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Kouakou David BRENOUM @ 2020 CJTG-RCGT Tous droits réservés / All rights reserved
Résumé:
Le commerce moderne de distribution des produits usinés de première nécessité a connu une véritable mutation au
plan de la localisation, des bâtiments, des enseignes, des articles et des opérateurs. C’est cette mutation qui
conditionne et transforme les habitudes de dépenses et de consommation des abidjanais que l’étude appréhende. La
documentation, l’observation et l’inventaire ont été utilisés à cet effet. Les supermarchés ont été introduits pour la
première fois, à Abidjan, la grande métropole ivoirienne, par les compagnies commerciales européennes, durant la
période coloniale. Ces supermarchés étaient tous localisés dans le quartier européen connu aujourd’hui sous
l’appellation de Plateau, le centre-ville abidjanais. Ils étaient fréquentés par les Européens et les élites africaines.
Avec le développement urbain notamment l’augmentation de la population et l’expansion de la ville, ce mode de
commerce s’est propagé pour être plus proche de sa clientèle des quartiers africains périphériques. De 1960 aux
années 1980, il avait pignon sur rue dans toute la ville. Les enseignes les plus connues de l’époque étaient la Chaîne
Avion et la SCOA (Printania). Mais à partir de 1990 et suite aux premières crises socio-économiques du pays, ces
enseignes ont été retirées des paysages urbains pour laisser libre champ aux boutiques mauritaniennes et libano-
syriennes. Les premières supérettes sont apparues à cette époque sous les enseignes Score et Hayat du groupe AGA
KHAN. Il s’agit de petits supermarchés de proximité qui, aujourd’hui font place aux hypermarchés qui rivalisent
d’ingéniosité pour capter la clientèle de la classe moyenne émergente.
Abstract:
The distribution business for essential machined products has undergone a real change in terms of location, buildings,
signs, articles and operators. It is this mutation which conditions and transforms the spending and consumption
habits of Abidjanis that the study apprehends. Documentation, observation and the inventory were used for this
purpose. European trading companies first introduced supermarkets in Abidjan, the great Ivorian metropolis, during
the colonial period. These supermarkets were all located in the European district known today as Plateau, the city
center of Abidjan. Europeans and African elites frequented them. With urban development, including the increase in
population and the expansion of the city, this mode of commerce has spread to be closer to its customers in peripheral
African neighborhoods. From 1960 to the 1980s, it had a storefront throughout the city. The most famous brands of
then were the Chaîne Avion and the SCOA (Printania). However, from 1990 and following the country's first socio-
economic crises, these signs were removed from urban landscapes to give free rein to Mauritanian and Lebanese-
Syrian shops. The first mini-markets appeared at this time under the Score and Hayat brands of the AGA KHAN group.
These are small local supermarkets, which are now giving way to hypermarkets, which compete with each other in
ingenuity to capture customers from the emerging middle class.
CJTG/RCJT, Laurentian
CJTG/RCJT, University/Université
Laurentian Laurentienne,
University/Université Department
Laurentienne, of Geography/Département
Department of Geography/Départementde Géographie, Sudbury,
de Géographie, Ontario,
Sudbury, P3E P3E
Ontario, 2C6,
Canada. ISSN
2C6,:Canada.
2292-4108.
ISSNVol. 7(2): 34-43.
: 2292-4108. Décembre
Vol. 25, Décembre
7(2): 34-43. 2020. Copyright @ 2020
25, 2020. CJTG-RCGT,
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CJTG-RCGT, droits réservés.droits réservés.
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à la recherche de profits substantiels. L’un des secteurs les plus Occidental (CFAO) dont la création remonte à 1881 et la Société
convoités est celui de la grande distribution du fait de la Commerciale de l’Ouest-Africain (SCOA) créée en 1898. Dans les
fulgurante croissance de la classe moyenne (26,4% de la années 1950, la CFAO et la SCOA implantent des magasins
population en 2015 selon l’étude pour le compte de l’AFD menée populaires et des chaînes succursalistes qui s’inspirent du
par Bekelynck, Berrou, Bouquet, Darbon), de consommateurs succursalisme européen dans le chef-lieu de la colonie de Côte
aisés, urbains, éduqués et occidentalisés. Outre l’évolution de la d’Ivoire, Abidjan. On y enregistre la plus grande concentration de
société, on note également la volonté affichée de l’autorité consommateurs à haut niveau de vie ayant adopté, en partie, la
publique de moderniser l’activité commerciale dans toutes ses consommation type européen. À ce propos, Atsé (1968) note que
composantes. À cet effet, des mesures de facilitation et « …Abidjan est la capitale du grand commerce de la Côte d’Ivoire.
d’incitation sont prises afin de favoriser les investissements dans Mais, de plus, elle est seule à posséder des magasins populaires »
le secteur d’opérateurs privés tant nationaux qu’étrangers. De ce dont les principaux sont Monoprix et Printania.
fait, beaucoup de groupes rivalisent de stratégies de marketing
Les travaux de cet auteur révèlent que les formules de distribution
(localisation, enseignes, prix, etc.) pour capter la plus grande part
qui y sont appliquées ont déjà fait leurs preuves en Europe.
du marché. Cette course à la distribution est davantage visible à
Approvisionnés par des centrales d’achat installées à Paris, ces
Abidjan, la grande métropole ivoirienne. Ainsi, « Avec 4 395 243
magasins de vente au détail proposaient les mêmes articles que
habitants (INS-RGPH 2014), soit 40 % de la population urbaine du
leurs homologues d’Europe. Chaque magasin comportait deux
pays, Abidjan constitue le plus grand marché de consommation
parties, l’une réservée à l’alimentation, l’autre aux marchandises
du pays » (Koffi, Kra et Koissy, 2015). Abidjan abrite 16% de la
générales. Au départ destiné aux expatriés européens et aux
classe moyenne (Bekelynck, Berrou, Bouquet, Darbon, 2017). Elle
orientaux, la clientèle africaine s’est intégrée, séduite par les
a, à l’évidence, un impact sur le paysage urbain et sur la
produits vendus en grande surface qu’elle pense être forcément
configuration spatiale de la ville. La géographie ne peut ignorer
de bonne qualité. Toujours, selon Asté, ces magasins ont eu un
cette situation d’actualité surtout qu’elle n’a pas encore fait l’objet
énorme succès à Abidjan; leurs locaux climatisés permettaient aux
d’étude en Côte d’Ivoire. Le présent article dresse l’état des lieux
clients (entre 750 et 1000 quotidiennement) de faire leurs achats
de cette activité et fait connaître les acteurs, les formats des
dans les meilleures conditions.
établissements, leur localisation et diffusion dans l’espace, de
même que leur impact sur l’espace et le paysage de la ville Implanté au Plateau, « la ville blanche » (Diabaté et Kodjo, 1991),
d’Abidjan. Monoprix était un magasin de 1100 m2. Les Abidjanais y étaient
affectueusement attachés, depuis l’époque où ce magasin était
MÉTHODES ET MATÉRIELS connu sous le nom de Galerie Barthes (Kouamé, 1985). Ils y
Trois techniques de collecte de données ont été utilisées : la revue venaient en raison de la qualité des articles et, surtout de leur prix
de la littérature, les travaux de terrain et l’inventaire. La revue de très abordable. À cette époque, Monoprix appartenait à la CFAO.
la littérature a permis de mieux comprendre les caractéristiques Mais en 1950, ce magasin prend la dénomination de Monoprix-
de la grande distribution. Côte d’Ivoire, une association des actionnaires de la CFAO et de
la société anonyme des Monoprix. En cette période coloniale,
L’approche diachronique suggère de percevoir l’organisation de Monoprix recrutait sa clientèle parmi les fonctionnaires constitués,
l’espace géographique comme une intégration dans laquelle le en grande majorité, d’expatriés européens. Ce magasin accueillait
poids du passé sert de fil conducteur aux analyses. Les données les riches de l’époque. Dès l’indépendance en 1960, les Abidjanais
utilisées ont alors été collectées notamment sur le terrain et dans vinrent de tous les quartiers pour y faire leurs achats. Et la
des articles de journaux qui traitent de l’apparition des grandes concurrence fut impitoyable entre les grandes surfaces de
surfaces, leurs promoteurs et leur insertion dans l’espace l’époque installées au Plateau : Monoprix, Chaînes Avions,
géographique abidjanais. Les observations de terrain ont permis Printania (devenu Score en 1975). Cette période faste de Monoprix
de se faire une idée de l’état des infrastructures et de se poursuivra jusque dans les années 1970 alors qu’un
l’organisation de leur fonctionnement. L’inventaire des détournement de fonds survient et affecte son fonctionnement.
établissements de grande distribution a été effectué à l’aide du Cette conjoncture venait fragiliser un magasin dont les locaux
GPS (Garmin 64 S). Leur dénombrement a été suivi par une n’étaient plus adaptés. Édifiés depuis l’époque coloniale, ses
représentation cartographique. bâtiments n’ont pas été réaménagés, faute d’espace. Bientôt, la
baisse du pouvoir d’achat des fonctionnaires, consécutive à la
HISTORIQUE DE L’ÉVOLUTION INFRASTRUC-
crise économique, entraîne la chute vertigineuse des ventes.
TURELLE ET SOCIOPROFESSIONNELLE DE LA Durement touchée par la crise, la CFAO décide de fermer ce
GRANDE DISTRIBUTION magasin en 1985.
En Côte d’Ivoire, l’apparition de la grande distribution remonte à Créé en 1957, Printania faisait partie d’un immense réseau
l’époque coloniale avec ses comptoirs commerciaux et les petits succursaliste comptant une trentaine de magasins en Afrique
magasins tenus par des Syriens et des Libanais. subsaharienne et à Madagascar. C’est une enseigne lancée par la
DES COMPAGNIES COMMERCIALES COLONIALES À SCOA en association avec la société Printemps. On en comptait
L’APPARITION DE SUPERMARCHÉS À ABIDJAN trois à Abidjan (au Plateau, à la Riviera et aux Deux-Plateaux) dont
les superficies moins vastes que celle de Monoprix, variaient entre
Les supermarchés résultent des anciens comptoirs commerciaux 400 et 700 m2.
de l’économie de traite (Tijani, Bio et Afouda, 2010). Ces comptoirs
sont tenus par de grandes compagnies commerciales dont Toutefois, la Chaîne Avion est la société succursaliste la plus
l’origine remonte au début de la pénétration européenne en connue dans l’histoire commerciale de la Côte d’Ivoire d’avant les
Afrique. Les plus importantes de ces vieilles compagnies années 2000. Cette société a été créée par la SCOA avec pour
commerciales sont la Compagnie Française de l’Afrique principal but de « toucher » la masse de la population ivoirienne
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(Atsé, 1968). Toutes les boutiques traditionnelles qui voulurent se économique aigue et a mis la clé sous le paillasson. Ainsi, « en
moderniser se sont inspirées de l’organisation des succursales de 1986, les magasins de la Chaîne Avion ont été cédés » (Assidon,
cette chaîne. Son fonctionnement était assuré par toute une 1989). Restent les magasins Score (y compris le réseau JOK) au
hiérarchie de cadres, européens pour la plupart : inventoristes, sein de SCOA-Côte d’Ivoire.
inspecteurs et chefs de secteur. À Abidjan, on trouvait à cette
En raison de cette même crise, en septembre 1991, le groupe
époque 26 boutiques équitablement partagés entre les quartiers
SCOA vendait les magasins Score à UNICOCI, une société
de Treichville et Adjamé. Ainsi, « L’épopée a commencé en 1954.
anonyme au capital réparti entre la Financière Côte d’Ivoire et la
La Côte d’Ivoire se développait déjà grâce à son café et son cacao
société belge Win Export (Hien, 1992). De cette vente, les
en plein essor et le monde rural commençait à exprimer le besoin
magasins Score se sont transformés en janvier 1992, en Score
d’un approvisionnement régulier en produits alimentaires et
2000 et BAPRI pour mieux cadrer au contexte ivoirien en
ménagers » (Chegaray, 1983). La SCOA décida alors d’organiser
proposant les meilleurs prix-alimentation de Côte d’Ivoire. Créée
tout un réseau de distribution de produits de consommation
en 1980, la Financière Côte d’Ivoire a contribué à la mobilisation
courante. Partout où passait une piste carrossable, s’était installée
de ressources financières nationales et internationales auprès de
une Chaîne Avion. La SCOA introduisait ainsi pour la première fois
ses 200 membres. Win Export, émanation du Groupe Belge Louis
en Afrique, les techniques européennes du succursalisme
Delhaïze est un distributeur européen important. Le groupe est
moderne. Selon Chegaray (1983), dans les échoppes éclairées à la
grossiste et franchiseur. C’est donc l’action conjuguée de ces deux
lampe à pétrole, on vendait toutes sortes de produits. L’enseigne
partenaires alliant d’une part, le souci d’apporter leur pierre à la
Chaîne Avion connut un retentissant succès. Très vite, le nombre
reconstitution de l’économie nationale et à l’effort de relance
des succursales atteignit plus de 200, tandis que dans les endroits
économique, d’autre part celui d’apporter toute une logistique,
plus isolés, passait le camion qui assurait la vente à la criée. En
de savoir-faire, une expérience réussie dans le domaine des prix
1972, le Gouvernement voulut mettre en place son propre réseau
discount qui doit permettre à UNICOCI d’organiser son action
de distribution : PAC. Chaîne Avion, seule sur le territoire, allait
directe sur l’évolution de la distribution en Côte d’Ivoire. « Mais,
connaître la concurrence si éphémère soit-elle, la chaîne PAC
après avoir résisté tant bien que mal à la rude concurrence du
« n’a duré qu’une décennie » (Aka, 1997) en raison des problèmes
marché, les Scores rendirent l’âme » (Kadet, 1997).
de maîtrise de gestion non résolus. La Chaîne Avion, elle-même,
battait de l’aile, ayant trop vécu sur ses acquis, n’ayant pas su Sociétés à succursales multiples, magasins populaires et libre-
s’adapter à une clientèle que le développement rendait plus service sont des principales expériences commerciales survenues
exigeante. Alors, « Les frais de transport, les commissions de plus au sein des vieilles compagnies de traite (Atsé, 1968) qui ont
en plus élevées servies aux gérants pour contenir l’inflation, les abouti aux supermarchés à l’ivoirienne. En disparaissant de la
agios coûteux dus aux découverts bancaires, ne permettaient plus scène commerciale africaine, ces vieilles sociétés ont cédé une
de dégager une marge suffisante à la mise en place des partie de leurs activités à leurs intermédiaires Libano-Syriens et
marchandises » (Aka, 1997). Des prestigieux bazars coloniaux, il ne quelques africains (Tijani, Bio et Afouda, 2010). Ainsi, l’on passe
restait plus parfois que de petites échoppes un peu minables, d’une première génération de commerce des mains des
sales et peu ragoûtantes pour les clients (Chegaray, 1983). C’est Européens-Français à ceux des Libano-Syriens, même si cela n’est
alors que Chaîne Avion amorça son deuxième décollage. La qu’une apparence. À ce propos, Diabaté et Kodjo écrivaient en
chaîne fut obligée d’abandonner ses succursales dans les petites substance en 1991 : Le cœur de la ville, le Plateau, est occupé
villes, et fusionna, en 1980-81, avec Score en une seule société, aujourd’hui encore par ces entreprises très anciennes sur
Ivoire distribution (Ivodis) dont le capital est détenu à 90% par la lesquelles l’administration coloniale s’est reposée pour
SCOA (ibid.). développer la ville : CFAO, SCOA, CFCI, SACI. Elles ont parfois
changé de nom après avoir diversifié leurs activités. Ainsi, on ne
Ancien Printania, Score est une autre enseigne du groupe SCOA.
verra nulle part le sigle CFAO, alors que la compagnie possède
Servant souvent de référence sur la place pour la diversité de ses
encore de nombreuses filiales à Abidjan dans le secteur de la
produits et pour ses prix compétitifs, la chaîne commerciale Score
distribution et de la mécanique notamment.
a permis aux magasins Chaîne Avion de se moderniser : 130
d’entre eux étaient équipés d’une ligne de produits frais mais aussi On comprend qu’après une période de "latence", les Français
de congélateurs de viande. Parmi la nouvelle génération de reviennent à la charge avec les groupes CFAO-carrefour et Casino.
Chaîne Avion, on pouvait citer le libre-service de Marcory où Si la CFAO, en partenariat avec Carrefour, a réinvesti le secteur de
s’étalaient près de 1500 articles dans un décor moderne et la distribution alimentaire qu’elle a abandonné il y a une trentaine
climatisé. Par un ambitieux programme d’investissements, la d’années, Casino poursuit de son côté un développement
société Ivodis avait décidé de moderniser totalement ses progressif en Afrique. Casino a ouvert deux magasins à Abidjan
échoppes Chaînes Avions, de les transformer en libre-service fin 2012. Dans un contexte marqué par l’atonie de la
climatisés et de substituer à certains d’entre eux une nouvelle consommation dans les marchés matures où fabricants et
génération de supermarchés : les JOK. Offrant la même collection distributeurs ont plus que jamais besoin de trouver des relais de
de base, JOK s’installe là où Chaîne Avion n’est plus suffisante, croissance, ce choix de Casino s’explique par le développement
mais où Score ne se justifie pas. Véritable intermédiaire entre les de la classe moyenne dans la capitale économique ivoirienne
deux types de commerce, JOK est deux fois plus petit que Score (Mieu, 2014). Mais Casino s’appuie sur Prosuma pour ouvrir des
en surface (200 m2 contre 500 m2) et en gamme de produits (3000 franchisés locaux solides : Casino Prima, Casino Cap Nord et
articles contre 7000). JOK vient donc supplanter Chaîne Avion en Casino Mandarine.
certains endroits. En février 1983, trois magasins JOK existaient
dans la ville d’Abidjan (Port-Bouët, Cocody, Adjamé 220 DE LA PRÉPONDÉRANCE DES INTÉRÊTS LIBANO-SYRIENS DANS
Logements) et Ivodis projetait d’implanter deux à Abobo-gare et LA GRANDE DISTRIBUTION
à Koumassi. Malgré tous ces efforts, l’enseigne expérimentaliste Le secteur de la grande distribution est désormais récupéré par
du succursalisme en Côte d’Ivoire n’a pas pu résister à la crise des Libano-Syriens. Ces commerçants sont arrivés au début du
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XXe siècle (1910-1920), « dans le sillage des colons » (Diabaté et dizaine de magasins aux capacités et prétentions beaucoup plus
Kodjo, 1991). Ils étaient les intermédiaires de négoce entre les modestes, baptisées Cash Ivoire est appelés à être remis à des
grandes maisons de distribution et les consommateurs indigènes. Ivoiriens en fonction des conditions économiques et de leur
Au service donc des grandes sociétés d’import-export aux capacité à prendre positivement en main ce secteur (Kadet, 1997).
premières heures de la colonisation, ils vont progressivement Les promoteurs de Sococé, quant à eux, ont acquis la Compagnie
exercer des activités telles que la collecte du café et du cacao et de Distribution de Côte d’Ivoire (CDCI) en 2002 et exploitent
du commerce de détail (Serhan, 2015). Comme les factoreries des l’enseigne King Cash que la transnationale Unilever voulait à la
maisons européennes ne pouvaient pas toucher toutes les base créer pour ses propres magasins de détail. Ainsi, au fil des
populations, « le rôle de distributeurs complémentaires est dévolu années les intérêts Libano-Syriens ou libanais dans cette activité
aux Libano-Syriens » (Atsé, 1968). Ainsi, si les grandes sociétés sont prépondérants. Selon le président de la chambre de
appartenaient aux colons, les premières épiceries et boutiques de Commerce et d’industrie libanaise en Côte d’Ivoire interviewé par
proximité étaient plutôt, l’œuvre des Libano-Syriens (Serhan, Sinzé (2013), «90% des grandes surfaces appartiennent à des
2015). intérêts libanais ». Un extrait du discours du Gouverneur du
District autonome d’Abidjan en mars 2013 confirme ce constat :
Leur forte implication dans le commerce de traite et leur mobilité
« Les investissements libanais dans le domaine du commerce et
ont assurément amené les maisons de commerce européennes à
de l’industrie, ont permis l’émergence de plusieurs grandes
s’attacher leurs services au détriment de la main-d’œuvre locale
sociétés de supermarchés et d’hypermarchés, de grandes surfaces
jugée moins rentable, mais également de la main-d’œuvre
de distribution de produits alimentaires et cosmétiques, etc. » Les
européenne jugée onéreuse (Aka, 1997). C’est tout naturellement
Libano-Syriens ont construit à Abidjan de véritables
qu’ils deviennent un maillon essentiel dans ce secteur d’activité.
supermarchés- à l’européenne dont certaines surfaces de vente
Fort de son grand sens commercial, la communauté libano- dépassent 2500 m2.
syrienne a gagné la confiance des Européens. Ainsi, les
À ces acteurs d’origine étrangère (dont certains se sont naturalisés
propriétaires, les grandes associations et les banques de
ivoiriens), implantés de vieille date en Afrique, s’ajoutent les
commerce possédant toutes les activités du pays, facilitèrent à la
Chinois (Tijani, Bio et Afouda, 2010). Ils constituent désormais de
communauté les moyens d’obtenir des crédits et de la
sérieux concurrents avec leurs trois magasins à l’enseigne "Foire
marchandise. De cette façon vinrent les premières exploitations
de Chine", situés à Adjamé, Treichville et Riviera.
forestières, de nombreuses industries de cosmétique, de chimie,
de cartonnerie, d’imprimerie ainsi que les grandes surfaces de Somme toute, le secteur de la grande distribution à Abidjan est
distributions alimentaires (Serhan, 1995) aux enseignes entre les mains de groupes européens et orientaux (cf. figure 1).
évocatrices (Azar et Salamé, Bijani, Hayat, Trade center). Avec la
crise économique que traverse le pays depuis le début des années
1980, entraînant une baisse de l’activité de la grande distribution,
les enseignes d’intérêt européen se retirent et laissent libre champ
aux boutiques mauritaniennes et libano-syriennes. Des
promoteurs européens, seule la SCOA possède encore trois
magasins à l’enseigne Score à Abidjan. C’est alors que la société
Prosuma (créée en 1966) chapeauté par le groupe AGA KHAN va
contrôler progressivement avec son enseigne Hayat, la grande
distribution alimentaire. Elle est accompagnée par les
Supermarchés Trade Center (SMTC) et Sococé (Société
Commerciale du Sud-ouest), tous d’intérêt libanais. Sous les
« effets conjugués de la crise économique et de la dévaluation qui
ont fragilisé la trésorerie des grands distributeurs dont l’essentiel
des produits provenaient d’Europe, origine de la majorité de leur
clientèle » (Kadet, 1997), les alliances sous les formes les plus
diverses (fusions, rachats, franchises, etc.) ont caractérisé le
marché de la grande distribution. Sur le terrain, les groupes
Sococé et Prosuma se montrent les plus actifs. En octobre 1996,
le groupe Prosuma, fort de sa fusion avec SMTC en 1993, reprend
tout le réseau des magasins Score (N’Goran, 2012). Au milieu des
années 1990, Prosuma et Sococé sont « les deux groupes qui se
partagent le marché de la grande distribution » (Kadet, 1997).
Tandis que Prosuma procède à des rachats, des Score
notamment, Sococé réplique par la construction de nouvelles
grandes surfaces et l’exploitation de l’enseigne française TATI
sous la forme d’une franchise.
CJTG/RCJT, Laurentian University/Université Laurentienne, Department of Geography/Département de Géographie, Sudbury, Ontario, P3E 2C6,
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et Carrefour Market à Yopougon), des référents sur le haut de
gamme.
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commerciales se sont répandues dans d’autres communes de la « petit commerce de proximité », on trouve les Cash Express
ville d’Abidjan, notamment dans celles de Marcory et de Cocody (moins de 100 m2), les Bonprix (350 à 450 m2), les Jour de Marché
(cf. figure 2). (450 à 500 m2). Toutefois, Carrefour Market est ouvert à
Yopougon depuis octobre 2018. Commune la plus peuplée de la
ville d’Abidjan avec 1,2 million d’habitants (RGPH-2014),
Yopougon a été conçue comme une ville nouvelle avant de
devenir populaire sous l’effet de la crise économique de 1980. Elle
abrite une classe moyenne qui habite les cités de bon standing
construites par des sociétés immobilières.
Les supermarchés et leurs variantes, autrefois rencognés au Planche 2 : Une vue des espaces de rendez-vous dans les centres commerciaux
Plateau, s’implantent dans tous les quartiers de la ville d’Abidjan. Cap Sud (à gauche) et Prima (à droite)
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Auteur
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