Vous êtes sur la page 1sur 24

La philosophie platonicienne

Un yoga d’Occident

Le yoga signifie en sanskrit « union », « joug », « méthode » et « mise au repos » du mental. Le


yoga se pratiquerait pour atteindre la clarté du mental, le calme et apaiser les pensées. C’est
également une méthode de contrôle du mental et/ou d’union avec le Divin. Cette union doit
permettre d’échapper de manière définitive au cycle des renaissances, élément parfaitement
intégré dans la philosophie de Platon lequel croyait également au retour de l’âme sur terre (ce
que l’on a coutume d’appeler aujourd’hui réincarnation).

Le yoga de Platon propose une pratique méditative, dont nous pouvons encore déceler quelques
traces dans ses ouvrages, et apparaît aussi comme très proche des techniques de méditations
bouddhistes. Quel est le but de la philosophie de Platon ? Rejoindre le Un, source de l’être et
de tout ce qui existe. Tout comme les anciens textes de Yoga, mais aussi des traités spirituels
hindous dénommés Upanishads, nous retrouvons chez Platon une même préoccupation sur la
nature de l’esprit. Nous pouvons lire chez Platon une origine commune entre le fondement de
notre être et celle de Dieu. Dans nombre de ses ouvrages, et plus encore dans son Parménide,
il pose sa réflexion sur le Un, l’essence de l’Être et ses multiples facettes lorsqu’on commence à
le penser. Tels sont les propos également des Upanishads et des traités du yoga. Le Un (eka en
sanskrit) est non-duel (advaïta en sanskrit), c’est l’unique Réalité. Il en est de même chez Platon,
lequel appuie encore cette notion en développant un rapport apophatique, dite aussi théologie
négative, avec l’Être et le Un. De même pour l’advaïta, son propos se conçoit comme une
théologie négative. Quoi que l’on dise sur le Un et/ou l’Être, nous tombons sur des apories, des
contradictions permanentes. Le Un reste donc insaisissable.

Nous allons découvrir dans cette vidéo que nous pouvons vraiment établir une relation entre la
méthode philosophique instituée par Platon et celle que propose le Yoga. Socrate se révèle être
bien plus que l’instigateur de la dialectique, c’est un yogi d’Occident, l’introducteur de la pensée
non-duelle et d’une pratique spirituelle très profonde. Les influences pythagoriciennes et
orphiques se laissent facilement entrevoir dans les ouvrages de Platon. Il œuvre en homme de
synthèse, et bien plus encore, il offre une harmonie de la pensée de ses prédécesseurs tout en
montrant les failles de leur approche. Selon lui, il faut aller au-delà de tout ce qui a été fait. Il
propose donc un autre regard sur le monde, la nature et l’homme.

Un autre rapprochement peut être fait entre le yoga et la philosophie platonicienne. Dans ces
deux disciplines, les dieux sont perçus comme des archétypes, des puissances agissantes dans le
cosmos et en nous-mêmes. Il nous faut prendre le sens d’archétype dans sa valeur principielle,
soit ce qui fonde notre univers et notre être. Les dieux sont des effluves de l’Un et leur donne
existence, dès lors leurs activités découlent de l’unique Être qui est et dévoilent leur
assujettissement à ce dernier. Pas de polythéisme dans le yoga, dans les Upanishads, ni même
chez Platon. Il y a une seule divinité dont l’image du Soleil visible reflète ses qualités. Ainsi, le
Soleil tangible devient l’image, l’apparition en notre monde phénoménal de la divinité
impalpable et insondable. Cette divinité solaire intangible est source de toute réalité. Ce même

Daniel Shoushi 1
Soleil, situé à l’ultime réalité, dénommée idéelle ou intelligible par Platon, est censé resplendir
en notre âme aussi, lequel illumine notre être dans sa totalité.

Platon met en avant la Connaissance comme acte salvateur, et il combat de toute part
l’ignorance qui se présente comme l’extinction de notre propre lumière intérieure. Élément
parfaitement connu des textes hindous. La Connaissance se dévoile en nous-mêmes, se révèle à
nous, et nous éveille à d’autres dimensions de notre propre esprit et ce jusqu’à atteindre la cime
de notre propre existence. C’est à ce titre qu’il évoque les inspirations, la mantique, les
révélations et les apparitions divines qui surgissent en notre intériorité lorsque nous nous
mettons en chemin. La philosophie de Platon est celle d’une initiation, d’une gnoséologie, d’un
mysticisme intégrant la rationalité dans sa démarche et celle d’une pratique d’éveil à soi-même.
Ce que nous sommes en train de dire, c’est que nous proposons une restitution lisible de la
philosophie de Platon, et accompagnée d’une herméneutique de certains textes, lesquels
contiennent également en filigrane sa tradition orale.

Une dernière chose.


Platon n’est pas un historien, ni même un mythographe, par conséquent tous ces mythes
renvoient à des illustrations de sa pensée et ne sont pas à prendre à la lettre. Il y a une cohérence
dans son système de pensée, tel est le propos de cette vidéo. C’est à ce titre que le mythe de
l’Atlantide se présente comme une illustration de sa pensée et s’intègre dans sa méthode
pédagogique. Nous y reviendrons en temps voulu.

Les ouvrages sur lesquels je me suis appuyé pour mon étude sont :
- Platon et le miroir du mythe, de Jean-François Mattéi
- L’étranger et le simulacre, du même auteur
- Et Le mythe de la Caverne, Platon face à Heidegger, de William Néria

I. La philosophie comme dévoilement expérientiel des secrets


initiatiques

De nombreuses recherchent ont démontré l’existence d’un enseignement oral chez Platon,
différente des dialogues, et réservée à des initiés. Il conçoit son enseignement comme divin dont
l’initiateur central n’est autre Socrate !

Commençons notre investigation avec la question de la cathartique (la purification).

Quel est son objectif ?


La cathartique selon Platon est un détachement des pensées et des perceptions fournies par les
sens :
« Mais une purification, est-ce que par hasard ce n’est pas justement ce qu’énonce la formule d’auparavant :
séparer le plus possible l’âme du corps, l’habituer à se rassembler elle-même en elle-même à partir de tous les
points du corps, à se ramasser et à vivre, dans le moment présent comme dans celui à venir, isolée en elle-même
autant qu’elle le peut, travaillant à se délier du corps comme on se délie de ses chaînes »
Phédon

Daniel Shoushi 2
Cette action rappelle celle du yoga qui demande une concentration de ses fonctions mentales
vers un point, une cible, et nous verrons qu’il en est de même dans l’enseignement de Platon.
Cette concentration découle de la méditation, et de cet état d’esprit nous pouvons aboutir à la
contemplation lorsque la concentration est maintenue.

Les philosophes sont semblables aux initiés, et ils sont peu nombreux nous apprend Socrate. Ils
sont pris d’enthousiasme, au sens où ils sont sous l’emprise d’une possession divine, d’un rapt
divin. Platon s’est inspiré des initiations à Mystères pour écrire le mythe de la Caverne par
exemple et, comme ce mythe illustre l’accès progressif aux Idées, sa philosophie entière reflète
le thème de l’initiation. Dès lors, on peut tout à fait dire que sa philosophie révèle le sens des
Mystères.

Qu’est-ce que l’initiation ?


La mort avant la mort. Il s’agit de vivre sa propre mort durant notre durée de vie. C’est une
dissolution de notre moi lequel considère que l’unique réalité qui existe est celle que nous
percevons au-dehors. Ce moi se dissout au point où il découvre qu’il existe d’autres réalités et
d’autres modalités de conscience. C’est un éveil à soi-même.

Que sont les Idées platoniciennes ?


Les Idées ne sont pas ce que vous croyez. L’Idée est un feu subtil qui brille et scintille et dont le
pouvoir permet de maintenir, de faire persister, de faire perdurer et de soutenir la lumière qui
en émane. Dès que l’Idée s’estompe, alors l’obscurité apparait avec sa cohorte de laideur. L’Idée
possède donc une force générative. L’Idée illumine l’âme lorsque cette dernière chemine vers
elle, ou tombe dans l’obscurité et la laideur lorsqu’elle s’en éloigne. Les illuminations qui nous
parviennent découlent des Idées, et elles se déploient dans le champ de l’âme afin d’offrir une
expérience de vision. C’est la contemplation.

La Beauté est la suprême Idée selon Platon. La Réalité ultime est Beauté puisqu’à son contact
nous sommes ébahit par son éclat, sa radiance et sa lumière. Par sa force attractive, l’amour
(Éros) nait en nous et un désir ardent nous incite à nous unir à elle et à la contempler dans toute
sa splendeur. À sa rencontre, le Bonheur emplie tout notre être. Platon personnifie la plus belle
des beautés sous les traits de la déesse Aphrodite. C’est la raison pour laquelle son ouvrage Le
Banquet à une valeur particulière, car dédié aux notions de l’amour et de la beauté. Si la nature
de l’ultime réalité est la Beauté, alors l’expérience mystique qui en découle doit être d’une
délectation inouïe ! Cependant, Platon nous demande de ne pas nous arrêter au mondes des
Idées, même si c’est une rencontre béatifique avec l’Idée des Idées, à savoir la Beauté. En effet,
il incite les philosophes à découvrir ce qui se joue dans cet état contemplatif. D’où viennent ces
images que nous contemplons, ces apparitions et ces Idées ? Il répond que tout provient de l’Un,
du Bien. Royaume qui donne la vie et l’existence au monde des Idées, il surplombe l’ensemble
du monde manifeste. Le mythe de la Caverne prend une autre tournure à l’écoute de ses mots,
car l’individu qui parvient à se délivrer de ses chaines et gravir le couloir étroit de la caverne
débouche à la dimension supérieure surplombée par le Soleil. Le Soleil, c’est l’Idée du Bien, la
Beauté elle-même ! C’est un mythe qui décrit le cheminement spirituel jusqu’à atteindre le stade
contemplatif.

Daniel Shoushi 3
« Ce captif qui monte à la région supérieure et la contemple, c’est l’âme qui s’élève dans l’espace intelligible »,
affirme Socrate dans le mythe de la Caverne.

Comment faire pour accéder à ces réalités et ces autres modalités de conscience ? Platon
propose une méthode, redoutable dans sa pratique. Tout commence par la dialectique, soit l’art
d’agencer et d’organiser sa propre pensée, puis vient ensuite le silence mental qui se dissimule
derrière, et enfin apparait la phase finale qui consiste au retour de notre âme auprès de l’Unique
origine insondable, dénommé le Bien par Platon.

Mourir avant de mourir, tel est donc le propos de la philosophie platonicienne. Ce


cheminement propose une renaissance à soi, une ouverture à la dimension divine, à savoir le
monde intelligible des Idées, et de revenir au Un. Par conséquent, la philosophie platonicienne
se révèle spirituelle, initiatique et mystique.

La philosophie n’est pas une consolation à notre rencontre inéluctable avec la mort, c’est une
préparation, et ce jusqu’à rejoindre la demeure des dieux. L’homme est destiné à devenir un
dieu, autrement dit un être immortel et éternel. C’est donc une voie spirituelle à part entière :
« Si tel est donc son état, elle se dirige vers ce qui lui ressemble, vers ce qui est invisible, divin, immortel, sage, ce
lieu où lui est réservé de trouver le bonheur, loin de l’erreur, de la déraison, des terreurs, des brutales amours, loin
de tous les autres maux de l’espèce humaine. Et, comme on le dit des initiés, elle passe véritablement le reste de son
temps dans la compagnie des dieux. »
Phédon

- Notez bien ceci : le semblable attire le semblable

En d’autres termes, ce passage du Phédon décrit le sort privilégié et réservé après la mort à
l’âme qui a correctement philosophé aux chemins mêmes des initiés qui ont connu la
« purification initiatique ».

Platon évoque dans de nombreux ouvrages la parenté de l’âme avec le divin, l’immortel,
l’invisible. L’activité philosophique consiste à inscrire l’acte de pensée dans un rapport détacher
avec le monde des corps sensibles, dans la mesure où l’âme est prisonnière du corps où elle
réside. En ce sens, la philosophie platonicienne est identique à la discipline du Yoga. L’objet
même de la philosophie est de percevoir l’essence des phénomènes en un axe où toute la réalité
divine apparaît, à travers des inspirations, des visions et une contemplation des Idées elles-
mêmes et ce jusqu’à l’Idée suprême de l’ineffable.

Les présocratiques comme Pythagore, Empédocle, Héraclite ou Parménide sont des


visionnaires au sens où ce sont des praticiens, des mystiques qui ont vu la réalité et ont écrit à
ce sujet. Il en est de même pour Platon. Dès lors, dans l’histoire de la philosophie, nous passons
à des personnes visionnaires à un exercice purement intellectuelle, sans la moindre pratique
intérieure, comme l’est la philosophie d’aujourd’hui. Ce récit de la fermeture de l’œil intérieur
se perçoit dans toutes les disciplines de notre monde moderne. Par exemple, les initiateurs des
religions sont des mystiques qui ont vu la réalité ultime, tandis que les théologiens se contentent
d’un discours sur Dieu, sans se soucier de l’ouverture de l’œil intérieur.

Daniel Shoushi 4
Nous sommes actuellement dans ce cas de figure :
Les scientifiques sont censés nous expliquer le monde où nous vivons, or il y a un abysse entre
l’acte de décrire une chose et son explication. Par exemple, décrire une pomme revient à se
contenter de son observation sur tous ses angles, ainsi que son analyse de ses composées. Ce qui
revient à dire qu’à aucun moment le scientifique ne l’explique, soit goute la pomme et
expérimente sa saveur. Comment pourrait-il nous expliquer ce qu’est la pomme s’il ne l’a jamais
goûté ? De même pour le théologien qui présuppose Dieu comme un être analysable. En les
écoutants, nous découvrons une formulation d’un objet pensée mentalement et dont le discours
théologique est supposé l’expliquer, alors qu’en fin de compte, ils ne font que le décrire. A
nouveau, comment peuvent-ils nous articuler correctement l’essence de Dieu s’ils ne l’ont jamais
savouré par une activité de conscience ?

A) Le Banquet (Symposium)

Résumé :
Le Banquet est le récit d’un festin ayant eu lieu chez Agathon, poète et acteur. Il réunit Socrate
et plusieurs autres personnages, qui vont discourir sur le thème du dieu Amour (Éros).
Aristophane, poète comique, va raconter l’évolution de l’humanité, depuis l’état primitif où
hommes et femmes ne faisaient qu’un, sous la forme de sphères, jusqu’à leur séparation par
Zeus. Socrate va montrer que l’amour ou désir est l’envie de quelque chose que l’on ne possède
pas ou dont on est dépourvu. Il va aussi montrer que le désir est désir de l’immortalité, et au
final du Beau absolu, soit la Beauté dont il était question précédemment. La connaissance de
cette Beauté ne peut être atteinte qu’au terme d’une longue initiation, semblable à l’ascension
du prisonnier hors de la Caverne, dans le mythe du même nom. Un personnage joue un rôle
clé dans le discours. C’est une femme, une prêtresse du nom de Diotime et dont la connaissance
divine permet de saisir l’essence même de l’amour et de la Beauté. Il est for significatif que ce
soit une femme prêtresse qui initie les hommes aux secrets divins. Elle invite même Socrate à
être initié aux Mystères, afin de renaitre à lui-même. Ce qui place Diotime en haut de l’estrade
de la Connaissance, tout aussi bien que les rites initiatiques à Mystère.

Diotime de Mantinée est une prêtresse, étrangère à la Cité. Socrate affirme qu’il reçut d’elle
l’enseignement sur l’amour qu’il reproduit. L’association entre initiation et philosophie est à
nouveau portée à notre regard :
« (Diotime aurait dit :) « Voilà sans doute, Socrate, dans l’ordre de l’amour, les vérités auxquelles tu peux être,
toi aussi, initié. Mais la révélation suprême (telea) et la contemplation (epoptika) qui en sont le but quand on suit
la bonne voie, je ne sais si elles seront à ta portée. Je vais parler pourtant, dit-elle, sans ménager mon zèle. Essaye
de me suivre, toi-même, si tu en es capable. »

On y découvre ensuite que la contemplation finale (epoptika) a lieu soudainement. Tout le


discours du Banquet se structure selon les règles du cheminement initiatique, lequel est celui de
la philosophie platonicienne également. Dans le Banquet, la soudaine contemplation est celle
de la Beauté en elle-même, personnifiée par la déesse Aphrodite.

Diotime commence en début d’ouvrage à une remise en question et un rejet sur ce qui est
communément admis au sujet d’Éros, et qu’on assimile à la doxa, soit l’opinion du peuple. On
y évoque le mythe de la naissance d’Éros. Ses parents sont Pénia (pénurie) et Poros (abondance).

Daniel Shoushi 5
Éros n’est pas un dieu, c’est un daïmon, un intermédiaire entre les dieux et les hommes. Il se
place aussi entre la Connaissance et l’ignorance. Éros est attiré par les choses belles. Le nom des
personnages divins à un sens, et voici ceux de Poros (abondance) et de Pénia (pénurie, parfois
traduit aussi par pauvreté).

Poros sonne de manière frappante avec le mot Peras (qui signifie « Limite »), l’antithèse de
Apeiron (qui signifie « Illimité »). Deux termes centraux dans la philosophie platonicienne. Or,
Peras en tant que limite exprime la notion du Logos démiurgique, qui n’est autre que Zeus dans
les discours platoniciens. La Limite est ici la mesure qui met un terme au flux incessant de
l’Illimité, source qui se situe en aval de la Limite et qui accompagne la Limite dans toutes les
strates de l’existence. Il nous faut imaginer la Limite comme l’ordre et l’Illimité comme le
désordre.

- À retenir : Limite et Illimité = personnifiées par Zeus et Kronos dans les traités de Platon
= ici, il s’agit de Poros (abondance) et de Pénia (pénurie).

La Limite permet de circonscrire l’Illimité, de produire une organisation et donc de créer un


cosmos ordonné. De ce processus créateur, le cosmos a jailli de l’Illimité non organisée comme
nos pensées parfaitement agencées sortent du chaos mental. Par un jeu de miroir, nos pensées
s’organisent en nous-mêmes grâce à la mise en place de la méthode socratique, dénommée
dialectique, à la manière du cosmos qui émerge du chaos. Ainsi donc, la Limite joue le rôle de
fondation du cosmos extérieur et intérieur, et le dieu qui la personnifie se nomme Zeus. Quant
à l’Illimité, c’est le royaume de Kronos. Dans le discours du Banquet, Pénia est dévolue au
monde des hommes, c.-à-d. à un monde où rien n’est organisé puisque c’est l’image même de
la confusion. L’émergence de l’ordre est divine, céleste et nait de Zeus-Poros. Il y un rapport
antithétique en miroir inversé entre La Limite et L’Illimité, le monde de Zeus (Poros) et celui
des hommes (Pénia). Platon donne pour nom au mental qui structure le cosmos intérieur Zeus.

En second temps, Platon fait usage à nouveau de la purification qui se rapporte à la séparation
entre l’âme et le corps. Cette séparation est une libération de ses fausses croyances, de sa propre
ignorance. C’est à ce moment que la prêtresse Diotime met à l’épreuve Socrate, comme une
initiation préalable avant la contemplation de la face divine. Elle lui prouve que sa pensée sur
Éros était en fait une doxa, une opinion.

Le discours de Platon se construit de manière anagogique, c-à-d qu’il conduit le lecteur vers le
haut de lui-même jusqu’à atteindre la cime de sa propre pensée. Le discours du Banquet se
révèle être identique au mythe de la Caverne de Platon. Le chemin de libération de sa propre
prison mentale exposé dans le mythe de la Caverne renvoie à celui de la délivrance de sa propre
ignorance dans les illustrations de Diotime dans le Banquet. Ainsi, à force de travail sur son
mental-Zeus, des éclairs de connaissances jaillissent en notre âme et fait apparaître des
illuminations. Cet exercice se révèle être identique au yoga.

Dans le mythe de la Caverne, la vision du Soleil, située hors de la grotte, est assimilée à une
perception mentale de l’Idée du Bien. Et cette rencontre rappelle celle de la vision de la Beauté
dans le Banquet. Comme la vision de la Beauté constitue l’epoptie, c-à-d le stade ultime de
l’initiation et qui donne accès au Beau lui-même, que Platon qualifie de « divin », la vision de

Daniel Shoushi 6
l’Idée du Bien, via son analogue le Soleil, dans le mythe de la Caverne, correspond également
à une epoptie propre aux initiations aux Mystères.

Résumé du mythe de la Caverne :


Des hommes vivent dans une caverne depuis leur enfance : ils n’ont rien connu d’autre. Ils sont
enchaînés par les jambes et le cou de sorte qu’ils ne peuvent tourner la tête et qu’ils ne voient
que la paroi en face d’eux, qui constitue le fond de la caverne.

La lumière vient d’un feu qui brûle en hauteur derrière eux. Entre le feu et eux, il y a un muret
derrière lequel s’agitent des objets manipulés par des personnes qui agissent comme des
montreurs de marionnettes.

Ainsi, les prisonniers ne peuvent voir que les ombres de ces marionnettes projetées sur la paroi
devant eux, ainsi que leurs propres ombres. Ils ne peuvent pas se regarder entre eux, mais ils
peuvent se parler. Ils perçoivent aussi l’écho des paroles des montreurs de marionnettes qui se
réverbèrent sur la paroi, donnant l’impression que ce sont les ombres qui parlent.

Un jour, un prisonnier est délivré et forcé d’emprunter le sentier qui mène à la sortie de la
caverne, vers la lumière. Il se lève, se retourne, est d’abord ébloui puis voit directement les objets
fabriqués et les marionnettes. Quand on le questionne sur ce qu’il voit vraiment, il est
embarrassé. Il a tendance à nier l’évidence et le fait qu’il s’est si longtemps trompé.

On l’invite ensuite à regarder vers la lumière qui provient de l’entrée de la caverne, mais
déstabilisé, il a tendance à vouloir retourner avec les autres prisonniers. On le force à sortir de
la caverne, il éprouve alors une certaine souffrance.

Il passe la nuit à l’extérieur de la caverne ; il s’accoutume à la lumière des étoiles et de la lune.


Le soleil revient et il parvient à s’accoutumer à sa lumière. Il finit par accepter la réalité telle
qu’elle est, par comprendre que le soleil est la seule source de lumière et de vérité.

L’ancien prisonnier repense à ses compagnons et a pitié d’eux. Pour rien au monde il ne
voudrait retourner au fond de la caverne.

Mais Platon dit que dans le cas où il y retournerait, il serait certainement confronté aux rires et
aux dénégations de ses anciens collègues, et même au fait que certains veuillent le mettre à mort,
persuadés de sa folie.
Le parallèle entre Le Banquet et ce mythe sonne de manière frappante !

Revenons au Banquet.
Les noms des personnages sont aussi porteurs de sens.
Diotime de Mantinée signifie « honorée de Zeus, la devineresse « mantique » ». Il y a une
proximité linguistique entre le nom de la Cité d’où elle provient avec mantis, à savoir « devin ».
Derrière elle se dissimule donc un art de faire apparaître dans les âmes les images et les Idées
de la suprême divinité, et notamment la Beauté divine imagée par la naissance d’Aphrodite
dans ce texte. La déesse évoque une épiphanie intérieure, une apparition emplie de
magnificence. Nous allons y revenir un peu plus loin.

Daniel Shoushi 7
Au livre V de l’ouvrage de Platon intitulé la République, Socrate désigne les philosophes comme
étant « ceux qui sont capables d’aller vers le Beau en soi et de le voir en lui-même ». Il s’agit à
nouveau d’une révélation, d’une épiphanie. Dans le Banquet, par le discours de Diotime,
Socrate rappelle à son interlocuteur que le philosophe se distingue de la foule précisément parce
qu’il est capable de voir et d’aimer le Beau en soi, par opposition à la multiplicité des belles
choses admirées par la multitude. Cette distinction établie, Socrate s’inquiète pour le salut du
naturel philosophe, trop facilement détourné par la foule de ce qui devrait être son occupation
constante, la philosophie, et de son but, la contemplation du Beau en soi.

« Quant à la beauté, elle était resplendissante à voir, en ce temps où membres d’un chœur fortuné, nous à la suite
de Zeus, d’autres à la suite de tel autre des dieux, nous en avions une vision bienheureuse et divine, en ce temps où
nous étions initiés à celle des initiations dont c’est justice (Thémis) de dire qu’elle est la béatitude suprême. »
Phèdre

Il s’agit clairement d’une expérience d’illumination. Cette illumination met en lumière que le
praticien est dans un état contemplatif, de béatitude et de Bonheur prodigieux.

L’insistance du thème de l’initiation indique que nous sommes loin de l’interprétation courante
de la pensée de Platon. C-à-d le fait qu’il s’agisse simplement d’un processus intellectuel.
L’initiation dévoile que nous sommes dans un champ visionnaire accompagné d’expériences
mystiques. Ces notes sont importantes puisque les visions ne sont pas une tournure du langage
pour parler de concepts abstraits, mais bien d’une rencontre mystique avec Dieu à travers
différentes épiphanies.

Qui est la déesse Thémis ?


Thémis articule dans la pensée de Platon le principe originel de l’ordre cosmique qui émane de
Zeus, le Logos, la Limite. Elle personnifie l’axe par lequel tout est jugé, mesuré, classé, ordonné
et inscrit les éléments qui compose le cosmos dans une hiérarchie précise.

Quel est le rapport entre Zeus (la Limite-Logos), Thémis (Justice), Éros (amour) et
Aphrodite (Beauté) ?
Derrière ces dieux, il est question tant de fonctions cognitives que d’archétypes présents dans
l’univers.

À la lecture du Banquet de Platon, nous découvrons une mise en parallèle entre l’amour et la
fonction cognitive. La Connaissance et l’ignorance sont effectivement des fonctions cognitives.
Et c’est à travers le discours de Diotime que nous comprenons cette logique de sens.

Dès son entrer en scène, Diotime affirme que l’amour n’est ni beau ni bon, Socrate alors
rétorque qu’il doit être laid et mauvais ! Diotime demande s’il n’y a pas quelque chose entre ces
séries d’opposées ? Les paroles suivantes de Socrate évoquent cet écart entre la Connaissance
et l’ignorance comme similaire entre les deux autres séries d’opposées précédentes. Le contraste
prend pour nom la compréhension et la bonne opinion. Socrate n’explique pas ce que sont la
Connaissance et l’ignorance jusqu’à ce qu’il termine le mythe de la naissance d’Éros. Le mythe
consiste donc en une mise en lumière de ce qui se situe dans le contraste.

Daniel Shoushi 8
De l’ouvrage du Banquet se dégage un schème :
Nous trouvons la Sagesse/Connaissance en haut, royaume divin, et en bas l’ignorance, royaume
des hommes. L’intermédiaire n’est autre que l’amour lui-même, soit Éros. Pour saisir cette
affaire importante qu’est l’amour, Diotime évoque un récit mythique. Éros a pour père Poros
et pour mère Pénia. Par conséquent, il est le fils de la Limite et de l’Illimité, du Logos et de son
contraire, l’Illimité. Ne pas savoir construire ses pensées revient à vire comme un pauvre, Pénia,
puisque notre monde intérieur reste voilé à nous-mêmes. Et la pauvreté s’assimile à l’ignorance,
au monde des hommes. La construction logique suit celle de la lumière divine, située en haut,
et de l’obscurité, placée en bas dans le monde sensible où réside les hommes.

Éros vint au monde durant le banquet céleste des dieux, est-il, lesquels célébraient la naissance
d’Aphrodite, l’image même de la Beauté.

Le mythe de la naissance d’Éros :


Le jour où naquit Aphrodite, les dieux étaient au banquet. Avec eux tous il y avait le fils de Métis, Poros. Après
le dîner, Pénia était venue mendier, ce qui est naturel un jour de bombance, et elle se tenait près de la porte. Poros
qui s’était enivré de nectar (car le vin n’existait pas encore) entra dans le jardin de Zeus, et tout alourdi s’endormit.
Pénia, dans sa pénurie, eut l’idée d’avoir un enfant de Poros : elle se coucha près de lui, et fut enceinte de l’Amour.
Voilà pourquoi l’Amour est devenu le compagnon d’Aphrodite et son serviteur ; engendré lors des fêtes de la
naissance de celle-ci, il est naturellement amoureux du beau – et Aphrodite est belle. Étant donc fils de Poros et
de Pénia, l’Amour se trouve dans la condition que voici : d’abord, il est toujours pauvre, et loin d’être délicat et
beau comme le croient la plupart, il est rude au contraire, il est dur, il va pieds nus, il est sans gîte, il couche
toujours par terre, sur la dure, il dort à la belle étoile près des portes et sur les chemins, car il tient de sa mère, et
le besoin l’accompagne toujours.

D’autre part, à l’exemple de son père, il est à l’affût de ce qui est beau et de ce qui est bon, il est viril, résolu,
ardent, c’est un chasseur de premier ordre, il ne cesse d’inventer des ruses ; il est désireux du savoir et sait trouver
les passages qui y mènent, il emploie à philosopher tout le temps de sa vie, il est merveilleux sorcier, et magicien,
et sophiste. Ajoutons qu’il n’est, par nature, ni immortel ni mortel. Dans la même journée tantôt il fleurit et il vit,
tantôt il meurt ; puis il revit quand passent en lui les ressources qu’il doit à la nature de son père mais ce qui passe
en lui sans cesse lui échappe ; aussi l’Amour n’est-il jamais ni dans l’indigence ni dans l’opulence.

Pénia s’assimile bien à l’ignorance, tandis que Poros se joint à la Connaissance. Or, Poros est
Zeus, le Logos, la Limite ; sa parèdre répond donc bien à l’Illimité, l’Apeiron comme nous
l’avons signalé. Éros est le Fils du Logos et de l’Alogos, ou de la Limite et de l’Illimité. La Limite
permet de structurer, d’ordonner, d’organiser, et c’est par son entremise que les pensées
humaines sont ainsi aménagées. La dialectique concède une pensée bien agencée, c’est la force
de l’analyse. Maintenant, Éros pénètre dans l’enceinte des dieux et devient le serviteur
d’Aphrodite. Éros a les qualités de Pénia tout comme celles de Poros, comme le mythe l’énonce.

Que sont la Connaissance et l’ignorance selon Platon ?


L’ignorant se pense beau et suffisamment intelligent pour désirer quelque connaissance, c’est la
pire des ignorances.
Les philosophes sont ceux qui manquent de Sagesse et désirent l’obtenir. La
Connaissance/Sagesse marche de façon à embrasser l’amour à travers la démarche
philosophique.

Daniel Shoushi 9
La suite du Banquet explique la nature de l’amour auprès des hommes.

Qu’elle est le sens à donner de la naissance d’Aphrodite ?


Tous les dieux, à savoir les personnifications des Idées, se rassemblent comme un effluve céleste
afin de donner jour, grâce à leur divine lumière éternelle, à l’image de la Beauté comme l’Idée
la plus harmonieuse du Bien. Il s’agit d’une illumination au sein de l’âme humaine de l’ultime
réalité. Par conséquent, c’est un embrasement, une rencontre intérieure entre Dieu et l’homme
par l’entremise de cette belle apparition conçue comme « la plus belle Idée du Bien ». L’éclosion
d’Aphrodite au cœur de notre âme n’est pas sans rappeler toutes les expériences mystiques que
nous pouvons lire dans la littérature spirituelle du monde. L’ultime réalité est belle et produit
du beau. Le rassemblement des dieux dans le banquet céleste, à savoir les Idées, afin de célébrer
la naissance de l’Idée du Bien, sont le miroir de nos propres pensées qui se concentrent vers un
point focal afin de faire surgir soudainement la plus belle illumination divine. Derrière ce récit
mythique et le débat socratique se dissimulent une technique de médiation, un exercice yogique
qui consiste à faire naitre en soi, mieux encore, faire apparaître en soi la réalité ultime à travers
un jeu de vision.

Peut-on être certain de cet enseignement initiatique que je mets en lumière, et qui provient de
Socrate et de Platon ?

Ma réponse est affirmative. Nous retrouvons dans les sources platoniciennes un Socrate
méditatif. Regardons cela d’un peu plus près les récits.

Comme l'a souligné le philosophe Pierre Hadot, Socrate semble avoir été « capable d'une
concentration mentale extraordinaire ». Au début du Banquet (Symposium) de Platon, Socrate
se rend, avec Aristodème, au banquet d’Agathon, lorsqu'il commence à prendre du retard,
parce qu'il a « en quelque sorte dirigé l'attention de son intellect sur lui-même ». À la fin du
dialogue, Alcibiade raconte qu'une fois, lors d'une campagne militaire à Potidée, Socrate s'est
perdu dans ses pensées. Au grand étonnement de ses compagnons d'armes, il resta toute la nuit
figée sur place, réfléchissant à quelque chose, et ce jusqu'à l'aube du jour suivant. Voici le récit
d’Alcibiade :

« Un jour, à l'aube, il s'est mis à réfléchir à un problème quelconque ; il est resté dehors, essayant de le résoudre.
Il n'arrivait pas à le résoudre, mais il n'abandonnait pas. Il restait là, collé au même poteau. À midi, de nombreux
soldats l'avaient vu et, très étonnés, ils racontèrent à tout le monde que Socrate était resté là toute la journée, à
réfléchir à quelque chose. Il était toujours là le soir venu, et après le dîner, certains Ioniens déplacèrent leur literie
à l'extérieur, où il faisait plus frais et plus confortable (tout cela se passait en été), mais surtout pour voir si Socrate
allait rester là toute la nuit. Et c'est ce qu'il fit : il resta sur la même place jusqu'à l'aube ! Il n'est parti que le
lendemain matin, quand le soleil s'est levé, et il a fait son chemin. »

L'auteur latin Aulus Gellius (vers 125-180 de notre ère) décrit l'incident comme suit :

« Socrate avait l'habitude de pratiquer ceci : il se tenait, selon l'histoire, dans une position fixe, tout le jour et toute
la nuit, de l'aube jusqu'au lever du soleil suivant, les yeux ouverts, immobile, sur ses traces, le visage et les yeux
rivés au même endroit, dans une profonde méditation (cogitabundus), comme si son esprit et son âme avaient été,
pour ainsi dire, retirés de son corps. »

Daniel Shoushi 10
Nous avons bien des traces d’un Socrate méditant, et dans les ouvrages de Platon de techniques
méditatives équivalentes à celles du yoga. Nous sommes en train de mettre en lumière une
tradition oubliée, qui devait être enseignée par Platon lui-même de manière orale. En effet, ses
écrits sont le support de l’enseignement initiatique transmise oralement uniquement. Il convient
donc de relire l’ensemble des ouvrages de Platon à la lumière de ce que nous sommes en train
de mettre en exergue.

Revenons à nouveau au Banquet.


Nous avions vu qu’il y avait 2 naissances : celle d’Éros et celle d’Aphrodite. Ce n’est pas tout à
fait exact, car Socrate est invité à naitre à nouveau par Diotime, c-à-d à être initié aux secrets
de l’amour à travers une maïeutique. Il y a donc 3 actes de naissances dans Le Banquet, 3
maïeutiques : celle de Socrate par Diotime, celle d’Éros et celle d’Aphrodite. Ces 3 naissances
sont situées respectivement au niveau humain, au niveau démonique ou intermédiaire, et au
niveau divin. Cela a son importance pour la suite de ma présentation.

Les philosophes d’aujourd’hui considèrent qu’il s’agit uniquement d’une prise de conscience
intellectuelle sur l’essence des choses, et donc que nous avons affaire à des concepts. Nous
pensons que nous sommes en face d’un exercice intérieur qui demande de voir en soi les Idées
elles-mêmes à travers des images, des visions, lesquelles sont actualisées par une pratique de
type yogique. Socrate enseignait bien une méditation qui amenait les hommes à obtenir des
illuminations par le biais d’un sens supérieur de la maïeutique.

Qu’est-ce que la maïeutique ?


La maïeutique socratique est une technique qui consiste à « faire accoucher » les âmes de leurs
connaissances, soit des Idées. Pour Socrate, c'est dans l'interaction et dans le bon
questionnement que peut « naître » la Connaissance. Il pousse alors à se poser des questions, à
se confronter à ses propres contradictions, à faire appel à la réminiscence (le souvenir) pour
mettre en lumière ses connaissances oubliées. La maïeutique selon Socrate est donc l'art du
questionnement dont l'objectif est de montrer à celui qui se croit ignorant, qu'il est en réalité
instruit et que la vérité s’accouche ! La maïeutique fonctionne de pair avec son enseignement
sur l’immortalité de l’âme. Le fait que les hommes puissent enfanter la vérité évoque que les
âmes se remémorent, qu’elles connaissent l’essence des choses, mais elles l’ont oublié. Le
questionnement socratique vise à se faire ressouvenir, afin que nous nous remémorions du pays
d’où l’on vient. Ceci est bien sûr fondé sur l'immortalité de l'âme. Et puisque l'âme est
immortelle, elle détient déjà toutes les connaissances. D’où viennent-elles ? Du pays de Zeus,
du Logos, soit des dieux eux-mêmes ! Autrement dit, l’âme accouche en elle-même de la Réalité
ultime à travers des séries d’épiphanie. Le plan humain cède sa place à la dimension divine,
laquelle est éternelle, et c’est à ce titre que la maïeutique donne accès à la Connaissance
illuminative et permet de se remémorer de notre propre origine céleste.

« Mon art de maïeutique a les mêmes attributions générales que celui des sage-femmes. La différence est qu'il
délivre les hommes et non les femmes et que ce sont les âmes qu'il surveille en leur travail d'enfantement, non point
les corps »
Socrate dans le Théétète

Daniel Shoushi 11
Comme signalé précédemment, la méthode dialectique s’appuie sur le besoin de faire naitre en
soi les Idées à travers la maïeutique, mais est-ce bien la finalité de cet art ? Selon la lecture que
nous proposons, il s’agit d’une étape qui précède l’apparition des Idées à travers des images, des
visions intérieures, et donc un éveil de sa propre âme à la réalité divine et de découvrir que nous
appartenons à la sphère divine. Pour ce faire, la dialectique mène à des accouchements des
Idées en leur offrant des images perceptibles par l’œil de l’âme. C-à-d des états mystiques,
visionnaires, et ce jusqu’à atteindre l’Idée du Bien elle-même, et en dernier lieu se fondre dans
le Bien entièrement. D’ailleurs, c’est ce que préconisent aussi les néoplatoniciens dans leurs
textes. Une union mystique avec le Bien, le Un. Le néoplatonicien Plotin en fait l’axe majeur
de sa philosophie. De la dialectique au silence mental, de la pensée en pleine réflexion à la
perception de l’acte de pensée, le cheminement socratique suit le parcours initiatique jusqu’à
atteindre l’epoptie.

Le discours dialectique se fonde sur la construction des pensées par une mise en ordre des
contraires et crée des relations de pairs d’opposées comme nous le voyons dans le Banquet.
Lorsque Diotime affirme que l’amour n’est ni beau ni bon, Socrate déploie l’argument contraire
en disant qu’il doit être laid et mauvais. La construction dialectique est semblable à la logique
des mathématiques par laquelle nous apprenons que le nombre 1 n’est pas semblable au
nombre 2, l’exclusion du contraire est donc de mise dans cette méthode. C’est la source du tiers
exclus. Cette redoutable méthode permet d’organiser ses pensées, de les trier et de les classer.
Ainsi nait aussi la démonstration d’une pensée philosophique ou d’un théorème mathématique,
et de la confirmer ou de l’infirmer. La force de l’analyse pousse donc l’âme à entrevoir ses
propres contradictions, mais Socrate ne fait pas de l’analyse pour l’analyse. Cette modalité de
la pensée cède sa place à un espace où la compréhension des essences des Idées devient
inarticulable, et inanalysable. Seul le silence mental peut les voir et même s’unir avec le Bien.
C’est à cet effet que Diotime se présente comme accoucheuse des âmes divines, la maïeutique
est donc une condition sine quoi non de l’apparition divine en soi.

Quelques mots sur la naissance d’Aphrodite :


Né de l’esprit de Kronos, Aphrodite est la plus divine des illuminations du « non mélangé lui-
même ». L’esprit-mental de Zeus, c’est Kronos. Dans la perspective que le Démiurge Zeus est
le créateur, soit notre mental, lequel regarde le monde de Kronos comme son modèle pour
fabriquer les choses du monde, il convient de reconnaitre que c’est la plus fine intelligence de
Zeus qui façonne le cosmos. Si Aphrodite est la plus divine des apparitions célestes, c’est qu’elle
est aussi l’image de l’Âme divine laquelle est reçut par l’âme humaine se contemplant elle-
même. Platon parle bien d’une expérience mystique, celle de la révélation de la divine
luminosité au cœur de notre âme. Au même moment, l’amour se dévoile car attiré par cette
incroyable expérience. Ce qui permet à l’homme de se défaire de l’amour qui vacille ici et là et
de le fixer dans son regard, comme énergie concentrée et stabilisée, en une unique image de
toute beauté qui se dissimule derrière chaque objet du monde, c’est la Connaissance. Il y a des
strates de connaissance de soi afin d’atteindre l’ultime réalité. La Connaissance donne naissance
à la Beauté, c’est alors que nous découvrons ce qui se dissimule derrière le rideau de la matière
dense, derrière notre propre opacité corporelle.

Daniel Shoushi 12
Que recherche l’amour selon Diotime ?
Le Bien, lequel est situé au-delà de toute chose nommable et idéelle. C’est par ce désir que
l’amour génère (enfante) dans l’âme l’Idée de la Beauté, c-à-d d’une expérience contemplative
d’une béatitude inouïe ! Derrière le discours de la génération et de la fécondation de l’amour se
dissimule cette naissance en soi d’Aphrodite. Écoutons les mots que prononce Diotime à
Socrate :

- « L’amour est donc en somme, dit-elle, le désir de posséder toujours le bien.


- C’est parfaitement exact, répondis-je (Socrate).
- Si l’amour est en général l’amour du bien, continua-t-elle, comment et dans quel cas appliquera-t-on le
nom d’amour à la passion et à l’ardeur de ceux qui poursuivent la possession du bien ? Qu’est-ce au juste
que cette action spéciale ? Pourrais-tu me le dire ?
- Si je le savais, Diotime, lui dis-je, je ne serais pas en admiration devant ta science, et je ne fréquenterais
pas chez toi pour m’instruire précisément sur ces matières.
- Eh bien ! reprit-elle, je vais te le dire. C’est l’enfantement dans la beauté, selon le corps et selon l’esprit. »

Autre citation dont la subtilité est fabuleuse :

- « Aussi quand l’être pressé d’enfanter s’approche du beau, il devient joyeux, et, dans son allégresse, il se
dilate et enfante et produit ; quand, au contraire, il s’approche du laid, renfrogné et chagrin, il se resserre
sur lui-même, se détourne, se replie et n’engendre pas ; il garde son germe, et il souffre. De là vient pour
l’être fécond et gonflé de sève le ravissement dont il est frappé en présence de la beauté, parce qu’elle le
délivre de la grande souffrance du désir ; car l’amour, ajouta-t-elle, n’est pas l’amour du beau, Socrate,
comme tu le crois.
- Qu’est-ce donc ?
- L’amour de la génération et de l’enfantement dans le beau. »

B) Structure pentadique des discours platoniciens

Il y a 5 formes de gouvernements (République) qui correspondent à 5 formes d’âme :


- A la monarchie (meilleur gouvernement) répond l’homme monarchique, parfaitement
bon et juste
- A la timocratie répond l’homme timocratique, toujours en quête d’honneur
- A l’oligarchie répond l’homme oligarchique, avide de nouvelles richesses
- A la démocratie répond l’homme démocratique, soumis à ses désirs qu’il traite sur un
pied d’égalité
- A la tyrannie répond l’homme tyrannique dont la violence appelle tôt ou tard le
parricide, l’inceste et la violation de toute loi qui stérilise sa raison comme elle stérilise
l’ensemble de la cité

Ce schéma découle d’un rapport entre la Limite et l’Illimité, rapport affecté par la mesure liée
à la justice (Thémis) du Logos qui s’étiole et s’effrite au fur et à mesure du temps. Pour Platon,
ces 5 types de gouvernances sont reliées au mouvement et au principe de génération des 5 âges
de l’humanité, tel que défini par Hésiode : âge d’or, d’argent, d’airain, des héros et de fer. Dans
la République, il y a 3 légendes qui font actes du basculement des âges. Il s’agit de la querelle
d’Atrée et de Thyeste, avec ses deux épisodes de l’agneau à la toison d’or du règne de Kronos

Daniel Shoushi 13
et de l’inversion du lever et du coucher des astres, de l’âge d’or du règne de Kronos et de
l’apparition des Fils de la Terre. Les 3 moments sont une figuration de l’énergie divine qui
s’inverse. Elle change de sens, et de ce fait le monde de Kronos va dans le sens opposé à celui
déployé par Zeus. Cette énergie provient de l’Apeiron, l’Illimité, royaume de Kronos. Le
mouvement cosmique impulse les constitutions des gouvernements, lesquelles se présentent
comme étant une extériorisation des 5 qualités d’âme. Le schème physique symbolisé par
l’action ou l’inaction du Démiurge Zeus est fondé sur l’opposition des deux principes de la
Limite et de l’Illimité. Quand le monde obéit aux ordres du Démiurge, il demeure dans les
limites organisées. Quand l’heure est venue pour le monde de retourner à sa propre impulsion,
le Démiurge lâche les commandes et laisse le navire cosmique partir automatiquement dans un
sens rétrograde jusqu’à ce qu’il épuise ses propres forces et s’abime dans l’Illimité. Le cycle de
Kronos est donc remplacé par celui de Zeus, lequel s’élance en sens inverse jusqu’à son
épuisement et enclenche ensuite le retour du cycle de Kronos. Toute mémoire est inutile dans
le règne de Kronos puisque le temps n’existe pas, l’avenir se résorbe dans l’origine alors que le
règne de Zeus déclenche le processus de croissance, de vieillissement et de mort. Ce double
cycle se retrouve dans la Timée de Platon, lequel articule le temps rétrograde de Kronos de
manière à formaliser le temps de Zeus. De quoi parlons-t-on derrière ce discours. Du mental et
des pensées qui proposent de mettre en ordre les choses du monde dans un déroulement logique,
et de la réception des effluves divines en son sein afin que le mental s’illumine et s’éveille au
règne de Kronos. Kronos établit un âge d’or, il gouverne un royaume de lumière et éternelle,
tandis que dans le cosmos crée par Zeus est intégré le périssable et la mort.

La déchéance inéluctable des régimes politiques, qu’il faut entendre en un sens ontologique,
chaque nouvelle forme oubliant davantage l’être pour s’exiler dans la dissension, la multiplicité
des opinions, la dispersion et la mort de l’âme provient d’une discorde au sein de l’unité. Le
mythe de l’Atlantide illustre cette déchéance graduelle, ontologique et politique pour Platon.
Nous allons y revenir un peu plus loin.

Le Démiurge Zeus ne produit pas de façon autonome les choses et les êtres. Il ne fait que
reproduire un modèle préétablit. En d’autres termes, Zeus s’appuie sur les éléments
indifférenciés présents dans le royaume de Kronos, situé hors de l’espace-temps créé, afin de
fonder son royaume. Nous avons donc le royaume unique et foncier de Kronos, puis une copie-
image qui en émane, laquelle est façonnée par Zeus.

Daniel Shoushi 14
Dans la République, au Livre X, nous découvrons Socrate exposer cette idée tout en ajoutant
une troisième étape à travers l’exemple de 3 sortes de lits. Le troisième lit se place comme étant
une mimésis, une imitation, un simulacre, la copie-image de la copie-image. Socrate exprime
derrière cet exemple la relation tripartite que nous pouvons avoir avec le réel et notre âme
(conscience). Les 3 lits typifient les 3 niveaux du réel :

Réalités Formes ontologiques Mimétiques


1. Le lit du Phyturge 1. Idée unique 1. Paradigme
(dieu qui signifie (Forme intelligible)
« planteur »)
2. Les lits du Démiurge 2. Copies-images 2. 1er mimésis
(menuisier) (Formes imaginales)
3. Les lits imités du 3. Copies-images - 3. 2eme mimésis
poète (peintre) Simulacres (fantasmes)

Les 3 réalités manifestées sont partagées entre les 3 Fils de Kronos.

Voici la place des 3 Fils de Kronos selon les différents traités de Platon :
- A Zeus est dévolu le monde intelligible, soit l’Olympe, le monde des Idées
- A Hadès est dévolu l’Au-delà, le monde invisible où évoluent les défunts et les âmes
humaines
- A Poséidon est dévolu le monde sensible, soit la matière visible

Chacune de ces 3 dimensions se structure de manière pentadique. C’est donc naturellement


que nous la retrouvons dans chacun des royaumes. La structure pentadique dessine un cercle
découpé en quatre parties égales.

Commençons notre investigation de la structure pentadique par la dimension de Zeus


Olympien.

Dans le Phèdre, nous pouvons y découvrir le mythe de la procession des âmes autour de la
maison d’Hestia. Il y a dans l’âme un gouffre sur lequel viennent s’imprimer les Idées divines et
les rend visible. À la rencontre de la divinité, l’âme se voit illuminé et déploie 4 genres de folie
(inspirations) : la prophétie, l’initiation, la poésie et l’amour. Chez Platon, Hestia incarne l’axe
intelligible du monde autour duquel se meut circulairement le cortège des êtres. Hestia se révèle
comme source de tous mouvements du cosmos et donatrice de l’ousia, soit de l’essence. La
demeure d’Hestia est le centre céleste immobile d’où émane toute chose. Hestia est donc la
personnification de l’essence de la réalité. Et cette essence apparait comme « privée de
couleur », « privée de figure » et « impossible à saisir ». Elle ne peut être contemplée que par
l’âme, seule à seule, et dans l’âme, par son « pilote, l’esprit ». Et qui est ce pilote ? Le Logos lui-
même, Zeus-mental. Hestia est donc la plénitude de l’essence. La sonorité des mots ousia et
Hestia révèle à nouveau leur sens caché, identique.

Socrate dit à Hermogène, dans le Cratyle :


« Il est tout aussi rationnel, pour les uns « d’appeler l’essence (ousia) des choses leur foyer (hestia) que, pour nous-
mêmes, de nommer foyer (hestia) ce qui participe à l’essence (ousia) des choses ».

Daniel Shoushi 15
Socrate évoque cette apparition divine dans la Plaine de vérité dans le Phèdre, demeure
d’Hestia, dont l’image est celle de la déesse Thémis. Lorsque les âmes se dressent sur le revers
de la voûte céleste pour contempler, toutes éblouies, la Plaine de la vérité, elles sont mises en
présence pour la première fois de l’ousia suprême qui apparaît sous 5 formes distinctes : la
Justice elle-même ; la Sagesse ; la Connaissance qui ne s’attache pas au devenir, mais à la réalité
essentielle ; la Beauté ; et la Pensée.

C’est dans cet axe de la Plaine de vérité, celle de l’ousia-Hestia, invisible et insaisissable, que
l’Idée divine se manifeste à l’âme, pour apparaître ensuite en une image mentale. Ici ont lieu
les visions, les pensées inspirées et les révélations divines. L’éclosion de la pure réalité se reflète
dans l’essence, dans l’idée et dans la psyché à travers l’image. Comme à son habitude, Platon
joue avec la sonorité des mots et dans ce cas précis avec le terme de « vérité » (aléthéia). La
formulation grecque pour Plaine de vérité est « Plaine d’Aléthéia ». Or, le mot aléthéia peut
s’entendre comme « remémoration » ou « mémoire » puisque le a- de aléthéia est également un
privatif comme en français avec a-temporel ou a-moral. Le mot « léthéia » signifie « oublie »,
et pour Platon cela renvoie au monde des hommes, à la chair, à la dimension sensible. L’âme a
oublié sa patrie, la Plaine d’Aléthéia, car prisonnière du corps et elle a chuté dans la Plaine de
Léthéia (oublie). C’est à ce titre que la dialectique permet de se souvenir, et de se remémorer de
notre contrée céleste. De notre immortalité.

Dans son ouvrage le Sophiste, l’ousia-Hestia apparait comme l’être et autour de lui gravite deux
séries de couple que sont : stabilité (repos) et mouvement, altérité (autre) et le même. L’être se
révèle être situé au centre. Dès lors, nous sommes constamment balancés durant notre vie entre
une polarité et une autre, et nous cherchons ailleurs des réponses à nos questions alors que nous
les possédons au sein de notre âme. L’âme accueille la Connaissance envoyée par Zeus, lequel
réside dans le monde intelligible, par des fulgurations d’images afin que l’âme puisse se
remémorer sa patrie. Lorsque nous aiguisons notre mental par la dialectique, une ouverture se
présente au cœur de notre âme. Le mental saisit alors ce qui se tient au-dessus de lui, une
dimension supérieure, celle de Kronos, lequel déverse dans l’âme son flux lumineux afin de
l’illuminer et de lui offrir la délivrance. Cette mise en lumière de la philosophie platonicienne
ressemble à s’y méprendre à la philosophie védique, dans laquelle nous apprenons que le dieu
Indra (équivalent à Zeus) ouvre l’espace mental afin d’y faire écouler le flux énergétique (prana
– les 7 vaches à libérer par Indra et enfermées dans un enclos), et, ainsi, être libérer du monde
crée. Pour en saisir tous les aspects, je vous invite à visionner ma vidéo intitulée « À la rencontre
du Rig-Véda ».

Le dieu du tonnerre en Grèce et en Inde est celui qui déchire l’obscurité de notre propre
intériorité, puis y révèle des images archétypales jusqu’à être délivrer de notre propre ignorance.
La Connaissance sauve au même titre que la Gnose délivre l’être de sa servitude.

A la suite de Zeus vient Hadès.

Dans la République, le mythe d’Er le pamphylien énonce que l’âme se rend en un lien
intermédiaire, démonique, dénommé Prairie, et qui se situe au centre du cosmos. Nous sommes
dans un mythe où l’âme voyage dans l’Au-delà et reçoit sa rétribution. Là, en ce lieu, deux
ouvertures terrestres contigües font face à deux ouvertures célestes correspondantes, mais

Daniel Shoushi 16
inversées, comme dans une image dans un miroir. Entre ces quatre entrées siègent les Juges qui
ordonnent aux justes de prendre à droite la route ascendante, et contrairement à gauche pour
les pécheurs qui est une route descendante. C’est en cet ultime jour du voyage post-mortem que
se joue le destin futur des âmes. En ce lieu émane une l’immense Lumière, semblable à un arc-
en-ciel, et s’étend verticalement d’en haut comme une Colonne à travers le cosmos entier, est-
il dit. C’est à cet instant fatidique que les âmes perçoivent le déroulement entier de leur vie, et
que s’accomplit le cycle des renaissances. La déesse Thémis siège ici et légifère sur la destinée
des âmes.

Ce récit à son corolaire, son complément, dans le Phédon de Platon. Nous pouvons y lire le
voyage des âmes des pêcheurs contraintes à naviguer dans le monde souterrain d’Hadès. La
géographie infernale de ce texte expose deux groupes de fleuves opposés les uns aux autres
autour du Lac Achérousias. Le plus important d’entre eux, l’Océan, forme un couple avec
l’Achéron, « lui faisant vis-à-vis et coulant en sens contraire ». Débouchant du Tartare, un
troisième fleuve, Pyriphlégéthon, entraîne ses laves boueuses vers un immense bassin, avant de
s’enrouler dans la terre, en direction du Lac Achérousias. « Faisant à son tour vis-à-vis à celui-
ci » débouche un quatrième fleuve, qui sillonne le glacial pays du Styx, puis s’enfonce de
nouveau sous la terre. Comme le précédent, ce dernier fleuve, Cocyte, vient se jeter dans le
Tartare, à l’opposé du Pyriphlégéthon. Les deux couples de courants se distribuent donc
symétriquement autour du Lac Achérousias.

Quant à Poséidon, c’est le mythe de l’Atlantide qui répond à la constitution de la dernière


dimension. Ce mythe est narré dans deux ouvrages de Platon, le Critias et le Timée.

Pour saisir le sens du mythe de l’Atlantide, il nous faut tenir compte de la narration des 3 Cités
dans le Critias et le Timée :
- 1. La Cité idéale (le paradigme), dont Socrate rappelle au début du Timée que ses
compagnons et lui ont tracé l’épure, la veille, dans son immobile perfection
- 2. La copie-image du modèle idéale, incarnée par l’antique Athènes, vouée à la justice,
sous l’égide d’Athéna et d’Héphaïstos
- 3. La copie-image de la copie-image, soit le simulacre, représentée par l’Atlantide, qui
va rentrer en conflit avec Athènes avant la destruction commune

L’Athènes du mythe de l’Atlantide est une image inversée de la Cité de Poséidon. Derrière cette
quête du monde athénien par les Atlantes se dissimule l’empire du monde sensible qui assaille
sans cesse le monde de l’âme. La victoire d’Athènes sur l’Atlantide équivaut au triomphe de
l’âme sur le corps, si ce n’était pas le cas elle aurait été obscurcit dû aux assauts du royaume des
corps. Dans ce cas précis, les sens prennent le dessus sur l’âme et l’emprisonne définitivement
dans la matière dense.

Le fait que l’Atlantide soit construite au-delà de la mer occidentale est aussi significatif dans la
logique de Platon. Il s’agit du lieu où le soleil se couche, et pour Platon, cela renvoie au monde
sensible, là où l’âme s’engouffre dans la matière lors de sa descente.

Les circonstances de la fondation de l’Atlantide nous éclair sur sa nature. Ayant reçu en partage
la mer, Poséidon s’unit à une jeune mortel dénommé Clito (« La superbe ») sur la montagne

Daniel Shoushi 17
centrale de l’île. En ce lieu même, il établit ensuite l’Acropole. C’était une solide forteresse
circulaire constitué :

« de véritables roues de terre et de mer, deux de terre et trois de mer, comme si, à partir du centre de l’île, il eut fait
marcher un tour de potier, et éloigna du centre en tous sens ces enceintes alternées, rendant ainsi inaccessibles aux
hommes le cœur de la forteresse. »

Cette distribution pentadique de l’espace est reflétée dans le temps, par l’engendrement des 5
lignées de jumeaux que Poséidon aura avec Clito. Atlas est le premier né, il est donc l’ainé qui
gouverne l’Atlantide. Atlas indique que nous sommes au bord du monde connu de l’époque,
soit au commencement de la matière sensible dans la logique de Platon. Il en est de même de
Clito, l’humaine, qui représente celle qui va engendrer dans la matière le monde divin. Le
déploiement de la Cité est celle de l’Illimité, d’une dualité qui ne cesse de s’amplifier sans jamais
retrouver l’unité du ciel.

Tout est mélange dans l’Atlantide, et le fait que Poséidon s’unit à une humaine indique que le
royaume divin se mélange au royaume sensible, celui des hommes. La perte graduelle de la part
divine s’accentue dans le mythe de l’Atlantide jusqu’à ce que la part humaine, mortelle et
sombre, finisse par dissoudre toute la part divine. C’est à ce moment qu’intervient le Déluge de
l’Atlantide, soit le retour à l’indifférencié pour Platon et donc un retour complet à l’Illimité.
Kronos réabsorbe la matière sensible dans son dernier élan, dans son 5eme gouvernement
tyrannique auquel répond l’homme tyrannique. C’est la raison pour laquelle le mythe de
l’Atlantide s’inscrit dans la construction du cosmos par le Démiurge Zeus dans le Timée. Il s’agit
d’illustrer la réalité platonicienne de l’épuisement des forces créatrices jusqu’au retour de la
matière sensible à son lieu d’origine. Ce mythe s’inscrit dans le cycle des âges de l’humanité
enseigné par Platon, et fait suite à un discours dévolu à la bonne constitution d’un État. L’enjeu
du Timée et du Critias est d’illustrer l’État idéal, et donc prolonge la pensée platonicienne de la
politique dans son ouvrage La République.

Voici une autre indication est importante. Sur l’Acropole, deux sources apparaissent : l’une est
chaude et l’autre est froide. C’est un royaume de mélange, et pour Platon ces deux éléments
caractérisent ce par quoi la matière sensible a été façonnée. Toute est mélange dans ce royaume
d'Atlantis, tous est dédoublé. Rien n’est pur. C’est un simulacre de la Cité athénienne. A
Athènes, ce sont deux dieux qui gouvernent la Cité, Athéna et Héphaïstos. Leur nature est
identique, signe de la noblesse d’âme pour Platon. Nous voyons bien le contraste entre les deux
Cités.

« …Héphaïstos et Athéna qui ont la même nature, et parce qu’ils sont enfants du même père, et parce qu’ils
s’accordent dans le même amour de la sagesse et des arts, ayant reçu tous deux en commun notre pays, comme un
lot qui leur était propre et naturellement approprié à la vertu et à la pensée, y firent naître de la terre des gens de
bien et leur enseignèrent l’organisation politique. »

Quant au métal dénommé orichalque qui pare l’île dans tous ses recoins, il symbolise l’hubris
pour Platon, l’Illimité, l’injustice, image que véhicule parfaitement la mer où réside l’Atlantide
mais aussi le dieu de la mer Poséidon. C’est la raison pour laquelle Athènes est dite vouée à la
justice (Diké), l’image contraire de l’hubris.

Daniel Shoushi 18
« L’île fournissait la plupart des choses nécessaires à la vie. D’abord, tous les métaux, durs ou malléables, extraits
du sol par le travail de la mine, sans parler de celui dont il ne subsiste aujourd’hui que le nom, mais dont en ce
temps-là il y avait plus que le nom, de cette espèce qu’on extrayait de la terre en maints endroits de l’île, l’orichalque.
C'était alors le métal le plus précieux après l’or. »
Critias

Ce métal imite l’or, c’est une copie, un faux semblant et pourtant les Atlantes l’arborent comme
un métal précieux.

Nous apprenons encore que les rois Atlantes ont oublié peu à peu leur principe divin initial pour
sombrer dans la pratique propre au caractère humain. Ils pratiquent un rite sacrificielle barbare,
un taureau qu’ils égorgent au sommet d’une colonne d’orichalque située au centre du sanctuaire
de leur père, afin de s’asperger mutuellement du sang de la victime puis d’en boire le restant
dans une coupe consacrée. Ils rendent ensuite la justice en pleine nuit, revêtus de robes d’un
bleu sombre comme la mer, après avoir éteint tous les feux autour du temple, assis par terre
dans les cendres du sacrifice. Critias donne une information importante encore. Tant que
dominent en eux la nature paternelle, la législation des Atlantes demeura parfaite et ils
pratiquèrent la justice. « Mais quand vint à sa ternir en eux, pour avoir mélangé, et maintes
fois, avec maint élément mortel, le lot qu’ils tenaient du dieu », le caractère humain effaça peu
à peu la ligné initiale. Cela signifie que les hommes perdent peu à peu avec le temps la connexion
avec le monde divin, s’ils n’entretiennent pas leurs âmes. Lorsque les Atlantes se montrèrent
incapables de rester à l’écoute de leur propre origine, Zeus, conclut Critias, fit venir toutes les
divinités au centre du cosmos :

« À cet effet, il réunit tous les dieux dans leur demeure, la plus précieuse, celle qui, située au centre de tout l’univers,
voit tout ce qui participe à la génération, et, les ayant rassemblés, il leur dit :... »
[Le manuscrit de Platon finit sur ces mots. Cf. p. 544]

Nous terminons ici notre démonstration sur les 3 niveaux du réel dévolu aux 3 dieux. Nous
n’avons pas le temps dans cette vidéo de déployer toutes les subtilités contenues dans chaque
ouvrage mentionné, peut-être que je le ferai dans un avenir proche ou lointain.

La structure platonicienne emploie donc un déploiement pentadique sur le plan idéel avec la
Plaine de la vérité, sur le plan invisible de l’âme avec la Prairie, et sur le plan sensible avec l’Ile
centrale de l’Atlantide. Toute cette organisation découle du Bien, de l’Un. Nous avons une
disposition verticale quadripartite qui correspond à un arrangement du divin que l’on retrouve
dans toutes les traditions : kabbale, hindouisme, zoroastrisme, soufisme, Égypte, etc.

Pour aller plus en profondeur, je vous invite à lire mes ouvrages Émergence TII et TIII dans
lesquels vous trouvez de nombreux exemple, ou encore mon ouvrage Alchimie arabe TI, dans
lequel j’analyse le traité gnostique intitulé L’Apocryphon de Jean et en démontre la structure
pentadique et la verticalité déclinée en quatre strates.

Vous pouvez aussi visionner ma vidéo dédiée à Horus l’Ancien, le second volet. Les
recoupements entre la disposition quadripartite de la philosophie de Platon et la théologie
d’Horus l’Ancien vous sauterons aux yeux.

Daniel Shoushi 19
Voici la déclinaison verticale quadripartite de Platon :
- L’Un, le Bien : l’incréé, est dévolu à Kronos
- Le Logos et les Idées : le plan mental et idéel, la première dimension créée est dévolue
à Zeus
- L’Âme : plan invisible, est dévolu à Hadès
- Le Corps : plan sensible, est dévolu à Poséidon

Le mythe de la Caverne exprime à nouveau cette constitution en proposant des illustrations : le


fond de la caverne où sont attachés les hommes à qui l’on présente des modèles projetés sur le
mur devant eux, c’est le royaume du fantasme, de l’illusion, d’un monde copié sur un autre
monde copié. Une fois que le prisonnier se délivre du monde des sens, soit la seconde copie, il
entre en contact avec la première copie, celles des images mentales (imagination). Enfin, en
sortant de la Caverne, il pénètre dans le royaume de Zeus, celui des Idées surplombé par une
Idée maitresse imagée par le Soleil : La Beauté, Aphrodite !

Le royaume du Phyturge est seul réel. Le Dieu qui donne vie et croissance aux choses est tel un
jardinier de l’être, il implante dans le monde sa propre Idée unique. Le problème est bien la
dernière partie du monde qui engendre que du fantasme, et Socrate ne fait que critiquer les
hommes qui y adhèrent comme si c’était la réalité ultime. L’invisible donne à voir le visible dès
lors que la claire lumière de la Limite-Logos-Démiurge-Zeus-mental réussit à fixer l’illimitation
primordiale en la révélant à lui-même dans son statut de sensible. C’est donc ici tout l’objet de
Socrate et de Platon, passer d’un mode de conscience illusoire a inspiré, puis d’inspiré à voyant,
et enfin à un statut de contemplant la réalité ultime de Zeus et de devenir des immortels. Kronos
se définit comme lieu d’origine de l’Idée unique, le Soleil, l’Idée du Bien souverain, origine des
Idées, puis des images qui déferlent au sein de l’âme humaine comme autant de visions,
d’apparitions et d’épiphanies divines.

C’est ainsi que nous pouvons comprendre l’acte du Démiurge, Zeus (non nommé), dans le
Timée lorsqu’il modélise le cosmos à l’image du royaume de Kronos (non nommé) à travers la
matière première, nommé chora. Tout provient de L’un, le Bien, monde sans ordre car tout est
simple et indifférencié.

« Le dieu, en effet, voulant que tout fût bon et que rien ne fût mauvais, autant que cela est possible, prit toute la
masse des choses visibles, qui n’était pas en repos, mais se mouvait sans règle et sans ordre, et la fit passer du
désordre à l’ordre, estimant que l’ordre était préférable à tous égards. »

De cela naquit le monde des Idées, et ils furent prit comme modèle par Zeus pour créer le
cosmos. Il semblerait que dans le Timée, l’Idée fondatrice soit la Vie, car l’animation de la
matière s’enclenche pour former les êtres vivants, et notamment l’Âme du monde. L’Idée de
Vie émerge de l’unique Idée de la Beauté.

« Car Dieu, voulant lui donner la plus complète ressemblance avec le plus beau des êtres intelligibles et le plus
parfait à tous égards, a formé un seul animal visible, qui renferme en lui tous les animaux qui lui sont naturellement
apparentés. »

Daniel Shoushi 20
« Afin donc que notre monde fût semblable en unité à l’animal parfait, l’auteur n’en a fait ni deux, ni un nombre
infini ; il n’est né que ce ciel unique et il n’en naîtra plus d’autre. »

« Quand le Père qui l’avait engendré s’aperçut que le monde qu’il avait formé à l’image des dieux éternels se
mouvait et vivait, il en fut ravi et, dans sa joie, il pensa à le rendre encore plus semblable à son modèle. Or, comme
ce modèle est un animal éternel, il s’efforça de rendre aussi tout cet univers éternel, dans la mesure du possible.
Mais cette nature éternelle de l’animal, il n’y avait pas moyen de l’adapter complètement à ce qui est engendré.
Alors il songea à faire une image mobile de l’éternité et, en même temps qu’il organisait le ciel, il fit de l’éternité
qui reste dans l’unité cette image éternelle qui progresse suivant le nombre, et que nous avons appelé le temps. »

L’animal éternelle est bien évidement l’Idée de Vie. Le cosmos est donc vivant et la
scansion/mesure du temps découle de l’immobilité éternelle de l’Idée de Vie, laquelle baigne
sous le flux de l’unique Idée de la Beauté. Il est encore question de modèle et de copie. Lisons
encore se passage du Timée :

« À la naissance du temps, le monde se trouvait déjà construit à la ressemblance du modèle ; mais il ne contenait
pas encore tous les animaux qui sont nés en lui ; il lui manquait encore ce trait de ressemblance. C’est pourquoi
Dieu acheva ce qui restait, en le façonnant sur la nature du modèle. Aussi, toutes les formes que l’intelligence
aperçoit dans l’animal qui existe réellement, quels qu’en soient la nature et le nombre, le dieu jugea que ce monde
devait les recevoir, les mêmes et en même nombre. Or il y en a quatre : la première est la race céleste des dieux, la
deuxième, la race ailée qui circule dans les airs, la troisième, l’espèce aquatique, la quatrième, celle qui marche
sur la terre ferme. »

Le matériau cosmique que façonne le Démiurge Zeus, les yeux tournés vers les Idées, est
d’autant plus « difficile et obscur » à saisir que sa matérialité ne renvoie à aucune expérience
sensible où une définition rationnelle. La chora est amorphe et met en formes et images l’essence
et le refléter dans le monde sensible. Elle spatialise les essences, c’est un lieu de translation et de
passage entre la réalité intelligible et celle du cosmos. A chaque instant, la chora donne forme
aux Idées en produisant des schèmes d’où sortent ensuite les copies du monde sensible. Le
matériau de la chora possède une sensibilité telle qu’elle est affectée immédiatement par la
lumière des modèles intelligibles, du plan des Idées. De la sorte, nous pouvons contempler en
nous-mêmes les réalités intelligibles par son entremise à travers des images. Il en ressort que
derrière la notion de chora, il s’agit d’expliquer le modus operandi des visions illuminatives qui
jaillissent en notre être et perçu par l’œil de notre âme. La maïeutique s’intègre dans ce schéma,
ce qui dévoile qu’une âme fertile accouche de la réalité ultime à travers des images. Une âme
infertile est morte a elle-même, elle est aveugle et ne voit rien.

Écoutez maintenant ce que dit Platon, dans son Timée, au sujet des 3 niveaux du réel dont à
parler tous à l’heur :

« S’il en est ainsi, il faut reconnaître qu’il y a d’abord la forme immuable qui n’est pas née et qui ne périra pas,
qui ne reçoit en elle rien d’étranger, et qui n’entre pas elle-même dans quelque autre chose, qui est invisible et
insaisissable à tous les sens, et qu’il appartient à la pensée seule de contempler. Il y a une seconde espèce, qui a le
même nom que la première et qui lui ressemble, mais qui tombe sous les sens, qui est engendrée, toujours en
mouvement, qui naît dans un lieu déterminé pour le quitter ensuite et périr, et qui est saisissable par l’opinion
jointe à la sensation. Enfin il y a toujours une troisième espèce, celle du lieu, qui n’admet pas de destruction et qui

Daniel Shoushi 21
fournit une place à tous les objets qui naissent. Elle n’est elle-même perceptible que par un raisonnement bâtard
où n’entre pas la sensation ; c’est à peine si l’on y peut croire. Nous l’entrevoyons comme dans un songe, en nous
disant qu’il faut nécessairement que tout ce qui est soit quelque part dans un lieu déterminé, occupe une certaine
place, et que ce qui n’est ni sur la terre ni en quelque lieu sous le ciel n’est rien. À cause de cet état de rêve, nous
sommes incapables à l’état de veille de faire toutes ces distinctions et d’autres du même genre, même à l’égard de
la nature éveillée et vraiment existante, et ainsi d’exprimer ce qui est vrai, à savoir que l’image, parce que cela
même en vue de quoi elle est façonnée ne lui appartient pas et qu’elle est comme le fantôme toujours changeant
d’une autre chose, doit, pour cette raison, naître dans autre chose et s’attacher ainsi en quelque manière à l’existence,
sous peine de n’être rien du tout, tandis que l’être réel peut compter sur le secours du raisonnement exact et vrai,
lequel établit que, tant que les deux choses sont différentes, aucune des deux ne pouvant jamais naître dans l’autre,
elles ne deviendront pas à la fois une seule et même chose et deux choses. »

Nous ne pouvons malheureusement pas nous étendre sur les 5 solides de Platon. Notons
simplement cet indice tiré de ce même ouvrage :

« Or, de nos deux triangles, celui qui est isocèle n’admet qu’une forme ; celui qui est scalène, un nombre infini. »

Le nombre 3 dessine le triangle, ce nombre est central dans la philosophie de Platon. Il renvoie
aux 3 Idées fondatrices du cosmos, formulées de mille et une manière dans ses ouvrages, à savoir
la Beauté (Aphrodite), la Justice (Thémis) et le Vrai (Hestia). Le Un, soit le Bien, surplombe ces
3 Idées. C’est l’amour (Éros) de ces 3 Idées qui donne le désire au philosophe d’aller ver la plaine
de Vérité, son foyer céleste, la dimension idéelle, et d’être équilibré en tout point en son être
afin de contempler la Beauté éternelle, et l’envie de faire accoucher en lui la Connaissance.

De ces 3 se déploie 2 puissances contraires, les deux triangles. C’est à partir du « triangle
isocèle » et « l’autre dans lequel le carré du grand côté est triple du carré du petit » que se
forment ensuite les 4 éléments et les 4 solides de Platon, le 5eme élément et le 5eme solide sont mis
en part.

Derrière cette formulation se dissimule la Tetractys pythagoricienne. Regardons cela de plus


prêt. L’Idée unique fait émerger la pensée qui fonctionne toujours par pair, comme la
dialectique le démontre. L’exemple de Diotime qui affirme que l’amour n’est ni beau ni bon,
tandis que Socrate réplique qu’il doit être laid et mauvais découle de cette logique de la pensée.
D’une pensée ne peut naitre que des contradictions, des oppositions et/ou des
complémentarités. Cependant, la source de la pensée est l’Idée elle-même ! Nous sommes en
territoire idéelle où l’Idée inonde de sa lumière le champ de la réflexion ou encore le silence
contemplatif du mental. De la pensée se développe la triade, la dimension intermédiaire affiliée
à l’âme. Les triades platoniennes sont la dynamisation des pensées. Enfin, de cette triade surgit
le monde sensible, celui des corps denses.

Dans le mythe de la Caverne, le Soleil est l’Idée du Bien, car elle est implicitement la seule idée
du Bien. Il n’y en a pas deux ! L'Idée du Bien est l'apogée de la connaissance chez Platon, et
nous savons désormais qu’il s’agit de la belle Aphrodite, soit la Beauté.

L’âme déporte sa vision des objets multiples (les choses du monde sensible) vers une unité interne
qui les caractérise tous (la beauté, la proportion et la vérité) et de là, en abandonnant sa

Daniel Shoushi 22
concentration à partir de cette triplicité unitive, elle fait irruption en l’Un lui-même ! L’objet de
la philosophie étant de montrer que la dialectique cède sa place à l’irruption du Bien, dans le
sens où c’est un pont qui mène l’âme au-delà de son existence. La raison n’a pas les mots, ni les
idées pour exprimer le Bien, seule l’Idée du Bien est possible en ses apparitions. Il convient de
comprendre que la dialectique confère l’immédiateté et la totalité de toutes les connaissances,
car elle ouvre sur l’expérience mystique la plus haute et la plus digne de toutes ! Nous sommes
en présence d’une âme qui contemple en silence l’Idée du Bien, la pensée ne laisse plus de trace
en l’âme puisque cette dernière a abandonné sa faculté intellectuelle. De ce retour de l’âme à
l’Idée du Bien, elle recouvre son immortalité et réside parmi les immortels ! Cette philosophie
était liée à un exercice pratique de type yogique comme nous l’avons vue avec Socrate.

Pour réintégrer l’Idée du Bien en tant que tel, le mythe de la Caverne scande 5 phases
d’ascension, et une autre pour le retour auprès des prisonniers.
- 1er stade : Les ombres symbolisent les objets empreints de sensibilité, et que donc la
perception des ombres sur la paroi est liée au mode de connaissance de l’opinion.
- 2eme stade : les modèles manufacturés faisant se mouvoir les ombres correspondent aux
données rationnelles issues des sciences telles que la géométrie, l’arithmétique et
l’astronomie.
- 3eme stade : il s’agit d’entrer dans la lumière, une clarté qui émane du feu. Ce feu
symbolise la lumière de la rationalité, le fait qu’il est demandé de la dépasser évoque une
rationalité emplie de sagesse provenant du Bien. C’est donc une connaissance infuse,
spirituelle et directe.
- 4eme stade : l’âme délaisse les sciences, l’intelligible, et accède aux Idées. C’est une
rupture telle que l’âme doit s’accoutumer à une nouvelle modalité d’esprit qu’elle ne
connaît pas. C’est une préparation à la rencontre avec l’Idée du Bien !
- 5eme stade : les intelligibles présents dans le ciel sont surplombés par le Soleil, c’est
l’image de la région intelligible dominée par le Bien vivant au-delà de l’être. Ce Soleil
ne repose ni sur terre, ni dans l’atmosphère, ni au ciel car il transcende toutes choses.
Cette ascension est une voie de renaissance spirituelle et d’union mystique selon Plotin.
- 6eme stade : C’est le retour de l’âme dans la caverne auprès des prisonniers. L’enjeu du
philosophe est donc d’éveiller les âmes prisonnières de leur corps et du
fantasme/simulacre du monde sensible à la réalité ultime.

Comme signalé auparavant, le Un surplombe les trois autres mondes. Pour Platon, le Un, c’est
le Bien. C’est tout l’enjeu de son ouvrage Le Parménide. Il se tient par-delà l’être et ses qualités,
ses prédicats et tout ce qui existe. C’est la source de l’ultime réalité et de son expérience
contemplative. Le Un diffuse l’Idée des Idées, car il n’est que cela, permettant ainsi de donner
jour à l’être lui-même afin qu’il puisse se contempler à travers l’existentialisation du contenu de
son propre être.

D'aucuns affirment que certains textes de Platon marquent une rupture avec Socrate et avec la
dialectique, à savoir Le Théétète (sur la science), Le Parménide (sur les Idées), Le Sophiste (sur
l'Être) et Le Politique (sur la royauté). Dans le Parménide, Platon conteste ses propres postulats
philosophiques, en montrant l'échec de la dialectique comme tentative pour établir l’Un-Bien
comme fondement. En fait, il s’agit plutôt d’une mise en perspective de la méthode dialectique,
représentée par Socrate, devant l’impossibilité foncière de la pensée à saisir l’Idée en tant que

Daniel Shoushi 23
tel et ce qu’il y a au-delà, l’Un-Bien. Le silence de Socrate est celui de la pensée elle-même
lorsqu’elle se contemple elle-même. Les interprétations courantes frappent par leur impuissance
à saisir l’attitude de Platon. Il est cohérent avec lui-même et tous ses textes exposent sa
philosophie de manière diluée. Il est tout de même étonnant de voir les historiens définir ces
textes comme une rupture de Platon avec Socrate alors que deux de ses derniers ouvrages
reviennent sur les Idées, et les valident. Quels sont ces deux textes ? Le Timée et le Critias.

Maintenant, nous pouvons saisir le nombre 5 en sa qualité de symbole du nombre nuptial, de


fécondateur. Le 5 (pen) exprime ainsi tant une totalité (pan en grec ancien) que l’idée de
fécondation, de naissance, de fertilité. De Pythagore aux derniers des néoplatoniciens, le
nombre 5 évoque cette logique de sens à laquelle répond notre âme qui est ensemencée par
Zeus.

Le traité (ou dialogue) « pythique » du platonicien Plutarque de Chéronée (Ier – IIe s. ap. J.-C.)
intitulé Sur l’E de Delphes est consacré à l’élucidation de la signification de l’E (la cinquième lettre
de l’alphabet grec) consacré à Apollon Pythien. Une des interprétations (d’inspiration
pythagoricienne) est que cet E désigne le nombre cinq, le nombre du cosmos.

Daniel Shoushi 24

Vous aimerez peut-être aussi