADA peut être confrontée très souvent à des pourvois
soulevant à la fois l’application des règles OHADA et celles du droit commun.
Or, le principe est qu’elle évoque et met fin au litige lorsqu’elle casse une
décision définitive rendue par une juridiction nationale du fond. En effet, à la
différence des juridictions statuant en cassation, la CCJA ne renvoie pas après
cassation de la décision de la juridiction nationale de fond ; elle se mue en juge
du fond afin de trancher l’affaire en fait et en droit. C’est ainsi que certains ont
vu en elle une sorte de troisième degré de juridiction93. Le terme de troisième
90 C. D. Sossa, « Pour une harmonisation du droit des contrats dans les pays membres de
l’OHADA », op. cit.
91 Association pour l’unité du droit en Afrique.
92 C. Grimaldi, « Projet de texte uniforme portant droit général des obligations dans l'espace
OHADA », Recueil Dalloz 2016 p 648.
93 Par exemple, B. Diallo énonce que ce n’est qu’aprèscassation que « l’on peut parler de la
CCJA comme un troisième degré de juridiction, pas avant. Par cette opération elle élargit sa
saisine et s’érige en cour d’appel unique et souveraine » (B. Diallo, « Réflexions sur le
pouvoir d’évocation de la CCJA dans le cadre du traité del’OHADA »,
www.ohada.com/Doctrine/D07-23) et dans le même sens, E. NSIE, « La Cour Commune de
Justice et d’Arbitrage », Penant 1998, numéro 828, p 308et s. et Me D. NDOYE, « La nouvelle
Cour de cassation de l’OHADA », collection «Droitcommunautaire africain » Dakar 1998
voir spécialement note sous article 47 du Règlement deprocédure de la CCJA.
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civiles et commerciales, est due à la diversité des sources et à leur hétérogénéité
du point de vue de la hiérarchie des normes.
En effet, si l’essentiel des règles relèvent du droit écrit, certaines sont
d’origine nationale, d’autres supranationales105. Dès lors si le législateur peut se
payer le luxe de procéder au regroupement de tous les textes législatifs
susceptibles d’être intégrés au COCC, il en va autrement de ceux, de plus en
plus nombreux, qui relèvent de normes communautaires en général et de
l’OHADA en particulier. C’est qu’un code adopté par le législateur sénégalais
ne peut pas contenir des règles adoptées par des organes d’une organisation
supranationale ; de surcroît, lorsque l’acte uniforme comporte une disposition
transitoire consacrant l’abrogation par l’objet106.
Il est vrai que dans le cadre de l’OHADA, certains actes uniformes
n’abrogent et n’interdisent que les dispositions nationales contraires. Mais, les
dispositions d’un acte uniforme, étant du droit dérivé, ne sont pas un droit
statique ; c’est un droit vivant et dynamique107. La preuve peut être
administrée par les révisions qui ont affecté certains actes uniformes à partir
de 2010108. C’est pour cette raison fondamentale, qu’il nous semble
incommode que le législateur national puisse reproduire dans le cadre d’une
« codification à droit constant », certains textes issus, notamment, des actes
uniformes de l’OHADA109. A cela s’ajoute l’inutilité du procédé. De
surcroît, cela peut donner lieu à un contentieux inutile de juridictions. En
effet, la CCJA110 étant seule compétente en cassation lorsqu’il s’agit
d’appliquer les dispositions d’un acte uniforme, il va sans dire que
l’invocabilité d’un droit national, reproduisant à l’identique les dispositions
OHADA, peut pousser le plaideur à vouloir saisir la cour suprême au
détriment de la CCJA du fait que les textes applicables ont également un
support national.
A notre avis, la codification-compilation à droit constant ne saurait donc, en
l’espèce, être une bonne option pour le législateur sénégalais. L’avenir du
COCC ne peut pas être dans ce que l’on a pu appeler « codification publique »111
105 Voir supra sur la problématique de la dispersion des textes.
106 Par exemple, l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de
recouvrement et des voies d’exécution dans son article 336.
107 Il existe non seulement un organe délibérant (le conseil des ministres de l’OHADA) pour créer
ou modifier le droit dérivé, mais aussi une juridiction chargée de garantir l’unité de
l’interprétation et de l’application des règles communes (la CCJA).
108 Acte uniforme relatif au droit commercial général et Acte uniforme portant organisation des
sûretés (2010) ; Acte uniforme portant organisation des sociétés commerciales et du
groupement d’intérêt économique (2014) et Acte uniforme portant organisation des
procédures collectives d’apurement du passif (2015), par exemple.
109 D’ailleurs, à chaque révision d’un acte uniforme, le législateur serait alors dans l’obligation
de mettre à jour le code en intégrant les textes nouveaux.
110 La Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA.
111 C. Kessedjian, « Codification du droit commercial international. De la gouvernance
normativepour les relations économiques transnationales », op. cit., p 100.
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112 Les codes OHADA, vert ou bleu, se bornent cependant à rassembler tous les actes uniformes
dans un même document. Il ne s’agit pas véritablement de la compilation de textes épars sur
une même matière.
En réalité, c’est le code des sociétés qui est un exemple-type de la codification-compilation.
113 Editions juridiques africaines.
114 Sur l’utilité de la codification pour les praticiens, voir Ph. Rémy, « Planiol : un civiliste à la
Belle Epoque », RTD civ. 1. 2002, op. cit., n° 12.
115 En ce sens, voir J.-L. Bergel, Méthodologie juridique, op. cit., p 358
116 Voir, CC français, décision n° 2011-629 DC du 12 mai 2011. Saisi, à propos de la conformité
à la Constitution de la loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, il affirme
que «Considérant qu’il incombe au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui
confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; que l’objectif de valeur
constitutionnelle d’intelligibilité́ et d’accessibilité́ de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et
16 de la Déclaration de 1789, lui impose d'adopter des dispositions suffisamment précises et
des formules non équivoques ».
117 B. Lecourt, « Réflexions sur la simplification du droit des affaires », op. cit.
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Requiem pour le cocc
CONCLUSION
En définitive, il est vrai qu’à l’heure actuelle le COCC n’est
fondamentalement amputé que des troisième et quatrième parties avec l’entrée
en vigueur respectivement de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés
et celui relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt
économique. Les première et deuxième parties sont les moins touchées par
l’adoption des actes uniformes.
Mais, on peut observer aussi que le processus entamé dans le cadre surtout
de l’OHADA est inéluctable. L’envahissement du droit communautaire est le
facteur le plus important qui risquerait à terme de faire du COCC actuel d’être
une coquille vide.
Le COCC a-t-il fait son temps ? Il a été conçu pour répondre aux besoins
économiques de notre jeune État. Aujourd’hui, la logique est beaucoup plus
communautaire. Le droit communautaire devient de plus en plus une source
incontournable. De ce point de vue, il ne sert à rien de s’accrocher au passé fût-
il glorieux d’une œuvre qui a marqué l’histoire des codes en Afrique118.
118 Rares étaient en effet, les Etats africains nouvellement indépendants dotés d’une législation
propre. Le Sénégal avec son COCC, la Guinée avec son code des activités économiques et le
Mali, avec son code de commerce faisaient figures d’exceptions.
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